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124-20101014-ORA-01-01-BI
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CR 2010/15 (traduction)

CR 2010/15 (translation)

Jeudi 14 octobre 2010 à 15 heures

Thursday 14 October 2010 at 3 p.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit

aujourd’hui pour entendre le second tour de plaidoiries du Costa Rica. Je donne donc maintenant

la parole à M. Coalter Lathrop. Vous avez la parole.

M. LATHROP :

L ES ÉTAPES DE L ’INTERVENTION ET LA MANIÈRE DONT LES REVENDICATIONS DES P ARTIES
POURRAIENT PORTER ATTEINTE À L ’INTÉRÊT D ’ORDRE JURIDIQUE DU C OSTA RICA

1. Je vous remercie Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs

de la Cour, c’est un honneur pour moi de paraître en core une fois devant vous aujourd’hui au nom

de la République du Costa Rica.

I. Les deux étapes de l’intervention

2. Monsieur le président, nous en sommes ici à l’examen de la requê te dans la procédure

d’intervention. Lors de cette première des de ux étapes qui composent l’ensemble de la procédure

d’intervention, le CostaRica doit démontrer de manière convaincante qu’un intérêt d’ordre

juridique est pour lui en cause. Le Costa Rica s outient qu’il a rempli la tâche qui lui incombe dans

sa requête et qu’il a même été au-delà dans ses conclusions orales de lundi. Nous sommes de

nouveau ici aujourd’hui pour étayer nos arguments et répondre à ceux que les Parties ont présentés

hier.

3. Il n’est pas dans notre intention à ce stade, et ce n’est pas non plus l’objectif de ces

plaidoiries, d’informer la Cour de toute l’étendue de l’intérêt du Costa Rica. Cet exercice relèvera

de la seconde étape de la pr océdure d’intervention, lorsque ⎯s’il est permis au CostaRica

d’intervenir ⎯ nous rédigerons une déclaration écrite et ferons des observations au cours de la

procédure orale sur le fond. M.Reichler confond ces deux étapes lorsqu’il fait valoir que «la

requête qu[e le CostaRica] a déposée avait pour ob jet de porter à la connaissance de la Cour ses

intérêts d’ordre juridique. C’est fait. Mission accomplie.» 1 Mais, comme d’autres avant lui,

M. Reichler a parlé trop vite. L’objet de la re quête du Costa Rica est non pas d’informer la Cour

mais de lui demander la permission d’intervenir. C’est pendant l’interven tion elle-même que le

1
CR 2010/13, p. 31, par. 12 (Reichler). - 3 -

Costa Rica informera la Cour de toute l’étendue de son intérêt d’ordre juridique. A ce jour, dans le

peu de temps dont il dispose, le CostaRica s’est borné à démontrer qu’il avait un intérêt d’ordre

juridique auquel une décision de la Cour en l’ espèce pourrait porter atteinte. Or, tandis que cette

tâche suppose nécessairement quelques chevauchements avec les arguments qui seront présentés au

11 cours de l’étape suivante de la procédure d’intervention, les informations fournies jusqu’ici

n’englobent effectivement pas intégralement, ni en portée ni en précision, celles que le Costa Rica

soumettra s’il est autorisé à intervenir.

4. Par exemple, le Costa Rica n’a pas fourni d’ informations complètes concernant le rôle des

îles dans la délimitation ou l’effet de la re vendication du Nicaragua en l’espèce sur la ligne

de1977. Le CostaRica n’a pas informé la Cour du résultat que produirait l’application de la

méthode de la bissectrice sur la délimitation, ni de l’ajustement nécessaire et approprié requis pour

rendre compte de sa situation désavantageuse, au fond d’une concavité côtière. Ces points relèvent

de l’étape suivante de la procédure.

5. Et pourtant, le conseil du Nicaragua laisse entendre que le CostaRica ⎯et la Cour ⎯

pourraient accepter les audiences de cette semaine co mme substitut d’une véritable intervention.

Cette notion créerait en réalité une nouvelle forme de procédure incidente ⎯ une mini-intervention

pour ainsi dire ⎯, qui ne trouve aucun fondement en dro it et présente peu d’arguments en sa

faveur. En outre, refuser au Costa Rica la possib ilité de soumettre ses observations à la Cour dans

le contexte d’audiences sur le fond priverait cel ui-ci de la capacité de répondre à de nouvelles

prétentions des Parties. Comme l’a indiqué l’agent du Nicaragua il y a plusieurs années, au cours

des audiences sur la requête à fin d’inte rvention du Nicaragua en l’affaire du Différend frontalier

terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)) :

«les écritures des Parties peuvent être modifi ées à l’issue de la présente audience sur
l’intervention et jusqu’à la fin des audiences sur le fond. Et si la présente audience est

la seule occasion donnée au Nicaragua de défendre ses droits, comment peut-il
exposer sa position s’il n’est pas admis à participer aux audiences sur le fond ?»

Le Costa Rica posera la même question. S’il n’est pas admis à participer aux audiences sur le fond,

comment le CostaRica peut-il défendre ses in térêts contre de nouve lles revendications que

pourraient avancer les Parties? Le CostaRica ne serait pas en mesure de le faire et c’est

notamment pour cette raison qu’il devrait être admis à la prochaine étape. - 4 -

II. L’effet des revendications des Parties sur l’intérêt d’ordre juridique du Costa Rica

6. Monsieur le président, la Colombie comme le Nicaragua continuent à débattre de leurs

revendications, comme s’il était demandé à la Cour de choisir entre les deux options présentées:

optionA, la ligne du Nicaragua qui divise des ma rges continentales se chevauchant; optionB, la

ligne médiane colombienne qui passe entre des côt es se faisant face. Or, cette perspective ne
12

traduit aucunement le rôle de la Cour elle-même dans la détermination du tracé de la frontière entre

les Parties. Le Costa Rica n’étant cependant pas concerné par la question de savoir si la frontière

que fixera la Cour se situera plus à l’est ou plus à l’ouest, il prendra les positions des Parties pour

argent comptant. Néanmoins, cet emplacement va de pair avec le point terminal méridional de la

frontière, et cela change la manière dont la décision de la Cour sur la délimitation peut porter

atteinte aux intérêts d’ordre juridique du Costa Rica.

7. Il est possible d’illustrer cette relation en examinant de plus près les revendications que

s’opposent les Parties. Comme l’a noté le conseil de la Colombie à propos de la présentation faite

lundi par le CostaRica: le CostaRica «s’est intéressé presque exclusivement à la demande du

Nicaragua» 2. Par souci d’équilibre et d’équité, nous re viendrons un instant sur la revendication de

la Colombie. Ainsi que l’a indiqué le Costa Ri ca dans sa requête : «[l]a frontière revendiquée par

la Colombie en l’espèce passe à l’ouest d[e la ligne de 1977] … et elle englobe par conséquent une

3
zone qui reviendrait au CostaRi ca en vertu de l’accord de1977» . La carte de la Colombie que

vous trouverez sous l’onglet n o 16 de votre dossier de plaidoiries d’hier peut servir à illustrer
cette

affirmation. Malgré les tentatives de M. Crawford pour apaiser les inquiétudes du Costa Rica, lui

assurant qu’«il n’y a[vait] rien d’étonnant à cela» 4, du point de vue du Costa Rica, la revendication

de la Colombie empiète nettement sur ses intérê ts, comme le montre la carte que vous voyez à

présent à l’écran. Si la frontière revendiquée par la Colombie devait prévaloir et être adoptée par la

Cour dans sa décision sur la délimitation, celle-ci aurait une incidence sur l’intérêt d’ordre

juridique du Costa Rica. Elle aurait également une influence sur l’emplacement du tripoint entre le

Costa Rica, la Colombie et le Nicaragua, à l’extr émité septentrionale de la ligne de 1977. Suivant

2CR 2010/14, p. 31, par. 4 (Crawford).
3
Requête à fin d’intervention du Gouvernement du Costa Rica, p. 5, par. 20.
4CR 2010/14, p. 35, par. 19 (Crawford). - 5 -

les termes du traité, il marque la fin de l’étendue à l’ouest des intérêts de la Colombie et le début de

ceux du Costa Rica.

8. A propos de tripoints, les conseils des deux Parties ont accordé une grande attention à

l’autre tripoint du CostaRica, à l’extrémité orientale de la ligne de1977 ⎯le tripoint entre le

CostaRica, la Colombie et le Panama. Les deux Parties ont fourni des cartes représentant

l’emplacement de ce tripoint, mais celle que vous voyez à présent à l’écran, la carte PSR 7, est tirée

du dossier du Nicaragua. Le conseil de la Colombie a décrit en détail la relation trilatérale

constituée et renforcée par des liens bilatéraux interd épendants entre ces trois Etats. En qualité de

partie à deux des trois traités, le Costa Rica partage les vues exprimées par la Colombie en ce qui

13 concerne ce tripoint. La surprise vient du fait que le conseil du Nicaragua semble également suivre

l’opinion selon laquelle il existe un tripoint entre ces trois Etats 5 ⎯attitude faisant apparemment

partie d’une tentative visant à enfermer le CostaRica derrière la ligne qu’il a conclue avec la

Colombie, même si l’Etat se trouvant de l’autre côté n’est plus la Colombie.

9. Cette thèse montre que le Nicaragua n’a aucune idée de l’incidence réelle de sa

revendication en l’espèce ⎯si elle devait prévaloir ⎯, à savoir celle que la revendication aurait

sur les relations bilatérales et trila térales qui existent dans cette régi on. Pour l’instant, les intérêts

du Costa Rica, de la Colombie et du Panama se renc ontrent au tripoint encerclé en noir sur la carte

du Nicaragua. Les intérêts de ce dernier sont très éloignés de ce point suivant le CostaRica, la

Colombie et, sans doute, le Panama. Le Nicara gua est d’un autre avis, comme l’indiquent ses

revendications portant sur les lignes frontières et la zone maritime en l’espèce. Nous allons

illustrer à l’écran l’incidence de ces revendications sur ces relations. Les relations bilatérales et

trilatérales avec la Colombie disparaissent du fait de la présence du Nicaragua. Mais ce dernier ne

se substitue pas seulement à la Colombie. Au lie u de cela, de nouvelles relations frontalières se

formeraient nécessairement. L’une d’elles consiste rait en une nouvelle relation trilatérale entre le

Costa Rica, le Nicaragua et le Panama, en un emplacement restant à déterminer. Une autre serait

constituée par une relation bilatérale entre le Costa Rica et le Nicaragua. Bien que le Costa Rica ait

fourni quelque indication de s on point de vue sur la ligne qui divise leurs zones maritimes

5
CR 2010/13, p. 38-39, par. 33-35 (Reichler). - 6 -

respectives, le Nicaragua n’en a rien fait. Le Costa Rica a eu recours ici à une flèche pour indiquer

la continuation de la frontière entre le Costa Rica et le Panama en direction de zones sur lesquelles

le Nicaragua semble revendiquer un intérêt.

10. A propos de flèches, les conseils des de ux parties ont également consacré beaucoup de

temps à discuter de la signification à donner aux flèches figurant à l’extrémité des frontières

maritimes. Les deux Parties ont semblé parvenir à la même conclusion générale, à savoir que la

seule présence d’une flèche à l’extrémité d’une ligne frontière rend cette ligne inoffensive pour des

Etats tiers6. Mais, avant de nous sentir faussement sécurisés, nous devrions rappeler que les

flèches, utilisées traditionnellement comme des armes sont, en réalité, très acérées. Afin de mieux

comprendre le rôle des flèches, il faut faire la distinction entre deux types de flèche pouvant se

trouver au bout d’une frontière maritime: celles qui pointent dans un sens donné et celles qui

transpercent. Les premières sont utiles. Elles nous indiquent la direction à suivre. Les secondes

sont dangereuses. Elles blessent, ou ⎯pour reprendre les termes du Statut ⎯ mettent en cause

14
certains intérêts. Elles sont difficiles à retirer et tendent à laisser une cicatrice. Or, il n’est possible

de différencier ces deux types de flèche que si les intérêts d’un Etat tiers au voisinage de la flèche

sont connus : les flèches qui pointent dans un sens donné partent d’un point qui ne présente aucun

danger pour la zone dans laquelle un Etat tiers possède des intérêts ; ce n’est pas le cas des flèches

qui transpercent. Par le passé, la Cour a beauc oup veillé à n’utiliser que des flèches qui pointent

dans un sens donné. Cela dit, afin d’éviter de transpercer accidentellement lorsque l’intention

consiste simplement à indiquer une direction, la Cour doit disposer de toutes les informations

nécessaires sur l’étendue des intérêts d’un Etat tiers. Ces informations ne peuvent être fournies de

manière fiable que par l’Etat tiers lui-même, et, da ns le cadre de l’intervention, uniquement lors de

la seconde étape de la procédure relative à celle-ci.

11. Mais assez parlé de points triples et de flèch es. Permettez-moi de revenir sur un élément

qui a manifestement déconcerté le conseil du Ni caragua et de voir si nous pouvons remettre les

choses à plat: je veux parler de la relation exis tant entre la zone dans laquelle le CostaRica

possède des intérêts et la ligne de1977. Le conseil du Nicaragua a attribué, non sans ironie, au

6
Ibid., p. 34-35, par. 20-22 (Reichler) ; CR 2010/14, p. 35, par. 18-19 (Crawford). - 7 -

Costa Rica l’idée que «le Nicaragua aurait lui-même conduit le Costa Rica à revendiquer un espace

maritime plus vaste en protestant contre le tr aité conclu avec la Colombie, qui contenait une

revendication plus modeste» 7. Ce n’est, en fait, qu’à moitié faux. En voulant se montrer

sarcastique, le conseil a accidentellement mis le doigt sur une vérité partielle. Mais il serait

préférable de dire que la zone dans laquelle le CostaRica possède un intérêt juridique ne s’étend

au-delà de la ligne de 1977 que parce que les prétentions du Nicaragua en la présente espèce ⎯ si

elles devaient prévaloir, ne serait-ce qu’en partie ⎯ bouleverseraient les relations frontalières

existant dans la région et réduiraient à néant l’objet même pour lequel la ligne de1977 avait été

négociée et convenue.

12. Poursuivant sur sa lancée, le conseil de la Colombie a relevé que la zone minimum dans

laquelle le Costa Rica possède un intérêt d’ordre juridique comprend des zones qui «sont plus

proches…de SanAndrés et des autres forma tions colombiennes qu’elles ne le sont du

Costa Rica» 8. Le conseil a ensuite reconnu que, si le Costa Rica peut revendiquer ces zones à

l’encontre du Nicaragua «qui en est encore plus éloigné», cette revendication est «nettement en

contradiction avec la position de longue date du CostaRica relative aux dr oits maritimes générés

9
par les îles de la Colombie» . S’il y a assurément une contradiction en l’occurrence, elle n’est

toutefois pas ⎯et nous le savons bien ⎯ l’Œuvre du CostaRica, mais celle du Nicaragua. Et le

problème ne sera pas réglé par le CostaRica mais par la Cour lorsqu’elle rendra une décision

portant délimitation en la présente affaire. Si les prétentions du Nicaragua l’emportaient en

l’espèce, la Colombie ne serait incontestablement plus le voisin du Costa Rica dans cette partie des
15

Caraïbes, ce qui mettrait fin, de fait, au fondement essentiel de l’instrument juridique conclu entre

la Colombie et le Costa Rica. Ce n’est pas là une issue qu’ait recherchée le CostaRica, ni une

issue qu’il souhaite. Bien au contraire, comme l’a dit le Costa Rica dans sa requête et tout au long

de cette procédure, et comme les Parties elles-mêmes l’ont réitéré plusieurs fois, le Costa Rica s’est

toujours, par son comportement, conformé à l’accord conclu et s’est abstenu de toute conduite qui

aurait réduit à néant l’objet et le but de cet accord. Malgré ces efforts, et pour des raisons qui lui

7CR 2010/13, p. 41, par. 41 (Reichler).
8
CR 2010/14, p. 36, par. 21 (Crawford).
9Ibid. - 8 -

sont étrangères, le CostaRica se trouve à présent au cŒur d’un différend entre le Nicaragua et la

Colombie qui pourrait bien avoir pour effet de pert urber, voire peut-être de supprimer purement et

simplement, une relation frontalière maritime ancienne avec la Colombie.

13. Le conseil du Nicaragua a longuement co mmenté la ligne de1977, vraisemblablement

pour démontrer que le CostaRica avait des obliga tions vis-à-vis de la Colombie reposant sur la

ligne de 1977 et sur le traité dont elle découle. Le Costa Rica ne le conteste pas. Mais l’argument

simplement inutile avancé par le conseil à ce su jet devient totalement inexact lorsque celui-ci

10
affirme que «[le Costa Rica] demande en fait à la Cour de ne tenir aucun compte de ce traité» ,

faisant valoir que le traité n’a pas été ratifié par celui-ci. C’est tout simplement faux. Le

Costa Rica ne demande pas à la Cour d’ignorer le tr aité entre le Costa Rica et la Colombie en tant

qu’il régit la relation frontalière avec la Colombie. En fait, le Costa Rica se contente d’affirmer un

principe fondamental de droit inte rnational selon lequel le traité bila téral entre le CostaRica et la

Colombie n’a créé ni droits ni obligations pour le Nicaragua. Dans ces conditions, il n’y aura rien

que la Cour puisse ignorer au moment où elle exam inera l’étendue de la zone dans laquelle le

Costa Rica possède un intérêt si les revendications du Nicaragua devaient prévaloir dans la présente

espèce. Le Nicaragua connaît cette règle générale de droit conventionnel et l’admet, en affirmant

que, «[b]ien entendu, en tant que tel, le traité bilatéral c onclu entre le Costa Rica et la Colombie ne

confère ni droits, ni obligations au Nicaragua» 11.

14. Et pourtant, le Nicaragua espère encore tirer quelque avantage de la ligne de1977,

faisant valoir que «le Costa Rica…n’estimait p as détenir les espaces situés au-delà de la ligne

fixée dans le traité de1977, ses intérêts juri diques étant donc hors de danger quelle que soit la

décision de la Cour à l’égard de ces espaces» 12. Là encore, le Nicaragua se trompe. Les

prétentions du Nicaragua à l’encontre de la Colombie en la présente espèce, si elles devaient

16 prévaloir, créeraient un vide dans des zones situ ées dans la partie sud-ouest des Caraïbes qui

relèvent actuellement de la juridiction de la Colombie. Rien n’empêche le Costa Rica de combler

ce vide dans toute la mesure du possible conformément aux principes du droit international.

10CR 2010/13, p. 38, par. 30 (Reichler).
11
Ibid., p. 40, par. 39 (Reichler).
12Ibid., p. 37, par. 29 (Reichler). - 9 -

15. Monsieur le président, j’ai insisté sur la frontière revendiquée par la Colombie en la

présente espèce et sur la manière dont elle pourrait porter atteinte à l’intérêt d’ordre juridique du

CostaRica. Et je viens tout juste d’exposer l’impact que les revendications du Nicaragua en

matière d’espaces maritimes pourraient avoir sur les relations frontalières existantes, notamment la

relation entre le CostaRica et la Colombie. Je vais à présent démontrer comment la délimitation

revendiquée par le Nicaragua en la présente espèce pourrait aussi porter atteinte à l’intérêt d’ordre

juridique du Costa Rica.

16. La ligne frontière revendiquée par le Nicaragua dans sa réplique est à présent projetée à

l’écran. Cette ligne représente la limite extérieure ou la plus orientale de l’espace maritime que le

Nicaragua dispute à la Colombie. L’argument que fa it valoir le Nicaragua au sujet de cette ligne

⎯ à savoir qu’elle serait en quelque sorte isolée, sans le moindre lien avec un espace maritime ⎯

est abscons, étrange, et, à vrai dire, inexact. De toute évidence, l’espace maritime revendiqué par le

Nicaragua dans la mer des Caraïbes est délimité à l’est par cette ligne et à l’ouest par la côte

nicaraguayenne. Mais qu’advient-il de la li mite méridionale de cet espace maritime?

L’emplacement de cette limite indiquera l’étendue du chevauchement entre la zone dans laquelle le

CostaRica possède un intérêt d’ordre juridique et l’espace maritime revendiqué par le Nicaragua

en la présente affaire.

17. Le Nicaragua nous dit n’exprimer auc une opinion quant à l’emplacement de quelque

13
ligne de délimitation latérale que ce soit avec le CostaRica , et pourtant il décrit, dans ses

écritures, une demi-douzaine d’espaces maritimes dont les limites méridionales que nous faisons à

présent se succéder rapidement sur la carte. Qu e doit déduire le CostaRica de tout ceci?

Premièrement, si l’une des lignes projetées à l’écran représentait, ne serait-ce que

schématiquement, la limite méridionale de la z one revendiquée par le Ni caragua, la zone ainsi

délimitée empièterait sur les droits du CostaRica et, en la présente espèce, une délimitation qui

irait aussi loin au sud que l’une ou l’autre de ces lignes porterait atteinte à l’intérêt juridique du

Costa Rica. Cela inclurait même la plus septentrionale de ces limites éventuelles : la ligne reliant le

point terminal de la frontière terrestre entre le Co sta Rica et le Nicaragua à la limite méridionale de

13
CR 2010/13, p. 32, par. 16 (Reichler). - 10 -

la ligne frontière revendiquée par le Nicaragua dans sa réplique. Deuxièmement, si aucune de ces

lignes ne représente la limite méridionale de la zone revendiquée par le Nicaragua, quelle est alors

cette limite ? Le Costa Rica ne pe ut que tenter de le deviner. Et si la question n’est pas clarifiée

17 avant la clôture de la procédure orale, la Cour ne pourra que deviner, elle aussi. Or les droits et

intérêts du Costa Rica sont ici en jeu, et on ne peut se contenter de deviner.

18. Le Costa Rica a exposé à la Cour les issues possibles au cas où la revendication

frontalière de l’une des Parties serait adoptée telle quelle et sans modificati on par la Cour dans sa

décision portant délimitation. Or, les deux lignes revendiquées portent atteinte à l’intérêt juridique

du CostaRica. Ainsi que nous l’avons indiqué lundi, le CostaRica considère que la frontière à

délimiter en la présente espèce pourrait être située quelque part entre ces deux lignes, à l’intérieur

de la zone en litige entre les Parties. Cette dern ière, ainsi que la zone d’intérêt minimum du Costa

Rica, figurent sur la carte maintenant projetée à l’écran. Lorsque la Cour délimitera la frontière

entre les Parties, quelque part à l’intérieur de la zone en litige, le Costa Rica espère que cette ligne

s’arrêtera bien avant la zone dans laquelle il possède un intérêt d’ordre juridique découlant de

l’exercice de ses droits souverains et de sa juridiction. A partir de ce point terminal, situé bien

au-delà de la zone dans laquelle le Costa Rica possède un intérêt, le prolongement de la frontière en

direction de la zone relevant du Costa Rica pourrait être indiqué par une flèche. Pour être certain

que celle-ci soit une flèche indiquant une direction et non une flèche qui transperce, il faudrait

d’abord que la Cour connaisse toute l’étendue de cette zone, et seul le Costa Rica peut lui fournir

les informations nécessaires.

III. Conclusions

19. Monsieur le président, la thèse que fait valoir le Costa Rica à ce stade de l’intervention

est relativement simple : la zone dans laquelle le Costa Rica possède un intérêt empiète sur la zone

en litige entre les Parties à la présente affaire et une décision portant délimitation en la présente

espèce peut porter atteinte à l’intérêt du Costa Rica. Le Costa Rica se trouve au cŒur d’un

différend entre ses voisins, le Nicaragua et la Colombie. Le lien entre l’intérêt du Costa Rica et le

différend en l’espèce est également établi par le fait que les trois relations frontalières bilatérales du

Costa Rica dans les Caraïbes pourraient être concernées par l’issue de la présente affaire. En outre, - 11 -

la Cour n’aura pas manqué de constater qu’un grand nombre ⎯ un grand nombre ⎯ des arguments

exposés hier ⎯arguments présentés come portant sur la requête à fin d’intervention du

Costa Rica — pourraient bien être des arguments que les Parties feraient valo ir l’une envers l’autre

en rapport avec le fond de l’instance principale. Les intérêts du Costa Rica et la délimitation en la

présente espèce sont inextricablement liés. Il ne saurait faire de doute que le Costa Rica possède un

intérêt d’ordre juridique auquel la décision pnt délimitation en la présente espèce pourrait

porter atteinte et, pour cette raison, le Costa Rica devrait être autorisé à intervenir afin d’informer la

Cour de toute l’étendue de cet intérêt, et, ainsi, de la protéger.

20. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui termine mon exposé.
18

Je vous prie de bien vouloir donner la parole à mon collègue, M. Sergio Ugalde.

Le PRESIDENT: Je remercie M.CoalterLa throp de son exposé. J’invite à présent

M. Sergio Ugalde à venir à la barre.

M. UGALDE :

LA NATURE JURIDIQUE DES INTÉRÊTS DU C OSTA R ICA EN CAUSE ,LES VÉRITABLES CRITÈRES
DE L’INTERVENTION STATUTAIRE ET L IMPORTANCE D ’INFORMER
LA C OUR DES INTÉRÊTS JURIDIQUES DU C OSTA RICA
PAR LA VOIE DE L’INTERVENTION

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur pour

moi de me présenter devant vous pour prononcer au nom du CostaRica mon second et dernier

exposé en cette procédure. D’une manière générale, il peut être facile d’être contre quelque chose ;

il suffit pour cela de dire non. Plus on dit «non», pl us il est facile d’être contre. C’est un peu ce

que nous avons pu observer hier de la part du Nicaragua, avec son oppostion persistante à la

demande d’intervention du Costa Rica en l’espèce.

2. Pour des raisons de temps, je tirerai du grand nombre de déclarations qui ont été faites hier

les arguments qui méritent notre attention paqu’ils concernent l’examen de la thèse que nous

soutenons ici. - 12 -

I. La nature juridique de l’intérêt du Costa Rica

3. Sans se laisser ébranler par la résistance âpre et non fondée qu’a opposée le Nicaragua à la

demande d’intervention du Costa Rica, celui-ci a a pporté la preuve indubitable de l’existence pour

lui d’un intérêt d’ordre juridique dans la mer des Caraïbes, qui relève également de l’objet du

présent différend. Le CostaRica a aussi établi de façon incontestable que, au vu des conclusions

des Parties, une décision de la Cour dans cette affaire pourrait porter atteinte à ses intérêts, étant

donné que la ligne de délimitation dont celle-ci déciderait s’inscrivait nécessairement dans la zone

qui fait l’objet du différend et, partant, risquerait d’atteindre la zone où le CostaRica a un intérêt

d’ordre juridique.

4. Le Nicaragua n’en prétend pas moins, dans ses observations écrites, que le CostaRica
19

fonde sa requête sur la «thèse selon laquelle «la «proximité» d’une délimitation constitue un motif

d’intervention fondé sur l’article 62» 14. Cependant, le véritable argument du Nicaragua ⎯ tel que

l’a révélé hier son conseil ⎯ semble être de dire que si une Chambre de la Cour a refusé au

Nicaragua le droit d’intervenir sur des questions liées à la délimitation dans le golfe de Fonseca et

hors de celui-ci, alors la Cour ne doit pas faire droit à la demande d’intervention du Costa Rica en

l’espèce.

5. Ces deux affaires sont entièrement différentes, au double plan des faits et du droit, et ⎯ je

n’ai guère besoin de le rappeler ⎯ la Cour a toujours réaffirmé qu’elle considérait chaque affaire

de façon indépendante. Da ns l’affaire du différend El Salvador/Honduras, la Chambre a conclu

que le Nicaragua ne pouvait pas intervenir sur les aspects concernant la délimitation parce qu’il

15
n’avait pas montré comment la décision de la Cour pouvait porter atteinte à ses droits et intérêts .

6. Contrairement à ce qui avait été établi dans cette affaire, où le Nicaragua ⎯ selon les mots

de la Chambre ⎯ «n’a[vait] pas indiqué» à la Cour comment une délimitation pouvait de quelque

manière affecter ses intérêts, le CostaRica a quant à lui présenté tous les faits et graphiques

pertinents qui indiquent, de façon claire et convaincante, comment la délimitation entre le

Nicaragua et la Colombie ⎯en général et en particulier ⎯ risque de porter atteinte à ses intérêts

d’ordre juridique dans la mer des Caraïbes. Le Costa Rica a montré comment les zones maritimes

14
Observations écrites du Nicaragua, p. 4, par. 11.
15Voir l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et ma ritime (ElSalvador/Honduras), requête à fin
d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 123, par. 74 et p. 128, par. 84. - 13 -

délimitées par la frontière à établir, c'est-à-dire l’objet de cette affaire dans laquelle il demande à

intervenir, pourrait empiéter sur ses intérêts et dr oits maritimes. Il ne s’agit donc manifestement

pas d’une affaire de «proximité», comme le prétend le Nicaragua, mais d’une affaire selon laquelle

une décision de la Cour qui ne prendrait pas en considération les intérêts d’ordre juridique du

Costa Rica risquerait de porter un grave préjudice à ces derniers.

7. Le conseil du Nicaragua a qualifié l’intérêt du CostaRica dans la mer des Caraïbes

comme un intérêt «de fait», et non «d’ordre juridique» 16. Comme l’a fait observer le

professeurChristineChinkin, «on a peine à imaginer un meilleur exemple d’intérêt d’ordre

juridique» que le «souhait de protéger les «droits souverains» [d’un Etat]» 17. Telle est précisément

la nature des droits que le Costa Rica souhaite pr otéger par la voie d’une intervention en l’espèce.

20
De surcroît, dans l’exposé suivant, le Nicaragua a semblé accepter l’existence d’intérêt d’ordre

juridique du CostaRica dans la mer des Caraïbes; certes il a laissé entendre que ces intérêts

18
n’étaient pas aussi étendus que l’avait indiqué le Costa Rica mais il n’a pas nié leur existence .

II. Les critères de l’intervention statutaire

8. Monsieur le président, le conseil du Nicara gua nous a aussi livré un exposé éclairant de la

procédure d’intervention. Parmi les conclusions qui méritent notre attention figure ce constat que

nous nous trouvons engagés dans un processus dit «d’intervention statutaire», qui, comme toutes

les Parties l’ont constamment indiqué, trouve sa source dans le Statut et le Règlement de la Cour.

Cela signifie qu’un pays qui tient à intervenir doit simplement remplir les conditions qui sont

établies dans ces textes, et aucune autre.

9. Pourtant, de l’avis du conseil du Nicara gua, pour qu’une intervention porte ses fruits, il

faut que l’intérêt d’ordre juridique qui la fonde soit «propre à l’Etat intéressé, précis, direct et

authentique». Quelle est au juste la base juridique de ces nouvelles conditions ? Nous l’ignorons,

parce qu’aucune explication ne nous a été donnée. Et nous ne pouvons certainement pas trouver

ces conditions dans le Statut ou le Règlement de la Cour, malg ré le caractère «statutaire»

⎯affirmé à juste titre ⎯ de l’intervention. Il semble plutôt qu’elles soient une retombée de la

16CR 2010/13, p. 24, par. 20 (Remiro).
17
Christine Chinkin, Third Parties in International Law, 1993, p. 161.
18Voir CR 2010/13, p. 36-41, par. 27-41 (Reichler). - 14 -

tentative faite par le Nicara gua pour disqualifier la requête du CostaRica en créant un nouvel

ensemble de conditions qui ne sont pas fondées en droit. Ainsi peut-on dans un premier temps

donner l’impression que des conditions n’ont pas ét é remplies dans la requête du Costa Rica pour

ensuite prier la Cour de rejete r celle-ci. Nonobstant le fait qu’ une requête n’a à remplir que les

conditions qui sont véritablement énoncées dans le Statut et le Règlement de la Cour, le Costa Rica

a, si tant est que cela importe, démontré à la Cour que ses intérêts d’ordre juridique lui sont

propres, sont précis, concernent directement l’affaire principale en cours et sont véritables, en ce

sens qu’ils entretiennent un rapport intrinsèque avec la décision que prendra la Cour en l’espèce.

10. Le conseil du Nicaragua a aussi fait valoir que la demande d’intervention comportait une

autre caractéristique, à savoir qu’elle ne devait pas être facilement acceptée par la Cour. A la

faveur des citations de la jurisprudence de la Cour qu’a avancées le Nicaragua à l’appui de cette

thèse, nous avons amplement pu constater combien il attache d’importance aux suites données par

la Cour aux demandes d’interven tion de Malte, dans l’affaire Tunisie/Libye, et de l’Italie, dans

21 l’affaire Libye/Malte. Nous avons appris comment, dans ce tte dernière affaire, la Cour avait

apparemment accordé à l’Italie tout ce qu’elle demandait, sans pour autant lui permettre

d’intervenir. Nous avons apprécié la qualité de ce rappel historique mais ne pouvons voir quelle

est sa pertinence au regard des circonstances de la présente espèce. Il semble que le Nicaragua

considère que ces affaires reflètent la position qu’il prête à la Cour, selon laquelle il conviendrait de

fortement limiter les possibilités d’intervenir, au point même de ne jamais autoriser aucune

intervention, soit parce que le pays requérant a exposé de façon trop générale ses intérêts

juridiques, lesquels seraient donc à considérer comme insuffisamment «précis, directs ou

véritables», soit parce qu’il a, au contraire, présenté une requête remplissant ces nouveaux critères,

rendant par là même l’interventi on superflue. Mais le Nicaragua ne s’arrête pas là dans les

réformes qu’il semble vouloir appliquer au système d’intervention. Ainsi, lorsque, par chance, une

requête sera parvenue à éviter les deux écueils d’êt re par trop générale ou par trop particulière, il

conviendra néanmoins de la rejeter parce qu’elle introduit un «nouveau différend» ou, pire, parce - 15 -

qu’elle vise non à protéger un intérêt d’ordre juridique, mais à «extorquer à la Cour la

19
reconnaissance de certains droits», selon les mots du conseil du Nicaragua .

11. Ces arguments en rejoignent un autre a uquel le Nicaragua semble accorder une grande

pertinence: la Cour a rejeté toutes les demand es d’intervention auxquelles au moins une partie

s’était opposée. Toutes, bien sûr, sauf la sienne dans l’affaire El Salvador/Honduras. Le

Nicaragua considère que cette oppos ition devrait suffire pour qu’une demande d’intervention soit

rejetée. Le conseil du Nicaragua va même jusqu’ à dire que si la demande d’intervention de la

Guinée équatoriale n’a pas été rejetée par la Cour, c’est parce que personne ne s’y était opposé. Il

semble aussi attacher moins d’importance à cette de rnière intervention au motif que la Cour l’avait

autorisée par la voie d’une ordonnance, et non d’un arrêt. A vrai dire, je ne vois pas en quoi la

modalité selon laquelle la Cour a choisi de re ndre cette décision changerait quoi que ce soit à la

question, mais une chose est certaine: on ne peut avancer que l’intervention de la Guinée

équatoriale perd de son importance ou de sa va lidité parce qu’elle n’a pas été contestée. Cette

demande d’intervention était aussi valable que tout e autre à laquelle la Cour a fait droit dans le

passé ou fera droit à l’avenir.

22 12. Qui plus est, lorsque la Cour accepte ou rejette une demande d’intervention, elle ne le fait

pas parce que les parties y consentent ou s’y opp osent, mais parce qu’elle considère que les

circonstances de l’affaire, le droit applicable et les faits ou éléments d’information dont elle dispose

justifient qu’elle y fasse droit ou non.

13. Monsieur le président, l’intervention pr évue par l’article62, sous la forme dont

l’existence est reconnue par la Cour, n’est pas une procédure intempestive, une pièce rapportée

dans le Statut de la Cour, visant à autoriser des tiers à s’immiscer dans les affaires. L’article 62 a

valeur de norme au même titre que tout autre article du Statut et il est censé être un moyen de droit

permettant de protéger les intérêts juridiques d’Etats tiers, garantissant que justice se fasse de façon

tout à fait équitable et qu’un Etat, tout Etat, soit entendu lorsque les circonstances d’une affaire sont

telles qu’un intérêt d’ordre juridique est pour lui en cause, même de façon indirecte. Si la Cour

faisait droit ou s’opposait à une demande d’intervention au seul gré de la politique judiciaire,

19
CR 2010/13, p. 21, par. 9 (Remiro). - 16 -

souhaitant soit encourager des pays à intervenir en masse soit, au contraire, les dissuader

d’intervenir, comme semble l’avancer le Nicaragua, voilà qui serait injustifiable et irait à l’encontre

de tout ce que représente le droit international.

14. Monsieur le président, le Nicaragua a aussi tenté hier de disqualifier la demande

d’intervention du Costa Rica au motif que celui-ci aurait l’intention malveillante de profiter de ses

Républiques sŒurs qui sont parties à cette affaire. Ainsi, le Nicaragua voudrait nous faire croire

que le CostaRica a commencé, en1977, par comp loter avec la Colombie pour lui soutirer des

20
espaces maritimes dans la mer des Caraïbes . Comme l’a fait remarquer à juste titre hier le conseil

de la Colombie, il convient de noter que le Nicara gua ne s’est pas élevé co ntre cet accord. Le

Nicaragua poursuit en avançant que le Costa Rica, pour la seule raison qu’il estime secrètement ne

pas avoir eu son compte dans l’accord de1977 avec la Colombie, saisit l’occasion qui lui est à

présent offerte pour reprendre à celle-ci des espaces qu’il estime avoir perdu en négociant cet

accord. Tout en prétendant cela, le Nicaragua n’a cessé de reconnaître que le CostaRica avait

pleinement respecté l’accord de 1977 avec la Colomb ie depuis sa conclusion. Il a même tenu à le

souligner, allant jusqu’à dire : «Nul ne conteste que le Costa Rica s’est conformé aux dispositions

21
du traité de1977, depuis qu’il l’a signé et jusqu’à ce jour.» Or, malgré cette reconnaissance, il

23 continue à mettre en cause les motifs du CostaRica, en cherchant, derrière les assurances et la

pratique de ce dernier à l’égard de la Colombie au cours de ces trois décennies, à déceler un

complot secret qui irait exactement à l’encontre de celle-ci. Le conseil du Nicaragua a même pris

sur lui d’avertir la Cour de ce complot, déclarant ce qui suit :

«Le Costa Rica s’en étant publiquement tenu pendant trente-trois ans à la même

position quant à ses intérêts juridiques, et ayant toujours agi en se conformant
strictement à cette position dans tous les domaines, la Cour devrait éprouver certaines
réticences face à sa volonté subite de faire table rase de toutes les données historiques
et géographiques pour faire valoir des inté rêts nouveaux et élargis à l’encontre du
22
Nicaragua, et de lui seul.»

Pourquoi donc la stricte observation de l’accord de 1977 par le Costa Rica serait-elle la preuve de

la volonté de ce dernier de faire table rase de toutes les données historiques et géographiques,

20CR 2010/13, p. 41, par. 42 (Reichler).
21
Ibid., p. 39, par. 37 (Reichler).
22CR 2010/13, p. 40, par. 38 (Reichler). - 17 -

particulièrement à l’égard du Nicaragua? Il n’y a manifestement aucun rapport entre ces deux

choses mais cela semble assurément très inquiétant.

15. Lorsque le Costa Rica affirme qu’il n’a pas ratifié le traité de 1977 avec la Colombie par

égard pour le Nicaragua, cela semble aussi perturber ce dernier, qui trouve manifestement à redire à

cette manifestation de bon voisinage. Le fait est que le traité n’a pas encore été ratifié, non parce

que le CostaRica escompte ou espère, comme le prétend le Nicaragua, une certaine décision en

l’espèce mais, premièrement, parce qu’en raison du différend relatif à l’archipel de SanAndrés

entre le Nicaragua et la Colombie, le corps législatif du Costa Rica a été dessaisi du

traité ⎯comme indiqué dans Charney et Alexander 23, que le Nicaragua n’a cité hier que

partiellement ⎯ et, deuxièmement, parce qu’après avoir c onstaté que les prétentions du Nicaragua

en l’espèce risquaient véritablement de mettre en cause ses intérêts juridiques, le CostaRica a

compris qu’il lui faudrait attendre une décision de la Cour avant de ratifier ce traité. L’histoire que

nous raconte ici le Nicaragua, qui consiste pour bonne part à attaqu er les raisons pour lesquelles le

Costa Rica protège ses intérêts juridiques dans cette affaire, à bel et bien un trait commun avec les

Œuvres d’Arthur Conan Doyle ⎯ celui d’être aussi captivante qu’imaginaire. Pouvons-nous rester

assurés que les intérêts du Costa Rica sont dûment protégés après ce que nous avons entendu hier ?

Manifestement pas.

16. Monsieur le président, c’est semble-t-il seulement maintenant, à cette audience, que nous
24

apprenons que le Nicaragua a introduit la présente in stance aux seules fins de prier la Cour de dire

«que la ligne de partage entre son plateau continental et celui de la Colombie est située là où il l’a

24
située» . En d’autres termes, le Nicaragua prie seulement la Cour d’accepter l’hypothèse d’une

ligne, quelque part au milieu de la mer des Cara ïbes, qui flotte librement et qui n’est rattachée à

aucun droit maritime à l’ouest. Cette conclusion étrange, si elle est correcte, a semble-t-il pour

effet de laisser à la Colombie les eaux situées à l’ouest de cette ligne. Cette idée semblerait être

confirmée par le cours magistral d’une demi-heure qu’a donné le conseil du Nicaragua sur l’accord

de 1977 entre le Costa Rica et la Colombie, selon lequel les eaux situées à l’est et au nord de cette

23
American Society of International Law, International Maritime Boundaries , VI,l.
J.I. Charney & L.M. Alexander (eds.), 1996, p. 465.
24CR 2010/13, p. 32, par. [16] (Reichler). - 18 -

ligne appartiennent à la Colombie. Pour rendre sa thèse encore plus claire, le conseil du Nicaragua

a accusé le Costa Rica d’avoir avancé des arguments erronés en indiquant que la ligne en question
25
impliquait la reconnaissance des espaces ma ritimes situés de part et d’autre . La conclusion

logique serait donc que ce que veut le Nicaragua, c’est la ligne mais pas les eaux.

17. Or, dans le même temps, le Nicaragua reproche au Costa Rica une discrimination à son

encontre, parce que si les eaux situées au-delà de s limites de la ligne de1977 reviennent à la

Colombie, le Costa Rica n’a pas d’intérêt juridique à faire valoir alors que si elles reviennent au

Nicaragua, le Costa Rica affirme avoir de tels intérêts dans cette zone. Mis à part l’étrangeté de ces

arguments, de quoi exactement le Nicaragua se plai nt-il? N’avons-nous pas été informés que la

ligne de délimitation revendiquée par le Nicaragua n’emportait aucun espace maritime à l’ouest de

cette ligne ? Et que par conséquent, étant donné que le Nicaragua n’est pas un voisin du Costa Rica

à cet endroit, pour la simple raison qu’il ne revendique pas ces eaux, le Costa Rica ne peut avoir un

intérêt contingent dans cette zone . Et pourtant, bien qu’il y ait clairement une contradiction, nous

entendons crier à la discrimination s’il s’avère que le Nicaragua jouxte le Costa Rica au nord-est. Il

semble donc bien que le Nicaragua revendique ces zones; sinon, il ne pourrait accuser le

CostaRica de discrimination. Et par conséquent, les arguments erronés ne sont pas ceux du

Costa Rica.

III. Volonté d’informer la Cour

25 18. Monsieur le président, j’ai merais maintenant aborder cette question de l’intervention en

tant que moyen d’informer la Cour. Les observations que j’ai pu faire jusqu’à présent montrent

bien que le CostaRica pourrait être confronté à de nouvelles théories, à des informations

incomplètes ou à de nouvelles conclusions tout au long de l’affaire principale. Aussi, pour protéger

correctement ses intérêts d’ordre juridique des allégations qui ont déjà été avancées et de celles qui

pourraient l’être à l’avenir en l’affaire, le CostaRica doit impérativement avoir recours à la

procédure d’intervention.

19. Ce que nous avons obser vé jusqu’à présent met encore plus en évidence l’importance

qu’il y a à informer la Cour. Le conseil du Nicaragua et, dans une moindre mesure, celui de la

25
Ibid., p. 33, par. 18 (Reichler). - 19 -

Colombie ont déclaré toutes sortes de choses à propos de l’intérêt d’ordre juridique du Costa Rica.

Il est vrai que les parties peuvent exprimer le ur opinion sur une demande d’intervention déposée

par un Etat tiers, et il est même légitime qu’elles le fassent. Ce qui l’est moins, en revanche, c’est

de se prononcer sur la validité même des intérêts d’ordre juridique d’un Etat tiers, de les étendre ou

de les réduire, au gré de ce que dictent à chaque partie les revendications de l’autre partie à son

égard. Permettez-moi de le rappeler: c’est à l’ Etat tiers qu’il incombe de déterminer en toute

légitimité ce que sont ses intérêts d’ordre juridique , dans la mesure où c’est lui qui comprend le

mieux ce qu’ils sont, comment ils peuvent être a ffectés par des circonstances extérieures et quelle

est la meilleure façon de les protéger. Et il revient à la Cour, et à elle seule, de décider si l’intérêt

d’ordre juridique revendiqué par un Etat tiers relè ve du champ d’application de l’article 62 et, dès

lors, s’il convient d’autoriser l’intervention requise. L’intérêt d’ ordre juridique revendiqué par le

CostaRica découle de l’analyse faite par celui-ci ⎯ en toute sincérité et en toute bonne foi ⎯ de

ce que sont ses droits et intérêts selon le droit inte rnational, et c’est en tant que tel qu’il a été

formulé. Tels sont les droits et intérêts ici en jeu, et non pas ceux qui ont été présentés par les

parties dans leurs arguments respectifs.

20. Enfin, s’il existait le moindre doute quant à l’importance de la procédure d’intervention

comme moyen le plus efficace d’informer la Cour des faits pertinents afin que celle-ci puisse

rendre une décision éclairée et exhaustive sur des différends complexes ⎯ tel que celui-ci ⎯, dans

lesquels les intérêts d’ordre juridique d’Etat tiers sont en jeu, rappelons l’opinion exprimée à ce

sujet par M. Shabtai Rosenne :

«La protection d’un Etat tiers ne peut être assurée que si la Cour connaît
l’ensemble des faits et informations pertinents tels que l’Etat tiers les présente et tels
que les parties à l’instance peuvent les c ontester dans le cadre d’une procédure

26 contradictoire. La procédure de la requê te à fin d’intervention, qui suppose un aspect
contradictoire presque dès le début, est l’une des méthodes par lesquelles ces faits et
informations sont communiqués à la Cour, qui peut en évaluer les conséquences sur

l’affaire bilatérale init26lement portée deva nt elle. L’article 59 est manifestement
insuffisant à cet effet.»

21. Monsieur le président, c’est sur cette observation judicieuse que je conclus mon exposé.

Je vous remercie, ainsi que Mesdames et Messieurs les juges, pour votre attention.

26
Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-2005 , vol. III, 2006, p. 1596-1597 ;
les italiques sont de nous. - 20 -

22. Monsieur le président, s’il plaît à la Cour, je vous prie d’appeler à la barre

M. l’ambassadeur Edgar Ugalde, pour la déclaration finale du Costa Rica.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, M.Ugalde , pour votre exposé. Maintenant, j’invite

M. l’ambassadeur Edgar Ugalde Álvarez, agent du Costa Rica, à prendre la parole.

Mr. UGALDE ALVAREZ:

C ONCLUSIONS

1. Mr. President, Members of the Court, we have reached the end of this hearing and are

satisfied, Costa Rica having clearly shown your esteemed Court the existence of interests of a legal

nature which may be affected by the Court’s decision in this case.

2. Costa Rica has fully met the requirements of Article81 of the Rules of Court. The

Application for permission to intervene was filed within the time-limits fixed by the Court and not

later than six weeks before the closure of the written proceedings. Costa Rica has set out the object

of its intervention in detail, as established by the Co urt. The Court has therefore been informed of

the interests of a legal nature which might be affected by its decision in this case.

3. In support of its Application to interven e, Costa Rica has set out its arguments and

presented graphics on the geographical zones in the Caribbean Sea, which prove, under

international law, the existence of interests of a legal nature in that Sea. We have also shown how

a decision by your esteemed Court might have a direct effect on its interests. Costa Rica has also

made it clear that these geographical areas form part of the dispute between the Republics of

Nicaragua and Colombia before this Court.

27 4. Despite Nicaragua’s intense efforts to undermine the value of Costa Rica’s interests in the

area subject to the decision of the Court, the solid legal and factual evidence presented by my

country leads us to only one possible conclusion: the Parties in this case have indeed asked the

Court to take a decision on the Costa Rican maritime areas. It is therefor e evident that Costa Rica

has a legitimate legal interest and that this may be affected by the Court’s decision in this case.

5. My country has also shown how a decision by the Court which does not take account of

Costa Rica’s legal interests may, directly or indi rectly, affect those interests, with irreparable - 21 -

consequences, which could not be overcome by bringing a new case before the Court. We have

also considered how Article59 of the Statute of th e Court, by the very nature of this provision,

does not provide the necessary protection to prevent the negative effects for Costa Rica.

6. It is thus indispensable for my country to use the procedure indicated in Article 62 of the

Statute to ensure full protection of its rights, as regards the effects, albeit indirect, of a judgment by

your esteemed Court in the wake of claims by Colombia and Nicaragua.

7. Mr.President, the Costa Rican people ha ve been brought up in peace, and have always

been guided by respect for international law, a nd by the use of the m achinery for the peaceful

settlement of disputes between States pursuant to the international instruments. Today, we reaffirm

this conviction before the International Court of Justice. Costa Rica’s claim is sole ly a response to

its desire to adequately protect its rights and interests conferred by international law.

The PRESIDENT: Ambassador. Forgive me, but there is no interpretation.

Mr. UGALDE ALVAREZ: My apologies. Thank you. I shall repeat what is said, if I may.

8. In no way is Costa Rica seeking, through this Application, to “present... itself as a

party ⎯ not to the dispute between Nicaragua and Colombia ⎯ but to a dispute between itself and

Nicaragua regarding the maritime delimitation between the two countries”, as ProfessorRemiro

Brotóns put it, nor is it seeking to “ignore th e 1977 Treaty” with Colombia, as suggested by

28 counsel Paul Reichler 27. We sincerely invite the Republic of Nicaragua to return to the negotiating

table for the purpose of defining the maritime boundaries in a spirit of good neighbourliness and

fraternity befitting two sister nations.

9. Nor has Costa Rica in any way provided an y justification for interpreting its oral or

written arguments as a way of ignoring its intern ational obligations, in particular the 1977 Treaty

with the Republic of Colombia. Support for th is assertion was provided by the Agent of the

Republic of Colombia, when he said that: “the Treaty has been complied with in good faith by

both countries since the date of its conclusion in 1977” 28. And one wonders who more accurately

interprets Costa Rica’s motives in this case, counsel of Nicaragua or the Agent of Colombia?

27
CR 2010/13, pp. 21-22, para. 11 (Remiro); ibid., p. 38, para. 30 (Reichler).
28
CR 2010/14, p. 12, para. 14 (Londoño). - 22 -

10. My country is optimistic, for we feel su re that your esteemed Court has been persuaded

of the merits of our Application, of the facts on which it is based and of its total compliance with

the provisions of the Statute and Rules of Court.

11. Consequently, Mr. President, on behalf of my country, I respectfully request the Court to

grant the Republic of Costa Rica the right to intervene, in order to inform the Court of its interests

of a legal nature which might be affected by the decision in this case, according to Article 62 of the

Statute.

12. On behalf of the Republic of Costa Rica, I should like to restate the remedy which my

Government requests from the Court in this intervention.

13. We seek the application of the provisions of Article 85 of the Rules of Court, namely:

⎯ Paragraph 1: “the intervening State shall be supplied with copies of the pleadings and

documents annexed and shall be entitled to submit a written statement within a time-limit to be

fixed by the Court”, and;

⎯ Paragraph 3: “The intervening State shall be entitled, in the course of the oral proceedings, to

submit its observations with respect to the subject-matter of the intervention.”

29 14. Mr.President, Members of the Court, let me if I may thank the interpreters for their

excellent work, and also the Secretariat staff for their friendly co-operation and the facilities

provided. I would also like to thank the di stinguished Members of this Court and you,

Mr. President, for the generous attention granted to Costa Rica. Good afternoon.

The PRESIDENT: Thank you, Ambassador Ugalde Alvarez, for your submission as Agent

of Costa Rica.

La Cour se réunira de nouveau demain à 15heures pour entendre le second tour de

plaidoiries du Nicaragua et de la Colombie.

L’audience est levée.

L’audience est levée à 15 h 55.

___________

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