Non corrigé Traduction
Uncorrected Translation
CR 2013/17 (traduction)
CR 2013/17 (translation)
Lundi 8 juillet 2013 à 10 heures
Monday 8 July 2013 at 10 a.m. - 2 -
14 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Bonjour. La séance est ouverte. La Cour est
réunie ce matin pour entendre la Nouvelle-Zélande lui faire part de ses observations sur la question
de son intervention. Je vais donc maintenant céder la parole à l’agent de la Nouvelle-Zélande,
Mme Ridings. Vous avez la parole, Madame.
Mme RIDINGS :
[Projection n 1 : logo.]
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur et un
privilège pour moi de paraître devant la Cour au nom de mon pays.
2. Monsieur le président, la Nouvelle-Zélande paraît ici aujourd’hui en raison de l’intérêt
fondamental que présente pour nous l’interprétation et l’application judicieuses de la convention en
cause.
3. La Nouvelle-Zélande est l’un des pays fondateurs de la commission baleinière
internationale et participe activement aux travaux de celle-ci. Nous reconnaissons que l’arrêt que
la Cour rendra en l’espèce sera lourd de conséquences pour tous les membres de la CBI. En tant
que partie à la convention, la Nouvelle-Zélande tient à exposer à la Cour ce qu’elle tient pour
l’interprétation juste des obligations qui en découlent. Ce faisant, nous avons pleinement
conscience que notre position pourra différer, quant à la substance ou à l’importance de tel ou tel
point, de celle qu’auront adoptée les Parties à l’instance ; cela est tout à fait inévitable.
4. Cela dit, la Nouvelle-Zélande reconnaît que l’interprétation de la convention que retiendra
la Cour dans son arrêt sera obligatoire à son égard. Mais nous sommes confiants que la Cour, au
moment de statuer, gardera à l’esprit la nécessité de voir les membres de la CBI travailler ensemble
à bâtir l’avenir et que, à cette fin, sa décision permettra de trouver une solution constructive et
efficace à cette question qui se pose depuis déjà trop longtemps.
Contexte historique
5. Monsieur le président, la présente affaire s’inscrit dans un contexte historique qui lui est
propre et dont la compréhension est indispensable à l’interprétation de la convention. La chasse à
la baleine dans l’Antarctique a connu un passé mouvementé et controversé. Une surexploitation - 3 -
débridée, surtout avant la seconde guerre mondiale, a causé le déclin marqué des populations de
cétacés. C’est au début des années 1930 qu’ont été lancés les premiers appels en vue d’une action
15 à l’échelle internationale. [Projection n 2 : citation.] Si vous me permettez, j’aimerais rappeler les
termes employés par le ministre britannique lors de l’ouverture de la conférence internationale sur
la chasse à la baleine de 1937 et qui sont reproduits à l’écran devant vous :
«Les difficultés sont nombreuses sur la voie de la conservation, mais nous
sommes tous réunis autour d’un objectif commun ; aussi, j’espère que vos efforts
conjoints permettront de contourner ou de surmonter ces obstacles, et que nous
parviendrons à un accord dont nous bénéficierons tous, un accord dont le caractère
raisonnable et pragmatique incitera peut-1tre ceux qui ne sont pas ici, aujourd’hui, à
nous rejoindre dans un avenir proche .»
6. Ces paroles n’ont rien perdu de leur actualité depuis qu’elles ont été prononcées en 1937.
o
[Projection n : logo.] Si un accord a pu être conclu à l’issue de la conférence de 1937, l’acte final
laissait entrevoir la mise en échec de l’objectif de cet accord par les activités non réglementées que
2
pratiquaient d’autres pays . C’est précisément ce qui est arrivé. Ce n’est qu’après la seconde
guerre mondiale que les pays s’adonnant à la chasse à la baleine sont parvenus à se réunir en vue de
faire avancer «l’effort de coopération internationale visant à la conservation des baleines», selon les
termes employés par les Etats-Unis d’Amérique, hôtes de la conférence . Cette initiative a abouti à
la conclusion de la convention et à la constitution de la commission baleinière internationale.
7. Les mesures prises au cours des premières années de la CBI peuvent être qualifiées à la
fois de trop modestes et de trop tardives. M. Iwasawa a parlé des années 1960 comme de «l’âge
d’or de la chasse à la baleine à des fins commerciales» , mais ce manque d’engagement envers la
conservation a été l’une des principales raisons qui ont motivé la décision de la Nouvelle-Zélande
de se retirer de la CBI en 1968 . Il est également devenu une source de préoccupation grave à
l’échelle internationale, non seulement en ce qui concerne les populations de cétacés, mais aussi
pour la conservation et la gestion des ressources partagées. Reconnaissant que les ressources
1Discours du ministre à l’ouverture de la conférence, conférence internationale sur la chasse à la baleine,
ICW/1937/3, CMJ, vol. II, annexe 7, p. 101.
2Acte final, 1940, AJIL, vol. 34, p. 112 ; CMJ, vol. II, annexe 13, p. 119 (AJIL).
3
Conférence internationale sur la chasse à la baleine, Washington (DC), 1946, procès-verbal de la séance
d’ouverture, CBI/11, 20 novembre 1946 ; CMJ, vol. II, annexe 16, p. 129.
4
CR 2013/16, p. 28, par. 40 (Iwasawa).
5 Commission baleinière internationale, comptes rendus, CBI 28, 21-25 juin 1976, p. 10-14, disponible à
l’adresse : http://download.iwc.int/verbatim/pdf/VR_1976_28th.pdf (consulté le 29 juin 2013). - 4 -
naturelles ne sont pas illimitées, la CBI a répondu favorablement à ces préoccupations. C’est cette
réaction, ainsi que la confiance la confiance dans la capacité de la CBI de remplir son mandat de
6
réglementation collective, qui a amené la Nouvelle-Zélande à réintégrer la commission en 1976 .
Cependant, le sentiment d’optimisme collectif qui a suivi le moratoire commercial de 1982, puis le
retrait, par le Japon, de son objection à celui-ci, allait rapidement être assombri par la décision de
16
ce même pays de lancer le programme JARPA en 1987.
8. La chasse à la baleine au titre de permis spéciaux que pratique le Japon continue de prêter
à controverse au sein de la CBI, ne serait-ce qu’en raison de la décision de procéder à la mise à
exécution du programme JARPA II sans que le programme JARPA ait pu faire l’objet d’un examen
suffisant. L’objectif que poursuivaient les Etats parties lorsqu’ils ont conclu la convention en 1946
a ainsi été obscurci par cette controverse, qui entrave le fonctionnement efficace de la CBI.
9. Monsieur le président, ce rappel historique permet de bien comprendre les objet et but de
la convention, qui sont au cœur du débat en l’espèce. L’intention des rédacteurs de la convention
était de remplacer la chasse à la baleine unilatérale par un système de réglementation collective.
L’Attorney-General examinera plus avant ces objet et but. Il traitera également du rôle joué par
l’article VIII dans ce système de réglementation collective, ainsi que de l’exigence fondamentale
selon laquelle l’article VIII n’autorise la chasse à la baleine que lorsqu’elle est pratiquée «en vue de
recherches scientifiques».
10. J’aborderai ensuite deux exigences supplémentaires qui s’imposent aux Etats
contractants qui délivrent des permis spéciaux en vertu de la convention, à savoir que, d’une part,
le nombre de baleines mises à mort au titre d’un permis spécial doit correspondre à ce qui est
nécessaire et proportionné par rapport aux objectifs de la recherche, et que, d’autre part, les Etats
contractants sont tenus à un devoir de coopération effective.
11. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre
attention. Je vous prie maintenant de bien vouloir céder la parole à l’Attorney-General de la
Nouvelle-Zélande, M. Christopher Finlayson.
6Ibid. - 5 -
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Madame. J’invite maintenant
M. Christopher Finlayson, Attorney-General de la Nouvelle-Zélande, à s’adresser à la Cour. Vous
avez la parole, Monsieur.
M. FINLAYSON :
L’OBJET ET LE BUT DE LA CONVENTION ET LE RÔLE DE L ’ARTICLE VIII
AUX FINS DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est la première fois que j’ai le
privilège de me présenter devant la Cour, et je suis particulièrement honoré de pouvoir le faire en
tant que conseil de mon pays.
2. Monsieur le président, l’article VIII, et surtout son premier paragraphe, réside au cœur du
différend juridique qui nous occupe en l’espèce. Il m’incombe aujourd’hui de vous exposer le rôle
17 de cette disposition dans le cadre global de la convention. Il s’agit d’une disposition qui a été créée
exclusivement aux fins de la véritable recherche scientifique et qui est limitée à cela, qui fait partie
intégrante de la convention, et qui doit nécessairement être interprétée et appliquée de manière
conforme à la convention dans son ensemble.
3. J’examinerai trois éléments :
a) premièrement, l’objet et le but de la convention, qui sont d’établir un système de réglementation
collective pour la conservation et la gestion des baleines ;
b) deuxièmement, le rôle de l’article VIII en tant que partie intégrante de ce système de
réglementation collective ; et
c) troisièmement, l’obligation selon laquelle toute chasse à la baleine pratiquée au titre de
l’article VIII doit l’être exclusivement «en vue de recherches scientifiques».
L’objet et le but de la convention
4. Je me pencherai tout d’abord sur l’objet et le but de la convention.
5. Monsieur le président, l’agent a brièvement relaté le contexte historique dans lequel la
convention a vu le jour. Cette convention est née de la reconnaissance, par les parties qui l’ont
négociée, de leur intérêt commun à assurer l’avenir à long terme des populations de baleines, un
intérêt dont la défense ne pourrait jamais être assurée par une action individuelle des Etats. - 6 -
Comme le montrent les événements du XIX et du début du XX siècles, les libertés illimitées qui
étaient jadis associées à la haute mer basculèrent dans la tragédie des biens communs. Les Etats
parties aux négociations reconnurent que la seule façon d’assurer l’avenir à long terme des
populations de baleines était d’œuvrer de concert. Mettant leurs intérêts individuels de côté, les
négociateurs de la convention décidèrent de remplacer la chasse à la baleine unilatérale par un
système de réglementation collective. Ils convinrent de limiter les libertés dont ils jouissaient
traditionnellement en haute mer en mettant en place un système de coopération, afin d’assurer la
conservation et la gestion des baleines de manière appropriée et pérenne.
L’objet et le but tels qu’ils sont consignés dans le préambule de la convention
6. L’objet et le but de la convention sont clairement consignés dans le préambule de celle-ci.
[Projection n 4 : préambule.]
7. Il est tout d’abord reconnu au premier alinéa que «les nations du monde ont intérêt à
sauvegarder, au profit des générations futures, les grandes ressources naturelles représentées par
l’espèce baleinière».
8. Le préambule indique ensuite qu’«il est essentiel de protéger toutes les espèces de baleines
contre la prolongation d[e leur exploitation excessive]», qu’«une réglementation appropriée de la
18 chasse à la baleine» permettrait la reconstitution des stocks, qu’il en va de «l’intérêt général» et
que, par voie de conséquence, «il faut limiter les opérations de chasse».
9. L’objectif des parties aux négociations était clair, à en juger par ces considérations. Ainsi
qu’exposé au sixième alinéa, elles voulaient «instituer un système de réglementation internationale
de la chasse à la baleine qui soit de nature à assurer d’une manière appropriée et efficace la
conservation et l’accroissement des peuplements baleiniers».
10. A cette fin, au terme du préambule, les parties «décid[èrent] de conclure une convention
destinée à assurer la conservation appropriée des peuplements baleiniers et voula[ient] ainsi donner
à l’industrie baleinière la possibilité de se développer d’une manière méthodique».
11. Monsieur le président, le Japon a tenté de donner beaucoup d’importance à cet ultime
alinéa. Selon lui, tout tournerait autour du dernier membre de phrase et du terme «ainsi». Si l’on
suit l’interprétation du Japon, l’objet et le but de la convention se résumeraient à cette quinzaine de - 7 -
mots, de sorte que la convention ne constituerait qu’un moyen de parvenir à une «utilisation
optimum» des baleines dans le cadre de la chasse commerciale — qu’elle ne traduirait qu’une
8
simple «alliance» de l’industrie .
12. C’est déformer le sens du préambule tout entier que d’en faire une telle lecture. Le Japon
extrait ces quelques termes du préambule au détriment de tout ce qui vient avant — et en particulier
de l’alinéa précédent, qui montre clairement que l’objectif des parties était d’«instituer un système
de réglementation internationale de la chasse à la baleine qui soit de nature à assurer d’une manière
appropriée et efficace la conservation et l’accroissement des peuplements baleiniers». Je dis bien,
«des peuplements baleiniers», et non «de l’industrie baleinière». [Projection n 5.] o
13. L’objet et le but de la convention ne peuvent donc être résumés à la protection de la
chasse commerciale à la baleine. Les Etats peuvent avoir et ont, de fait, des intérêts divergents à
l’égard des baleines et de la chasse à la baleine. Le but de la convention était d’établir un système
permettant de tenir compte de ces intérêts individuels et de les concilier avec celui, supérieur, que
les parties avaient en commun concernant l’avenir à long terme des stocks des baleines. Cet intérêt
commun ne pouvait être défendu par une action individuelle, mais demandait l’établissement d’un
système complet de réglementation collective.
19 14. Ce système n’est pas venu s’intégrer «dans un contexte de liberté en matière de chasse à
9
la baleine», contrairement à ce dont le Japon voudrait vous convaincre . Il traduit une décision que
les parties à la convention ont prise de manière consciente et délibérée pour mettre un frein à cette
liberté, afin de veiller au respect de leur intérêt commun à l’égard de l’avenir à long terme des
stocks de baleines.
L’objet et le but tels qu’ils ressortent de l’économie générale de la convention et de sa
structure
15. Cet objet et ce but ressortent également de l’économie générale et de la structure de la
convention, prise dans son ensemble.
7CMJ, par. 6.11 ; OEJ, par. 19 ; CR 2013/13, p. 59, par. 63 (Boyle).
8CR 2013/12, p. 44, par. 19 (Akhavan).
9
OEJ, par. 28. - 8 -
16. La convention couvre tous les types de chasse à la baleine pouvant être pratiqués par les
parties, qu’il s’agisse de la chasse commerciale à l’échelle industrielle, de la chasse aborigène de
10
subsistance ou de la chasse en vue de recherches scientifiques . Une organisation internationale
est établie afin de fixer les règles dans le cadre desquelles la chasse à la baleine peut être pratiquée :
11
il s’agit de la commission baleinière internationale . La commission revêt un caractère universel :
12
tous les Etats sont libres d’y adhérer, qu’ils aient ou non une industrie baleinière . La commission
est habilitée à adopter des règlements pour contrôler les activités de chasse à la baleine 13 et à
formuler des recommandations «à propos de questions ayant trait…aux baleines et à la chasse à la
14 15
baleine» . Ce faisant, elle doit tenir compte d’un vaste ensemble de facteurs . Elle prend toutes
16
ses décisions de manière collégiale en les mettant aux voix , et ses membres sont liés par les
règlements ainsi adoptés . Nous sommes loin de la «tyrannie de la majorité» dont le Japon a fait
18
état à plusieurs reprises . Au contraire, un mécanisme spécifique permettant de formuler des
réserves a été inclus dans la convention afin de permettre à un membre d’exercer un droit de retrait
à l’égard d’une décision lorsqu’il estime que ses intérêts propres n’ont pas été suffisamment
protégés . Tel est le mécanisme idoine qu’un Etat doit utiliser s’il n’est pas d’accord avec une
décision de la commission.
20 17. Monsieur le président, voilà toutes les caractéristiques d’un régime de réglementation
collective établi pour concilier les intérêts des Etats à l’égard de stocks constituant une ressource
commune. Si la convention avait visé à protéger l’industrie baleinière et non les populations de
baleines, elle aurait été conçue de manière très différente. Elle ne serait ouverte qu’aux Etats ayant
une industrie baleinière établie. Les décisions prises en vertu de la convention répondraient
10Art. I, par. 2 de la convention et règlement y annexé.
11Art. III et V de la convention.
12
Art. III et X, par. 2 de la convention.
13
Art. V, par. 1 de la convention.
14
Art. VI de la convention.
15Art. V, par. 2 de la convention.
16Art. V et VI de la convention.
17Art. V, par. 3 et art. IX de la convention.
18
CMJ, par. 8.101. Voir également : CR 2013/12, p. 55, par. 57 (Akhavan) ; CR 2013/16, p. 61, par. 58 (Pellet).
19
Art. V, par. 3 de la convention. - 9 -
uniquement à des considérations de l’industrie. Les fonctions de la commission seraient axées sur
la prévision et l’analyse économiques et financières. En résumé, la convention ressemblerait en
20
quelque sorte au statut de l’OPEP .
18. Mais la CBI n’est pas l’OPEP. Elle ne ressemble pas à l’OPEP et elle ne prend pas le
même type de décisions, et pour cause : il ne s’agit pas d’une alliance de l’industrie. Au contraire,
la convention fut le premier instrument multilatéral à reconnaître expressément que «les nations du
monde [avaient] intérêt» à assurer de manière appropriée et pérenne la conservation et la gestion
des stocks de baleines.
19. Compte tenu de cet intérêt, quels que puissent être leurs intérêts propres à l’égard des
baleines, les parties à la convention ont accepté d’œuvrer de concert, dans le cadre de la
commission, et de se conformer aux obligations qu’elles avaient contractées, qu’elles voient les
baleines comme une simple marchandise ou comme des êtres vivants importants en eux-mêmes.
Le rôle de l’article VIII dans le cadre de la convention
20. Monsieur le président, ces obligations comprennent celles énoncées à l’article VIII,
auxquelles j’en viens à présent.
21. J’ai quatre observations à formuler :
a) premièrement, l’article VIII fait partie intégrante du système de réglementation collective établi
par la convention, et ne constitue pas une dérogation autonome ;
b) deuxièmement, il autorise les Etats contractants à délivrer des permis spéciaux à trois
conditions : le permis doit être octroyé «en vue de recherches scientifiques», être assorti de
restrictions quantitatives et être délivré conformément à la convention, y compris au
paragraphe 30 du règlement y annexé ;
21 c) troisièmement, le pouvoir de délivrer un permis spécial doit être exercé en vue de l’objectif
spécifique dans lequel il a été conféré, de façon raisonnable et conformément à l’objet et au but
de la convention. Il ne peut être utilisé pour faire échec aux autres obligations établies dans la
convention ou pour les contourner ;
20 Statut de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (tel que revisé en 2006), disponible [en anglais] à
l’adresse suivante : http://www.opec.org (consulté le 7 juillet 2013). - 10 -
d) enfin, le respect de ces conditions n’est nullement laissé à l’appréciation de l’Etat délivrant le
permis spécial, mais constitue simplement une question de fait que la Cour doit trancher de la
façon habituelle.
L’article VIII fait partie intégrante de la convention
22. La chasse à la baleine au titre d’un permis spécial qui est autorisée à l’article VIII
s’intègre dans la trame même de la convention. Elle fait partie des divers mécanismes qui sont
conçus dans la convention pour permettre la collecte d’informations scientifiques susceptibles
21
d’aider la commission dans ses travaux . Elle ne relève donc pas d’un régime «autonome» ou «se
suffisant à lui-même» qui serait indépendant du reste de la convention, contrairement à ce que le
22
Japon voudrait faire croire .
23. L’article VIII ne traduit pas non plus une simple «affirmation» d’un droit qui existait en
23
vertu de la liberté de la haute mer . Les libertés associées à la haute mer constituent, à n’en pas
douter, des principes éminemment élevés et importants. Mais ce ne sont pas ces principes qui sont
en cause dans la présente affaire. Ces libertés ne peuvent être exercées que dans la mesure où elles
ne sont pas limitées par d’autres règles plus spécifiques du droit international . Dans la présente
affaire, de telles règles sont établies dans la convention et, en particulier à l’article VIII. C’est cette
disposition-là que le Japon n’a cessé d’invoquer pour justifier ses activités de chasse sur le plan
juridique, et c’est cette disposition-là qui est au cœur de la présente espèce.
24. En tant que partie intégrante de la convention, l’article VIII doit être interprété et
appliqué conformément aux autres dispositions de celle-ci. Il ne donne pas carte blanche aux Etats
contractants pour contourner le reste de la convention et les autres obligations qu’ils ont
22 contractées. Les parties à la convention elles-mêmes ont unanimement confirmé qu’elles
acceptaient ce point . 25
21Voir également art. IV, VII et VIII, par. 3 et 4.
22CMJ, p. 299, par. III.6 et par. 7.8.
23
OEJ, par. 51 ; CR 2013/15, p. 15, par. 7-8 (Lowe).
24
Voir, par ex., art. 87 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.
25Résolution 1986-2 de la CBI sur les permis spéciaux en vue de recherches scientifiques, cinquième alinéa du
préambule : «Attendu que la mise à mort, la capture et le traitement des baleines en vue de recherches scientifiques ne
doivent être effectués que dans le respect des principes et conformément aux dispositions de la convention...» ; MA,
vol. II, annexe 43, p. 148. - 11 -
26
25. Telle est, et telle a toujours été, l’interprétation néo-zélandaise de l’article VIII .
Conformément à cette interprétation, la Nouvelle-Zélande a, en 2005, soumis pour examen
certaines propositions informelles visant à modifier l’article VIII . Ces propositions tendaient à
encadrer plus étroitement les conditions de délivrance des permis spéciaux, aux fins du bon
fonctionnement de la convention dans son ensemble.
26. La structure même de l’article VIII montre que celui-ci fait partie intégrante de la
o
convention. [Projection n 6 : article VIII.] L’article VIII contient quatre paragraphes. Seuls les
deux premiers ont trait aux permis spéciaux. Les paragraphes 3 et 4, dont la portée est plus vaste,
concernent les renseignements scientifiques obtenus par les Etats contractants de manière plus
générale. Le paragraphe 3 énonce une obligation spécifique de transmettre tout renseignement
scientifique obtenu à la commission. De par ses termes mêmes, l’article VIII est directement lié
aux travaux de la commission et au système de réglementation collective établi par la convention.
27. Le rôle de l’article VIII, en tant que partie intégrante de la convention, ressort également
des obligations énoncées dans celle-ci à l’intention des Etats contractants, qui doivent soumettre
28
tout permis spécial au comité scientifique pour examen et avis avant de le délivrer , informer la
commission une fois le permis spécial accordé , et transmettre à la commission les résultats des
30 o
recherches effectuées lorsque celles-ci sont terminées . [Projection n 7.] Les permis spéciaux
visés à l’article VIII ne relèvent pas d’un «régime se suffisant à lui-même», tant s’en faut : ils sont
indissolublement liés au rôle de la commission et au reste de la convention. Cela ressort également
de l’attention soutenue que la commission a accordée aux permis spéciaux depuis le tout début de
ses travaux, en vérifiant le but recherché à travers ces permis spéciaux, le type de recherches à
26 Déclaration de la Nouvelle-Zélande, rapport du président sur les travaux de la 40 réunion annuelle de la CBI,
Rapport annuel de la commission baleinière internationale, 1989, vol. 39, p. 11 : «La Nouvelle-Zélande considère que
les droits énoncés à l’article VIII ne sont pas illimités et qu’ils doivent être exercés de bonne foi, compte tenu des autres
dispositions du règlement.» [Traduction du Greffe.] Le texte anglais de cette déclaration peut être consulté à l’adresse
suivante :http://iwc.int/cache/downloads/71ca0bcvz44kocs4wgkskggwo/IWC_1989_Thirt…
the%20Commission.pdf.
27
OEJ, par. 24 et annexe 4.
28 Paragraphe 30 du règlement annexé à la convention.
29 Art. VIII, par. 1 de la convention.
30 Art. VIII, par. 3 de la convention. - 12 -
23 mener et leur valeur, ainsi que le nombre de baleines à tuer . Cette pratique constitue un élément
contextuel essentiel qui éclaire et renforce l’interprétation de l’article VIII.
Les permis spéciaux ne relèvent pas d’une dérogation à la convention
28. Le Japon force l’interprétation de l’article VIII en se focalisant sur des bribes de phrases
au détriment de l’ensemble. Il tente d’échafauder une dérogation générale aux autres dispositions
de la convention en rattachant trois membres de phrase du paragraphe 1 de cet article, à savoir
«[n]onobstant toute disposition contraire de la présente convention», «que le Gouvernement
contractant jugera opportunes» et «sans qu’il y ait lieu de se conformer aux dispositions de la
convention» . 32
29. Ces trois membres de phrase doivent être lus dans leur sens ordinaire et dans le contexte
qui est le leur. Ainsi, dans son sens ordinaire, la première partie du paragraphe 1 de l’article VIII
contient trois éléments distincts :
o
a) [Projection n 8 : art. VIII, par. 1.] Premièrement :
«Nonobstant toute disposition contraire de la présente convention, chaque
gouvernement contractant pourra accorder à ses ressortissants un permis spécial
autorisant l’intéressé à tuer, capturer et traiter des baleines en vue de recherches
scientifiques».
33
Contrairement aux dires de M. Pellet , la formule «[n]onobstant toute disposition contraire de
la présente convention» ne couvre pas l’article dans son ensemble mais, de toute évidence, se
rattache uniquement aux termes qui la suivent, à savoir «chaque gouvernement contractant
pourra accorder à ses ressortissants un permis spécial». Ce membre de phrase autorise un
gouvernement contractant à délivrer un permis spécial aux fins spécifiques de «recherches
scientifiques», nonobstant les autres règles de la convention. En ce sens, il constitue une
exception limitée, comme l’Australie vous l’a exposé . Mais, au-delà de cela, il n’établit
aucune dérogation plus générale aux obligations découlant de la convention.
31
OEN, par. 90-93.
32CMJ, par. 7.8 et 7.11 ; OEJ, par. 33 ; CR 2013/13, p. 61-62, par. 4, 10 et 11 (Pellet).
33
CR 2013/13, p. 62, par. 6 (Pellet).
34
CR 2013/8 Corr., p. 42-46, par. 54-67 (Crawford). - 13 -
o
b) [Projection n 9, art. VIII, par. 1.] La partie suivante se lit comme suit : «ladite autorisation
pouvant être subordonnée aux restrictions, en ce qui concerne le nombre, et à telles autres
conditions que le gouvernement contractant jugera opportunes». Il s’agit là du
24 deuxième élément, de l’obligation d’imposer certaines conditions, notamment des «restrictions,
en ce qui concerne le nombre» pour tout permis spécial délivré. Là encore, il est évident que
les termes «que le gouvernement contractant jugera opportunes» ne se rattachent qu’à cet
élément. Ils ne créent pas une dérogation générale permettant au gouvernement contractant
d’agir «à sa guise» en invoquant cet article.
c) [Projection n 10 : art. VIII, par. 1.] Enfin, le paragraphe indique que, «dans ce cas, les baleines
pourront être tuées, capturées ou traitées sans qu’il y ait lieu de se conformer aux dispositions
de la présente convention» [«the killing, taking and treating of whales in accordance with the
provisions of this Article shall be exempt from the operation of this Convention»]. Le texte ne
dit pas ««sans qu’il y ait lieu de se conformer aux dispositions de la présente convention» dans
35
le cas de la chasse à la baleine au titre d’un permis spécial», n’en déplaise au Japon . Au
contraire, les baleines doivent être tuées, capturées ou traitées conformément aux prévisions
[«in accordance with the provisions»] de l’article VIII pour que ce type de chasse échappe à
l’application des règles ordinaires de la convention. Loin de créer une dérogation générale, ces
termes font obligation au gouvernement contractant d’agir conformément aux prévisions [«in
accordance with the provisions»] de l’article VIII lorsqu’il délivre un permis spécial.
o
[Projection n 11.]
Les obligations associées à la délivrance de permis spéciaux en vertu de l’article VIII
30. L’article VIII impose à l’Etat contractant qui souhaite délivrer un permis spécial trois
obligations formulées en termes restrictifs. Cet Etat doit :
a) premièrement, délivrer ce permis à des fins bien précises et expressément définies «de
recherches scientifiques» ;
b) deuxièmement, fixer des restrictions en ce qui concerne le nombre de baleines devant être
capturées ou mises à mort au titre dudit permis ;
35CMJ, par. 7.8. - 14 -
c) et, troisièmement, ne délivrer ce permis que conformément aux prévisions de l’article VIII, [«in
accordance with the provisions of this Article»], prévisions qui englobent, comme l’agent vous
le précisera sous peu, les dispositions du paragraphe 30 du règlement annexé à la convention
ainsi que le devoir de coopération effective qui en découle.
31. Savoir si ces obligations ont été honorées revient simplement à déterminer si l’Etat en
question s’est acquitté des obligations qu’il tire d’un traité. A ce titre, c’est donc à la Cour qu’il
appartient de trancher cette question. La Cour a clairement formulé ce principe en l’affaire
La Grand , entre autres . 37
25 L’absence de marge d’appréciation
32. Le Japon a reconnu à juste titre que l’article VIII «n’établi[ssait] pas un droit non
38
contestable et d’application discrétionnaire» . Toutefois, dans ses observations, il ne précise pas à
quoi, si ce n’est l’arbitraire le plus complet, ce droit serait soumis. De fait, le Japon avance que
tout contrôle est limité eu égard à «la marge d’appréciation dont doivent disposer les Etats dans ce
type de cas» . Il ne précise cependant pas à quoi correspond «ce type de cas». De même
n’étaye-t-il pas l’affirmation selon laquelle cette marge d’appréciation relèverait d’un «axiome du
droit international et des relations internationales». Bien qu’il fasse référence à une «large
jurisprudence en la matière», le Japon ne cite à aucun moment la moindre décision de cette Cour
qui établirait l’existence d’un tel «axiome» . 40
33. La raison en est évidente. Aucune décision de cette Cour ne vient à l’appui de
l’affirmation du Japon. De fait, hors du cadre spécifique de la Cour européenne des droits de
l’homme, la notion de la «marge d’appréciation» comme objet, en tant que telle, d’un principe
général du droit international n’est pas largement admise. Dans l’unique décision judiciaire que
cite le Japon l’affaire Hormones , ce terme n’est même pas employé. Le raisonnement porte
36Affaire La Grand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 485-486, par. 52.
37 Voir par exemple Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2003, p. 161.
38
OEJ, par. 9.
39
OEJ, par. 9.16.
40Ibid., voir également la note de bas de page 1104 et le par. 9.7. - 15 -
sur des considérations spécifiques à la disposition et à l’accord en cause dans l’affaire en
question .41
L’article VIII doit être appliqué en vue de l’objectif spécifique qui est le sien, de façon
raisonnable, et conformément à l’objet et au but de la convention
34. Plutôt que d’introduire la notion de «marge d’appréciation», il suffit à la Cour de se
fonder sur ses propres principes d’interprétation et d’application. Tout d’abord, la Cour a maintes
fois déclaré qu’une disposition devait faire l’objet d’une application raisonnable. Ce principe a été
26 confirmé en l’affaire relative aux Droits des ressortissants des Etats-Unis d'Amérique au Maroc
(France c. Etats-Unis d'Amérique) , en l’affaire de la Barcelona Traction , et en l’affaire 43
44
Gabčíkovo , pour n’en citer que quelques-unes.
35. En lien étroit avec le principe de l’application raisonnable, la Cour de céans a également
exigé qu’un pouvoir fût exercé comme il convenait, conformément à l’objectif pour lequel il avait
45
été conféré . De la même façon, elle a maintes fois insisté sur le principe de l’effet utile, qui
prévoit qu’un pouvoir ne saurait être exercé de façon à porter atteinte à l’objet et au but des
46
dispositions du traité dans son ensemble .
36. Sur la base des principes fondamentaux d’interprétation dont se prévaut la Cour,
l’application de l’article VIII doit être conforme à son but exprès la «recherche scientifique» ,
«raisonnable», et de nature à donner effet au but de la convention. L’article VIII ne saurait
s’appliquer aux opérations de chasse à la baleine menées au titre d’un permis spécial si ces
opérations ont pour effet de faire échec aux autres obligations imposées par la convention, ou d’en
compromettre l’objectif fondamental.
41
Etats-Unis — Maintien de la suspension d’obligations dans le différend CE — Hormones, WT/DS320/AB/R
(16 octobre 2008).
42Droits des ressortissants des Etats-Unis d'Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt, C.I.J.
Recueil 1952, p. 212.
43 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), arrêt, C.I.J. Recueil 1970,
p. 48, par. 93.
44Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 78-79, par. 142.
45 Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J.
Recueil 2008, p. 229, par. 145 ; Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c.
Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 241, par. 61.
46
Voir, par exemple, Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 25,
par. 51. - 16 -
37. Monsieur le président, cette conclusion résulte d’une simple application des principes
d’interprétation établis, tels que les a énoncés la Cour. Considérer que l’article VIII octroie à un
Etat contractant une marge d’appréciation spéciale, lui permettant de s’affranchir du contrôle
ordinaire de la Cour, serait contraire à la jurisprudence établie de celle-ci.
38. Une telle interprétation irait également à l’encontre de l’article VIII et de la convention
elle-même. Elle reviendrait à solliciter l’article VIII jusqu’à y inclure des notions qui ne s’y
trouvent pas. Elle irait à l’encontre de la structure de la convention, qui établit clairement un lien
entre la commission et les recherches menées au titre d’un permis spécial. Enfin, elle serait
fondamentalement contraire à l’objet et au but de la convention. L’ouverture d’une telle faille au
27 cœur même d’un système de réglementation collective édifié avec tant de soin reviendrait à saper
purement et simplement la convention.
La chasse à la baleine «en vue de recherches scientifiques»
39. Monsieur le président, j’en viens à présent à la principale condition imposée par
l’article VIII, à savoir qu’un permis spécial doit être délivré «en vue de recherches scientifiques»,
et je développerai cet argument en trois points :
a) Premièrement, l’article VIII impose que la chasse à la baleine soit menée exclusivement «en vue
de recherches scientifiques» ;
b) Deuxièmement, la question de savoir si un programme de chasse à la baleine est conçu «en vue
de recherches scientifiques» relève des faits et doit faire l’objet d’une décision objective prise
par la Cour de la manière habituelle ;
c) Troisièmement, cette décision objective peut être prise au regard de l’ampleur et de la structure
du programme, de ses modalités opératoires et de ses résultats.
La recherche scientifique est l’unique but qu’autorise le paragraphe 1 de l’article VIII
40. Il ressort clairement du libellé de cet article que la «recherche scientifique» est le but
unique et exclusif pour lequel un permis spécial peut être délivré. Pour reprendre les mots
employés par la Cour en l’affaire du Différend relatif à des droits de navigation et des droits - 17 -
connexes (Costa Rica c. Nicaragua) : «le fait d’indiquer expressément l’objet en vue duquel un
droit peut être exercé implique en principe l’exclusion de tous autres objets» . 47
41. La condition à remplir n’est pas que la «recherche scientifique» soit l’un des buts du
programme de chasse à la baleine. Tout programme de chasse peut potentiellement générer
certaines informations scientifiques, d’où l’obligation de communiquer des informations prévue
aux paragraphes 3 et 4 de l’article VIII, et les obligations détaillées qu’impose la sixième partie du
règlement annexé à la convention de 1946. Ce qui, dans cette convention, distingue la chasse au
titre d’un permis spécial des autres types de chasse est que la première est exclusivement autorisée
si elle est conçue «en vue de recherches scientifiques». La condition à remplir est que la
«recherche scientifique» soit l’unique but pour lequel on se livre à la chasse à la baleine.
48
42. Pour répondre à la question posée par M. le juge Gaja sur ce point , si un programme de
chasse est, ne serait-ce que partiellement, conçu en vue de parvenir à des fins commerciales, on ne
28 saurait prétendre qu’il s’agit de chasse au titre d’un permis spécial relevant de l’article VIII. Dès
lors, ce sont les autres règles de la convention de 1946 y compris son règlement , relatives à la
chasse commerciale, qui s’appliqueraient à un tel programme.
49
43. Le Japon lui-même a admis ce fait , mais il a tenté de le contourner en utilisant la
disposition qui figure au paragraphe 2 de l’article VIII. Le paragraphe 2 peut être interprété
comme autorisant la vente des baleines tuées en application d’un permis spécial, mais,
contrairement à ce qu’insinue le Japon , cette disposition n’impose certainement pas de procéder à
pareille vente. Elle énonce une conséquence incidente autorisée, non un but. Le paragraphe 2 ne
dit rien sur la raison pour laquelle les baleines peuvent être tuées. Cette raison est énoncée au
paragraphe 1 de l’article, qui ne prévoit qu’un seul but pour lequel des baleines peuvent être tuées
en application d’un permis spécial. Ce but, c’est la «recherche scientifique». Si les baleines sont
tuées pour en vendre la chair, leur mise à mort n’a pas exclusivement pour but la «recherche
47
Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J.
Recueil 2009, p. 241, par. 61.
48CR 2013/16, p. 63.
49OEJ, par. 9.
50
CR 2013/13, p. 64, par. 15 (Pellet). - 18 -
scientifique» et doit donc, si l’on s’en tient au sens ordinaire des mots, être qualifiée de
«commerciale».
Le but est une question de fait qui doit faire l’objet d’une décision objective
44. Le but pour lequel un permis spécial est délivré en application de l’article VIII est la
première question à laquelle il convient de répondre. Mais la question de savoir si un permis
spécial est délivré «en vue de recherches scientifiques» ne saurait être élucidée en se référant
simplement à l’intention affichée par le gouvernement contractant qui le délivre. Il ressort
clairement du libellé de cette disposition que, en ce sens, l’article VIII ne relève pas de
l’appréciation discrétionnaire des Etats parties. Pour reprendre, une fois encore, les termes
employés par la Cour, cette fois en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires, «le texte ne
51
vise pas ce que la partie « estime nécessaire»»
45. La question n’est pas de savoir si un gouvernement contractant a correctement établi que
ses activités de chasse poursuivaient des objectifs «de recherches scientifiques», comme le Japon
52
voudrait nous le faire croire . La question est de savoir si ces activités ont effectivement été
menées exclusivement dans ce but.
46. Et comment la Cour peut-elle répondre à cette question ? Tout simplement en examinant
les éléments de preuve qui lui sont soumis, comme elle le fait toujours. A cet égard, l’article VIII
n’a rien de particulier. La Cour peut se prononcer sur le but pour lequel des activités de chasse sont
menées tout comme elle se prononce sur n’importe quelle autre question touchant au respect
29 d’obligations internationales. La science, nous dit M. Pellet, «est une ignorance qui se sait» . 53
Mais on ne saurait mettre en doute la parole de sir Peter Medawar, lauréat du prix Nobel, lorsqu’il
affirme que «la recherche est certainement l’art du soluble» . C’est dans cet esprit pratique que
l’expression «recherche scientifique» comme n’importe quel autre terme employé dans un
traité peut être interprétée et appliquée par la Cour. Pour reprendre les mots que celle-ci a
51
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 141, par. 282.
52OEJ, par. 53.
53CR 2013/12, p. 23, par. 1 3) (Pellet).
54
New Statesman, 19 juin 1964, reproduit dans Robert Andrews (éd.), New Penguin Dictionary of Modern
Quotations (Penguin, Londres, 2003). - 19 -
employés dans l’affaire LaGrand : «[l]’exercice de cette fonction, expressément prévue par
l’article 38 de son Statut, ne fait pas de cette Cour une juridiction statuant en appel» . Le Japon 55
cherche à esquiver cet aspect des choses en avançant des arguments fallacieux sur les critères et la
56 57
portée de l’examen auquel peut se livrer la Cour et sur les questions de «politique scientifique» ,
arguments qu’il ne fonde sur aucune autorité. A cette même fin, il cherche à mettre en doute la
58
capacité de la Cour à s’acquitter de sa fonction judiciaire . En résumé, il tente par d’autres
moyens de faire de l’article VIII une disposition relevant de l’appréciation discrétionnaire des Etats
parties, alors même que, dans ses observations, il s’est défendu de poursuivre pareil objectif.
47. Monsieur le président, le Japon tente également de faire de l’article VIII une disposition
d’appréciation discrétionnaire en affirmant que la Nouvelle-Zélande cherche à «renverser la charge
de la preuve en droit international» . Mais au contraire, la Nouvelle-Zélande fait peser la charge
de la preuve là où elle doit naturellement peser. Comme l’a affirmé la Cour en l’affaire des
Activités militaires et paramilitaires : «c’est en définitive au plaideur qui cherche à établir un fait
60
qu’incombe la charge de la preuve» . Conformément à ce principe, la Cour a également reconnu
dans l’affaire ELSI qu’il revient à la partie qui invoque la protection d’une disposition d’établir que
cette disposition s’applique effectivement . En l’espèce, l’Australie soutient que le Japon a violé
les dispositions de la convention de 1946 relatives à l’interdiction de la chasse commerciale, et le
Japon invoque l’article VIII pour sa défense. Il incombe dès lors à ce dernier de convaincre la
30 Cour qu’il menait, en fait, ses activités de chasse «en vue de recherches scientifiques», et il revient
à la Cour de décider, à son tour, si le Japon est parvenu à l’en convaincre.
55
LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 486, par. 52.
56
OEJ, par. 54-57 ; CR 2013/15, p. 15, par. 15 (Lowe).
57OEJ, par. 58 ; CR 2013/15, p. 15, par. 24 (Lowe).
58OEJ, par. 58 ; CR 2013/15, p. 15, par. 26 (Lowe).
59OEJ, par. 43-47.
60
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101.
61
Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 47-48, par. 62-
63. Voir également Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by the International Courts and Tribunals, 1953,
p. 326-335. - 20 -
48. Dans l’affaire Japon Boissons alcooliques , l’organe d’appel de l’OMC s’est attelé à
la difficile tâche de déterminer objectivement l’objectif pour lequel une mesure avait été prise.
Pour ce faire, il a examiné «[l]a conception, [l]es principes de base et [l]a structure révélatrice» de
la mesure en cause et pris soin d’«étudier de manière approfondie tous les faits et toutes les
circonstances pertinents d[u] cas d’espèce» . 63
49. Cette méthode fournit quelques indications utiles que la Cour pourrait suivre. La
question de savoir si un programme est ou non conçu «en vue de recherches scientifiques» peut être
résolue en examinant «la conception, les principes de base et la structure révélatrice» de celui-ci
ou, pour le dire différemment dans le contexte scientifique, «sa méthodologie, sa conception et ses
caractéristiques», et ce, en étudiant de manière approfondie tous les faits et toutes les circonstances
pertinents.
50. On peut trouver d’autres indications dans le travail de la commission baleinière
internationale elle-même. Celle-ci a adopté un ensemble de résolutions relatives à la chasse à la
baleine au titre d’un permis spécial, dont de nombreuses par consensus . 64
65
51. Pour répondre à la question posée par M. le juge Greenwood , la Nouvelle-Zélande ne
soutient pas que ces résolutions soient, en elles-mêmes, des textes juridiquement contraignants.
Elles ont néanmoins deux conséquences. Premièrement, elles fournissent un précieux éclairage sur
la manière dont les parties elles-mêmes ont interprété l’expression «recherche scientifique» au sens
de l’article VIII. En ce sens, elles constituent une aide légitime à l’interprétation comme la Cour en
utilise souvent en application des règles énoncées aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne
66
sur le droit des traités . Ensemble, elles indiquent les conditions auxquelles les parties à la
convention de 1946 elles-mêmes estiment que la «recherche scientifique» mentionnée à
l’article VIII doit satisfaire.
62 Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, Rapport de l’organe d’appel, WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R,
WT/DS11/AB/R (4 octobre 1996), p. 29.
63Ibid.
64OEN, par. 55-60.
65
CR 2013/12, p. 63-64.
66OEN, par. 11 et les précédents qui y sont cités. - 21 -
52. Deuxièmement, le devoir de coopération effective impose aux Etats parties à la
convention de 1946 de tenir dûment compte de ces conditions. Le Japon affirme qu’il n’a aucune
67
31 querelle avec cette affirmation . Lorsqu’une proposition de programme de chasse au titre d’un
permis spécial ne satisfait pas à ces conditions, les membres de la commission sont en droit
d’attendre que celui-ci ne soit pas mis en œuvre sans avoir été modifié ou sans avoir fait l’objet
d’échanges supplémentaires. La commission a exprimé cette attente à de nombreuses reprises dans
ses résolutions .
53. Les termes précis employés dans les résolutions et lignes directrices de la commission
ont peut-être évolué au cours du temps, mais la substance de ces textes est demeurée la même.
[Projection 12 : critères.] Et cette substance comporte les éléments suivants :
a) Premièrement, la «recherche scientifique» doit être définie avec précision. Les objectifs, la
méthode et les échantillons à prélever doivent être correctement indiqués ;
b) deuxièmement, la recherche doit être «essentielle aux fins de la gestion rationnelle des
peuplements baleiniers, des travaux du comité scientifique ou d’autres besoins de recherche
d’une importance capitale» ;
c) troisièmement, la recherche doit être menée pour répondre à une question précise, et la méthode
suivie ainsi que la taille d’échantillons définie doivent être «susceptibles d’apporter des
réponses fiables» à cette question ;
d) quatrièmement, le programme de recherche doit éviter les méthodes létales et donner la
préférence aux «méthodes non létales» ;
e) cinquièmement, la recherche doit être menée sans avoir «d’effet nocif sur la population faisant
l’objet de l’étude».
54. On retrouve ces éléments dans de nombreuses résolutions adoptées par la CBI,
notamment les résolutions 1986-2, 1987-1, 1995-9 et 1999-2. Ce qui s’affiche sous vos yeux est
69
une synthèse utilement établie par le secrétariat de la CBI lui-même , et qui est assortie de
références aux textes originaux. Des exemplaires des résolutions elles-mêmes figurent sous les
67
CR 2013/16, p. 43, par. 18 (Pellet).
68OEN, note 195.
69
Voir site Internet de la commission baleinière internationale, «Scientific Permit Whaling : Scientific
Committee Review», http://iwc.int/permits (site consulté le 7 juillet 2013). - 22 -
os
onglets n 12 à 15 de vos dossiers de plaidoiries. Il est tout simplement faux de dire, ainsi que l’a
soutenu M. Boyle , que l’annexe P a eu pour effet d’abroger ces résolutions. La commission n’a
71
en effet fait aucune déclaration en ce sens lorsqu’elle a adopté l’annexe P , tandis qu’elle l’a
expressément fait en d’autres occasions. De toute façon, l’annexe P a été adoptée en 2008, soit
trois ans après le lancement du programme qui est au cœur de la présente affaire.
32 L’objectif d’un programme de chasse à la baleine peut être apprécié à la lumière de son
ampleur, de sa structure, de ses modalités opératoires et de ses résultats.
55. La Cour peut se prononcer sur le point de savoir si tel programme de chasse à la baleine
est mené exclusivement «en vue de recherches scientifiques» en examinant divers facteurs.
[Projection n 13 : facteurs.]
56. Le premier facteur à prendre en considération est l’ampleur du programme ; c’est-à-dire
les espèces visées et le nombre de baleines devant être tuées. La Cour trouvera ainsi utile
d’examiner les éléments dont elle dispose concernant la manière dont ce chiffre a été défini. Il lui
faudra aussi le comparer au nombre des autres prises réalisées en vertu de la convention,
notamment dans le cadre d’activités de chasse menées à des fins commerciales ou en vertu d’un
permis spécial avant l’introduction du moratoire. De même, la Cour jugera sans doute opportun de
prendre en considération toute observation sur le nombre de baleines devant être capturées,
émanant de spécialistes de ces questions.
57. Le deuxième facteur à prendre en considération est la structure du programme. Ici, il
conviendra de tenir compte de la date de début du programme ainsi que de sa durée, de ses
objectifs, et du rapport que ceux-ci entretiennent avec les activités du comité scientifique.
Entreront également en ligne de compte l’identité de l’organisation conduisant l’opération, son
mode de financement, les autres activités de recherche qu’elle mène (le cas échéant), ainsi que
l’expérience et les qualifications professionnelles de son personnel.
58. Troisième facteur à prendre en compte : les modalités opératoires du programme. La
Cour pourra douter qu’un programme soit mené «en vue de recherches scientifiques» si des
70CR 2013/15, p. 55, par. 38 (Boyle).
71 e
Rapport du président sur les travaux de la 60 réunion annuelle, Rapport annuel de la commission baleinière
internationale, 2008, p. 26, par. 10.1.2. - 23 -
méthodes de recherche létales sont utilisées alors que d’autres, non létales, sont disponibles, et ce, a
fortiori si d’autres membres de la commission ont établi que ces techniques létales n’étaient
peut-être pas nécessaires et ne permettraient probablement pas de livrer des résultats utiles. La
Cour devra également tenir compte du fait que les opérations de chasse sont menées dans
d’anciennes zones de chasse commerciale productives, celles-là mêmes que la commission a
désormais interdites à la chasse en les transformant en sanctuaire pour la protection des baleines.
59. Enfin, il importera également de prendre en considération les résultats du programme. A
cet égard, l’utilité des données obtenues entrera ici en ligne de compte. De même, il conviendra de
s’intéresser à ce qu’il advient des carcasses. Sont-elles, par exemple, vendues dans le commerce ?
33 60. Tous ces éléments doivent être dûment pris en compte et appréciés dans leur globalité. Il
convient de mettre dans la balance ceux qui répondent à des exigences purement scientifiques et
qui relèvent de considérations commerciales. Et dès lors qu’existent des preuves directes qu’un
programme a été conçu pour tenir compte de considérations économiques, il y aura tout lieu de
conclure que ce programme n’est pas exclusivement mené «en vue de recherches scientifiques».
61. Ainsi, il y aurait lieu de douter qu’un programme de chasse mené au titre d’un permis
spécial le soit exclusivement «en vue de recherches scientifiques» dès lors :
Qu’il a débuté au moment précis où la chasse commerciale est devenue impossible ;
qu’il est conduit dans les mêmes zones, avec les mêmes navires et le même personnel que les
précédentes opérations de chasse commerciale ;
qu’il est complètement dissocié des autres institutions et programmes de recherche ;
que la viande obtenue est vendue dans le commerce à des fins lucratives ;
que le nombre de baleines à capturer au titre du permis spécial dépasse nettement les limites de
captures fixées dans les permis spéciaux délivrés par d’autres Etats ;
et que des témoins-experts mettent en doute le bien-fondé scientifique du nombre retenu.
[Projection n 14.]
62. L’appréciation de l’application de l’article VIII aux faits de l’espèce est une tâche qui
n’est pas du ressort de la Nouvelle-Zélande en sa qualité d’intervenant. Cette mission incombe à la
Cour. Les membres de la commission l’ont dit on ne peut plus clairement : la chasse en vertu d’un - 24 -
72
permis spécial ne doit «être pratiquée que dans le respect des exigences scientifiques» , «dans le
respect des principes et conformément aux dispositions de la convention» . 73
Conclusion
63. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la convention est une
entreprise collective qui tient compte de l’intérêt commun des parties à voir assurée la survie des
populations baleinières à long terme. Dans le cadre de cette entreprise collective, les parties à la
convention ont convenu de réaliser toutes leurs activités de chasse dans le respect des règles
prévues par la convention.
34 64. Ces règles incluent celles régissant plus spécifiquement la délivrance de permis spéciaux
à des fins de recherches scientifiques, énoncées à l’article VIII. Cet article ne constitue ni un
«régime indépendant», ni une dérogation à la convention. Il fait partie intégrante du système de
réglementation collective établi par la convention.
65. Je rappellerai que l’article VIII, en son paragraphe 1, autorise un gouvernement
contractant à délivrer des permis spéciaux à trois conditions : premièrement, le permis spécial doit
être octroyé exclusivement «en vue de recherches scientifiques» ; deuxièmement, sa délivrance doit
être assortie de restrictions concernant le nombre de spécimens ; et troisièmement, il doit être
délivré de façon conforme aux exigences procédurales énoncées au paragraphe 30 du règlement,
ainsi qu’au devoir de coopération effective que celles-ci supposent.
66. Conformément aux principes d’interprétation établis que suit la Cour, l’article VIII doit
être appliqué de façon raisonnable, en accord avec l’objectif de recherche scientifique qui le
sous-tend et conformément à l’objet et au but de la convention dans son ensemble. Il n’existe
aucune marge d’appréciation qui permette de l’utiliser pour contourner les autres règles prévues par
la convention, ou pour compromettre les mesures de gestion qui ont été adoptées dans ce cadre. Le
point de savoir si l’article VIII a été dûment appliqué dans un cas précis est une question de fait que
la Cour doit trancher selon sa procédure habituelle.
72Résolution 1985-2, Résolution sur les permis scientifiques (adoptée par consensus), par. 4.
73Résolution 1986-2, Résolution sur les permis spéciaux en vue de recherches scientifiques (adoptée par
consensus), 5 paragraphe introductif ; MA, vol. II, annexe 43. - 25 -
67. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre
attention. Monsieur le président, puis-je vous prier d’appeler à la barre notre agent, qui traitera des
deux autres conditions posées à l’article VIII, et conclura ainsi les observations de la
Nouvelle-Zélande ?
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur. Je donne la parole à l’agent de la
Nouvelle-Zélande. Vous avez la parole, Madame.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur. Je cède maintenant la parole à l’agent de la
Nouvelle-Zélande. Vous avez la parole, Madame.
Mme RIDINGS :
NÉCESSITÉ ,PROPORTIONNALITÉ ET DEVOIR DE COOPÉRATION EFFECTIVE
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, l’Attorney-General a expliqué
l’exigence clé de l’article VIII, selon laquelle la chasse à la baleine ne peut être pratiquée au titre
d’un permis spécial que si elle l’est «en vue de recherches scientifiques». Mon exposé portera sur
les deux autres éléments restants de l’article VIII :
35 a) en premier lieu, l’exigence selon laquelle l’Etat contractant qui délivre le permis spécial doit
restreindre le nombre de cétacés devant être mis à mort au titre de celui-ci ;
b) en second lieu, cet Etat contractant doit au préalable s’acquitter de son devoir de coopération
effective avec la CBI.
Fixation du nombre de cétacés pouvant être capturés
au titre d’un permis spécial
2. En ce qui concerne la détermination du nombre de baleines pouvant être mises à mort au
titre d’un permis spécial, le paragraphe 1 de l’article VIII dispose que l’autorisation conférée est
«subordonnée aux restrictions, en ce qui concerne le nombre, et à telles autres conditions que le
Gouvernement contractant jugera opportunes». Comme le Japon le reconnaît, l’Etat contractant se
trouve ainsi tenu de limiter le nombre de baleines devant être mises à mort . Le Japon admet
74OEJ, par. 9. - 26 -
également que ce nombre doit être fixé de manière à ne pas avoir d’effet négatif sur l’état de la
population visée . Il convient par ailleurs que ce pouvoir d’appréciation «n’est pas totalement
76
illimité ─ autrement dit, qu’il ne s’agit pas d’un chèque en blanc» .
3. Ces points ne sont donc plus en litige. Ce qui reste litigieux, toutefois, c’est la façon dont
ce nombre doit être déterminé, ainsi que la question de savoir s’il s’agit d’une décision entièrement
discrétionnaire échappant au pouvoir de contrôle de la Cour. A en juger par la décision rendue par
celle-ci en l’affaire concernant l’entraide judiciaire en matière pénale , ce ne saurait être le cas.
Le nombre en question devrait être déterminé objectivement, conformément aux règles
d’interprétation habituelles, ce qui, comme je vais maintenant l’expliquer, suppose la prise en
considération des facteurs ci-après :
a) premièrement, ce nombre doit être restreint au minimum nécessaire et être proportionné aux
objets de la recherche scientifique ;
b) en conséquence, les méthodes de recherche non létales doivent être privilégiées ;
c) troisièmement, le niveau auquel est fixé le nombre de baleines à mettre à mort doit tenir compte
du principe de précaution ;
36 d) enfin, le pouvoir discrétionnaire de déterminer le nombre de baleines à mettre a mort doit être
exercé de manière raisonnable et compatible avec les objet et but de la convention.
Nécessité et proportionnalité du nombre de baleines à mettre à mort
4. Prenons d’abord le premier point : le nombre de baleines à mettre à mort doit être fixé au
minimum nécessaire et être proportionné aux objets de la recherche scientifique. Autrement dit, il
doit exister un rapport direct entre le nombre de baleines à capturer et les objectifs pour lesquels est
délivré le permis spécial. La justification qui sous-tend la détermination du nombre de baleines à
capturer au titre d’un permis spécial ne peut être autre que scientifique.
5. Le Japon a fait valoir dans ses observations écrites que l’exigence de nécessité et de
proportionnalité, quant au nombre de baleines à mettre à mort, ne pouvait s’inférer de l’obligation,
75
Ibid.
76Ibid., par. 65.
77
Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 177 - 27 -
78
prévue à l’article VIII, d’imposer des «restrictions, en ce qui concerne le nombre» . M. Boyle
reconnaît ensuite que «le nombre de baleines capturées au titre de permis spéciaux doit «se limiter
au minimum indispensable à la réalisation des objectifs de la recherche et à un niveau proportionné
à ceux-ci»» . Il ne pouvait faire autrement. L’obligation d’imposer des restrictions en ce qui
concerne le nombre doit être interprétée à la lumière de l’objectif spécifique pour lequel un permis
spécial peut être délivré, c’est-à-dire les «recherches scientifiques». Toutefois, ce que M. Boyle ne
semble pas reconnaître, c’est que cette obligation doit aussi être interprétée à la lumière du contexte
de l’article VIII, qui établit un mécanisme par lequel les parties à la convention peuvent procéder
aux recherches scientifiques nécessaires pour permettre à la CBI de remplir ses fonctions. Elle doit
en outre être interprétée à la lumière des objet et but de la convention, qui consistent à remplacer la
chasse unilatérale par une réglementation collective, dans l’intérêt que présente pour les parties la
conservation et la gestion judicieuses des ressources baleinières. En d’autres termes, la taille des
échantillons doit être proportionnée au rôle que joue l’article VIII dans ce système de
réglementation collective. L’intérêt collectif signifie que la mise à mort de baleines doit être
justifiée par l’utilité, pour les besoins de la commission, des données ainsi obtenues.
6. La raison en est simple. Une fois tuée, une baleine ne peut plus servir aux recherches que
souhaiterait mener un autre Etat, ni à quelque autre fin, de sorte que la mise à mort au titre d’un
permis spécial a une incidence directe sur les intérêts des autres parties à la convention. Dans le
37 cadre d’un système de réglementation collective, cette incidence devrait être réduite au minimum,
lorsqu’elle se justifie par sa nécessité et sa proportionnalité.
7. Cette interprétation est étayée par les lignes directrices et les résolutions de la CBI
[projection n 15 : citations], qui confirment les facteurs susceptibles d’être pris en considération
pour déterminer si le nombre de cétacés à tuer est nécessaire et proportionné. Lors de sa quinzième
réunion, en 1963, la CBI a convenu que «les nombres spécifiés dans chaque permis d[evai]ent
correspondre au minimum indispensable à la réalisation des objectifs indiqués dans le permis» . 80
En 1986, il a été décidé que les Etats contractants devaient examiner si les nombres de prises
78OEJ, par. 65.
79CR 2013/15, p. 65, par. 78 (Boyle).
80
«Chairman’s Report of the 15th Meeting, Fifteenth Report of the Commission», 1965, p. 20, par. 17. - 28 -
étaient «nécessaires à la réalisation des recherches» . Il s’ensuit qu’il doit exister un lien direct
entre le nombre de prises létales et les objectifs scientifiques de la recherche.
8. Mais les lignes directrices et les résolutions attestent également l’importance attachée au
rôle plus large de l’article VIII en tant que mécanisme d’appui à la CBI dans l’exercice de ses
fonctions. [Projection n 16 : citations.] Ainsi, en 1986, il a été convenu que le nombre de baleines
sacrifiées dans l’intérêt de la science devrait être fixé de manière à «fournir des informations
essentielles à la gestion rationnelles des populations» . Puis, en 1987 et en 1995, il a été décidé
que tout programme létal devait répondre à des «besoins de recherche particulièrement
importants» . [Projection n 17 : logo.]
9. M. Boyle a reproché à la Nouvelle-Zélande de n’avoir rien dit au sujet de la méthode
utilisée pour calculer la taille des échantillons . Nous ne voudrions pas abuser de la patience de la
Cour en nous attardant sur des questions factuelles. Ce n’est pas là le rôle d’un intervenant. Nous
invitons néanmoins la Cour à rechercher si, à la lumière des éléments de preuve présentés par les
experts qu’elle a entendus, il existe une justification scientifique à l’appui des nombres de captures
envisagées.
10. La Cour souhaitera peut-être aussi examiner les recherches scientifiques entreprises afin
de vérifier si elles contribueront aux travaux de la commission, plutôt que de servir les intérêts d’un
seul de ses membres. Si, par exemple, il était proposé de tuer un nombre important de baleines
38
pour établir un fait qui ne prête pas à controverse ou pour recueillir des renseignements qui ne
présentent aucun intérêt ou pertinence pour l’outil de gestion central de la commission, il y aurait
lieu de s’interroger, du point de vue de la nécessité et la proportionnalité, sur l’opportunité de ce
projet. Le fait qu’un certain nombre d’individus puissent être mis à mort sans que la population
soit menacée ne justifie pas, en soi, l’omission d’imposer des limites réalistes au nombre de cétacés
devant être mis à mort à des fins scientifiques.
81CBI, résolution 1986-2, «Résolution sur les permis spéciaux en vue de recherches scientifiques» (adoptée par
consensus), MA, annexe 43, vol. II, p. 91.
82Ibid.
83
CBI, résolution 1987-1, «Résolution sur les programmes en vue de recherches scientifiques», MA, annexe 44,
vol. II, p. 93-94 ; CBI, résolution 1995-9, «Résolution sur la chasse à la baleine au titre d’un permis spécial», MA,
annexe 46, vol. II, p. 96-97.
84CR 2013/15, p. 65, par. 78 (Boyle). - 29 -
11. La fixation d’un nombre répondant aux critères de nécessité et de proportionnalité
suppose la mise en balance des moyens utilisés et des fins recherchées. Lorsque les moyens sont
disproportionnés par rapport aux résultats scientifiques obtenus ou escomptés, ou ne sont pas
nécessaires à la réalisation des objectifs de la recherche scientifique, c’est que le pouvoir
discrétionnaire d’établir la limite de captures a été mal exercé.
12. Le Japon cherche, dans ses observations écrites, à contourner ce point en laissant
entendre que le nombre de baleines à tuer échappe au pouvoir de contrôle de la Cour, affirmant
qu’il s’agit du résultat technique de l’application d’algorithmes courants aux objectifs de recherche
du programme en question . A l’audience, le Japon a présenté la formule à la Cour en tant
86
qu’élément de preuve, bien que son conseil ait admis que lui-même ne la comprenait pas . Il
demande néanmoins à la Cour d’y ajouter foi. Mais il est toujours possible d’adapter des objectifs
de recherche en fonction de la taille de l’échantillon souhaitée. Le critère de nécessité et de
proportionnalité n’est pas un calcul scientifique ou technique, comme cherche à le faire croire le
Japon. Bien au contraire, les notions de «nécessité» et de «proportionnalité» sont bien établies en
droit international, la Cour y ayant elle-même eu recours en de multiples occasions et dans divers
87
contextes factuels . Souscrire à l’interprétation du Japon reviendrait à vider l’article VIII de sa
substance, en privant de tout son sens et de toute son efficacité l’obligation de restreindre le
nombre de baleines devant être tuées. Il serait en outre contraire aux objet et but de la convention
d’interpréter l’article VIII comme permettant la mise à mort de baleines même lorsque cela n’est
pas «nécessaire» et «proportionné».
Présomption en faveur du recours aux méthodes de recherche non létales
39
13. En conséquence du critère de nécessité et de proportionnalité auquel doit obéir le nombre
de prises, on s’attend à ce qu’il soit fait usage de méthodes de recherche non létales dans toute la
mesure du possible. En 1986, la commission a, par consensus, recommandé que, au moment de
85OEJ, par. 66.
86CR 2013/15, p. 63, par. 69 (Boyle).
87
Voir, par exemple, Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7 ;
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005,
p. 168 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003,
p. 161 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 244, par. 30. - 30 -
délivrer un permis spécial, les Etats contractants examinent si «les objectifs de la recherche ne sont
pas réalisables au moyen de techniques non létales» . 88 L’annexe Y, applicable au
programme JARPA II, reprend cette recommandation et ajoute qu’il y a lieu de vérifier si les
89
renseignements recherchés «pourraient être obtenus par des moyens non létaux» . Les lignes
directrices de 2008 exigent aussi l’examen de l’utilité des méthodes de recherche létales, par
90
opposition aux méthodes non létales . La question n’est pas de savoir ce qui est préférable sur le
plan pratique ou sur le plan économique, comme le soutient le Japon , mais se résume à 91
l’hypothèse selon laquelle il n’y a pas lieu de tuer des baleines à moins que ce ne soit nécessaire, et
encore, seulement si cela est indispensable pour répondre à une question se posant dans le cadre de
recherches importantes du point de vue de la conservation et de la gestion.
14. Cette présomption en faveur de l’utilisation de méthodes non létales dans toute la mesure
du possible est confirmée par la priorité systématiquement donnée par les résolutions de la CBI à
92
l’obtention de l’information scientifique sans la mise à mort des objets de la recherche . La raison
en est claire : les parties à la convention partagent l’intérêt de faire en sorte que les baleines ne
soient pas mises à mort inutilement.
Application du principe de précaution
15. La présomption en faveur du recours aux moyens non létaux dans toute la mesure du
possible se trouve renforcée par la prise en considération des principes généraux du droit
international. Il est bien établi que les Etats contractants devraient faire preuve de prudence et de
précaution dans l’application des dispositions des accords internationaux auxquels ils sont parties et
93
qui, tel l’article VIII, peuvent avoir une incidence sur la conservation des ressources naturelles .
88
CBI, résolution 1986-2, «Résolution sur les permis spéciaux en vue de recherches scientifiques» (adoptée par
consensus) (MA, vol. II, annexe 43, p. 91).
89
Guidelines for the Review of Scientific Permit Proposals, Annex Y, Report of the Scientific Committee,
J. Cetacean Res Manage. n°3 (suppl.), 2001, p. 371-372 (MA, vol. II, annexe 48, p. 156-157).
90
«Procédure d’examen des propositions de permis spéciaux et des résultats des recherches effectuées dans le
cadre des permis en vigueur ou échus», annexe P, rapport du comité scientifique, J. Cetacean Res. Manage. (suppl.),
2009, n° II, p. 398-401 (MA, vol. II, annexe 49, p. 100-106).
91
OEJ, par. 63 ; CR 2013/15, p. 61, par. 64 (Boyle).
92Voir MA, vol. II, annexes 10-14.
93Voir OEN, p. 40, note 136. - 31 -
40 La nécessité d’agir avec prudence et précaution, ou de donner effet au principe de précaution, est
encore plus grande lorsque l’information est incertaine, peu fiable ou insuffisante . 94
16. Le Japon, conformément au principe de précaution, «ne conteste pas qu’il soit tenu d’agir
avec prudence et précaution» . Il reconnaît que le principe de précaution peut être invoqué «pour
les besoins de l’interprétation et de l’application de l’article VIII, et dans la mesure autorisée par le
droit des traités» . Il soutient même que le programme JARPA II «adopte une approche de
97
précaution», puisqu’il prévoit la collecte de plus amples informations scientifiques , et ce en dépit,
si j’ose dire, du nombre élevé de baleines devant être mises à mort pour cela. Ce qu’il oublie,
toutefois, c’est que la précaution s’impose également à la collecte de données scientifiques. Et ces
données devraient servir un objectif scientifique utile.
17. Agir «avec prudence et précaution» suppose que le nombre de prises remplisse le critère
de nécessité et de proportionnalité, et que la préférence soit donnée aux méthodes de recherche non
létales. Contrairement à ce que soutient le Japon, une telle façon d’agir n’impose pas aux Etats de
démontrer l’existence d’un risque de dommages graves ou irréversibles pour faire entrer en jeu le
98
principe de précaution . Ce serait là vider ce principe de toute sa substance. Certes, la preuve
préalable du risque de dommage grave ou irréversible éliminerait toute incertitude, mais c’est
précisément cette incertitude qui commande d’agir avec précaution.
18. L’obligation d’agir avec prudence et précaution devait orienter la conduite des
programmes JARPA et JARPA II. Le Japon a fait grand cas des estimations d’abondance
approuvées en 2012 par le comité scientifique relativement aux petits rorquals , mais il omet de
41 prendre en compte l’incertitude qui entourait jusque-là ce genre d’estimations et qui continue de
100
caractériser les estimations concernant les baleines à bosse et les rorquals communs . Dans ces
94 Affaires du thon à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande c. Japon ; Australie c. Japon), ordonnance du
27 août 1999, 1999, ILM, vol. 38, p. 1624, par. 7. Voir aussi la Déclaration de Rio sur l’environnement et le
développement, adoptée à la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement le 13 juin 1992,
doc. A/CONF.151/26 (vol. I), principe 15.
95CMJ, vol. I, p. 285, par. 9.33.
96Ibid., p. 203, par. III.3.
97
Ibid., p. 285, par. 9.33.
98
Ibid., vol. I, p. 286, par. 9.34.
99CR 2013/15, p. 65-66, par. 80-85 (Boyle).
100Report of the Scientific Committee and Annex O1, Report of the Standing Working Group on Scientific
Permits, J. Cetacean Res. Manage. 8 (suppl.), 2006, p. 48-52 (MA, vol. II, annexe 52, p. 172-182). - 32 -
conditions, la Nouvelle-Zélande ne devrait pas être tenue de démontrer l’existence d’un risque pour
les populations avant de demander au Japon d’agir avec prudence et précaution.
Tout pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière raisonnable et compatible avec son
objet.
19. Comme je l’ai souligné plus tôt, la différence fondamentale entre les positions
respectives de la Nouvelle-Zélande et du Japon tient à ce que ce dernier considère que l’Etat
contractant a, lorsqu’il délivre un permis spécial, toute latitude pour déterminer le nombre de
101
baleines dont la capture est nécessaire pour mener à bien les recherches proposées , et qu’aucun
autre Etat contractant n’a voix au chapitre sur ce point. Il va même jusqu’à contester tout pouvoir
de contrôle de la Cour en la matière . De fait, tout en paraissant reconnaître que l’Etat contractant
103
qui prendrait une décision «manifestement arbitraire» puisse s’exposer aux critiques de la justice ,
il neutralise cette apparente concession en refusant de dire selon quel critère pareille décision
devrait être évaluée.
20. L’allégation du Japon selon laquelle la Cour serait incapable d’y procéder est
manifestement incompatible avec la position adoptée par la Cour elle-même, qui a examiné
directement l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dans l’affaire relative à Certaines questions
concernant l’entraide judiciaire en matière pénale . Dans cette affaire, la Cour a dit qu’il lui était
loisible de rechercher si les conditions d’exercice d’un pouvoir discrétionnaire avaient été remplies,
105
afin de s’assurer que ce pouvoir avait été exercé de bonne foi . Cela suppose également que je
pouvoir discrétionnaire en question soit exercé dans la poursuite de l’objectif pour lequel il a été
106
conféré . Comme l’a dit la Cour dans l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros, la bonne
101OEJ, par. 9 et 64.
102
Ibid., par. 66.
103
Ibid.
104 Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 177.
105Ibid., p. 229, par. 145.
106 Ibid. Voir également Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes
(Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 241, par. 61. - 33 -
42 foi «oblige les Parties à appliquer [la disposition] de façon raisonnable et de telle sorte que son but
107
puisse être atteint» .
21. A l’évidence, il s’agit là d’une question qu’il appartient à la Cour de trancher, à la
lumière des faits qui lui ont été présentés.
Obligations de nature procédurale
22. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant aux
obligations de nature procédurale à remplir par l’Etat contractant qui se propose de délivrer un
permis spécial. Dans cette partie de mon exposé, j’aborderai les aspects suivants :
a) D’abord, les obligations spécifiques que l’Etat contractant doit remplir en pareilles
circonstances ;
b) Ensuite, le devoir de coopération effective, qui est essentiel à la compréhension des obligations
des Etats contractants ;
c) Enfin, la nature de ce devoir de coopération effective.
Obligations procédurales spécifiques
23. Le paragraphe 30 du règlement annexé à la convention établit un mécanisme dans le
cadre duquel le comité scientifique est censé examiner et commenter, préalablement à leur mise à
exécution, les propositions qui lui ont été présentées . Il s’agit donc d’un examen préalable des
propositions, et non d’un examen a posteriori des permis déjà délivrés. D’après son règlement
109
intérieur, le comité soumet ses rapports et recommandations à la commission . Selon l’article VI
de la convention, la commission peut à son tour adresser des recommandations à l’Etat contractant
110
relativement au permis spécial proposé .
24. Ce processus — notification au comité, examen, rapport et recommandations —
constitue essentiellement un dialogue entre l’Etat contractant qui se propose de délivrer un permis
spécial et les autres parties à la convention. Ce sont ce dialogue et ces consultations qui permettent
107
Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142.
108Paragraphe 30 du règlement annexé à la convention.
109
Règlement intérieur, point M 4) a).
110
Article VI de la convention. - 34 -
de contrôler l’utilisation des permis spéciaux et de veiller à la protection des intérêts des autres
parties. Ce mécanisme de consultation préalable, pour citer la regrettée Patricia Birnie, «est le
43 contrepoids naturel de l’exploitation équitable d’une ressource partagée» . Il n’appartient pas à
l’Etant contractant qui entend délivrer un permis spécial de décider dans quelle mesure les intérêts
des autres parties seront touchés par la proposition. Tel est essentiellement le principe établi dans
112
la sentence arbitrale relative à l’affaire du Lac Lanoux . Ces intérêts ne sauraient non plus faire
113
obstacle à l’action de l’Etat contractant . Mais, comme la Cour l’a reconnu dans l’affaire relative
à des Usines de pâte à papier, il incombe à l’Etat contractant de se prêter de bonne foi aux
114
consultations ; il ne doit pas s’agir de simples formalités .
25. De cette façon, les obligations de nature procédurale, pour citer la Cour dans cette même
affaire, permettent aux parties de «s’acquitter de leurs obligations de fond» . Autrement dit, elles
constituent un mécanisme destiné à assurer l’exécution des obligations substantielles. C’est
précisément pour cette raison que le mécanisme d’examen prévu au paragraphe 30 a été adopté . 116
26. Le Japon a tenté de brouiller les cartes en soutenant que l’arrêt rendu en l’affaire relative
à des Usines de pâte à papier enseignait que la violation des obligations de nature procédurale
n’emportait pas automatiquement celle d’obligations de fond . Si tel est bien le cas, il n’en reste
pas moins que, dans le cadre d’un système de réglementation collective, la procédure et le fond
sont intrinsèquement et nécessairement liés. Les obligations de nature procédurale servent à
empêcher les parties d’agir unilatéralement, lorsque cela mettrait à mal les objet et but de la
convention. L’inexécution des obligations de nature procédurale a une incidence directe sur
l’exécution, par l’Etat contractant, des obligations substantielles que lui impose l’article VIII.
111 e
Patricia Birnie, Alan Boyle et Catherine Redgwell, International Law and the Environment, 3 éd., 2009,
p. 177.
112
Affaire du lac Lanoux, ILR, 1957, vol. 24, p. 119.
113Ibid., p. 128-130, 140-141.
114Ibid., p. 119.
115 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 49,
par. 78.
116«Report of the Scientific Committee to the 29thMeeting of the Commission», Rep. Int. Whal. Commn., 1978,
vol. 28, p. 41, par. 9.3.2 (http://www.iwc.int/annual-reports).
117
Comme l’a dit la Cour dans son arrêt rendu en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve
Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 49, par. 78. - 35 -
Le devoir de coopération effective
27. J’aborderai maintenant le devoir de coopération effective.
28. Les obligations de notification et de consultation prévues au paragraphe 30 du règlement
annexé à la convention sont des manifestations spécifiques du devoir global de coopération. Le
44 Japon a tout d’abord tenté de minimiser le rôle de cette disposition en soutenant qu’elle ne faisait
qu’établir une obligation de notification . Il a ensuite admis que le paragraphe 30 instaurait un
119
«mécanisme de coopération» entre les Etats contractants et les organes de la CBI , et fini par
120
reconnaître que la convention imposait bien un devoir de coopération . Il lui aurait été difficile de
faire autrement : l’obligation de coopérer imprègne le droit international de l’environnement. Elle
o 121
a été reconnue par le principe n 24 de la déclaration de Stockholm de 1972 , puis par la
122
convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 . Et l’importance du devoir de
coopération ressort clairement de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire affaire relative au
Projet Gabčíkovo-Nagymaros, selon lequel les traités doivent être interprétés à la lumière des
123
autres règles du droit international, y compris les nouvelles normes environnementales .
29. Ayant reconnu l’existence d’un devoir de coopération, le Japon tente ensuite d’en saper
l’application, en faisant valoir que les droits conférés aux Etats contractants par l’article VIII ne
124
sauraient être restreints par un mécanisme procédural de coopération . C’est ce qu’a répété
M. Pellet dans son exposé de la semaine passée . Toutefois, M. Lowe a ensuite tenté de semer la
confusion en reconnaissant que le Japon était tenu de prendre en considération les commentaires
118CMJ, par. 8.28.
119Ibid., par. 8.29.
120
OEN, par. 9 et 42.
121
Principe 24, paragraphe 2 :
«Une coopération par voie d’accords multilatéraux ou bilatéraux ou par d’autres moyens
appropriés est indispensable pour limiter efficacement, prévenir, réduire et éliminer les atteintes à
l’environnement résultant d’activités exercées dans tous les domaines, et ce dans le respect de la
souveraineté et des intérêts de tous les Etats.» Nations Unies, doc. A/CONF.49/14/Rev. 1, ILM, 1972,
vol. 11, p. 1421.
122
Article 65, convention des Nations Unies sur le droit de la mer : «Les Etats coopèrent en vue d’assurer la
protection des mammifères marins et ils s’emploient en particulier, par l’intermédiaire des organisations internationales
appropriées, à protéger, gérer et étudier les cétacés.»
123Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7, par. 112 et 140 ; arbitrage
du «Rhin de fer» (Belgique c. Pays-Bas), sentence arbitrale, CPA, 2005, p. 28-29, par. 57-60.
124CMJ, par. 8.12.
125
CR 2013/13, p. 65, par. 18 (Pellet). - 36 -
formulés par le comité scientifique au titre du paragraphe 30 . Il s’agit là d’une tentative en vue
de masquer le peu de considération que le Japon accorde au rôle de cette disposition en tant que
partie intégrante de la convention, position fondamentalement incompatible avec les objet et but de
celle-ci, l’intention des négociateurs étant d’établir un régime de réglementation collective, par
opposition à l’action unilatérale.
30. Le devoir de coopération exige que celle-ci soit effective. La Cour a reconnu dans les
45
affaires relatives au Plateau continental de la mer du Nord que les parties assujetties à un devoir de
négociation devaient agir de manière que la négociation ait un sens . Dans ses commentaires
afférents au projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières, la commission du
droit international s’est dite d’avis que, bien que la Cour ait dans cet arrêt parlé de «négociation»,
128
l’obligation de bonne foi requise des parties valait aussi bien pour les consultations . Les
consultations et les négociations n’étant que deux aspects du devoir global de coopération, ce
dernier doit en soi être effectif.
La nature du devoir de coopération effective
31. Le devoir de coopération effective présente quatre dimensions.
32. Premièrement, il importe de permettre au processus de consultation de suivre son
129
cours . On ne saurait parler de coopération effective lorsque les parties agissent sans attendre que
le processus de consultation ait été mené à bien. Il serait ainsi contraire au devoir fondamental de
coopération effective qu’une partie introduise une nouvelle proposition sans avoir reçu et considéré
les résultats d’un examen scientifique en bonne et due forme concernant une proposition antérieure.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’une des critiques formulées au sein de la CBI à l’encontre du
programme JARPA II tient à ce que le Japon a mis celui-ci à exécution sans attendre les résultats
126CR 2013/15, p. 23, par. 46 (Lowe).
127Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47, par. 85.
128
Commission internationale du droit, Projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant
d’activités dangereuses et commentaires y relatifs, commentaire relatif à l’article 9, p. 442, par. 4.
129 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 67,
par. 147. - 37 -
de l’examen du programme JARPA par le comité scientifique , à l’encontre des exigences du
paragraphe 30 et des lignes directrices établies par le comité scientifique.
33. Deuxièmement, dans le cadre de ses travaux sur la prévention, la commission du droit
international a confirmé que la coopération effective exigeait la prise en considération des vues et
des intérêts légitimes d’autrui . Cela suppose que l’Etat intéressé soit disposé à modifier ses
132
façons de faire par suite des vues exprimées par les autres, ce que le Japon lui-même a reconnu .
Le principe de la coopération effective n’a pas pour effet de conférer à l’Etat consulté un droit de
veto sur l’activité en question . Mais, comme la commission du droit international l’a bien
46
précisé, si l’Etat peut décider d’aller de l’avant, il est tenu de prendre en considération les intérêts
134 135
des autres , et il ne lui suffit pas d’expliquer sa motivation, comme le soutient le Japon . Il ne
suffit pas non plus à l’Etat contractant de déclarer tout simplement que les observations du comité
scientifique ont été dûment prises en considération, comme l’a fait le Japon dans ses observations
écrites136 et, de manière encore plus catégorique, dans ses plaidoiries . Il faut en effet que les
intérêts légitimes des parties paraissent objectivement avoir été pris en considération. Soutenir le
contraire priverait le paragraphe 30 de tout son sens. Le devoir de coopération effective garantit
plutôt que la partie accordera, pour paraphraser le tribunal arbitral saisi de l’affaire du Lac Lanoux,
138
«la place qui leur revient aux intérêts opposés» . L’exposé qu’a fait Mme Takashiba de notre
139
position est erroné. Il ne s’agit pas de déformer les vues exprimées par les autres , mais bien de
faire en sorte que, même si l’on est en désaccord avec elles, elles paraissent avoir été prises en
considération.
130 Rapport du président sur les travaux de la 57 réunion annuelle de la CBI, Rapport annuel de la commission
baleinière internationale, 2005, p. 5, par. 37-39 ; CMJ, vol. II, annexe 64, p. 409-412.
131Commission internationale du droit, projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant
d’activités dangereuses et commentaires y relatifs, commentaire relatif à l’article 9, p. 441, par. 2.
132OEJ, par. 9.
133Affaire du Lac Lanoux, ILR, 1957, vol. 24, p. 128-130, et 140-141.
134Commission internationale du droit, Projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant
d’activités dangereuses et commentaires y relatifs, commentaire p. 443-444, par. 10.
135CMJ, vol. I, par. 8.63 et 8.76.
136OEJ, par. 9.
137
CR 2013/15, p. 37, par. 28 (Takashiba).
138
Affaire du Lac Lanoux, ILR, 1957, vol. 24, p. 141.
139
CR 2013/15, p. 35, par. 24 (Takashiba). - 38 -
34. La troisième dimension du devoir de coopération effective consiste dans l’obligation,
lors de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, d’observer les garanties procédurales afin d’éviter
toute atteinte aux droits d’autrui. Comme l’a dit l’organe d’appel de l’OMC dans l’affaire dite
Shrimp-Turtle, il est «nécessaire de rechercher l’équilibre des droits et obligations entre, d’une part,
le droit d’un Etat membre d’invoquer l’une ou l’autre des exceptions ... et, d’autre part, les droits
140
substantiels des autres Etats membres» . La convention et le paragraphe 30 donnent au comité
scientifique un rôle à jouer dans la délivrance des permis spéciaux. Il serait contraire aux garanties
de procédure dont bénéficient les autres Etats contractants que l’un d’entre eux puisse passer outre
à l’intérêt que présente pour l’ensemble le fonctionnement efficace d’une organisation
internationale, afin d’exercer, de manière unilatérale et dérogatoire à la réglementation, le pouvoir
de délivrer des permis spéciaux au titre de l’article VIII.
47 35. Enfin, le devoir de coopération effective exige que l’Etat contractant non seulement
tienne compte des intérêts des autres parties, mais renforce son engagement lorsque ces intérêts
sont menacés . Lorsque la coopération a pour objet une ressource partagée, comme l’a fait
142
remarquer la chambre du TIDM dans l’avis consultatif qu’il a rendu relativement à la Zone , le
devoir de coopération doit prendre en compte ces intérêts partagés. L’une des parties ne peut à elle
seule dicter la façon dont sera exploitée la ressource en question. En fait, la prise en compte des
vues des autres parties doit être directement proportionnelle à l’importance de l’action unilatérale
envisagée.
36. Il incombe donc à l’Etat contractant qui se propose de délivrer un permis spécial de
prendre soigneusement en considération les préoccupations des autres parties qui ont été, au fil des
ans, exprimées de manière constante et non ambigüe. Les résolutions de la CBI concernant tant la
chasse à la baleine au titre d’un permis spécial que les permis spéciaux délivrés par le Japon sont la
preuve incontestable de ces préoccupations. C’est trahir le devoir de coopération effective que de
fermer les yeux sur ces préoccupations et d’agir de manière unilatérale et inconsidérée.
140Etats-Unis Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes,
Rapport de l’organe d’appel, WT/DS58/AB/R (12 octobre 1998), par. 156.
141OEN, par. 104.
142
Responsabilités et obligaterns des Etats qui patronnent des personnes et des entités dans le cadre d’activités
menées dans la Zone, Avis consultatif, 1 février 2011, ILM, vol. 50 (2011), p. 458, par. 147, 148 et 150. - 39 -
37. Pour en revenir à la question de M. le juge Greenwood, les résolutions de la CBI, bien
que non obligatoires en soi, incarnent le devoir de coopération effective. Et pour s’acquitter de ce
devoir, l’Etat contractant doit prendre en considération les intérêts d’autrui exprimés dans ces
résolutions. Contrairement à ce que laisse entendre le Japon , la Nouvelle-Zélande ne cherche pas
à déplacer le fardeau de la preuve en droit international. Mais lorsqu’il est établi, prima facie, que
les autres parties à la convention considèrent que leurs intérêts légitimes n’ont pas été pris en
considération, c’est à l’Etat contractant intéressé qu’il incombe de démontrer qu’ils l’ont été, et
qu’il s’est dûment acquitté de son devoir de coopération efficace.
Conclusions
38. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’aimerais conclure par
quelques remarques concernant les questions qui, de l’avis de la Nouvelle-Zélande, sont d’une
importance cruciale pour l’interprétation juste de la convention.
48 39. Monsieur le président, l’interprétation de la convention, dans la présente affaire, se
résume à une question de choix difficiles. L’article VIII doit-il être interprété comme permettant
une action échappant à toute réglementation et à tout pouvoir de contrôle, ou doit-il être interprété
dans le contexte d’un système de réglementation collective ? Doit-il être interprété comme une
disposition isolée ou comme faisant partie intégrante du régime établi par la convention ?
Confère-t-il un pouvoir de décision entièrement discrétionnaire, de sorte qu’il appartiendrait
exclusivement à l’Etat contractant de déterminer la nature, la portée et l’objet du permis spécial
qu’il se propose de délivrer ? Ou existe-t-il des contraintes raisonnables s’imposant aux Etats
contractants et qu’il reviendrait à la Cour de déterminer objectivement ?
40. Monsieur le président, la convention établit un système de réglementation collective en
vue de la conservation et de la gestion des populations de cétacés, et l’article VIII doit être
interprété à la lumière de ces objet et but.
41. L’article VIII ne permet l’octroi de permis spéciaux de chasse à la baleine qu’«en vue de
recherches scientifiques». Le Japon cherche à embrouiller la détermination de ce qu’est la
recherche scientifique, et à s’arroger le droit de décider si un programme de chasse à la baleine
143OEJ, par. 43-47. - 40 -
poursuit effectivement un objectif scientifique. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de
la Cour, la Nouvelle-Zélande conteste cette usurpation de votre rôle d’interprète en la matière.
42. Même lorsqu’un Etat contractant délivre un permis spécial «en vue de recherches
scientifiques», il reste tenu de veiller à ce que le nombre de cétacés devant être mis à mort au titre
de ce permis soit limité au minimum nécessaire et soit proportionné à l’objectif scientifique
poursuivi, et de prendre en considération les intérêts collectifs des parties. Il s’agit là d’une
question à trancher objectivement à la lumière des faits, comme le montrent les lignes directrices et
les résolutions du comité scientifique et de la commission.
43. Par ailleurs, l’Etat contractant qui se propose de délivrer un permis spécial est assujetti à
un devoir substantiel de coopération effective qui lui impose de démontrer qu’il a pris en
considération les intérêts légitimes des autres parties à la convention et qu’il a tenu compte de
l’intérêt que présente pour eux la conservation et la gestion des populations de cétacés.
44. Enfin, j’aimerais rappeler le contexte historique de la convention, l’optimisme initial
associé à un projet international commun qui a ensuite été miné par l’action unilatérale. La
Nouvelle-Zélande est convaincue que la Cour détient la clé du différend concernant l’interprétation
de l’article VIII de la convention. Ce n’est que par le recours aux mécanismes de résolution des
différends que cette question juridique fondamentale, qui entrave le fonctionnement efficace de la
49
CBI, peut être résolue.
45. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ceci met fin aux observations
de la Nouvelle-Zélande. Je vous remercie de votre attention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Madame Ridings. Avant de clore l’audience de ce
matin, je donnerai la parole à deux juges qui souhaitent poser des questions. Monsieur le juge
Cançado Trindade, je vous en prie.
Juge CANÇADO TRINDADE : Je vous remercie, Monsieur le président. Après avoir
entendu les arguments de l’Australie et du Japon, ainsi que ceux de la Nouvelle-Zélande, je
souhaiterais poser des questions aux délégations des trois Etats en vue d’obtenir d’elles, par oral ou
par écrit, des précisions sur leurs positions respectives quant à l’interprétation et à l’application de
la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine. Mes questions - 41 -
s’adressent, dans l’ordre, à l’Australie, au Japon et à la Nouvelle-Zélande, puis uniquement au
Japon, et enfin uniquement à la Nouvelle-Zélande.
Premièrement, j’adresse les questions suivantes à l’Australie, au Japon et à la
Nouvelle-Zélande :
— Comment interprétez-vous les termes «conservation et accroissement» des
peuplements baleiniers, tels qu’ils sont employés dans la convention ?
— Selon vous, un programme prévoyant l’emploi de méthodes létales peut-il être
considéré comme relevant de la «recherche scientifique» eu égard à l’objet et au but de
la convention ?
Deuxièmement, j’adresse les questions suivantes au Japon :
— Dans quelle mesure l’emploi de méthodes de substitution non létales aurait–il une
incidence sur la réalisation des objectifs du programme JARPA II ?
— Qu’adviendrait-il des peuplements baleiniers si de nombreux Etats parties à la
convention, voire tous, entreprenaient de leur propre initiative des «recherches
scientifiques» en ayant recours à des méthodes létales, selon un modus operandi
analogue à celui de JARPA II ?
Et, troisièmement, j’adresse les questions suivantes à la Nouvelle-Zélande :
— Selon vous, le fait que la convention soit un traité multilatéral ayant institué un
organe de contrôle a-t-il une incidence sur l’interprétation de son objet et de son but ?
— Dans vos observations écrites (du 4 avril 2013), vous avez dit que la convention avait
pour objet et pour but «de remplacer la chasse à la baleine non réglementée menée de
façon unilatérale par les Etats par un mécanisme de réglementation collective destiné à
servir les intérêts des parties en matière de conservation et de gestion appropriées des
baleines» (par. 33). S’agit-il là, selon vous, d’une interprétation aujourd’hui largement
50
admise de l’objet et du but de la convention ?
Je vous remercie, Monsieur le président.
LE PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur le juge Cançado Trindade. Je donne à présent
la parole à la juge Charlesworth. Madame la juge Charlesworth, vous avez la parole. - 42 -
JUGE CHARLESWORTH : Je vous remercie, Monsieur le président. Mes deux questions
ont également pour but de clarifier les choses. Ma première question s’adresse à l’Australie :
L’argument défendu par l’Australie selon lequel la réalisation par le Japon du
programme JARPA II constitue de sa part un abus de droit pourrait-il remplacer son
argument relatif à l’interprétation correcte de l’article VIII de la convention, ou est-il
avancé à titre subsidiaire ?
Ma seconde question, Monsieur le président, s’adresse au Japon :
De l’avis du Japon, l’expression «en vue de recherches scientifiques» telle
qu’elle est employée à l’article VIII de la convention renvoie-t-elle à des éléments
objectifs, ou la définition des recherches scientifiques est-elle laissée à la discrétion
des Etats contractants qui délivrent des permis spéciaux en application de
l’article VIII ?
Je vous remercie, Monsieur le président.
LE PRESIDENT : Je vous remercie, Madame la juge Charlesworth. Le texte de ces
questions sera communiqué par écrit aux Parties et à l’Etat intervenant dès que possible. Les
Parties sont invitées à y répondre oralement au cours de leur second tour de plaidoiries. Le Japon
pourra faire part de ses commentaires sur ces réponses, par oral, la semaine prochaine. L’Australie,
si elle le souhaite, pourra soumettre brièvement par écrit ses observations sur les réponses du Japon
au plus tard le 19 juillet 2013. La Nouvelle-Zélande est invitée à répondre par écrit aux questions
qui lui ont été posées, avant ce vendredi 12 juillet à 15 heures, de manière que le Japon puisse faire
part de ses commentaires à ce sujet. Enfin, l’Australie pourra présenter par écrit ses observations
sur les réponses de la Nouvelle-Zélande au plus tard le 19 juillet 2013. L’audience est levée.
L’audience est levée à 11 h 40.
___________
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