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124-20101013-ORA-02-01-BI
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CR 2010/14 (traduction)

CR 2010/14 (translation)

Merdredi 13 octobre 2010 à 11 h 20

Wednesday 13 October 2010 at 11.20 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. Nous en venons maintenant au premier tour de

plaidoiries de la Colombie. Toutefois, avant d’i nviter le premier intervenant à la barre, je dois

indiquer que le jugeAl-Khasawneh, pour des rais ons qui m’ont été communiquées plus tôt, n’est

malheureusement pas en mesure de prendre part à la seconde partie de cette séance. Je donne à

présent la parole à S. Exc. M. Julio Londoño Paredes, agent de la Colombie.

M. LONDOÑO :

1. Je vous remercie Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs

de la Cour, c’est un grand honneur pour moi que de paraître aujourd’hui devant vous, en qualité

d’agent de la République de Colombie, dans le cadre de ces audiences sur la requête à fin

d’intervention soumise par la République du Costa Rica le 25 février 2010 en l’affaire du Différend

territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie).

2. Faisant suite à la communication de la Cour, mon gouvernement a présenté, le

26 mai 2010, ses observations sur la requête déposée par le Costa Rica. La Colombie y a indiqué

qu’elle prenait note du fait que la requête était déposée dans le cadre de l’article 62 du Statut de la

Cour et que l’intervention demandée par le Costa Rica avait pour seul objectif d’informer la Cour

des intérêts et des droits en ma tière de délimitation maritime qui sont les siens et auxquels pourrait

porter atteinte une décision sur le différend opposant le Nicaragua et la Colombie.

3. Monsieur le président, il n’est pas dans mon intention d’aborder des questions qui ne

relèvent pas de l’objet de la requête à fin d’inte rvention du Costa Rica. J’ estime cependant que, la

requête du CostaRica survenant dans un contexte hi storique et géographique particulier, un bref

rappel de la manière dont la Colombie, le Costa Ri ca, le Panama et le Ni caragua sont devenus des

Etats voisins dans cette partie des Caraïbes pourrait peut-être aider la Cour.

4. La géographie politique actuelle de la région remonte au début du XIX esiècle, lorsque non

seulement l’archipel de SanAndrés mais également la côte des Mosquitos faisaient partie de la

vice-royauté de SantaFé (Nouvelle-Grenade) ⎯aujourd’hui la République de Colombie, qui

exerce depuis lors une souveraineté et une juridic tion ininterrompues sur l’ensemble de l’archipel.

La Colombie a examiné ce point en détail dans ses pièces de procédure et l’on peut voir la situation

sur la carte présentée actuellement à l’écran. - 3 -

e
11 5. Pendant la seconde moitié du XIX siècle, la Colombie et le CostaRica engagèrent des

négociations afin de fixer leur frontière te rrestre commune. Tout au long du processus de

négociation, la Colombie fut disposée à reconnaître la souveraineté du Costa Rica sur le segment de

la côte des Mosquitos compris en tre les fleuvesSanJuan et Chagres; ce point fut finalement

tranché dans la sentenceLoubet de1900 qui fixa la frontière terrestre entre les deux Etats et

réaffirma la souveraineté de la Colombie sur l’archipel de San Andrés.

6. En 1903, la région appelée à présent Répub lique du Panama fit sécession de la Colombie

lors d’un épisode bien connu de l’histoire mondiale.

7. Par la suite, la Colombie et le Nicaragua conclurent le traité de 1928-1930, par lequel la

Colombie reconnaissait la souveraineté du Nicaragua sur le segment de la côte des Mosquitos

compris entre le cap Gracias a Dios et le fleuveSanJuan, ainsi que sur les îlesMangle (îles du

Maïs). Le Nicaragua, qui avait pour la première fois revendiqué l’archipel en 1913, reconnut quant

à lui la souveraineté de la Colombie sur les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, ainsi

que sur «les autres îles, îlots et récifs qui font partie d[udit] archipel de San Andrés».

8. Monsieur le président, afin d’éviter des différends et des conflits entre les Etats, la

Colombie s’attacha, dans les années 1970, à conclure plusieurs traités de délimitation avec les Etats

voisins dans le but d’établir des frontières maritimes précises et stables.

9. En conséquence de cette politique, la Co lombie conclut des traités de délimitation

maritime avec le Panama en1976, le CostaRi ca en1977, la République dominicaine et Haïti

en1978, le Honduras en1986 et la Jamaïque en1993. En outre, elle conclut, en1972, un traité

avec les Etats-Unis d’Amérique portant sur Roncador, Quitasueño et Serrana. Nombre de ces

traités procèdent à une délimitation entre l’archipel colombien de SanAndrés et les Etats voisins.

On notera que la plupart de ces accords ont été conclus avant que le Nicaragua ne revendique

l’intégralité de l’archipel en 1980.

10. L’archipel de San Andrés, l’une des trente -deux provinces de la Colombie et cher à la

nation colombienne, se situe entre 266 et 106 milles marins de la côte nicaraguayenne. Avec une

population d’environ 80000habitants, il constitue un centre essentiel pour le commerce, le

tourisme, l’agriculture et la pêche, ainsi que pour les communications maritimes et aériennes. - 4 -

12 11. Plusieurs de ces traités ont, à leur tour, ser vi de fondement à des accords ultérieurs entre

des Etats tiers et contribué à établir la paix, la stabilité et une réelle coopération entre les Etats dans

cette zone si importante que constituent les Ca raïbes occidentales, où se croisent d’importantes

voies de navigation et où la Colombie et les Etats avec lesquels elle a conclu des traités mènent

d’intenses actions contre le trafic de drogue.

12. Après cette vue d’ensemble que je viens de présenter à la Cour, je note que l’éminent

agent du Costa Rica a indiqué lundi que son pays pr éférait également la méthode consistant à fixer

1
les frontières maritimes par voie diplomatique et au moyen d’accords , comme l’a fait la Colombie.

*

* *

13. Le traité signé en1977 par la Colombie et le CostaRica, qui tenait compte du droit

international relatif aux îles et aux zones mar itimes générées par celles-ci, sur la base des

dispositions de l’article10 de la convention sur la mer territoriale de1958 et de l’alinéa b) de

2
l’articlepremier de la convention sur le plateau continental de la même année , continue d’être

l’expression du droit tel qu’il est aujourd’hui. Ainsi que le conseil du CostaRica l’a rappelé

pendant ces audiences, c’est l’un des trois instru ments juridiques que le Costa Rica a conclus pour

délimiter ses zones maritimes.

14. Le traité a été respecté de bonne foi pa r les deux pays depuis la date de sa conclusion

en 1977. Il n’est pas nécessaire que je rappelle aux éminents membres de la Cour l’effet juridique

évident de l’application constante d’un tel traité par deux Etats pendant trente-trois ans sans aucun

incident, ce qui a été mentionné dans de nombreux échanges diplomatiques et déclarations de hauts

responsables des deux pays.

15. La Colombie l’a rappelé dans les pièces de procédure qu’elle a soumises en l’espèce et

M.Bundy présentera également ce point de manièr e plus détaillée. Le CostaRica le mentionne,

1
CR 2010/12, p. 16, par. 5 (Ugalde Álvarez).
2D. W. Bowett, The legal regime of islands in the international 1979, p. 33 ; H. W. Jayewardene, The
regime of islands in international law, 1990, p. 14. - 5 -

quant à lui, au paragraphe 12 de sa requête, où il i ndique qu’il «s’est, de bonne foi, abstenu de tous

13 actes qui seraient contraires à l’objet et au but de ce traité». Le Nicaragua, dans ses observations

écrites sur la requête du Costa Rica, signale également ce fait.

16. Le principe essentiel qui inspire et encadre les relations entre Etats ⎯y compris la

délimitation de leurs frontières territoriales et de leurs zones maritimes ⎯ consiste à préserver la

paix et la stabilité tout en maintenant entre eux de bonnes relations de voisinage. Tel a précisément

été l’effet du traité de 1977.

17. Monsieur le président, Mesdames et M essieurs de la Cour, nous avons entendu lundi,

avec plus de détails, ce que le CostaRica considèr e être l’intérêt d’ordre juridique pour lui en

cause. La Colombie prend acte du fait que le Co sta Rica reconnaît que le traité de 1977 limite ses

droits à l’égard de la Colombie. Celle-ci n’ a, dans ses observations écrites, formulé aucune

objection, considérant qu’il existait des intérêts d’ordre juridique relatifs aux zones maritimes

délimitées conformément au traité de 1977 que les prétentions du Nicaragua remettaient en cause et

qui pouvaient, par conséquent, être affectés par une décision en l’espèce.

18. Dans l’instance principale, la Colombie a pr is soin de respecter les intérêts potentiels des

Etats tiers, y compris ceux du CostaRica, comme l’ expliquera plus en détail M.Crawford. Le

Nicaragua, en revanche, bat en brèche par ses revendi cations les intérêts des Etats tiers dans la

région.

19. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la présentation de la

Colombie se poursuivra avec l’intervention de M. RodmanBundy, qui exposera à la Cour les

facteurs géographiques et historiques que la Colombie considère comme pertinents pour se

prononcer sur le contenu de la requête du Costa Rica.

20. M.JamesCrawford abordera ensuite la question juridique de savoir si, du point de vue

de la Colombie, le Costa Rica a démontré l’exis tence d’un intérêt d’ordre juridique qui serait pour

lui en cause en l’espèce au sens de l’article 62 du Statut.

21. Compte tenu de ce qu’affirme le Costa Rica dans sa requête, à savoir que, dans les

«frontières maritimes qu’elles revendiquent l’une et l’autre, les Parties englobent, dans une plus ou - 6 -

moins grande mesure, des espaces mar itimes qui reviennent au CostaRica» 3, M.Crawford

examinera également les conséquences des revendications respectives de la Colombie et du

Nicaragua ainsi que leur approche d’ensemble c oncernant la délimitation, pour autant que ces
14
positions se rapportent à des points soulevés par le Costa Rica dans sa requête à fin d’intervention.

22. Je remercie la Cour de m’avoir accordé le privilège d’ouvrir l’argumentation orale de la

Colombie lors de ces audiences. Je vous prie, Mons ieur le président, de donner à présent la parole

à M. Rodman Bundy.

Le PRESIDENT : Je remercie S. Exc. M. Julio Londoño Paredes, agent de la Colombie, pour

sa présentation. Je donne à présent la parole à M. Rodman Bundy.

M. BUNDY :

LE C ONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE

Introduction

1. Je vous remercie Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs

de la Cour, c’est, comme toujours, un grand honneur de plaider devant la Cour, et c’est également

un honneur de représenter la République de Colombie durant cette phase de la procédure.

2. La Cour aura compris, après avoir lu les observations écrites de la Colombie et entendu

son agent, il y a quelques instants, que cet Etat ne voit pas d’objection à ce que le CostaRica

intervienne en tant qu’Etat non partie pour s’e xprimer sur certains aspects de la délimitation

maritime en cause dans la procédure principale entre le Nicaragua et la Colombie.

3. La Colombie reconnaît bien sûr que c’est à l’Etat demandeur qu’il incombe de démontrer

qu’il a un intérêt d’ordre juridique, au sens de l’article 62 du Statut, qui pourrait être affecté par la

décision qui sera rendue en l’espèce.

4. Sans rien enlever au fait que c’est au Co sta Rica qu’il appartient de justifier sa demande,

la Colombie, tout au long de la procédure pr incipale en l’espèce, n’a cessé de souligner que

l’existence d’intérêts d’ Etats tiers dans la région constitit un facteur important à prendre en

compte tant pour définir la zone pertinente dans laquelle la délimitation entre le Nicaragua et la

3
Requête du Costa Rica, par. 11. - 7 -

Colombie devrait être effectuée, que pour s’assurer que toute ligne tracée par la Cour n’empiète pas

sur des zones où des Etats tiers ont des intérêts légitimes. Cela expli que qu’en décrivant la

15
frontière maritime en l’espèce, la Colombie a dûment tenu compte des intérêts d’ordre juridique qui

sont en cause pour des Etats tiers, dont le Costa Rica, dans la zone à délimiter. Le Nicaragua ne l’a

pas fait. Je constate que ce matin celui-ci s’est dit soucieux de ne pas por ter atteinte aux droits

effectifs ou réels d’Etats tiers dans la région. Mais cette préoccupation ne ressort pas des écritures

qu’il a déposées dans le cadre de la procédure principale ⎯telle est la véritable raison de notre

présence ici aujourd’hui.

5. Je suis chargé ce matin de présenter à la Cour un certain nombre de facteurs

géographiques et historiques qui, du point de vue de la Colombie, pourraient aider à déterminer si

le CostaRica possède un intérêt d’ordre juridique qui pourrait être affecté par une décision en

l’espèce. Je commencerai par une brève descrip tion du contexte géograp hique dans lequel il

convient d’examiner la requête du Costa Rica. J’examinerai ensuite la pratique des Etats intéressés

en matière de délimitation dans la zone en cause dans la requête du Costa Rica. Ces accords font la

lumière sur le lieu où se trouvent les véritables inté rêts des Etats riverains dans cette partie de la

mer des Caraïbes.

*

Le contexte géographique

6. Permettez-moi de commencer par une présenta tion générale de la gé ographie de la zone

maritime à l’égard de laquelle le Costa Rica a annoncé qu’il possédait des intérêts d’ordre juridique

qui, selon lui, pourraient être affectés par une décision en l’espèce.

7. La côte caraïbe du CostaRica se trouve dans la partie sud-ouest de la mer des Caraïbes,

entre les côtes du Nicaragua et du Panama. Cette côte fait face à l’archipel colombien de

San Andrés, situé au nord-est.

8. Au nord du Costa Rica, la côte nicaraguayenne est orientée selon un axe nord-sud, de sorte

qu’elle fait face à l’est, en direction du chapelet d’îles comprenant l’archipel de SanAndrés. Ce

n’est qu’à l’endroit où la frontière terrestre entre le Nicaragua et le Costa Rica rejoint la mer que la - 8 -

configuration générale de la côte commence à cha nger de direction, pour s’orienter davantage vers

le sud-est.

16 9. Au sud-est du Costa Rica, de l’autre côté, se trouve le Panama. La partie la plus à l’ouest

de la côte du Panama s’étend en direction du sud-est à partir de la frontière terrestre avec le

CostaRica, et fait donc face elle aussi au nor d-est, comme la côte du Costa Rica, comme vous

pouvez le voir sur la carte. Plus à l’est, la côte du Panama change ensuite de direction de sorte que

son prochain segment fait face au nord-ouest, vers l’ar chipel de San Andrés, et, en particulier, vers

les îles de SanAndrés et de Providencia, et les cay es d’Albuquerque et de l’Est-Sud-Est. Encore

plus à l’est, la côte panaméenne s’infléchit à nouveau et la partie la plus au nord de cette côte fait

face à l’île colombienne de Roncador. Le rest e de la côte caraïbe du Panama, alors qu’elle

s’oriente à nouveau vers le sud-est et jusqu’à la fr ontière terrestre entre le Panama et la Colombie,

n’est pas pertinent au regard de la requête du Co sta Rica parce qu’il se trouve en dehors de la zone

qui nous intéresse.

10. S’il est vrai que le Panama n’a pas demandé à intervenir en l’espèce, la Colombie estime

toutefois qu’il faut également tenir compte des intérêts de cet Etat dans toute délimitation maritime

entre la Colombie et le Nicaragua. La Colombie fonde sa position sur le fait que, dans des affaires

de délimitation maritime, la Cour a invariableme nt indiqué qu’elle devait se montrer sensible aux

droits effectifs ou potentiels d’Etats tiers rivera ins de la zone à délim iter, que ceux-ci aient

demandé ou non à intervenir. Le Panama a complè tement délimité ses espaces maritimes en mer

des Caraïbes, par un traité conclu en 1976 avec la Colombie et un autre conclu en1980 avec le

CostaRica. Ces instruments traduisent les intérêts juridiques des trois Etats dans cette zone et

reposent sur le principe que toute délimita tion devrait être effectuée par voie d’accord

conformément au droit international. Une délimita tion entre la Colombie et le Nicaragua dans la

procédure principale ne doit pas porter atteinte aux dr oits d’Etats tiers qui ne sont pas partie à cette

procédure.

11. Face aux côtes pertinentes du Nicaragua, du Costa Rica et du Panama se dressent les îles

de l’archipel colombien de San Andrés. Comme toutes les îles en vertu droit international, elles ont

des titres juridiques sur les espaces maritimes géné rés par leurs côtes selon le concept de la

projection radiale, comme on peut le voir à présent sur la carte. - 9 -

12. Compte tenu de l’orientation générale des côtes des différents Etats de la région, il n’est

pas surprenant que la zone entre les îles du sud et du centre de l’archipel de San Andrés, d’une part,

et les côtes du CostaRica et du Panama, de l’au tre, ait il y a plus d’une trentaine d’années fait

l’objet d’une série d’accords de délimitation auxquels sont parties la Colombie, le Costa Rica et le

Panama et qui concernent leurs titres sur des espaces maritimes qui se chevauchaient.

17 13. Comme nous l’avons entendu, le CostaRi ca et le Nicaragua n’ont pas de frontière

maritime délimitée partant d’un point terminal de leur frontière terrestre commune. Si la question

de l’état d’avancement des négociations entre ces de ux pays sur la délimitation de leur frontière se

pose, la Colombie ne se prononce pas sur ce sujet, dont elle ne connaît pas les détails. Toutefois,

comme je vais le montrer, quand la Colombie et le Costa Rica ont conclu un traité de délimitation

maritime en 1977, traité auquel il a déjà été fait réfé rence, ces deux Etats sont partis de la prémisse

que leur frontière au sud-ouest des cayes d’Albuquerque finirait par rencontrer dans cette zone celle

d’un troisième Etat, le Nicaragua.

14. La Colombie souhaite également souligner que, pour autant qu’elle le sache, et sur la

base des éléments de preuve introduits dans le cad re de la procédure principale, le Nicaragua n’a

jamais été présent dans les zones maritimes compris es entre l’archipel de SanAndrés et les côtes

du Costa Rica et du Panama qui lui font face. Rien dans le dossier de l’affaire ne permet non plus

de conclure que le Nicaragua ait contesté aucun des accords de délimitation relatifs à cette partie de

la mer des Caraïbes conclus entre la Colombie, le Costa Rica et le Panama.

15 En somme, si la Colombie, le Costa Rica et le Panama ont montré, par une série de traités

de délimitation conclus de longue date sur la base de la méthode de l’équidistance, qu’ils

possédaient bien un intérêt d’ordre juridique dans cette partie de la mer des Caraïbes, le Nicaragua,

en revanche, n’a pas manifesté d’intérêt similaire. Il n’a pas contesté ces traités. Il n’a conclu

aucun accord de délimitation le concer nant dans cette zone. Il n’a pas été, et n’est toujours pas,

présent dans cette zone. Ce n’est que dans la pr ésente instance, dans la procédure principale qui

l’oppose à la Colombie, que le Nicaragua a form ulé une revendication visant à amputer les titres - 10 -

maritimes et la projection de l’archipel colombien vers les côtes du Costa Rica et du Panama, titres

qui ont été reconnus par ces deux Etats, comme le montrent les accords conclus en 1976 et en 1977,

accords que je vais à présent examiner.

*

18
Les délimitations existantes dans la zone

16. Examinons donc un peu plus en détail les accords de délimitation qui ont été négociés et

signés dans la zone; contrairement au CostaRica, je me propose de les considérer dans l’ordre

chronologique, c’est-à-dire dans l’ordre dans lequel ils ont été conclus. Selon moi, il est important

de procéder ainsi car, comme je le montrerai, les trois accords auxquels il a été fait référence en la

présente instance sont étroitement liés les uns aux autres.

i) Le traité de 1976 entre la Colombie et le Panama

17. Le premier de ces accords a été conclu entre la Colombie et le Panama en
4
novembre 1976 et est entré en vigueur en 1977 ; il a ét é reproduit dans les écritures et figure dans

le dossier de plaidoiries de la Colombie sous l’ongl et n° 5. Le Nicaragua lui-même s’y est référé

aux paragraphes 28 et 29 de ses observations écrites, et l’a de nouveau mentionné ce matin.

18. Aux fins présentes, la partie pertinente du tr aité entre la Colombie et le Panama est celle

qui a trait au secteur occidental de la frontière maritime entre ces deux pays. Comme vous le voyez

sur la carte projetée à l’écran, cette frontière est , par souci de simplicité, représentée par une ligne

en escalier qui vient s’inscrire entre la partie occidentale de la côte du Panama et les îles

colombiennes de SanAndrés, Providencia, Ron cador, le groupe des cayes de l’est-sud-est et

Alburquerque. La méthode retenue pour tracer cette ligne de délimitation est expliquée au point A

de l’article premier du traité, où il est indiqué que,

«[c]onformément au principe de l’équi distance ainsi convenu, sous réserve de
quelques petites modifications qui ont été décidées pour simplifier le tracé, la ligne
médiane dans la mer des Caraïbes est constitu ée par les lignes droites tracées entre les
points suivants».

4
Contre-mémoire de la Colombie (CMC), annexe 4. - 11 -

Suit la liste des coordonnées des points de base. Il en ressort clairement que le Panama a reconnu

les droits maritimes générés par l’ archipel colombien en vertu du droit international et a accordé

plein effet aux îles et aux cayes sur la ligne d’équidistance convenue.

19. Le dernier segment, c’est-à-dire le segment le plus à l’ouest, de la ligne frontière entre la

Colombie et le Panama, situé au-delà du point M — point qui est à présent surligné sur la carte —,

19 ce dernier segment suit une ligne droite tracée selon un azimut de 225°, autrement dit se dirige vers

le sud-ouest. Le point terminal de cette ligne n’a pas été précisé dans l’accord entre la Colombie et

le Panama, dans l’attente d’une délimitation avec un Etat tiers, en l’occurrence le CostaRica.

Ainsi qu’il est indiqué dans l’article 2 du traité, «[d]epuis le point M, la délimitation continue par

une ligne droite de 225° d’azimut (45°au s ud-ouest) jusqu’au point où la délimitation des

frontières maritimes doit être établie avec un Etat tiers».

20. Comme je m’apprête à l’expliquer, il s’ag it là d’un élément important qui n’est pas sans

incidence sur les deux traités de délimitation qui ont été signés par la suite entre la Colombie et le

Costa Rica en 1977 et entre le Costa Rica et le Panama en 1980.

ii) Le traité de 1977 entre la Colombie et le Costa Rica

21. Le deuxième accord de délimitation maritime qui revêt une pertinence directe aux fins de

la présente instance est le traité signé par la Colo mbie et le Costa Rica le 17 mars 1977, traité qui

porte sur la délimitation de la frontière mariti me entre ces deux pays dans la mer des Caraïbes 5 et

qui figure sous l’onglet n°7 de notre dossier de plaidoiries. Ce traité, auquel l’agent de la

Colombie s’est référé il y a quelques instants et qui a également été mentionné par le CostaRica

lundi, puis, de nouveau, par le Nicaragua ce matin, a été approuvé par le congrès de la Colombie
6
mais n’a pas encore été ratifié par l’assemblée législative du CostaRica . La Colombie et le

CostaRica conviennent cependant que la ligne fro ntière définie en1977 a été respectée tout au

long des trente-troisannées qui se sont écoulées de puis la signature de ce traité, et qu’elle a

contribué au maintien de la paix et de la stabilité dans la région. De plus , comme je le préciserai

dans quelques instants, lorsque le CostaRica et le Panama ont par la suite délimité leur frontière

5
CMC, annexe 5.
6
Requête du Costa Rica, par. 12. - 12 -

maritime dans cette partie de la mer des Caraïb es en1980, l’existence de la frontière entre la

Colombie et le Costa Rica a été expressément reconnue dans le traité en question.

22. Dans sa requête, le CostaRica indique qu’ il «s’est, de bonne foi, abstenu de tous actes

7
qui seraient contraires à l’objet et au but de ce traité» . Cette affirmation est incontestablement

exacte. Selon la Colombie, elle constitue toutef ois une appréciation par trop modérée de l’effet de

cet instrument. Dans la pratique, tant la Colo mbie que le CostaRica ont en effet pleinement

respecté la ligne frontière. Chacun de ces Etats a exercé des droits et une juridiction souverains sur

20 les espaces situés de son côté de la ligne —ligne à laquelle ils se sont scrupuleusement

conformés — et, comme je l’ai déjà dit, l’existence d’une frontière convenue dans cette partie de la

mer des Caraïbes a contribué au maintien de la paix et de la stabilité dans la région.

*

23. Dans ce contexte, il convient de relever que la Colombie et le Costa Rica ont également,

en1984, conclu un traité de délim itation de leur autre frontière maritime dans l’océan Pacifique.

Par la suite, lorsque les instruments de ratification de ce traité — celui de 1984 — ont été échangés,

à savoir en 2000, ces deux Etats ont signé un protoc ole dans lequel il était également fait référence

au traité de 1977. Dans ce prot ocole, et je cite — le libellé ét ant actuellement projeté à l’écran et

figurant dans notre dossier de plaidoiries—, dans ce protocole, il est confirmé «[q]ue le traité

relatif à la délimitation des zones marines et s ous-marines et à la coopération maritime signé le

17 mars 1977 continuera d’être respecté dans les conditions actuelles jusqu’à ce que l’échange des

8
instruments de ratification respectifs de ce traité soit effectué.» .

Bien que le conseil du Costa Rica nous ait indi qué lundi que le Costa Rica s’était abstenu de

ratifier le traité de 1977 car le Ni caragua lui avait demandé de ne p as le faire tant que n’aurait pas

été tranché le différend l’opposant à la Colombie (CR2010/12, p.22, par.8 (Brenes)), les deux

parties à l’accord de 1977 avaient clairement l’intention, comme en témoignent les termes du

protocole que nous venons d’examiner, de procéder à l’échange des instruments de ratification. Le

7
Ibid.
8
CMC, annexe 18. - 13 -

Nicaragua a d’ailleurs, pour sa part, précisé da ns ses observations écrites que «le CostaRica

9
n’a[vait] jamais laissé entendre qu’il n’avait pas l’intention de le ratifier» .

24. Plusieurs autres déclarations émanant de hauts représentants costa-riciens confirment que

le CostaRica reconnaissait de facto la frontière entre lui-même et la Colombie et qu’il avait

l’intention d’engager le processus de ratificati on du traité. La Colomb ie en a donné un certain

10
nombre d’exemples dans ses écritures ; par souci de concision, je n’en mentionnerai que deux.

21 25. Le premier est une note diplomatique à laquelle il a également été fait référence en partie

ce matin. Il s’agit d’une note adressée le 14mai1996 au ministre des affaires étrangères de la

Colombie par le ministre des affaires étrangè res du CostaRica, dont le passage pertinent se lit

comme suit :

«[J]’ai l’honneur de vous faire conna ître que, selon le Gouvernement du Costa

Rica, le traité relatif à la délimitation maritime entre la Colombie et le Costa Rica a été
respecté, est respecté et continuera de l’être, en conformité totale avec les règles
internationales consacrées par la convention de Vienne sur le droit des traités, en

témoignage de la bonne foi des Parties. Le libellé de ce traité est clair et sans
équivoque, et l’absence d’incidents ou de difficultés entre les deux pays en la matière
atteste le caractère bénéfique de cet instrument juridique.» 11

26. La seconde déclaration que je citerai est une autre notre diplomatique, elle aussi versée

au dossier, adressée le 29mai2000 au ministre d es affaires étrangères de la Colombie par le

ministre des affaires étrangères du Costa Rica. Dans la partie pertinente de cette note, il est indiqué

que :

«Alors que l’Assemblée législative co sta-ricienne s’apprête à examiner, pour
approbation, le traité relatif à la délimitati on des zones marines et sous-marines et à la
coopération maritime signé par nos deux pays le 6 avril 1984 » — c’est-à-dire le traité

portant sur l’océan pacifique —, «j’ai le plaisir de vous faire connaître que mon pays,
toujours respectueux des principes et des règles du droit international et, notamment,
de celles qui régissent la conclusion des tr aités internationaux, s’est conformé et

continuera de se conformer de bonne foi à cet instrument, ainsi qu’au traité relatif à la
délimitation des zones marines et sous-mar ines et à la coopération maritime du
17 mars 1977.»

Et la note se poursuit en ces termes :

«Tout au long de ces années, ces deux instruments ont clairement démontré leur

caractère bénéfique, facilité la coopération et contribué à la compréhension mutuelle,

9Observations écrites du Nicaragua, par. 18.
10
Voir, par exemple, CMC, par. 4.156-4.162.
11CMC, annexe 67. - 14 -

au maintien de la paix et de la confian ce entre nos deuxEtats, devenant ainsi des

modèles pour la région et le continent tout entier.

Aussi le Gouvernement du CostaRica poursuivra-t-il les procédures requises

aux fins de la ratification et de l’échange des instrume12s correspondants, une fois que
le traité aura été approuvé par le pouvoir législatif.»

27. Pour en venir au tracé de la frontière de 1977, M.Brenes, lorsqu’il a examiné lundi le

traité conclu cette année-là, a om is d’indiquer que celui-ci avait fixé comme point de départ de la

frontière maritime entre la Colombie et le Costa Rica l’intersection d’une ligne droite orientée vers

le sud-ouest selon un azimut de 225° à partir du point M de la frontière entre la Colombie et le

Panama et le parallèle situé par 10°49'de latit ude nord. Ce point correspond au pointA sur la

carte. Cela est important car, en prenant comme ré férence le dernier segment de la frontière entre

22 la Colombie et le Panama pour établir sa fr ontière avec la Colombie, le CostaRica a, de facto,

reconnu cette frontière. Autrement dit, il a reconnu la frontière entre la Colombie et le Panama en

utilisant la dernière portion de celle-ci comme point de départ de sa frontière avec la Colombie,

convenant d’ailleurs qu’il devait être accordé aux îl es de la Colombie le même effet sur la ligne

d’équidistance que celui qui leur avait été accordé dans le traité entre la Colombie et le Panama.

28. Dans le traité entre la Colombie et le Co sta Rica, il est ensuite indiqué que, à partir de ce

point de départ — le point A — la frontière longe le parallèle situé par 10° 49' de latitude nord en

direction de l’ouest jusqu’à son intersection avec le méridien situé par 82°14'de longitude ouest,

qui correspond au pointB sur la carte. En fait, comme il a déjà été précisé lundi, le segment de

ligne droite qui relie le point A au point B c onstitue également une ligne d’équidistance simplifiée

entre la partie méridionale de l’archipel et la côte costa-ricienne, ligne qui donne plein effet aux îles

du sud de l’archipel de San Andrès.

29. Lundi, le conseil du Costa Rica a indiqué qu e, au moment de la négociation de l’accord,

«le CostaRica a[vait] accepté de reconnaître un plein effet à l’île colombienne de SanAndrés» 13.

Avec tout le respect que je lui dois, cela est erroné. En fait, c’est aux cayes d’Albuquerque, situées

à quelque vingt milles marins au sud de l’île de San Andrés, que la ligne convenue a donné plein

o
effet. Un simple coup d’Œil à la carte projetée à l’écran ou à la carte n 1 qui figure dans le dossier

de plaidoiries du Costa Rica suffit pour s’en rendre co mpte ; la Cour peut également se reporter au

12
Duplique de la Colombie (DC), vol. II, annexe 2.
13CR 2010/12, p. 21, par. 4 (Brenes). - 15 -

tome pertinent de l’étude de Charney et Alexander consacrée aux frontières maritimes

internationales, à laquelle le conseil s’est référé dans son exposé.

30. A partir du pointB, la frontière se poursu it vers le nord, le long du méridien situé par

14
82° 14' de longitude ouest «jusqu’au point où la délimitation doit être établie avec un Etat tiers» .

Cela est représenté sur la carte par une flèche. Ainsi, la Colombie et le Costa Rica ont tous deux

reconnu que la détermination du poi nt terminal précis de leur fr ontière à l’ouest dépendait d’une

délimitation future avec un Etat tiers ⎯ à savoir le Nicaragua ⎯, et ont donc cherché à éviter qu’il

ne soit porté préjudice aux Etats non-parties à l’accord en s’abstenant de trancher cette question.

31. Lundi, M.Lathrop a, pour la première fois, présenté une carte sur laquelle était

représentée une ligne d’équidistance latérale hypothétique entre le CostaRica et le Nicaragua se

projetant loin vers le large, c’est-à-dire vers l’est , bien au-delà des limites convenues dans le traité

de 1977 entre le Costa Rica et la Colombie. Ce faisant, le Costa Rica n’est pas, selon la Colombie,
23

revenu sur sa position constante consistant à reconnaître la délimitation maritime convenue avec la

Colombie en 1977, mais s’est contenté de repr ésenter ce qu’il considère comme son titre minimum

vis-à-vis du Nicaragua compte tenu de la demande formulée par celui-ci en la présente espèce. En

tout état de cause, une prétention hypothétique du CostaRica relative à sa délimitation avec le

Nicaragua n’a —et ne saurait avoir— aucune incidence sur les espaces délimités d’un commun

accord dans le traité de 1977.

32. A la lecture du traité de 1977, il est clair que les parties qui en sont signataires —la

Colombie et le Costa Rica — ont estimé que la prol ongation du segment vers le nord de cette ligne

de délimitation finirait par croiser une délimitation latérale entre le CostaRica et le Nicaragua au

sud-ouest de l’archipel de San Andrés. Le conseil costa-ricien s’est appuyé sur le fait que, selon le

traité de 1977, la ligne serait prolongée vers le nord «jusqu’au point où la délimitation doit être

15
faite avec un Etat tiers», qui, à ses dires, ne saurait être que le Nicaragua .

33. Sur la carte présentée par le Costa Rica lundi , la Cour peut voir la zone où une ligne de

délimitation entre le Costa Rica et le Nicaragua pourrait éventuellement couper la prolongation de

la frontière entre le Costa Rica et la Colombie. Et, comme je l’ai indiqué, ce tripoint se trouverait

14
CMC, vol. II, annexe 5.
15
CR 2010/12, p. 34, par. 11 (Lathrop). - 16 -

au sud-ouest de l’archipel, et non loin de celui-c i à l’est. En ce qui con cerne les espaces situés à

l’est, M. Lathrop lui-même a confirmé que «la Colombie était l’Etat avec lequel le Costa Rica avait

une frontière dans cette partie de la mer des Caraïbes» . 16

34. Selon la requête du Costa Rica, le traité de 1977 avec la Colombie repose sur l’idée que

le Costa Rica et la Colombie ont des titres qui se chevauchent sur d es espaces maritimes qu’ils

17
doivent partager d’un commun accord dans les zones traversées par leur ligne frontière . C’est là

18
un argument qu’a répété le conseil du Costa Rica lundi . La Colombie reconnaît qu’il s’agit d’un

point d’accord — en fait, pour reprendre les termes de M. Lathrop, telle était l’«idée essentielle» de

ces deux Etats lorsqu’ils ont négocié et signé le traité de 1977. Le Nicaragua n’a pas protesté

contre la conclusion du traité auprès de la Colombie . En outre, ni la requête du Costa Rica, ni les

pièces du Nicaragua, ni non plus les observations écr ites de celui-ci sur la requête du CostaRica,
24

ne contiennent de protestation du Nicaragua à l’encontre du Costa Rica.

35. Le Costa Rica a aussi fait observer, dans sa requête, que son acco rd avec la Colombie

reposait sur l’hypothèse selon laquelle «le territoire insulaire de la Colombie au sud-ouest de la mer

19
des Caraïbes d[eva]it se voir reconnaîtr e un plein effet dans une délimitation» . Cette déclaration

tirée de la requête a une nouvelle fois été confir mée par deux intervenants différents du Costa Rica

20 21
lundi matin, M. Brenes et M. Lathrop . En effet, le traité de 1977, non seulement consacre cette

reconnaissance par le Costa Rica et la Colombie, mais il est tout à fait conforme, ainsi que je l’ai

indiqué, aux principes en vertu desquels le Pana ma et la Colombie avaient convenu de déplacer

leur frontière maritime davantage vers le nord- est. M. Brenes a d’ailleurs expliqué que ces lignes

avaient été définies d’un commun accord, dans le but de créer un équilibre entre la taille de ces

petits espaces maritimes échangés en utilisant une ligne d’équidistance simplifiée, tout en étant

placées à une distance suffisante du territoire insulaire de la Colombie et de la côte continentale du

16Ibid., p. 35, par. 13 (Lathrop).
17
Requête du Costa Rica, par. 13.
18
CR 2010/12, p. 35, par. 13 (Lathrop).
19Requête du Costa Rica, par. 13.

20CR 2010/12, p. 21, par. 4 (Brenes).

21Ibid., p. 35, par. 13 (Lathrop). - 17 -

22
Costa Rica . Lundi, le Costa Rica a précisé que c’était également la méthode de l’équidistance qui

avait été employée à des fins de délimitation dans le Pacifique.

36. C’est là un point important. Son éminent agent a confirmé lundi que, conformément à la

longue tradition démocratique et juridique qui est la sienne, le Costa Rica avait toujours tenté de

privilégier avec les Etats voisins des solutions dipl omatiques et s’inscrivant dans le cadre du droit

international. Effectivement, en droit internati onal coutumier, ainsi qu’il ressort des articles74

et83 de la convention [sur le dr oit de la mer], une délimitation ma ritime doit de préférence être

effectuée par voie d’accord. L’agent du Costa Rica a confirmé que c’était bien ainsi que le

23
Costa Rica était parvenu à signer des accords avec la Colombie, le Panama et l’Equateur . Pour sa

part, M.Lathrop a déclaré que les prétentions costa-riciennes sur des espaces maritimes étaient

conformes au droit international, et que ce qu’il a qualifié de principe directeur en matière de

délimitation internationale était censé produire une solution ou un résultat équitable 2.

25 37. A la lumière de ces déclarations, il est surprenant de lire, dans la requête du Costa Rica,

que cette hypothèse sur laquelle repos e le traité de 1977 — l’octroi d’un plein effet aux îles de la

Colombie — «est aujourd’hui en cause» au stade du fond, et que le Costa Rica ne prendra donc pas

25
position sur la validité de cette hypothèse . Force est de constater que le Costa Rica a déjà pris

position sur la question conformément à son appréciation du droit international et que cette position

consiste à dire que les îles de la Colombie doivent se voir reconnaître «un plein effet». En

d’autres termes, selon le point de vue bien pesé du Costa Rica, le traité de frontières qu’il a signé

avec la Colombie en 1997 était évidemment confor me au droit international et produit un résultat

équitable.

38. Si les prétentions extrêmes du Nicara gua sur les îles de la Colombie recouvrent

effectivement un aspect qui sera examiné en rapport avec le fond —et qui l’est déjà

actuellement—, cela ne remet nullement en questio n les principes qui ont présidé au tracé de la

frontière entre la Colombie et le Costa Rica. Selon les dispositions du traité de 1977, une

22Ibid., p. 22, par. 7 (Brenes).
23
Ibid., p. 16, par. 5 (Ugalde Alvarez).
24
Ibid., p. 37, par. 19-20 (Lathrop).
25Requête du Costa Rica, par. 13. - 18 -

délimitation équitable entre les titres respectifs su r les îles colombiennes et la côte du CostaRica

devrait être fondée sur l’application de méthod es d’équidistance accordant un plein effet aux îles

⎯principe qui a été respecté dans la pratique au ssi bien par le Costa Rica que par la Colombie

pendant plus de trois décennies. Il est aussi valable aujourd’hui qu’il l’était en 1977.

39. Comme je l’ai démontré, ce principe a également constitué le fondement du traité de

frontières entre la Colombie et le Panama, que le Costa Rica a accepté en faisant débuter le tracé de

sa délimitation avec la Colombie à l’extrémité du segment sud-ouest de la frontière entre la

Colombie et le Panama et en faisant s’achever le tracé de sa délimitation avec celui-ci au même

point. Les lignes frontières convenues dans le traité entre la Colombie et le Costa Rica et dans le

traité entre la Colombie et le Panama correspondent parfaitement à la situation ainsi qu’à la taille et

à l’importance de l’archipel de San Andrés et correspondent parfaitement à la relation

géographique avec les côtes voisines du Costa Rica et du Panama dans cette partie de la mer des

Caraïbes.

*

26 40. La requête du Costa Rica contient encore une autre thèse concernant le traité de 1977,

qui a d’ailleurs été reprise par le conseil lundi 26et qu’il convient de rectifier: il s’agit de

l’affirmation costa-ricienne selon laquelle, ayant cru comprendre à l’époque que la Colombie avait

défini d’un commun accord avec le Nicaragua une frontière maritime longeant le 82 e méridien de

longitude ouest, le Costa Rica supposait que la Colombie était libre de négocier des limites

maritimes avec ses autres voisins uniquement dans des zones se trouvant à l’est du méridien situé

par 82 degrés. Le Costa Rica poursuit en faisant valoir dans sa requête qu’au regard de la décision

rendue par la Cour au stade des exceptions prélimin aires de la présente espèce, cette hypothèse —

selon laquelle la Colombie n’était libre de déli miter avec ses voisins que des zones situées à l’est

du méridien situé par 82 degrés — se révèle inexacte 27.

26
CR 2010/12, p. 35, par. 13 (Lathrop)
27Requête du Costa Rica, par. 13. - 19 -

41. L’hypothèse avancée par le Costa Rica sur le statut du méridien situé par 82degrés est

compréhensible si l’on rappelle qu’en 1977, lors qu’il a signé le traité avec la Colombie, le

e
Costa Rica avait bel et bien connaissance de la disposition relative à ce 82 méridien, défini comme

étant la limite de l’archipel de San Andrés dans le traité de 1928/1930 entre la Colombie et le

Nicaragua, et qu’à n’en pas douter le Costa Rica av ait également connaissance de l’exercice, par la

Colombie, de sa souveraineté et de sa juridiction sur l’archipel et à l’intérieur des eaux qui en

dépendent. En outre, à partir de 1977, le Nicar agua n’avait pas encore concocté son argument

selon lequel le traité de 1928/1930 était en quelque sorte «nul et non avenu», argument que la Cour

a sommairement rejeté dans son arrêt sur les exceptions préliminaires ( arrêt, C.I.J.Recueil 2007 ,

p. 859, par. 79-81).

42. Cela étant, la Colombie ne peut que sou ligner que rien, dans le traité de 1977 ou dans les

négociations qui l’ont précédé, ne permet au Cost a Rica d’insinuer que son accord de délimitation

frontalière avec la Colombie aurait en quelque sorte reposé sur l’hypothèse selon laquelle la

Colombie n’était libre de procéder à des délimitations avec ses autres voisins qu’à l’est du méridien

situé par 82 degrés. Il faut bien reconnaître que le méridien situé par 82 degrés n’est pas mentionné

dans le traité de 1977 entre la Colombie et le Costa Rica et qu’il n’a pas influencé ou représenté de

quelque manière que ce soit la ligne frontière convenue à cette occasion. Bien au contraire, comme

vous pouvez le constater sur la carte, le segment occidental de la ligne de délimitation convenue

entre la Colombie et le Costa Rica suit le méridi en situé par 82° 14' 00" de longitude ouest, ce qui

le situe nécessairement à l’ouest du méridien. Il est dès lors évident que la Colombie et le

CostaRica se sentaient parfaitement libres de dé limiter leurs espaces maritimes respectifs, aussi

27 bien à l’est qu’à l’ouest de ce méridien — bien qu’ils aient délibérément laissé indéfinie l’extrémité

de cette frontière dans l’attente d’une délimitation avec un Etat tiers. Il s’ensuit que le statut du

méridien situé par 82 degrés n’a en aucun effet sur le traité de 1977 entre la Colombie et le Costa

Rica. Ainsi que M.Brenes l’a précisé lundi, la ligne fondée sur le traité de 1977 repose sur

l’application de la méthode de l’équidistance, av ec quelques ajustements mineurs. Il n’y a en fait

aucun territoire nicaraguayen plus proche de cette ligne que les te rritoires de la Colombie et du

Costa Rica, qui sont les parties au traité de 1977. - 20 -

43. Comme l’expliquera sous peu M. Crawford, il n’y a aucune incompatibilité entre la ligne

fondée sur le traité de 1977 et les prétentions de la Colombie dans l’instance principale. Dans les

deux cas, les extrémités des lignes de délimitatio n des zones concernées restent indéfinies de

manière à ne pas porter atteinte aux droits d’Etat s tiers. La Colombie a donc pleinement pris en

compte les intérêts juridiques des Etats tiers de la région.

iii) Le traité de 1980 entre le Costa Rica et le Panama

44. Le troisième et dernier accord de délimit ation dans cette zone que j’ai évoqué et sur

lequel je souhaiterais mainte nant revenir est le traité conclu pa r le CostaRica et le Panama le

2février1980. Bien que M.Brenes ait indiqué, lundi, que cet accord avait été signé en

février 1982 28 —lapsus vraisemblablement dû au fait que l’accord est entré en vigueur

29
en 1982 —, il a en réalité bien été signé en1980 . Tant la requête du CostaRica que les

observations écrites du Nicaragua y font référence.

45. Permettez-moi de projeter à l’écran la frontière convenue aux termes de ce traité, laquelle

vous a déjà été présentée. Comme vous pouvez le voir, il s’agit d’une ligne droite qui part du point

terminal de la frontière terrestre en direction du nord-est. De même que les traités conclus entre la

Colombie et le Panama, d’une part, et la Colombie et le Costa-Rica, d’autre part, le traité conclu

entre le Costa-Rica et le Panama est fondé sur le principe de l’équidistance, méthode appliquée, en

l’occurrence, entre des Etats ay ant des côtes adjacentes. L’articlepremier de l’accord de1980

stipule que la frontière est une «ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points les

plus proches des lignes de base d’ où la largeur de la mer territoriale de chaque Etat est mesurée

conformément au droit international public».

46. Cette ligne se poursuit jusqu’au point où e lle atteint le parallèle situé par 10°49'de

latitude nord, c’est-à-dire — comme cela a été indi qué ce matin — jusqu’au tripoint où commence

la frontière entre la Colombie et le Costa Rica, et où se termine la frontière entre la Colombie et le

30
28 Panama. Bien que M. Brenes l’ait présenté, lundi, comme un «tripoint hypothétique» , il n’a, en

réalité, rien d’hypothétique. Le paragraphe 1 de l’articlepremier du traité de1980 indique

28CR 2010/12, p. 22, par. 10 (Brenes).
29
CMC, annexe 6 et vol. I, par. 8.42.
30CR 2010/12, p. 22, par. 10 (Brenes). - 21 -

expressément que les frontières du CostaRica, de la Colombie et du Panama se rejoignent en ce

point.

47. Il est important de noter que, en se référa nt, dans leur traité, aux frontières du Costa Rica

et de la Colombie se rejoignant en ce tripoint, le Costa Rica et le Panama ont reconnu l’existence

d’une frontière entre la Colombie et le Costa-Rica. Bien que la Colombie ne soit évidemment pas

partie au traité de 1980, qui lie le Costa Rica et le Panama, elle n’a ja mais eu connaissance d’une

quelconque objection que le Nicaragua aurait élevée c ontre celui-ci, et ni le CostaRica, dans sa

requête, ni le Nicaragua, dans ses écritures — y compris ses observations écrites—, n’évoquent

une objection de cette nature.

48. En résumé, en convenant de ce tripoint, la Colombie a accepté la frontière entre le

Costa Rica et le Panama, le Costa Rica a accepté la frontière entre la Colombie et le Panama, et le

Panama a accepté la frontière entre la Colombie et le Costa Rica. Autrement dit, le Costa Rica, la

Colombie et le Panama ont adopté, en matière de délimitation dans cette partie de la mer des

Caraïbes, des approches tout à fait concordantes, y compris en ce qui concerne l’application du

principe de l’équidistance, méthode qui a été rete nue —et devait l’être— pour le tracé des trois

frontières de la région conformément au droit international.

*

Conclusions

49. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, il ressort clairement de ce tour

d’horizon des caractéristiques géographiques de la z one et de la pratique des Etats concernés en

matière de délimitation que ce sont le CostaRica , le Panama et la Colombie qui ont tous des

intérêts d’ordre juridique dans les zones mariti mes couvertes par leurs accords de délimitation.

Comme je l’ai indiqué, le territoire terrestre du Nicaragua est plus éloigné de ces zones que les

territoires de ces trois autres Etats.

50. Les trois Etats en question sont partis du postulat qu’ils devaient délimiter entre eux,

conformément aux principes et règles du droit in ternational, les zones maritimes situées entre

l’archipel de San Andrés et les côtes costa-riciennes et panaméennes. Pour ces trois traités, fruits - 22 -

29 de longues négociations, c’est la méthode de l’éq uidistance qui a été retenue. Chacun d’entre eux

existe et a dans la pratique été respecté depuis plus de trente ans. Ensemble, ils ont contribué à la

stabilité de la région, comme en atteste l’absence de tout incident.

51. Lundi, l’éminent agent du Costa Rica s’est inquiété de ce qu’une décision de la Cour en

la présente affaire puisse modifier, voir mettr e un terme à ce qu’il a a ppelé la «relation de

31
voisinage» que la Colombie et le Costa Ri ca entretiennent en vertu du traité de 1977 . Cela aurait

pour effet de porter atteinte à l’une des pierres angulaires du droit de la mer, à savoir que les

délimitations maritimes doivent être effectuées par accord entre les parties, principe dont l’agent du

CostaRica a pour sa part indiqué qu’il était égalem ent la pierre angulaire de la politique de son

pays.

52. Le Costa Rica a conclu des accords de délim itation avec le Panama et la Colombie. Le

respect de ces accords ainsi que du traité conclu en 1976 par le Panama et la Colombie a garanti la

stabilité et la sécurité des relations maritimes da ns cette portion de la mer des Caraïbes pendant

plus de trenteans. Le seul élément d’incertit ude pour le CostaRica est la délimitation qu’il doit

effectuer avec le Nicaragua. Toutefois, même dans ce cas précis, le Costa Rica est déterminé à ce

que sa frontière avec le Nicaragua rejoigne sa fron tière avec la Colombie telle que définie en 1977,

32
au sud-ouest de l’archipel de SanAndrés . La délimitation entre le CostaRica et le Nicaragua

n’est évidemment pas l’objet de la présente instan ce. Cela étant, ce qui serait facteur d’insécurité

dans la région, c’est une décision de la Cour en la présente affaire qui aurait des effets négatifs sur

le traité de 1977 — ou, en réalité, sur l’un quelconque des trois traités susmentionnés —, traité dont

le Costa Rica a lui-même admis qu’il avait «facilité la coopération entre nos deux pays et contribué

à leur bonne entente, à la préservation de la paix et de la confiance, [et qu’il était] un exemple pour

33
la région et le continent» .

*

31CR 2010/12, p. 19, par. 18 (Ulgade Alvarez).
32
Ibid., p. 24, par. 18 (Brenes).
33DC, vol. II, annexe 2. - 23 -

30 53. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, la Colombie estime, que les

facteurs que j’ai rappelés doivent être pris en cons idération aux fins de déterminer si le Costa Rica

a ou non un intérêt d’ordre juridique susceptible d’être affecté par la décision à intervenir en la

présente affaire, où cet intérêt se situe véritablemen t et, partant, si la Cour doit ou non admettre sa

requête à fin d’intervention.

54. Il s’agit là de questions que M.Craw ford abordera et examinera de manière plus

détaillée. Aussi vous saurais-je gré, Monsieur le pr ésident, de bien vouloir l’appeler à la barre. Je

vous remercie, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, pour votre attention.

LE PRESIDENT: Je vous remercie pour votre exposé, M.RodmanBundy, et appelle

maintenant M. Crawford à la barre.

M. CRAWFORD :

Q UESTIONS JURIDIQUES

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un honneur que de paraître

devant vous au nom de la Colombie.

Introduction

1. La question essentielle au regard de l’article62 du Statut est celle de savoir si le

CostaRica a un intérêt d’ordre juridique auquel une décision en l’espèce pourrait porter atteinte.

Le Costa Rica affirme avoir un tel intérêt. Dans ses observations écrites, le Nicaragua le conteste ;

telle est tout du moins l’interprétation que vous av ez donnée. Aujourd’hui, il le nie purement et

simplement. Bien évidemment, il appartient à la Cour, en vertu de l’article 62, de se prononcer sur

la requête du Costa Rica.

2. Quant à l’objet précis de l’intervention, le Costa Rica indique dans sa requête initiale que

celui-ci est double :

« Premièrement, de manière générale, protéger les droits et intérêts d’ordre

juridique du CostaRica dans la mer des Caraïbes par tous les moyens juridiques
disponibles… - 24 -

Deuxièmement, porter à la connaissance de la Cour la nature des droits et
intérêts d’ordre juridique du CostaRica auxque ls la décision de la Cour relative à la
34
délimitation maritime en l’espèce pourrait porter atteinte.»

31 3. En principe, ces objets sont parfaitement légitimes. Il me suffit de renvoyer à

l’observation faite par la Chambre en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et

maritime qui a opposé El Salvador et le Honduras ; elle y indiquait :

«Dans la mesure où l’intervention du Nicaragua a pour objet «d’informer la

Cour de la nature des droits du Nicaragua qui sont en cause dans le litige», on ne peut
pas dire que cet objet n’est pas approprié: il semble d’ailleurs conforme au rôle de
l’intervention.» (C.I.J. Recueil 1990, p. 130, par. 90 (cité au par. 23 de la requête du

Costa Rica).)

4. Sur le plan de l’application de ces critères, vous avez entendu lundi le conseil du

Costa Rica. Il a développé l’argument et précisé en détail la zone minimum supposée sur laquelle

ou sur la base de laquelle le Costa Rica prétend a voir un intérêt d’ordre juridique en l’espèce. Ce

faisant, il s’est intéressé presque exclusivement à la demande du Nicaragua et nous ne l’en blâmons

pas. Il existe en effet une importante différe nce entre la ligne revendiquée par la Colombie,

laquelle, comme je vais le montrer, tient compte des intérêts du Costa Rica, conformément au traité

de 1977, et celle du Nicaragua. Ce dernier n’a signé aucun traité pertinent avec le Costa Rica et ne

fait aucun cas, dans sa revendication, des prétentions ou des intérêts du Costa Rica.

5. La Colombie partage la conclusion à la quelle est parvenu le conseil du CostaRica, à

savoir que ce dernier a des droits et des intérêts d’ordre juridique à protéger dans la mer des

Caraïbes occidentale, des droits et des intérêts auxquels peut ⎯ j’insiste, «peut» ⎯ porter atteinte

votre décision en l’instance principale. La qu estion est de savoir où se trouvent ces intérêts, une

question sur laquelle je reviendrai.

6. En revanche, la Colombie ne partage p as tous les arguments avancés lundi à l’appui de

cette conclusion. Il peut être utile pour la Cour que j’explique clairement certains de ces points

d’accord et de désaccord et que j’expose les ra isons pour lesquelles ils nous conduisent néanmoins

à la même conclusion que le Costa Rica s’agissant de son droit à intervenir.

34
Requête du Costa Rica, par. 23. - 25 -

Les points d’accord

7. Il existe quatre points sur lesquels nous nous entendons. La carte que vous voyez à

l’écran, document du CostaRica, figure sous l’ong let15 de votre dossier de plaidoiries. Le

premier point sur lequel nous sommes d’accord porte sur le fait que le traité conclu en 1977 entre la

Colombie et le Costa Rica existe. M. Lathrop l’a bien indiqué lorsqu’il a déclaré que :

«le CostaRica a[vait] négocié deux frontières maritimes dans la mer des Caraïbes:
une avec le Panama et une autre avec la Colombie. Ces frontières limitent, à l’égard

de ces parties au traité, la zone pour laquelle le Costa Rica fait valoir un intérêt d’ordre
juridique. Le Costa Rica n’est toujours p as convenu d’une frontière maritime avec le
Nicaragua et aucune juridiction internationale n’a délimité cette frontière.» 35

36
32 Il a dit à peu près la même chose au paragraphe 11 de son exposé .

8. Deuxièmement, la Colombie convient que les traités bilatéraux de délimitation, dans

lesquels deux Etats parviennent à régler par la négociation des revendications qui se chevauchent,

ne sont pas opposables à des Etats tiers et ne sa uraient leur servir de fondement. Selon les termes

employés par M. Brenes :

«les accords que le CostaRica a conclus avec ses autres voisins sont le résultat de

négociations spécifiques menées entre les parties en question et sont, avant tout,
res inter alios acta pour le Nicaragua et pour tout autre Etat non partie» 3.

9. Il est nécessaire de souligner particuliè rement ce point. Vous avez entendu ce matin le

conseil du Nicaragua tenter d’échapper au principe res inter alios acta en s’appuyant sur la bonne

foi, le comportement ou tout autre argument. Le Nicaragua ne saurait, simultanément, refuser à la

Colombie un titre au-delà des douze milles marins même à partir des principa les îles de l’archipel

et s’appuyer sur des traités conclus par la Colomb ie avec ses voisins au s ud, qui étaient fondés sur

la reconnaissance, par le Costa Rica et le Panama, de l’archipel en tant que territoire colombien, des

droits maritimes de la Colombie et du plein effe t de celle-ci sur la délimitation. Lorsqu’elle a

conclu ces traités, la Colombie n’agissait pas pour le compte du Nicaragua. Ce dernier ne peut tirer

ce qu’il souhaite de ces traités et rejeter le fondeme nt même sur lesquels ils ont été conclus. Soit il

les considère comme ils sont, ce qu’il ne fait manife stement pas, soit il reste totalement étranger à

leur égard.

35CR 2010/12, p. 34, par. 9 (Lathrop).
36
CR 2010/12, p. 34, par. 11 (Lathrop).
37Ibid., p. 25, par. 20 (Brenes). - 26 -

10. Le troisième point sur lequel nous sommes d’accord concerne les revendications relatives

au plateau continental étendu dans la mer des Ca raïbes occidentale. Celle-ci ne comporte aucun

espace maritime qui s’éte nde sur plus de deuxcentmilles mari ns par rapport à la côte la plus

proche. Toute la région est une zone économique exclusive et aucune revendication portant sur un

plateau continental étendu ne peut donc y être accueillie. Encore une fois, M. Brenes a fait valoir

ce point lorsqu’il a indiqué que les informations préliminaires du Nicaragua sur ses droits à un

plateau continental étendu, déposées auprès du Secr étaire général, n’ont aucune incidence en

38
l’espèce. Il les qualifie de «dépourvue[s] de [toute] pertinence» .

33 11. Le quatrième point d’entente concerne deux des caractéristiques que M.Lathrop

39
distingue dans une frontière maritime définitive entre la Colombie et le Nicaragua . Il avance que

la frontière définitive sur laquelle la Cour doi t se prononcer présentera probablement les deux

caractéristiques suivantes :

⎯ Premièrement, elle suivra un axe nord-sud dont les extrémités septentrionale et méridionale

auront l’une et l’autre des incidences sur les revendications d’Etats tiers ⎯ celles du

Costa Rica, au sud.

⎯ Deuxièmement, elle passera, sur toute sa longueur , par des zones de 200 milles marins, qui se

chevauchent et relèvent de plusieurs Etats ⎯jusqu’à trois ou quatre dans certains secteurs.

Pourtant ⎯et c’est là une interpolation de ma part ⎯, c’est «dans ce secteur sud-ouest

40
particulièrement riche en Etats riverains de la mer des Caraïbes» que le Nicaragua prétend

s’approprier, que ce soit comme zone économique exclusive ou plateau continental étendu

fictif, plus de la moitié de la zone maritime totale. Or ⎯ nouvelle interpolation ⎯, plus

nombreuses sont les parties prenantes dans le secteur, plus l’équidistance apparaît comme étant

la méthode présumée de délimitation.

Les points de désaccord

12. J’en viens maintenant aux points de désacco rd, que je peux illustrer en me référant à la

figure 10 du dossier de plaidoiries du Costa Rica de lundi. J’aborderai trois points.

38Ibid., p. 26, par. 23 (Brenes).
39
CR 2010/12, p. 42-43, par. 39 (Lathrop)
40Ibid. - 27 -

13. Le premier point de désaccord porte sur le rôle des îles en matière de délimitation

maritime. Lundi, le conseil du Co staRica a, à plusieurs reprises ⎯par exemple en se référant à

l’effet des îles côtières du Honduras sur la ligne d’ équidistance continentale ou à l’île des serpents

dans l’affaire Roumanie/Ukraine ⎯, indiqué qu’il n’était souvent pas tenu compte des îles ou qu’il

ne leur était conféré qu’un effet partiel dans le cadre d’une délim itation. Le conseil a cependant

omis de dire deux choses. La première, c’est que cela ne vaut que pour les îles côtières telles que

l’île des serpents, qui est située à 23 milles du littoraet est visible depuis la côte par temps clair.

Or, ainsi que l’agent l’a précisé, les îles et cayes de l’archipel de San Andrés sont des formations de

haute mer, et non des formations côtières: ell es sont situées entre106 et 266milles du littoral du

Nicaragua—l’archipel est à chev al sur la limite des 200 milles des côtes du Nicaragua; les îles

qui le constituent peuvent donc, toutes proportions gardées, être considérées comme étant au-delà

des mers, fort lointaines. Pareilles îles de haute mer, y compris certaines formations encore plus

petites que les cayes en question, ont naturellement un effet important en matière de délimitation

maritime. Si tel est le cas, c’est en raison de le ur distribution spatiale et parce que l’ensemble de
34
leurs côtes se projettent dans toutes les directi ons, projections qui entrent en ligne de compte

vis-à-vis des pays voisins.

14. Un autre point que le conseil du Cost aRica a omis de relever est la fonction de

l’équidistance en tant que méthode présumée de déli mitation entre des côtes se faisant face dans la

région. Cette méthode a en effet été retenue dans l’accord de1977 lui-même, et ce, non comme

une simple hypothèse mais comme une partie inté grante, essentielle, de l’arrangement entre les

Parties. Ainsi que nous l’avons exposé dans nos écritures, elle a également joué un rôle

prépondérant dans les autres délimitations de la région.

15. Le deuxième point sur lequel nous sommes en désaccord avec l’exposé fait lundi par le

CostaRica porte sur ce que M.Lathrop a qualif ié de «zone minimum d’intérêt juridique»

hypothétique, et qui est représentée sur sa figure 10. Le Costa Rica a tenté de présenter cette zone

comme reflétant les prétentions extrêmes des deux Pa rties. En réalité, elle reflète les prétentions

extrêmes du Nicaragua. Sur la figure10, vous ve rrez la ligne préconisée par le Nicaragua, telle

qu’elle a été présentée dans la requête, puis, de nouv eau, dans le mémoire. Il s’agit d’une frontière

maritime unique tracée à partir des côtes des Parties. Mais il s’agit aussi d’une frontière maritime - 28 -

singulière puisque, ainsi que nous l’avons précisé dans not re contre-mémoire, elle est totalement

indéfendable. Cette ligne est en effet situ ée à quelque 230-260milles marins du littoral du

Nicaragua, soit bien au-delà de toute zone que celui-ci pourrait revendiquer au titre de sa zone

économique exclusive, même si l’archipel n’existait pas. Co mme la Cour l’a entendu tout à

l’heure, M.Reichler a, en quelques mots, renoncé à cette prétention. La ligne en question, après

avoir été défendue pendant huit longues années, es t donc aujourd’hui abandonnée. Mais alors,

qu’est-ce qui remplace cette prétention indéfendable ? Une prétention encore plus indéfendable, si

tant est que ce soit possible ⎯située à 100milles encore plus à l’est ⎯, a été présentée dans la

réplique ; elle correspond à un plateau continental étendu qui n’existe pas ⎯ qui ne saurait exister à

l’intérieur de la zone économique exclusive d’un au tre Etat. J’ai relevé que le Nicaragua, dans son

dossier de plaidoiries d’aujourd’hui, qualifie cette ligne de proposition ; or, Monsieur, avec tout le

respect que je vous dois, on ne fait pas de propositi ons à la Cour, on lui présente des arguments et

on formule des prétentions. Le CostaRica, quant à lui, a expressément reconnu que cette

prétention était juridiquement impossible à sout enir, ou, pour reprendre les termes qu’il a

41
employés, «dépourvue de pertinence» .

16. A ce stade, il n’y a donc pas de désaccord entre la Colombie et le Costa Rica. Le point

de désaccord porte sur l’endroit où le Costa Ri ca a représenté à l’aide d’une flèche l’extrémité

méridionale de la ligne préconisée par la Colombie ; sur la figure, cette ligne se prolonge nettement

au sud de la ligne d’équidistance latérale théorique entre le Costa Rica et le Nicaragua.

35 17. Dans sa requête, le CostaRica indique que, bien que la Colombie assure le contraire,

l’extrémité méridionale de la ligne médiane de la Colombie empiète sur des zones auxquelles le

42
Costa Rica a droit dans le cadre d’une éventuelle délimitation avec le Nicaragua . Il a également

indiqué dans sa requête que les assurances de la Colombie selon lesquelles celle-ci prendrait en

compte les intérêts d’Etats tiers sonnaient creux. La Colombie se permet de s’inscrire en faux, et je

note que le Costa Rica n’a pas renouvelé cette alléga tion lundi. La Colombie reconnaît tout à fait

que le Costa Rica a des intérêts juridiques au sud, et elle les a pris en compte du mieux qu’elle

pouvait.

41
CR 2010/12, p. 26, par. 23 (Brenes).
42
Requête du Costa Rica, par. 20. - 29 -

18. La manière dont le CostaRica considère que des intérêts sont pour lui en cause est

43
décrite dans un seul paragraphe de la requête . A cet égard, deux arguments sont formulés.

Premièrement, le Costa Rica relève que la li gne préconisée par la Colombie, que vous voyez à

l’écran représentée par la flèche rouge orientée vers le sud, est située un peu à l’ouest de la ligne

convenue entre la Colombie et le CostaRica, c’est -à-dire de la flèche bleue orientée vers le nord

qui apparaît à l’écran. Deuxièmement, le Costa Rica affirme que la flèche rouge se prolonge trop

loin vers le sud et empiète sur des zones qu’il revendique vis-à-vis du Nicaragua.

19. Ces deux problèmes, si tant est que ce soient des problèmes, peuvent être résolus

aisément. En effet, la ligne rouge représente l’or ientation, et non la longueur , de la frontière ainsi

délimitée. Le point de rencontre, quel qu’il soit, en tre cette ligne rouge orientée vers le sud et la

frontière latérale entre le CostaRica et le Nicaragua ⎯frontière qui n’a pas encore été

négociée ⎯, constitue la limite méridionale des prétenti ons de la Colombie à l’égard du Nicaragua

en la présente espèce. Certes, un léger écart existe entre la ligne frontière séparant le Costa Rica de

la Colombie, orientée vers le nord, et la ligne préconisée par la Colombie vis-à-vis du Nicaragua.

Mais il n’y a rien d’étonnant à cela, dès lors qu’ il s’agit du point de rencontre entre une frontière

bilatérale et les espaces maritimes d’un Etat tiers. Dans un tel cas de figure, tout écart est virtuel et

non réel. En adoptant la ligne bleue orientée ve rs le nord comme leur frontière maritime, les

Parties au traité de1977 n’ont pas non plus indi qué jusqu’où elle se prolongeait. Cette question

dépend nécessairement de l’emplacement de la frontière latérale entre le Nicaragua et le

Costa Rica, frontière sur laquelle il appartient à ces deux Etats côtiers, et non à la Colombie, de se

prononcer. Le CostaRica aura la juridiction maritime sur toutes les zones situées au sud de la

frontière avec le Nicaragua et au sud-ouest de la ligne du traité de 1977 ; telle est la seule assurance

qui lui ait été donnée en sa qualité de partie au traité de 1977.

20. Le troisième point de désaccord a trait à l’«explication» a posteriori donnée par le

CostaRica de ce que l’on pourrait appeler les hypothèses jumelles qui sous-tendent le traité

43
Ibid. - 30 -

36 de 1977. M. Lathrop vous en a parlé à plusieurs reprises lundi. L’une de ces hypothèses, comme

e
vous vous en souviendrez, porte sur le 82 méridien de longitude ouest, mais en réalité, rien

n’indique que celui-ci ait été pris en compte par l es Parties, et la portion septentrionale de la ligne

frontière déterminée dans l’accord entre la Colo mbie et le CostaRica n’est pas située sur ce

méridien. La seconde hypothèse était que «les forma tions insulaires de la Colombie devaient se

44
voir reconnaître un plein effe t dans une délimitation» . Cependant, il ne s’agissait pas là d’une

donnée, d’un fait objectif ⎯c’est-à-dire d’une hypothèse de départ ⎯, mais d’une question de

titre. La délimitation d’une frontière tout comme l’importance qu’il convient d’accorder aux côtes

pertinentes peuvent faire l’objet de discussions entre les Parties. C’est ce qui s’est produit entre la

Colombie et le Costa Rica, ce dernier ayant e xpressément accepté que les îles de San Andrés ⎯ en

fait, c’est Albuquerque, et non SanAndrés e lle-même, qui a servi de point de base ⎯, îles

reconnues comme étant colombiennes, se voient accorder plein effet. Ce n’était donc pas une

hypothèse, mais un accord. Le Panama en a fait exactement de même.

21. Cela m’amène à mon dernier point, qui c oncerne la «zone minimum d’intérêt juridique»

hypothétique représentée sur la figure 10. Rien de tel n’avait été présenté auparavant. La plupart

des zones en bleu foncé situées à l’est du pointA ⎯qui n’est autre que le tripoint des deux

traités ⎯, la plupart de ces zones sont plus proch es —souvent même bien plus proches— de

San Andrés et des autres formati ons colombiennes qu’elles ne le s ont du Costa Rica. Certes, cela

n’empêche pas celui-ci de les revendiquer vis-à-vis du Nicaragua, qui en est encore plus éloigné.

Pareille prétention est cependant nettement en c ontradiction avec la position de longue date du

Costa Rica relative aux droits maritimes générés par les îles colombiennes. C’est un peu comme si

le Nicaragua, en s’aventurant encore davantage ve rs l’est à la recherche d’une ligne susceptible de

résister plus de cinq minutes à l’examen, avait entraîné le CostaRica à sa suite, donnant ainsi

naissance à l’étrange figure en forme de sablier qui a été présentée à la Cour pour la première fois

lundi. Malgré tout le respect que je porte à l’agent du Costa Rica, il n’est pas exact de dire, comme

il l’a fait lundi, que les prétentions des Parties confèrent au Costa Rica le droit d’intervenir 45. Si un

tel droit s’est fait jour, c’est en raison des prétentions extrêmes d’une des Parties, à savoir le

44
CR 2010/12, p. 35, par. 13 (Lathrop).
45CR 2010/12, p. 17, par. 10 (Ugalde Alvarez). - 31 -

Nicaragua, prétentions que le CostaRica lui-même , malgré sa neutralité en tant qu’Etat tiers, ne

46
peut que qualifier d’«absolument dépourvue[s] de pertinence» .

22. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Nicaragua a, dans ses

observations écrites sur la requête déposée par le Costa Rica en la présente espèce, indiqué que le

fait que celui-ci admettait qu’il n’avait aucune prétention sur des zones situées aussi loin à l’est que

47
la ligne que le Nicaragua a présentée dans sa ré plique était suffisant pour rejeter cette requête —
37
et l’agent l’a répété ce matin. Cela n’est pas faux en principe ; ce qui est en jeu, ce n’est pas une

ligne mais une zone dé limitée par une ligne ⎯ sachant que, aux fins de déterminer l’emplacement

de cette ligne, la Cour doit prendr e en compte la zone de chevauchement des revendications. Mais

cela aurait également pour conséquence — conséque nce aussi subtile qu’importante — d’accorder

une prime à la formulation de pr étentions outrancières. De toute évidence, la ligne qui a été

présentée dans la réplique constitue une prétention ou trancière, et le Nicaragua ne devrait pas en

tirer le bénéfice qu’une intervention soit rejetée — autrement dit, bénéficier du fait d’avoir formulé

une prétention qui ne résisterait pas plus de cinq minutes à l’examen de la Cour, et dont il précise

aujourd’hui qu’il ne s’agit que d’une simple proposition. Pour en terminer avec cette partie de mon

exposé, j’en reviens donc à la véritable zone en litige, c’est-à-dire celle qui est située entre les côtes

pertinentes, à savoir les côtes de l’archipel colo mbien, d’une part, et du Nicaragua, d’autre part,

côtes qui se font face. Dès lors qu’il s’agit là de la véritable zone de délimitation, la question est de

savoir quel est l’«intérêt d’ordre juridique» du Costa Rica ?

L’intérêt d’ordre juridique du Costa Rica

23. Dans sa requête, le Costa Rica affirme que s on principal intérêt d’ordre juridique tient au

fait que «[d]ans les frontières maritimes qu’elles revendiquent l’une et l’autre, les Parties

englobent, dans une plus ou moins grande mesu re, des espaces maritimes qui reviennent au

Costa Rica 48». Cet argument vise les deux Parties. Mais comme nous l’avons vu ⎯ et ce point est

fondamental pour comprendre la qu estion dont est saisie la Cour ⎯, les frontières maritimes sont

établies sur une base relative, relationnelle, par cha que Etat côtier par rapport à chaque autre Etat

46CR 2010/12, p. 26, par. 23 (Brenes).
47
Observations écrites du Nicaragua, par. 33, citant la requête du Costa Rica, par. 18.
48Requête du Costa Rica, par. 11. - 32 -

côtier concerné. Les principes comme celui de la bonne foi ne permettent pas de transformer cette

base relationnelle. Il est donc nécessaire d’ex aminer séparément la position du CostaRica par

rapport aux revendications du Nicaragua et à ce lles de la Colombie. C’est pourquoi il est

absolument impossible pour le Nicaragua de se fonder sur le traité de 1977 ou de plaider, comme il

l’a fait aujourd’hui, comme une tierce partie en faveur de la validité de la ligne établie par ce traité.

Quelle est donc la position du Costa Rica à l’égard du Nicaragua ?

a) La position à l’égard du Nicaragua

24. Je commencerai par la position du CostaRica à l’égard du Nicaragua, qui est exposée

aux paragraphes 16 à 19 de la requête du Costa Rica. Celui-ci affirme, et il l’a répété lundi, que les

espaces présentés par le Nicaragua comme étant ceux qu’il revendique, et qui se situent entre les

38 deux Etats côtiers, sont plus proches du Costa Rica que du Nicaragua, et peuvent donc prima facie

être revendiqués par celui-là. Il convient de s’arrêter un instant sur ce point, pour replacer la

position du Nicaragua dans son contexte.

25. Dans ses observations écrites, le Nicaragua n’ évoque pas la nature exagérée de l’aire de

délimitation qu’il propose. Il se contente de citer la déclaration suivante, faite par le CostaRica

dans sa requête: «le CostaRica comprend bien que ces figures…ne sont pas censées montrer la

zone maritime revendiquée par le Nicaragua mais indiquer l’aire dans laquelle la délimitation doit

49
être effectuée selon celui-ci ».

26. En réalité, il ressort des écritures que le Nicaragua revendique bien tous les espaces

susmentionnés. Dans son mémoire, le Nicaragua revendique une frontière tracée sur la base d’une

«division par parts égales» de l’aire à délimiter 5. Comment appliquer une «division par parts

égales» à moins qu’il n’existe une zone précise à laquelle ce principe s’applique ? Cette zone était

l’aire de délimitation proposée par le Nicaragua , comme elle apparaît sur la figure1 reproduite

dans son mémoire. Le Nicaragua n’invoque plus ce principe, mais il n’en reste pas moins que la

délimitation maritime ne se réduit pas au tracé d’une ligne sur une carte, il s’agit aussi de

déterminer les zones appartenant à chaque Etat en conséquence de cette ligne. Un Etat ne peut

49
Observations écrites du Nicaraguasur la demande à fin d’intervention déposée par la République du
Costa Rica, par. 30 ; requête du Costa Rica, par. 16.
50Mémoire du Nicaragua (MN), par. 3.50. - 33 -

éviter une intervention au titre de l’article62 en déclarant simplement qu’il n’y aura aucune

incidence sur l’Etat tiers, si tant est que le ra isonnement qui conduit à la décision de la Cour puisse

avoir une incidence sur cet Etat tiers.

27. Le Nicaragua cite la pra tique conventionnelle du CostaRica , en particulier, les traités

que ce pays a conclus avec le Panama et la Co lombie, et qui montrent que le CostaRica ne

revendique pas les espaces revendiqués par le Nicaragua 5. Mon collègue, M. Bundy a déjà décrit

la position de la Colombie à l’égard de ces deux tr aités. Il convient de tenir compte des points

suivants :

1) Comme le CostaRica l’a confirmé lundi, ces tr aités ont réglé la question des revendications

maritimes des parties, mais seulement celles qu’elles avaient l’une par rapport à l’autre.

2) Dans les traités signés par le Costa Rica, les Parties ont confirmé l’existence d’un tripoint entre

le CostaRica, le Panama et la Colombie, qui est le pointA sur la carte projetée à l’écran. Le

39 Nicaragua nie l’existence de ce tripoint, convenu da ns les traités entre les trois Etats, et situé

plus près du territoire de chacun de ces Etats qu’il ne l’est du territoire du Nicaragua.

3) Les deux traités donnent plein effet aux cô tes pertinentes de l’ archipel comme étant

colombiennes.

4) Il s’agit de traités de longue date, qui sont appliqués dans la pratique.

28. Bien entendu, le Nicaragua n’est pas partie à ces traités. Il n’est pas lié par ceux-ci, et il

ne les a pas contestés. Mais il prétend à présent les invoquer pour ne pas reconnaître l’intérêt

juridique du CostaRica dans les zones allant au-delà des lignes établies par ces traités. On peut

supposer que le Nicaragua adopterait la même positi on contre le Panama. J’ai déjà montré que

cette position était intenable et contraire au principe fondamental qui préside à la conclusion et aux

effets juridiques des traités bilatéraux. Il s’ ensuit, logiquement, que le CostaRica a un intérêt

d’ordre juridique contre le Nicaragua à l’égard d’au moins certaines zones revendiquées par

celui-ci en l’espèce, et allant au-delà des lignes établies par les traités susmentionnés.

51
Observations écrites du Nicaragua, par. 14-18. - 34 -

b) La position à l’égard de la Colombie

29. J’en viens maintenant à la position du Costa Rica à l’égard de la Colombie. M. Reichler

a indiqué tout à l’heure que si l’on considéra it que ces lignes constituent une limite, alors le

CostaRica ne revendique aucun intérêt d’ordre ju ridique en la présente affaire. M.Bundy a

présenté la situation factuelle, indiquant en particulier que, dans la pratique, les Etats parties au

traité de1977 appliquent cet instrument. Il se mble ressortir de la requête du CostaRica que

celui-ci estime avoir simplement pour obligation, c onformément à l’article 18 de la convention de

52
Vienne, de ne pas priver le tr aité de 1977 de son objet et de son but avant sa ratification . Or, la

pratique qui prévaut depuis1977 va bien au-delà de cette obligation limitée. En effet, c’est au

traité en tant que tel qu’il est donné effet depuis plus de trenteans, sans que cela ne soulève ni

problème ni difficulté. En attestent les éléments de fait, la correspondance diplomatique entre les

Parties, les déclarations des plus hauts représ entants du CostaRica, ainsi que la reconnaissance

d’un tripoint dans le traité c onclu entre le CostaRica et le Panama, comme l’a rappelé tout à

l’heure mon collègue Rodman Bundy.

30. Le CostaRica et le Nicaragua n’ont, quant à eux, pas procédé à la délimitation de leur

frontière maritime. Lorsqu’elle a, en la présente affaire de délimitation, exposé sa position, la

Colombie n’avait connaissance d’aucune prétentio n maritime du CostaRica ou du Nicaragua au

40 large de leur frontière terrestre commune. Elle a toutefois pris soin, en formulant sa demande, de

ne pas porter atteinte aux droits et intérêts potentiels du Costa Rica vis-à-vis du Nicaragua.

31. Est projetée à l’écran la zone pertinente, telle que définie par la Colombie. Comme vous

pouvez le voir, elle ne s’étend pas, au sud, jusqu’à la frontière terrestre entre le CostaRica et le

Nicaragua. [C’est-à-dire la ligne représentée sur la carte; la ligne figurant sur la carte que nous

avons distribuée tout à l’heure n’allant pas aussi loin.] C’est à dessein que, dans sa proposition

fondée sur le principe de l’équidistance, la Colombie n’a pas précisé de point terminal au sud. Elle

a placé une flèche au bout de la ligne qu’elle préc onise, conformément à ce que la Cour a fait dans

d’autres affaires.

32. Cela ne signifie toutefois pas que le Nicaragua n’a aucun intérêt d’ordre juridique

vis-à-vis de la Colombie. Il a déjà été précisé que le traité de 1977 assura it aux deux Etats voisins

52
Voir art. 18 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités. - 35 -

des relations stables et pacifiques. La Colo mbie se permet donc respectueusement d’indiquer

qu’elle estime que le Costa Rica devrait, en vertu de l’article 62, être autorisé, en tant qu’Etat partie

au Statut de la Cour, à exprimer ses vues afin de garantir l’intérêt qu’il a au maintien de ce traité.

c) Conclusion relative à l’intérêt d’ordre juridique

33. Dans l’affaire Cameroun c.Nigéria , la Cour a énoncé un principe important en ce qui

concerne les questions de délimitation maritime qui lui sont soumises, à savoir que

«[s]a compétence…repose sur le consentement des parties. Aussi la Cour ne
peut-elle se prononcer sur les droits d’Etats tie rs qui ne sont pas parties à l’instance.
Dans la présente affaire, il existe des Etats non-parties à l’instance dont les droits

pourraient être affectés, à savoir la Guinée équatoriale et SaoTomé-et-Principe. Ces
droits ne pourraient être dé terminés par une décision de la Cour que si la Guinée
équatoriale et Sao Tomé-et-Principe devenaient parties à l’instance.» 53

Le Nicaragua a reconnu ce principe dans son mémoire.

34. Parmi les droits et intérêts d’ordre juri dique du CostaRica et du Panama figurent les

droits et obligations juridiques qu’ils ont accept és aux termes des accords de délimitation conclus

avec la Colombie. Aucun de ces deux Etats n’étant par tie à la présente instance, la Cour devrait, à

tout le moins, se garder de rendre un arrêt au principal susceptible d’affecter ces droits et

obligations.

35. Nous pouvons même aller plus loin, comme l’a expressément reconnu l’éminent agent du

Costa Rica lundi, et je le cite :

41 «Le critère de base de mon pays est qu’une décision de la Cour sur la propriété
et l’extension des espaces maritimes de la Colombie et du Nicaragua, pourrait avoir
pour résultat la modification ou l’élimination de la relation de voisinage existant entre

la Colombie et le Costa Rica dans la mer des Caraïbes, ce qui engendrerait, sans aucun
doute, un possible impact sur les intérêts juridiques que possède le CostaRica sur
ladite mer.» 54

36. Permettez-moi d’ajouter qu’il suffit qu’un in térêt d’ordre juridique puisse être en cause :

la question de savoir précisément la manière dont ce t intérêt risque d’être affecté, et quelles en

seraient les conséquences, n’a pas à être tranchée au stade de la recevabilité de la requête à fin

53
C.I.J. Recueil 2002, p. 421, par. 238.
54
CR 2010/12, p. 19, par. 18 (Ugalde Alvarez).
«My country’s basic criterion is that a ruling by the Court on the ownership and extension of the
maritime spaces of Columbia and Nicaragua might result in the modification or destruction of the
neighbourly relations between Columbia and Costa Ri ca in the Caribbean Sea, which might well impact
on Costa Rica’s legal interests in that Sea.» - 36 -

d’intervention, mais au stade du fond. En ce qui concerne la Colombie, l’hypothèse envisagée par

l’agent du CostaRica ⎯à savoir que la Colombie disparaîtrait de l’affaire ⎯ n’est guère

vraisemblable, étant démentie tant par l’histoire des relations diplomatiques que par la géographie

de la zone concernée. Mais la Cour n’a pas à trancher cette question maintenant, et quelle que soit

la position que l’on peut adopter qua nt au fond, on ne saurait dire a priori que la Cour ne peut pas

se prononcer sur la demande d’une partie.

37. Enfin, la Colombie tient à ce qu’il soit pris acte de ce qu’elle estime que les arguments

que le Costa Rica a présentés contre le Nicaragua — dans sa requête et lors de ses plaidoiries — en

ce qui concerne certaines zones de 200milles marins à l’est de la zone de délimitation telle que

définie par le Nicaragua, ne por tent pas atteinte aux obligatio ns conventionnelles qui sont les

siennes à l’égard de la Colombie et du Panama ; ils témoignent, au contraire, de ce que le

Nicaragua fait fi des droits d’Etats tiers dans la région.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achèvent mon exposé et

les plaidoiries de la Colombie pour aujourd’hui. Je vous remercie de votre attention.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Crawford, pour votre exposé. Ainsi s’achève

le premier tour de plaidoiries sur la requête à fin d’intervention déposée par le CostaRica. Je

souhaiterais remercier le CostaRica et les Parties, à savoir le Nicaragua et la Colombie, pour les

exposés qu’ils ont présentés lors de ce premier tour.

La Cour se réunira de nouveau demain, de 15heures à 16heures, pour entendre le second

tour de plaidoiries du Costa Rica.

Je vous remercie. L’audience est levée.

L’audience est levée à 13 heures.

___________

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