CR 93/22
International Court Cour internationale
of Justice de Justice
THE HAGUE LA HAYE
YEAR 1993
Public sitting
held on Monday 28 June 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Sir Robert Jennings presiding
in the case concerning Territorial Dispute
(Libyan Arab Jamahiriya/Chad)
__________________
VERBATIM RECORD
__________________
ANNEE 1993
Audience publique
tenue le lundi 28 juin 1993, à 10 heures, au Palais de la Paix
sous la présidence de sir Robert Jennings, Président
en l'affaire du Différend territorial
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad)
________________
COMPTE RENDU
________________
0406C
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- 10 -
Present:
President Sir Robert Jennings
Vice-President Oda
Judges Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh
Judges ad hoc Sette-Camara
Abi-Saab
Registrar Valencia-Ospina
___________
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- 11 -
Presents:
Sir Robert Jennings, President
M. Oda, Vice-President
MM. Ago
Schwebel
Bedjaoui
Ni
Evensen
Tarassov
Guillaume
Shahabuddeen
Aguilar Mawdsley
Weeramantry
Ranjeva
Ajibola
Herczegh
MM. Sette-Camara
Abi-Saab
M. Valencia-Ospina
___________
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- 12 -
The Government of the Libyan Arab Jamahiriya is represented by:
H.E. Mr. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
Ambassador,
as Agent;
Mr. Kamel H. El Maghur
Member of the Bar of Libya,
Mr. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
Whenwell Professor emeritus, University of Cambridge,
Mr. Philippe Cahier
Professor of International Law, Graduate Institute of International Studies, University of Geneva,
Mr. Luigi Condorelli
Professor of International Law, University of Geneva,
Mr. James R. Crawford
Whenwell Professor of International Law, University of Cambridge,
Mr. Rudolph Dolzer
Professor of International Law, University of Mannheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
Mr. Walter D. Sohier
Member of the Bar of the State of New York and of the District of Columbia,
as Counsel and Advocates;
Mr. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Rodman R. Bundy
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mr. Richard Meese
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Loretta Malintoppi
Avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Miss Azza Maghur
Member of the Bar of Libya,
as Counsel;
Mr. Scott B. Edmonds
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
Mr. Bennet A. Moe
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- 13 -
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
Mr. Robert C. Rizzutti
Cartographer, Maryland Cartographics, Inc.,
as Experts.
The Government of the Republic of Chad is represented by:
Rector Abderahman Dadi, Director of the Ecole nationale d'administration et de
magistrature de N'Djamena,
as Agent;
H.E. Mr. Mahamat Ali-Adoum, Minister for Foreign Affairs of the Republic of Chad,
as Co-Agent;
H.E. Mr. Ahmad Allam-Mi, Ambassador of the Republic of Chad to France,
H.E. Mr. Ramdane Barma, Ambassador of the Republic of Chad to Belgium and the
Netherlands,
as Advisers;
Mr. Alain Pellet, Professor at the University of Paris X-Nanterre and at the Institut
d'etudes politiques of Paris,
as Deputy-Agent, Adviser and Advocate;
Mr. Antonio Casses, Professor of International Law at the European University Institute,
Florence,
Mr. Jean-Pierre Cot, Professor at the University of Paris I (Panthéon-Sorbonne),
Mr. Thomas M. Franck, Becker Professor of International Law and Director, Center for
International Studies, New York University,
Mrs. Rosalyn Higgins, Q.C., Professor of International Law, University of London,
as Advisers and Advocates;
Mr. Malcolm N. Shaw, Ironsides Ray and Vials Professor of Law, University of Leicester,
Member of the English Bar,
Mr. Jean-Marc Sorel, Professor at the University of Rennes,
as Advocates;
Mr. Jean Gateaud, Ingénieur général géographe honoraire,
Le Gouvernement de la Jamahiriya arabe libyenne est représenté par :
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S. Exc. Abdulati Ibrahim El-Obeidi
ambassadeur,
comme agent;
M. Kamel H. El Maghur
membre du barreau de Libye,
M. Derek W. Bowett, C.B.E., Q.C., F.B.A.
professeur émérite, ancien titulaire de la chaire Whewell à l'Université de Cambridge,
M. Philippe Cahier
professeur de droit international à l'Institut universitaire de hautes études internationales de
l'Université de Genève,
M. Luigi Condorelli
professeur de droit international à l'Université de Genève,
M. James R. Crawford
titulaire de la chaire Whewell de droit international à l'Université de Cambridge,
M. Rudolph Dolzer
professeur de droit international à l'Université de Manheim,
Sir Ian Sinclair, K.C.M.G., Q.C.
M. Walter D. Sohier
membre des barreaux de l'état de New York et du district de Columbia,
comme conseils et avocats;
M. Timm T. Riedinger
Rechtsanwalt, Frere Cholmeley, Paris,
M. Rodman R. Bundy
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
M. Richard Meese
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Loretta Malintoppi
avocat à la Cour, Frere Cholmeley, Paris,
Mlle Azza Maghur
membre du barreau de Libye,
comme conseils;
M. Scott B. Edmonds
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
M. Bennet A. Moe
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cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
M. Robert C. Rizzutti
cartographe, Maryland Cartographics, Inc.,
comme experts.
Le Gouvernement de la République du Tchad est représenté par :
M. Abderahman Dadi, directeur de l'école nationale d'administration et de
magistrature de N'Djamena,
comme agent;
S. Exc. M. Mahamat Ali-Adoum, ministre des affaires étrangères de la République du Tchad,
comme coagent;
S. Exc. M. Ahmad Allam-Mi, ambassadeur de la République du Tchad en France,
S. Exc. M. Ramdane Barma, ambassadeur de la République du Tchad en Belgique et aux
Pays-Bas,
comme conseillers;
M. Alain Pellet, professeur à l'Université de Paris X-Nanterre et à l'Institut d'études politiques
de Paris,
comme agent adjoint, conseil et avocat;
M. Antonio Casses, professeur de droit international à l'Institut universitaire européen de
Florence,
M. Jean-Pierre Cot, professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne),
M. Thomas M. Franck, titulaire de la chaire Becker de droit international et directeur du
centre d'études internationales de l'Université de New York,
Mme Rosalyn Higgins, Q.C., professeur de droit international à l'Université de Londres,
comme conseils et avocats;
M. Malcolm N. Shaw, titulaire de la chaire Ironsides Ray and Vials de droit à l'Université
de Leicester, membre du barreau d'Angleterre,
M. Jean-Marc Sorel, professeur à l'Université de Rennes,
comme avocats;
M. Jean Gateaud, ingénieur général géographe honoraire,
as Counseil and Cartographer;
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M. Jean-Pierre Mignard, Advocate at the Court of Appeal of Paris,
Mr. Marc Sassen, Advocate and Legal Adviser, The Hague,
as Counsel;
Mrs. Margo Baender, Research Assistant, Center of International Studies, New York
University, School of Law,
Mr. Oliver Corton, Collaborateur scientifique, Université libre de Bruxelles,
Mr. Renaud Dehousse, Assistant Professor at the European University Institute, Florence,
Mr. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the
University of Paris X-Nanterre,
Mr. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche at the University of
Paris X-Nanterre,
as Advisers and Research Assistants;
Mrs. Rochelle Fenchel;
Mrs. Susal Hunt;
Miss Florence Jovis;
Mrs. Mireille Jung;
Mrs. Martine Soulier-Moroni.
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comme conseil et cartographe;
M. Jean-Pierre Mignard, avocat à la Cour d'appel de Paris,
M
e
Marc Sassen, avocat et conseiller juridique, La Haye,
comme conseils;
Mme Margo Baender, assistante de recherche au centre d'études internationales de la Faculté
de droit de l'Université de New York,
M. Oliver Corten, assistant à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles,
M. Renaud Dehousse, maître-assistant à l'Institut universitaire européen de Florence,
M. Jean-Marc Thouvenin, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université
de Paris X-Nanterre,
M. Joseph Tjop, attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l'Université de
Paris X-Nanterre,
comme conseillers et assistants de recherche;
Mme Rochelle Fenchel;
Mme Susal Hunt;
Mlle Florence Jovis;
Mme Mireille Jung;
Mme Martine Soulier-Moroni.
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The PRESIDENT: Please be seated. I give the floor to Mr. Cot.
M. COT : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Nous avons abordé vendredi dernier, il vous en souvient, l'examen du texte du traité
du 10 août 1955.
Les deux Parties considèrent ce traité comme applicable dans leurs relations. Le Tchad
prétend qu'il règle leur différend frontalier; la Libye le conteste. Notre désaccord porte donc sur
l'interprétation du traité de 1955 et singulièrement sur l'interprétation de l'article 3 du traité et de son
annexe I.
J'avais rappelé ce principe cardinal des relations internationales à ce propos qu'un traité
frontière doit être présumé délimiter la ligne frontière. Et j'avais souligné aussi bien l'importance de
la règle uti possidetis, dont s'inspire le traité que sa nécessaire combinaison avec l'autonomie de la
volonté des Hautes Parties contractantes souveraines.
J'avais ensuite abordé le texte de l'article 3 du traité, vous conviant à un examen mot à mot un
peu scolaire, et nous avions constaté alors que les Hautes Parties contractantes avaient mis en œuvre
une technique somme toute banale du droit des gens : le renvoi à des actes internationaux antérieurs,
bien définis, pour le tracé de la ligne frontière.
Au cours de cette analyse littérale du texte de l'article 3, nous avions écarté certaines
objections libyennes touchant notamment la reconnaissance internationale, la notion d'acte en vigueur
et le rôle des effectivités.
Il résultait, me semble-t-il, de cette analyse textuelle que, sauf preuve contraire, l'article 3 du
traité avait bien pour objet et pour effet de délimiter la frontière entre les deux Parties à la présente
instance.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Avant de passer à l'examen du contexte de l'article 3, il me reste à évoquer en quelques mots
deux arguments de la Partie libyenne.
Nos contradicteurs se sentent en effet pris dans l'étau logique de l'article 3. Ils sentent cet étau
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se resserrer autour d'eux. Ils cherchent, on les comprend, une échappatoire. Ils échafaudent, pour ce
faire, deux hypothèses bien fragiles dont je ne vois nulle part le fondement.
1. L'hypothèse d'un mandat implicite de négociation qui serait formulé par le traité de 1955;
2. l'hypothèse des deux segments de frontière, auxquels les Hautes Parties contractantes
auraient réservé un sort différent.
Je commence par l'hypothèse du mandat implicite de négociation qui permettrait, d'après nos
adversaires, d'expliquer la présence insolite de l'annexe I qui, sans cela, n'a pas de sens dans leur
logique; puisque les textes énumérés ne délimitent pas la frontière pour eux et qu'il faut bien que ces
textes servent à quelque chose, nos contradicteurs libyens estiment que ces textes constitueraient la
base d'une sorte de mandat implicite, d'invitation à négocier en quelque sorte par la suite.
Je lis dans la réplique libyenne :
"States may choose to refer to other treaties in order definitively to settle a
boundary; or they may make such a reference, as here to provide and agreed basis for a
possible settlement" (Réplique de la Libye, p. 52, note 11).
Je comprends que cette hypothèse arrange les affaires de nos honorables contradicteurs.
Malheureusement pour eux, elle ne repose sur aucun fondement. Au contraire, nous l'avons vu, en
prévoyant explicitement une procédure d'abornement, l'annexe I suppose que le problème de
délimitation a déjà été réglé dans le corps du traité.
Si les Parties contractantes avaient entendu confier un mandat ultérieur de négociation sur la
délimitation, elles l'auraient indiqué en toutes lettres. Au minimum, elles auraient utilisé une formule
du type de celle que l'on relève dans le traité de Lausanne du 24 juillet 1923.
"De la mer Méditerranée à la frontière de Perse, la frontière de la Turquie est
fixée comme suit : (...)
2. Avec l'Irak :
La frontière entre la Turquie et l'Irak sera déterminée à l'amiable entre la
Turquie et la Grande-Bretagne dans un délai de neuf mois."
Car, ne l'oublions jamais, l'objet de l'article 3 du traité du 10 août 1955 est bien de délimiter la
frontière. Or, votre Cour l'a rappelé dans l'affaire des parcelles frontalières :
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"Toute interprétation qui ferait tenir la convention de délimitation comme laissant
en suspens et abandonnant à une appréciation ultérieure du statu quo la détermination
de l'appartenance à l'un ou l'autre Etat des parcelles litigieuses, serait incompatible avec
cette intention commune." (Souveraineté sur certaines parcelles frontalières,
C.I.J. Recueil 1955, p. 221-222.)
La Partie libyenne cherche à expliquer que l'intention des Parties n'était pas identique sur ce
point, d'après elle la France cherchant à délimiter la frontière commune, alors que ce n'était pas
l'intention des négociateurs libyens. Nous y reviendrons à propos des moyens complémentaires
d'interprétation. Il nous suffit de noter à ce stade avec votre Chambre constituée dans l'affaire du
Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime :
"dans l'interprétation d'un texte de ce genre, il faut considérer l'intention commune telle
qu'exprimée dans les termes du compromis" (Différend frontalier terrestre, insulaire et
maritime (El Salvador/Honduras), C.I.J. Recueil 1992, par. 376).
Or, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, l'intention commune qui ressort du texte de
l'article 3 et de l'annexe I, c'est bien d'arrêter la ligne frontière entre les deux Hautes Parties
contractantes. Au demeurant, je note que la Partie libyenne elle-même ne peut pas développer
complètement l'argument du mandat implicite de négociation. Elle est obligée d'admettre que la
frontière a été délimitée jusqu'à Toummo et parle à ce propos d'un règlement partial, "partial
settlement", de la frontière jusqu'à Toummo.
L'hypothèse des deux segments de frontière est donc nécessaire dans sa démonstration et vient
s'ajouter à l'hypothèse du mandat implicite de négociation. Elle ne repose sur rien.
L'article 3 et l'annexe I visent une frontière unique, ils énumèrent les textes pertinents sans faire de
distinguo. Je rappelle ici l'avis de la Cour permanente dans l'affaire de l'Interprétation de l'article 3,
paragraphe 2, du traité de Lausanne :
"il est naturel que tout article destiné à fixer une frontière soit, si possible, interprété de
telle sorte que, par son application intégrale, une frontière précise, complète et définitive
soit obtenue" (C.P.J.I. série B no
12, p. 20).
Or, cette interprétation est possible. C'est celle que propose la République du Tchad. Et elle
a pour effet de fixer une frontière précise, complète et définitive. L'hypothèse contraire, pour être
prise en considération, doit être clairement formulée par les Parties. Comme vous l'avez fait
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observer, Monsieur le Président, dans votre récent arrêt, du 14 juin 1993 dans l'affaire de la
Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen :
"Si l'intention avait été autre, l'article 2 en l'espèce, aurait été rédigé de manière à
préciser qu'il ne concerne qu'une partie de l'ensemble de la ligne de délimitation
envisagée..." (C.I.J. Recueil 1993, par. 26.)
J'espère ainsi avoir fait justice des hypothèses hasardeuses avancées par la Partie libyenne
pour vider le texte de l'article 3 et de l'annexe I de tout contenu, pour priver ces dispositions de tout
effet utile.
Ces hypothèses contreviennent de manière patente à l'objet et au but du traité du 10 août 1955
pris dans son ensemble. Elles stérilisent les clauses visant à régler le contentieux entre les parties et
à établir une frontière définitive. De telles hypothèses devraient prendre appui sur un ensemble de
preuves solides et concordantes. Vous n'en trouverez pas, dans les pièces ou les propos des Parties à
la présente instance.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
J'en viens maintenant au contexte, et à la pratique subséquente des Parties.
Le contexte se compose :
— du préambule,
— des autres articles du traité,
— des annexes,
— des conventions particulières.
Tous ces éléments indiquent à notre avis la conviction des Parties au traité que la ligne
frontière est bien définie par l'article 3 de l'annexe I. Je n'ai trouvé aucune disposition qui va en sens
contraire et qui puisse alimenter les hypothèses libyennes.
L'article 5 du traité, relatif aux mesures à prendre pour la défense des territoires en question,
désigne le territoire libyen en ces termes : "en ce qui concerne la Libye, il s'agit du territoire libyen,
tel qu'il est défini à l'article 3 du traité" et non pas "tel qu'il sera défini à la suite de négociations
prévues", comme le souhaiteraient nos contradicteurs !
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Avec tout le respect que je dois à sir Ian, je ne vois pas là une "extravagant assertion"
(CR 93/15, p. 51). Cette formule un peu vive a sans doute dépassé sa pensée.
L'article 4 est tout aussi explicite. Il précise que les Hautes Parties contractantes prendront
toutes les mesures nécessaires au maintien de la sécurité et de la paix "dans les régions avoisinant les
frontières définies à l'article précédent".
Je note que ce sont bien les frontières qui sont ainsi définies à l'article 3 et pas seulement les
textes de référence. Cet article 4 ne vise en aucune manière une zone frontalière imprécise des
"confins", des "borderlands". Il vise les régions avoisinant les frontières définies, et non pas les
frontières à définir.
Il faut peut-être rappeler ici à nos contradicteurs que la frontière est définie comme :
"la ligne formée par une succession de points extrêmes du domaine de validité spatiale
des normes de l'ordre juridique de l'Etat"
pour reprendre l'expression utilisée par le tribunal arbitral dans l'affaire Guinée-Bissau/Sénégal, ce
qui est incompatible avec la notion de "borderland" qu'affectionne tant la Partie libyenne.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, il faudrait à tout le moins prouver que l'intention
commune des Parties, en utilisant le terme de "frontière", était de ne pas l'employer dans l'acceptation
juridique ordinaire, ce qui ne ressort à aucun endroit du dossier soumis à la Cour.
La convention de bon voisinage ensuite précise les droits et obligations que chaque Partie
appliquera "de part et d'autre de la frontière", formule très explicite que l'on trouve en ces articles 3,
10 et 15, la frontière étant définie dans la convention de bon voisinage par référence à l'article 3 du
traité.
L'article 13 de cette convention de bon voisinage prévoit que "les nomades titulaires d'une
carte de circulation pour le trafic caravanier pourront traverser librement la frontière", encore
faut-il qu'il y en ait une.
L'article 21, Monsieur le Président, prévoit la réunion des commissions d'arbitrage
alternativement en zone frontalière française ou tunisienne et en zone frontalière libyenne. Il y a
donc bien là deux zones frontalières distinctes de part et d'autre de la ligne frontière et non pas une
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zone frontalière commune, un "borderland" indéfini.
Les articles 9, 10 et 11 citent l'Algérie, l'AOF, l'AEF d'une part, les régions libyennes d'autre
part. Et ajoutent sont considérées comme territoire français les régions "du Tibesti, du Borkou et de
l'Ennedi".
Sont en revanche considérées comme territoire libyen "les régions de Koufra" et "de Mourzouk".
Cette répartition explicite est incompatible avec les conclusions de la Partie libyenne.
La convention particulière, toujours annexée au traité, qui règle certaines facilités consenties
aux troupes françaises pendant la période transitoire, présuppose elle aussi une ligne frontière. En
particulier l'article 4 de la convention particulière est relatif aux itinéraires et l'article 3 sur la durée
de passage en territoire libyen.
L'article 2 de l'annexe 3 de la convention particulière nous intéresse plus spécialement. Cet
article déclare :
"La piste no
5 est l'itinéraire qui, venant de Ramada en Tunisie, passe par ... (un
certain nombre de points en territoire libyen) ... et pénètre en territoire du Tchad dans la
région du Muri Idie."
Vous voyez sur la carte la piste no
5 et la région du Muri Idie que je vais essayer de vous indiquer.
D'après la convention particulière, la région de Muri Idie se trouve en territoire tchadien. Or
cette région, vous le voyez, est bien située sur le tracé de la piste no
5, et elle se trouve dans le secteur
nord-ouest de la bande d'Aouzou, nettement au nord de la ligne du traité de Rome de 1935.
Dans l'esprit des Hautes Parties contractantes, au traité du 10 août 1955 j'en conclus que la bande
d'Aouzou se trouve donc bien en territoire tchadien. La Partie libyenne est évidemment embarrassée
par l'argument. On la comprend. Elle prétend qu'il peut y avoir confusion avec le col de Muri Idie,
que je vais maintenant vous indiquer, qui est situé très au nord de la ligne frontière, à une centaine de
kilomètres, en plein territoire libyen.
Il ne peut donc y avoir confusion. La France et le Tchad n'ayant pour leur part jamais
revendiqué de territoire ou de borderland au nord du tropique du Cancer. J'observe d'ailleurs que
l'existence d'appellations identiques à quelques dizaines ou quelques centaines de kilomètres n'a rien
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d'étonnant, surtout en pays de montagne, et vous ne m'empêcherez pas de prendre le plaisir de vous
projeter une petite carte de la région dont je suis originaire, la Savoie, où vous verrez, par exemple,
ici deux cols de la Madeleine, qui se trouvent à une centaine de kilomètres l'un de l'autre par la route,
à une cinquantaine de kilomètres à vol d'oiseau.
Si un texte disait qu'un itinéraire venant de la Maurienne pénétrait dans l'arrondissement de
Tarentaise par le col de la Madeleine, un enfant n'aurait pas plus de difficulté à identifier le bon col
de la Madeleine que dans le cas présent, la région de Muri idie. Compte tenu du contexte, il ne
saurait donc en l'espèce y avoir de confusion sur la région de Muri Idie.
Alors, pour se tirer de ce mauvais pas, nos contradicteurs sont obligés d'inventer une "zone de
défense" dont la France aurait la responsabilité et dont les limites ne coïncideraient pas avec les
frontières internationales de l'Afrique équatoriale française et de l'Afrique occidentale française.
Pour ce faire, ils prennent appui sur le libellé de l'article 1er de la convention de bon voisinage,
annexée au traité, qui évoque :
"Les frontières ... séparant le Royaume-Uni de Libye des territoires dont la
France assume la défense, tels que définis à l'article 5 dudit traité."
Mais, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, l'article 5 du traité du 10 août 1955
renvoie lui-même à l'article 3 du traité et donc à l'annexe I. Dispositions qui, nous l'avons vu,
définissent les frontières internationales sans les qualifier de civiles ou de militaires. Et puis surtout,
cette hypothèse d'une zone de défense empiétant sur le territoire libyen et confiée à la France
contredit un des buts principaux du traité du 10 août 1955 — certainement le but principal aux yeux
des négociateurs libyens — l'évacuation totale du territoire libyen de toute présence militaire
française.
Le traité du 10 août 1955 est d'abord un traité d'évacuation : c'est le premier ministre libyen de
l'époque, M. Ben Halim, qui l'affirme avec force et je dirais presque "à la cantonade". Le texte du
traité fixe un calendrier précis d'évacuation totale, un statut temporaire des troupes françaises
pendant la durée de l'évacuation, une réglementation minutieuse de l'utilisation éventuelle des
facilités militaires en territoire libyen.
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Et nos contradicteurs voudraient faire croire que ce même traité entérinerait implicitement
l'existence d'une "zone de défense" française s'étendant à des territoires sous souveraineté libyenne !
Invraisemblable ! Surprenant à tout le moins ! Comme pour l'hypothèse des deux segments de
frontières, Messieurs, il faudrait ici produire au moins un commencement de preuve. Or, même dans
les minutes libyennes relatives aux ultimes négociations du 19 juillet au 10 août 1955, on ne trouve
pas l'ombre d'une suggestion de ce type. Là encore, rien dans le dossier, Messieurs les Juges !
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, j'en arrive maintenant à la pratique
ultérieurement suivie par les Parties. La convention de Vienne, conformément à votre jurisprudence,
tient compte de cette pratique dès lors qu'elle établirait l'accord des parties sur l'interprétation du
traité. C'est à ce titre que je l'examinerai. Mes collègues pourront en tirer, dans la suite des
plaidoiries, d'autres enseignements.
Les parties ont conclu deux accords ultérieurs qui concernent directement l'interprétation et
l'application de notre traité, ceci en 1956 et en 1966. L'accord du 26 décembre 1956 précise la
délimitation opérée par le traité de 1955 dans la région d'Edjelé, à la frontière algérienne. Son
préambule fait référence à l'arrangement franco-italien du 12 septembre 1919, considéré comme en
vigueur.
A aucun endroit du texte n'est évoqué un autre secteur de la frontière entre les deux parties qui
pourrait faire l'objet d'une délimitation ultérieure pour en préciser le tracé. La France et la Libye
sont apparemment satisfaites du tracé frontalier séparant leurs souverainetés respectives. Elles ne
posent plus le problème jusqu'à l'indépendance du Tchad.
Le Tchad et la Libye ne posent pas davantage le problème après l'indépendance. Mieux, en
signant l'accord de bon voisinage et d'amitié du 2 mars 1966, les Parties à la présente instance
confirment la stabilité du règlement frontalier de 1955. L'accord de 1966 prend la relève de la
convention de bon voisinage de 1955. Il présuppose, comme la convention de 1955, une ligne
frontière dans l'application de ses dispositions, dont je vous fais grâce. Il ne fait plus référence aux
"territoires dont la France assume la défense"; c'était l'expression utilisée en 1955, mais il vise bien
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dans son article 1er
: "la frontière séparant le territoire du Royaume-Uni de Libye de celui de la
République du Tchad".
Enfin, l'article 2 de l accord de 1966 situe explicitement les points suivants :
— pour la Libye : Koufra, Gatroum, Mourzouk, Oubari et Ghât;
— pour le Tchad : Zouar, Largeau, Fadha.
Voilà qui met les choses au point en 1966.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
J'aborde maintenant la partie de ma plaidoirie consacrée aux moyens complémentaires
d'interprétation :
— travaux préparatoires,
— circonstances dans lesquelles le traité a été conclu.
Ceci pour confirmer les résultats de l'analyse précédente car je crois qu'il est difficile de
prétendre que l'interprétation proposée par la République du Tchad "conduit à un résultat qui est
manifestement absurde ou déraisonnable", pour reprendre les termes de la convention de Vienne, et
j'espère vous avoir convaincus que cette interprétation ne laisse pas "le sens du traité ambigu ou
obscur".
Monsieur le Président, de l'avis du Tchad, le recours aux travaux préparatoires présente un
intérêt limité dans cette instance. Les travaux préparatoires stricto sensu sont peu nombreux. C'est
normal. Une négociation bilatérale ne laisse pas les mêmes traces qu'une conférence multilatérale. Il
y a peu d'étapes intermédiaires avant la conclusion de l'accord final qui porte sur un ensemble
équilibré de droits et d'obligations, de prestations, de concessions. Jusqu'à la dernière minute,
chaque partie maintient ses positions, tantôt avec intransigeance, tantôt avec flexibilité et ceci afin
d'améliorer le résultat final à son avantage. Or, nous le verrons, et sur ce point nous sommes
d'accord avec la Partie libyenne, l'accord sur les frontières n'a été conclu que dans la phase ultime de
la négociation.
Ajoutons en l'espèce une pénurie marquée de documents du côté libyen. Du côté français,
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nous disposons d'une correspondance diplomatique nourrie, des minutes des entretiens entre le
premier ministre Ben Halim et le président mendès-France en janvier 1955, des rapports
parlementaires, des débats à l'Assemblée nationale, au Conseil de la République, à l'Assemblée de
l'Union française. Du côté libyen, nous savons qu'il y a eu des discours du trône, nous savons qu'il y
a eu des débats parlementaires. Nous imaginons qu'il y a eu correspondance diplomatique. La
Partie libyenne n'a rien trouvé, n'a rien produit. Sans doute pour de bonnes raisons, je veux bien le
croire, mais le fait est là.
Heureusement, nos collègues de la Partie libyenne ont retrouvé les minutes libyennes relatives
à la phase ultime des négociations, du 19 juillet au 10 août 1955. Malheureusement, ils n'en ont
produit que des extraits en annexe à leur mémoire. Et il a fallu toute l'insistance du Tchad, dans
notre réplique, puis par une démarche formelle de notre agent pour que la Partie libyenne consente à
déposer le document intégral comme production.
Sir Ian s'en défend en déclarant que ces minutes n'ont aucun intérêt. Vous me permettrez de
ne pas être d'accord avec lui. Ces minutes dont sir Ian constate qu'elles constituent "the complete
documents of the libyan records" (CR 93/15, p. 33) sont intéressantes pour préciser les positions des
Parties sur les frontières. Mais elles sont au moins aussi intéressantes, Monsieur le Président, par ce
qu'elles ne disent pas que par ce qu'elles disent, si elles sont "the complete documents of the libyan
records", au moins aussi intéressantes par leurs omissions que par leur contenu. Elles révèlent ainsi
que le mandat ultérieur de négociation, souhaité par le premier ministre Ben Halim est écarté par
l'ambassadeur Dejean et ne trouve pas place, nous le savons, dans le texte final. Elles infirment
l'hypothèse des deux segments de frontière qui n'est évoquée à aucun moment par la Partie libyenne.
Enfin, ces minutes sont en contradiction totale avec l'hypothèse d'une zone de défense confiée à la
France sur les confins libyens. Le vocabulaire même employé par les négociateurs libyens, attachés
à la libération du sol libyen ("libyan soil"), telle est l'expression utilisée par M. Ben Halim, exclut
cette hypothèse.
Si l'hypothèse de la zone de défense avait eu le moindre crédit, vous conviendrez, Monsieur le
CR 93/22
- 28 -
Président, Messieurs de la Cour, qu'elle aurait au moins transpiré dans les minutes libyennes. Or je
n'y trouve pas pour ma part l'ombre d'une allusion.
Nous considérons donc que c'est à vous, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, de juger
de l'intérêt de cette production libyenne. Je pense d'ailleurs, puisque sir Ian a dit que vous n'aviez
rien à cacher, que la Partie libyenne ne verra aucun inconvénient à inclure formellement le texte de
l'exhibit 73 puisqu'il s'agit de celui-là, comme annexe à ses écritures afin d'assurer une consultation
commode de cette pièce par les juges. D'ailleurs, je vous rassure tout de suite, il ne s'agit pas
d'alourdir un dossier déjà fort lourd puisqu'il s'agit d'un document assez bref, d'une douzaine de
pages.
Monsieur le Président, vous me permettrez une autre remarque à propos de l'utilisation par la
Partie libyenne des travaux préparatoires dans la présente affaire. C'est une fâcheuse tendance à
recourir aux travaux préparatoires d'une manière autonome, au lieu de les considérer comme un
moyen complémentaire d'interprétation, suivant en cela les prescriptions de la convention de Vienne
et les enseignements de votre jurisprudence. Et je m'explique : la Partie libyenne cherche en effet à
travers l'utilisation des travaux préparatoires à faire prévaloir l'intention supposée des parties sur le
texte même du traité. Le mémoire libyen en offre une bonne illustration en son paragraphe 5.470. Je
cite :
"The words of Article 3 that Libya and France 'reconnaissent ... que les
frontières ... sont celles qui résultent des actes internationaux en vigueur' on the date of
Libyan independance were a reflection of France's confidence in its 'thesis' that a
conventional boundary already existed in 1951. This 'thesis' had not been accepted at
the United Nations (...) Nor had this 'thesis' been accepted by Libya." (Mémoire de la
Libye, par. 5.470; souligné par la République du Tchad.)
En d'autres termes, et si je sais bien lire, le texte du traité consacre la thèse française, aujourd'hui
tchadienne — je note cet aveu en passant ! — mais ce même texte du traité doit être réputé non-écrit
puisqu'il ne consacre pas la "thesis" libyenne ! En l'espèce, nos confrères de la partie libyenne
cherchent ainsi à faire prévaloir l'intention d'une partie, telle qu'elle résulterait des travaux
préparatoires, sur la lettre claire du texte.
Cette démarche, Monsieur le Président, est en contradiction évidente avec la notion même de
CR 93/22
- 29 -
moyen complémentaire d'interprétation, telle qu'elle est posée par l'article 32 de la convention de
Vienne. Comme l'a fait remarquer la commission du droit international dans son commentaire, en
présentant ce projet à la conférence de Vienne, le texte du traité doit être présumé constituer
l'expression authentique de l'intention des parties. L'interprétation a pour objet d'élucider le sens du
texte et non pas d'étudier ab initio les intentions supposées des parties. Or, en l'espèce, il s'agit de
l'intention de l'étude de l'intention ab initio de l'intention supposée d'une partie à laquelle nos
contradicteurs nous convient.
Pour dire les choses autrement, et vous me permettrez ici, Monsieur le Président, de citer la
formule d'un éminent commentateur de la convention de Vienne, présent de l'autre côté de la barre :
"The distinction between the general rules of interpretation and the
supplementary means of interpretation is intended rather to ensure that supplementary
means do not constitue an alternative, autonomouos method of interpretation, divorced
from the general rule." (I. Sinclair, The Vienne Convention on the Law of Treaties,
2
e
éd., p. 116).
Je ne saurais mieux m'exprimer que sir Ian en l'espèce !
Sur le contenu des travaux préparatoires, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je ne
m'étendrai pas de crainte de lasser l'attention de la Cour. Nous avons examiné la plupart de ces
documents dans nos écritures respectives et je me permettrai d'y renvoyer à mesure. Je ferai
exception pour les minutes libyennes de l'exhibit 73, dont j'ai parlé à l'instant, produite après la
clôture de la procédure écrite, et pour les textes cités, de manière un peu contestable à mon avis, par
sir Ian Sinclair à l'appui de sa démonstration.
Quel enseignement peut-on tirer de ces travaux préparatoires ?
En janvier 1955, le président Mendès-France et le premier ministre Ben Halim conviennent,
s'agissant des frontières, de s'en tenir à un renvoi général aux conventions en vigueur. Mais dans les
semaines suivantes, une série d'événements attire l'attention des parties sur la frontière entre la Libye
et ce qui était alors l'AEF et aujourd'hui le Tchad. Du côté français, il s'agit de l'incident d'Aouzou
du 28 février 1955, que nous avons examiné longuement dans nos écritures et qui a donné lieu à des
échanges diplomatiques et à des entretiens franco-libyens, au niveau de l'ambassadeur et du premier
CR 93/22
- 30 -
ministre et tout ceci est constitutif, à notre avis, d'un acquiescement par les autorités libyennes à la
souveraineté française sur Aouzou. Par ailleurs, toujours du côté français, je note que le ministère
des affaires étrangères, se penchant sur le dossier, demande au Commissariat à l'Energie atomique
des informations sur la probabilité de gisements d'uranium dans la bande d'Aouzou et ce dernier lui
transmet le croquis suivant, où vous verrez où se trouvent les gisements éventuels d'uranium d'après
le Commissariat à l'Energie atomique français, c'est-à-dire en plein dans la zone d'Aouzou, la région
de Murie Idie et d'Aouzou.
Au demeurant, le ministre délégué à la présidence du conseil, Gaston Palewtski, attire à ce
moment-là l'attention de M. Antoine Pinay, ministre des affaires étrangères, sur ce volet de la
négociation.
Du côté libyen, les avertissements se multiplient aussi. Dès le 5 janvier, l'ambassadeur
britannique à Paris, qui épaule les Libyens, indique l'intention du diplomate libyen, M. Jerbi, de se
rendre à Rome pour consulter les archives italiennes sur le traité de 1935. C'est finalement le
ministre des finances, M. Aneizi lui-même, qui fait le voyage de Rome où les autorités italiennes lui
précisent le statut du traité Laval-Mussolini. Entre-temps, l'incident d'Aouzou, que je viens de
rappeler, a attiré l'attention personnelle du premier ministre Ben Halim sur le problème. Les
diplomates libyens étaient donc bien informés de la situation conventionnelle.
Les diplomates libyens connaissaient aussi les cartes, puisqu'un militaire libyen en produit une
avec le tracé du traité de Rome lors de la séance de négociation du 28 juillet 1955.
Enfin, on ne peut douter qu'au cours des nombreux contacts entre les autorités libyennes et le
Foreign Office, attestés par la correspondance diplomatique fournie par les deux Parties, les
excellents jurisconsultes de Sa Majesté aient attiré leur attention sur ces questions. Je ne vois donc
pas ce qui permet à nos contradicteurs de dire que les Libyens ignoraient tout des textes et des cartes
dans cette présente affaire. Ils en savaient en tout cas bien assez pour poser le problème. Ils n'ont
pas manqué de le faire.
Le premier ministre Ben Halim a donc signé le traité du 10 août 1955 en connaissance de
CR 93/22
- 31 -
cause. D'ailleurs, même s'il avait commis une erreur, la Libye ne serait pas en droit d'invoquer cette
erreur ou d'en tirer quelque conséquence que ce soit, puisque les circonstances étaient telles que l'Etat
libyen était averti de la possibilité d'une erreur, pour reprendre l'expression utilisée dans l'article 41
de la convention de Vienne.
Au demeurant, je note que les négociateurs ont eu de nombreuses occasions de revenir par la
suite sur la délimitation de la frontière méridionale, et qu'ils ne l'ont pas fait. Il n'y a pas eu méprise
dans cette affaire.
Quelle est la position française en juillet 1955, à l'ouverture de la négociation finale ?
Quoiqu'en pensent nos contradicteurs, c'est l'uti possidetis. Certes, les autorités françaises ont
songé, naguère, à des rectifications de frontière à leur bénéfice et certains milieux, en 1955,
notamment militaires, y songent encore. Mais les autorités responsables de la négociation y ont
renoncé car elles se sont avisées que, dans un contexte général défavorable à la France, j'y reviendrai
tout à l'heure, la rectification demandée risquait de se faire à son détriment en exhumant le
traité Laval-Mussolini et donc de se retourner contre les négociateurs français eux-mêmes. Car,
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, c'est la crainte de la ligne de 1935, seule alternative
évoquée dans les documents diplomatiques de l'époque (réplique de la Libye, pièces, vol. 3, n
o
6;
lettre du ministre de la France d'Outre-Mer au ministre des affaires étrangères du 10 février 1955,
p. 5; note sur la frontière méridionale de la Libye de février 1955, p. 2; lettre du ministre délégué à la
présidence du conseil au ministre des affaires étrangères, p. 21), qui motive la diplomatie française
en cette affaire. Aussi les instructions données à la délégation française en juillet 1955 ne sont pas
d'éviter une délimitation de la frontière du Tibesti, mais au contraire de l'obtenir sur la base des
traités de 1899, de 1902 et de 1919. Ce que les instructions interdisent, et il faut le préciser, c'est de
demander une revision de la ligne frontière qui pourrait, je viens de le dire, s'opérer au détriment de
la France, se retourner contre les intérêts français. Et ceci ressort clairement des documents cités par
sir Ian Sinclair lui-même. Vous me permettrez de les prendre dans l'ordre chronologique.
D'abord, la lettre du gouverneur général de l'AEF en date du 2 mai 1955. Le gouverneur
CR 93/22
- 32 -
général est un fonctionnaire d'autorité, connaissant bien le terrain, on l'a dit, mais n'ayant pas
compétence pour engager la France dans les relations internationales. C'est cette considération qui
nous a conduit à relativiser l'importance de cette correspondance et certainement pas, je rassure la
partie libyenne, une appréhension quelconque quant au contenu de la lettre. Jugez-en par
vous-mêmes, Messieurs de la Cour.
Pour sir Ian Sinclair, cette lettre confirme que :
"neither France nor Libya wished to discuss, far less agree upon, the course of the
hitherto undelimited boundary between Libya and Chad east of Toummo" (CR 93/15,
p. 39).
Or qu'est-ce que je lis dans la lettre du gouverneur général de la France d'Outre-Mer :
"j'estime en effet que les futurs accords franco-libyens ne devront laisser subsister
aucun doute sur le tracé de la frontière" (mémoire de la Libye, "Annexe : Archives
françaises", no
169.)
qu'est-ce que je lis plus loin :
"Laisser planer la moindre équivoque sur les limites de l'AEF et de la Libye,
serait donc fâcheux sur le plan politique comme pour la sécurité des confins."
(Mémoire de la Libye, "Annexe : Archives françaises", no
171.)
Et le gouverneur général conclut en disant qu'il convient de prendre "pour seules bases les
traités en vigueur à la date de la création de l'Etat Libyen" (mémoire de la Libye, "Annexe : Archives
françaises", no
171).
Le gouverneur général de l'AEF, fonctionnaire important dont le rôle est souligné par la Partie
libyenne, estime donc indispensable de confirmer sans équivoque le tracé de la frontière entre
Toummo et le Soudan anglo-égyptien. Et ceci sur la base des traités en vigueur.
Ensuite sir Ian fait état des projets emportés à Tripoli par l'ambassadeur Dejean dans la
négociation finale. Le texte de ce document d'archives montre qu'il s'agit clairement d'un document
de travail avec des hypothèses diverses, sir Ian en a évoquées certaines, et des annotations
manuscrites, sans doute de la main du négociateur. Vous trouverez le document avec les annotations
manuscrites dans la pièce 6 de la réplique libyenne.
Parmi les différentes variantes de ce document de travail, il en est une que sir Ian a omis de
CR 93/22
- 33 -
signaler, celle qui prévoit que
"la délimitation des frontières franco-libyennes est fixée par les documents figurant en
annexe à la présente lettre".
Le principe de l'annexe I y apparaît donc. Ce projet est très proche du texte définitivement
retenu.
Mais sir Ian préfère insister sur l'autre variante, celle qui prévoit une délimitation par
convention ultérieure à l'est de Toummo, variante qu'il a citée intégralement. Monsieur le Président,
il est dommage que sir Ian ait "nettoyé", si je puis dire, le texte des mentions manuscrites car, en
regard de ce projet d'article, j'observe un grand point d'interrogation manuscrit qui aurait mérité
d'être signalé, voire commenté.
Mais je n'attache pas plus d'importance que cela à ces documents qui, visiblement, étaient une
série d'esquisses préparées par les services.
En revanche, ce qui est important, ce sont les instructions données aux membres de la
délégation par le Gouvernement français.
Pour sir Ian :
"The French delegation to the second phase of the negociations were under
instructions not to enter into substantive discussions with the Libyan delegation about
the boundary east of Toummo." (CR 93/15, p. 33.)
Quelles instructions, je vous demande ?
Je lis sous la plume d'Antoine Pinay, ministre des affaires étrangères, à propos de la question
de la frontière du Tibesti, le 14 mai 1955, que le règlement de cette question :
"serait l'un des résultats les plus importants à attendre d'une heureuse issue des
prochaines négociations franco-libyennes" (réplique de la Libye, annexe 6.6.).
Je lis sous la plume de l'amiral Champion, en date du 12 juillet 1955, l'instruction suivante du
ministère de la défense nationale, pour le colonel de Sèze, membre de la délégation à Tripoli :
"Premièrement : aucune signature d'accord franco-libyen ne devra intervenir sans
être accompagnée d'un accord précis sur la délimitation de la frontière, c'est-à-dire sans
l'acceptation par les deux parties d'un texte précis." (Réplique de la Libye, annexe 6.6.)
Enfin, je lis dans la lettre du ministre des affaires étrangères lui-même, Antoine Pinay,
CR 93/22
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répondant le 23 juillet 1955 au ministre de la France d'Outre-Mer qui s'inquiète de connaître le
contenu des instructions de la délégation française lors des négociations de Tripoli, les précisions
suivantes :
"J'ai l'honneur de vous confirmer à cette occasion que les instructions données à
notre délégation lui prescrivent de baser son attitude, dans la discussion de la
délimitation des frontières franco-libyennes, sur les textes internationaux en vigueur au
moment où a été proclamée l'indépendance libyenne (24 décembre 1951), c'est-à-dire la
déclaration franco-britannique du 21 mars 1899, admise par l'Italie
le 1er novembre 1902 (échange de lettres Barrère-Pinetti) et interprétée par la
convention franco-britannique du 8 septembre 1919, ainsi que les accords
franco-italiens du 12 septembre 1919." (Réplique de la Libye, annexe 6.6.)
D'ailleurs — et quoi qu'en dise mon honorable contradicteur — les diplomates français
considèrent bien à l'issue de la négociation, que la frontière du Tibesti a été délimitée. C'est l'avis
exprimé par l'ambassadeur Dejean, qui conduit la délégation française, dès le 9 août 1955, à la veille
de la signature du traité :
"Le Gouvernement libyen ayant d'autre part renoncé à invoquer les
accords Laval-Mussolini, l'ensemble de cette frontière peut être considéré comme
délimité." (Réplique de la Libye, annexe 6.6.)
Ceci est confirmé dans les appréciations ultérieures citées, bien qu'incomplètement, par
sir Ian Sinclair. Ainsi, je lis dans la note du service du Levant du 15 juillet 1958 (citée par sir Ian,
CR 93/15, p. 53)
"De Toummo au Soudan
La frontière dans ce secteur résulte de divers documents diplomatiques repris
dans l'annexe I du traité de 1955. Elle est définie par deux lignes géométriques tracées
entre des points déterminés par leurs coordonnées astronomiques. Aucune difficulté ne
devrait donc se présenter dans cette région."
(Réplique de la Libye, annexe 6.9.)
Enfin, je reprends la note du 11 février 1960, toujours citée mais incomplètement par sir Ian
(CR 93/15, p. 53) :
"L'abornement de la frontière allant de Toummo au Soudan, définie en 1919 et
en 1955 par deux lignes droites, ne doit soulever aucun problème." (Réplique de la
Libye, annexe 6.9.)
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, comme vous le voyez, je ne lis vraiment pas ces
CR 93/22
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textes avec les mêmes lunettes que sir Ian !
J'observe au demeurant que la plupart des extraits qu'il cite concernent la frontière entre Ghat et
Toummo quand on les regarde de plus près, alors que mes extraits des mêmes documents ont trait à
la frontière entre Toummo et le Soudan et me paraissent donc plus pertinents pour notre affaire. La
Cour appréciera.
Je reviens brièvement à la négociation de Tripoli en juillet-août 1955. Les informations
données par les minutes libyennes de l'exhibit 73 recoupent suffisamment les dépêches du Quai
d'Orsay pour reconstituer le fil de la négociation. S'agissant des frontières, M. Dejean propose
le 20 juillet un échange de mémorandums avec cartes annexées, ainsi que la constitution d'une
commission mixte. Le premier ministre Ben Halim estime à ce stade que la question des frontières
n'a pas de rapport avec le traité. Mais il ajoute, selon l'exhibit 73 : "However, the matter will be
studied and we shall return to it in a near futur." Le 26 juillet, le procès-verbal libyen constate
l'existence d'une lettre interprétative sur les traités. Est-ce la liste de l'annexe I ? Sir Ian en doute.
La vérité, c'est que nous n'en savons rien. Mais nous savons qu'à cette date la partie libyenne a
accepté que le traité règle la question des frontières et institue une procédure de démarcation. Cela
ressort du procès-verbal libyen à la date du 26 juillet. Ce qui suppose que le problème de la
délimitation est considéré comme résolu. Le 28 juillet, M. Ben Halim, premier ministre, propose à
nouveau d'écarter la question des frontières. A la même date, les archives françaises nous
apprennent que les délégtions ont achoppé sur la question du Tibesti avec la carte déployée par les
experts militaires libyens.
Mais l'essentiel, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, le 28 juillet, c'est la déclaration
de M. Dejean en réponse à l'objection du premier ministre. D'après les minutes libyennes : "(He
insisted) that is wat not possible to conclude a Treaty without an agreement on the frontiers..."
En d'autres termes, et si je sais bien traduire en bon français, pas de frontière, pas de traité.
L'incertitude a donc persisté jusqu'au 28 juillet, mais le texte du 10 août offre la réponse
puisqu'il donne sans ambiguïté satisfaction à M. Dejean sur la question des frontières, probablement
CR 93/22
- 36 -
en échange de concessions sur le calendrier et conditions d'évacuation des troupes françaises.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Pour terminer, vous me permettrez quelques brèves observations sur les circonstances
entourant la conclusion du traité du 10 août 1955.
Je ne reviens pas sur les délibérations des quatre puissances et de l'Assemblée générale de l'ONU, le
vote de la résolution 392 (V), l'indépendance du Royaume-Uni de Libye. Mon collègue, M. Franck,
examinera ces questions dans la suite de nos plaidoiries.
Accédant au statut d'Etat souverain, le Royaume-Uni de Libye dispose souverainement de son
statut territorial. Il négocie ainsi successivement avec le Royaume-Uni, les Etats-Unis et la France
respectivement :
— un traité d'alliance avec le Royaume-Uni,
— un traité de cession de la base militaire de Wheelus Fields avec les Etats-Unis.
En revanche, avec la France, la Libye refuse tout accord militaire. Elle a, je l'ai dit, un
objectif principal qu'elle poursuit avec constance tout au long des années précédant la conclusion du
traité de 1955, nous l'avons montré dans notre mémoire, et ceci jusqu'à l'ultime phase de la
négociation : l'évacuation totale du territoire libyen, du sol libyen, par toutes les forces françaises qui
s'y trouvent.
Dans un contexte dominé par la décolonisation engagée, la France est isolée dans sa volonté de
maintenir quelques implantations militaires dans le Fezzan. Elle subit la pression vigoureuse des
Etats-Unis, qui provoque d'ailleurs des protestations jusqu'au sein du Gouvernement français; la
pression plus amicale et insidieuse du Royaume-Uni, comme l'a relevé sir Ian lui-même. De plus, le
Gouvernement français doit faire face à l'opposition véhémente des partisans de la présence française
en Afrique du nord, qui deviendront des partisans de l'Algérie française, et ceci aussi bien au
Parlement qu'au sein même de l'administration et du gouvernement. Roger Léonard est gouverneur
général de l'Algérie.
Si j'évoque cette toile de fond, c'est pour établir la réalité de l'équilibre dans la négociation.
CR 93/22
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Au demeurant, nos contradicteurs, qui avaient esquissé l'argument de la contrainte dans leurs
écrits, y ont sagement renoncé. Monsieur le Président, ce ne sont pas les 500 soldats français, ou à
peu près, dispersés dans l'immensité du Fezzan qui pouvaient exercer une contrainte quelconque sur
Tripoli !
Je souhaiterais maintenant, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, aborder ici un autre
sujet dont je ne sais pas s'il faut le ranger dans la catégorie des circonstances entourant la conclusion
du traité. Ce sont les dispositions pertinentes de la constitution du Royaume-Uni de Libye. Ce texte
fondamental de droit interne libyen date de 1951, soit quatre années avant la conclusion du traité
du 10 août 1955.
Votre jurisprudence hésite à prendre en considération des dispositions de droit interne pour
interpréter un acte international. Vous me dispenserez ici d'entrer dans un débat théorique qui ne me
paraît pas nécessaire pour traiter de la pertinence de l'article 4 de la constitution libyenne pour notre
affaire.
Sir Ian Sinclair fait grand cas de cette disposition. Il considère qu'elle éclaire d'une vive
lumière l'article 3 du traité. Sir Ian a bonne vue ! Je considère pour ma part que ce texte d'une
rédaction hésitante apporte peu de chose à notre connaissance de l'intention commune des parties.
Tout au plus donne-t-il une indication sur l'attitude du constituant libyen en 1951. Et encore,
jugez-en.
Je lis :
«Article 4. The boundaries of the Unidted Kingdom of Libya are :
on the North, the Mediterranean Sea;
on the East, the boundaries of the Kingdom of Egypt and of the Anglo-Egyptian Sudan;
on the South, the Anglo-Egyptian Sudan, French Equatorial Africa, French West Africa
and the Algerian Desert;
on the West, the boundaries of Tunisia and Algeria." (Mémoire de la Libye, vol V,
pièce 3.)
Je note que ce texte parle bien de frontières, de boundaries du Royaume-Uni de Libye avec
l'ensemble des territoires mentionnés. Il n'exclut donc pas l'existence d'une frontière (boundary) au
sud. Pourquoi ne répète-t-il pas le terme alors qu'il l'utilise pour les frontières occidentales et
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orientales ? Je n'en sais rien. Sir Ian non plus, à moins qu'il n'ait découvert de nouveaux documents
depuis la clôture de la procédure écrite.
J'ajoute que la description de ces territoires est de nature plus politique que juridique. Le
Soudan anglo-égyptien est cité deux fois : une fois à l'est, une fois au sud. L'Algérie est à l'ouest
mais le "désert algérien" — notion géographique plus que juridique — est au sud. Ces
approximations cadrent mal avec une volonté juridique précise de faire un sort différent aux
frontières libyennes suivant les points cardinaux.
Mais surtout, et à supposer que les constituants libyens aient ainsi marqué leur hésitation
en 1951 sur leur frontière méridionale, ce qui me parût déjà solliciter le texte, l'article 4, Monsieru le
Président, n'avait sûrement pas pour objet et pour effet d'interdire aux autorités libyennes de conclure
un accord frontalier dans ce secteur. Au contraire, si l'on suit l'analyse de sir Ian, l'article 4 était
plutôt une invitation faite aux autorités libyennes de mettre les choses au clair. Mais, rassurez-vous,
je n'irai pas si loin.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, je me contenterai de constater qu'on ne peut pas
tirer d'argument convaincant de la constitution du Royaume-Uni de Libye pour notre affaire.
Vous me permettrez, Monsieur le Président, à ce stade, d'examiner un quasi-vice de
consentement que continuent d'évoquer nos adversaires : le dol. Les conseils libyens, depuis le début
de cette affaire, mettent systématiquement en cause la bonne foi des négociateurs français :
— le contre-mémoire libyen évoque en français dans le texte un "luxe de fourberies" (p. 17),
— M. Bowette nous a dit la semaine dernière que "the tactic was to trick the Libyans"(CR 93/14,
p. 29).
La Partie libyenne cherche ainsi à créer une ambiance défavorable, sans aller jusqu'à invoquer
le vice du consentement, mais en espérant bénéficier marginalement de la suspicion jetée sur les
négociateurs français, notamment par l'instrument de l'interprétation contra proferentem. Ces
insinuations sont avancées sans aucun élément de preuve. Elles sont graves. Elles n'ont pas de place
dans un prétoire comme celui-ci. Comme l'a dit votre Cour dans l'affaire des Pêcheries islandaises :
"Un tribunal ne peut pas prendre en considération une accusation aussi grave sur
CR 93/22
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la base d'une allégation générale et vague et qu'aucune preuve ne vient étayer."
Que les négociateurs français aient commis des erreurs d'appréciation, qu'ils aient parfois fait
preuve de maladresse, c'est possible. Mais la présomption de bonne foi dans la conduite des parties
est une règle fondamentale des relations internationales. Il n'y a pas de raison de l'écarter dans la
présente affaire.
Le seul élément douteux que je trouve dans les écrits libyens est ce curieux rapport
d'espionnage concernant l'ambassade de Libye à Paris lors du séjour du premier ministre Ben Halim
en 1954-1955. Singulier document, Monsieur le Président, dont la provenance est incertaine. Nous
savons seulement qu'il aurait été "made available" à la Partie libyenne en mai 1992; ceci, j'imagine,
dans le cadre des relations de courtoisie qu'entretiennent les services de contre-espionnage.
Le Tchad n'a pas bénéficié d'un tel service de courtoisie. Au demeurant, il n'aurait su que
faire d'un tel document qui, à supposer que la Partie libyenne en établisse l'origine et l'authenticité, ne
révèle qu'un excès de zèle bien inutile de la part de certains services ! Et certainement sans
conséquence sur l'expression de la volonté des Parties.
La Libye n'a donc aucun motif pour invoquer le bénéfice de l'interprétation
contra proferentem. La jurisprudence internationale n'admet, vous le savez, cette méthode
d'interprétation qu'en raison de l'origine unilatérale de la clause à interpréter. Les arrêts cités dans
les écritures libyennes à l'appui de leur demande concernent :
— soit les traités de paix,
— soit un prospectus rédigé par une seule partie, dans le cas des emprunts serbes.
En d'autres termes, la règle contra proferentem ne trouve d'application que dans le cas du
"contrat d'adhésion" — pour reprendre l'expression du tribunal arbitral dans l'affaire Aramco.
Nous ne sommes pas dans un tel cas de figure. Le traité du 10 août 1955 a été longuement, et
parfois âprement, négocié entre les deux parties. Ceci vaut pour l'article 3 et l'annexe I, comme pour
le reste du traité. Nos contradicteurs en sont du reste tellement conscients qu'ils sont obligés de
distinguer, dans l'annexe I, entre la première partie du texte, qui aurait été dictée de manière
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unilatérale par la France, et la seconde partie du texte, concernant le tracé entre Ghat et Toummo qui
aurait fait l'objet d'une "négociation substantielle".
Voilà qui est bien alambiqué !
Mais surtout, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, voilà qui n'est pas très convenable.
La Libye renonce à évoquer les vices de consentement — erreur, dol, contrainte — parce qu'elle est
bien incapable d'en établir la réalité.
Mais elle ne renonce pas pour autant à la stratégie du soupçon, espérant ainsi récupérer à la
marge l'avantage qu'elle n'a pu marquer directement.
Messieurs, "il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée". Ce n'est pas seulement le titre d'une
comédie d'Alfred de Musset, c'est aussi une règle de droit international en matière de vices de
consentement.
Il me reste un dernier point à évoquer : l'enregistrement tardif du traité. Sir Ian Sinclair a
cherché à y voir un doute de la France quant aux effets juridiques du traité. S'il s'était agi, dit-il,
d'un traité fixant les frontières, la France aurait fait diligence pour son enregistrement comme elle l'a
fait pour l'accord de 1956. Dans cette affaire, l'indolence française montre donc bien qu'il ne s'agit
pas d'un traité frontière, quod erat demonstrandum.
Puis-je suggérer une explication beaucoup plus simple et qui ressort des documents produits
par la Partie libyenne dans sa réplique. En 1961, la direction d'Afrique Levant du ministère français
des affaires étrangères s'inquiète du non-enregistrement du traité du 10 août 1955 et demande des
explications au service compétent. Enquête faite, la procédure d'enregistrement a bien été engagée
auprès du service du Secrétariat des Nations Unies. Mais elle a été interrompue, la France n'ayant
pas pu répondre au questionnaire du Secrétariat de l'ONU sur l'existence de réserves au traité. Et le
service précise par lettre du 27 août 1962
"L'établissement de cette attestation ne poserait aucun problème si les
négociateurs, MM. Dejean et Ben Halim n'avaient procédé le 10 août 1955 à un double
échange de lettres secrètes qui n'ont naturellement pas été communiquées au
Secrétariat général de l'ONU."
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En fait, ces lettres secrètes concernaient, semble-t-il, d'une part le calendrier d'évacuation des
troupes françaises et d'autre part le montant de la contribution financière annuelle de la France à la
Libye. Une correspondance diplomatique avec la Libye s'ensuit jusqu'en 1963 puis l'affaire s'arrête
là. Entre-temps et notamment du fait de l'indépendance successive du Tchad, du Niger et de
l'Algérie, la France a perdu tout intérêt juridique dans l'affaire et le ministère est sans doute réticent à
avouer l'existence de lettres secrètes, question délicate note le service juridique dans le dossier. Il
faut attendre la présente affaire et la démarche de la République du Tchad pour réveiller la Belle au
Bois Dormant c'est-à-dire l'article 102 de la Charte.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour,
Pour conclure sur les problèmes que pose l'interprétation du traité du 10 août 1955,
permettez-moi une brève considération sur les méthodes d'interprétation. Pour aller à l'essentiel, et
pour la clarté de l'exposé, j'ai adopté une ligne de démonstration analytique et un peu scolaire.
Je n'ignore pas, Monsieur le Président, que votre jurisprudence, plus nuancée, procède plutôt
par synthèse, hésite devant les hiérarchies un peu artificielles quant aux méthodes d'interprétation et
privilégie une analyse globale que j'oserai appeler structurelle, considérant l'ensemble du matériau à
interpréter comme une structure logique dont chaque élément trouve sa signification rapportée à
l'ensemble de la structure.
Ce faisant, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, vous rejoignez les principes de la
linguistique, telle que Ferdinand de Saussure en a posé les fondements. Ou, pour dire les choses
autrement, et dans une autre tradition, vous suivez ce que sir Gerald Fitzmaurice appelait naguère le
principe d'intégration1
, en lui donnant d'ailleurs une portée peut-être plus vaste que sir Gerald ne lui
accordait. Or, il me semble que la caractéristique de la thèse tchadienne est de répondre aux
exigences du principe d'intégration.
Le texte de l'article 3, les annexes, les autres articles, le préambule, les conventions
particulières, sont éclairés par l'objet et le but du traité, confirmés par les travaux préparatoires et
1
Sir F. Fitzmaurice, BYBIL 33, 1957, p. 211.
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par les circonstances entourant la conclusion du traité. En revanche, nos contradicteurs ont le plus
grand mal à satisfaire au principe d'intégration. Ils sont obligés de donner un sens particulier à
chaque disposition du texte ou du contexte qui les embarrasse, ils sont obligés d'inventer des
hypothèses ingénieuses, insolites pour expliquer le sens de tel mot, de tel article, le mystérieux
mandat de négociation, l'artificielle division de la frontière en deux segments, ou encore cette
curieuse zone de défense dont les limites incertaines ne coïncideraient pas avec celle de la
souveraineté libyenne.
En d'autres termes, la Partie libyenne, semble-t-il, s'ingénie par des tentatives d'interprétation
partielle de tel mot ou de telle expression, de priver le traité du 10 août 1955 de son effet utile dans
certaines de ses clauses essentielles. Or, votre Cour l'a rappelé à propos de la composition du comité
de sécurité maritime de l'OMCI l'Organisation intergouvernementale consultative de la navigation
maritime :
"C'est une règle d'interprétation reconnue que les clauses d'un traité doivent non
seulement être envisagées dans leur ensemble, mais encore s'interpréter de façon à
éviter, autant que possible, de priver aucune d'elles de son effet utile au bénéfice des
autres." (Composition du Comité de la sécurité maritime de l'Organisation
intergouvernementale consultative de la navigation maritime, C.I.J. Recueil 1960,
op. dis., p. 187.)
Pour notre part, nous n'avons pas eu besoin de formuler de telles hypothèses insolites. Il nous
a suffi de mettre en oeuvre logiquement les éléments du texte en relation les uns avec les autres pour
que la structure du traité s'éclaire de sa propre logique. Nous aurions, du reste, hésité à avancer des
suppositions sans fondement dans le texte, en nous rappelant le caveat adressé par la Chambre de
votre Cour dans une affaire récente :
"aucune des considérations mises en avant par le Honduras ne peut prévaloir sur
l'absence, dans le texte, de toute mention spécifique" (Différend frontalier terrestre,
insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), C.I.J. Recueil 1992, p. 586, par. 380).
La République du Tchad prie donc respectueusement la Cour d'appliquer le traité
du 10 août 1955 pour lui adjuger ses conclusions. Point n'est besoin d'aller plus loin, sous réserve
des explications complémentaires que vous apporterons dans un instant MM. Frank et Pellet. Nous
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sommes en effet convaincus que le titre territorial reconnu au bénéfice du Tchad par le traité
du 10 août 1955 se suffit à lui-même. Mais par déférence pour la Cour et par courtoisie pour nos
honorables contradicteurs, nous développerons les deux théories subsidiaires du Tchad dans les jours
à venir.
Je vous remercie, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, pour l'attention que vous avez
apportée à cette trop longue plaidoirie, et vous prie Monsieur le Président, d'appeler à la barre
M. Thomas Franck.
The PRESIDENT: Thank you very much Professor Cot. We will take our break now and then
Professor Franck will take the floor. Thank you.
L'audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 40.
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The PRESIDENT: Please be seated. Professor Franck.
Mr. Franck:
The opposability of the line to Libya on the basis of the 1955 Treaty
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M. PELLET : Merci beaucoup, Monsieur le Président.
Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
1. Comme l'a rappelé tout à l'heure M. Jean-Pierre Cot, le traité du 10 août 1955 définit la
frontière entre les deux pays. Il ne la définit pas de novo, de façon arbitraire, il ne la définit pas non
plus en fonction de l'équilibre des forces sur le terrain puisque, bien au contraire, il s'agit de bouter
les Français hors de Libye alors que les troupes françaises occupent encore le Fezzan. Le traité
de 1955 définit la frontière par référence à des "actes internationaux en vigueur" que l'annexe I au
traité énumère.
Il s'agit, en quelque sorte, d'un "traité de confirmation de frontière"; cette frontière est
identique au tracé antérieur, tel que l'ont arrêté les accords préexistants.
Et c'est, Monsieur le Président, ce tracé que je vais maintenant m'attacher à décrire sur la base
des actes énumérés à l'annexe I, sans chercher, pour l'instant, à démontrer l'opposabilité de ces
instruments en tant que tels à la Libye. Je reviendrai assez longuement demain sur ce point mais, et
je me permets d'insister, Monsieur le Président, ce problème de l'opposabilité n'a strictement aucune
importance dans le cadre de notre première et principale thèse, celle à laquelle je m'en tiens pour
l'instant et qui repose sur le traité franco-libyen de 1955. Ce traité fixe la frontière par référence à
des actes internationaux qu'il définit comme étant en vigueur à cette fin; il aurait pu le faire aussi
bien en reprenant le texte même des passages pertinents de ces accords qui, considérés ensemble,
montrent clairement à quel endroit se trouve la frontière.
2. L'annexe I au traité de 1955 énumère six accords conclus par la France entre 1899 et 1919.
Certains de ces accords ne sont pas pertinents dans le cadre de l'affaire dont la Cour est saisie.
Ceci n'a rien de surprenant. Il convient, en effet, de ne pas oublier qu'il ne s'agissait pas seulement
de définir la frontière entre le Tchad, qui était inclus dans l'Afrique équatoriale française et la Libye,
mais aussi entre la frontière entre la Libye et les autres possessions françaises qu'étaient alors le
Niger — qui faisait partie de l'Afrique occidentale française — l'Algérie et la Tunisie. Ainsi, la
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convention conclue le 12 mai 1910 entre la République française et la Sublime Porte ne
concerne-t-elle que la frontière entre la Régence de Tunis et le vilayet de Tripoli. Quant à la
convention franco-britannique du 14 juin 1898, elle ne présente de pertinence que comme fondement
de la déclaration de 1899 qui lui est additionnelle; et puis l'arrangement franco-italien de 1919 n'a,
nous le verrons, qu'une incidence tout à fait indirecte en ce qui concerne notre tracé entre la Libye et
le Tchad.
Restent donc trois instruments :
premièrement, la déclaration additionnelle de 1899,
deuxièmement, les accords franco-italiens du 1er novembre 1902,
troisièmement, la convention franco-britannique du 8 septembre 1919,
Les dispositions essentielles de ces textes se trouvent dans le dossier de plaidoirie qui a été
remis au Greffe ce matin et je pense, distribué aux juges et à la Partie libyenne.
3. Dans ses écritures, la Libye insiste plus et plus sur le caractère non exhaustif de cette liste
et, au paragraphe 4.09 de son contre-mémoire, la Libye va jusqu'à énumérer onze accords pertinents
et non cités dans l'annexe I. Cette liste libyenne est passablement disparate puisqu'on y trouve, par
exemple, la déclaration franco-britannique de 1890 qui n'a tout de même qu'une incidence fort
indirecte pour notre affaire ou le traité Laval-Mussolini qui n'est pas entré en vigueur... Mais le
Tchad ne conteste pas du tout que certains de ces instruments présentent une indiscutable pertinence,
y compris d'ailleurs le traité de 1935.
Alors, dans ces conditions, objecte la Partie libyenne, si ces textes sont pertinents, pourquoi ne
pas les avoir mentionnés dans la liste de l'annexe I ? M. Cot l'a expliqué et ceci est, à vrai dire, très
évident : tout simplement parce que c'était parfaitement inutile. Les six actes internationaux cités
dans l'annexe I sont à la fois nécessaires et suffisants pour déterminer le tracé de la frontière libyenne
depuis Ras Adjir sur le golfe de Gabès jusqu'au point triple entre le Tchad, la Libye et le Soudan; et
les trois instruments que je viens de mentionner étaient et demeurent eux aussi nécessaires et
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suffisants pour définir la ligne frontalière qui nous intéresse. Les autres accords qu'énumère la Libye
avec une étrange délectation (contre-mémoire, p. 112, par. 4.09) n'ont de pertinence dans notre
affaire que pour d'autres propos.
Certains d'entre eux constituent une confirmation du tracé résultant des trois actes
internationaux qui nous intéressent aujourd'hui à titre principal. Ainsi, la déclaration et le protocole
franco-britannique de 1924 ne sont utiles pour nous que parce qu'ils apportent une confirmation en
ce qui concerne le point oriental extrême de la frontière tchado-libyenne à l'endroit où celle-ci
rencontre la frontière du Soudan. De même, le traité Laval-Mussolini, bien qu'il ne fût jamais entré
en vigueur ou, plutôt, parce qu'il n'est jamais entré en vigueur, confirme a contrario le tracé actuel.
D'autres accords "pertinents" ne figurent pas dans la liste de l'annexe I pour une raison qui est
encore plus simple : ils ne concernent tout bonnement pas le tracé de la frontière. Leur "pertinence",
qu'encore une fois le Tchad ne conteste pas, leur pertinence tient à de toutes autres raisons : pour la
plupart d'entre eux ils sont utiles pour établir l'opposabilité de la ligne frontière à la Libye
indépendamment du traité de 1955. C'est le cas, par exemple, de l'échange de lettres franco-italien
des 14-16 décembre 1900 qui, à ce point de vue, c'est-à-dire en ce qui concerne l'opposabilité dont je
ne parle pas pour l'instant, forme un tout avec l'accord de 1902.
Mais, Monsieur le Président, comme je viens de le dire, ceci ne concerne que l'opposabilité de
la ligne indépendamment du traité de 1955, c'est-à-dire en réalité que ces accords sont utiles pour la
"deuxième thèse" tchadienne. Si, comme le Tchad en a la très ferme conviction, vous vous fondez
sur la base du seul traité de 1955 et lui adjugez ses conclusions sur ce fondement, ces accords, qui ne
sont pas mentionnés à l'annexe I, ne présentent aucune importance sinon, pour certains d'entre eux, à
titre purement confirmatif. Or, je le répète encore, je me place exclusivement, pour l'instant, dans le
cadre de cette première thèse qui n'invoque que le traité de 1955. Nous intéressent donc, au premier
chef, les trois "actes internationaux en vigueur" que j'ai énumérés : les deux accords
franco-britanniques de 1899 et de 1919 et l'accord franco-italien de 1902.
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4. Monsieur le Président, nos contradicteurs aiment l'histoire; ils sont, en tout cas, grands
amateurs de romans historiques. Mais la géographie est, ici, plus importante que la chronologie :
peu importe que les accords auxquels se réfère l'annexe I du traité franco-libyen aient été conclus les
uns et les autres à des époques différentes; la seule chose importante est qu'ils permettent, ensemble,
"mis bout à bout" comme l'a dit Jean-Pierre Cot, de déterminer le tracé de la frontière et, comme
nous allons le voir, tel est bien le cas.
Au bénéfice de ces remarques préliminaires, il est non seulement possible, mais je dirais qu'il
est facile, de déterminer le tracé de la frontière définie par le traité franco-libyen de 1955. Pour
décrire ce tracé, je ne suivrai bien sûr pas l'ordre chronologique des actes internationaux énumérés à
l'article I, mais je suivrai l'"ordre géographique" d'ouest en est, simplement parce que cet ordre est
plus commode car les accords franco-britanniques de 1899 et 1919 eux aussi vont d'ouest en est.
5. Monsieur le Président, pour décrire la frontière tchado-libyenne, il est nécessaire de partir
d'un point qui se trouve situé à l'ouest de cette frontière entre le Tchad et la Libye, qui se trouve sur
la frontière entre la Libye et non pas le Tchad, mais entre la Libye et le Niger.
Avec votre autorisation, Monsieur le Président, j'aimerais d'ailleurs ouvrir une brève
parenthèse sur ce point. Je viens de prononcer le mot "Niger". Sauf erreur de ma part, les avocats
de la Libye ne l'ont, eux, prononcé que deux fois en vingt heures de plaidoirie. Encore fut-ce comme
par inadvertance, lorsque sir Ian Sinclair, lors de l'audience du 15 juin, a cité certaines dépêches
françaises de 1960 et 1961. Je comprends, bien sûr, cette réticence des conseils de la Libye : ils ne
tiennent pas trop à mettre en évidence le fait que, si la Partie libyenne devait avoir gain de cause, le
Niger se trouverait, lui aussi, amputé d'une partie de son territoire. C'est la partie en hachuré que
vous voyez sur la carte à l'ouest du territoire actuel du Tchad.
En effet, comme le montre ce croquis, il résulterait des thèses libyennes une
territorii diminutio d'à peu près 59 000 kilomètres carrés, je dirais même d'au
moins 59 000 kilomètres carrés — car nous avons calculé au minimum — représentée par une bande
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de territoire large d'environ 80 kilomètres, et allant, depuis le nord du triangle de Toummo,
jusqu'au 15e
degré de latitude nord, sans d'ailleurs que l'on sache très bien comment la frontière serait
définie entre Toummo et le 15e
parallèle. C'est cette question que nous avons figurée par les points
d'interrogation le long de cette très hypothétique frontière future entre la grande Libye et le Niger.
6. En effet, le point triple entre le Tchad, le Niger et la Libye se trouve, pour l'instant, situé
sur une ligne allant de Toummo à l'intersection du tropique du Cancer avec le 16e
méridien est.
Toummo ne constitue donc pas l'extrémité occidentale de la frontière tchado-libyenne;
Toummo est un point de départ nécessaire pour décrire le tracé de cette frontière. Je crois que les
Parties sont en principe d'accord à cet égard.
Ceci découle en premier lieu du troisième alinéa de l'annexe I au traité de 1955 lui-même et est
confirmé par les indications données par deux des "actes internationaux" auxquels renvoie par
ailleurs l'annexe I : d'une part, l'accord Bonin-Pichon du 12 septembre 1919 et d'autre part, l'échange
de lettres Prinetti-Barrère daté du 1er novembre 1902.
7. Toummo figure en effet également sur ce que, pour éviter toute polémique inutile,
j'appellerai pour l'instant "la carte de 1899" dont vous pouvez voir la projection. Cette carte figure,
en pointillés noirs, à côté de la légende, la frontière de la Tripolitaine. Vous avez, Messieurs les
juges, un agrandissement de cette partie pertinente de la carte dans votre dossier : c'est le
document n
o
2 B.
Le traité de 1955 ne renvoie pas expressis verbis à cette carte; en revanche, il renvoie aux
accords franco-italiens du 1er novembre 1902, c'est-à-dire à l'échange de lettres entre Prinetti et
Barrère portant la date du 1er novembre 1902, mais qui, comme on le sait, en réalité a été signé
le 10 juillet 1902. Cet échange de lettres, à son tour, vise expressément "la frontière de la
Tripolitaine indiquée par la carte annexée à la déclaration du 21 mars 1899, additionnelle à la
convention franco-anglaise du 14 juin 1898".
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Nous savons tous, Monsieur le Président, que la Partie libyenne voudrait gommer cette
référence expresse à la carte de 1899 qui donne à la frontière "a more formal status"que celui qu'elle
tirait du seul Livre jaune et cette expression "a more formal status", est tirée du mémoire de la Libye
(p. 207, par. 5.95). Nous savons aussi que la Libye fait grand cas du fait que la légende figurant sur
la carte n'identifie pas expressément cette ligne comme étant la frontière de la Tripolitaine; et peu
importe en ce qui nous concerne pour le moment : le caractère frontalier de la ligne est attesté par le
double renvoi : d'une part, à l'échange de lettres par le traité de 1955; et d'autre part, à la carte, par
l'accord de 1902, qui décrit la ligne qui gêne tant la Libye comme étant "la frontière de la
Tripolitaine".
Par ce double renvoi, la carte de 1899 s'est trouvée doublement intégrée "parmi les éléments
qui constituent l'expression de la volonté (...) des Etats concernés" (Différend frontalier,
C.I.J. Recueil 1986, p. 582, par. 54) ces Etats concernés, ce sont la France et l'Italie d'une part, la
France et la Libye d'autre part.
La question de l'opposabilité de la carte, en tant que telle, à la Libye est un problème différent
sur lequel je reviendrai demain mais, pour ce qui est du tracé résultant du traité de 1955, il suffit de
constater que la carte de 1899 établit, sans aucun doute possible, la partie occidentale de la frontière
jusqu'au tropique du Cancer : il s'agit d'une ligne droit qui part de Toummo pour aboutir à
l'intersection du tropique du Cancer avec le 16e
degré de longitude est.
8. Toutefois, Monsieur le Président, ce segment de ligne ne constitue que pour partie la
frontière entre le Tchad et la Libye; dans sa partie occidentale, ce même segment sépare la Libye non
pas du Tchad, mais du Niger.
Le problème ne se posait pas avant 1930 : en effet, conformément à des arrêtés
du 5 octobre 1910 et du 31 juillet 1912, le Tibesti relevait du Niger, et non pas du Tchad et, dès lors,
tout le secteur aurait été nigéro-libyen. Toutefois, par un arrêté du gouverneur général de l'AEF pris
le 18 février 1930 après "entente directe des Gouvernements du Tchad et du Niger", les "territoires
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du nord-ouest du Tibesti" — c'est-à-dire en fait la région de Bardaï — ces territoires furent rattachés
au Tchad et, plus précisément, à la circonscription du Bordou-Ennedi, formant ainsi le BET. Au
nord, la limite du territoire fixée par cet arrêté est constituée par "la frontière italienne de la Libye"
— c'est-à-dire par la ligne Toummo-tropique du Cancer, à partir du "15e
méridien est de Greenwich"
(mémoire du Tchad, annexe 116).
Ainsi, et pour conclure sur ce point, un peu aride je dois dire, en vertu du traité de 1955 et des
actes internationaux auxquels ce traité renvoie, le secteur occidental de la frontière tchado-libyenne
est constitué par une ligne qui relie Toummo au tropique du Cancer; le point de départ de la frontière
est situé sur cette ligne au 15e
degré est de Greenwich — c'est le tripoint entre le Tchad, le Niger et
la Libye; son point d'arrivée se trouve sur le tropique au 16e
degré de longitude est.
9. En ce qui concerne cette intersection entre le tropique du Cancer et le 16e
méridien, le
passage de la frontière à ce point est attesté par deux des instruments auxquels renvoie l'annexe I au
traité de 1955 : l'échange de lettres franco-italien de 1902 par le biais de la carte à laquelle cet
échange de lettres se réfère, mais aussi la déclaration additionnelle du 21 mars 1899 qui indique
expressément qu'"au nord-est et à l'est", "la zone française sera limitée par une ligne qui partira du
point de rencontre du tropique du Cancer avec le 16e
degré de longitude est de Greenwich..."
Voici, Monsieur le Président, un point fermement établi. La coïncidence entre cette
description textuelle de 1899 de la frontière et le tracé cartographique qui figure sur la carte de 1899
et qui a été endossé par l'Italie en 1902, cette coïncidence ne laisse place à aucun doute. S'il devait
en subsister un, il serait dissipé par le fait que toutes les cartes, absolument toutes, je parle des vraies
cartes, pas de celles spécialement préparées dans le cadre de notre affaire, toutes les cartes
préexistantes présentées par l'une ou l'autre Partie font toujours partir la ligne frontière de cette
intersection entre le tropique du Cancer et le 16e
méridien — sauf bien sûr, celles qui se fondent sur
le traité Laval-Mussolini. Car, dans ce cas, logiquement, le point en question se trouve à l'intérieur
du territoire libyen.
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10. Monsieur le Président, puisqu'il s'agit de déterminer le tracé de la frontière en vertu du
traité de 1955, je suis, je crois, fondé à ne pas utiliser davantage la déclaration franco-britannique
de 1899 : le texte de cette déclaration a été précisé, sans aucune ambiguïté, par la convention
franco-britannique du 8 septembre 1919 qui constitue l'interprétation authentique de celle de 1899.
Cette interprétation a été faite par les Parties elles-mêmes, non pas implicitement, mais de la manière
la plus explicite qui se puisse concevoir : "Il est entendu que la présente convention ne modifiera en
rien l'interprétation donnée à la déclaration du 21 mars 1899..." Le texte de 1919 fait foi et c'est ce
texte-ci qui permet de décrire le tracé de la frontière à l'est du 16e
méridien en vertu de l'annexe I au
traité de 1955 : à partir du tropique du Cancer, la ligne prend "une direction sud-est
jusqu'au 24e
degré de longitude de Greenwich au point d'intersection dudit degré de longitude avec le
parallèle de 19o
30' de latitude".
Je sais bien, Monsieur le Président, que la Partie libyenne fait grand cas de la différence de
tracés qui existerait entre celui qui a été fixé "en principe" par la déclaration de 1899, celui qui a été
reporté sur la carte du Livre jaune et celui résultant de l'interprétation authentique de 1919. Je ne
vais pas esquiver le débat. J'y reviendrai demain. Mais ce débat n'a aucune espèce de pertinence en
ce qui concerne le tracé résultant du traité de 1955 : l'annexe I renvoie à la fois à la déclaration
de 1899 et à la convention de 1919, l'une et l'autre conclues entre les mêmes parties. Quand bien
même ces parties auraient modifié leur accord antérieur en ce qui concerne le point d'arrivée de la
ligne, quod non, ce qu'elles n'ont pas fait, mais quand bien même elles l'auraient fait, c'est
évidemment le tracé postérieur qui serait applicable; à la fois parce qu'il est ultérieur —
lex posterior priori derogat — et parce qu'il est plus précis — specialia generalibus derogant. Je
n'insiste pas puisqu'aussi bien la Partie libyenne a, la semaine dernière, indiqué expressément, par la
plaidoirie de M. Cahier, qu'elle n'avait "rien contre cette affirmation" (CR 93/17, p. 18).
Monsieur le Président, si vous acceptiez de me donner encore quatre minutes je pourrais
terminer complètement cette plaidoirie. Merci beaucoup.
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11. L'emplacement du point terminal de la frontière entre le Tchad et la Libye, tel qu'il résulte
en tout cas de la convention de 1919, cet emplacement forme le point triple entre ces deux pays et le
Soudan.
Ceci résulte du protocole franco-britannique du 10 janvier 1924 délimitant la frontière du Soudan
anglo-égyptien et de l'AEF. Aux termes de l'alinéa k) de la section VIII de ce protocole : "A
l'intersection du parallèle 19o
30' et du méridien 24o
, un petit tas de pierres marque l'extrémité de la
frontière". Le traité de 1955 ne renvoie pas à cet instrument : c'était inutile puisque cet accord
de 1924 a un caractère purement confirmatif. Toutefois, je noterai au passage, que, comme l'a dit la
chambre de la Cour dans l'affaire du Différend frontalier, la fixation du point ultime d'une ligne
frontalière "implique, comme corollaire logique (...) la présence du territoire d'un Etat tiers au-delà
du point terminal..." (Différend frontalier C.I.J. Recueil 1986, p. 579, par. 49) et c'est ce que
confirme la combinaison de la convention de 1919 et du protocole de 1924.
12. Décidément, et ceci concerne tout le tracé de la frontière dont nous parlons, point n'est
besoin de raisonnement compliqué : le tracé résulte du texte même des actes internationaux auxquels
renvoie le traité de 1955. Ce tracé est celui qui fait l'objet des conclusions de la République du
Tchad qui le décrivent d'est en ouest et fort heureusement, Monsieur le Président, la coïncidence de
ces conclusions avec le tracé que je viens de décrire est absolue ! Revoyons-le ensemble une dernière
fois. Je cite les conclusions écrites de la République du Tchad :
«du point d'intersection du 24e
degré de longitude Est de Greenwich avec le
parallèle 19o
30 de latitude Nord, la frontière se dirige jusqu'au point de rencontre du
Tropique du Cancer avec le 16e
degré de longitude Est de Greenwich";
— de ce dernier point elle suit une ligne se dirigeant vers le puits de Toummo
jusqu'au 15e
degré Est de Greenwich".
C'est exactement le tracé que j'ai pu retrouvé sur la base du traité de 1955 et de lui seul.
13. Monsieur le Président, le Tchad a la conviction profonde qu'il pourrait arrêter là sa
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démonstration que je résume très brièvement :
Premièrement, en signant le traité du 10 août 1955, la Libye et la France n'avaient nullement
pour objectif de délimiter la frontière méridionale de la Libye qui aurait, auparavant, été
indéterminée. Il n'en est pas moins conforme, ce traité de 1955, à l'esprit de la résolution 392 (V)
dont vient de parler le professeur Franck, en ce sens qu'il lève toute ambiguïté qui pourrait avoir
subsisté quant au tracé de la frontière litigieuse.
Deuxièmement, l'article 3 du traité et l'annexe I définissent en effet la ligne frontière de
manière complète et suffisante par référence à des actes internationaux pertinents que les parties ont,
aux fins de la délimitation, considérés comme étant en vigueur et qui, au demeurant, étaient bel et
bien en vigueur.
Troisièmement, il ressort tant du texte même du traité que de son contexte, y compris des
accords ultérieurs intervenus entre les parties ou entre le Tchad et la Libye, il ressort aussi des
travaux préparatoires et des circonstances dans lesquelles ce traité a été librement conclu, que telle
était, en effet, l'intention des parties.
Le seul traité de 1955 suffit donc à établir le tracé de la frontière entre les deux pays. Il suffit
à ce que soit réalisée "la stabilité" de la frontière litigieuse "d'une manière certaine et définitive", pour
reprendre l'expression de la Cour dans l'affaire du Temple de Préah Vihéar (C.I.J. Recueil 1962,
p. 35). Il suffit, Monsieur le Président, à ce que justice soit faite.
Mais, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, la Partie libyenne a tellement compliqué les
choses, tellement "trituré", si j'ose dire, les faits et le droit. L'affaire revêt pour la République du
Tchad, une importance tellement exceptionnelle que, pour surplus de droit, les conseils du Tchad
s'attacheront maintenant à établir que, même si le traité de 1955 n'existait pas, les conclusions du
Tchad seraient fondées. Tel est l'objet de ce que, par commodité, on peut appeler ses deuxième et
troisième thèses. Et j'aurai, si vous le voulez bien, Monsieur le Président, l'honneur d'introduire
demain l'exposé de la deuxième thèse du Tchad, celle qui est fondée sur les délimitations
conventionnelles de 1899 et 1919. Et je vous remercie beaucoup de m'avoir laissé ce petit
CR 93/22
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supplément.
The PRESIDENT: Thank you very much, Mr. Pellet. We will adjourn now and start again at
ten o'clock tomorrow morning.
L'audience est levée à 13 h.
Public sitting held on Monday 28 June 1993, at 10 a.m., at the Peace Palace, President Sir Robert Jennings presiding