Non corrigé Traduction
Uncorrected Translation
CR 2013/19 (traduction)
CR 2013/19 (translation)
Mercredi 10 juillet 2013 à 10 heures
Wednesday 10 July 2013 at 10.00 a.m - 2 -
LE PRÉSIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. Le juge Abraham, pour
14
des motifs qu’il m’a exposés, ne sera pas en mesure de siéger aujourd’hui. La Cour est réunie pour
entendre la suite du second tour de plaidoiries de l’Australie. Je donne la parole au
Solicitor-General d’Australie, M. Gleeson. Vous avez la parole, Monsieur.
M. GLEESON :
L A VRAIE NATURE DU PROGRAMME JARPA II : LA PROPOSITION ELLE -MÊME ,TELLE
QU ’ÉCLAIRÉE PAR LES RAPPORTS D ’EXPERTS
Introduction
1. Je vous remercie, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, et souhaite à
tous le bonjour. Nous avons pensé qu’il serait utile à l’examen de la Cour de segmenter en trois
parties notre exposé de ce jour, qui traite de l’interprétation et de la violation des traités. Je
commencerai par avancer quelques arguments succincts sur la vraie nature de la proposition de
permis pour le programme JARPA II, telle qu’éclairée par les exposés d’experts. Je tenterai
également de résumer les éléments de preuve dont vous disposez maintenant sur la possibilité de
recourir à des méthodes non létales. M. Sands présentera ensuite notre exposé scientifique
principal en réponse à la position du Japon, puis M. Crawford exposera nos arguments juridiques
sur l’interprétation et la violation des traités. Dans l’après-midi, pas trop tard j’espère, je répondrai
sur l’argument de la bonne foi et de l’abus de droit en présentant la position avancée par l’Australie
à titre subsidiaire, après quoi l’Attorney-General et l’agent concluront notre présentation. Voici,
Monsieur le président, comment nous comptons utiliser notre temps de parole aujourd’hui, si cela
convient à la Cour.
Nature et qualité des dépositions d’expert
2. Permettez-moi tout d’abord de dire quelques mots sur la manière dont la Cour devrait
considérer les dépositions que les experts ont faites devant elle. L’Australie a, pour sa part,
présenté deux experts qui ont soumis des déclarations écrites détaillées et pertinentes, parfaitement
étayées par des références, comme vous l’aurez sans doute constaté. Il ne vous aura pas non plus
échappé que ces exposés n’ont quasiment pas été remis en question par M. Lowe dans son bref - 3 -
contre-interrogatoire. Nous invitons donc la Cour à admettre tout simplement la teneur de ces
déclarations écrites.
15 3. Vous avez entendu les dépositions orales de MM. Mangel et Gales, et avez, j’en suis sûr,
apprécié l’honnêteté, la fiabilité et, tout particulièrement, la mesure dont ils ont fait preuve dans
leurs déclarations. Il ne fait aucun doute qu’ils ont pleinement répondu aux questions qui leur
étaient posées par le conseil et par la Cour. M. Mangel était, de toute évidence, indépendant. Pour
ce qui est de M. Gales, la Cour conclura très certainement que celui-ci n’a nullement laissé ses
fonctions de directeur scientifique du programme antarctique de l’Australie empiéter sur l’avis
qu’il a présenté à la Cour ; M. Lowe ne lui a d’ailleurs posé aucune question susceptible de
remettre en question l’intégrité de ses déclarations.
4. Nous invitons donc la Cour à admettre leurs déclarations orales, ainsi que leurs exposés
écrits. Je tiens à revenir brièvement sur les allégations par lesquelles M. Pellet a, par la suite, remis
en cause l’intégrité des relations de l’Australie avec la CBI et, à vrai dire, celle des experts
australiens de la chasse à la baleine . L’Australie demande à la Cour de considérer ces allégations
avec une certaine réserve, M. Pellet n’ayant fourni aucune preuve pour les étayer, et n’ayant pas
non plus fait en sorte que son collègue, M. Lowe, donne à M. Gales, directeur scientifique du
programme antarctique de l’Australie, la possibilité d’y répondre. La Cour pourrait, nous
semble-t-il, considérer que ce comportement ne favorise pas l’établissement des faits et qu’il est, de
fait, déloyal.
5. L’exposé de M. Walløe était d’ordre quelque peu différent, comme nous l’avons tous
observé. Je ne m’attarderai pas sur son monologue improductif, sur le fait qu’il s’est bien gardé de
préciser qu’il défendait ses propres travaux, ou sur ses nombreuses réponses un peu longues. Ce
qui présente, me semble-t-il, plus d’intérêt aux fins de votre examen, Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est le dernier quart d’heure de son exposé de mercredi, au
cours duquel il a admis l’existence d’une faille énorme au cœur de la proposition JARPA II :
l’absence de justification scientifique du nombre et des espèces de baleines à capturer. Nous
consacrerons une attention particulière à cette question tout au long de la journée.
1CR 2013/16, p. 40, 41, 42, 43, 57 (Pellet). - 4 -
La nature de la proposition JARPA II telle qu’élucidée par les experts
6. Permettez-moi maintenant d’en venir au fond de cette présentation en exposant, en
quelques points succincts, la position de l’Australie sur le programme JARPA II. Ces points sont
représentés sur une projection qui s’affichera dans un instant et dont je vous invite à prendre
connaissance pour comprendre le cheminement que je me propose de suivre durant les vingt
prochaines minutes. [Projection.]
16 7. Le premier argument de l’Australie consiste à dire que la nécessité même du programme
JARPA II n’a pas été établie. Si l’on examine soigneusement le document de planification
JARPA II, il est très difficile de trouver des éléments de preuve par opposition aux simples
affirmations démontrant la nécessité scientifique de mettre en œuvre un nouveau projet de
travaux de terrain à long terme, de grande ampleur, de nature indéfinie et impliquant des méthodes
létales, au lieu d’utiliser, par exemple, les données qui étaient disponibles en 2005.
8. Tout ce que l’on peut trouver, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,
tient en une seule ligne, à la section 10, page 20 du document, où il est indiqué qu’il est nécessaire
de recueillir des données supplémentaires pour, selon les termes employés, «établir des liens» entre
le passé et le futur ou «poursuivre» les activités du programme JARPA. C’est tout. La question
que nous posons, sauf le respect dû au Japon, est la suivante : pourquoi ce recueil de données est-il
nécessaire ? Existe-t-il des éléments, dans le programme JARPA, expliquant pourquoi l’immense
base de données disponible en 2005 ne pouvait être utilisée aux fins des recherches scientifiques
alors envisagées ? Dans le contexte de ces interrogations, nous vous renvoyons aux principes dont
2
vous avez maintenant connaissance, qui sont énoncés à l’annexe P et à l’annexe Y , et confirmés
par la déposition de M. Mangel , et, comme vous vous en souviendrez sans doute, par celle de
M. Walløe, qui a reconnu l’importance d’une telle appréciation. Lors de son contre-interrogatoire,
2 o
Voir dossier de plaidoiries de l’Australie, vol. I, onglet n 12. Selon l’annexe P, par. 2) a) iii), les méthodes
employées dans le cadre des travaux de terrain doivent comporter «une évaluation des raisons pour lesquelles les
méthodes non létales, les méthodes liées à toute chasse à la baleine commerciale en cours oo les analyses des données
passées sont jugées insuffisantes». L’annexe Y, dossier de plaidoiries de l’Australie, vol. I, onglet n 11, prévoit, en son
paragraphe c), alinéas 2), 3) et 4), que, concernant la méthodologie, les objectifs fixés pour les recherches en vertu de
l’article VIII doivent être des objectifs qui ne sont pas pratiquement et scientifiquement réalisables par des techniques
non létales, qu’il y a lieu d’examiner si les informations recherchées pourraient être obtenues par des moyens non létaux
et qu’il importe que la recherche envisagée concerne une question à laquelle il ne pourrait être répondu par l’analyse de
données existantes ou le recours à des techniques non létales.
3
CR 2013/9, p. 46 (Mangel) : «La prise létale ne peut avoir de sens que si la question à laquelle on doit répondre
est une question qui mérite d’être posée, et que la capture létale est le moyen le plus adapté pour y répondre.» - 5 -
celui-ci a admis «la nécessité d’une problématique», précisant «qu’il faut savoir à peu près pour
4
quelles raisons on étudie tel ou tel objet, pourquoi on collecte des données» .
9. Lorsque nous avons écouté et relu l’exposé fort utile que nous a fait M. Hamamoto sur le
programme JARPA, nous ne l’avons pas trouvé suffisamment approfondi pour permettre de
conclure à l’existence, que ce soit dans la proposition JARPA II elle-même ou ailleurs, d’éléments
expliquant pourquoi il était réellement nécessaire d’établir des liens entre le passé et le futur, ou de
poursuivre les activités antérieures. M. Boyle n’a, nous semble-t-il, pas davantage répondu à cette
question.
10. Le Japon répliquera peut-être à cela que, en réponse à l’une des questions de la Cour,
M. Walløe s’est dit convaincu qu’un recueil de données «continu» présentait un certain intérêt,
même s’il n’a pas su préciser la période pendant laquelle ce recueil devait, selon lui, se poursuivre . 5
Je ferai par ailleurs observer, avec tout le respect dû à M. Walløe, que celui-ci ne s’est pas penché
17 sur la question de savoir pourquoi, pas plus qu’il n’y a répondu. S’il s’est montré tout disposé à
disserter sur les projets auxquels il a collaboré, notamment sur l’épaisseur de la couche de graisse
et le contenu stomacal, il n’a pas vraiment abordé les raisons pour lesquelles il serait nécessaire
6
d’établir des liens entre le passé et le futur et de poursuivre le recueil de données .
11. Au sujet de l’épaisseur de la couche de graisse et du contenu stomacal dont vous ne
souhaiterez sans doute pas entendre davantage, ni de ma bouche, ni peut-être de celle de personne
d’autre , il me faut toutefois relever, puisque le Japon s’est appuyé sur les déclarations écrites de
M. Walløe la semaine dernière, que, lors du contre-interrogatoire, celui-ci en est venu à admettre la
7
réalité suivante : en 2007 pour ce qui est du contenu stomacal nous avons, à cet égard, fourni
une référence , et en 2013 pour ce qui est de l’épaisseur de la couche de graisse 8 nous avons
également fourni une référence , le comité scientifique a clairement indiqué que, à l’issue de
4CR 2013/14, p. 34 (Walløe).
5CR 2013/14, p. 23-24, 55 (Walløe).
6
Ibid., p. 26 (Walløe).
7
Ibid., p. 30-31. Voir également, déclaration de Nick Gales en réponse à la déclaration d’expert du
prof. Lars Walløe, par. 4.9.
8CR 2013/14, p. 29. Voir également l’extrait tiré du «Report of the Working Group on Ecosystem Modelling»,
annexe K1, Report of the Scientific Committee Annual Meeting 2013, p. 1-7, reproduit à l’onglet n 7 du dossier des
juges de l’Australie, contre-interrogatoire du 3 juillet 2013. - 6 -
vingt-six années de recherches à l’aide de techniques létales sur ces sujets, il apparaissait que les
résultats obtenus n’étaient pas fiables et ne présentaient aucun intérêt pour la conservation et la
gestion des populations baleinières, ni pour aucun autre besoin primordial en matière de recherche.
12. Pour conclure sur ce premier point, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la
Cour, l’Australie fait respectueusement valoir que rien de ce qu’a dit le Japon lors de son premier
tour de plaidoiries n’indique vraiment pourquoi vingt-six ans plus tard, en 2005, il était nécessaire
de recueillir de nouvelles données par des moyens létaux. Le Japon n’a certainement pas déterminé
pendant combien de temps la mise à mort des baleines et le recueil des données devaient se
prolonger. En bref, ni le programme JARPA II ni les éléments présentés par le Japon à l’appui de
son argumentation ne fournissent de lignes directrices quant à la manière de déterminer à quel
moment les données obtenues sont suffisantes. Cet élément pourrait, nous semble-t-il, être
considéré comme revêtant une importance primordiale dans la décision de la Cour en la présente
affaire. [Projection.]
13. Permettez-moi de passer au deuxième point, que M. Crawford a esquissé hier. Il ne fait
pas l’ombre d’un doute que le programme JARPA II n’établit pas scientifiquement la raison pour
laquelle les rorquals communs et les baleines à bosse doivent être mis à mort. La proposition
indique, à plusieurs reprises, qu’il est «essentiel» d’étendre le programme JARPA initial, qui ne
portait que sur les petits rorquals, aux rorquals communs et baleines à bosse, en plus de cette
première espèce , et c’est d’ailleurs sur cette base que doit être établi le «modèle» de concurrence
entre espèces. Toutefois, deux éléments se dégagent désormais assez clairement : i) premièrement,
18 aucune explication n’est fournie quant au fait que les permis autorisent chaque année la mise à mort
de baleines à bosse malgré l’absence totale de prises effectives pour cette espèce, et
ii) deuxièmement, ce point doit maintenant être clair, comme l’a reconnu M. Walløe à juste
titre la projection qui s’affiche reproduit ses déclarations à cet égard [projection] mercredi
dernier vers 16 h 15, il «n’[a] jamais apprécié le projet portant sur les rorquals communs … parce
qu[‘il] pense, surtout si l’on s’en tient à dix-huit baleines, que l’on ne peut pas en tirer
9Voir, par exemple, «Planification de la deuxième phase du programme japonais de recherche scientifique sur les
baleines dans l’Antarctique au titre d’un permis spécial (JARPA II)», p. 9, 10 et 19. - 7 -
d’informations» . Et vous vous souvenez peut-être que lorsque je l’ai interrogé, de manière sans
doute assez peu charitable, sur la raison pour laquelle il avait laissé ses propres calculs chez lui, en
Norvège, sa réponse a été la suivante : «Comme je l’ai dit, je ne me suis jamais interrogé sur le cas
des baleines à bosse et des rorquals communs parce que je n’appréciais pas ces propositions de
capture tout particulièrement en ce qui concerne les rorquals communs, mais c’est vrai
également pour les baleines à bosse» . [Fin de la projection.]
14. Peut-être eût-il fallu que M. Walløe fasse ces déclarations plus tôt dans son exposé. Quoi
qu’il en soit, nous connaissons maintenant son avis réel. C’est donc notre deuxième argument,
l’absence de justification scientifique des prises létales de baleines à bosse et de rorquals communs.
o
15. Ceci nous amène directement au troisième point. De toute évidence, l’objectif n 2,
l’établissement du fameux modèle global de concurrence entre les espèces , est 12 et j’ai bien peur
de ne pouvoir trouver de termes plus modérés purement illusoire. La planification de cet
objectif est purement illusoire.
16. Si les prélèvements létaux épargnent l’une des trois espèces essentielles à l’établissement
du modèle, et sont effectués sur les autres dans des conditions ne permettant pas de générer les
informations recherchées, le modèle est purement illusoire. Permettez-moi de m’arrêter un instant
sur ce point. Si l’Australie devait s’en tenir là de ses exposés sachant que le Japon risque et
envisage de délivrer, en novembre prochain, comme il le fait tous les deux ans en novembre, un
permis autorisant, comme d’habitude, la capture de petits rorquals ainsi que de cinquante baleines à
bosse et de cinquante rorquals communs , la Cour pourrait, sur ces seuls motifs, recevoir les
demandes de l’Australie.
o
17. J’ai mentionné que l’établissement du modèle était inclus dans l’objectif n 2. Vous vous
souviendrez peut-être également que, concernant cet objectif n 2, M. Walløe a reconnu à juste titre
que c’était là le seul point du programme JARPA II où il avait pu trouver une hypothèse vérifiable ;
il a également confirmé que les données nécessaires pour tester cette hypothèse n’étaient pas
10CR 2013/14, p. 44-46, en particulier p. 44 (Walløe).
11Ibid., p. 46-47 (Walløe).
12
«Planification de la deuxième phase du programme japonais de recherche scientifique sur les baleines dans
l’Antarctique au titre d’un permis spécial (JARPA II)», p. 11, 15-16. - 8 -
définies, et que, en conséquence, il était impossible de déterminer la taille de l’échantillon requis
aux fins de l’objectif n 2 .3
19 18. J’en viens au quatrième point. Vous vous demandez peut-être que penser du volet «petits
rorquals» de la proposition si l’on écarte les baleines à bosse et les rorquals communs ? J’ose
l’affirmer : à la fin des plaidoiries, la Cour conclura que rien ne justifiait de doubler le nombre de
petits rorquals capturés, en passant de 300/400 spécimens capturés dans le cadre du programme
JARPA initial à 850 spécimens capturés au titre de JARPA II. [Projection.] A cet égard, je me
permets de rappeler ce qu’a dit M. Walløe mercredi dernier, vers 16 h 15. Vous vous souvenez
qu’il a dit presque spontanément d’ailleurs ce qui suit : «je ne sais pas vraiment comment les
14
tailles d’échantillons ont été calculées» . Et lorsque je l’ai pressé d’expliquer pourquoi il avait
laissé ses propres calculs en Norvège, sa réponse a été : «Je pensais donc qu’il me suffisait de dire
que je ne le comprenais pas vraiment, en tout cas, telle est ma réponse». Nous prions la Cour de
conclure, sur ce point, que MM. Walløe et Mangel sont désormais d’accord et qu’il s’agit d’une
sérieuse lacune du programme JARPA II : les tailles d’échantillon sont déterminées au moyen
15
d’une «valeur» «retenue sans la moindre explication» , comme l’a dit M. Mangel dans ses
exposés. [Fin de projection.]
19. Etant donné que les Parties sont d’accord sur ces points et qu’une longue journée nous
attend, je crains que vous ne perdiez patience si je prononce encore les mots «taille d’échantillon».
C’est pourtant ce que je dois faire, par simple prudence, puisque le Japon pourrait, la semaine
prochaine, aborder la question des appendices du programme JARPA II. Je voudrais vous rappeler
les extraits des appendices que nous avons examinés avec M. Walløe, qui l’ont conduit à
reconnaître franchement qu’il n’avait pas la moindre idée de la façon dont les tailles d’échantillon
étaient déterminées.
20. Je vous remercie de votre patience pendant ce bref passage en revue. Apparaît à présent
à l’écran [projection du tableau n 3] la proposition relative aux baleines à bosse, que vous avez
déjà vue. Comme vous le savez, pour que la taille d’un échantillon soit fixée à
13CR 2013/14, p. 40-41 (Walløe).
14CR 2013/14, p. 41 (Walløe).
15
CR 2013/9, p. 45 (Mangel). Voir aussi Mangel, rapport d’expert initial, avril 2011, par. 5.38-5.50. - 9 -
cinquante spécimens, il faut partir sur l’hypothèse d’une variation de plus ou moins 3 %. On ne
trouve dans la proposition JARPA aucun élément scientifique attestant la vraisemblance de ce
20 chiffre de 3 %. Je voudrais simplement signaler qu’à la page 64 de la proposition, les dernières
données disponibles montraient une variation de seulement 1,3 %. [Fin de projection.]
21. Venons-en à présent au tableau sur les rorquals communs, que vous avez déjà vu.
[Projection du tableau n 4.] Pour résumer, la situation est assez similaire. [Fin de projection.]
22. Intéressons-nous maintenant au tableau concernant les petits rorquals qui vous a déjà été
o
montré. [Projection du tableau n 2.] Nous savons que si l’on applique ces données aux deux
autres espèces, c’est-à-dire une durée de douze ans et une variation de 3 %, seuls
dix-huit spécimens seraient capturés ; pour une durée de six ans, cent trente-huit spécimens seraient
nécessaires ; et pour une durée de six ans et une variation comprise entre 1 et 1,5 %, il faudrait
entre quatre-vingt sept et cent vingt-trois individus. Le programme JARPA II n’explique pas d’où
vient ce chiffre de 1 à 1,5 %, mais il est bien là.
23. Tout cela confirme tout simplement le caractère arbitraire des tailles d’échantillon, et a
conduit M. Walløe à faire cet aveu. Si ce n’est pas une mais trois espèces qui figurent dans la
proposition, pourquoi ne tuer que les spécimens d’une seule espèce ? Si pour deux de ces espèces,
il faut douze ans pour obtenir des résultats utiles, pourquoi se fonder sur une période de six ans
pour déterminer la taille de l’échantillon de la troisième espèce, entraînant un nombre de prises
létales quatre fois plus élevé que nécessaire ? Selon nous, ce n’est ni nécessaire ni proportionné,
16
pour reprendre les critères obligeamment définis par la Nouvelle-Zélande lundi dernier . Par
ailleurs, si la proposition consiste réellement à ne capturer que les petits rorquals, supprimons les
deux autres espèces, écartons l’objectif de modélisation et commençons par essayer de savoir si un
tel programme de chasse aux petits rorquals, aussi étendu et vague, est nécessaire d’un point de vue
scientifique.
24. [Projection du tableau n 6.] Je vous prierais à présent de bien vouloir regarder l’autre
tableau figurant à l’appendice 6, qui concerne un autre paramètre pour lequel est retenue une
16CR 2013/17, p. 36-38 (Ridings). - 10 -
période de douze ans pour les rorquals communs, et de six ans pour les petits rorquals, sans aucune
explication.
25. Pour en finir, fort heureusement, avec les statistiques, je conclurai en disant que pour
établir des statistiques exactes, il faut qu’un lien logique existe entre l’hypothèse à vérifier,
l’autorité dont le rapport sera revêtu, la marge d’erreur et la taille d’échantillon qui en résulte.
17
21 26. C’est l’avis que M. Mangel a exprimé dans son rapport ; et c’est désormais celui de
M. Walløe . Dans la mesure où des tailles d’échantillon sont proposées, elles ne se rapportent
19 o
qu’à l’objectif de «suivi» , l’objectif n 1.
27. Cet objectif ne repose sur aucune hypothèse précise, comme l’a confirmé M. Walløe . 20
Le programme JARPA II ne peut indiquer la précision avec laquelle il convient d’évaluer un
paramètre.
28. Le cinquième point nous ramène dans le monde réel. Vous devez être extrêmement
surpris de constater que les permis sont délivrés tous les ans dans les mêmes termes et avec les
mêmes chiffres, alors que le nombre de captures réelles varie énormément. Vous avez déjà
entendu notre explication : c’est la taille du navire qui compte. Monsieur le président, Mesdames et
Messieurs de la Cour, comme vous le savez peut-être, la Cour a reçu une lettre du Japon datée du
3 juillet contre laquelle l’Australie n’a pas formulé d’objection transmettant des informations
intéressantes sur la capacité de réfrigération effective du navire japonais, à savoir qu’il ne peut
21
contenir, selon le Japon, que quatre cent carcasses de baleines par saison . Supposons que cela
soit vrai. Que peut-on en déduire ? On peut en déduire que, pour mettre en œuvre le programme
JARPA II, le Japon aurait besoin de deux usines flottantes de cette taille, ou alors, hypothèse
peut-être plus réaliste, il devrait recourir à des navires de ravitaillement de carburant dotés de
capacité de réfrigération pour décharger les prises et les ramener au Japon en cours de saison. Ce
dernier n’explique pas pourquoi il n’utilise pas deux navires, ni ce qu’il fait en déchargeant des
17
Voir, par exemple, Mangel, rapport d’expert complémentaire, 15 avril 2013, p. 9-11.
18CR 2013/14, p. 34, 53-54 (Walløe).
19Plan JARPA II, p. 17.
20
CR 2013/14, p. 38 (Walløe).
21 Voir la lettre en date du 3 juillet, adressée à la Cour par le Japon au sujet de la capacité de ses navires
baleiniers. Voir aussi CR 2013/15, p. 45-46 (Boyle). - 11 -
carcasses de baleines sur le navire de ravitaillement. Il demande à la Cour de conclure, en
présentant un graphique qui vous a probablement laissés perplexes la semaine dernière, que c’est
l’augmentation du nombre de navires de Sea Sheperd qui explique l’écart. Nous faisons valoir
respectueusement que Sea Sheperd ne peut arrêter des navires que le Japon n’envoie pas dans
l’Antarctique. L’explication, c’est encore et toujours le commerce : comme M. Crawford l’a dit
lors de notre premier tour de plaidoiries, la différence est due à une baisse de la demande de viande
22
de baleine et à une volonté de maintenir les prix à un niveau élevé .
29. J’en arrive aux trois derniers points concernant JARPA. La Cour a posé de nombreuses
questions à propos du sixième point, ce qui a permis, si je puis dire, d’appeler l’attention des
22 Parties. Avant de lancer JARPA II, le Japon n’a pas démontré que les recherches scientifiques
23
létales étaient nécessaires à l’échelle envisagée, ni qu’aucune autre méthode n’était envisageable .
De surcroît, pour revenir sur une question émanant de la Cour (posée par la juge Donoghue), le
24
Japon ne s’intéresse toujours pas à cette question avant de délivrer, chaque année, un permis .
[Projection.] Vous allez voir à l’écran ce qui semble être l’ensemble des éléments concrets
25
justifiant les captures létales dans la longue proposition JARPA . On aurait pu imaginer qu’un
sujet aussi important aux yeux de la commission et de ses nombreux membres méritait davantage
d’attention [projection]. Nous avons résumé sur la projection suivante les éléments inexacts qui
figurent dans cette brève et maigre légitimation.
30. A cet égard, je dois souligner que nous sommes désormais également d’accord sur ce
point. Dans la réponse prudente et rigoureuse que M. Boyle a fourni à la question de la
juge Donoghue 2, celui-ci a confirmé que le Japon, lorsqu’il délivre les permis, tous les ans,
n’étudiait pas la possibilité du recours aux techniques non létales. C’est un point important. [Fin
de projection.]
31. Les deux derniers points sont malheureusement encore plus scientifiques, et je les
traiterai brièvement. Le septième point est qu’il est infondé de dire que le programme JARPA est
22
CR 2013/10, p. 41 (Crawford).
23
Voir la question posée par le juge Bhandari, CR 2013/14, p. 74.
24Voir la question posée par la juge Donoghue, CR 2013/12, p. 64.
25
Plan JARPA II, p. 20.
26
CR 2013/15, p. 69-70. - 12 -
27
conçu pour obtenir des informations visant à «mettre en œuvre» la RMP . [Projection.] Les
éléments essentiels de ce constat apparaissent à l’écran. Le point qu’il conviendrait de développer
(le quatrième) impliquerait de nous pencher sur les données génétiques et la possibilité du
prélèvement par biopsie. Notre réponse apparaît sur la projection suivante. Je tiens à souligner que
l’hypothèse selon laquelle les biopsies sont impraticables en haute mer sur les petits rorquals, qui
nagent manifestement très vite, n’est pas évoquée dans la proposition du Japon, alors qu’il existe de
nombreuses preuves concrètes attestant du contraire, que le Japon n’a semble-t-il pas étudiées.
M. Gale a d’ailleurs fait référence à un article rédigé dès 1991 par des scientifiques de l’institut de
recherche sur les cétacés qui démontrait qu’il était possible de prélever des échantillons biopsiques
28
sur les petits rorquals . Il a également mentionné les travaux de M. Paul Ensor, réalisés en haute
mer dans le cadre des missions du programme SOWER , ainsi que ses propres travaux, qui ont été
23
salués pour leur qualité . Ce qu’il faut retenir, c’est, semble-t-il, que le Japon n’a pas tenu compte
de ces éléments, et qu’il n’en tient toujours pas compte.
32. Le dernier point touche à l’hypothèse selon laquelle JARPA pourrait produire des
résultats susceptibles d’améliorer la RMP, qui concerne particulièrement la question des données
relatives à l’âge. En résumé, comme vous le constatez à présent, le Japon n’a pas engagé la
procédure prévue pour modifier la RMP . L’objectif du programme initial, qui consistait à établir
le taux de mortalité en étudiant les bouchons de cérumen, n’a pas été atteint, comme le comité l’a
32 33
signalé en 2007 . En 2009 , le comité a conclu que les données de capture par âge étaient peu
fiables. En 2013, il a procédé à un léger ajustement du taux de rendement maximum de
renouvellement, sans utiliser de données relatives à l’âge ni d’éléments obtenus par des méthodes
27 Voir Mangel, rapport d’expert initial, avril 2011, par. 3.21-3.31, et Mangel, rapport d’expert complémentaire,
par. 4.1-4.14.
28 Voir déclaration de Nick Gales en réponse à la déclaration d’expert du professeur Lars Walløe, 31 mai 2013,
par. 2.5.
29 Voir déclaration de Nick Gales en réponse à la déclaration d’expert du professeur Lars Walløe, 31 mai 2013,
par. 2.8-2.12.
30 Gales, exposé d’expert, 15 avril 2013, par. 6.1-6.17.
31 Dossier de plaidoiries de l’Australie, contre-interrogatoire du 3 juillet 2013, onglet n 24 (extrait de «Report of
the Scientific Committee» (1993)).
32 Ibid., onglet n 28 (extrait de «Report of the Intersessional Workshop to Review Data and Results from Special
Permit Research on Minke Whales in the Antarctic», Tokyo, 4-8 décembre 2006).
33 Ibid., onglet n 20, p. 502 («Report of the Intersessional Workshop on MSYR for Baleen Whales», 2010). - 13 -
34
létales . Et il a, de fait, mis en évidence divers problèmes dans le modèle de distribution des âges
en vigueur .35
33. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour que l’arbre ne cache pas
la forêt, ou pour que la baleine qui a assommé un surfeur à Sydney le week-end dernier ne nous
fasse pas perdre de vue le sanctuaire de l’océan Austral, j’ai établi un petit tableau qui devrait
o
apparaître à l’écran et qui se trouve sous l’onglet n 17 [projection] qui montre qu’aucun des
quatre objectifs ne réunit les quatre critères essentiels : une hypothèse précise, une taille
d’échantillon adéquate, une justification valable du recours aux méthodes létales, et un examen réel
des techniques non létales. Ce n’est pas que c’est impossible, mais cette proposition n’y est pas
parvenue. [Fin de projection.]
Les techniques non létales
34. Le dernier point que je souhaite traiter est la question des techniques non létales. Vous
savez désormais qu’il s’agit du marquage et du suivi par satellite, des biopsies, et de la
photographie numérique . M. Gales a, en particulier, confirmé que les biopsies étaient «une
37
24 méthode aujourd’hui communément employée» . Il a parlé des progrès considérables accomplis
38
dans ce domaine, comme l’a fait M. Mangel . Plus important encore peut-être, M. Gales a
confirmé l’évidence, à savoir que les scientifiques de l’ensemble des communautés baleinières de
par le monde disposent de techniques non létales, ce que M. Mangel a confirmé. Selon nous, et je
conclurai là-dessus, M. Mangel l’a très bien dit, avec la retenue qui le caractérise : le programme
JARPA II part tout simplement du principe que «les méthodes non létales [sont] inopérantes», et le
39
Japon ne s’est «guère mis en peine pour développer ces dernières» .
34Ibid., onglet n 22, p. 4 («Report of the Sub-Committee on the Revised Management Procedure», 2013).
35 o o
Ibid., onglet n 23, tableau n 1, p. 2 (extrait de «Report of the Sub-Committee on In-depth Assessments»,
2013).
36
CR 2013/10, p. 22-23 (Gales) ; CR 2013/9, p. 47 (Mangel).
37CR 2013/10, p. 23 (Gales).
38CR 2013/9, p. 47 (Mangel).
39CR 2013/9, p. 47 (Mangel). - 14 -
35. Monsieur le président, je vous prie d’appeler à la barre M. Sands, qui abordera les
questions scientifiques de fond. Je vous remercie de votre attention, Mesdames et Messieurs de la
Cour.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Gleeson. Je cède maintenant la parole à
M. Sands. Vous avez la parole, Monsieur.
M. SANDS :
L A CHASSE À LA BALEINE «SCIENTIFIQUE » PRATIQUÉE PAR LE JAPON
DANS L OCÉAN AUSTRAL
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, vous avez maintenant entendu
les deux Parties au sujet de la question principale, celle de savoir si le programme JARPA II a été
conçu «en vue de recherches scientifiques» au sens de la convention. Lorsque je me suis adressé à
vous il y a deux semaines, j’ai fait valoir que le sujet exigeait un examen attentif des faits. Les
plaidoiries ont montré que, si les Parties s’entendent sur ce point, leurs vues divergent sur presque
tout le reste. Le Japon a maintenant présenté sa version des faits et c’est de cela que je souhaite
vous entretenir.
2. La Cour est une juridiction judiciaire, qui examine les faits en fonction des éléments de
preuve qui lui ont été présentés. L’Attorney-General de la Nouvelle-Zélande a dit que «l’examen
40
approfondi de tous les faits et circonstances pertinents» était indispensable en l’espèce . Or il est
frappant de constater que les plaidoiries du Japon se sont dans une large mesure résumées à de
simples affirmations ne reposant sur aucune preuve documentaire, testimoniale ou autre. Le Japon
affirme que le programme JARPA II a été lancé «en vue de recherches scientifiques», affirmation
25 fondée sur deux postulats : d’une part, il appartiendrait au Japon de définir ce qu’est la science et,
d’autre part, le comité scientifique de la CBI aurait entériné ce premier postulat.
3. S’agissant de l’argumentation du Japon, l’examen de la Cour portant sur ce qui, dans une
large mesure, n’est qu’une question de fait — le programme JARPA est-il de nature
scientifique ? — n’a pas besoin d’aller plus loin. D’après le Japon, la Cour n’a pas à se préoccuper
4CR 2013/17, p. 30, par. 48-49 (Finlayson). - 15 -
de trouver des critères objectifs pour décider ce qu’est la science et encore moins de les appliquer.
Au diable tous les exposés d’experts. Il vous suffirait de prendre ce qu’a dit le Japon comme
argent comptant et vous en tenir à cela. On pourrait dire que le Japon a bien annoncé la couleur,
mais sur des bases fragiles et dangereuses.
4. La façon dont le Japon a abordé la présente affaire pose plusieurs difficultés. L’une
d’elles est que son argumentation repose sur une certaine version des «faits», notamment ce que,
d’après lui, le comité scientifique aurait fait et qui n’est étayé par aucun élément de preuve. Il n’y a
en effet dans le contre-mémoire aucun élément tendant à établir les arguments avancés. Les
exposés de MM. Mangel et Gales ne sont d’aucun secours à cet égard et nous savons maintenant
qu’il en va de même de celui de l’expert cité par le Japon lui-même, M. Walløe. Nous nous
rappelons tous ce moment des audiences, à la fin de l’exposé de M. Walløe, vers 16 h 15,
mercredi dernier, où la thèse défendue par le Japon a fini par se faire jour : le programme JARPA II
est présenté comme visant des espèces multiples «en vue de recherches scientifiques» et le seul
expert cité par le Japon vient déclarer devant la Cour que les captures de rorquals communs et de
baleines à bosse ne sont pas justifiées et qu’il n’est pas d’accord avec ces éléments du programme
JARPA II. Cet exposé a en fait rendu complètement indéfendable la position du Japon concernant
la mise à mort de rorquals communs et de baleines à bosse. Or il n’est pas possible de mener un
programme censé porter sur des espèces multiples en ne considérant que l’une d’entre elles. Et on
ne saurait prétendre mener un programme soi-disant scientifique, comme l’a dit M. Walløe,
lorsqu’on n’est pas en mesure d’expliquer à la Cour pourquoi 850 baleines doivent être mises à
mort.
5. Compte tenu des éléments de preuve présentés, en particulier l’exposé de M. Walløe, il
difficile de voir comment la Cour pourrait avaliser ce que le Japon cherche à faire. Pour laisser
celui-ci s’arroger le droit de tuer des baleines appartenant à trois espèces, il faudrait qu’elle ne
tienne aucun compte des éléments de preuve testimoniaux et autres qui lui ont été présentés.
6. Monsieur le président, mon exposé se divise en quatre parties, et il pourrait y avoir lieu de
faire une pause au moment opportun. Je commencerai par parler du comité scientifique, qui n’a pu
fournir d’appréciation favorable du programme JARPA II du point de vue de la conservation et de
la gestion des cétacés dans l’Antarctique. Je traiterai ensuite des événements de 2005 et des - 16 -
26 circonstances dans lesquelles le Japon a proposé le programme JARPA II, sans se donner la peine
d’attendre qu’un bilan soit dressé au sujet du programme JARPA, après quoi je passerai aux
critères qui, à notre avis, devraient être appliqués par la Cour, en expliquant comment il y a lieu de
les aborder et de les appliquer. Je terminerai en énonçant quelques brèves conclusions. Compte
tenu du temps limité dont nous disposons, je limiterai mes remarques aux questions essentielles.
Mais afin d’éviter tout doute à cet égard, il convient de préciser qu’aucun silence sur quelque point
soulevé par le Japon ne doit être interprété comme un acquiescement de notre part.
7. Avant d’aborder ces quatre thèmes, je me permettrai de faire quelques remarques
liminaires de nature générale. Nous n’avons pu manquer d’être frappés par la façon dont le Japon a
mené les présentes audiences et qui peut être caractérisée par trois mots : silence, contradiction et
mépris.
8. Les silences du Japon sont des plus éloquents. En effet, nombreux sont les points sur
lesquels il s’est tout simplement abstenu de fournir le moindre argument ou élément de preuve.
Ainsi, il n’a présenté aucune preuve concernant l’étude qu’il a effectuée en 2005 — la période
séparant les programmes JARPA et JARPA II — ni les solutions de rechange à la mise à mort de
baleines, pas plus qu’il n’a fourni d’explication pour justifier l’augmentation du nombre de petits
rorquals qui doivent selon lui être tués. Il n’a avancé aucune preuve ou argument pour expliquer à
la Cour comment il se propose de remplir les objectifs du programme JARPA II alors qu’il a tué
moins de la moitié du nombre de captures prévues de petits rorquals, moins de cinq pour cent du
nombre cible de rorquals communs et aucune baleine à bosse. Nous sommes impatients d’entendre
ce que le Japon aura à dire la semaine prochaine à ce sujet ; il n’en a rien dit au cours du premier
tour. Et, bien entendu, s’il soulève ces questions maintenant, au second tour, l’Australie se
trouvera dans la position désavantageuse de ne pas pouvoir répondre, à moins que la façon de les
aborder ne les rapproche des questions posées par les juges Donoghue, Greenwood ou Gaja, ou par
les juges Cançado Trindade ou Charlesworth, auxquelles nous sommes autorisés à répondre par
écrit.
9. Les contradictions que recèle la position du Japon sont également frappantes. D’abord, il
y a de toute évidence nombre de contradictions entre les propos tenus par ses différents conseils.
On croirait que chacun s’est adressé à la Cour sans avoir pris connaissance de l’exposé de ses - 17 -
collègues. Mais c’est la contradiction entre conseils et experts qui est la plus révélatrice, comme
une fissure dans la thèse du Japon. M. Akhavan a précisé devant vous que le comité scientifique
fonctionnait bien — et je cite — en tant qu’«organe expert indépendant» , alors que M. Walløe,
lui, s’est montré beaucoup plus réticent, laissant entendre que «les liens [du comité] avec la
politique sont étroits» . M. Boyle a affirmé que, dans le cadre du programme JARPA II, la taille
27
des échantillons était déterminée sur la base — je cite à nouveau — d’un «raisonnement statistique
43
solide» . Or M. Walløe a déclaré pour sa part qu’il «ne [savait] pas vraiment comment les tailles
d’échantillons [avaient] été calculées» . 44
10. Ainsi, faute de preuves à l’appui de sa position, ou préférant ne pas s’engager dans un
débat sur le fond, que fait le Japon ? Il opte pour le mépris, envers les uns comme les autres.
M. Mangel ? Un universitaire dans sa tour d’ivoire . Les Etats qui ont appuyé l’Australie au sein
de la commission ? Les suppôts de l’Australie, complices de la «prise en otage de la
convention» ; ce sont bien la les propos tenus. Les 63 membres du comité scientifique qui ont
refusé de participer à l’«examen» de la proposition JARPA II ? Des boycotteurs motivés par la
47
politique, des scientifiques vendus à la cause de l’Australie . Les conseils du Japon ne se sont
guère montrés plus respectueux à l’égard des vues exprimées par d’autres éminents scientifiques.
Ainsi, vous vous souviendrez que j’ai attiré votre attention sur les 21 scientifiques de renom qui ont
signé une lettre exprimant, il y a une dizaine d’années, des réserves scientifiques sérieuses à l’égard
du programme japonais de chasse à la baleine scientifique. J’ai mentionné l’un d’eux,
48 o
sir Aron Klug, qui a été qualifié d’«activiste» . [Onglet n 18.] [Projection à l’écran.] Eh bien,
vous voyez actuellement à l’écran sir Aron Klug. Il s’agit d’un scientifique réputé, extrêmement
réputé, qui s’est vu remettre le prix Nobel de chimie en 1982, a été fait chevalier en 1988 et a été
élu président de la Royal Society en 1995. En 1983, il a été élu Honorary Fellow de
41
CR 2013/12, p. 45, par. 21 (Akhavan).
42CR 2013/14, p. 37 (Walløe).
43CR 2013/15, p. 63, par. 70 (Boyle).
44
CR 2013/14, p. 41 (Walløe).
45
CR 2013/15, p. 47, par. 12 (Boyle).
46CR 2013/12, p. 48, par. 32 (Akhavan).
47CR 2013/15, p. 33, par. 18 (Takashiba).
48CR 2013/12, p. 59, par. 70 (Akhavan). - 18 -
Trinity College (Cambridge), réalisation non négligeable. Il se peut bien que les conseils du Japon
soient en désaccord lui lorsqu’il soutient que la «chasse à la baleine scientifique» pratiquée par le
49
Japon ne satisfait pas aux «normes scientifiques reconnues» , mais il n’en demeure pas moins
qu’elles émanent d’un scientifique, d’un éminent scientifique. Et il n’est pas le seul. [Ajouter
l’image à l’écran.] M. Masakazu Konishi ? Un autre «activiste», selon les conseils du Japon.
Pourquoi ? Parce qu’il a osé exprimer l’opinion que le programme japonais de chasse scientifique
«n’[était] pas conçu pour répondre aux questions scientifiques soulevées par la gestion des
baleines». Il s’agit pourtant d’un scientifique indépendant et de renommée mondiale. Il s’est vu
28
décerner le prix de biologie par la société japonaise de promotion de la science, en reconnaissance
de sa «contribution exceptionnelle à l’avancement de la recherche en biologie fondamentale» , et 50
non de son «activisme». Ces scientifiques réputés ne méritent pas pareil traitement de la part des
conseils du Japon. [Fin de la projection.] Nous invitons ceux-ci à s’en tenir aux questions de fond,
au droit et aux éléments de preuve. Et c’est de cela que je souhaite maintenant parler.
I. Le comité scientifique ne s’est jamais prononcé
en faveur du programme JARPA II
11. Voyons d’abord le rôle du comité scientifique. Le Japon soutient qu’il appartient
exclusivement à ce dernier de décider si le programme JARPA II a été conçu «en vue de recherches
scientifiques», affirmant que le comité avait «examiné» la proposition afférente en 2005 et répétant
je ne sais combien de fois que le programme JARPA II allait faire l’objet d’un nouvel examen de la
51
part du même organe l’an prochain, en 2014 . Cela devrait, selon les conseils du Japon, clore le
débat et constituer une sorte de mise en garde : «ne vous mêlez pas du programme, car on s’en
occupe ailleurs ; cela ne relève pas de vous». Voilà ce qu’on vous dit.
12. Or, comme il s’agit d’un élément fondamental de l’argumentation du Japon, il n’est pas
surprenant, vu l’absence d’élément de preuve sur le fond, qu’on ait choisi d’attaquer l’affirmation
de l’Australie selon laquelle, s’agissant aussi bien du programme JARPA que de JARPA II, le
comité scientifique «n’a jamais ... formulé le moindre avis positif sur la contribution de l’un ou
49
«An Open Letter to the Government of Japan on Scientific Whaling», The New York Times, 20 mai 2002.
50Disponible en anglais à l’adresse : http://www.jsps.go.jp/english/e-biol/01_outline.html.
51
CR 2013/15, p. 68, par. 89 (Boyle). - 19 -
l’autre de ces programmes à la conservation et la gestion des baleines, ou à la procédure de gestion
52 53 54
revisée de la CBI» . Cette remarque a éveillé l’attention de MM. Akhavan et Hamamoto , qui
ont tous deux cherché à vous convaincre que l’Australie était dans l’erreur. Eh bien, il se trouve
que le portrait peint par l’Australie est parfaitement juste.
13. A l’appui de sa proposition, M. Akhavan a présenté une série d’exemples, des citations
que les projections attribuaient au «comité scientifique». Vous pouvez voir cette projection à
o
l’écran et sous l’onglet n 19 [projection à l’écran] ; elle porte le titre «Conclusions des examens
effectués par le comité scientifique concernant le programme JARPA en 1997 et en 2006». Il a
29 présenté dix exemples. Pourtant, aucun ne concerne le programme JARPA II, le seul qui soit en
cause en l’espèce. M. Ahkavan, dont la créativité dans le raisonnement juridique n’a pas d’égale,
et comparé à qui moi-même parais raisonnable, n’a pas réussi à retrouver une seule appréciation
favorable de la part du comité scientifique quant à la valeur du programme JARPA II du point de
vue de la conservation et de la gestion des baleines. Et s’il n’a pu en trouver, c’est parce qu’il n’en
existe pas.
14. Même pour le programme JARPA, il a eu du mal, et pour cause. M. Walløe, qui a passé
vingt-cinq ans au comité scientifique, s’est lui-même distancié de ce programme : «JARPA est un
programme bien plus complexe et je dois admettre que j’ai quelques réserves sur certain de ses
55
aspects» . Plus complexe que le programme JARPA II, dans le cadre duquel il dénonce la capture
de rorquals communs et de baleines à bosse ? Les conseils du Japon auraient pu, lors de
l’interrogatoire ou du contre-interrogatoire, demander à M. Walløe de faire état des appréciations
favorables que le comité scientifique aurait données du programme JARPA et même du
programme JARPA II, mais M. Lowe a choisi de ne lui poser aucune question à ce sujet.
15. Les dix exemples de M. Akhavan ne sont pas convaincants. Je n’ai pas le temps de les
o
passer un à un, mais permettez-moi d’expliquer la technique utilisée. (Onglet n 20)
[Projection suivante.] Si vous regardez les trois dernières citations — appelons-les 8, 9 et 10 —,
52
CR 2013/8, p. 63, par. 19 (Sands).
53CR 2013/12, p. 57, par. 61 (Akhavan).
54
CR 2013/13, p. 29, par. 54 (Hamamoto).
55
CR 2013/14, p. 50 (Walløe). - 20 -
elles sont présentées comme trois appréciations distinctes tirées des publications afférentes au
programme JARPA ; c’est ce que vous pouvez voir tout en bas. Pourtant, si l’on passe maintenant
à la projection suivante [projection suivante] et que l’on cherche ces trois appréciations, on constate
qu’elles sont tirées d’un seul et même paragraphe, dans un seul et même document. Il ne s’agit
donc pas d’un point, pardon, de trois points, mais bien d’un seul. Qui plus est, il s’agit d’un point
sans intérêt, puisque le paragraphe en question ne fait qu’énoncer une constatation présumée. Il
n’y a là aucune appréciation favorable de quoi que ce soit. [Fin de la projection.]
16. Prenons maintenant la troisième déclaration attribuée au comité scientifique. Il s’agit en
fait d’un avis exprimé en 1997 par un groupe de travail intersessions, ce qui n’est pas la même
chose que le comité scientifique. Et il est assez édifiant d’examiner la liste des participants à ce
groupe de travail, que vous pouvez maintenant voir à l’écran. (Onglet n 21) [Projection à
l’écran.] Il y avait 38 participants à ce groupe de travail, sans compter le président du comité
scientifique, le secrétariat de la CBI et ceux qu’on appelle les «scientifiques locaux». Les
30 représentants du Japon, M. Walløe ainsi que M. Butterworth, qui fait ici partie de la délégation
japonaise, y constituaient une nette majorité. Les observations formulées par le groupe de travail
sont nécessairement tributaires du point de vue des scientifiques japonais et autres travaillant au
même projet, comme l’a expliqué le Solicitor-General. [Fin de la projection.]
17. Passons maintenant à l’année 2006 et à la quatrième citation de M. Akhavan
o
(onglet n 22), que vous pouvez voir à l’écran [projection à l’écran] : «l’ensemble de données du
programme JARPA constitue une ressource utile». [Projection suivante.] La technique employée
ici est une légère modification. En effet, si l’on regarde la phrase suivante, on peut lire ce qui suit :
«Grâce à des analyses adaptées, ces données peuvent contribuer de façon importante aux travaux
o
du comité scientifique» [les italiques sont de moi] (onglet n 23). «Peuvent» : c’est exactement ce
que j’ai dit la semaine passée. Il y a tout un monde entre «pouvoir» et «contribuer effectivement».
18. Regardez maintenant la septième citation (onglet n 24) [projection suivante] :
«l’ensemble de données du programme JARPA constitue une ressource utile dans le cadre de
recherches sur certains aspects du rôle des baleines dans l’écosystème marin». Lisez attentivement.
Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? (Onglet n 25) [Projection suivante.] Bien sûr : cette
citation est exactement la même que la quatrième, tirée de la même ligne du même document, à la - 21 -
56
même page . Il s’agit d’un compte double, mais d’un compte double sans valeur ne portant que
sur une contribution potentielle. La Cour est une juridiction sérieuse, Monsieur le président, et est
en droit de s’attendre à un travail plus sérieux. [Fin de la projection.]
19. Je pourrais revoir avec vous l’ensemble du document, afin de démontrer qu’il ne se
trouve aucune appréciation favorable du programme JARPA, pas plus qu’il n’en existe à propos du
programme JARPA II. On pourrait en faire autant avec les pirouettes intellectuelles auxquelles
s’est livré M. Hamamoto au moment d’interpréter les documents.
20. La conclusion est très simple. Les éléments de preuve montrent que le comité
scientifique n’a jamais pu fonctionner convenablement en ce qui concerne ces questions. C’est ce
que M. Walløe vous a dit. Le comité n’a jamais formulé d’appréciation favorable, ni confirmé que
le programme JARPA avait été conçu «en vue de recherches scientifiques» au sens de
l’article VIII.
21. Si j’ai fait ce survol, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est
pour trois raisons. Premièrement, cela démontre clairement que le Japon s’accroche à des fétus de
paille et que sa prétention, selon laquelle le comité scientifique se serait prononcé en faveur du
31
programme JARPA II, n’est pas fondée. Deuxièmement, M. Akhavan n’a pas été tout à fait franc
avec vous. Le document auquel il vous a renvoyés n’est qu’un ramassis de citations incomplètes et
sélectives, sans pertinence à l’égard du programme JARPA II et de la présente affaire.
22. Troisièmement, et c’est là le point le plus important, un examen attentif montre qu’il n’y
a aucune commune mesure entre la situation actuelle et celle, par exemple, du rapport de la
commission Porter dont il était question dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du
Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) de 2005 , des constatations du TPIY
(Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) dans l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
56
«Report of the Intersessional Workshop to Review Data and Results from Special Permit Research on Minke
Whales in the Antarctic», Tokyo, 4–8 décembre 2006, J. Cetacean Res. Manage., 2008, vol. 10 (suppl.), p. 411–445,
(disponible à l’adresse : http://iwc.int/workshop-reports#!year=2007), p. 431 (section 5.5).
57 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, p. 201, par. 61. - 22 -
58
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) de 2007 , ou encore, plus récemment, des rapports
de la SFI (Société financière internationale) dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur
59
le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) de 2010 . Dans chacune de ces affaires, on vous avait
présenté des déclarations relativement claires émanant d’organes tiers et indépendants qui laissaient
peu de place au doute ou à l’ambigüité, et vous avez eu raison d’en tenir compte. En l’espèce, le
Japon ne peut se réclamer d’aucun organe indépendant.
23. Il a été incapable de fonctionner, le comité scientifique, il se trouve dans une impasse.
M. Boyle vous a dit que «l’Australie ou ses experts n’ont aucune raison de venir critiquer devant la
60
Cour ce dont le comité scientifique s’est satisfait» . Il est pourtant clair que, comme pour tant
d’autres questions, vous recevez des informations contradictoires de la part des conseils du Japon et
de son expert, qui tient un discours passablement différent. Mme Takashiba a contredit M. Boyle
lorsqu’elle a déclaré que «les débats au sein du comité scientifique sont polarisés» . Comme elle,
M. Walløe se montre peu enthousiaste en parlant du comité scientifique. Il a déclaré, en parlant des
programmes JARPA et JARPA II, qu’il s’agissait d’un organe hautement politisé, «très différent
des comités scientifiques pouvant exister dans les autres domaines auxquels touchent [ses]
62
recherches» . Sur ce point au moins — et encore une fois —, lui et M. Gales sont d’accord. Et ils
sont évidemment bien placés pour le savoir, puisqu’ils ont tous deux pris part aux travaux du
comité scientifique pendant de nombreuses années. Libre à vous de retenir la perception qu’a
32 M. Walløe du comité scientifique, ou encore celle de M. Boyle. Il est toutefois permis de se
demander à combien de réunions du comité scientifique ce dernier a assisté. Probablement pas
davantage que moi. La perception juste correspond bien à celle qu’a formulée M. Gales : le comité
scientifique, selon lui, «fait état d’opinions diamétralement opposées et s’abstient d’évaluer la
valeur scientifique des points de vue exprimés par [ses] membres» . Le Japon aurait pu contester
58 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 137, par. 23Le rapport en cause
s’intitulait «La chute de Srebrenica».
59Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 ; voir en
particulier les paragraphes 167, 210 et 252.
60CR 2013/15, p. 64, par. 77 (Boyle).
61
Ibid., p. 39, par. 32 (Takashiba).
62
CR 2013/14, p. 50 (Walløe).
63N. Gales, «Exposé de M. Nick Gales», 15 avril 2013 (Gales, exposé d’expert), par. 4.3. - 23 -
cet énoncé d’opinion de M. Gales au moment du contre-interrogatoire, mais, encore une fois,
M. Boyle a préféré s’abstenir. Sur ce point, les avis des experts cités par les deux parties
concordent.
24. Une fois ce contexte esquissé, trois conclusions peuvent être tirées. Premièrement, le
comité scientifique n’a formulé aucune appréciation favorable à l’égard du programme JARPA II,
et n’a jamais confirmé que celui-ci avait été conçu «en vue de recherches scientifiques».
Deuxièmement, les travaux et rapports du comité scientifique ne fournissent aucun élément
susceptible de permettre à la Cour de conclure que le programme JARPA II est de nature
scientifique. Troisièmement, et par conséquent, il revient à la Cour de décider si le programme
JARPA II a été conçu «en vue de recherches scientifiques». Pour ce faire, il lui faut définir les
normes et critères permettant de déterminer s’il en est ainsi. Une fois cette étape franchie, elle
devra appliquer ces normes et critères au programme JARPA II. Je reviendrai sous peu sur ces
questions, mais auparavant, j’aimerais aborder ce qui s’est passé au comité scientifique en 2005,
lorsque la proposition afférente au programme JARPA II lui a été présentée.
II. La réunion de 2005 du comité scientifique
25. Le Japon reconnaît qu’il a présenté la proposition relative au programme JARPA II
en 2005, avant que le comité scientifique ait pu examiner les résultats du programme JARPA. Ce
point n’est pas contesté. Le Japon admet également que la présentation du programme JARPA II
prêtait à vive controverse lorsque le comité scientifique en a été saisi. Soixante-trois membres de
celui-ci ont refusé de participer à l’examen de la proposition relative au programme JARPA II. Le
Japon s’est montré très laconique quant à la raison pour laquelle ce groupe nombreux et
impressionnant de scientifiques ont décidé de se récuser. On vous a dit qu’il s’agissait d’une bande
de boycotteurs, voire de «fauteurs de troubles» , bien qu’on ne soit pas allé jusqu’à employer cette
expression.
33 26. Mais voyons plutôt ce qu’on dit ces 63 scientifiques et de qui il s’agissait. Vous
o
trouverez leur déclaration sous l’onglet n 26 du dossier de plaidoiries d’aujourd’hui. [Projection à
l’écran.] Et je vous invite à l’ouvrir et à lire ce que dit le document. Vous voyez sur cette page la
64CR 2013/15, p. 33, par. 18 (Takashiba). - 24 -
liste des 63 personnes dont le nom est surligné . 65 Ces scientifiques provenaient de 16 pays
différents et comptaient 16 participants invités, c’est-à-dire qui n’appartenaient pas à une
délégation nationale et qui venaient d’Australie, de France, d’Italie, du Japon, du Mexique, de
Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des Etats-Unis d’Amérique, où ils travaillaient pour divers
66
organismes universitaires et autres . [Projection suivante.] La conclusion est énoncée au haut de
la page 261 : les scientifiques en question se sont déclarés «dans l’incapacité d’engager un
processus d’évaluation de la proposition du JARPA II qui soit scientifiquement défendable»,
ajoutant que la tenue d’un examen «mettrait gravement en péril la crédibilité scientifique» de la
CBI. Ils se sont dits d’avis — et ces mots sont importants — que la proposition ne pourrait être
examinée par le comité scientifique «qu’une fois l’évaluation de JARPA achevée».
27. Ce document mérite d’être lu soigneusement dans son intégralité, mais je ne vais pas le
parcourir avec vous. Il y a toutefois d’autres éléments que je souhaite vous montrer maintenant.
[Projection suivante.] Si vous revenez au début du document, vous pouvez voir qu’on parle du
programme JARPA II comme d’un programme terminé. Et que l’examen de ce programme ne doit
avoir lieu qu’en 2006 ou 2007. Les 63 scientifiques signalent la pénurie d’articles scientifiques
équivalant à une évaluation indépendante par les pairs au sujet du programme JARPA. Ils
constatent ensuite que, dans le cadre du programme JARPA II, «le nombre de prises annuelles de
petits rorquals sera porté à plus du double et il est prévu de capturer 50 rorquals communs et
50 baleines à bosse». Est également prévu l’«abandon de la méthode de gestion des populations de
baleines acceptée par la CBI» — il s’agit ici d’une référence à la RMP —, en faveur de ce qu’ils
appellent une «méthode conjecturale visant des espèces multiples». Ils signalent l’augmentation
65S. Childerhouse et al. (62 autres auteurs), «Comments on the Government of Japan’s proposal for a second
phase of special permit whaling in Antarctica (JARPA II)», 2006, appendice 2 de l’annexe O1 du rapport du
comité scientifique (2005), J. Cetacean Res. Manage., 2006, vol. 8, p. 260-261 (MA, annexe 52) ; voir également Gales,
exposé d’expert, par. 3.38.
66 Voici quelques exemples : M. Scott Baker, Oregon State University Marine Mammal Institute (Etats-Unis
d’Amérique) ; M. Per Berggren, professeur associé, écologie marine, Université de Stockholm (Suède) ;
M. Bob Brownell, directeur, division des mammifères marins, Southwest Fisheries Science Centre in La Jolla, Californie
(qui a rempli trois mandats en qualité de conseiller scientifique de la Marine Mammal Commission des Etats-Unis
d’Amérique) ; M. Jean-Benoit Charrassin, Musée national d’histoire naturelle de Paris (France) ; M. Frank Cipriano,
directeur, Conservation Genetics Laboratory, San Francisco State University ; M. Bruno Cozzi, faculté de médecine
vétérinaire, Université de Padoue (Italie) ; M. Simon Northridge, chargé d’enseignement principal, faculté de biologie,
University of St. Andrews (Royaume-Uni) ; M. Lorenzo Rojas Bracho, coordonnateur du programme des mammifères
marins, Instituto Nacional de Ecología (Mexique) ; M. Michael Stachowitsch, département de biologie marine, Université
de Vienne (Autriche) ; M. Peter Reijnders, Université et centre de recherche Wagingen (Pays-Bas) ; M. Karl-Herman
Kock, Institut de la pêche marine (Allemagne) ; M. William Perrin, South West Fisheries Center (Etats-Unis
d’Amérique) ; M. Toshio Kasuya, Université scientifique et technologique Teikyo (Japon). - 25 -
sensible des prises annuelles, à des niveaux «avoisinant ceux des quotas commerciaux applicables
aux petits rorquals de l’Antarctique avant le moratoire». (Je me permettrai d’ajouter ici que,
34
immédiatement avant l’entrée en vigueur du moratoire pour le Japon en 1986/1987, le nombre de
petits rorquals de l’Antarctique capturés par le Japon se chiffrait à 1941 (les italiques sont de moi),
ce qui est assez proche du nombre actuel de captures .) Les 63 scientifiques se sont alors dits
d’avis que l’augmentation des prises annuelles, de 300 ou 400 à plus de 800, «dépassait de
beaucoup ce qui était envisagé lorsque l’article VIII de la convention a été rédigé». [Fin de la
projection.] Monsieur le président, puis-je m’interrompre un instant pour rappeler les propos de
M. Walløe, qui a confirmé au cours du contre-interrogatoire que, en examinant les documents du
rédacteur norvégien de la convention de 1937, Birger Bergersen, il avait constaté que ce dernier
o
avait en tête des prises ne dépassant pas dix baleines (les italiques sont de moi). (Onglet n 27.)
o
[Projection à l’écran.] Vous pouvez voir cet entretien, donné en 2007 par M. Walløe (onglet n 28),
avec l’article en question, dans lequel il est cité : «il est bien clair que, dans son esprit, le nombre
de baleines qu’un pays pouvait prendre au nom de la science était de moins de dix ; il n’envisageait
pas que des centaines puissent être tuées à cette fin» (les italiques sont de moi).
28. Mais revenons-en à l’avis des 63 scientifiques. [Projection suivante.] Ceux-ci ont
déclaré qu’il n’était «pas valide, sur le plan scientifique,» d’examiner la proposition relative au
programme JARPA II avant que la commission ait pu dresser un bilan complet du
programme JARPA (les italiques sont de moi). «En présentant cette proposition maintenant,
écrivent-ils, le Gouvernement du Japon a sérieusement compromis» le comité scientifique et mis
«en péril» sa capacité de «fournir un avis scientifique objectif et représentatif». [Fin de la
projection.]
29. Monsieur le président, ces 63 scientifiques qui ont exprimé leurs préoccupations
fondamentales initiales concernant la proposition ne sont pas des quantités négligeables. J’ai
énuméré dans les notes de bas de page certaines de leurs affiliations professionnelles. Il s’agit de
gens sérieux qui se sont conformés aux lignes directrices de la commission, les lignes directrices
67«International Whaling Commission Report 1986-87», Rep. Int. Whal. Commn., vol. 38, p. 1, disponible à
l’adresse : http://iwc.int/annual-reports.
68
V. Morell, «Killing Whales For Science ?», Science, avril 2007, vol. 316 (disponible à l’adresse :
http://www.seaaroundus.org/magazines/2007/Science_MarineBiologyKillingW…), p. 533. - 26 -
énoncées dans l’annexe Y. Leurs préoccupations sont intéressantes à plusieurs points de vue, ne
serait-ce que parce qu’elles correspondent étroitement aux thèmes évoqués maintes fois dans les
questions que les juges ont adressées aux Parties et aux experts. Ainsi, les 63 scientifiques
s’inquiétaient de ce que «la proposition ne comporte pas de date d’expiration et ne prévoit aucune
évaluation à terme», ce qui reflète parfaitement la question posée par M. le juge Cançado Trindade
35 lorsqu’il a demandé s’il était possible de déterminer le nombre total de baleines dont la mise à mort
était nécessaire à la réalisation des objectifs du programme JARPA II . 69 Monsieur le
juge Cançado Trindade, la réponse à votre question est «non», et aucun élément de preuve ne
permet une autre réponse. Les 63 scientifiques ont bien précisé que, afin d’être en mesure
d’évaluer les «interactions écosystémiques», il fallait disposer de l’expertise de la commission pour
la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR). Eh bien, Monsieur le
juge Keith, je crois que cela répond à la question que vous avez adressée à M. Walløe, à qui vous
avez demandé, sauf erreur de ma part, s’il aurait été «logique, sur le plan scientifique», que des
liens soient établis entre le programme JARPA II, d’une part, et la CCAMLR et d’autres projets
concernant l’écosystème de l’Antarctique . La réponse est tout simplement «oui», et M. Walløe
s’est dit d’accord , mais cela ne s’est pas produit.
30. Monsieur le président, je m’interromps ici pour rappeler que le Japon n’a présenté aucun
élément de preuve tendant à montrer qu’on avait tenté d’associer aux travaux réalisés dans le cadre
du programme JARPA II la CCAMLR, le SORP ou même les projets menés par le vénérable
institut national pour la recherche polaire du Japon, dont il a également été fait mention. Ainsi, il
est intéressant de constater que, en 2009, cette institution japonaise a été l’hôte du X symposium
sur la biologie de l’Antarctique, qui a eu lieu à Sapporo (Japon), sous les auspices du comité
scientifique pour les recherches antarctique (SCAR), en marge du programme de recherche
biologique du SCAR portant sur l’évolution et la biodiversité dans l’Antarctique. On aurait pu
penser que cela présentait un certain intérêt pour les promoteurs du programme JARPA II et qu’ils
participeraient au symposium, notamment l’institut de recherche sur les cétacés, censé s’adonner à
69
CR 2013/14, p. 51 (Walløe).
70CR 2013/14, p. 58 (Walløe).
71
Ibid. - 27 -
des recherches portant précisément sur le sujet du symposium de Sapporo en 2009. Ont participé
au symposium quelque 255 scientifiques éminents et doctorants provenant de 22 pays. Le
programme indique que, sur 113 exposés oraux, aucun n’a porté sur les résultats des recherches
effectuées dans le cadre des programmes JARPA ou JARPA II. Et parmi les 122 articles présentés
au symposium, aucun ne se rapportait à l’un ou l’autre de ces programmes. Aucun élément de
preuve présenté à la Cour n’indique que l’un quelconque des scientifiques de l’institut de recherche
72
sur les cétacés ait assisté au symposium , alors qu’ils soutiennent que leurs recherches
scientifiques sont liées à l’objet principal de celui-ci.
36 31. Pour en revenir à l’avis des 63 scientifiques, ces derniers ont signalé que la proposition
JARPA II — et je cite, car c’est très important — «n’[énonçait] aucune hypothèse bien définie ni
aucun critère de rendement». Deux choses sont à remarquer ici. D’abord, ce point de vue
concorde tout à fait avec celui exprimé par M. Mangel dans son exposé d’expert, et l’on sait
maintenant que M. Walløe y souscrit dans une large mesure, comme il l’a confirmé en réponse à
votre question, Monsieur le juge Yusuf . Mais, chose plus importante encore, il confirme que,
pour ces 63 scientifiques, la présentation d’«hypothèses bien définies» était nécessaire, en 2005,
pour l’examen du programme JARPA II au regard des lignes directrices alors applicables.
32. Ces citations concernaient simplement les objectifs du programme JARPA II. Mais le
ton était tout aussi acerbe à l’égard de la méthodologie du programme. Les 63 scientifiques ont
déclaré que «la nouvelle proposition avance un raisonnement non étayé pour expliquer
l’augmentation à plus du double des captures de petits rorquals». Cette préoccupation, concernant
ce raisonnement non étayé, correspond parfaitement aux deux questions qu’a posées au Japon
M. le juge Greenwood, à propos des bases sur lesquelles il s’appuyait pour augmenter la taille des
échantillons avant que le programme JARPA ait pu être examiné . Le raisonnement en question
n’était pas étayé il y a huit ans, en 2005, et il ne l’était toujours pas la semaine dernière, en
72Rapport sur le point n 19 de l’ordre du jour de la XXXI réunion du Groupe scientifique permanent du SCAR
sur les sciences de la vie, Buenos Aires, 2010, disponible à l’adresse :
http://www.scar.org/researchgroups/lifescience/meetings/2010meeting/LSS….
73
CR 2013/14, p. 53 (Walløe).
74
CR 2013/16, p. 62. - 28 -
juillet 2013. On aurait pu s’attendre à ce que, au cours de cet intervalle de huit ans, ils arrivent à
trouver quelque chose ; or ils n’ont rien pu trouver.
33. A la suite des événements survenus au sein du comité scientifique, la question a été
présentée à la cinquante-septième réunion annuelle de la commission. Vous pouvez trouver des
extraits du rapport sous l’onglet n 29 du dossier de plaidoiries. [Projection à l’écran.] A la
page 37 de ce rapport, remarquez le résumé succinct de ce qui a transpiré au comité scientifique :
«il y a eu un grave désaccord au sein du Comité quant aux avis qui devraient être fournis sur un
certain nombre de questions, notamment : la pertinence des recherches proposées par rapport à la
gestion, les tailles appropriées d’échantillons et l’applicabilité de méthodes de recherche
alternatives (non létales)». [Fin de la projection.] Mais où est donc l’appréciation favorable,
M. Akhavan ? Où est cette appréciation favorable ? Sur la page suivante, vous avez les détails de
la résolution qui a été adoptée et qui exhortait le Japon à retirer ou à reviser la proposition
JARPA II. C’est à cette même résolution que l’Attorney-General a fait référence hier. Vous y
trouverez également la liste des 26 Etats qui l’ont appuyée, et qui a été lue hier. Trois de ces
37
Etats — et je suis certain, Monsieur le président, que vous aurez remarqué quels sont ces
trois Etats — avaient tout juste adhéré à la convention au début de la même année. S’agit-il là
aussi de pirates, Monsieur Akhavan, pour s’être aussi rendus complices de la «prise en otage de la
75
CBI» ?
34. Et qu’est-il arrivé au cours de ces huit années ? Rien du tout. Tout ce que M. Boyle a pu
faire, c’est vous renvoyer aux appendices 3 à 8 de la proposition relative au programme JARPA. Il
vous a montré une formule, mais n’a pu fournir aucune explication sur le mode de détermination de
la taille des échantillons, ni sur la nécessité de l’augmentation par rapport au programme JARPA.
Vous l’avez vu vous-mêmes s’agiter devant la Cour en proclamant que «personne d’entre nous ne
76
comprend» . Il espérait sans doute que M. Walløe lui vienne en aide, mais, au moment où
M. Boyle est venu à la barre, l’expert s’était déjà dissocié des juristes pour rejoindre les 63 autres
scientifiques et s’était distancié de la position du Japon. «[J]e ne sais pas vraiment comment les
75CR 2013/12, p. 48, par. 33 (Akhavan).
76CR 2013/15, p. 64, par. 74 (Boyle). - 29 -
tailles d’échantillons ont été calculées», a-t-il déclaré à la Cour . Vous avez donc le choix : d’un
78 79
côté, les 63 membres du comité scientifique ainsi que MM. Mangel , Gales et Walløe, tous
d’accords sur l’absence d’explication pour justifier les tailles d’échantillons fixées dans la
proposition relative au programme JARPA II ; de l’autre, faisant cavalier seul, M. Boyle,
brandissant un manuel et déclarant avec un sérieux et un aplomb admirables : «je n’ai pas la
moindre idée» de ce que tout cela signifie . Monsieur le président, je n’ai jamais entendu de
concession aussi mémorable dans un prétoire.
35. Il semble exister entre les Parties un terrain d’entente quant à certains aspects des normes
et critères que devait appliquer le comité scientifique, en 2005, à la proposition relative au
programme JARPA II. Le Japon paraît maintenant convenir avec nous que les lignes directrices
applicables de 2005 sont celles qui sont énoncées à l’annexe Y, compilation d’une série de
81
résolutions de la CBI sur les permis spéciaux , y compris les résolutions 1995-9 et 1999-2, dont je
vous ai parlé il y a deux semaines . M. Crawford abordera plus avant la portée juridique de ces
38 lignes directrices réunies à l’annexe Y et leur incidence. Les lignes directrices actuellement
applicables, qui sont énoncées à l’annexe P, ont été adoptées par consensus. M. Boyle vous a dit
que l’adoption de ces lignes directrices avait rendu caduques toutes les résolutions antérieures . 83
84
Or il n’en est rien, comme l’a expliqué clairement l’Attorney-General de la Nouvelle-Zélande .
La survie des résolutions antérieures est confirmée par l’examen du programme JARPA II de 2009,
le premier à être effectué sous le régime de l’annexe P. Cet examen y a été effectué à la lumière
des résolutions mentionnées à l’annexe H du rapport (je préciserai les références dans les notes du
85
présent document), y compris la résolution 1995-9 de la CBI .
77
CR 2013/14, p. 41 (Walløe).
78
CR 2013/9, p. 45 (Mangel).
79
Gales, exposé d’expert, par. 3.25, 3.42.
80CR 2013/15, p. 63, par. 69 (Boyle).
81CR 2013/12, p. 53, par. 33 (Boyle).
82CR 2013/10, p. 35-37 (Sands).
83
CR 2013/15, p. 55, par. 36 (Boyle).
84
CR 2013/17, p. 31, par. 54 (Finlayson).
85
«Repoet of the Expert Workshop to Review the Ongoing JARPN II Programme», J. Cetacean Res. Manage.,
2010, vol. 11 (2 suppl.), p. 405-449 (SC/61/Rep.1), disponible à l’adresse : http://iwc.int/workshop-reports#!year=2009,
p. 423, 448. - 30 -
36. M. Boyle s’est montré aussi peu loquace au sujet des normes applicables au titre de
l’annexe Y qu’il ne l’avait été au sujet de l’équation, ou formule. Vous vous souviendrez peut-être
86
que j’avais défini cinq questions découlant des normes de l’annexe Y :
Premièrement, la proposition concerne-t-elle un programme conçu «en vue de recherches
scientifiques» ?
Deuxièmement, la proposition est-elle présentée dans des «circonstances exceptionnelles» ?
Troisièmement, les questions que le programme de recherche scientifique vise à explorer
portent-elles sur des points d’importance critique ?
Quatrièmement, les questions posées peuvent-elles être résolues par l’analyse des données
existantes ?
Cinquièmement, enfin, ces questions peuvent-elles être résolues au moyen de méthodes de
recherche non létales ?
37. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, M. Boyle n’a rien trouvé à
redire à ces questions, et il est difficile de voir comment il aurait pu faire autrement. Il s’est
contenté de consacrer la moitié d’un paragraphe au soi-disant examen dont le programme
JARPA II aurait fait l’objet, en l’absence des 63 scientifiques . En divers endroits, le rapport
faisant suite à cet examen précise que les réponses du comité sont forcément «limitées», étant
donné l’abstention des 63 scientifiques, et que le comité ne présente en conséquence aucune
conclusion ou recommandation. Même M. Boyle a reconnu que ce soi-disant examen avait été
expédié. Le programme «a bel et bien été examiné», vous a-t-il dit, et «il semble bien que les
membres du comité aient considéré qu’il avait été satisfait à l’annexe Y» . Mais, bien entendu, il
39
n’en sait rien puisqu’il n’y était pas et qu’aucune conclusion n’a été formulée, dans un sens ou dans
l’autre. Le fait est que ni l’une ni l’autre des questions soulevées par l’annexe Y n’a été étudiée
comme il se doit.
38. Examinons donc ces cinq questions à la lumière des arguments présentés par le Japon et
de l’exposé de M. Walløe.
86
CR 2013/10, p. 36 (Sands).
87«Report of the Scientific Committee», 2005, J. Cetacean Res. Manage., 2006, vol. 8 (suppl.), disponible à
l’adresse : http://iwc.int/scientifc-committee-reports, p. 48-52.
88
CR 2013/15, p. 54, par. 35 (Boyle). - 31 -
39. Premièrement, la proposition concernait-elle un programme conçu «en vue de recherches
scientifiques» ? Nous sommes d’avis que cette question invite la Cour à se faire une idée des
caractéristiques essentielles que doit revêtir un programme conçu «en vue de recherches
scientifiques». Nous avons exposé dans le mémoire nos vues sur ce point, qui ont été confirmées
par l’exposé de M. Mangel. Dans son contre-mémoire, le Japon n’a présenté aucun avis d’expert,
se bornant à qualifier d’impropres les critères proposés par M. Mangel, mais sans toutefois se
donner la peine de proposer une solution de rechange. M. Mangel s’est montré assez ferme
lorsqu’il a été interrogé par les conseils du Japon, qui n’ont même pas tenté d’aborder les critères
formulés par lui et ont même mis fin prématurément au contre-interrogatoire. M. Mangel a
expliqué comment il avait défini ces critères, compte tenu de la pratique sous le régime de la
convention, au sein du comité scientifique et dans les milieux scientifiques en général, dont il a
dressé un portrait clair et crédible.
40. Et que dit le Japon de la position défendue par l’Australie ? Eh bien, M. Boyle a reconnu
89
que la convention de 1946 ne comportait aucune définition , mais n’a offert à la Cour aucun outil
lui permettant d’aller plus loin, et s’est limité à formuler la proposition suivante : «l’on ne saurait
répondre à cette question en se référant à des éléments de preuve d’expert présentés par d’éminents
90
scientifiques» . Et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi, après la volte-face de M. Walløe.
Il a passé tout au plus cinq minutes sur le sujet, même s’il a fini par accepter, tout comme le Japon,
91
qu’il s’agissait bien d’une question «qu’il incombe à la Cour de trancher» . Il a consacré ces cinq
minutes à l’exposé de M. Mangel, en évitant toute question de fond. Il a déclaré à la Cour, sur un
ton assez regrettable, que M. Mangel avait abordé l’affaire dans la perspective d’un professeur
d’université, enfermé dans sa tour d’ivoire, et offert ce que M. Boyle a appelé une «digression tout
à fait passionnante» .2
40 41. La Cour est à même de faire la part des choses. Comme le montre son curriculum vitae,
M. Mangel conseille depuis nombre d’années, dans une perspective pratique et concrète,
89
CR 2013/15, p. 47, par. 12 (Boyle).
90CR 2013/15, p. 44, par. 2 (Boyle).
91Ibid., p. 47, par. 11 (Boyle).
92
CR 2013/15, p. 46, par. 13 (Boyle). - 32 -
gouvernements et organisations internationales en ce qui concerne leurs véritables activités de
recherche scientifique. Pendant huit ans, il a fait partie du United Kingdom Special Committee on
Seals (comité spécial du Royaume-Uni sur les phoques), qui conseille le gouvernement britannique,
sur le plan scientifique, à propos des questions relatives à la gestion des populations de phoques.
Pour être enfermé dans sa tour d’ivoire, il n’en a pas moins été nommé président du comité par le
Gouvernement du Royaume-Uni . Il y a deux mois, il a été nommé membre fondateur du comité
d’examen scientifique de la Commission internationale du flétan du Pacifique, organe
intergouvernemental chargé de l’étude et de la gestion des populations de flétan du Pacifique pour
le compte des Etats-Unis d’Amérique et du Canada, sous le régime d’une convention datant
de 1923 . Il est donc très bien placé pour émettre un avis entièrement indépendant et concret sur
ce qui constitue ou non de la recherche scientifique.
42. Puisant dans sa vaste expérience, il a aidé l’Australie et, selon nous, la Cour à formuler
les critères applicables, tout en en expliquant le fondement, notamment dans la pratique de la CBI.
43. La position de M. Boyle aurait été plus défendable s’il avait proposé des critères de
rechange, mais il n’en a rien fait. La science se résumerait à la définition que lui-même et le Japon
en donnent, rien de plus, rien de moins. Si le Japon déclare à la commission et au comité
scientifique, ainsi qu’à la Cour, que la collecte de données constitue une activité scientifique, il
devrait en être ainsi. Si le Japon affirme devant vous qu’un local rempli des restes de centaines de
milliers de baleines atteste d’une activité scientifique, vous devriez vous rendre à l’évidence et
95
accepter que tel est bien le cas. M. Boyle a consacré un seul paragraphe à cet argument , tandis
que, dans un autre, il formule le souhait qu’il ne sera plus question de la nécessité de formuler des
96
hypothèses . Il semble avoir peu d’admiration pour M. Poincaré, et serait heureux de voir la Cour
conclure, devant une pile de carcasses de baleines, à l’exercice d’une activité scientifique. Il ne
semble pas non plus avoir beaucoup de considération pour l’impressionnant ouvrage intitulé Angels
and Ages, auquel M. le juge Keith a fait référence, à propos des progrès scientifiques. «C’est de
93
http://www.smru.st-andrews.ac.uk/pageset.aspx?psr=411.
94http://blog.pugetsoundinstitute.org/2013/06/marc-mangel-appointed-to-in….
95
CR 2013/15, p. 48, par. 16 (Boyle).
96
CR 2013/15, par. 17 (Boyle). - 33 -
l’essor que permettent les données, et non de leur amoncellement, comme l’aurait dit
41 Muhammad Ali, que dépend le progrès». Telle est l’opinion d’Adam Gopnik, auteur de cet
ouvrage, sur la question même qui fait l’objet du présent litige . 97
44. Le fossé qui sépare M. Boyle de M. Walløe est incontestablement très profond. Son
expert lui a fait faux bond. Lorsque M. le juge Yusuf lui a demandé ce qu’il pensait des quatre
critères formulés par M. Mangel, M. Walløe a répondu : «j’en approuve l’essentiel» . A propos de
la nécessité d’une hypothèse, il a déclaré : «j’admets ... qu’il doit y avoir certaines questions, des
points que les scientifiques aimeraient explorer» . 99 La différence qui sépare MM. Walløe et
Mangel est une question de degré et non de principe. Pourtant, les objectifs du programme
JARPA II ne comportent aucune question ou hypothèse, comme l’a reconnu M. Walløe, si ce n’est
l’hypothèse de l’excédent de krill. Or le Japon a bien dit, au paragraphe 5.31 de son
contre-mémoire, qu’il n’entendait pas explorer cette question . 100
45. Le moment est peut-être bien choisi pour en revenir à la question de Mme la
juge Donoghue, relativement au projet de génome humain, auquel le programme JARPA II n’est
manifestement pas comparable, puisque le premier s’inscrivait dans un cadre conceptuel global,
selon lequel bon nombre, voire la totalité des maladies humaines auraient une composante
génétique majeure. Il s’agit de l’hypothèse associant les maladies courantes aux variations
101
génétiques courantes («common variant» hypothesis) . Or le projet de génome humain répondait
à tous les critères définis par M. Mangel :
Il répondait à un besoin scientifique global ;
Il comportait une question spécifique jalonnée d’indicateurs mesurables et comportant un
objectif défini ;
Il reposait sur les méthodes appropriées, dont il prévoyait la mise au point ;
97
A. Gopnik, Angels and Ages: A Short Book about Darwin, Lincoln and Modern Life, 2009, p. 71.
98CR 2013/14, p. 53 (Walløe).
99Ibid.
100
Voir CMJ, par. 5.31.
101E. Lander, «The New Genomics: Global Views of Biology», 1996, Science, vol. 274, p. 536-539 ; G. Gibson,
«Rare and common variants», 2012, Nature Reviews Genetis, vol. 13, p. 135-145. - 34 -
Il prévoyait la publication et l’évaluation rapides parmi les pairs indépendants . 102
J’ai précisé mes sources dans les notes de bas de page du présent document, à votre
intention, Madame la juge Donoghue.
42 46. Peu après le début de ce projet, certains scientifiques se sont dits préoccupés,
relativement au point que vous avez soulevé, par l’idée que la production rapide de données puisse
compromettre le principe suivant lequel la science exige des hypothèses vérifiables. Un certain
nombre d’articles ont été publiés dans le périodique Genome Research . Finalement, les auteurs
ont convenu que l’existence d’hypothèses vérifiables — et non la vérification d’hypothèses au sens
statistique — était le fondement même de la science, et j’ai fourni des sources à ce sujet dans les
notes de bas de page.
47. M. Walløe a reconnu lui aussi que ce qui constitue «le bon éventail d’outils
104
empiriques» — la méthodologie — dépendait de la question à explorer, c’est-à-dire l’hypothèse .
Il n’a opposé aucune objection au troisième critère formulé par M. Mangel et portant sur
l’évaluation indépendante par les pairs. Il a reconnu l’importance d’une telle évaluation et
confirmé à l’intention de la Cour que l’examen du comité scientifique ne saurait la remplacer. Il a
même ajouté devant vous, et ce plus d’une fois, qu’il se faisait un point d’honneur de faire évaluer
105
par des pairs les articles qu’il écrivait sur des sujets dont est saisi le comité scientifique . Mais
pourquoi le ferait-il si l’examen du comité scientifique devait être considéré comme suffisant ?
Enfin, M. Walløe a déclaré à M. le juge Yusuf qu’il était également d’accord avec le quatrième
critère formulé par M. Mangel, concernant la nécessité de mettre les populations en danger . 106
48. En somme, à en juger par les éléments de preuve fournis par ces deux experts, il n’y a
pas entre eux de désaccord important quant aux critères devant servir à déterminer si une activité
peut à bon droit être considérée comme de la recherche scientifique. Cela étant maintenant
102F. Collins, M. Morgan et A. Patrinos, «The Human Genome Project: Lessons from Large-Scale Biology»,
Science, 2003, vol. 300, p. 286-290 ; H. Williams, «Intellectual property rights and innovation: Lessons from the human
genome», Journal of Political Economy, 2013, vol. 121, p. 1-27.
103J. Engert, «Unlimited Hypothesis Research», Genome Research, 2000, vol. 10, p. 271-272 ; L. Goodman,
«Hypothesis-Limited Research», Genome Research, 1999, vol. 9, p. 673-674 ; K. Lastowski et W. Makalowski,
«Methodological Function of Hypotheses in Science: Old Ideas in New Cloth», Genome Research, 2000, vol. 10,
p. 273-274.
104CR 2013/14, p. 53 (Walløe).
105
CR 2013/14, p. 20, 21, 31, 52 (Walløe).
106Ibid., p. 53 (Walløe). - 35 -
clairement établi, je comprends très bien l’appréhension qu’a pu ressentir M. Lowe à l’idée
d’interroger de nouveau M. Walløe. Cela n’avait en effet rien de surprenant, et M. Boyle n’avait
d’autre choix que de poursuivre dans la même voie, c’est-à-dire tenter de vous convaincre que l’on
ne saurait répondre à la question de savoir ce qui constitue de la recherche scientifique «en se
référant à des éléments de preuve d’expert présentés par d’éminents scientifiques» , sachant
maintenant que vous n’êtes pas d’accord avec lui et que vous comptez examiner les éléments de
preuve scientifiques, et devez pour ce faire vous en remettre à ce qu’on dit les deux experts. Le
problème qui se pose pour M. Boyle et ses collègues conseils du Japon est que l’expert qu’ils ont
43 cité s’est pour ainsi dire rallié à la position de l’Australie. Cela reflète également de leur part la
reconnaissance de l’utilité et de la nécessité de l’expertise. Ayant pris ce parti, ils ne peuvent plus
revenir en arrière et se trouvent maintenant pris au piège. M. Walløe est l’expert du Japon, du
moins pour l’instant — et nul ne sait pour combien de temps encore —, mais le Japon ne peut
revenir sur ce qu’il a avancé devant la Cour.
49. Mais où cela mène-t-il la Cour ? Le critère devant servir à déterminer si le programme
JARPA II a été conçu «en vue de recherches scientifiques» a déjà pris forme et n’est plus contesté.
Les critères définis par M. Mangel, auxquels s’est rallié M. Walløe dans une large mesure,
devraient aider la Cour à répondre à la première question posée par l’annexe Y. Les autres
questions découlent de cette annexe elle-même. J’aimerais maintenant aborder les autres critères,
mais le moment est peut-être bien choisi, Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Le moment est sans doute opportun pour vous permettre, ainsi qu’aux
membres de la Cour, de vous détendre un peu. Pause-café de quinze minute.
L’audience est suspendue de 11 h 35 à 11 h 50.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Sands, si vous êtes prêt à continuer, nous
sommes prêts à vous entendre. Vous avez la parole.
107CR 2013/15, p. 44, par. 2 (Boyle). - 36 -
M. SANDS : Merci beaucoup, Monsieur le président. Je vais essayer de retenir votre
attention, même si je sais que ces questions scientifiques ne sont pas des plus accessibles. Je
parlais donc des critères et j’ai passé un certain temps à définir les autres critères qui, selon nous,
auraient dû être présentés à la Cour. Permettez-moi maintenant d’aborder la question de
l’application de ces critères en l’espèce.
IV. L’application des critères : qu’est-ce que la recherche scientifique ?
50. La première question qui se pose sous le régime de l’annexe Y nous amène directement
aux quatre critères définis par M. Mangel. Comme je l’ai mentionné, il n’y a pas de désaccord
véritable entre MM. Mangel et Walløe en ce qui concerne le premier critère, à savoir que, pour
pouvoir être considéré comme relevant de la recherche scientifique, le programme JARPA II devait
comporter des objectifs bien définis et réalisables, susceptibles de produire des connaissances
importantes pour la conservation et la gestion des populations de cétacés. Remplir ce critère
suppose la définition d’hypothèses spécifiques, ou de questions, comme l’a reconnu M. Walløe.
44 Vous vous souviendrez que 63 membres du comité scientifique ont refusé de participer à l’examen
108
du programme JARPA II parce qu’il «n’[énonçait] aucune hypothèse bien définie» .
51. Le Solicitor-General a interrogé M. Walløe au sujet des objectifs du programme
JARPA II et, comme vous avez pu le constater, ce dernier a été incapable de désigner les
109
hypothèses ou questions sous-tendant les objectifs , à l’exception de l’hypothèse concernant
l’excédent de krill.
52. L’absence d’hypothèses ou de questions est absolument rédhibitoire pour
l’argumentation du Japon. L’importance des hypothèses tient à ce qu’elles définissent la nature des
données nécessaires et devant être recueillies. Il est impossible de déterminer la taille des
échantillons sans un ensemble de questions claires. Lors du contre-interrogatoire, M. Walløe a
reconnu — et je cite, je reprends bien soigneusement les termes qu’il a employés — «il y a un
rapport entre la formulation de l’hypothèse et ... le choix des méthodes» . Il s’agit là selon nous
d’un point et d’un aveu de nature capitale, qui rend l’exposé particulièrement épineux pour le
108
Voir ci-dessus, par. 31.
109CR 2013/14, p. 40 (Walløe).
110Ibid., p. 35 (Walløe). - 37 -
Japon. Le choix de mettre à mort ou non fait partie de la méthodologie et détermine la taille des
échantillons. «[J]e ne sais pas vraiment comment les tailles d’échantillons ont été calculées, a
111
déclaré M. Walløe, [j]e suis contraint de faire des suppositions» . Comme vous avez pu le voir,
lorsqu’on lui a demandé s’il pouvait par ailleurs trouver dans le programme JARPA quelque
justification pour conclure que l’évolution du taux de gestation sur une période de douze ans
constituait «une hypothèse plausible, qui méritait d’être testée», sa réponse a été on ne peut plus
112
claire : «Non» . Puis, lorsqu’a été abordée la question des suppositions faites par le Japon pour
justifier la capture de 50 rorquals communs et de 50 baleines à bosse sur une période de douze ans,
au lieu de la période de six ans envisagée pour le petit rorqual, il a répondu tout simplement : «je
n’ai jamais apprécié le projet portant sur les rorquals communs», et vous aurez sans doute perçu
l’agitation qui s’est fait sentir de l’autre côté de la salle lorsqu’il a prononcé ces mots. Faisant
ensuite monter la tension d’un cran, il a ajouté que «le projet relatif aux baleines à bosse présente
également des lacunes», puis que, faute de connaître les suppositions sur lesquelles le Japon
113
s’appuyait, le fondement statistique invoqué par ce dernier «n’[avait] plus aucune valeur» . C’est
bien l’expression qu’il a employée : «aucune valeur». On aurait alors pu penser que rien de pire ne
pouvait arriver. Eh bien, on se serait trompé. Lorsqu’on lui a demandé s’il pouvait expliquer le
choix d’une période de douze ans pour le rorqual commun et la baleine à bosse, par comparaison
45 avec la période de six ans arrêtée pour le petit rorqual, sa réponse a, de nouveau, été fort claire et
114
tout aussi affligeante : «Non» .
53. M. Walløe a confirmé la nécessité d’hypothèses et le lien évident entre les questions que
la recherche scientifique doit permettre d’explorer et les méthodes à choisir. En somme, il est
impossible de déterminer combien de baleines doivent être mises à mort sans connaître avec un
certain degré de précision les questions qu’il s’agit d’explorer. M. Walløe l’a confirmé très
franchement.
111
Ibid., p. 41 (Walløe).
112Ibid., p. 44 (Walløe).
113Ibid.
114
CR 2013/14, p. 45-46 (Walløe). - 38 -
54. C’est à M. Boyle qu’est revenue la tâche impossible de limiter les dégâts. Il n’a rien pu
faire d’autre que déclarer devant vous que les chiffres de 850 petits rorquals, 50 rorquals communs
115
et 50 baleines à bosse constituaient un «compromis» , sans offrir la moindre explication
scientifique. Les difficultés entourant la taille des échantillons hantent M. Boyle dans son
116
argumentation, tout comme elles hantaient le comité scientifique en 2005 ainsi que les
63 membres du comité scientifique, pour qui cette question constituait l’une des raisons de leur
117
refus de participer au processus .
55. J’en viens à la deuxième caractéristique que doit présenter tout programme conçu «en
vue de recherches scientifiques», à savoir la nécessité d’appliquer les méthodes appropriées aux
objectifs formulés. Le Japon n’a proposé aucune justification scientifique pour expliquer pourquoi
il estime nécessaire de mettre à mort autant de baleines. Mais ses difficultés sont en réalité plus
profondes : il n’a pas su justifier scientifiquement la mise à mort de ne serait-ce qu’une seule
baleine. De l’avis de M. Mangel, confirmé par M. Walløe, et comme il ressort des exigences
posées par les lignes directrices énoncées par l’annexe Y, il devrait pouvoir être fait usage de
méthodes létales seulement que lorsque cela est nécessaire et que les objectifs de la recherche ne
peuvent être atteints au moyen de méthodes non létales.
56. Afin de répondre à cette exigence, le Japon devait démontrer qu’il avait suivi une
certaine démarche : il devait établir qu’il avait défini les questions que son programme visait à
explorer, puis, sur cette base, déterminé les données qu’il recherchait, avant d’arrêter les différentes
méthodes permettant d’y parvenir. Mme la juge Donoghue a demandé au Japon dans quelle
mesure il avait examiné la possibilité de recourir à des méthodes non létales avant de fixer, pour
118
chaque année du programme JARPA, la taille des échantillons . Les questions ont été formulées
46 de façon très claire et compréhensible, et visaient le programme JARPA II, et non le programme
JARPA. Or, pour toute réponse, M. Boyle s’est contenté de renvoyer Mme la juge Donoghue à un
document rédigé en 1997 au sujet du programme JARPA, soit huit ans avant la présentation de la
115
CR 2013/15, p. 64, par. 73 (Boyle).
116«Report of the Scientific Committee», 2005, J. Cetacean Res. Manage., 2006, vol. 8 (suppl.), disponible à
l’adresse : http://iwc.int/scientifc-committee-reports, p. 51.
117Voir ci-dessus, par. 32.
118
CR 2013/12, p. 64 (Donoghue). - 39 -
proposition relative au programme JARPA II. Il nous a semblé très clair, d’après cette réponse et
ce qu’il s’est abstenu de dire, que la réponse à votre question, Madame la juge Donoghue, était que
le Japon n’envisageait jamais, que ce soit périodiquement ou ponctuellement, la possibilité de
recourir à des méthodes non létales.
57. Votre deuxième question concernait l’incidence de cet examen sur la taille des
échantillons : «quelle a été l’incidence de cette analyse sur la taille des échantillons ?» En guise de
réponse, M. Boyle a déclaré : «nos scientifiques ne sont pas certains d’en avoir bien saisi la
teneur» . Pour ma part, je considère que la question était remarquablement claire. Et force est de
répondre que l’incidence de cette analyse a été nulle, puisqu’une telle analyse n’a jamais eu lieu.
26. M. Boyle a également tenté de répondre à la question de Monsieur le juge Bhandari, qui
a demandé si, avant de lancer le programme JARPA II, le Japon avait établi qu’il effectuait des
recherches au moyen de méthodes létales sur une si vaste échelle parce que cela répondait à un
120
besoin essentiel et parce qu’aucune autre méthode n’était disponible . Chose intéressante,
M. Boyle s’en est pris à l’expression choisie — je suis certain que vous vous en souvenez —,
mettant en doute que la mise à mort de 850 petits rorquals, de 50 rorquals communs et de
50 baleines à bosse chaque année à tout jamais puisse être qualifiée de «recherches à grande
échelle». Eh bien, il est permis de se demander ce qui, à ses yeux pourrait justifier l’emploi du
terme «grande échelle». Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins qu’il n’a fourni aucune
réponse substantielle, se bornant à affirmer, sans preuve à l’appui, qu’aucune autre méthode n’était
121
disponible . Encore une fois, ses réponses contredisaient les éléments de preuve produits, en
particulier l’exposé de M. Walløe. Ce dernier a en effet déclaré la semaine dernière devant la Cour
que l’échantillon de 300 ou 400 petits rorquals prévu par le programme JARPA — je dis bien
JARPA — était un nombre «élevé» , alors qu’il représente moins de la moitié des captures
annuelles de petits rorquals prévues pour le programme JARPA II, sans compter les rorquals
communs et les baleines à bosse. Quant au programme JARPA II lui-même, j’ai déjà signalé que
119
CR 2013/15, p. 70, par. 97 (Boyle).
120CR 2013/14, p. 74 (Bhandari).
121
CR 2013/15, p. 70 (Boyle).
122
CR 2013/14, p. 50 (Walløe). - 40 -
le nombre de 850 baleines par année — ou 935 — n’est pas très éloigné des derniers quotas
123
commerciaux du Japon — soit 1941 — pour la campagne 1986-1987 .
47 59. Ce qui est frappant, Monsieur le juge Bhandari, c’est qu’il ne vous ait dirigé vers aucun
élément de preuve montrant que la recherche devait répondre à un besoin «essentiel», comme
l’exigeait l’annexe Y. Il en était bien évidemment incapable. La réponse à votre question est
qu’aucun élément de preuve n’a été présenté à la Cour pour montrer que le Japon avait établi
l’existence d’un besoin essentiel pour entreprendre ces recherches ou l’absence de méthodes de
rechange non létales. Aucun. Au contraire, les éléments disponibles prouvent que, puisque le
programme JARPA II a été lancé avant que le bilan du programme JARPA ait pu être dressé, il
aurait été impossible de définir quelque besoin essentiel en matière de recherche. C’est pourquoi
les 63 membres du comité scientifique ont refusé d’être associés au processus d’examen. Ils
souhaitaient voir les résultats du programme JARPA. Le Japon a choisi de ne pas attendre.
60. MM. Hamamoto et Boyle se sont réclamés du rapport établi en 2009 par le groupe
d’experts chargé de l’examen du programme JARPN II — j’ai bien dit JARPN —, qui prouverait
selon eux que les méthodes non létales de collecte de données — marquage à l’aide de balises
permettant un suivi satellitaire, échantillonnage biopsique, etc. — étaient inutilisables ou non
124
disponibles . [Projection à l’écran.] Eh bien, il semble que la page 426 du rapport — qui est
reproduite sous l’onglet n 31 du dossier de plaidoiries — leur ait échappé, puisque c’est
précisément ce qui était «fortement» recommandé, en caractères gras : le Japon était invité à
«comparer, sur le plan quantitatif, les techniques de recherche létales et non létales, à supposer
qu’il décide de poursuivre un programme d’échantillonnage létal», et à collaborer «à la conception
d’une étude portant spécifiquement sur l’évaluation exhaustive des techniques létales et non
létales» . Voilà la réponse complète aux questions des juges Donoghue et Bhandari. C’était
faisable. Mais est-ce que cela a été fait ? Non. Le Japon n’a pas donné suite aux recommandations
123Voir ci-dessus, par. 27.
124
CR 2013/13, p. 19, par. 24 (Hamamoto) ; CR 2013/15, p. 59, par. 59 (Boyle).
125
«Repert of the Expert Workshop to Review the Ongoing JARPN II Programme», J. Cetacean Res. Manage.,
2010, vol 11 (2 suppl.), p. 405-449 (SC/61/Rep.1), disponible à l’adresse : http://iwc.int/workshop-reports#!year=2009,
p. 426, 432. - 41 -
de 2009, comme vous pouvez le voir vous-mêmes à l’écran. Il a tout simplement décidé d’écarter
les méthodes non létales. [Fin de la projection.]
61. J’aimerais maintenant dire un mot sur trois ou quatre questions qui sont devant vous.
Mais il se pourrait que vous n’ayez pas à en tenir compte pour statuer en l’espèce. Il s’agit des
données relatives à l’âge, de l’épaisseur de graisse, du contenu stomacal et de la redoutable RMP.
Données relatives à l’âge : je suppose qu’il me faut aborder la question des bouchons de cérumen,
puisque le Japon a fait grand cas du fait que les experts de l’Australie avaient déclaré que les
données relatives à l’âge pouvaient être utiles et qu’elles ne pouvaient être obtenues qu’au moyen
de méthodes non létales. Je tiens à exprimer clairement la position de l’Australie sur ce point :
l’âge de l’animal peut constituer un paramètre important à certains égards, à condition que la
48
126
question soit bien définie et qu’il puisse être mesuré avec précision . Mais les résultats obtenus
au cours des vingt-six années qu’ont duré les programmes JARPA et JARPA II ont montré maintes
fois et sans la moindre ambigüité que les estimations d’âge effectuées au moyen des méthodes
létales que pratique le Japon n’ont pas permis de produire des données fiables ou des résultats
utiles. A l’issue de l’examen effectué en 2006 au sujet du programme JARPA, on a conclu que les
estimations des taux de mortalité naturelle fondées sur les données relatives à l’âge recueillies dans
le cadre de ce programme étaient tellement peu fiables que ce paramètre demeurait «pour ainsi dire
127
inconnu» .
62. Nous avons mentionné cela au premier tour et, en réaction, le Japon s’est tourné vers
l’analyse des données sur les prises par âge à partir des données relatives à l’âge recueillies dans le
cadre des programmes JARPA et JARPA II, faisant valoir que cela permettrait de définir les
128
tendances démographiques et d’estimer les taux de rendement de renouvellement .
Mme Takashiba a affirmé que, grâce à ces données, «le comité scientifique dispose d’estimations
129
fiables sur le taux de mortalité naturelle et le ratio de rendement maximum de renouvellement» .
126CR 2013/10, p. 31 (Gales) ; CR 2013/9, p. 65 (Mangel).
127«Report of the Intersessional Workshop to Review Data and Results from Special Permit Research on Minke
Whales in the Antarctic» Tokyo, 4–8 décembre 2006, J. Cetacean Res. Manage., 2008, vol. 10 (suppl.), p. 434 ; voir
également Gales, exposé d’expert, quatrième point du par. 5.9 ; N. Gales, «Déclaration de Nick Gales en réponse à la
déclaration d’expert du professeur Lars Walløe», 31 mai 2013 (Gales, réponse à M.Walløe), par. 3.13.
128
CR 2013/15, p. 68, par. 91 (Boyle).
129
Ibid., p. 41, par. 35 (Takashiba). - 42 -
Eh bien, c’est peut-être là l’opinion des conseils, mais elle ne correspond pas à celle que le comité
scientifique a exprimée le mois dernier. En effet, les résultats des «analyses statistiques intégrées
des captures par âge» (en anglais SCAA) entreprises sur le fondement des données relatives à l’âge
produites dans le cadre des programmes JARPA et JARPA II ont été présentés le mois dernier à la
réunion de 2013 du comité scientifique. Ils avaient été résumés sous forme de tableau annexé au
o
rapport du sous-comité compétent ; vous en trouverez un extrait sous l’onglet n 33 de votre dossier
de plaidoiries et il est actuellement projeté à l’écran . [Projection à l’écran.] Les données en
question ont-elles conduit à des résultats utiles et fiables ? TRMR ? Faible. Mortalité naturelle ?
Exige des recherches complémentaires. Courbes de croissance ? Peu fiables. Erreurs dans la
détermination de l’âge ? Réelles et à prendre en considération. Voilà ce que le comité scientifique
avait à dire il y a à peine un mois. Cela constitue une réponse complète à l’intention de
Mme Takashiba, et confirme que les données produites dans le cadre du programme JARPA II ne
sont pas fiables . [Fin de la projection.]
49 63. Les conseils du Japon ont à plusieurs reprises affirmé que le comité scientifique avait
confirmé que toutes les difficultés matérielles concernant les données relatives à l’âge avaient été
132
résolues . Pourtant, le comité scientifique a, cette année même, constaté la présence d’«erreurs
dans la détermination de l’âge» qu’il était, selon lui, important de prendre en considération, et les
analyses statistiques intégrées des captures par âge n’ont rien produit de fiable ou d’utile . 133
Epaisseur de graisse et contenu stomacal
64. Epaisseur de graisse et contenu stomacal : un autre thème derrière lequel ont cherché à se
réfugier les conseils du Japon. Encore une fois, les données produites à ce chapitre n’ont pas été
jugées utiles ou fiables par le comité scientifique ou les groupes de travail formés de membres de
celui-ci. Des réserves sérieuses ont été émises quant à la valeur de l’épaisseur de graisse en tant
130 Voir tableau 1, «Report of the Sub-Committee on In-depth Assessments», annexe G du «Report of the
Scientific Committee Annual Meeting 2013», disponible à l’adresse : http://iwc.int/screport, p. 2.
131Voir aussi Gales, réponse à M.Walløe, par. 3.9-3.14.
132
CR 2013/13, p. 37-38, par. 69 (Hamamoto) ; CR 2013/15, p. 41, par. 35, (Takashiba) ; CR 2013/15, p. 60,
par. 61 (Boyle).
133Tableau 1, «Report of the Sub-Committee on In-depth Assessments», annexe G du «Report of the Scientific
Committee Annual Meeting 2013», disponible à l’adresse : http://iwc.int/screport, p. 2. - 43 -
134
qu’indicateur de changement de l’écosystème , et les analyses réalisées dans le cadre des
135
programmes JARPA et JARPA II ont été régulièrement critiquées et déclarées peu fiables . Lors
de la réunion de 2013 tenue le mois dernier, le comité scientifique a conclu que les problèmes
136
soulevés n’avaient pas encore été réglés, malgré les solutions proposées par ses membres . Nous
o
avons reproduit un extrait du rapport du sous-comité sous l’onglet n 34 du dossier de plaidoiries.
De même, le comité scientifique a mis en doute l’utilité des renseignements susceptibles d’être tirés
137
de l’analyse du contenu stomacal au sujet du comportement alimentaire des baleines , et relevé le
138
caractère peu fiable de ces données .
65. J’en viens maintenant à la RMP. On a longuement discuté de la question de savoir si des
données obtenues au moyen de méthodes létales étaient nécessaires pour les besoins du modèle de
gestion convenu de la CBI, la RMP. Je tiens à exprimer très clairement la position de l’Australie :
la RMP n’exige pas de données supposant la mise à mort de baleines. Le Solicitor-General a déjà
50 traité ce point. Les données nécessaires à la RMP sont les niveaux de captures passées et des
estimations d’abondance à jour pour les populations, renseignements qui peuvent et sont
effectivement obtenus au moyen de méthodes non létales . 139
66. Passons maintenant à la troisième caractéristique que devrait revêtir tout programme
conçu «en vue de recherches scientifiques», à savoir la nécessité de soumettre les propositions et
134
«Report of the Intersessional Workshop to Review Data and Results from Special Permit Research on Minke
Whales in the Antarctic», Tokyo, 4–8 décembre 2006, J. Cetacean Res. Manage., 2008, vol. 10 (suppl.), p. 411–445,
disponible à l’adresse : http://iwc.int/workshop-reports#!year=2007, p. 428-429, 434 ; voir également Gales, réponse à
M. Walløe, par. 4.13.
135
«Report of the Scientific Committee», 1987, Rep. Int. Whal. Commn, 1988, vol. 38, disponible à l’adresse :
http://iwc.int/scientifc-committee-reports, p. 56 ; «Report of the Scientific Committee», 2011, J. Cetacean Res. Manage.,
2012, vol. 13 (suppl.), disponible à l’adresse : http://iwc.int/scientifc-committee-reports, p. 50-51.
136«Report of the Working Group on Ecosystem Modelling», annexe K1 du «Report of the Scientific Committee
Annual Meeting 2013», disponible à l’adresse : http://iwc.int/screport, p. 5.
137
«Report of the Scientific Committee», 2007, J. Cetacean Res. Manage., 2008, vol. 10 (suppl.), disponible à
l’adresse : http://iwc.int/scientifc-committee-reports, p. 45 ; «Report of the Scientific Committee», 2011, J. Cetacean Res.
Manage., 2012, vol. 13 (suppl.), disponible à l’adresse : http://iwc.int/scientifc-committee-reports, p. 51 ; voir également
Gales, réponse à M. Walløe, par. 4.5-4.10.
138 «Report of the Scientific Committee», 2012, J. Cetacean Res. Manage., 2013, vol. 14 (suppl.), disponible à
l’adresse : http://iwc.int/scientifc-committee-reports, p. 51.
139 «The Revised Management Procedure (RMP) for Baleen Whales», annexe H du «Report of the Scientific
Committee», 1993, Rep. Int. Whal. Commn, 1994, vol. 44, p. 146 (section 3.2 : «Data Requirements») ; L. Walløe,
«Scientific review of issues raised by the Memorial of Australia including its two Appendices», 9 avril 2013 (Walløe,
exposé d’expert), p. 11 ; Gales, exposé d’expert, annexe 2, par. 13 ; M. Mangel, «Supplement to An Assessment of
Japanese Whale Research Programs Under Special Permit in the Antarctic (JARPA, JARPA II) as Programs for Purposes
of Scientific Research in the Context of Conservation and Management of Whales», 15 avril 2013 (Mangel, rapport
d’expert complémentaire), par. 4.9. - 44 -
les résultats à des contrôles périodiques et indépendants, et d’y apporter ensuite les ajustements
voulus. Il s’agit bien évidemment de l’«évaluation indépendante par les pairs». Or le Japon a
reconnu l’absence d’évaluation indépendante, du moins au sens établi. Il n’a pas vraiment répondu
aux questions que j’ai soulevées à cet égard lors du premier tour, au sujet de la production
d’articles découlant du programme JARPA II, production que M. Mangel a qualifiée
d’«extrêmement faible» lors de son interrogatoire principal . Encore une fois, cette observation
n’a pas été remise en question lors du contre-interrogatoire.
67. Et que répond le Japon ? Il soutient que l’évaluation indépendante par les pairs est sans
141
intérêt puisque cette fonction est exercée par le comité scientifique . Cette fois encore, cette
affirmation est contredite par M. Walløe.
68. Une autre observation s’impose au sujet de l’évaluation indépendante par les pairs. Elle
concerne un argument que le Japon n’a cessé d’évoquer et selon lequel la Cour ne devrait pas
s’intéresser au programme JARPA II, puisqu’il doit faire l’objet d’un examen par le comité
scientifique l’an prochain . Il s’agit là d’un thème constant, et je suis certain que vous en
entendrez à nouveau parler la semaine prochaine. M. Boyle a parlé de l’annexe P avec force
détails. Mais, comme pour bon nombre des arguments présentés par le Japon, les silences sont plus
intéressants que les paroles. Ainsi, M. Boyle a été très laconique au sujet de l’examen du
programme JARPA II au regard de l’annexe P, qui a eu lieu en 2009 — comme je l’ai déjà
mentionné, il s’agissait du premier examen effectué sous le régime de cette annexe. M. Hamamoto
nous a gentiment reproché de ne pas avoir fait mention de cet examen au cours du premier tour,
c’est pourquoi j’aimerais en parler maintenant, et je le remercie de nous y avoir référés . Le 143
51 groupe d’expert JARPN II a sévèrement critiqué le programme en raison de l’absence d’objectifs
quantitatifs à court terme. Voyez à ce sujet le texte figurant sous l’onglet n 35, actuellement à
l’écran [projection à l’écran] :
140CR 2013/9, p. 49 (Mangel).
141CR 2013/15, p. 46, par. 9 (Boyle).
142
CR 2013/12, p. 58, par. 68 (Akhavan) ; CR 2013/13, p. 22, par. 39 (Hamamoto) ; CR 2013/13, p. 29, par. 53
(Hamamoto) ; CR 2013/13, p. 37, par. 68 (Hamamoto) ; CR 2013/13, p. 38, par. 70 (Hamamoto) ; CR 2013/15, p. 36,
par. 27 (Takashiba) ; CR 2013/15, p. 51, par. 24 (Boyle) ; CR 2013/15, p. 55, par. 39 (Boyle) ; CR 2013/15, p. 57, par. 49
(Boyle) ; CR 2013/15, p. 70, par. 96 (Boyle) ; CR 2013/16, p. 31, par. 9 (Boyle).
143
CR 2013/13, p. 19, par. 24 (Hamamoto). - 45 -
«L’absence de tels objectifs [quantitatifs à court terme] empêche tout examen
approfondi et il s’agit là d’une lacune du programme. Il en va de même des questions 144
se rapportant à la taille des échantillons, comme cela est expliqué plus loin.»
Ce commentaire concorde évidemment avec l’appréciation portée en 2005 par les 63 scientifiques
sur la proposition relative au programme JARPA II. S’agissant de la taille des échantillons, le
rapport de l’examen de 2009 enchaîne avec ce qui suit [onglet n 36] [projection suivante] :
«L’évaluation des tailles d’échantillons exige que les objectifs soient mieux
définis et que soient désignées les quantités devant être estimées afin que les objectifs
puissent être atteints... La précision des estimations et de leurs rapports avec la taille
des échantillons et le modèle d’échantillonnage devraient être déterminée. Une telle
analyse est le préalable à l’évaluation de la justesse des tailles d’échantillons et du
modèle d’échantillonnage.» 145 [Fin de la projection.]
69. Le «préalable» vise ici le groupe d’experts du comité scientifique. La conclusion
formulée est la suivante : «des méthodes beaucoup plus rigoureuses s’imposent et devraient être
mises en application le plus tôt possible», et ce, en 2009. On ajoute par la suite que, tant que de
telles méthodes n’auront pas été mises en application et menées à bien, le groupe d’expert serait
146
«incapable d’émettre un avis scientifique autorisé sur la justesse des tailles d’échantillons» . En
d’autres termes, les experts ont déclaré qu’ils n’étaient pas en mesure de compléter l’examen, faute
de disposer des renseignements détaillés dont ils avaient besoin. Plus tard au cours de la même
année, l’affaire a été portée devant le comité scientifique, qui s’est dit «préoccupé de ce qu’on
n’avait pas fourni au groupe d’experts l’information et l’assistance dont il avait besoin pour
examiner les progrès, formuler des conclusions et évaluer l’incidence sur deux des populations» . 147
70. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, cela s’est passé il y a
quatre ans, en 2009. Le Japon a-t-il fourni depuis les objectifs quantitatifs à court terme demandés
par le groupe d’experts en 2009 ? Il ne l’a pas fait. L’examen est toujours en suspens, le Japon
ayant omis de préciser ses objectifs ou de fournir l’information nécessaire pour évaluer les tailles
d’échantillons. Et je tiens à être clair à ce sujet : il s’agit précisément du point qui s’est révélé être
au cœur même du présent litige et de tant de vos questions. Cela montre, à tout le moins, que la
144«Report of the Expert Workshop to Review the Ongoing JARPN II Programme», J. Cetacean Res. Manage.,
2010, vol. 11 (2 suppl.), p. 405-449 (SC/61/Rep.1), disponible à l’adresse : http://iwc.int/workshop-reports#!year=2009,
p. 430.
145Ibid., p. 432.
146
Ibid., p. 427, 432.
147«Report of the Scientific Committee», 2009, J. Cetacean Res. Manage., 2010, vol. 11 (2 suppl.), disponible à
l’adresse : http://iwc.int/scientifc-committee-reports, p. 77. - 46 -
52 Cour a bien cerné — certains membres individuels y ont pensé — les failles principales du
programme JARPA II. Le Japon répond que vous devriez attendre l’examen dont le programme
fera l’objet en 2014 sous le régime de l’annexe P. Ce qu’il a omis de dire à la Cour, c’est que,
lorsqu’un examen semblable a été entrepris, rien ne s’est produit et il n’a pas pu être complété. Il
sait très bien, tout comme les membres de la délégation japonaise et ses conseils, que, lorsque
l’examen sera entrepris l’an prochain, il ne pourra être complété à cause des objectifs vagues et mal
définis du programme et des difficultés entourant la fixation des tailles d’échantillons. C’est
essentiellement ce qu’ont dit MM. Walløe et Mangel.
71. Pour toutes ces raisons, il nous paraît très clair que le programme JARPA II, tel qu’il a
été conçu et mis en œuvre, ne l’a pas été «en vue de recherches scientifiques». Faute de questions
à explorer, il est impossible d’apprécier le choix des méthodes et celles-ci ne peuvent faire l’objet
d’une évaluation indépendante par les pairs. Ce n’est pas ce qu’on appelle de la science.
V. L’application des critères : les questions qui se posent encore
72. J’aborderai à présent les questions qui se posent encore au titre de l’annexe Y et de la
résolution 1995-9. Même à supposer que le programme JARPA II puisse être considéré comme un
programme scientifique ce qui est impossible, selon nous , il ne satisfait tout simplement pas
aux critères de l’annexe Y mis en œuvre en 2005, ni à ceux de l’annexe P, y compris la
résolution 1995-9, qui s’appliqueraient à présent.
73. Je peux traiter ces points très brièvement, comme je l’ai fait pour les éléments de preuve.
Le Japon doit démontrer que la proposition relative au programme JARPA II s’inscrivait dans des
«circonstances exceptionnelles». Or, aucun élément démontrant en quoi ce programme est
«exceptionnel» n’a été soumis à la Cour. De fait, c’est exactement l’inverse d’un programme
exceptionnel ; un programme ordinaire censé s’appliquer année après année, sur la base de permis
scientifiques sortis d’un photocopieur, sans aucun changement ni aucune adaptation par rapport au
résultat obtenu, n’est pas un programme exceptionnel.
74. Ensuite, le Japon doit démontrer que le programme JARPA II porte sur des points
essentiels, comme l’a fait observer Monsieur le juge Bhandari dans sa question, ce qu’il ne parvient
manifestement pas à faire. M. Walløe s’est vu offert la possibilité de préciser quels étaient les - 47 -
besoins essentiels en cause, mais n’a pu en définir aucun. Il a confirmé que le comité scientifique
avait considéré qu’un projet de suivi à long terme de l’écosystème de l’Antarctique ne constituait
148
53 pas un besoin d’importance primordiale . Encore une fois, il a déclaré à la Cour qu’il s’opposait
au projet visant à tuer des rorquals communs ou des baleines à bosse. Concernant les dix-
149
huit rorquals communs, il a dit que «l’on ne p[ouvai]t pas en tirer d’information» . Si l’on
supprime les rorquals communs et les baleines à bosse du programme JARPA II, il ne s’agit plus
d’un programme visant des espèces multiples. M. Walløe ne soutient tout simplement pas le
programme JARPA II tel qu’il est conçu, en tant que programme visant des espèces multiples.
Selon lui, on ne saurait donc le considérer comme répondant à des besoins essentiels.
75. Le Japon doit ensuite démontrer que l’analyse des données existantes ne permet pas de
répondre aux questions en jeu. Là, il se heurte à un autre obstacle : le programme n’ayant pas
défini les questions auxquelles il cherche à répondre, il est impossible de savoir si les données
existantes permettent d’y répondre. Le Japon s’est, de fait, mis lui-même hors d’état de démontrer
que les données existantes ne suffisent pas.
76. Enfin, le Japon doit démontrer que les techniques non létales ne permettent pas de
répondre aux questions qu’il se pose. Ce point empiète, bien évidemment, sur l’un des critères
définis par M. Mangel et que j’ai déjà abordé. Or, encore une fois, en l’absence de question ou
d’hypothèse, on voit difficilement comment le Japon peut se présenter sérieusement devant la Cour
et prétendre qu’il ne peut parvenir à ses objectifs qu’en tuant des baleines. D’autres solutions
existent, comme M. Walløe l’a confirmé.
77. L’Australie a démontré que les méthodes existantes de prélèvements biopsiques et de
150
suivi satellitaire sont applicables , et le comité scientifique a fait l’éloge de tous ces travaux lors
de sa réunion du mois dernier 15. Je ne pense pas qu’il nous soit nécessaire d’en dire davantage à
ce sujet.
148
CR 2013/14, p. 37 (Walløe).
149Ibid., p. 44 (Walløe).
150Gales, exposé d’expert, par. 6.14-6.17 ; Gales, réponse à M. Walløe, par. 2.1-2.18.
151
«Report of the Sub-Committee on In-depth Assessments», annexe G du «Report of the Scientific Committee
Annual Meeting 2013», disponible à l’adresse : http://iwc.int/screport, p. 5. - 48 -
78. M. Boyle vous dit par contre que certaines données ne peuvent être obtenues que par la
mise à mort de baleines et que ces données sont nécessaires pour «permett[re] une meilleure
152
compréhension de la dynamique des populations des petits rorquals» , ainsi qu’il le présente.
Vous noterez qu’il ne dit rien des rorquals communs et des baleines à bosse. J’ai déjà montré
combien les programmes JARPA et JARPA II s’étaient révélés sujets à caution comme moyens
153
d’entreprendre la modélisation de la dynamique des populations ou des prises par âge . Vous
54 aurez cependant remarqué que M. Boyle ne dit rien de la dynamique des populations de rorquals
communs et de baleines à bosse. De fait, le conseil du Japon ne paraît pas avoir dit quoi que ce soit
concernant ces deux espèces et, sur la base du premier tour des plaidoiries, cette partie du
programme JARPA II semble avoir pratiquement été abandonnée. Aucun des conseils du Japon ne
s’est présenté à la barre pour faire valoir le droit de tuer des rorquals communs ou des baleines à
bosse. A la lumière de la déposition de M. Walløe, cette partie du programme JARPA II est
manifestement indéfendable et elle n’a d’ailleurs pas été défendue au premier tour. Nous sommes
impatients d’entendre comment les conseils du Japon s’y prendront pour réfuter les éléments de
preuve clairs que M. Walløe a présentés.
79. Avant d’en arriver à ma conclusion, je voudrais répondre à la question que Monsieur le
juge Cançado Trindade a posée hier. Monsieur le juge, vous avez demandé si un programme
prévoyant l’emploi de méthodes létales pouvait être considéré comme relevant de la «recherche
scientifique». La semaine dernière, M. Akhavan a dit à la Cour que «l’Australie [étai]t
154
catégoriquement opposée à l’échantillonnage létal» . Ce sont ses propres mots. Or cela n’est ni
exact ni juste. L’Australie ne considère pas que l’emploi de méthodes létales constitue en soi un
obstacle à la qualification de «recherche scientifique» appliquée à un programme, car elle n’est
pas opposée absolument à la mise à mort de baleines en toutes circonstances. Et M. Akhavan le
sait. En ce qui concerne, par exemple, la chasse aborigène de subsistance, l’Australie a toujours
voté en faveur de quotas lorsque ceux-ci sont étayés par des éléments scientifiques et conformes au
règlement intérieur de la CBI. Il peut afficher un sourire aujourd’hui, mais, en 2012, l’Australie a
152
CR 2013/15, p. 59, par. 57 (Boyle).
153Voir par. 61-62, ci-dessus.
154
CR 2013/12, p. 47, par. 28 (Akhavan). - 49 -
voté en faveur de l’attribution de nouveaux quotas aux Etats-Unis d’Amérique, à
St-Vincent-et-les-Grenadines et à la Fédération de Russie pour la chasse aborigène de subsistance.
En ce qui concerne l’article VIII, comme M. Akhavan le sait, l’Australie a soumis, en 2009, une
proposition prévoyant le recours à des méthodes létales lorsque cela se révèle absolument
nécessaire et lorsque toutes les conditions strictes sont remplies 155 vous trouverez cette
o
proposition sous l’onglet n 37 de votre dossier de plaidoiries. Donc, lorsqu’il vous dit que
l’Australie est catégoriquement opposée à l’échantillonnage létal, il sait que cela est faux. En bref,
l’Australie n’exclurait pas de soutenir la chasse à la baleine à des fins scientifiques prévoyant
l’emploi de méthodes létales, pour autant que toutes les conditions énoncées dans le règlement
intérieur de la CBI soient remplies et, notamment, que le programme puisse véritablement être
considéré comme ayant été conçu «en vue de recherches scientifiques». Or, tel n’est
manifestement pas le cas en l’espèce. Je n’ai pas besoin d’en dire davantage.
55 VI. Conclusions
80. Monsieur le président, le sens de l’expression «recherches scientifiques» est au cœur de
cette affaire et la science est un domaine dans lequel le Japon dispose d’une communauté
particulièrement éminente. En effet, j’ai vérifié, et j’ai pu constater que seize scientifiques japonais
s’étaient vus remettre le prix Nobel dans un domaine scientifique, sept pour les seules cinq
156
dernières années. L’institut national pour la recherche polaire du Japon est très actif dans le
domaine, or, seule une petite partie de son budget moins d’un pour cent provient de
157
ressources issues de la recherche et de l’auto-financement.
81. Si le programme JARPA II relevait réellement de la science, vous disposeriez d’éléments
attestant de liens entre l’institut de recherche sur les cétacés et l’institut national pour la recherche
polaire. Nous aurions entendus parler de cette éminente communauté de scientifiques, totalement
indépendante des programmes JARPA et JARPA II, qui serait venue se présenter devant vous,
155
Gouvernement australien, «Addressing Special Permit Whaling and the Future of the IWC», doc. IWC/61/9,
présenté à la 61 séance de la Commission baleinière internationale,2009, disponible à l’adresse :
http://iwc.int/index.php?cID=1744&cType=document.
156
Voir : http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Japanese_Nobel_laureates ; et www.nobelprize.org.
157 NIPR, «National Institute of Polar Research: 2012-13», disponible à l’adresse :
http://www.nipr.ac.jp/publication/PDF/outline2012-2013e.pdf, p. 37. - 50 -
comme l’a fait M. Mangel. Personne n’est venu, personne ne s’est présenté devant vous pour
soutenir la prétention du Japon.
82. J’invite les membres de la Cour à patienter encore un instant avant de se faire une idée.
Si JARPA II était véritablement un programme mené en vue de recherches scientifiques, les
plaidoiries du Japon auraient dû aborder les neufs points suivants :
1) des éléments démontrant que la proposition relative au programme JARPA II a fait l’objet
d’une évaluation indépendante par des pairs avant d’être adressée au comité scientifique
en 2005 ;
2) des objectifs énonçant clairement les questions (ou hypothèses) que le programme JARPA II
visait à examiner, auxquels seraient joints des éléments expliquant pourquoi ces questions ont
été choisies, pourquoi d’autres ont été écartées, et en quoi ces questions ont motivé le choix des
méthodes proposées ;
3) des éléments permettant de définir et d’expliquer toute modification apportée aux objectifs du
programme JARPA II à la lumière des résultats du programme JARPA ;
4) des éléments expliquant pourquoi les captures annuelles ont augmenté, passant de 300
ou 400 à 850 petits rorquals ;
5) des éléments permettant d’étayer la prétention selon laquelle il était nécessaire de recourir à des
méthodes non létales car certaines données cruciales ne pouvaient être obtenues par d’autres
moyens ;
56 6) des éléments démontrant pourquoi les recherches répondaient à un ou plusieurs besoins
essentiels ;
7) des éléments expliquant comment on est arrivé au chiffre annuel de 850 s’agissant de la taille
des échantillons de petits rorquals ;
8) des éléments montrant, d’une part, comment le programme à espèces multiples JARPA II
pouvait encore fonctionner sans capture de rorquals communs ou de baleines à bosse et, d’autre
part, comment ce programme pouvait remplir ses objectifs, alors que moins de la moitié des
captures envisagées de la seule espèce restante le petit rorqual avaient été réalisées ;
9) des éléments illustrant comment les programmes ont été ajustés, et peuvent encore aboutir,
compte tenu du fait qu’ils ne remplissent pas les objectifs de capture annuels. - 51 -
83. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, aucun de ces éléments ne
vous a été présenté, absolument aucun. On ne saurait pourtant dire que le Japon n’a pas été averti.
Tous ces éléments étaient nécessaires pour répondre au mémoire de l’Australie. Le Japon ne peut
simplement pas dire qu’il n’a pas eu le temps de les réunir. Il n’existe réellement qu’une seule
conclusion possible : si ces éléments de preuve n’ont pas été soumis à la Cour c’est parce qu’ils
n’existent pas. Et l’inexistence de ces éléments porte un coup fatal à l’argumentation du Japon. Il
n’y a qu’une conclusion possible : le Japon n’a simplement pas réussi à prouver que le programme
JARPA II avait été conçu «en vue de recherches scientifiques». Il s’agit d’autre chose. On se
trouve dans un cas d’absence de preuve.
84. Monsieur le président, dans la présente instance, la Cour a adopté une nouvelle démarche
s’agissant des preuves par expertise, à la suite de la décision importante et judicieuse qu’elle a prise
dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier. La nouvelle manière de procéder n’est
peut-être pas immédiatement du goût de chacun, mais elle a indéniablement eu une incidence non
négligeable sur la définition et la mise à l’épreuve des véritables questions posées à la Cour.
Aucune des personnes présentes ici pendant l’interrogatoire et le contre-interrogatoire de
MM. Walløe et Mangel ne sauraient le nier. La procédure de mise à l’épreuve a permis de faire
apparaître une image claire et sans ambiguïté de l’affaire. La déposition de M. Walløe a permis
d’écarter nombre des divergences entre les experts des Parties qui, en fin de compte, s’entendent
sur de nombreux points. Ce sont ces points communs qui peuvent permettre à la Cour d’élaborer
son arrêt en l’espèce. Bien évidemment, la Cour peut décider simplement d’écarter les éléments de
preuve clairs dont elle dispose à présent. Cela aurait, selon nous, de très graves conséquences pour
la convention, pour le rôle de la science en droit international et pour la Cour, eu égard à la
procédure qu’elle applique. La Cour a adopté une nouvelle manière de procéder, laquelle a
contribué à clarifier les éléments de preuve. Sur la base des éléments dont elle dispose, il est
impossible d’envisager que la Cour puisse conclure que le programme JARPA II, tel qu’il lui a été
57
présenté, peut être dûment considéré comme ayant été conçu «en vue de recherches scientifiques»,
au sens de l’article VIII de la convention. Les faits n’admettent aucune autre conclusion.
85. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui met fin à ma
plaidoirie. Je souhaiterais remercier mon adjointe, Mme Kate Cook, pour l’aide qu’elle m’a - 52 -
apportée dans cette lourde tâche de mise au point des plaidoiries, ainsi que les excellents juristes
des services de l’Attorney-General, en particulier M. Michael Johnson, pour l’assistance
considérable dont j’ai bénéficié ces derniers jours. Je vous remercie de votre attention et vous prie
de bien vouloir appeler à la barre M. Crawford.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Monsieur Sands. Je donne à présent la parole à
M. Crawford. Monsieur, c’est à vous.
M. CRAWFORD :
L ES VIOLATIONS COMMISES PAR LE JAPON , NONOBSTANT L ’ARTICLE VIII
Introduction
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, mon exposé se compose de
deux parties. La première porte sur l’article VIII en tant que fondement de l’obligation et critère
d’examen ; ce sera pour moi l’occasion de répondre à MM. Pellet et Lowe, ainsi qu’à une question
que M. le juge Greenwood a posée à l’Australie. Dans la seconde partie de mon exposé, je traiterai
de l’effet de l’article VIII, et appliquerai aux faits de l’espèce ce qui, selon nous, constitue le critère
d’examen approprié, en répondant notamment à la question que M. le juge Gaja a posée la semaine
dernière.
A. L’interprétation de l’article VIII
La théorie du Japon au sujet de l’article VIII
2. Deux trous noirs sont au cœur de la théorie du Japon au sujet de la présente espèce.
Conformément à la pratique scientifique, je leur donnerai le nom de ceux qui les ont découverts, à
savoir M. Pellet et M. Lowe. Mais peut-être s’agit-il en réalité du même trou noir, considéré selon
deux points de vue différents ; seules de nouvelles recherches permettront de le dire. Reste à
espérer qu’elles ne seront pas assorties de méthodes létales.
3. Le vide de Pellet résulte de l’assertion selon laquelle l’article VIII permet de se soustraire
à l’application de toute autre disposition de la convention, autrement dit que, dès lors qu’un
programme atteint un seuil minimal de plausibilité scientifique, il disparaît des écrans de la - 53 -
58 convention et ne repose plus que sur la propre évaluation de l’Etat qui délivre le permis . D’un 158
point de vue normatif, les espèces visées disparaissent toutes trois de la convention.
4. La vacuité de Lowe, quant à elle, résulte de l’assertion selon laquelle la chasse
scientifique, en deçà de ce même seuil minimal, est régie par un régime permissif de droit
international coutumier dans le cadre duquel le pouvoir d’appréciation de la Cour est limité à une
simple vérification de la bonne foi, l’Etat délivrant le permis bénéficiant en la matière d’une forte
159
présomption favorable . Quant au vaste espace qui sépare, d’un côté, un examen de novo
intégral, la Cour jouissant du pouvoir de décision principal en se mettant à la place de l’Etat qui
délivre le permis, et, de l’autre, une vérification préliminaire et sommaire de la bonne foi, eh bien,
ce vaste espace reste désert et déserté par le droit. Et le Japon de mettre la Cour en garde : ne vous
aventurez pas dans la vacuité de Lowe, vous risqueriez de ne jamais en sortir.
5. Il est tout à fait impossible de prêter foi à ces assertions lorsqu’elles sont appliquées à une
importante convention multilatérale pour la conservation et la gestion de mammifères hautement
migratoires, dont la conservation et la gestion appelaient une action collective d’urgence en 1946,
ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Nous n’avons pas affaire à des espèces locales ou
sédentaires, lesquelles peuvent être effectivement gérées par un seul Etat côtier.
o
6. (Onglet n 38) [Projection : Graphique de l’abondance des baleines.] Monsieur le
président, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous savons tous où la liberté de la haute mer a mené
les grands cétacés. Cela les a menés à de graves difficultés. Avant 1939, le nombre de captures
était en chute libre ; tout simplement parce que le nombre de cétacés l’était aussi. Durant la guerre,
les opérations de chasse à la baleine ont été très rares, mais il n’y a guère eu de signes de
reconstitution. En 1946, lorsque la convention a été conclue, l’abondance des baleines bleues
n’était plus que de 15 à 20 % du taux antérieur . Par la suite, les choses ont très nettement
empiré. Les baleines bleues se sont trouvées au bord de l’extinction, puisque leur taux
d’abondance était inférieur à 1 % des taux antérieurs à la période d’exploitation . La situation des
158
Voir, par exemple, CR 2013/13, p. 61-62, par. 5 (Pellet).
159Voir, par exemple, CR 2013/15, p. 15, par. 5 et 8 ; p. 16, par. 12 ; p. 21- 24, par. 38-54 (Lowe).
160Mori et Butterworth, «Première étape vers la modélisation de la dynamique des prédateurs de krill dans
l’écosystème antarctique», CCAMLR Science, vol. 13, p. 217-277 (2006).
161
MA, appendice 1, p. 282-332. - 54 -
rorquals communs n’était pas vraiment meilleure, puisque ce taux était de 1 à 2 % . Pour les 162
163
59 baleines à bosse, on en était à 2 à 3 % . Nous avons eu droit à nombre d’invectives sans
fondement de la part de MM. Akhavan et Pellet concernant les injustices des «pays hostiles à la
chasse» qui étaient — et le sont apparemment toujours des marionnettes de l’Australie . Or, le
point de savoir à quel moment et de quelle manière le moratoire doit être modifié est une question
de politique publique de la plus haute importance, sachant qu’il est exclu qu’il soit totalement levé,
étant donné le nombre toujours dangereusement faible de baleines bleues et de rorquals communs.
La proposition contenue dans JARPA II de capturer un échantillon non représentatif de cinquante
rorquals communs par an était indéfendable ; M. Walløe ne l’a d’ailleurs certainement pas
165
défendue ! Pourtant, les permis spéciaux que le Japon approuve chaque année à l’identique dans
le cadre de JARPA II forment un tout indissociable. Ils sont censés traiter des relations
inter-espèces, ce pour quoi ils prévoient de capturer des rorquals communs. Or, le Japon n’a pas la
moindre intention de capturer des rorquals communs, quel que soit leur nombre ! Ces permis sont
censés traiter des relations inter-espèces, ce pour quoi ils prévoient de capturer des baleines à
bosse. Or, le Japon n’a aucune intention de capturer la moindre baleine à bosse ! Comment
peut-on à la fois prétendre que quelque chose est nécessaire, toute en considérant que l’on peut en
faire l’économie, et en en faisant d’ailleurs effectivement l’économie ? [Fin de projection.]
7. Voilà qui me ramène il était temps, vous direz-vous peut-être c’est-à-dire à
l’article VIII, au vide de Pellet et à la vacuité de Lowe. Comme je l’ai dit tout à l’heure, ces
interprétations ne sont pas crédibles. La Cour serait bien avisée de ne pas les faire siennes. Et si
elles ne sont pas crédibles, c’est parce qu’elles créent des trous noirs dans une convention dont
l’objet était de constituer un instrument pour la gestion collective d’une ressource commune,
instrument censé être efficace. Or, telle est bien l’argumentation du Japon, argumentation
purement juridique — faute d’éléments factuels —, ainsi que je le démontrerai maintenant.
162
Ibid., p. 282-332. Estimation CP III (teoisième enquête circumpolaire menée entre 1991/1992 et 2003/2004).
Cette estimation n’inclut pas les baleines au nord du 60 parallèle de latitude sud.
163MA, appendice 1, p. 282-332.
164Voir, par exemple, CR 2013/12, p. 48-49, par. 32-39 ; p. 53-54, par. 52 ; p. 55-56, par. 57-58 (Akhavan) ;
CR 2013/16, p. 40, par. 8-9 (Pellet).
165
CR 2013/14, p. 44-47. - 55 -
Le vide de Pellet
8. Pour en venir d’abord aux propos de M. Pellet, j’en citerai juste quelques extraits :
«Leur délivrance relève d’un régime spécial, qui échappe au système de
régulation par les organes établis par la CBI. Il s’agit d’un régime spécial réservé par
la convention aux permis spéciaux…» 166
9. Il existe donc un régime dans le régime, celui de l’article VIII. Ce «régime» échappe au
système de régulation établi par la convention. Et je cite de nouveau :
«l’article VIII a toujours été entendu comme soustrayant la chasse à des fins
scientifiques au pouvoir normatif de la commission»] . 167
60 «Soustrayant», dit M. Pellet. Autrement dit, le régime des permis spéciaux échappe de fait à celui
de la convention, et ce, par une porte dérobée, de surcroît très facile à ouvrir. L’article VIII
s’entend mais M. Pellet ne dit pas qui l’entend ainsi comme soustrayant la chasse à des fins
scientifiques au pouvoir normatif de la commission. C’est un peu comme si la convention était
équipée d’un siège éjectable, que seul pourrait actionner l’Etat auteur de la proposition, à l’aide
d’un bouton sur lequel serait inscrit le mot «science». Or, ce siège éjectable fonctionne si vite que
le comité scientifique n’est pas en mesure d’examiner la dimension scientifique alléguée : la
proposition s’est d’ores et déjà volatilisée.
10. En ce qui concerne l’obligation d’information énoncée au paragraphe 1 de l’article VIII,
M. Pellet observe : «This obligation to inform is the only element of «collective regulation» in the
Convention in respect of whaling for scientific purposes.» [«Cette obligation d’informer est le seul
élément de «régulation collective» introduit dans la convention s’agissant de la chasse à des fins
168
scientifiques.»] Voilà qui est tout à fait cohérent avec sa remarque concernant l’absence
d’autorité normative de la part de la CBI et de ses organes subsidiaires. Ceux-ci ont le droit de
savoir, mais seulement une fois que le siège éjectable a été actionné, c’est-à-dire lorsqu’il est déjà
trop tard.
166
CR 2013/13, p. 61-62, par. 5 (Pellet).
167CR 2013/13, p. 62, par. 6 (Pellet).
168CR 2013/13, p. 65, par. 17 (Pellet). - 56 -
La vacuité de Lowe
11. M. Lowe, quant à lui, a peut-être exprimé la même idée, mais il l’a fait d’une manière
quelque peu différente, interprétant l’article VIII comme l’affirmation d’un droit coutumier
préexistant, et non comme une disposition faisant partie intégrante de la convention. Il a ainsi
indiqué ce qui suit :
«La liberté de chasser la baleine à des fins scientifiques existait avant l’adoption
de la convention sur la chasse à la baleine, et l’article VIII soustrait la chasse
scientifique à l’effet de cette convention. La question qui se pose ici n’est donc pas
celle des limites d’un pouvoir confér169ar un traité, mais celle des limites posées par
un traité à l’exercice d’une liberté.»
Il s’ensuit que la CBI et ses organes ne jouissent d’aucune autorité pour examiner au fond les
permis scientifiques :
«Les limites fixées par l’article VIII imposent simplement au Japon de se
conformer aux obligations procédurales établies dans la convention.» 170
61 Je reviendrai sur ces deux trous noirs dans un instant. A ce stade, je préciserai toutefois que
l’article VIII n’est pas libellé comme la confirmation d’un droit international coutumier. En 1946,
le droit international coutumier était précisément le problème, et non la solution. L’article VIII
confère une faculté aux Etats auteurs de propositions de permis spéciaux, faculté limitée par le sens
ordinaire des termes employés dans la convention. Nous nous trouvons déjà dans le domaine de
l’interprétation, que la vacuité de Lowe avait justement pour objet de nier.
Le sens de la convention
12. J’en viens maintenant à la convention elle-même, et à la question posée par
171
M. le professeur Greenwood .
Le PRESIDENT : Vous voulez dire M. le juge Greenwood, et non M. le professeur
Greenwood.
M. CRAWFORD : Je vous prie de m’excuser. Lorsque je pense à lui, toutes ses qualités me
viennent à l’esprit, et il m’arrive de confondre.
169
CR 2003/15, p. 15, par. 8 (Lowe).
17Ibid., par. 9 (Lowe).
171
CR 2013/12, p. 63-64. - 57 -
Le PRESIDENT : Poursuivez, je vous en prie.
M. CRAWFORD :
J’en reviens donc à la convention elle-même, et à la question posée par
M. le juge Greenwood. La convention constitue explicitement un instrument pour la
réglementation de la chasse à la baleine. Aux gouvernements qui n’apprécient pas les règlements
adoptés par la commission — ou ne sont pas disposés à les accepter —, elle offre des possibilités
tout à fait claires. En vertu du paragraphe 3 de l’article V, ils peuvent se soustraire à ces
règlements. Par ailleurs, ils peuvent dénoncer la convention elle-même, en vertu de l’article XI.
En revanche, s’ils ne le font pas, ils se retrouvent liés. Pour ce qui est de ces dispositions
expresses, la convention exemple précoce, probablement d’ailleurs le premier, d’une convention
de conservation reposant sur une institution fonctionne sur le mode consensuel habituel. A
d’autres égards, en revanche, elle constitue une avancée, puisque les Etats membres qui n’ont pas
choisi de s’y soustraire peuvent se trouver liés par un règlement de la commission adopté à la
majorité des trois quarts, et qui, en tant que modification du règlement annexé à la convention, fait
partie intégrante de celle-ci ; je vous renvoie au paragraphe 2 de l’article III. La convention énonce
de manière précise les droits des gouvernements contractants qui ne souscrivent pas à tel ou tel
règlement : non seulement ils peuvent objecter à un règlement, mais, ce faisant, ils peuvent
suspendre son effet obligatoire à l’égard de tous les Etats parties pendant un nouveau délai de
90 jours, c’est-à-dire, de fait, pendant six mois à partir de l’adoption du règlement contesté ; je vous
renvoie à l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article V. Pendant cette nouvelle période de 90 jours, les
62 autres gouvernements peuvent, face à toute objection, présenter eux-mêmes une nouvelle objection,
et disposent d’un minimum de 30 jours pour ce faire. Au vu de ces dispositions, se plaindre de la
tyrannie de la majorité, comme l’a fait M. Pellet , est absurde. Il est indiqué précisément aux
gouvernements ce qu’ils doivent faire s’ils désapprouvent suffisamment telle ou telle mesure. Ce
qu’ils ne peuvent pas faire, en revanche, au-delà de la nouvelle période de 90 jours — ou de 120,
au maximum — prévue à l’article V, c’est d’empêcher la majorité des Etats parties de coopérer
entre eux ainsi qu’avec la commission et ses organes pour atteindre les buts de la convention. Les
17CR 2013/16, p. 61, par. 58 (Pellet). - 58 -
Etats dissidents ne peuvent pas non plus imposer à la majorité l’interprétation qu’ils font des
objectifs et buts de cet instrument, interprétation qui n’est, par définition, pas convaincante. Leur
arme ultime consiste à formuler des réserves ou à se retirer de la convention. Le consensualisme
fonctionne dans les deux sens, autrement ce serait la tyrannie de la minorité !
13. En ce qui concerne les buts de la convention, le Japon a insisté sur le fait que, après avoir
atteint leur plus bas niveau en 1982, différentes espèces de baleines étaient en voie de
reconstitution, ajoutant, à cet égard, que les dispositions de la convention et de son préambule
prévoyaient la poursuite de l’exploitation. Mais c’est aux organes de la convention qu’il appartient
de juger du sens dans lequel penche la balance. Et il convient de souligner que le préambule
reconnaît expressément la valeur de la conservation en tant que telle, et à long terme. Ainsi, dans
le tout premier alinéa du préambule, les Etats contractants
«[r]econnaiss[e]nt que les nations du monde ont intérêt à sauvegarder, au profit des
générations futures, les grandes ressources naturelles représentées par l’espèce
baleinière».
Voilà qui est fort joliment dit.
14. Dans son deuxième alinéa, le préambule nous compte également la triste et
intemporelle histoire de l’exploitation excessive :
«Considérant que, depuis son début, la chasse à la baleine [sans doute pourrait-
on dire la pêche en général] a donné lieu à l’exploitation excessive d’une zone après
l’autre et à la destruction immodérée d’une espèce après l’autre, au point où il est
essentiel de protéger toutes les espèces de baleines contre la prolongation d’abus de
cette nature …»
Dans l’hémisphère Sud, ce scénario n’a cessé de se répéter : de nouveaux peuplements, qu’il
s’agisse du thon à nageoire bleue, de la légine australe, de l’hoplostète orange ou que sais-je
encore ; espèces découvertes, puis soumises à une exploitation excessive, au point où les
peuplements se sont effondrés. A n’en pas douter, les petits rorquals avaient emprunté la même
pente morbide, sauf qu’on ignore jusqu’à quel point. A cet égard, il convient de souligner que
l’exploitation excessive peut se produire rapidement, alors que la reconstitution est un lent
processus, particulièrement lorsque les espèces en question se trouvent dans les hautes latitudes. - 59 -
63 L’article VIII lu dans son contexte
15. Le Japon admet que le régime institué par la convention internationale pour la
réglementation de la chasse à la baleine est un régime exhaustif. Ainsi souscrit-il
«à la proposition selon laquelle l’objet et le but assignés à la convention … étaient
«l’établissement d’un régime exhaustif visant à conserver et reconstituer les ressources
baleinières de manière appropriée et efficace», sous réserve bien entendu de la place
173
spéciale faite dans la convention à l’article VIII» .
Pourtant, si ce que le Japon dit au sujet de l’article VIII est juste, alors cette proposition ne tient
pas. En effet, un «régime exhaustif» soumis à une clause de sauvegarde non moins exhaustive et
d’application discrétionnaire peut difficilement être un régime tout court. De la même manière que
le siège éjectable fait sauter le cockpit, un régime exclut l’autre.
Les fondements juridiques de l’argumentation de l’Australie
16. Au premier tour, M. le juge Greenwood a demandé à l’Australie de clarifier la source de
174
l’obligation en la présente espèce . Je m’excuse si je n’ai pas été suffisamment clair sur ce point.
En vérité, la position de l’Australie est assez simple. Elle s’articule autour de quatre propositions :
1) L’Australie et le Japon sont liés par la convention — y compris le règlement qui y est
annexé —, dans son intégralité.
2) les Parties sont liées par les règlements adoptés en vertu de l’article V, à la majorité requise, à
moins qu’elles y aient valablement objecté, conformément aux dispositions tout à fait claires de
ce même article, dispositions que j’ai exposées tout à l’heure.
3) Toute autre mesure de la CBI ou de ses organes a seulement valeur de recommandation, et n’est
donc pas obligatoire. Cela ne signifie cependant pas qu’elle est dépourvue de toute valeur
juridique. La Cour a précisé ce point dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur les
Armes nucléaires . Comme cela est indiqué dans le manuel français de référence, «même leur
176
valeur juridique n’est pas négligeable» . Et pourtant, à entendre M. Pellet la semaine dernière,
on aurait pu penser le contraire. Quant à la valeur précise qu’il convient d’attacher à pareille
173CR 2013/13, p. 40, par. 7 (Boyle).
174CR 2013/12, p. 63-64.
175
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 254.
176P. Daillier, M. Forteau, Q. D. Nguyen, A. Pellet, Droit international public (8 édition), (Paris, LGDJ, 2009),
p. 415. - 60 -
recommandation, c’est à la Cour d’en décider, et il est préférable d’éviter toute généralisation
en la matière. Sur ce point, l’Australie souscrit toutefois aux observations fort utiles qu’a faites
l’Attorney-General de la Nouvelle-Zélande lundi dernier . 177
64 4) En tout état de cause, il n’est pas meilleur énoncé de la valeur juridique des recommandations
que celui de sir Hersch Lauterpacht, dans son opinion individuelle en l’affaire de la
Procédure de vote, que j’ai citée au premier tour, et que le Japon a reprise en y souscrivant . 178
Le critère d’examen
17. J’en arrive à la question du critère d’examen.
18. Même si M. Lowe s’est efforcé de le formuler de la manière la plus raisonnable possible,
son argument a pour effet de limiter le rôle de la Cour à une vérification préliminaire d’une
179
apparente bonne foi .
19. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, toute allégation de mauvaise
foi ne devrait être formulée qu’avec la plus grande prudence, et ce, tout particulièrement lorsqu’il
s’agit d’une question objective. Les allégations de mauvaise foi, comme les protestations
contraires, lorsqu’elles sont formulées à tort et à travers, ne contribuent guère au maintien de
bonnes relations entre Etats, ni à l’efficacité des procédures devant les juridictions appelées à
déterminer si le principe en question a ou non été respecté.
20. A cet égard, permettez-moi de vous rapporter un exemple édifiant. Le tribunal arbitral
constitué en l’affaire du Thon à nageoire bleue a laissé entendre, ce qui est pourtant peu
vraisemblable, que la sentence sur la compétence qu’il a rendue le 4 août 2000 aurait été différente
180
si l’Australie avait pu apporter la preuve que le Japon avait agi de mauvaise foi . Ne disposant
pas d’éléments établissant la mauvaise foi, les conseils n’avaient présenté aucune allégation en ce
sens devant le tribunal. Habituellement, les Etats attachés aux mêmes principes ne s’accusent pas
177CR 2013/17, p. 30-31, par. 51-54 (Finlayson).
178 Procédure de vote applicable aux questions touchant les rapports et pétitions relatifs au Territoire du
Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1955, opinion individuelle du juge Lauterpacht, p. 106 ; CR 2013/8,
p. 37, par. 37 (Crawford) ; et CR 2013/16, p. 53-54, par. 42 (Pellet).
179
CR 2013/15, p. 15, par. 5 ; p. 21, par. 38 ; p. 24, par. 54 (Lowe).
180 Affaire du Thon à nageoire bleue entre l'Australie et le Japon et entre la Nouvelle-Zélande et le Japon,
sentence sur la compétence et la recevabilité, décision du 4 août 2000, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXIII, p. 46,
par. 64, disponible à l’adresse suivante : http://untreaty.un.org/cod/riaa/cases/vol_xxiii/1-57.pdf, consulté le 8 juillet
2013. - 61 -
d’agir de mauvaise foi, et les conseils qui les représentent devant les juridictions internationales
sont tenus de ne pas le faire, à moins de disposer de preuves concrètes.
21. Or, il s’avère qu’au cours de cette période la période visée dans l’affaire du Thon à
nageoire bleue , le Japon a délibérément et massivement dépassé son quota de thon. L’Australie
n’a découvert cette information qu’après la fin de la procédure, et le Japon a ensuite je le
reconnais volontiers compensé ses prises excédentaires en réduisant ses prises lors des années
181
65 qui ont suivi . Les choses sont donc rentrées dans l’ordre, si l’on fait abstraction du désordre
juridictionnel engendré par la conclusion à la fois inutile et malencontreuse de ce tribunal.
22. La morale de cette histoire est que tout examen judiciaire par la Cour, en particulier
lorsqu’il porte sur des ressources du domaine public qui n’appartiennent pas, même prima facie, à
quelque Etat que ce soit, et qui présentent un intérêt collectif, ne devrait pas être effectué
entièrement, ni même principalement, à l’aune de critères aussi fluctuants et subjectifs que celui de
la mauvaise foi. Normalement, pour déterminer s’il y a eu violation d’un traité, on cherche à savoir
si les dispositions qui y sont énoncées ont été appliquées honnêtement et objectivement, et s’il a été
satisfait à toute obligation qui peut raisonnablement être considérée comme découlant de
l’instrument en question. Lorsque sont en cause des ressources du domaine public international, le
fait de reconnaître une large marge d’appréciation conduit, dans les faits, à allouer les ressources en
question à l’Etat qui les exploite. De la même manière, tout examen reposant sur une forte
présomption de bonne foi conduit, dans les faits, à allouer ces ressources aux Etats doués pour la
dissimulation. Tout cela semble indiquer que l’approche objective habituelle en matière de
responsabilité de l’Etat doit non seulement être fondée sur le strict libellé d’un traité tel que la
convention de 1946, mais aussi sur le bon sens et l’expérience.
23. A cet égard, entendre M. Boyle établir une analogie entre la position du Japon
concernant les peuplements de baleines dans l’hémisphère Sud dans le cadre de la convention
de 1946 et la position de l’Uruguay relative au fleuve du même nom dans le cadre du traité bilatéral
181 e
Commission pour la conservation du thon à nageoire bleue, rapport de la 13 réunion annuelle de la
commission, p. 10-13, octobre 2006, Miyazaki, Japon, disponible à l’adresse suivante :
http://www.ccsbt.org/userfiles/file/docs_english/meetings/meeting_repor…, en
particulier, par. 46 ; annexe 4-1, déclaration liminaire de l’Australie ; annexe 4-3, déclaration liminaire de l’autorité de
pêche de Taiwan ; annexe 4-5, déclaration liminaire du Japon. - 62 -
182
avec l’Argentine dans l’affaire des Usines de pâte à papier est à la fois surprenant et révélateur .
La convention de 1946 est une entreprise collective. Ce n’est pas un traité bilatéral entre le Japon
et le reste du monde. Le Japon ne «possède» pas les baleines qu’il capture comme l’Uruguay a
souveraineté sur sa partie du fleuve Uruguay et les rives de celui-ci. Les baleines de
l’océan Austral sont soumises à la règlementation collective de la convention. Si cela ne plaît pas
au Japon, plusieurs possibilités s’offrent à lui. En revanche, ce qu’il ne peut pas faire, selon moi,
c’est inventer a posteriori, par un sophisme juridique, de nouvelles façons de se soustraire à la
convention.
24. M. Lowe a avancé deux autres arguments précis que je vais, par égard pour le Japon,
brièvement rappeler. Il a d’abord souligné qu’aux termes de la convention, la Cour n’a aucun rôle
66 précis à jouer . Autrement dit, il n’y a pas de clause juridictionnelle. Mais là n’est pas la
question. Le droit international, notamment les traités, lie les Etats indépendamment de toute
clause juridictionnelle, et la compétence conférée à la Cour en vertu de la clause facultative s’étend
au règlement de tout différend juridique entre l’Australie et le Japon. La Cour a souligné à maintes
reprises que l’application du droit et les clauses juridictionnelles étaient indépendantes. Ce
principe est valable dans les deux sens : il permet de garantir que le droit international s’applique
en cas de défaut de compétence, et il s’applique dans le sens contraire dans le cas de l’affaire
opposant l’Allemagne et l’Italie. En d’autres termes, le bien-fondé du comportement d’Etats, ou
d’organisations d’ailleurs, est indépendant de la source de compétence, surtout lorsque la Cour est
concernée. Ensuite, M. Lowe a fait observer que l’article VIII n’imposait pas de motiver la
184
délivrance d’un permis spécial . C’est faux ; la délivrance d’un permis spécial n’est autorisée au
titre de l’exception définie à l’article VIII que si celui-ci satisfait aux critères des recherches ou de
l’objectif scientifique, et c’est à l’Etat se fondant sur ledit article d’en apporter la preuve, que ce
soit dans les termes du permis spécial, ou, si ces derniers n’y font pas référence, par d’autres
moyens.
182
CR 2013/16, p. 36, par. 24-25 (Boyle).
18CR 2013/15, p. 24, par. 50 (Lowe).
18CR 2013/15, p. 21, par. 34 (Lowe). - 63 -
Conclusions sur l’interprétation
25. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, comme je l’ai souligné hier,
toutes les questions qui vous sont soumises sont des questions de responsabilité de l’Etat qui
touchent à l’interprétation et à l’application d’un traité. Il serait absurde d’interpréter l’article VIII
comme une sorte d’exception de sécurité nationale formulée en des termes subjectifs et destinée à
établir des garanties fondamentales de souveraineté contre l’ingérence internationale. Le Japon est
sans aucun doute un Etat souverain, mais tel est également le cas des autres parties à la convention,
laquelle a pour objet d’encadrer leurs interactions en matière de chasse à la baleine, question
d’intérêt public qui échappe au ressort des Etats individuels et n’est la prérogative d’aucun. Il est
tout à fait inapproprié d’interpréter l’article VIII comme si les termes «en vue de recherches
scientifiques» signifiaient «en vue de ce que l’Etat concerné considère comme étant scientifique».
De même, il est inapproprié d’interpréter les termes d’une convention pour la conservation et la
reconstitution d’une espèce sérieusement menacée comme accordant des droits spéciaux de
prélèvement, au mépris des vues des autres parties et des meilleurs avis scientifiques. Le Japon
accuse l’Australie de chercher à faire de la convention un instrument destiné à éradiquer la chasse à
67 la baleine ; or, selon l’interprétation qu’il en fait lui-même, celle-ci pourrait bien se transformer en
instrument d’éradication des baleines.
26. L’Australie fait valoir que le principe déterminant est celui de l’effet utile de la
convention, et que l’on ne saurait retenir une interprétation de l’article VIII autorisant la capture de
baleines sans restrictions, de manière unilatérale et sans limite dans le temps, aux fins du «suivi de
l’écosystème de l’Antarctique». Il convient donc d’envisager l’article VIII comme une partie de la
convention et, de fait, c’est bien ce qu’il est et d’imposer l’obligation de démontrer que les
propositions sont réellement motivées par des considérations scientifiques et conçues d’une
manière susceptible d’atteindre des objectifs scientifiques. L’Australie soutient également que,
conformément au principe de l’effet utile, les Etats doivent prendre sérieusement en considération
les vues de la CBI et de ses organes subsidiaires, que la notification n’est pas de pure forme il ne
s’agit pas pour la CBI d’agiter son mouchoir en regardant s’éloigner le siège éjectable , et qu’un
manquement à l’obligation de tenir compte des vues de la CBI peut conduire la Cour à conclure - 64 -
que la proposition n’a pas pour objet des recherches scientifiques, mais qu’elle poursuit en réalité
d’autres fins non conformes à la convention, telle qu’alors en vigueur.
27. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, peut-être devrais-je ajouter
que, en décrivant cette instance comme une affaire classique d’interprétation et d’application de
traité, et en laissant entendre que la Cour peut rendre sa décision sans avoir à se pencher sur les
questions déplaisantes et subjectives relatives à la mauvaise foi, je ne prétends pas que ces
questions, si elles étaient dûment réglées, ne seraient pas pertinentes. La Cour n’est pas tenue de
trancher ces questions, mais pourrait le faire. L’Attorney-General reviendra sur ce point cet
après-midi.
Monsieur le président, ceci conclut la première partie de ma présentation. Le moment me
semble bien choisi pour faire une pause.
LE PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Crawford. L’audience reprendra à 15 h 00, et
vous pourrez alors poursuivre votre exposé.
Avant la levée de l’audience, je crois comprendre que le juge Greenwood a une question
succincte d’ordre factuel sur la présentation faite ce matin par l’Australie. Je vais donc lui donner
la parole. Monsieur le juge, je vous en prie.
Juge GREENWOOD : Je vous remercie infiniment, Monsieur le président. Je vous demande
de m’excuser si la réponse à ma question figure déjà dans les exposés et m’a échappé, mais
l’Australie pourrait-elle répondre, cet après-midi, à la question suivante :
68 «Après le refus de 63 scientifiques de prendre part à l’examen de JARPA II,
combien de membres est-il resté au sein du comité scientifique pour procéder à cet
examen ?»
Je vous remercie, Monsieur le président.
Le PRESIDENT : Je vous remercie. Il serait souhaitable que la réponse soit fournie cet
après-midi et bien entendu, le Japon aura l’occasion de formuler des observations, s’il le souhaite.
Le texte sera adressé aux deux Parties dès que possible. Je vous remercie. L’audience est levée.
L’audience est levée à 12 h 55.
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