Minutes of the Public Sittings held at the Peace Palace, The Hague, from 12 to 16 May 1975, President Lachs presiding

Document Number
061-19750512-ORA-01-00-BI
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1975
Date of the Document
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Bilingual Content

COUR INTERNATIODEJUSTICE

M~MOIRESPLAIDOIRIETDOCUMENTS

SAHARA OCCIDENTAL

VOLUME IV
Exposoraux

INTERNATIONCOURTOF JUSTICE

PLEADINGORAL ARGUMENTS,DOCUMENTS

WESTERN SAHARA

VOLUME IV
OraStaterneiits Rkférenca ebrégé :e

C.IJ. Mémoires,Sahoro occidental,
vol. IV

Abbreviatedreference :

I.C.J.Pleodings, WesternSaharo,
Vol. IV

No devente :
Sales numberSAHARAOCCIDENTAL

WESTERNSAHARA COURINTERNATIONDEJUSTICE

MPMOIRES,PLAIDOIRlDOCUMENTS

SAHARA OCCIDENTAL

VOLUMEIV
Exposésoraux

INTERNATIONALCOURJUSTICE

PLEADINGS,ORALARGUMENTS,DOCUMENTS

WESTERN SAHARA

VOLUMEIV

OralStatements L'affaire du Sahara occidental, inscrite au rôle gkniral de la Cour sous le
numéro61le3janvier 1975,a fait l'objetd'unavisconsultatif rendule 16octobre
1975(Sahara occidental. avis consulta~ijC.I.J. Recueil1975, p. 12).
Les exposes et documents relatifs h cette affaire sont publiésdans l'ordre
suivant :

Volume 1. Requétepour avis consultatif ;dossier du Secrétaire généra dles
Nations Unies : exriosésécritsde la France. de Panama. du Nicaraeua. du
Chili, du ~uatekala, de la Républiquedominicaine, de l'Équateur,d; costa
Rica.de laColombieetdel'Espagne ;début des informationsetdocumentsde
l'Espagne.
Volume II. Suite et fin des informations et documents de l'Espagne.
Volume III.Exposes écritset documents de la Mauritanie et du Maroc.
Volume IV. Débutdes exposésoraux.
Volume V. Suite et fin des exposésoraux, correspondance.

Dans la présente édition, i la présentationtypographique, ni i'orthographe
desnoms propres nesauraient êtreutiliséesauxfinsde l'interprétation destextes
reproduits. Lesversions ou traductions différentesd'un meme texte enfrançais
ou en anglais ont étémaintenues.
Pourlesrenvoisd'unvolumeBL'autrede la présenteédition,un chiffre romain
gras indique le numéro du volume auquel il est renvoyé.

La Haye, 1982.

The Western Sahuracase wasentcrcd asNo. 61in the Court'sGcneral Liston
3 January 1975 and was the subject of an Advisory Opinion delivered on
16 OCtober 1975 (Western Saliara, Advisoty Opinion, 1.C,J. Reports 1975,
p. 12).

Thc ordcr 01publication of the statements and documents presented in ths
case is as follows:
Volume 1. Requestfor advisory opinion ;dossier transmittcd by the Secretary-
Gcncral of the United Nations ; written statements of France. Panama,
Nicaragua, Chile,Guatemala, theDominican Rcpublic, Ecuador.Costa Rica,
Colombiaand Spain ;information and documentspresented bySpain(begin-

ning).
Volume 11. Remainder of information and documents presenled by Spain.
Volume III.Written statements and documents prcsentcd by Mauritania and
Morocco.
Volume IV. Oral statements (beginning).
Volume V. Remaindcr of oral statements ;correspondence.

Neithcr the typographical presentation nor the spelling of proper names
employed in this publication maybeused for the purpose of interpreting the
iexisrcproduced. Differingvesions ortranslations ofthesame iexiinEnglishor
French have been left unaltered.
In cross-referencesbetweenvolumes, the number of the volumereferred to k
indicated with a large Roman numeral in bold type.

The Hague, 1982. TABLE DES MATIÈRES . CONTENTS

OUVERTURE DE LA PROCEDURE ORALE SUR LES DEMANDES DE DESI-
CNATlON DE JUGES AD HOC .................
EXPOSE ORAL DI: M. DUPUY(MAROC) .............

Principe de l'é......................: son application en matière
consultative
. Historique de l'introduction du juge ad hoc en matière consul-
tative ........................
A En 1927 ......................
B. Depuis 1927 ....................
I. Application de l'article89 du Réglerne...........
A. Questionsjuridiques .................
B Questions juridiques actuellement pendantes entre deux Etats
C . Différencesaveclecas de la Namibie...........

Une décision positivede la Cour sur la question des juges ad hoc ne
préjugerait en rien celle que la Cour devra prendre tant sur la
compétenceque sur le fond ................
QUESTIO NE M . PETRÉN ..................

EXPOSE ORAL DE M. SALMON (MAURITANIE) ..........
Considérationsfondamentales sur l'institution du juge ad h....
Problèmes principaux se posant a propos du juge ad hoc en matière
consultative ......................
Droit et pratique de la Cour permanente deJustice internatio...e
Droit et pratiquede laCour internationale de Justi.......
Article 89 du Règlement .................
4rticle 69 du Statut,.....,............
Application de l'arti3l1du Statuten l'espèce.........

EXPOSE ORAL DE M . BEDJAOIJI (ALCERIE) ...........

ParticipationdeI'Algérieentant qu'Etat intéress.........
EXPOSE ORAL DE M. SED~(ESPAGNE) .............

Sens et portéede la participation de ['Espaanla présente affaire .
EXPOSE ORAL DE M .LACLETA(ESPAGNE) ...........

~rticle 89 du Règlement ..................
Précédentset pratique de la Cour permanente de Justice interna-
tionale ........................
Manque de fondement de la thèse selon laquelle la Cour compte déjà
un juge d'une des Parties interess.............
Notion de parties intéressées...............
L'avis co.........................ndé au sujet d'un dikrend entre
Etats
Non applicabilitéde l'article89 du Règlemeen l'espèc......X TABLE DES MATIERES

QUESTIONSDE SIR HUMPHREW Y ALDOCK ET DE h'.PETREN ....
EXPOSE ORAL DE M. SALMON (MAURITANIE) ..........

Réponse a laquestion desir Humphrey Waldock.........
Réponse a lapremièrequestion de .Petrén ..........
Réponse a la deuxièmequestion de .Petrén ..........
Observations sur l'exposeoral de l'Espa...........
EXPOS ERAL DE M. SLAOU (MAROC) .............

Réponsea la premièrequestion de M.Petrén ..........
Réponsea la question de sir Humphrey Waldo.........
Observations sur l'exposéoral de l'Espa...........
EXPOSÉ ORAL DE bf.DUPUY (MAROC) .............

Réponsea fadeuxièmequestion deM .Petren ..........
Observations sur l'exposéoral de l'Espa...........
Ex~osÉ ORAL DE M .LACLET ESPAGNE) ...........

Réponseàla première question dM .Petrèn ..........
Reponseala question desir Hurnphrey Waldock ........
Observations sur lesexposes oraux du Maroc et de la Maurit.n.e

CLOTUR EE LA PROCEDUR OERALE SUR LES DEMANDESDE DÉSIGNA-
TION DE JUGES AD HOC ..................
OUVERTUR EE LA PROCEDURE ORALE SUR LA REQUÊTE POUR AVIS
CONSULTATIF .......................

EXPOSE ORAL DE M .SLAOU (IAROC) .............
La souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental n'exclut pas des
liensjuridiques d'une autre nature avec la Maur......
Résolutionsde l'Assembléegénérale desNatioUnies ......
Observations sur les thèdel'Espagne ............
1. Prétendue permanence de la présence espagnole au Sahara au
cours de la périodeantérieure au XIXCsiècle.....

2.inexistence de la présence espagnoleau Sahara jus1916. .
3. Inopposabilitéau Maroc destraités conclusentre 1900et 1912 .
4. Manifestations de la souverainetédu Maroc face aux tentatives
européennes .....................
5.Rapport des traitésconclus entre 1900e12avec teMaroc . .
6.Le Sahara était-il une [erra nullius au moment de la
colonisation ?....................
EXPOSE ORAL DE M. DUPUY (MAROC) .............

CompétencedelaCour au sens strict .............
Problème généralde l'acceptation ou du refus de répondre a la
demande d'avisconsultatif...............
Problème spécifique de la compétence de la Cour en matière
d'interprétation desquestionsqui lui sont .......
Examen de l'exception préliminaire soulevéepar l'Espagne
I. L'avis consultatif demandé eun préalable au règlement de la

question du Sahara occidental par l'Assembléegéné.....
A. Objet de farequê..................
B. Portéedela requête ................. TABLE DES MATIERES XI

1. L'avis contribuera a éclairer \'Assemblée généraledes
Nations Unies sur une questionjuridique pendante.... 151
2. Le problème pose par la décolonisation n'a pas été
définitivementtranchépar l'Assembléegénérale ..... 156
II. L'avisconsultatif n'altèrepas le libre choix de I'Assemtrlèegénérale
quant au processus de décolonisationdu Sahara occidental ... 158

A. Diversitédes principes ................ 162
Jntegrite territoriale (résolution(XV)) ........ 162
Typologie de la décolonisation ............. 166
B . Diversité destechniques ............... 169
Principe VI de l'annexa la résolution 1541(XV)...... 169
Résolution2625 (XXV) ................. 173

EXPOSÉ ORAL DE M. BENNOUN AMAROC) ........... 178

Application du principe de la libre déterminatdespeuples .... 178
Intégrité territorialeet unité nation............. 181
Prise en considération par l'Assemblée génerale. en matière de
décolonisation.de l'ensembledes principes de laCharte ..... 184
Pertinence juridique des questions posée:compétencede la Cour en
i'espéce ........................ 188

EXPOSE ORAL DE M . BENJEL1.OUN (MAROC) ........... 189
Fond de l'affai...................... 189
caractéristiques généralesdu territoire du Sahara occident.... 190
1. Climatologie et paléoclimatologi............. 191
2. Groupes humains qui habitent leSahara .......... 193
3. Viesociale. politique et culturelle du Sahara...... 194

Lesexpéditionssahariennes de l'Empiredu Maroc du XVICau XVIIle
siècle......................... 201
Traitésconcluspar leMaroc ................ 209
Notion de dahir ...................... 211
Témoignages géographiques et cartographiques sur les limites
méridionales duMaroc .................. 212
Délimitationconventionnelle du Sahara occidental........ 217
Convention du 27 juin 1900entre l'Espagneet la France..... 223
Projets de traitéde 1902entre l'Espagneet la France...... 226
Accords du 8 avril 1904 entre la France et la Grande-Bretagne . 229
Convention du 3 octobre 1904 entre l'Espagneet la France.... 230
Déclarations franco-allemandes des8juillet 1905e9 fkvrier 1909 . 234

Accord du 4 novembre 1911entre l'Allemagneet la France .... 235
Traitésde protectorat des 30 mars et 27 novembre 1912..... 240
Situationdu Sahara occidental aprèsl'indépendance duMaroc ... 243

EXPOSÉ ORAL DE M . ISOART (MAROC)............. 252
Caractère marocain des provinces situées ausud de l'Atlas, entre le
Sous et le Draa..................... 252
Nature juridique de I'Etat marocain au moment de la colonisation
espagnole ...................... 255
Organisation du Maroc du Sudpar lesultan Moulay Hassan ... 2.63

Lutte contre les tentatives de pénétrationétrangère.... 264XII TABLE DES XIATIERES

Mesures de politique intérieure.............. 266
Mesures de politique économique ............. 269
Existence de liensjuridiques entre le Maroc ei leSahara occidental au
moment de la colonisation espagnole ............ 271
Elémentsayant permis l'installationde la colonisation espagnole . .
Résistance ala pénétration étrangère:Maef Aïnin ....... 282

Prétendupouvoir saharien indépendant ......
Ex~osÉ ORAL DE M . DUPUY(MAROC)..........

Terra nulliuset possession .immémoriale ............
I. Assiseinternationalede la possession immémorialedu Maroc . .
A. Accords commerciaux ................

I. Clauses sur les naufragés ..............
a) Invocation constante de l'ouedNoun ........
b) Protection des naufrages .............
c) Autoritésouveraine du Sultan ...........
2. Clauses sur lesports ................
B. Accords territoriaux .................

II. Assise interne de la possession immémoriale du Maroc : son
exercice publi.ininterrompu et incontestépendant des siècles . .
A Notion spatiale ...................
B. Notion temporelle ..................
1. Volontéd'agiren souverain .............
2. Manifestations objectives de la souverainetémarocaine . .
Existence de liens juridiques de souveraineté au moment de la
colonisation espagnole ..................

EXPOSÉ ORAL DE M .MOULAY EL HASSEN(MAURITANIE) ....

Reconnaissance par le Maroc du fait que le sud du Sahara occidental
faisait partie de l'ensemblemauritanien ...........
Acceptation par la Mauritanie du principe de L'autodétermination . .
EXPOSE ORAL DE M . SALMON (MAURITANIE) ..........

Principe du droit des peuples a disposer d'eux-mêmesen matière
coloniale .......................
Autodétermination et intégrité territorialedans les textes et la
pratique des Nations Unies ...............
La Mauritanie et leSahara occidental ............
Pertinence juridique desquestions poséesa laCour .......
Prétenducontraste entre lecas d'Ifniet celui du Sahara occidental.
Acceptation du référendum parl'Assembléegénéraleet la Mauri-
tanie ........................
Pouvoir de l'Assembléegénéralede poser a la Cour les questions
dont s'agit ......................
Intégritédes frontières africain:ulipossideris ........
Compétencede laCour ...................

Premier dilemme de l'Espagne : les questions posées a la Cour
porteraient surun conflit territoria............
ou auraient un caractèreacadémique ........... TABLE DES MATIÈRES XII1

Second dilemme de l'Espagne :la Cour devrait élargirles questions
ou se déclarer incompétentepour quatre motifs ....
Absence de consentement de l'Espagne .........
Impossibilitédedéterminer les faits...........
Les questions ne seraient pas propresa un exercice correct de
la fonctionjudiciaire ................
L'avisconsultatif serait sans obj............

Les conditions requises pour que la Cour rende un avis consultatif
sont remplies ......................
Ex~osÉ ORAL DE M .OULD ~IAOULOUD (MAURITANIE) ......

Ensemble mauritanien (BiladChinguiti) ............
Notions géographiques ...................
Sources historiques. peuplement. langue ............
Structure interne de la socié.organisation économiquepastorale . .
Usages relatifsàlaguerre etala paix. droit............
Aspects particuliers de la cult.musique ...........
Ensemble mauritanien et Dar el Islam .............
Lecture du témoignagede M .Monteil .............
EXPOS ERAL DE M .SALMON (MAURITANIE) ..........

Carte no 2 annexée a l'exposé écridte la Mauritanie ........
Carte no 3 ........................
Carte XIV (croquis no2) de l'annexe 6.2 aux fnformations el docu-
ments de l'Espagne ...................
EXPOSE ORAL DE M .OULD MAOULOÙD (MAURITANIE) ......
Carrièredu cheik Ma el Aïnin ................

Indépendance du Bilad Chinguiti au moment de fa colonisation du
Sahara occidental ....................
Indépendancepar rapport au Maroc ..............

Argument religieux ....................
Argument historique ...................
Argument de la protection des naufragés ...........
Argument cartographique .................
Argument des revendications oMiciellesde souveraineté du Sultan
sur le suddu Sahara occidental et en particuliersuleRio de Oro
Contestation des traités signés entre l'Espagne et les tribus
'relevant de l'ensemblemauritanien ...........
Argument de I'exercice de l'autoritédu Sultan dans tout le Sahara
occidental dit espagnol.................
Afirmations d'autoritédegouverneurs ..........
Nominations de caids par dahirs .............
Actes législatifsou exécutifssous formede dahirs ......
Organisation administrative mise en place par l'Espagne....
Argument de l'exercicede la police ............
Argument de la défensetle l'intégritdu territoire marocain contre
l'étranger ......................
Argument de la résistance des tribus marocaines a l'occupation
espagnole ......................XIV TABLE DES MATIERES

Argument de la localisation d'Ifni..............
Argument tire de l'accord du 13 mars 1895 entre la Grande-
Bretagne et leMaroc ..................
Indépendancepar rapport aux autres Etats ...........

Le Sahara occidental n'était pasterra nullius au moment de la
colonisation espagnole ..................
Liensjuridiques du Sahara occidental avec l'ensemblemauritanien . .

Notion d'ensemble mauritanien ..............
Conséquencesdu nomadisme ...............
Applicabilitédes conceptsde nation et de peuple ........
Les tribus vivant au . Sahara occidental. au moment de la
colonisation chevauchaient ce territoire et celui de la future
Mauritanie .....................
Ex~osÉ ORAL DE M. BAYONA-BA-MEY (A AIRE )........

Nécessitéd'une vision nouvelle du concept de terra nuilius conforme
aux réalitésafricaines ..................
Le Sahara occidental n'étaitpas un territoire sans maître au moment
de la colonisation espagnole ................
Existence de liensjuridiques entre l'ensemblemauritanien et leSahara
occidental .......................
Exercice de la souveraineté du sultan du Maroc sur au moins une
partie du Sahara occidental ................

1. La fonction historique de la théoriede lalerra nullius.....

1. La fonction endogène »de lathéoriede laferra nullius .
A. Est nulliustout territoire qui n'estpas romain......
B. Est riullius tout territoire qui n'appartient pas a un
souverain chrétien ................
a) La dépossessionpour cause d'infidelilé .......
b) Les limites de la fonction justificatrice de l'argument
religieux ...................
C) Les fictionen cascades .............
C . Est nullius tout territoire qui n'appartient pasa un Etat
civilise.....................
1) La pratique des Etats .............

a) L'insuffisance de la priorité de la découverte et la
nécessitede l'occupation effective........
b) La concurrence entre les différentes nations euro-
péennes du XIXC siècle et la procédure de la
notification.................
2) Lespositions de la doctrine............
2. Absence de <(fonction exogene » de la theorie de la [erra
nirllius .....................
A . Francisco de Vitoria .témoin impuissant de la réification
des peuples ................... TABLE DES MATI~RES XV

B. Les peuples misentre parenthèsesau XIXesiècle ....
a) Les <<traites de verroteri>>.............
b) Le problème de la souveraineté autochtone devant le
congresde Berlin ...............
c) Contenu de la mission civilisatrice.........
11. LeSahara occidenlalet L'histoirede sa colonisation ......
[II. Droit intertemporel et interprétation desquestions soumises a la
Cour ........................

I. L'objetde la requêtepour avis .............
A . Problèmesétrangersàl'objetde la requéte .......
a) II ne s'agit pas d'ouvrir un contentieux d'attribution
territoriale ..................
bl Incompétence de la Cour pour dicter à l'Assemblée
généralesa démarchepolitique ..........
c) La requêtene doit pas entrainer un débat académique
B . Problèmespropres iil'objetde la requet........
C . Précautions a prendre pour ne pas dénaturer l'objet de la
requéte .....................

2 .Nature et interprétation desquestions ..........
A. La référenceau droit international de l'époque .....
B . Leconflit de systèmesjuridiques ...........
C . Le recours au droit intertemporel ..........
IV. La fonction neuve de I'autodétermination des peuples dans le
monde contemporain ..................
1. Valeur impérative du droita l'autodétermination ......
A . Valeur desarticles pertinentsde laCharte .......
B . Valeurjuridique de la déclaration de1960 .......

2 .Le contr8le de l'Organisation internationale ........
3 .Le droit des peuples àl'exercicede leur souveraineté ....
4 .La reconnaissance du droit a I'autodétermination pour la
population du Sahara ................
5 .Leproblèmedu droit a l'intégrité territorial........ EXPOSESORAUX

ORALSTATEMENTS PROCES-VERBAUX DES AUDIENCESPUBLIQUES

tenuesaupalais de la PaiiLa Haye, du12au Id mai1975.
sous la présidencede M. Lachs, Présiden!

MINUTESOF THE PUBLIC SITTINGS

heldut the PeacePalacThe Hague,from 12to 16 May 1975,
PresidentLachspresiding PREMIERE AUDIENCE PUBLIQUE (12V 75. 10 h 5)

Présents:M. LACHSP . réside;M. AMMOUNV . ice-Préside;MM. FORS-
TER, GROS,BENGZON. PETREN O,NYEAMA,DILLARD, IGNACIO-PINTO,
DE CASTRO M,OROZOV JIMENE ZE ARECHAGAs ,ir Humphrey WALDOCK.
MM.NACENDRA SINCH .UDA uges ;M. AQUARONG Er.eDer.

Présetlfstigaleme:r

Pour 1'lgeri:
S. Exc.M. Mohammed Bedjaoui. ambassadeur d'Algérieen France.

Pour la Maurirani:

S. Exc.M. Moulaye el Hassen, représentant permanent aupres des Nations
Unies,
S. Exc.hl. Ely Ould Allaf, ambassadeur à Bruxelles.
M. Yedali Ould Cheikh, secrétaire généraladjoint a la présidencede la
Republique.
S. Exc.M. Moharned Ould Maouloud. ambassadeur.
M. Abdellahi Ould Mohamed Sidya. conseiller,
M. Bal Mohamed el Mokhtar. fonctionnaire du ministere des affaires
étrangères,
M. Memed Ould Ahmed, professeur.
M. Jean Salnion. professeua la facultéde droit de l'université libre de
Bruxelles. conseil.

Pourle Maroc :

S. Exc. M. Driss Slaoui, représentantpermanent aupres des Nations Unies,
S. Exc.M. A. Mekouar, ambassadeur du Maroc aux Pays-Bas,
M. Ahmed Majid Benjelloun, procureur généralà la Cour suprêmedu
Maroc.
M. René-JeanDupuy. professeur a la facultéde droit de l'universitéde Nice.
M. Alain Piquemal, assistanta facultéde droit de l'université deNice.

Pour l'Espagn:
S. Exc.M. Ramon Sedo, ambassadeur d'Espagneaux Pays-Bas,
M. Santiago Martinez Caro. directeur du cabinet technique du ministre des
affaires étrangères.
M. JoséM. Lacleta, conseillerjuridique au ministere des aiTairesétrangères.
M. Fernando Arias-Salgado. conseillerjuridiaueministere des affaires

étrangères.
M. Julio Gonziiez Campos, professeur ordinaire de droit international a
l'université d'Oviedo. OUVERTUREDE LA PROCEDURE ORALESUR LES DEMANDES
DE DESICNAT~ONDE JUGESAD HOC

Le PRESIDE NATvant d'en venia l'affairequi nous occupe aujourd'hui,
qu'il me soit permis de mentionner ici la perte que La Haye, qui est le siègede
la Cour depuis sa création, vientde subir a la suite du décèsde M. Marijnen,
son bourgmestre. M. Marijnen, comme premier citoyen de cette ville, dont
nous connaissions tous la modestie et l'extrkme amabilité, a toujours fait
preuve d'une grande compréhension pour les intérst les besoins de la Cour.
La Cour tient a s'associerau deuil éprouvépar la ville.

L'audience d'aujourd'hui est consacréene demande d'avisconsultatif de
l'Assembléegénéraledes Nations Unies. Par sa résolution 3292 (XXIX),
adoptée le 13 décembre 1974 (1 p. 6-7), l'Assembléegénéralea décidéde
soumettre a la Cour, pour avis consultatih deux questions relaauvSahara
occidental, dont je demanderaau Greffier de donner lectu:e

Le GREFFIER :
<<1.Le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiet El Harnra) était-il,au
moment de la colonisation par l'Espagne. un territoire sans maître
(terra nuifiu?)
Si la réponsea la première question est négative,

II. Quels étaientles liensjuridiques de ce territoire avec le Royaume du
Maroc et l'ensemble mauritanien ?»
LePRÉSIDENT :L'Assembléegénérale a demandénotamment al'Espagne.
en tant que Puissance adrninistrante en particulier, ainsi qu'au Marocaet
la Mauritanie. en tant que parties concernées. de soumettre a la Cour
internationale de Justice tous renseignements ou documents pouvant servir
éluciderces questions.
La requêtepour l'avis consultatif (1. p. 3-71a étenotifiéea tous les Etats
admis a ester devant la CouetlesEtatsMembres des Nations Unies ont reçu
la communication spécialeet directe viaél'article66, paragrap2.du Statut
de la Cour. Les Gouvernements du Maroc, de la Mauritanie et de l'Espagne,
ainsi que d'autres Etats Membres des Nations Unies. ont déposédes exposés
écritset la Cour se réunira a une date qui sera annoncée ultérieurement pour
entendre des exposésoraux sur le fond.
Les débatsqui s'ouvrent aujourd'hui porteront sur une question decaractère
préliminaire.Par lettres 25set 26mars 1975(V, p.379-380 r)spectivement,
et dans les délais prévus par l'article3 du Règlement de la Cour, les
Gouvernements du Royaume du Maroc et de la République islamique de
Mauritanie,se prévalant del'aitic31du Statut et de l'art89ldu Régiement
de la Cour, ont exprirni. le désirde designer cuncjuge adhoc pour siéger

en la présente affaire. Par lettre du 9 avril 1(V. p.382) l'ambassadeur
d'Espagne aux Pays-Bas afait savoirque, de l'avisduGouvernement espagnol,
l'articl89 du Règlement, en rapport avec l'article 31 du Statut, n'étaitpas
applicable dans les présentes circonstances et que le Gouvernement espagnol
souhaitait pouvoir exposer devant la Cour les raisons qui justifiaient son
attitude. Enfindans une lettre du 21 avri1975(V. p. 3841,l'ambassadeur8 SAHARA OCCIDENTAL

d'Algérie en France. se référanta une correspondance que je viens de
mentionner, a indiquéque l'Algériesouhaitait réserverses droits.
En appjication de l'article3. paragraphe 1. du Règlement. laCour a décidé
de donner aux représentants des gouvernements intéressésla possibilitéde
présenter leurs vues sur cettequestion et en a avisé les Etats Membres des
Nations Unies. La Cour se propose donc d'entendre des exposésqui devront
porter sur la question de la désignation éventuellede juges ad hoc en la

présenteaffaire. A la suite de consultationsqui ont eu lieu entre le Présidentde
la Cour et lesreprésentants des Etats ayant exprimé le désirde prendre la
parole sur ce sujet, la Cour a décided'entendre ces représentants dans l'ordre
suivant :Maroc, Mauritanie. Espagne.10 SAHARA OCCIDENTAL

dans I'avissur lesJugements du TribunaladministrafiJde l'OITsur requétes
contre l'Unesco que la Cour disait que « dans l'exercice de sa fonction
consultative. elle doit rester fidèleaux exigences de son caractere judiciaire »
(C.1.J.Recueil 1956, p. 84).
De même,dans son avis sur la Con~posiriondu Corniré de la sécurité
nraritirnede l'Organisationintergouvernemenfaleconsultative de la navigarion
maritime. la Cour a déclare :« en tant que corps judiciaire, la Cour doit dans
l'exercice de sa fonction consultative rester fidèle aux exigences de son
caractère judiciaire » (C.1.J.Recueil 1960, p. 153) .1y a la une suite, une
répétition - je dirais presqueun refrain - qui revient dans une jurisprudence
a laquelle la Cour tient ainsi a conférer un grand caractere d'unité et de
continuité el on doit rappeler que, dans une afïaire - contentieuse il est
vrai -, la Cour a eu l'occasionde rappelera nouveau ce principe. Il s'agissaitde
I'aîfairedu Camerounseptentrional (C.1.JRecueil 1963, p. 30).
Partant de ce principe général,on aperçoit aisémentque l'institution du juge
ad hoc correspond évidemment a la mise en ceuvre de ce principe dans le
domaine particulier qui nous. occupe. On peut a cet égard remarquer que ce
phénoménea été aperçu il y a déjàlongtemps. Dans son cours a 1'Acamediede
droit international deLa Haye. en 1936. M. Negulesco rappelait que leprincipe
de l'égalitédes parties est a la base de la disposition introduite en 1'927.
disposition qui consacrait l'introduction du juge ad hoc en matière
consultative. Cette disposition trouve son expression dans une formule qui a
souvent été citée,une formulequi émaned'un hommedont lesouvenir reste ici
trèsprésent,du PrésidentJules Basdevant, qui s'écriait:<(II ne suffit pas que la
justice soit juste, il faut encore qu'ellele para>>(Discours prononcé pour le
cinquantiéme anniversaire de la première conférence de la paix, La Haye.
1949.)
Une telle disposition d'esprit.Messieurs, développetout particulièrement ses
effets tant dans le champ d'application de l'article 68 du Statut de ta Cour,
article qui accorde a la haute juridiction internationale un large pouvoir
d'appréciation. que dans le domaine plus particulier du Règlement ou I'ar-
ticle 89 nous rappelle que, si la Cour constate l'existence d'une question

dispositions de l'article du Statut.sieurs Etats, il ya lieua l'application des

La mise en Œuvre du principe de l'égalitédes parties dont nous avons
entendu partir dans notre exposé constitue ainsi le tronc commun a la fois
explicatif et justificatif des deux fondements possibles de la désignation d'un
juge ad hoc.
Des tors. toute question soulevée par une demande de désignationd'un tel
juge conduit la Cour a dkbattre de questions qui peuvent avoir des
conséquences importantes pour un certain nombre d'Etats. Et c'est en
rappelant ce principe d'égalité,qui s'apparente d'ailleurs étroitement au
principe de la non-discrimination, qu'on est- et c'estle premier fondement de
votre compétence en ce domaine particulier - naturellement conduit a
reconnaître E la Cour. dans la mise en Œuvre de l'article 68 de son Statut, de
Largespouvoirs d'appréciation - qui confinent a un pouvoir discrétionnaire.
Certes, j'entends bien qu'en l'espèceparticulière de l'avis consultatif de 197l
sur les Conséquencesjuridiques pour les Efats de la présence continuede
l'Afriquedu Sud enNamibie(Sud-Ouest africain)nonobstantla résolution276
(1970)du Conseildesécuritéla Cour est arrivéea ta conclusion, comme elle le
dit elle-même,que dans ladite affaire elle n'était pasen mesure d'exercer un
pouvoir discrétionnaire.
Pour autant, sila Cour n'a pas jugébon d'exercer un tel pouvoir - et elle EXPOSC ORALDE hl. DUPUY II

étaitsouveraine pour en décider -. elle n'a pas formellement niéson exis-
tence ni sa facultéde l'exercer dans d'autres occasions. En effet. non seule-
ment la Cour a précisé qu'elleprenait ce parti dans laflaire qui lui Rait alors
soumise (paragraphe 34. dernière phrase, de l'avis), mais encore au para-
graphe précédentelle a reconnu la latitude que l'article 68 du Statut lui ac-
corde de façon qu'elle puisse adapter sa procédureaux nécessitesde chaque
espéce n.
Si LaCour dispose ainsi d'un large pouvoir d'appréciation qu'elleexerce
compte tenu des circonstances propres a chaque espece. afin d'assurer l'égalité
entre lesparties. par là mémece principe explique la reconnaissance du jugead

hoc dans tes Règlements de la Cour permanente de Justice internationale et
plus tard dans celui de la Cour internationale de Justice, tant en matière
consliltative qu'en matière contentieuse, et ces deux hautes juridictions ont
prévu ainsi expressément cette désignationpour certains avis consultatifs et
elles ont par la mêmetenu a renforcer la mise en Œuvre de l'égalitédes
parties.
Ce qu'il y a d'assezremarquable. c'esque les deux Cours l'ont décidéalors
que, en s'entenant au plan forniel, il ne s'agit pas.dans les avis consultatifs. de
véritablesparties, encore que l'expressionparties soit utiliséede plus en plus
fréquemmentpar les résolutionselles-mêmes.Mais c'estque précisémentdeux
considérations permettent decomprendre aussi bien lesouci des textes qui sont
intervenus que la façon dont ils ont étéappliques.
D'une part, la Cour a manifestédans les avis consultatifs. en dehors méme
du problème spécifique du juge ad hoc, son attachement ii ce principe
fondamental en poussant très loin cette exigence de sauvegarde de l'égalité.
N'oublions pas que, dans l'avisdu 23 octobre 1956 relatifaux Jugeineirlsdli
Tribunal adrninistrat~ de I'OiT sur requetes contre l'Unesco. la Cour a
recherche la plus grande égalité et celaen dépit du fait que certains des
intéressésn'avaient point accès Q son prétoire. On a salué,àjuste titrea cet
égard,l'humanisme dont laCour avait fait preuve. tout en restant dans lecadre
de son Statut,pour faire en sorte que lespoints devue de ceux qui ne pouvaient
pas comparaitre devant elle lui fussent tout de mêmetransmis. A fortiori. dans
une affaire comme celle que nous avons l'honneur de présenteraujourd'hui a
la Cour internationale de Justice et qui met en cause des Etats souverains.
l'organe judiciaire des Nations Unies restera pénétréde l'importance d'un
principe qui trouve sa formulation première dans l'article 2. alinéa 1.de la
Charte de l'Organisation. laquelle repossur Leprincipe de k'egalitesouveraine
de ses Membres.
Cest pour honorer ce mêmeprincipe et pour en faire application que I'ar-
ticle 83. aujourd'hui devenu, depuis 1972, l'article 89. du Règlement. que
cette disposition rend expressement l'article 31 du Statut applicable a des
avis consultatifs dans les conditions définiespar lui. Ce principe del'égalité
des parties n'estcontestépar personne etle Gouvernement espagnol lui-mème
l'invoque dans son expose écrit ala page 193(1).
L'extension aux avis consullatifs de l'institution du juge ad hoc elle-méme.
perçue dans la perspective de cette philosophie généraleque nous venons de
rappeler. trouve son insertion naturelle dans le rapprochement qui a été
effectuéentre la fonction consultative et la fonction contentieuse.
Ce rapprochement relèvede l'histoire, une histoire qui est particuliérement
signilicative.
Dans son opinion individuelle a l'occasion de l'avis sur la Namibie. hl. le
juge de Castro a clairement montre. dans un exposéde caractèreanalytique et
historique. que les revisions d1927 du Règlementde la Cour. et de 1929en ce12 SAHARA OCCIDENTAL

qui concerne le Statut. ont ouvert, et je cite l'éminent magistrat internationa:
« la voie des avis donnésen matière quasi contentieuse » (C.I.J.Recueil 1971,
p. 172).
Ces nombreuses analogies tendent de ce fait a accentuer, bien entendu. la
portéedes avis. Cette extension de l'importance quedes Etats, du méme coup.
sont amenés a attacher a des avis provient du fait d'abord que le rayonnement
de la Cour se trouve êtredû en fait, nous pouvons le dire maintenant après
cinquante-trois ans d'histoire, aussi bien a ses décisionscontentieuses qu'aux
avis consultatifs nombreux et importants qu'elle a donnésdans les domaines
les plus divers. Et dans l'opinion dissidente qu'ilexprimaital'occasionde I'avis
consultatif relatif à Iïnterprérationdes traitde paix concIusavec la Bulgarie,

In Hongrie ef la Roumanie, premièrephase. M. ZoriEiCsoulignait que, très
souvent dans la realité,« un avis consultatif de la Cour, concernant un litige
entre Etats, n'est autre chose qu'un jugement non exécutoire ))(C.I.J.Recueil
1950.p. 101).M. ZoriEicallait ainsi trèsloin dans son observation et il ajoutait
que. sur le plan moral. I'avisjouissait du point devue scienlifïque,juridique, de
la meme autorité morale que les arrêtset qu'un avis consultatif u ne peut
manquer, disait-il, d'exercer une influence très importante sur les positions
juridiques respectives des Etats. et cela d'autant plus que I'avis peut servir
comme moyen de pression psychologique sur les gouvernements des Etats
intéresses ».11faisait ainsiallusioa des négociationséventuellesqui pouvaient
suivre la survenance et lapublication de I'avis.

Ces observations de M. ZorEic, on les retrouvait dans l'opinion exprimée
par un de vos anciens Présidents.M. Winiarski. qui aboutit, lui aussi, a des
conclusions analogues en soulignant les ressemblances entre les procédures
contentieuse et consultative. 11observait que les positions morales et juri-
diques peuvent ëtreaffectées.parun avis et que les Etats peuvent voir :

« leurs différendsen fait tranchés par la réponsedonnéeà une question
qui s'y rapporte et qui peut constituer une « question-clef))du differend.
Cela explique l'intérêtqu'ont les Etats a se faire entendre dans une
procédure consultative, a y êtrereprésentés et rrpouvoir nommer leurs
juges nationaux, ce qui serait parfaitement inutile si les avis n'étaientque
de simples opinions. sans importance réellepour leurs droits et leurs
intéréts))(C.I.J.Recueil 1950, p. 92.)

Or, si nous considérons I'avisconsultatif demande sur le Sahara occidental,
il est bien évident qu'il peutalïecter directement les droits et les interëts des
Etats concernés.
Ayant ainsi dégagé,Monsieur le Président. Messieurs les membres de la
Cour, les motivations d'ordre général.de principe. qui fondent sademande. te
Royaume du Maroc tient maintenant à dkvelopper son argumentation dans le
cas spécifiquequi vous est soumis. J'utilise l'expressionde « ca))bien entendu
dans son sens français et non pas dans le sens que ce mot a dans la langue
anglaise - disons plut8t a l'occasionde l'avisqui vous est demandé.
Son argumentation part du fait que. si la Cour, comme nous l'avons vu,
dispose toujours d'un large pouvoir d'appréciation.de surcroît, et c'est sur ce

point que nous allons concentrer nos développements, depuis ta revision du
Règlement en 1927. l'institution d'un juge ad hoc fait partie intégrante de la
fonction consultative des lors qu'un certain nombre de conditions se retrouve
en l'espèceconsidérée. ceque nous pensons pouvoir démontrer en la présente
affaire. EXPOSE ORAL DE M. DUPUY

Nous voudrions d'abord. dans une première démarche, souligner que
l'évolution des textes qui régissent laCour démontre la volonté délibérée
d'introduire lejuge ad hoc dans certains avis consultatifs.

Nous serons retativement rapide sur ce point mais il est important car il nous
montre d'une part l'apparition dujugead hoc dans les avis consultatifs en 1927
et d'autre part la permanence des principes établisen 1927. Le fait que la Cour
internationale de Justice n'ait pasjusqu'ici autorisécette désignationd'un juge
ad hoc dans un avis consultatif n'ayant qu'un caractère conjectural et non pas
un caractère de principe, c'estce premier point que nous voulons tout d'abord
exposer.

D'une part, nous devons montrer les conditions de cette apparition du juge
ad hoc dans les avis consultatifs a partir de 1927 et cela nous permet. d'autre
part, de situer exactement la place que doit occuper dans l'ensemble des
précédentsune affaire souvent citée, celledu S~arut de luCarélieorientale,que
nous nous en voudrions de ne pas relever. Tout d'abord, insistons sur le fait
que la revision. en 1927, du Réglernentde ia Cour permanente de Justice
internationale n'est pas intervenue sans que la Cour ait longuement pesésa
décision. Cette décisiontient a l'initiative d'un des hommes qui, lui aussi, a
laissédans cette maison un souvenir inoubliable. le PrésidentAnzilotti. C'est
lui qui a pris l'initiative de susciter cette réforme. cette introduction et qui a
anime les travaux du comitéde revision qui y est parvenu.
En septembre 1927, laCour permanente décidede compléterson Règlement
et elle prévoitd'ajoutera l'article71 un alinéa ainsiconçu :

« Lorsque l'avis est demandésur une question relative a un différend
actuellement néentre deux ou plusieurs Etats ou Membres de la Société
desNations. l'article31du Statut est applicable. En cas decontestation, la
Cour décide. »

C'étaitle point de départ, la première formule. Les raisons decette revision
nous sont facilesa connaître par les travaux et le rapport du comitéqui en fut
chargé. En premier lieu, la Cour s'est fondéesur le fait qu'elle possede une
certaine liberté sur la détermination de la procédure a suivre en matière
consultative ;c'est un point qui est relevéexpressement dans les travaux du
comité.En second lieu. la pratique consistant a assimiler progressivenient. sur
de nombreux points, la procédure consultative et la procédure contentieuse
avait donnéde bons resultats et, dans ces conditions. on se trouve, cn 1927.
porté&en tirer des conséquencesen étendantcette assimilation des deux types
de procédure a l'admission d'unjuge ad hoc. On rappelle dans ces travaux du
comité un fait que nous évoquions nous-mêmea l'instant. a savoir que le
prestige dont jouit la COUT

« est dans une large mesure dû a l'importance de son activitéconsultative
et a la façon judiciaire dont elle a réglécette activité.En réalitél,orsqu'en
fait ilse trouve desparties en présence,il n'ya qu'une difference purement
nominale entre les affaires contentieuses et les affaires consultatives.>)
(C.P.J.Isérie E no#. p.72.)

Le rapport du comitéaffirme égalementpar la mêmeoccasion le fondement
naturel de cette revisiona savoir le principe d'égalitdes parties:14 SAHARA OCCIDENTAL

<<La proposition tendant a assurer aux parties a un litige international
qui serait le sujet d'un avis consultatif: l'egalite en ce qui concertTela
représentation nationale au sein de laCour. est fondéesur des principes
incorporésdans le Statut et dans le texte actuel du Règlement ..La Cour.
dans l'exercice de ses pouvoirs. a délibérément etintentionnellement
assimilé la procédure consultative a la procédure contentieuse : et les
résultats obtenus ont abondamment justifie cette attitude... En réalité
lorsqu'en faitise trouve des partiesen présence.il n'ya qu'une différence
purement nominale entre les affaires contentieuses et les affaires
consultatives...De la sorte. l'opinion selon laquelle lesavis consultatifs
n'ont pas force obligatoire est plutot théorique que réelle. » (C.P.J.I.
sérieE no4. 1928. p. 71et 72. Les italiques sont de nous.)

On retrouve alors la même formuleque celle que je citais a l'instant.
Confirmant la position de 1927, la revision cette fois du Statutqui intervient
en 1929 donne l'occasion d'ajouter a ce dernier quatre articles relatifs a la
procédure consultative et notamment l'article 68 prévoyant que la Cour doit
s'inspirer dans l'exercicede ses attributions consultative«des dispositions du
présentStatutqui s'appliqueen matièrecontentieuse, dans la mesure ou elle les
reconnaitra applicables >).
Ainsi se trouvait effectuée la consécration de ce que la pratique
progressivement avait conduit la Cour a vouloir introduire formellement dans
lestextes la régissant etlorsque cette revision du Statut est entréeenvigueur en
1936la Cour a repris dans le merne souci les dispositions de son Règlementde
f927. non modifiéeslors de la revision de 1931et qui consacraient toujours la
possibilitéde désignationd'un jugead hoc dans la procédureconsultative. Et il
est nécessaire. je pense. d'avoir toujours présent a l'esprit cette évolution
historique car elle permet de comprendre les rapprochements au niveau du
juge ad hoc des procédures consultatives et contentieuses comme elle permet
de comprendre et de mettre à sa véritableplace cet avis célèbreet si souvent
cité,intervenu en 1923, sur leStatut de la Carélieorientale.

Si on assimile complètement les avis aux arréts,si l'on pousse jusqu'au bout
ce mouvement ne butons-nous pas sur I'avis sur le statu^de la Carélie
orientale dans lequel la Cour s'est déclarée incompéten? teC'est une inter-
prétation qui a eu parfois quelques auteurs pour la présenter. C'est oublier
seulement que I'avissur lestatut de la Carélieorientaleest de 1923. c'est-à-dire
qu'ilest intervenu bien avant le mouvement que je viens de retracer, bien avant
la revision des textes, qui sont intervenus en 1927, en 1929et suivis des textes
qui régissent laprésenteCour.
Dans son argumentation en l'avis consultatif de 1971 sur la Namibie. le
Gouvernement sud-africain avait cru pouvoir invoquer, precisement dans
l'esprit que je viens d'évoquer,l'affaire du Statut de la Carélieorientale et ce
gouvernement avait fait valoir que la Cour permanente avait refuse de se
prononcer sur la question poséeparce qu'elle concernait, disait le Gouver-
nement sud-africain, le point essentiel d'un différend actuellement né entre
deux Etats. Et nous devons reconnaitre que le Gouvernement espagnol cite
également cette affaire aux pages 201 (1) et suivantes de son exposé écrit a
propos du consentement des Etats à comparaitre devant la Cour.
Or, la décisionde la Cour permanente s'expliquenon seulement par la date a
laquelle elle est intervenue mais aussi par les circonstances spécifiques de
l'espèce.N'oublions pas qu'un Etat, l'Union soviétique.qui était directement
intéresséa cette affaire. ne faisait pas partie de la Sdes Nations, n'étaitpas
adhérentau Statut de laCour et que la Cour était essentiellementdominéepar EXPOSE ORALDE XI. DUPUY 15

lesouci de sauvegarder le caractèrecontradictoirede la procédureet ne voulait
pas intervenir même parle moyen d'un avis consultatif dans une affaire qui
intéressaitun Etat qui ne comparaissait pas devant elle. La Cour a manifesté a
cet égard desscrupules qui sont parfaitement compréhensibles si l'on se place
dans cet aspect très particulier de I'espece. M. le juge de Castro. dans son
opinion individuelle a propos de I'avis sur la Namibie, nous apporte des
explications lumineuses sur ce point. II nous rappelle qu'cda la date de I'avis
[23 juillet 19231,le Règlement de la Cour n'offrait pasaux Etats de garanties
suffisantes quand un avis était requis sur un differend néentre deux ou
plusieurs Etats )>(opinion individuelle dans I'avis consultatif de 197f sur la
Namibie, C.I.J. Recueil 1971. p. 171). 11nous rappelle que la revision du
Règlement introduite en 1927 a eu pour effet précisémentde transformer les
données du problème et il indique que les dispositions nouvelles rendent

périméle précédentconstitue par la Carélie orientale.Je demande à la Cour la
permission de citer ce passage :
« on peut considérercomnie périméela doctrine énoncéedans I'avissur le
Stut~ctc/elu Curclic orieiit(~I~en raison du libellédes articles 82 et 83 du
Réglernentde la Cour. La Cour doit rechercher sila demande d'avis a trait
ou non a une question juridique actuellement pendante entre deux ou
plusieursEhts (art. 82);elle doil k ,foireIIUIIporrr dc;clurer sori iricoi~r-
pc;ieiitr. tnuispfrr rwlir coi?ipledr cerc;/c;~IlS~lu procCCJI~rùesrril~rL>I
duris I'c~~~plicutio~i~regIc3ssfrrlesjtigrs ud lioc (art. 83).On ne peut donc
indiquer plus clairement que la Cour a compétenceen ce qui concerne

une demande d'avis ayant trait a une question actuellement pendante
entre Etats.)>(Opinion individuelle dans I'avisconsultatif de 1971 sur la
Nui?tibic~. .I.J.RLJCI~ 1L97~ /p. 172-173. Les italiques sont de nous.)

II est frappant d'ailleurs de constater que desjuges qui se sont séparéssur le
fond a proposde I'avis de 1971se retrouvent sur le point que nous évoquonset
M. lejuge Gros rappelle que :
<<dans chaque cas. se pose la question de savoii si l'onest en présenceou
non d'un véritable différend. Sinonl'article82 et l'artic83 du Rbglement

sontdépourvus desens,alors que leur but estd'assurer les Etats que. d un
avis est demande a propos d'une question juridique les opposant. ils
bénéficieront du droitde présenterleurs vues dans les mémesconditions
et avec les mêmes garanties que dans une procédure contentieuse,
notamment quant a la composition de la Cour. t(Opinion dissidente dans
l'avisconsultatif de 197 f sur laNulrrihi~'i.hidp. 329-330.)
Ainsi nous pouvons dire que la constatation d'un difîérendliéà l'ensemble

des problèmes qu'un avis donne a la Cour I'occasiond'examiner, et a fortiori la
présenced'une question juridique pendante qui relèved'une notion plus large
que ceHedu différendet qui reconnaît à la Cour du mémecoup des possibilités
d'appréciation plus vastes, n'entraine donc pas l'incompétencede la haute
juridiction mais le droita la désignationd'un jugeud Iioc. Dans ces conditions
on ne saurait s'étonner que ce précédentn'ait pas joué dans la suite de la
jurisprudence de la Cour un rôle inhibitif. On est frappé par la continuité
depuis 1927 de la présencedes principes.

Ces principes nous les trouvons d'abord largement appliquéspar la Cour
permanente de Justice internationale qui les utilise et qui accepte la désignation 16 SAHARA OCC~DENTAL

d'un juge (1(/Iioc dans I'avis de 1928 sur la COIII~~~~L d~eIICrib,ltriutde
Dur~rzig :dans I'avissur les «C»tiiiiitrrratrr;sgreco-htrlgur~sde 1930 (C.P.J.I.
sc;ricB rio 17) ;dans I'avis sur le Trafic'firroviaire erilrc./a Litl~~~orieil lu
Pologtiede 193 1(C. P.J./.sPricA /B 11"42. p. 108) ;dans I'avissur 1Acci.sel le
siutiot~ii~~riides IIUV~~CISd~ gtierrl>polor~ui~UIIS lepari de DurilzigIC.P.J.I.
.sc;rAl3 11~43p . .1281 ;dans I'avissur leTruitcnrerildes riatiutiuiixpoluiiuiscf
dl.\;uitrrey/~crsotiircïd'origirioit de. lu/igr~epoloi~uisedaris ILJrerrifoirrdcd
Duiirzig en 1932 (C.P.J.I. skie A/B lin 44, p. 4) ; dans I'avis enfin sur
I'/ti/erprL;rutidei Iuccord grc;cn-h~llgardetr 9dkce~irbre192 7 en 1932(C.P.J.I.

sc;ricAlB tir'45. p.68).
Cette large application explique le maintien de ces dispositions dans les
nouveaux textes qui régissent la Cour internationale de Justice. Encore
récemment. en 1972, Messieurs. vous avez décidéd'apporter une revision a
votre Règlement et nous n'avez pas cru devoir supprimer l'article 83 devenu
article 89. Vous n'aviezpas cru devoir l'utiliserdans I'avisde 1971 mais vous
avez bien marque. dans la revision que vous avez adoptéeen 1972, que cet
artide etait toujours maintenu dans votre Règlement et que vous vous
réserviezdonc la possibilitéde l'utiliser lorsque l'occasion s'en présenterait.
Permettez-nous de penser que l'occasion estla.
II faut remarquer que les textes actuels. s'ifssont difî6rents de ceux de la
Cour permanente, en fait et en droit ont les memes effets : c'est pour éviter
l'ambiguïtéde la distinction qui existait du temps de la Cour permanente entre

<<points de droit H et « différends o.distinction qui commandait a l'époque le
recours au juge ad hoc. que l'article 96 de la Charte des Nations Unies et
l'articl65 du Statut ont simplement retenu la notion de « question juridique H.
et si la Cour internationale de Justice n'a pas jusqu'ici eu a exercer les facultés
qu'elle tient de ces textes. c'est pour des raisons extrêmement simples.
évidentes.
Si nous nous reportons aux avis que vous avez eu l'occasion de donner,
Messieurs. depuis l'installation de cette Cour, ce sont des avis qui, tous. sauf
deux, concernent des problèmes de droit constitutionnel du système des
Nations Unies.
Ce sont des problèmes dans lesquels vous intervenez. certains auteurs l'ont

souligné,comme une sorte d'autoritéconstitutionnelle encore qu'il ne s'agisse
que d'avis certes. mais d'avis donnés a des organes du systeme des Nations
Unies qui sont tout disposésa y donner suite puisqu'ils vous les ont demandés
et qu'ilsconcernent les règlesde fonctionnement de ces organes ;bien sûr il y a
toujours des divergences de vue de la part des Etats comme vous l'avez
remarqué vous-mimes dans I'avissur la Namibie :s'il n'y en avait pas on ne
vous demanderait pas un avis, mais ce sont des divergences de vue sur
l'interprétation de la Charte ou du statut d'une institution, sans que de
véritablesdroits subjectifs des Etats soient engagés dans l'affaire. On conçoit
donc que ces Etats n'aient jamais éprouvéle besoin de demander de juge ad
hoc, c'est eux qui ne vous en ont pas demandé, ils ne vous ont pas posé la
question parce que précisementl'affairene lesconcernait pas, ce n'était pas des

« Etats concernés )>au sens où la résolution 3292(XXIX) qualifie les Etats qui
comparaissent devant vous aujourd'hui.
C'étaitdes affairesconstitutionnelles, saufdeux, vous disais-je. Un premier
avis, celui sur l'interprétation des traitesde paix. concernait des Etats. Mais
précisément. ces Etats, dans la circonstance, n'ont pas reconnu votre
compétence et n'ontdonc pas sollicitéla désignationd'unjuge ad hoc. Dans le
second avis. cette demande vous était adressée ; il s'agissait de I'avis sur la
Namibie et la vous avez considéréque les conditions prévues par I'article 83 ENPOS C RAL DE M. DUPUY
17

n'étaientpas réunies.laissant bien entendreque si elles l'avaientétévous auriez
accepte de faire désignerun juge ad hoc.
Des lors qu'une question juridique actuetfement pendante entre deux ou
plusieurs Etats apparaît, elle va donc entraîner l'application automatique de
l'article 31; c'est ce point que nous allons maintenant démontrer dans la
seconde partie de cet expose.

L'avisconsultatif demandépar la résolution 3292 (XXIX) entre directement
dans le cadre de l'article89 du Règlementde la Cour.
II s'agit. Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour. de
démontrer deux points : ils'agit de démontrer. d'une part. que la question
poséeà la Cour a un caractèrejuridique et répond ainsia une exigence qui est
commune a tous les avis et il s'agit. d'autre part, de démontrer que cette
question juridique est actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats.
condition spécifiquea l'article89.

La démonstration du premier point sera rapide. L'objetdes questions posées
à la Cour est évidemment juridique. L'article96 de la Charte dispose dans son
alinéa I : <L'Assembléegénérale oule Conseil de sécuritépeut demander a la

Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question
juridique ». et de mêmel'article 65 du Statut nous dit que la Cour <(peut
donner un avis consultatif sur toute question juridique H.
Charles De Visscher a éclairele sens des termes <(question juridique >>utilisés
par ces dispositions. L'ancienet éminentjuge a dit:

<il.s3ugi/dc /rili/qi~c,s/io.siiscc~/~/ihldce t-~ceiiri~cr.c;/~iiriscIj~iiI'
tiroir.Tenue. en principe. de remplir sa fonction consultative et par
conséquent de répondre a une telle question. la Cour s'abstiendrait de le
faire la ou la solution de la question poséedépendrait de considérations
étrangères au droit,en particulier de considérationspolitiques )>(Thiories
el réalitésen droit iriiernationapublic, Pedone. Parjs. 1970, p. 401. Les
italiques sont de nous.)

Or, les questions posées dans la présente requêtesont évidemment des
questions qui correspondent p;irfaiternent a cette définition.Dans son avis du
28 mai 1948 sur les Cotiditionsde l'admission d'un Etar cotnmeMeinbre des
Natiotis Unies. Io Cour a indiqué qu'elle pouvait donner un avis consultatif
<<sur toute question juridique abstraite ou non >>(C.I.J.Reciteil 1947-1948.
p. 61).

On peut remarquer également que dans l'avis consultatif demandé sur le
Sahara occidental. la recherche de l'entitéqui a originellement exercé la
souveraineté ou qui a eu des liensjuridiques avec le territoire en question doit
êtretraitéecomme une question de droit. parce qu'il ne s'agitpas seulement de
rechercher des faits mais d'apprécier laportée juridique de ces faits et de
donner une réponse qui ait un sens juridique. les liens juridiques évoques par
les questions qui nous sont poséesétantune question de droit.
La Cour a d'ailleurs parfaitement affirmé cette interprétation dans son avis
consultatifde 197 1 sur laNamibie en déclarant :18 SAHARA OCCIDENTAL

<Selon la Cour. ce n'est pasparce que la question poséemet en jeu des
faits qu'elle perd lecaractere de «question juridique ))au sens de I'ar-
ticle96 de laCharte. On ne saurait considérerque cette disposition oppose
les questions de droit aux points de fait. Pour êtrea même de sepronon-
cer sur des questions juridiques. un tribunal doit normalement avoir
connaissance des faits correspondants, les prendre en considérationet, le
cas échéant. statuera leur sujet.» (C.I.J.Recueil 1971, p. 27. par. 40.)

Voilà. Messieurs. ce que vous avez déclaré et.dans son exposé écrit. le
Gouvernement espagnol a soutenu. pages 188 (1) et suivantes. que les
questions soumises a la Cour n'étaient pasdes questions juridiques actuelles
mais des questions historiques et qu'elles avaient un caractere académique ;
nous reviendrons plus tard sur ces problèmes d'une façon beaucoup plus
développée,nous n'en retenons ici que ce qui nous intéressepour l'instant. Le
Royaume du Maroc ne peut pas accepter cette interprétation qui se heurte
d'ailleurs a deux catégoriesd'objections.
La première résultedu fait que les questions juridiques poséesa la Cour
exercent un effet actuel dans le processus de décolonisation et qu'elles
constituent un élément juridiqueimportant dans cet ensemble. La résolu-

tion 3292 (XXIX)déclarebien :
«Constatan!qu'une difficultéjuridique a surgi au cours des débatsau
sujet du statut dudit territoire au moment de sa colonisation par
l'Espagne,
Considérant. des lors, qu'il esthautement souhaitable que l'Assemblée
généraleobtienne. pour poursuivre l'examen de cette question lors de sa
trentième session. un avis consultatif sur certains aspects juridiques

importants du problème )).
L'Assembléegénérale reconnaît.elle ne pouvait le faire plus expficitement.
que ces questions juridiques conditionnent la poursuite du processus de
décolonisationqu'il luiappartient de régler.
Deuxiémeconsidération :c'estque leGouvernement espagnol invite laCour
ti remettre en cause le choix opérépar l'organe des Nations Unies qui a

demandé l'avis. Or cet organe a seul le pouvoir d'apprécierl'opportunité de
demander un avis. Le vrai problème est donc de savoir si l'avis demandé se
rapporte a une question juridique et B une question juridique actuellement
pendante. C'est le second point auquel nous arrivons maintenant.
D'une part, nous voudrions montrer que l'on ne saurait soutenir qu'il n'y a
pas de question au motif que le Gouvernement espagnol a toujours soutenu
qu'iln'avait pasde différendavec le Royaume du Maroc et, d'autre part. que la
nature et le contenu desquestions juridiques pendantes qui opposent l'Espagne
au Maroc, comme d'ailleurs a fa Mauritanie, sont des questions dont la
substance mérite unexamen particulier.
Tout &abord. nous voudrions insister sur la non-pertinence de I'argurnen-
tation concernant l'absence de differend qui est présentéepar l'exposé écridtu

Gouvernement espagnol et qui l'a s'ailleurs étéa la Quatrième Commission
comme a l'Assembléegénérale des Nations Unies a plusieurs reprises. Notons
tout de suite que la Cour a cet égardnous met à l'aise:elle a dit dansson arrèt
du 21 décembre 1962 :
« La simple affirmation ne suffit pas pour prouver l'existence d'un
différend. tout comme le simple fait que l'existence d'un différendest
contestéene prouve pas que ce differend n'existe pas. » (C.1.J.Recueil

1962. p. 328.) EXPOSE ORAL DE Xi.DUPUY 19

C'esttout de niêmedéjaune observation première al'ombre de laquelle. je
crois. nous pouvons poursuivre nos réflexions.II est donc nécessaire d'aller

plus avant dans la recherche de Iéxistenced'une question juridique pendante.
Rappelons qu'il n'y a pas de différencede substance fondamentale entre le
différendet la question juridique pendante. Les deux formules se retrouvent
sous la'plume de divers auteurs comme aussi ellesapparaissent indifféremment
sous la plume de plusieurs des membres de cette Cour lorsqu'ils ont été
amenés. a l'occasion de l'expression de leurs opinions, de traiter de ce rujet.
C'est que l'évolutionhistorique des textes qui conditionnent en cette rnatiere le
recours au juge ad hocest particulièrement nette a cet égard.
En effet l'article71du Règlement adopte en 1927 (et qui a étérepris dans le
Règlementde 1936)prévoyait qu'unjuge ad hoc pouvait étrenommélorsque
l'avisétaitdemandé sur une question relative a un différendactuellement né

entre deux ou plusieurs Etats ou Membres de la Société des Nations.
IIétaitdonc. a l'époque. nécessaireque l'avisfit demande sur une question
juridique relative à un différend actuellement né. Et ceci avait pour effet
d'établirune distinction entre, d'une part, des avis portant sur des différends.
pour lesquels lejugead lioc étaitadmis. etceux qui portaient simplement sur ce
que l'article 14du Pacte de la SociétdesNations appelait un point de droiD.
Cette distinction a étémalaiséeiétablir.Et c'estprécisémentpour éviterles
difficultésqui naissaient de ces ambiguïtés que l'article 96 de la Charte a
supprimécette distinction et que le Statut de la Cour internationalede Justice.
dans son article 65. utilise simplement la notion de question juridique pour
définirla compétenceconsultative de la Cour.

Nombreux sont les auteurs. comme M. Rosenne notamment (TlicLLIMu ~ird
Prric/ir.c I!IIIC IIIIC~~~IU/I~~CIOI~I~I,1965. vol. II. p. 731) ou comme
hl. Pomerance (<<The Admission of Judges Ad Hoc in Advisory Proceedings :
Some Reflections in the Light of the Nuiriihil~Case D.AIII~~~CUJIOI II~IIIf
InrernatioiialLaw. juillet 1973. vol. 67. p. 451) qui considèrent que I'ar-
ticle83. devenu 89. est plus large que les dispositions symétriquesde 1936 ou
l'article31du Statut mentionnait un différendactuellement né o.
La notion de question juridique actuellement pendante n'est pasplus étroite,
en tout cas, c'estl'avisgénéralde la doctrine. que celle de differend au sens du
texte de la Cour permanente. II nous semble meme que la notion de question

juridique pendante est sensiblement plus large, comme nous l'avons déja
marqué, que celle de différend qu'elleenglobe et qu'elle donne à la Cour. du
mêmecoup. plus d'aisance en lui offrant une marge d'appréciationplus large.
Des lors. il devait suffire au Règlement de la Cour de qualifier cette question
juridique et c'est ce qu'il a fait dans I'article 89 en lui assignant un double
caractère :celui dëtre une question juridique actuellement pendante entre deux
ou plusieurs Etats. Et la notion. la souplesse.laflexibilitéde cette notion de
question juridique actuellement pendante est ainsi incontestablement un
progrès par rapport à ce qui existait jusque-làY a-t-il une question juridique
actuellement pendante inséréedans le problème qui vous est aujourd'hui
soumis ?

Nous avons marqué que selon la Cour la notion de différendest une notion
objective qui ne relèvepas des assertions des parties, mais de l'examen etde la
décisionde la Cour elle-méme. <(Un désaccordsur un point de droit ou de fait.
une contradiction. une opposition de thèsesjuridiques ou d'intérêtesntre deux
personnes )(C.P.J.1.sérieA no2, p. II). telte est la définitionclassique que la
Cour permanente a donnée pour le différenddans l'affaire des Ciincessions
Mavrommatis en Palestine.
Mais la Cour internationale de Justice, dans son arrêtsur le Cameroun20 SAHARA OCCIDENTAL

septenlrional.a eu l'occasionde rappeler qu'« un litige réelimplique un conflit

d'intérêtsjuridiques entre les partie>>(C.1.J.Recueil 1963. p.34) ; la notion de
differend absorbée parcelle de question juridique pendante. sensiblement plus
étendue.révèledonc une permanence dans lesvues de iaCour sur cette notion
de litige.
Or tel est bien lecas en l'espèceou nous trouvons les divers caractères que la
haute juridiction internationale a jusqu'ici dégages pour reconnaître la
présenced'un différend.

L'audience,suspendue à 11 h 20. est repriseà 12h 05

Monsieur le Président.Messieurs les membres de la Cour, je reprends sur
votre invitation les explications que j'avais l'honneur de développerdevant la
Cour et qui concernaient les caractéresde la question juridique actuellement

pendanteentre les Etatsconcernés par l'avisqui vous est demandé.J'examinais
ces caractères en partant d'abord. je le rappelle. de la notion objective de
difîerends et du mêmecoup de la notion objective de questions juridiques
pendantes. « L'existence d'un différend, a déclaré la Cour en 1963. doit être
établieobjectivement >)et le fait. donc, de nier l'existencede ce différend.nous
l'avons vu, n'est en soi opposable ni a la Cour ni aux autres Etats intéressés.
Tout au contraire. ila~parait~que.dans l'affaireque nous examinons les uns et
les autres. l'opposition de thèses et d'intérêtjsuridiques est kvidente. Nous
constatons que le Gouvernement espagnol est conduit a déplacerdans son
raisonnement le débatqui est soumis àLaCour par la résolution3292(XXIX).
Dkja, le représentant de l'Espagne devant l'Assembléegénérale des Nations
Unies. anticipant sur l'argumentation qui alfait êtrereprise dans l'exposé écrit

du Gouvernement espagnol. déclarait :
<(l'Espagne n'aaucun différend oucontroverse avec quelque pays que ce
soit en particulier. car tous les Etats Membres de l'organisation sont
places sur le même plan lorsqu'il s'agit de résolutions relatives a
l'autodétermination en tant que moyen approprie de mener a bien la
décolonisationde ce territoire )).

Cette argumentation constitue en fait une double tentative. une tentative qui
tend a masquer la spécificitédu problème du Sahara occidental dans les
rapports hispano-marocains. au prétexteque ce problème est examinépar un
organe international. par un organe multilatéral. l'Assembléegenérale des
Nations Unies. et cette argumentation montre aussi la volonté du Gouver-

nement espagnol de déplacerle probleme et de l'examiner sur un plan autre
que celui impliquépar la résolution3292 (XXIX)sur ses donnéestemporelles
et substantielles.
C'est sur ces divergences. sur cette opposition de thèses juridiques que je
voudrais m'arrêter. très brièvement d'ailleurs, sans l'aborder sur le fond.
uniquement pour montrer l'existenced'une question juridique pendante entre
les pays concernes.
Reprenons ces deux séries d'observations.
Tout d'abord en ce qui concerne le cadre dans lequel l'opposition d'intérêts
juridiques constitueen fait un differend. il ne faitpas de doute en jurisprudence
que la manifestation de cette opposition est susceptible d'apparaitre au sein
d'un organe multilatéral aussi bien que dans des négociationsbilatérales etla
Cour, a l'occasion de son arret sur le Carnerouf1 sepreritrioiral, a.cet égard.

donne son point de vue de façon formelle. Au cours de féxamen des données
du probleme qui lui était posé.la Cour a constaté que des thèses opposées EXPOSÉ ORAL DE hi. DUPL'Y 21

avaient étésoutenues de part et d'autre au sein des Nations Unies, notamment
a la Quatrième commission de l'Assembléegénéraleet au cours des débatsde
celle-ci. Elle en a tiré la conclusion qu'il existait un differend entre la

République duCameroun et le Royaume-Uni.
Tel est bien le cas ic:aux afirmations du Maroc. de ses droits historiques
sur le Sahara occidental, les représentants espagnols ont toujours opposé un
ensemble de dénégations allant jusqu'à un relits de négocier avec le
Gouvernement de Rabat. en dbpit des résolutionsde l'Assembléegeiiéralequi
les y invitaient.
De surcroît. la spécificidu problèmeposéentre l'Espagne, le Royaume du
Maroc et la République islamiquede Mauritanie est amplement démontréepar
le fait que nombreuses sont les résolutionsqui désignentexpressémentet tres
nettement ces trois Etats comme des Etats concernéset c'estnotamment le cas
des resolutions de l'Assembléegénérare2354 (XSIIX 2428 (SXIII), 2711
(XXV). 2983 (XXVlI). 3162(XXVIII), 3292 (XXlX).
La spécificitdes intérêtsde ces Etats est fortement marquéepar la dernière
résolution. la résolution 3292 (XXIX). qui sollicite précisémentl'avis de la
Cour et tout spécialementconcentre la seconde desquestions qu'ellevous pose

sur l'examen des liens juridiques du Royaume du Maroc et de I'ensemble
mauritanien avec le Sahara occidental. Le paragraphe second du dispositif dela
mêmerésolution demande aux trois Etats. <<en tant que parties concernées i)
(1.p. 7). de présenter la Cour tous renseignements ou documents pouvant
l'éclairer.
Le Gouvernement espagnol ne saurait. pour refuser a ce problème ce
caractère de questions juridiques pendantes. soutenir que celui-ci intéresse
l'ensemble de la communauté internationale sans distinction. Toute question
qui se trouve débattuedevant l'Assembléegénérale desNations Unies intéresse
par définition toute la communauté internationale. c'estévident.déslors que
toute cette communauté est intéressée non seulementau maintien de la paix et
de la sécurité.mais également a celui de la coopération pacifique et des
relations amicales entre les Etats. IIy a un intérêténéral. global.bien siir, de
I'ensemble de la communauté internationale, mais, comme vous l'avez tres

bien marqué vous-mêmes.il y a aussi un intéréisplcifique qui suscite des
oppositions qui apparaissent au sein de l'organe multilatéral.Il n'en demeure
pas moins en effet que certains Etats peuvent êtrea raison de tel ou tel facteur
plus concernés.plus intéressésà l'heureuse solution du problème que d'autres.
parce qu'ils sont précisément individuellementtouchés, parce qu'entre eux se
manifestent des oppositions d'iiitérêtest de droits qui, selon lajurisprudence de
la Cour internationale de Justice. constituent précisémentun différend.Et le
fait. dans ces conditions. pour un différeridd'apparaître dans une organisation
internationale ne permet pas de conclure a sa dilution dans l'intérêg ténéral
comme s'ily étaitabsorbédans un ensemble qui ait pour effet de le dissoudre.
Au surplus. le différendentre le Royaume du Maroc et l'Espagneest apparu
depuis longtemps a l'Assembléegénérale desNations Unies, mais il n'y a pas
pris naissance. tl a toujours existéei remonte it ce fameux moment de la
colonisation : c'est la raison pour laquelle d'ailleurs on n'est pas surpris de

constater que lorsque le Maroc retrouve son indépendance. lorsqu'il la
recupere. le roi Mohammed V affirme les droits que son Royaume possèdeau
territoire concerné.Or à ces appels le Gouvernement espagnol, qui a accepte
d'y faire droit pour certains territoires commIfniou Tarfaya. a refusépour ce
qui concerne le territoire qui commence a l'oued Draa. Donc le différend est
évidemment né j.l'extérieurde l'organisation des Nations Unies.
Or a l'Assembléegénéralece différend a trouvé une expression dans un22 SAHARA OCCIDENTAL

cadre international, les Nations Unies s'efforçant d'yapporter une solution. Et
c'est dans la recherche de cette solution que 1'Assembleegénérale,organe
politique, a constaté qu'il y avait des questions juridiques pour lesquelles elle
avait besoin des lumièresde laCour. Elle dit elle-mêmedans la résolution3292
(XXIX) qu'elle a constaté <<qu'une difficultéjuridique a surgi au cours des

débatsau sujet du statut dudit territoire au moment de sa colonisation par
I'Espagne ».
Vous me permettrez de poser une question - que je pose d'ailleurs moins à
la Cour qu'a moi-même :peut-on définirune difficultéautrement qu'en disant
une difficulté, c'estce qui fait question » ? Et en l'espècec'est ce qui
précisémentfait une question juridique actuellement pendante. En réalité.en
effet, le différendque j'examine n'est pas dans son entier soumis a la Cour. II
s'en faut de beaucoup. C'est un différend a double dimension. 11y a un
différendglobal, général, qui concerneles modalitésde la décolonisation du
territoire du Sahara occidental et ce différend est confié a l'examen de
l'Assembléegénkraledes Nations Unies. C'esten vain qu'on tenterait de vous
inviter 1 le réglervous-mêmes.Mais à l'intérieurde ce différend. il est un
différend particulierqui concerne le statut juridique du territoire au moment de
la colonisation espagnole. les liensjuridiques- pour reprendre l'expressionde

la résolution3292 (XXIX) - qui existaient ace moment entre ce territoire et
les Etats concernes : or c'est ce dernier qui constitue la question juridique
pendante pour laquelle l'Assembléegénérale,interrompant elle-mêmela
poursuite de I'examen immédiat de la question globale. vous saisit. afin de
pouvoir le poursuivre lorsque vous aurez donné votre avis sur la question
particuliere. Cette dernière question résulte précisémentde l'opposition des
thèses et des intérêts juridiquesentre les Etats concernés. opposition qui
constitue précisémentun problèmeparticulier, un différendque, ne l'oublions
pas, le Maroc souhaitait porter devant la Cour au contentieux - qu'iln'a pas
pu porter au contentieux - et dont la Cour nést saisie que pour avis.
cependant que le règlementde l'ensemblede la question de la décolonisation du
Sahara appartient toujours a l'Assembléegénérale.Ainsi i l'occasion de
I'examen par la dernière session de l'Assemblée,par I'organepolitique. il reste
tout de mêmeun point particulier qui constitue bien un différendprécis.une
question juridique pendante dans un domaine très particulier. mais essentiel

pour la suite de l'examen utilede la question globale par l'Assembléegénérale
qui aura donc des conséquencesimportantes. A cet égard.je me permettrai de
citer la résolution déclarant:
<(qu'il esthautement souhaitable que l'Assembléegénérale obtienne.pour
poursuivre I'examende cette question lors de satrentième session. un avis
consultatif sur certains aspectsjuridiques importants du problème v.

Or cela n'est pas nouveau : il ya longtemps que dkja la Cour permanente de
Justice internationale, par la forcedes choses, été confrontée a des problèmes
du genre de celui qui vous concerne aujourd'hui.

Dans son cours a l'Académiede droit international de La Haye, en 1929.
Charles De Visscher avait déjà montré la mêmerépartition des rôles entre
I'organe judiciaire international et l'organe politique qui alors, dans l'affaire
qu'il examinait. était le Conseil de la Sociétédes Nations. L'illuste maître
déclarait:

« En un mot, il y a. dans les limites des questions posées a la Cour,
certains critères juridiques dont le Conseil. l'avis rendu, ne peut plus
s'écarter;a cet égard.le terrain est définitivementcouvert ou occupépar EXPOSE ORAL DE 51.DUPUY 23

l'avis;mais. en dehors de ces limites. le Conseil conserve toute sa liberté
d'action pour assurer le règlement du diflërend par les procédésqui lui
paraissent les mieux appropriés aux circonstances de l'espèce. )Necueil
(/cccol~ilOr,i'Arud~;irlide rli'oiiit~~cw~uiioiiu.29. t.26. p. 26.)

Ce texte semble admirablement s'appliquer au problème que nous avons
l'honneur de vous soumettre aujourd'hui.
On mesure des lors combieii l'expose écritdu Gouvernement espagnol est
peu fondé jsoutenir l'absence de différendau motif que l'affairea Ctéportée
devant l'Assembléegénéraledes Nations Unies et intéresse de ce chef la
communauté internationale. Tout d'abord, cet expose écrit nous parait
particulièrement mal fonde a faire référence a l'affaire du C'ameroun
septeri~riorialpour extraire de la sentence de la Cour en cette affaire
l'observation suivante:

<<un tribunal n'a pas simplement pour fonction de fournir une base
d'action politique alors qu'aucune question juridique concernant des
droits effectifs n'est en j)>(1,exposéécrit duGouvernement espagnol.
p. 74).

Dans l'affaire du Catnerourisep~entrioiial.en effet. on se trouve dans une
hypothèse tout a fait dissemblable. D'une part, il s'agissait d'une amaire
contentieuse : c'estdéjàune difîérenceessentielle. Ici, nous n'avons affaire qu'a
une demande d'avis consultatif qui se situe dans un ensemble processuel
complexe qui doit aboutir a une décision politique - une décision de
l'Assembléegénérale.
Tout au contraire. dans lecas du Cameroiiirsepteritriorial.il étaitdemande a

la Cour de revenir sur un différendqui avait étédéjàtranche par l'Assemblée
generale - un differend que I'Assembleegénéraleavait déjàrégléL . a Cour s'y
est a juste titre refusée, parceque précisémentle differend n'existait i)lus.
Mais, en revanche. lorsque. comme dans le cas présent.le differend n'a pas
encore été résolupar l'organe politique des Nations Unies, lorsque l'opposition
des thésesjuridiques des parties n'a donc pas été éliminéiel,est normal que
cette opposition - que telle opposition particulière de théses et d'intéréts
juridiques - soitsoumise a la Cour et que l'Assembléegénéralereste chargée
de l'ensemble du règlement définit if'elkeélaborera en tenant compte des
réponses données par la Cour aux questions juridiques particulieres
actuellement pendantes entre les Etats concernés.
Ainsi. on ne saurait suivre LeGouvernement espagnol lorsqu'il déplacele
probleme en insistant sur le filit qu'il n'a aucun différend avec le Maroc, au
motif que celui-ci est dans la même'situation que les autres Membres des

Nations Unies. Cette argumentation s'évadedu probleme poséa la Cour,
probleme qui est précisémentla substance même de la question juridique
pendante qui oppose ces Etsits.
En ekt. les questions posées a la Cour se posent depuis le début de la
colonisation espagnole et depuis ont toujours reçu des réponses contradic-
toires. Dans ces conditions. c'est a tort que l'expose écritdu Gouvernement
espagnol semble vouloir détourner la Cour de l'examen de ce differend sur
lequel portent directement les questions qui lui sont posées. Cetexpose écrit
s'efforce de poser devant la Cour des problemes autres que cette question
juridique pendante, des problèmes politiques concernant les modalitésde la
décolonisation. problémesqui sont du ressort de l'Assembléegénéraleet
problemes que celle-cin'aévidemmentpas confies a l'examen de la Cour. Nous
n'abordons cette question. que nous reprendrons plus tard (dans les débatsau24 SAHARA OCCIDENTAL

fond), que pour concentrer Iattention de la Cour sur la notion de question
juridique pendante et sur l'existencede celle-ci.
Ainsi. ayant épuré le débat des éléments arlificiels qui tendaient à le
déformeret iile déplacerdu plan sur lequel la résolution3292 (XXIX) l'asitué,
il convient de rechercher maintenant la substance des questions juridiques
actuellement pendantes entre l'Espagne et le Royaume du Maroc.

Nature et contenu des questions :voila le problème que nous voudrions

maintenant approcher.
Nous ne l'approchons pas au fond. mais -a mesure ou nous
devons y toucher. toujours dans la mêmeperspective. Or. nous voudrions tirer
au clair les caractères de cette question.
En premier lieu. nous attirons l'attention de la Cour sur le fait que se trouve
satisfaite une prerniérecondition dégagéenotamment par hl. hlorelli (C.I.J.
Rorii~il1962, p. 566 et 569)ou par sir Gerald Fitzmaurice (C.I.JRccricil196.3,
p. 109) a l'occasion de l'affaire du Canierourrseptetttriotial.a savoir que le
différend doit avoir existe avant le date de la requête la Cour, qu'il s'agisse
d'une requête aucontentieux ou d'une requêtepour avis.
Sans anticiper sur les débatssur le fond. on peut rappeler que le Maroc s'est
toujours heurté iun refus de l'Espagnede lui reconnaitre ses droitssouverains

sur des zones au Sahara occidental. L'oppositiondes thèsesjuridiques est donc
manifeste. Or. dans son arrêtsur Certairisititerètsallernutidset1Hallte-Silésie
polotiaise. la Cour permanente de Justice internationaleavait déjàobservé :

<<une divergence d'opinion se manifeste des qu'un des gouvernements en
causeconstate que l'attitudeobservée parl'autre est contraire a la manière
de voir du premier >)(C'.P.,/./s.érieA 11'6,p. 14).

D'autre part. lesdébatsaux Nations Unies. comme lesexposesécrits déposés
a l'occasionde cette demande d'avispar l'Espagne. le h*larocet la Mauritanie.

apportent la preuve évidentede la persistance et du maintien de l'opposition
des thèsesjuridiques.
On ne saurait contester lecaractère juridique de ces thèsesopposées.puis-
qu'ellesconcernent la notion de tci~-u.ii~illii011La notioride lien juridique.
Certes les réponses i ces questions appellent l'examen de faits. Mais ces faits
eux-mèmes sont des faitsjuridiques. Ce sont des faits juridiques parce qu'ils
supposent ta mise en lumière de l'existence ou de l'inexistence d'actes
juridiques, tels que par exemple des actes de souveraineté ou des actes
internationaux. des traités.des conventions.
Enfin on ne saurait davantage contester Lecaractère actuel du dillérendou
des questions juridiques pendantes au motif qu'elles concernent un lointain
passe :parce que ces questions se posent a I'heureactuelle. qu'ellesmettent en
cause des intérêts juridiques présents des deux pays, encore même qu'elles
portent sur des faits qui se sont passes dans le passé.En premier lieu. en effet.

tout problèmeterritorial. toutce qui touche au territoire. puise ses racines dans
l'histoire.
Et lorsque la Cour débattait des Minquiers et des Ecréhous. elle a eu a
manier des faits et des actesjuridiques qui remontaient au Moyen Age sans que
personne n'aitjamais eu l'idéede lui représenterque dèslors qu'ellese livrait a
ces investigations dans le passéla question n'étaitpas actuelle. Un dimerend territorialrésulte couramment des interprétations divergentes de faits
juridiques passés et celaest facile a comprendre.
Ce qui fait l'actualitéde ce difrerend. c'est que ces faits juridiques passes

constituent des titres pour beaucoup d'entre eux. des titres de souveraineté
ayant des applications présentes ou susceptibles d'entraîner des implications
présentes.
Au surplus. c'est au moment ou le différend est soumis a une instance
internationale que l'on procèdea l'examen de ces titres et. en l'espèceprésente,
c'est biena un tel examen que l'Assembléegénérale a convié la Cour.
En second lieu. on ne saurait considérer, comme l'exposé écrit du
Gouvernement espagnol lesoutient, que cesquestions présentées àla Cour ont
un caractèreacadémique.Nous avons vu ceprobleme sous un autre angle que
celui que nous abordons maintenant.
Les intérêtjsuridiques des Etats en présencene sont pas contestables. On ne
saurait soutenir d'abord que le Gouvernement espagnol n'aaucun intérêd tans
cetteaffaire. du fait qu'il s'est décaddécoloniserle Sahara. Notons que s'il
n'attachait vraiment aucun intèrët aux questions poséesa la Cour. questions
auxquelles il n'a cesséd'apporter quant a lui des réponsescontraires àcellesdu
,Marocet de la Mauritanie, son attitude demeurerait incompréhensibleet pour
le coup cette attitude pourrait être taxée d'académisme.On ne comprendrait
pas non plus davantage la ténacitéqu'il met dans cette affaire. notamment à
combattre la demande que nous adressons de désigner un juge ad hoc. Si
vraiment il n'avait aucun intérétdans laflaire. pourquoi plaider contre nous,
lorsque nous demandons un juge ad hoc ? Le seul fait qu'il croit devoir
combattre cette demande est l'aveu mème de l'intérêt qu'iyl attache et de
l'opposition des thèses et des intérêtsjuridiques quiapparait ici. En vérité,le
Gouvernement espagnol n'ignore pas que lesquestions adressées a la Cour ont
pour objet d'éclairer l'Assemblée générald eans l'examen d'un problème

complexe qui doit aboutir a la décolonisationauthentique du territoire, mais
qui passe par l'examen de certaines questions juridiques pendantes soumises à
la Cour, questions dont les reponses qui leur seront donnéesconditionneront
ultérieurement. ou pourront affecter. les thèsesdes gouvernements en cause et
aboutir a des solutions au niveau de l'Assembléegénérale.
C'estainsi que laCour apportera une contributionjuridique par l'avisqu'elle
donnera en précisant le contenu de la notion d'«Etat concerné M. notion
utiliséepar la résolution qui l'a saisie. Ainsique l'a remarque l'Assemblée
générale. cette analyseest spécialementprécieusepour la continuation de son
Œuvre et. au surplus, nous nous trouvons en présence d'une questionqui
concerne l'exacte missionde la Cour.
Certes, le Gouvernement marocain sait parfaitement. il l'a dit dans son
mémoireécritet il tient a le rappeler ici. qu'il n'est pasdemandéa la Cour de
définirelle-mêmele statut futur du Sahara occidental. II sait qu'il n'a pas a
attendre davantage de la Cour saisie au plan consultatif quélle opère une
délimitation de souverainetés que 1'Assembléegénéralene lui a d'ailleurs
jamais demandéd'effectuer.
Mais. pour autant, nul ne saurait considérer que les reponses de fa Cour
n'auront aucune implication sur la portée desthèsesjuridiques qui s'opposent
depuis si longtemps entre les pays concernés et qui expriment des oppositions
d'intérêts juridiques. our le Maroc. ces interétssont fondamentaux, puisqu'ils
mettent en cause le principe de l'unité et de l'intégrerritoriales.
L'Assembléegenéraleétaitd'ailleurs tout a fait consciente de l'importance
des intérêtsen cause et on ne saurait donc prétendre que la formulation des
questions posées a la Cour revêtun simple intérêtacadémique. Tout au26 SAHARA OCCIDENTAL

contraire. la rédaction des questions présente un intérêtque Charles De

Visscher. dans son cours a 1'Acamédieprécédemment cité, avait déjà
admirablement vu lorsqu'il écrivait :
<(L'élaboration desquestions est toujours le résultat d'échangesde
vues approfondis qui ont dépouillél'affaire de ses aspects secondaires
pour mettre en relief quelques points vraiment essentiels. Derrière
l'accumulation des faits,les aspectsjuridiques du différendse dessinent et
prennent corps ;de proche en proche, la discussion s'élèvea quelques
idéesmaîtresses. a celles qui, dans l'ordre juridique. semblent devoir

commander la solution du litige. C'esta ce moment que devant leConseil
l'onprend la plumepour condenser la substancejuridique du différenden
une ou plusieurs questions qui seront portées devant la Cour. En fait
donc. la Cour n'est pasconsultéesur des questions d'intérêstecondaire :
qu'elles soient d'ordre préjudicielou qu'elles visent le fond du différend,
les questions qui lui sont soumises présenteront une imponance capitale
pour le règlement final du diffkrend. »&ecueil des cours de l'Academie de
droit in~ernarional.t929. t. 26. p.28.)

Si nous considérons l'avis demandé sur le Sahara occidental. nous
constatons que les intérêtsdes Etats sont mis en cause dans un domaine qui
constitue la substance même del'Etat, dans le domaine territorial. S'ilest bien
une question qui présente les caractères d'une question juridique pendante
entre des Etats au sens de l'article 89 du Règlement de la Cour, c'est
incontestablement la question présentéeen l'affaire présente. Et l'existence en
l'espècede cette <(question juridique actuellement pendante entre deux ou
plusieurs Etats » - pour reprendre les termes mêmes del'article 89 - nous
permet pour terminer l'exposéque nous avons l'honneur de présenter a la
Cour de montrer les différencesfondamentales qui séparentleproblèmequi est
soumis aujourd'hui a votre haute juridiction de celui qu'elle aexaminédans

l'avissur la Namibie. Tel est le dernier point que nous voudrions maintenant
examiner.

L'avis demandé sur le Sahara occidental conformément aux exigences de
l'article89 du Règlementest fondamentalement dissemblable de l'avisde 1971
sur laNamibie.Nous nous rappelons que, dans ce dernier avis, laCour a refusé
au Gouvernement sud-africain la possibilitéde designer un jugead hoc et elle a
estiméque dans l'affaire on ne retrouvait pas les conditions énoncées par
l'article83, devenu, depuis 1972, I'article89 du Règlement.
Le Royaume du Maroc. pour sa part. tient a montrer ces différences
fondamentales et, de ce fait, en accordant au Maroc la possibilitéde désigner
un juge ad hoc, la Cour ne se déjugera pas, elle ne fera qu'appliquer les
dispositions de I'article 89 dans une espke où les conditions établies par ce
texte sont réunies.

Un certain nombre de points peuvent êtrerelevés a cet égardpour montrer
ces dissemblances fondamentales entre les deux espèces.
En premier lieu, dans l'avisconsultatif surlaNamibie la Cour n'a pas estimé
que la requête du Conseilde sécurité avait traità une question juridique
actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats et elle a déclarépour
éclairer cette affirmation:
L'objetde la requéten'est pas de faire en sorte que la Cour assiste le
Conseil de sécuritédans l'exercicede ses fonctions relatives au règlement EXPOSE ORAL DE hi. DUPUY 27

pacifique d'un differendentre deux ou plusieurs Etatsdont ilserait saisi. II
s'agitd'une requéte présentép ear un organe des Nations Unies. à propos
de ses propres décisions.en vue d'obtenir de la Cour un avisjuridique sur
les conséquenceset les incidences de ces décisions>)(C.I.JRecueil 1971 .
p. 24, par. 32.)

Léxamen de la résolution 3292 (XXIX) démontre aucontraire que l'objetde
la requête présentedemandant un avis consultatif sur le Sahara occidental ne
porte nullement sur une décisionde l'Assembléegénérale.En déclarantdans
son avant-dernier considérant
«qu'il est hautement souhaitable que l'Assembléegenérale obtienne.
pour poursuivre l'examen de cette question lors de sa trentième session,

un avis consultatif sur certains aspects juridiques importants du
problème >(1,p. 61,
l'Assembléegénérale aparfaitement marque que sa requête avaitpour objet de

résoudreune question d'ordre juridique dont l'existenceernpéchaitla poursuite
de ce débat et, au-delà de ce débat, du processus de décolonisation. Toute
question de ce genre constitueun diîferend soulevant desoppositions de thèses
entre un certain nombre d'Etats. Ainsi, la base de l'avis se situe dans un
conlexte, au sein des Nations Unies, absolument différent.
En second lieu. la Cour a considéré,dans son avis consultatif de 191. que
l'opposition des vues de l'Afriquedu Sud et des Nations Unies sur lesquestions
juridiques faisant I'objet dela requètene sullisait pastransformer l'affaireen
un differend au sens ou nous l'avons exposétout a l'heure. Ellea constatéque
«presque toutes les procédures consultatives ont étémarquées par des
divergences de vues entre Etats sur des points de droit »(C.I.J.Recueil 1971.
p. 24. par. 34)et il est bien évidentque cela se produit toujours ainsi.
Au contraire, dans l'avis consultatif sur le Sahara occidental. nous nous
trouvons dans un domaine tout a fait différent.tout d'abord parce qu'il nay
pas opposition de vues entre un Etat et l'organisation des Nations Unies,
comme c'étaitle cas dans l'affaire de la Namibie :mais il y a une question
juridique pendante. nous pensons l'avoir prouve, entre des Etats concernés,
entre l'Espagne. le Maroc et la Mauritanie, ce qui correspond précisémentaux

conditions énoncéespar l'article89 du Règlementen ce qui concerne lesentités
susceptibles d'êtrepartiesa une question juridique actuellement pendante.
D'autre part, ici. il ne s'agit pas de simples divergences d'opinions. comme
nous l'avons déji marqué. la spécificité des intérêts desEtats concernés, des
parties concernées,comme les qualifie la résolution, a été bien soulignéepar
elle. Entre le Maroc, l'Espagne et la Mauritanie, il ne s'estpas seulement élevé
une simple divergence sur quelques points de droit mais un differend opposant
les intérêtsles plus profonds des Etats puisqu'ils touchent aux éléments
fondamentaux des liens juridiques qui peuvent atteindre la souverainetéet le
territoire.
D'autre part. lesquestions poséesiciconstituent la substance même dulitige.
Dans l'affaire de laNamibie .a Cour a relevé qu'ellepouvait être amenée a
examiner des divergences. occasionnellement, a la faveur de sa méditation
scientifique et juridique sur les données d'un avis consultatif qui lui est
demandé.Cela est évident.
Mais, en l'affaire duSahara occidenral, les questions juridiques poséesa la
Cour constituent la substance mêmedu différendque nous avons évoqueet
qui est au cŒur de ce problème. Elles ne sont pas occasionnelles. Ce n'estpas
une eventuaUte a imaginer que la Cour va avoir a se demander si le Sahara28 SAHARA OCCIDENTAL

occidental étaitune ferra nulliuset s'ily avait des liensjuridiques ou non entre
ce territoire, le Royaume du Maroc et l'ensemblemauritanien au moment de la
colonisation espagnole. Ce n'est pasoccasionnellement qu'elleaura a s'occuper
de cette question, c'est la question qui. en deux plans, lui est poséepar la
résolution.Nous nous trouvonsdoncdans une situation trèsdifférentede celle
que. dans I'avis sur la Nu~ilihir.la Cour avait examinée ; ce n'est pas une
possibilité.ce n'estpas une éventualité,c'estla matièremêmedela question qui
lui est posée,la question juridique actuellement pendante.
En troisième lieu. on ne saurait soutenir, pour refuser la désignationd'un
juge ad hoc que. comme dans I'avis sur la Namibie, la Cour collabore au
fonctionnement des Nations Unies. Que la Cour collabore au fonctionnement
des Nations Unies, c'est tout a fait évident. La Cour collabore toujours au
fonctionnement des Nations Unies. elle est l'organe judiciaire des Nations

Unies. mais ce n'estpas cette.observation qui, a elle seule, peut intervenir avec
quelque pertinence dans le problème de la désignation d'unjuge ad hoc.
Tous les avis consultatifs de la Cour I'amenenia collaborer avec les Nations
Unies, ce qui est conforme a la definition énoncéea I'article I de son Statut qui
l'institue organe judiciaire principal de l'organisation». Cette collaboration.
inhérente a la fonction même dela Cour, ne peut donc pas apriori écarter.par
elle-même,la possibilitéd'une désignation de juge ad hoc. s'il se trouve une
question juridique pendante actuellement entre deux ou plusieurs Etats. Sinon,
en prenant le raisonnement contraire, l'article 89 serait dépourvu de toute
possibilité d'application. Si donc, dans sa tâche de collaboration avec les
Nations Unies. laCour est appelée a donner un avis sur une question juridique
pendante entre Etats, il y a liei application de l'article31.
En quatrième lieu. dans I'avis consultatif de 1971.. la Cour a constaté
l'opposition des vues entre, d'une part, l'Afrique du Sud et, d'autre part, les

Nations Unies et elle en a conclu qu'elle ne pouvait pas reconnaitre
l'application de l'article 83 du Reglement'd'alor; or, dans l'affairedu Sahara
occidenfal. le différend est tout a fait dissemblable et oppose trois Etats
concernés.Cela nous amène à relever que le représentant de l'Espagne a tente
d'imaginer un hypothétiquedifferend entre le Maroc d'une part et l'Assemblée
généraled'autre part et il a déclaréa la 2131' séance de la Quatrième
Commission :
« Il n'estpas certain qu'une controverse juridique ait surgi au cours des
débats.II ne fait pas de douteque les difficultésqui se posent proviennent

exclusivement du désaccord du Maroc sur la doctrine etablie par
l'Assembléegénérale. >>
Ces allégations peuvent être facilement écartées a partir de deux
observations.
Première observation : c'est le Maroc qui. en accord avec la Mauritanie, a
pris l'initiative de la demande d'avis. Au contraire, dans l'avis consultatif de

1971 sur la Namibie. la situation était, la encore, absolument différente.
l'Afrique du Sud contestait même la compétence de la Cour. La résolu-
tion 3292 (XXIX) contenant la requêtepour avis consultatif sur le Sahara
occidental a étéacquise a une large majorité desMembres des Nations Unies et
cela prouve avec évidenceque nul désaccordn'oppose le Maroc a I3Assembl&e
généralea ce propos alors que c'est précisément a son initiative et à celle de la
République islamique de Mauritanie et des Etats qui les ont appuyés en la
circonstance que la résolution aétéadoptéesur la base de laquelle vous ètes
saisis.
Seconde observation :les termes mèmes de cette résolution 3292 (XXIX) EXPOSE ORAL DE hl. DUPCiY 29

démontrent clairement que I'avisconsultatif n'a aucunement pour origine un
conflit quelconque entre le Maroc et l'Assembléegénérale.Le probleme qui
s'est poséà l'Assembléegénéralec'est le probleme de la décolonisation d'un
territoire sur lequel. a l'heure présente. le Maroc n'exerce pas l'autorité
politique, sur lequel I'Espagne se trouve alors présentement la Puissance
adrninistrante et c'està propos du retard mis par la Puissance administrante à
décoloniserauthentiquement ce territoire que ces résolutionsdiverses depuis

tant d'annéesont étéprises a l'Assembléegénérale.On ne saurait présenter
l'imaged'un moindre désaccordentre le Maroc et l'Assembléegénéraleet à cet
égardil faut citer leneuvieme considérantde la résolutionprécitée,qui rappelle
« qu'une difficultéjuridiquea surgi au cours des débatsau sujet du Statut dudit
territoire au moment de sa colonisation par ['Espagne>)(1,p. 6).
L'avis consultatif a donc directement pour origine les questions juridiques
pendantes entre l'Espagne, le Maroc et la Mauritanie au sujet du statut du
Sahara occidental a un moment précis.Contrairement aux allégations du
représentant espagnol, aucune opposition juridique n'existe entre le Maroc et
l'Assembléegénérale.C'est a l'origine de la demande de l'avis qu'il faut se
reporter.
En cinquième lieu. et nous terminerons sur ce dernier point. I'avis
consultatif de 1971 sur la Namibie n'opposait pasdeux ou plusieurs Etats. En
revanche, l'avis consultatif sur le Sahara occidental met en présence trois
Etats : I'Espagne, le Maroc et la Mauritanie. qui apparaissent comme de
véritables quasi-partiesà travers de nombreuses résolutions ; l'expression de
parties est utiliséepar la résolution3292 (XXIX).
C'estainsi que la deuxième question posée ala Cour sur les liensjuridiques

du territoire avec le Royaunie du Maroc et l'ensemble mauritanien met
nommémenten iurniereces deux Etats. demême que L'Espagne,en tant que
Puissance administrante.
Egalement l'alinea2 du dispositif de la résolutio3292 (XXIX) contenant la
requéte, mentionne I'Espagne en tant que « Puissance administrante )).le
Maroc et la Mauritanie en tant que « parties concernées » pour souniettre a la
Cour internationale de Justice, comme le Présidentde laCour nous le rappelait
au débutde cette séance.tous renseignements ou documents pouvant servir a
éluciderces questions. Ces trois Etats ont donc une place particulière dans
I'avis consultatif les apparentant a cette notion de parties expressément
mentionnées.
IIfaut aussi souligner que les resolutions de l'Assembléegénérale 2354
(XXII). 2428 (XXIII), 271 1(XXV), 2983 (XXVII), 3 162 (XXVIII) mentionnent
également nommément les gciuvernements du Maroc et de la Mauritanie.
Toutes ces références ne laissent d'êtrim e pressionnantes, elles ne sont pas
nominales, elles ne sont pas verbales. C'est ainsi que contrairement a I'avis
consultatif de 1971 sur la Nurnibieou l'Afrique du Sud s'opposait en faita la
quasi-totalité des Membres des Nations Unies sans que ceux-ci puissent être

individuellement distingues. l'affaire du Sahara occidenraloppose essentielle-.
ment a la lumièredu texte de la résolution 3292(XXIX) trois Etats:I'Espagne.
le Maroc et la Mauritanie, et entre donc bien dans la définitionde l'art89ldu
Règlement portant sur une question juridique actuellement pendante entre
deux ou plusieurs Etats.
Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour. le conseil du
Gouvernement marocain voudrait espérervous avoir convaincus du caractère
absolument justifiéde la demande tendant, de la part du Gouvernement du
Maroc, a obtenir la désignation d'unjuge ad hoc.
Ce conseil tienta rappeler que. dans son esprit. une décision positivede la30 SAHARA OCCIDENTAL

Cour ne préjugeraiten rien de celleque vous croirez devoir prendre tant sur la
compétencequesur le fond. Nous sommespour l'heure devant le problème de
lacomposition de la Cour. nous n'avons évoquéd'autres problèmes que dans
la seule mesure ou l'on ne pouvait les éviter et où ils étaient nécessaires.
indispensables. pour éclairerles fondements de la décisionque nous espérons
de la Cour. Décisionétablie aussi bien sur te large pouvoir d'appréciation
qu'elle puise atravers l'arti68e de son Statut dans le principe d'égaldes
parties, que sur la réunion des conditions prévues par l'article 89 de son
Règlement. c'est-à-diresur l'existence d'une question juridique actuellement
pendante entre deux ou plusieurs Etats.
J'en ai fini, Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour. En la
priant d'excuser la longueur de mes développements,j'exprime ala Cour ma
gratitude pour l'attention qu'elle m'a accordée. QUESTIONDE M. PETXEN

M. PETREN : Je serais reconnaissant si le conseil du Gouvernement du
Royaume du Maroc pouvait nous donner des renseignements de nature a
contribuer aprojeter de la lumièresur la question de savoir quelleest la teneur
exacte du neuvièmeconsidérantde ia résolution 3292 (XXIX) de l'Assemblée
généralet,elle qu'ellété adoptéepar celle-ci le 13 décembre 1974.
Ma question s'expliquepar le fait que cette résolution acommuniquéea
la Cour en deux versions. D'abord il y a une version qui nous est com-
muniquée par un télégrammedu Conseil juridique des Nations Unies. le
14 dkembre 1974, et dans ce texte le neuvièmeconsidérantest comme suit :
« Constatant qu'une controversejuridique a surgi au cours des débats
au sujet du statut dudit territoire au moment de sa colonisation par

l'Espagne» (V, p. 369).
Quelque temps plus tard il nous est arrive un autre texte certifiéconforme a
la résolutionde l'Assembléegénérale, etdans ce deuxième textele neuvième
considérantétaitconçu comme suit :

<<Constatant qu'une difficultéjuridique a surgi au cours des débatsau
sujet du statut dudit territoire au moment de sa colonisation par
l'Espagne iIV, p. 374).
Or enétudiantles mémoires déposép esrlesEtatsintéresséascette affaireon
a l'impression qu'ilsne pensent pas. du moins ne pensent pas tous, questla

résolution en sa version no 2 qui a étésoumise au vote et adoptée par
l'Assembléegénéralele 13décembre 1974.
Je serais donc reconnaissant si leconseildu Gouvernement du Royaume du
Maroc pouvait nous éclairer sur ce point. Je me permets d'adresser une
question correspondante aux conseils des autres Etats représentésa cette
audience.
Le PRÉSIDENT :La Cour va attendre une réponse a la question poséepar
M. Petren. (voir ci-aprésp.83-84. 89-92 et 104-106.)Dois-je rappeler que le
représentant duMaroc et lesconseils doivent restarla dispositionde la Cour

pendant lesprésents débatspour répondreaux questions éventuellesposéespar
la Cour ?

L'audience est levéeà13h 5 DEUXIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (13 V 75. 10 h 5)

P~L;S~I I[.Xoir audience du 12 V 75.1

EXPOSE ORAL DE M. SALMON

M.SALMON : Monsieur le Président. Messieursde la Cour, leconseil de la

Mauritanie ne voudrait pas commencer cet exposésans dire tout d'abord a la
Cour combien il ressent comme un privilégeet un honneur de pouvoir phider
pour la première fois devant elle. Vous n'ignorez pas ce que cela peut
représenterpour un professeur d'avoir enfin la possibilitéde plaider devant la
Cour internationale de Justice. C'est un rêveque beaucoup parmi nous ne
peuvent malheureusement pas réaliseret je remercie la Mauritanie de m'avoir
donné cette chance. J'espère aussi que la Cour voudra bien accorder a ce
conseil toute son indulgence pour les moments qu'il lui prendra afin de lui
exposer lesjustifications juridiques de la demande de la désignationd'un juge
ud Iioc par la République islamiquede Mauritanie.
Mon exposé. Monsieur le Président. Messieurs de la Cour. sera divise en
quatre parties. Je souhaiterais d'abord donner quelques considérations
générales fondamentalessur l'institution du juge ad hoc;ensuite. a cet égard.
j'aimerais essayer de dégagerce qui me semble êtreles problèmes principaux

qui se posent apropos du jugeud /roc dans la fonction consultativ:puis enfin
nousenvisagerons, d'une part. la procédure.le droit et la pratique'tpoque de
la Cour permanente de Justice internationale et, ensuite. la mêmechose a
l'égardde la présenteCour.
Et je commencerai donc d'abord par un certain nombre de considérations
fondamentales sur l'institution du juge ad hoc. Certes, s'il y a une institution
qui a reçu bien des critiques. aussi bien en doctrine que de la part. d'ailleurs.
d'un certain nombre de juges éminents. c'est bien la notion de juge ad hoc.
Pourtant. quand on voit la pratique des Etats. on se rend compte que de leur
part c'est une institution qui est totalement indiscutée. Et je crois que ceci
s'explique tant par la nécessited'une bonne justice que par les particularitésde
la sociétéinternationale. ou de la communauté internationale. comme on dit
parfois. dans laquelle nous vivons et qui est fondée et composée d'Etats
souverains.
La garantie d'une bonne justice, d'abord, me parait etre le premier élé-
ment. On me permettra a cet égardde citer le juge Jiménezde Aréchaga,qui

déclare :
<L'institution dujuge adfiocdans le Statut de la Cour est un corollaire
du principe de base de l'égaldes parties devant la Cou; un principe qui
découle des exigences d'une bonne administration de la justice »
(OJudges Ad Hoc in Advisory Proceedings »,ZeitschriJtfürauslàndisches
ofletttlichesRecht und V6lkerrecht,Band3 1,no4, décembref97 1.p.698.
La traduction est de nous.)

Ce principe de l'égalitédes parties- est fondamental : c'est bien lui EXPOS OERAL DE M. SALMON 33

quAnzilotti, en 1927, mettait en exergue pour réclamer que l'on rnodifie a
l'époquele Règlement de la Cour. (C.P.J.I.série E no14, pp. 68 et suiv.)
Et je dirai mêmeque cette égalité vatrès loin, parce qu'elle est conçue non
seulement d'une maniere négative, mais mème positive. C'est Michel

Dubisson. dans son ouvrage sur la Cour internationale de Justice. qui relève
cela avec acuitéen faisant remarquer que non seulement on a un juge ad hoc
lorsqu'une des parties n'a pas de juge, alors que l'autre en a un, mais même
lorsque aucune des deux parties ne possède de juge de sa nationalité sur le
siège (MichelDubisson, La Cour internationaledeJusticL eG.DJ,Pa~is,1964,
p. 64-65).
On voit a quel point cette égalitétieau cŒur des Etats. Je vais reprendre à
mon tour - je m'en excuseauprès du professeur Dupuy - ce célébre motdu
PrésidentBasdevant :« il ne suffit pas que la justice soit juste. il faut encore
qu'elle leparaisse»(discours prononcé lorsdu cinquantième anniversairede la
première conférencede la paix, La Haye. 1949).
Et d'ailleurs. cher collègue monsieur Dupuy. nous ne sommes pas seuls a
reprendre cette phrase, puisque nous avons étéprécédée sn 1971 par le juge
Onyeama qui lui-mêmela reprenait dans son opinion dissidente (C.I.J. Recueil
1971. p. 140) et par le juge Ilillard qui de mêmeinsistait sur cet élément

fondamental de la procéduredu juge ad hoc (C.I.JRecueil 1971, p. 153).
Je disais toui l'heure que cette notion a été décriéeet certains d'entre vous,
Messieurs. se souviendront de: la session d'Aix-en-Provence de l'Institut de
droit international en 1954 et des longues discussions qu'il y a eu a ce moment
sur lejuge ad hoc.Récemmentj'ai relu ces procès-verbaux et une chosequi m'a
frappéc'estqu'en dépitdu fait qu'on pouvait avoir ace moment-la une sériede
critiques sur la notion de juges nd hoc.en particulier sur leur qualité, ouleur
indépendance.ou leur mode de nomination, en fait l'institution elle-mèmen'a
pas été remiseen cause.
Max Huber lui-même déclaraitque <<le jugead hoc ... constitue un des
éfémentsde la confiance des parties )>(Annuaire de l'institut de droit
international,1954, vol. 45,t. [I. p85).
Qu'on me permette aussi de citer M. Petréndans l'affairede laNamibie -
vous me permettrez, Monsieur le Président, de citer cette affaire sous cette
façon raccourcie parce que, sinon. cela va nous prendre chaque fois quarante-

cinq secondes pour citer le titre complet de cet a...M. Petrén disait:

<(IIexiste bien sûr des opinions divergentes sur la valeur de l'institution
du juge ad hoc mais, tant que celle-cirestera inscrite au Statut de la Cour,
elle représentera une garantie d'ordre procédural offerte a 1'Etatpartie a
une affaire contentieuse dont aucun membre ordinaire de la Cour n'a la
nationalité.>>(C.I.JRecueil 1971, p. 130.)

Lejuge ad hoc s'impose donc pour des raisons d'égalitédes parties, c'est un
élémentde confiance pour les parties. c'est une garantie d'ordre procédural
estimée indispensabledans une procédurejudiciaire.
Mais ily a aussi un autre aspect, je crois. qui me parait assez fondamental.

Ce sont les particularités de lu sociétéinternationale interétatique composée
d'Etats souverains - et je dirais en particulier aujourd'hui, ou la société
internationale, ou la communaute internationale au point de vue juridique n'a
jamais étéaussi déchirée - qui montrent combien cet élémentde défensede la
souverainetédes Etats n'a jamais été aussi nécessaire.A un moment ou nous
vivons dans une société internationaleou s'affrontent ou coopèrent des Etats
souverains a régimes politiques, idéologiques, économiques et sociaux34 SAHARA OCCIDENTAL

différents,I'institution du juge ad hoc est une garantie essentielle pour toutes
les minorités possibles de la communauté internationale d'aujourd'hui, en
particulier je dirais dans le cadre des avis consultatifs qui peuvent étre
demandéspar une majoritéd'Etats.
Certes. on a aussi souligne parmi les démérites dujuge ad hoc certains
aspects qui le faisaient ressemblea l'arbitrage. Sans reprendre. je crois. cette
positiona son compte. c'estencore une foisM. lejuge Jiménezde Aréchagaqui

signale que c'est une des critiques qui ont étéfaites a cette institution (Jiménez
de Arechaga, op. cit.. p. 698).Je ne pense pas que cela soit un élémentqui
puisse actuellement êtreretenu pour dévaloriser lanotion dejugead hoc. A cet
égard.je pense en pafliculier a la modification du Règlement que vous avez
faite. Messieurs. en 1972et dans lequel vous avez institué deschambresud hoc.
Par celle-civous avez donné.dans une certaine mesure, la possibilitéaux Etats
de transformer cette Cour en des cours arbitrales plus réduites.Vous y avez
prévu spécifiquementdesjuges ad hoc. Je me réfèrepour cet aspect des choses
a un exposéqui a étéfait. et qui exposait bien ce point de vue. par le Président
Lachs lui-rneme lorsque, le 29 janvier 1975. il prononçait a l'Universitéde
Bruxelles la leçon inaugurale de la chaire Henri Rolin etoiiil nous parlait de
l'avenir de la Cour internationale de Justice et du règlement pacifique des
différends.Je me réfèreaussi d'ailleurs à plusieurs articles dM. Jiménezde
Aréchaga tant dans I'AmericanJourrial ofItrterrrarional Law que dans une
publication orriciellede l'organisation des Nations Unie(« Les amendements
au règlement de la Cour internationale de Justice ».Conférencescomrnernora-
iives GilberroAmado, ONU. 1972).
Donc. si I'institution du juge ad hoc s'impose a l'évidencedans la procédure

contentieuse, au contraire. en matière consultative, elle a soulevé desdoutes.
Guère longtemps en fait. Des 1927, la Cour permanente de Justice inter-
nationale a décidé/)i.opt-h IPIOI~Ien dépit du fait que son Statut ne pré-
voyait rien. d'instaurer un systeme de juge ad Iioc en matiere consultative.
La Cour internationale de Judce devait incorporer ce systèmesans discussion
et. comme vous le savez. d'autres cours internationales le font.
Mais. si l'institution a étéacceptéeen matière consultative. ce n'estpas dans
toutes circonstances. Des distinctions doivent étrefaites atcet égard,si l'on
veut bien se placerun instant sur un plan théorique. générala.cadémiqueme
permettrais-je de dire, il me semble qu'on peut envisager trois situations qui
permettent de voir comment la notion dejugead hoc peut être acceptée dans la
procédureconsultative en fonction de l'intérêdtes Etats. J'estimequ'acet égard
trois titre- trois modèles.comme on dirait en science politique - peuvent
étreproposés.
Le premier modèle est un modèle fort simple. C'est celui ou lorsque
l'institution qui a la compétencepour demander un avis consultatif demande
un avis qui porte sur un différendactuellemenr ne entre deux ou plusieurs
Etars. Dans ce cas. je crois qu'il a toujours sauté aux yeux de tout le monde
qu'il estindispensable de protégerles parties àce différendet de leur permettre.
faute pour elles d'avoir unjuge national au siègede Cour, dese voir attribuer

un juge ad hoc. Bien plus, vous le savez, la protection des parties dans ce cas
peut aller plus loin. Pas simplement d'abord un juge ad hoc, mais méme
éventuellement de mettre en cause, de discuter. la compétence de la Cour.
J'evoque ici, bien entendu, la célèbre affairedu Statut de la Carélieorientale.
Permettez-moi de citer un passage de ce célèbre avi:

<<II est bien établi endroit international qu'aucun Etat ne saurait ètre
oblige de soumettre ses différendsavec lesautres Etats soit àla médiation. EXPOSE ORAL DE XI. SALMOX 35

soita l'arbitrage, soit enfin a n'importe quel procédéde solution pacifique.
sans son consentement. » (C.P.J.I.érieB ri05, p. 27.)

Bien sûr, cette affaire avait toute une séried'aspeclsponctuels - comme on
dit dans le langage actuel -, des aspects très particuliers. notamiiient que
l'Union soviétiquen'était pasmembre de la Sociétédes Nations, etc.
Et je ne voudrais pas ici entrer dans la controverse qui consiste a savoir si
I'avisdans l'affaire du Statut de laCardie orien~alc peut encore aujourd'hui
êtreconsidérécomme un précédent valable ounon : c'est une question que
nous retrouverons plustard au fondet il me paraît quece n'estpasle moment de
l'aborder, sinon pour dire que j'ai lesentiment qu'ilreste en tout cas sain que la
Cour ne se préte pas a des manŒuvres ou I'on contournerait l'absence de
consentement a une procédure contentieuse pour faire trancher un différend
néet actuel par voie consultative. Je suis persuade que, malgrétout ce que I'on
a pu dire contre l'affaire du Sta1uf de !aCardie orienfak, il ya la un point
extrêmementprofond auquel. si la Cour devait un jour se retrouver dans la
mêmesituation. elle nepourrait pas ne pas étre attentive.
Ceciétaitdonc la première situation qui me parait etre d'une manière nettele
cas où on se trouve devant un differend actuellement néentre parties.
La seconde situation est aussi fort simple :c'estlorsque I'avisporte sur une
question juridique qui est totalement abstraite ou théorique. C'est important
pour l'institution qui l'ademandémais qui,dans le fond, ne met pas en cause
directement des Etats. Bien sûr. si on commence a regarder chacun des avis
consultatifs qui ont étédonnésjusqu'a présent parla Cour, on peut toujours

direque. dans tel ou telcas,certainsEtats étaient évidemmentintéressés. Mais,
ils n'apparaissaient pas comme intéresses.je dirais. d'une manière directe :
c'étaitvéritablement la question abstraite de théorie qui avait pu étreposéea la
Cour. C'estévidemmentun modèlequi est malgrétout toujours un peu abstrait
parce que I'on passe facilement de la question abstraite a la question qui
intéressedes Etats.
Je crois que celui qui avait le mieux vu ce qu'aurait pu êtrece modèle
abstrait.c'étaitlejuge Azevedo dans I'avisde 1950. qui allaijusqu'a proposer
d'ailleurs que les avis consultarifs ne puissent jamais étre rendus que dans des
cas de ce genre. II disait:

<<il aurait fallu aussi supprimer l'articl83 du Reglement, car une telle
faculténe seconcilie nullement avec les seuls avis théoriquesou abstraits
que la Cour devra maintenant donner sur des (questions »juridiques ))
(C.I.J.Recueil 1950, p. 86).

11regrettait que le Règlement de la Cour ait maintenu la possibilitéde
désignationd'un juge ad hoc enmatièreconsultative.

Après vous avoir présentéses deux modèles. il faut bien constater qu'en
réalitéles choses ne se laissent pas aussi simplement enfermer dans cette facile
dichotomie et qu'il existeune zone intermédiaire.une zone dans laquelle on ne
se trouve ni dans un cas ni dans l'autre, c'est-à-direque I'avisdemandé porte
sur une question juridique qui. sansêtreun diffërend néet actuel entre Etats,
est cependant de nature aporter atteinte a leurs droits dans une contestation
qui les oppose a un autre Etat. Et c'est icia mon sens, que la Courdoit être
extrêmemen attentive de la responsabilité qu'ellea de s'assurer qu'ellecouvre
adéquatement tous les cas qui doivent être couverts.
L'ancienjuge Winiarski, dans son opinion dissidente dans lavis de la Cour
internationale de Justice sur I'/nterprératiodes traitésde paix concltisavecb36 SAHARA OCCIDENTAL

Bulgarie, la Hongrieet la Rouma~lie du 30 mars 1 950.disait ceciàpropos de la
fonction consultative de la Cour :

« la Cour, organe judiciaire. s'entoure. dans l'exercice de cette fonction.
de toutes les garanties pour examiner la question d'une manière
approfondie et impartiale. Pour la même raison,les Etats intéressésvoient
leurs droits, leurs intérêtspolitiques et quelquefois leur position morale
affectés par un avis de la Cour. leurs diffërends en fait tranchés par la
réponsedonnéea une question qui s'yrapporte et qui peut constituer une
« question-clef» du dinérend. Cela explique l'intérêqtu'ont les Etats a se
faire entendre dans une procédure consultative. a y étrereprésentéset a
pouvoir nommer leurs juges nationaux. ce qui serait parfaitement inutile
si les avis n'étaientque de simples opinions. sans importance réeilepour
leurs droits et leurs inter>>(C.I.J.Recueil 1950.p. 92).

IIest donc certain qu'ily a dans cettezone intermédiairedes possibilitéspour
les Etats d'ètreintéressés et e souhaiter ardemment de vouloir avoir un juge
ad hoc devant la Cour.
Des lors. au fond, toute la difficulté residedans le point de savoir a partir de
quel seuil et sur base de quels criteres La Cour va pouvoir prendre en
considérationles intérêts étatiques particuliersS.i, dans la pratique et les textes
que l'histoire connaît et a enregistrés, différentes solutions se sont avérées
possibles. elles ne dépendent pas seulement destextes constitutifs et organiques
des cours, elfes dépendent ausside l'usageque ces cours font de leur pouvoir

discrétionnaire,que ce soit au niveau de l'élaborationde leur règlement ou au
niveau de l'orientation de leur jurisprudence : autrement dit. une Cour
internationale n'est pas un ordinateur et sur un point comme celui-ci -
comme sur d'autres - elle définit, elleforme une politique judiciaire qui
rentre, d'ailleurs, dans le cadre de sa responsabilité, comme organe judiciaire
principal des Nations Unies.
Ces remarques générales étantformulées. il conviendrait, maintenant. de
voir quelle a étéla pratique suivieà la fois par la Cour permanente de Justice
internationale et par la Cour internationale de Justice, étant donne que les
pratiques de ces deux Cours ont étée .n fait, différentes.
Examinons donc, d'abord. ledroit et la pratique sous laCour permanente de
Justice internationale. Vous savez que la base de la compétence consultativede
la Cour en cette matiere était l'article1du Pacte de la Sociétédes Nations je
ne vais pas vous le relire. vous le connaissez:et vous savez que la distinction
fondamentale que faisait cet article en matiere d'avis consultatif c'étaitle point
de savoir si les avis consullalifs portaient sur un difliriid ou sur unpoN~r.
En ce qui concerne les textes. aucune disposition ne se trouvait ni dans le
Statut ni dans le Règlement de la Cour permanente de Justice internationale
autorisant un juge ad hoc en matiere consultative jusqu'en 1927. Ce n'estpas
que l'on ne s'était pasétonné de cette situation.
Des 1920, le comitédes juristes qui avait élaboréle Statut de la Cour avait

souhaite la nécessitéde suivre en matiere d'avis les règles de la procédure
contentieuse dès l'instant ou la Cour se trouvait en présence d'un différend
actuellement néet M. de La Pradelle avait longuement plaide ce point en disant
que :
« Des l'instant qu'il s'agitd'un différendactuellement ne. la Cour devra
statuer de la mêmemanièreque s'ils'agissait d'un litigeporte devant elle,
c'est-à-dire en laissantmonter. a la demande des Parties, un juge de leur
nationalitésur le siège.)>(Procès-verbaux du comitédesjuristes. p. 731 -
732.) Néanmoins.comme je vous le disais, jusqu'en 1927. la pratique de faCour a
consisté a interpréter son Statut comme ne lui offrant pas la possibilitéd'avoir
un juge ad hoc en matiere consultative. Elle interprétait restrictivement
l'article31.
Sans approuver ce point de vue. Charles De Visscher l'expliquait endisant :

(4Point de vue qui se justifiait par la distinction fondamentale entre les
deux fonctions de la Cour :dans la procédure consultative. il n'ya pas de
parties dans le senspropre du terme. les Etats n'y figurant qu'en qualitéde
simplesinformateurs. » (<Les avis consultatifs de la Cour permanente de
Justice internationale >>,RL/C.IIL(>I~'/Sco1fr.s [/c /'A~~udbtf?ieo droi/

itrtertrafional, 1929. 1,p. 56.)

Et il poursuivait, montrant tout de même les distances qu'il prenait par
rapport a cette jurisprudence :

« A l'occasion des deux affaires. la Cour refusa aux gouvernements
intéressésde nommer un juge ud /IOC. Pourtant, dans l'une de ces affaires
(affaire de Mossoul), lepoint devue de laCour avait abouti a une inégalité
choquante. L'une des Parties comptait sur le siège un juge de sa
nationalité.tandis que l'autre n'en avait pas. n(Ibid.1

En 1926,on enregistre une offensive de Xihl.Anzilotti, Beichmann et Huber
et finalement. en 1927, un texte fut accepte par la Cour. modifiant le
Reglement. La Cour décide d'ajouter a l'article 71 de son Règlement un
paragraphe nouveau :

a Lorsque l'avis estdemandésur une question relative a un dil'férendne
entre deux ou plusieurs Etats ou Membres de la Sociétédes Nations.
l'article31 du Statut est applicable. En cas de contestation. la Cour
décide. >>

Le rapport qui avait étéadoptépar la Cour a ce sujet déclarai:

<(Le Statut ne mentionne pas les avis consultatifs,mais laisseà la Cour
le soin de réalerentièrement sa ~rocédureen cette matière. La Cour. dans
l'exercicedeses pouvoirs, a délibérémenett intentionnellement assimiléla
nrocédure consultative a la orocedure contentieuse : et les résultats
obtenus ont abondamment jusiiliécette attitude ...En réalité,lorsque. en
fait. il se trouve des Parties en présence, il n'y a qu'une difference
purement nominale entre les affaires contentieuses et les affaires
consultatives. n (C.P.J.1skrit.D. Acta cJclociii~reiireli~tijsu I'orga/iiso-
lion de la Cour, add. no 2,revision du Règlemeritde la Cour .. 186.)

Je vous signalerai cependant que cette modification du Reglement n'a pas,
en fait. véritablement été.dans une ceriaine interprétation, entérinée ; les
choses n'ont étévraiment clarifiéesque lorsque le Statut, qui avait étérevisé
par un protocole du 14septembre 1929, lequel n'estd'ailleursentre en vigueur

qu'en 1936, eut prévu quelques articles sur la procédure en matière d'avis
consultatifs, y compris ie célébrarticle 68,sur lequelje reviendrai longuement
tout a l'heure.
Tel était donc le droit qui régissait la Cour permanente de Justice
internationale. Voyons brièvement sa pratique. Elle se résume très sirnple-33 SAHARA OCCIDENTAL

ment. A partir du moment ou la Cour s'est vue reconnaitre. s'est donné le
pouvoir de désigner desjuges ad hoc. dans lecas ou ily aurait un avis demandé
sur une question relative a un dimerend néentre deux ou plusieurs Etats ou
hlembres de la Sociétédes Nations. a partir de ce moment-la. la Cour n'a
jamais étéavare de juges ad hoc. bien plus elle avertissait les partie: a ce
moment-là son Règlement lelui permettait ;c'estelle-mémequi demandait aux
parties ou avertissait les parties des p~ssibililésquéllesavaient de demander

des juges ad Iioc.
Des juges ad hoc Turentnommes dans six cas :
1) Conipétrtrcedesrribunarix deDaiitzig (C.PJ.1. shie 3 ri*15. p.4).

2) « Considérant qu'aucun des deux gouvernements intéressésne comptait
sur le siège un juge de,sa nationalité et que - la « requète tendant a
l'obtention d'un avis consultatif » ayant. selon la lettre adressee par le
présidentde la Commission mixte au Secrétaire générad le laSociété des
Nations le 19 décembre 1929. étéprésentée cau nom des deux
Gouvernements >>- la question était relativeà un différend actuellement
ne entre deux Etats au sens de I'article 71. alinéa 2, du Réglement.
l'attenliondes Parties ce différend,savoir, les Gouvernements bulgare et
hellénique. a étéattirée sur leur droit. conformément a I'article3 1 du
Statut. de choisir, pour siéger dans l'affaire. chacune un juge de sa

nationalité. Elles se sont prévalues de ce droit. H(~ffaire des « Cornmu-
itarrté))grgco-bulgares,avis con~~iltafiJ : .PJ.1.s&ie 3 11'17. p. 1O.)
3) (<De l'avis de la Cour. la question à elle soumise pour avis consultatif
était relativea un différend actuellement ne entre la Lithuanie et la
Pologne au sens de I'article71. alinéa2. du Règlement.Comme un seut de
ces pays - la Pologne - comptait sur le siège un juge de sa nationalité.
l'attention de ta Lithuanie a étéattirée sur son droit. conformément a

I'article31du Statut, de choisir. pour siégerdans l'affaire. un jugenational.
Le Gouvernement lithuanien s'est prévalu de cette faculle. >>(~ffaire du
TraficjL.rroviaire entre la Lirhuaiiie er la Polognavis coris~rltariC.PJ./.
sgrieA/8 irO42, p. 111 .)
4) ((La Cour a estiméque la question a elle soumise pour avis consultatif
visait un différend actuellement néentre la Ville libre de Dantzig et la
Pologne au sensde I'article71.alinéa 2, du Règlement.Comme un seul de
ces Etats - la Pologne - comptait sur lesiege un juge desa nationalité.le

Senat de la Ville libre de Dantzig sést prévalu de son droit, conformé-
ment a L'articl7 1du Règlement.de désigner. poursiégerdans l'affaire,un
juge ad hoc. )>(Affaire de l'Accès er sîarioiiriemetii des r~avirde girerre
poloilais darrsle porr deDanfzig. avis consirlratifC.P.J.I.sérieA/ B tzO43.
p. 131 .)
5) <iLa Cour a estime que la question à elle soumise pour avis consultatif

visait un différendactuellement néentre la Ville libre de Dantzig et la
Pologne au sens de I'article71. alinéa2.du Réglement.Comme seul un de
ces Etats - la Pologne - comptait sur lesiège un jugede sa nationalité.le
Senat de la Ville libre de Dantzig s'estprévalude son droit. conformément
à I'articl71du Règlement. de désigner,pour siégerdans l'affaire. un juge
ad hoc. )>(~ffaire du Traitement des narionaiix polonais er des airires
personnes d'origine olr de larigue poloriaisedans le rcrriroire de Danlzig,
uviscoi~sllltaliJ.C.P.J.I. serie/B no 44. p. 8.)

6) <Aucun des Etats directement intéressésne comptant sur le siege un
juge de sa nationalité, les Gouvernements bulgare et helléniquese sont EXPOSE ORAL DE hi. SAL~~ON 3 9

tous deux prévalus de leur droit. conformément à l'article 71 du
Règlement.de désignerchacun. pour siégerdans I'affaire, un juge ad hoc.
La Cour. estimant que la question a elle soumise pour avis consultatif
visait un différend actuellement ne entre la Bulgarie et la Grèceau sens de
I'article71. aliné2. du Règlement, a acceptéces désignations. )%(~ffaire
de l'interprétationde l'accord grdco-bulgare du 9 decernbre 1927, avis

cotisailtari/:C.P.J.I. sA/Be n045. p. 72.)

En résumé,la chose est simple : dans les cinq derniers cas, 1;iCour a
expressément constate que la question qui lui etait soumise pour avis
consultatif visait un diJférendacruellemetitnL;enrre dellx Elats ail sens de
I'artic71, alinéa 2,de son Règlement,
En revanche. dans trois cas, la Cour n'apas accepte de donner de juges ad
hoc. Pour quelles raisons ? Dans l'une. c'était l'affaiees Ecoles minoritaires
etiAlbanie(C.P.J.I.sérieAlB n"64, p.6). faute d'existenced'un différend:dans
l'autre, I'affaire du Régime douanierentre I'Allenragtreer lilutrich~~(C.PJ.1.
sérieAIB no 41. p. 37). parce que, tout en reconnaissant qu'il e.uistait un
differend. elle estimait que les Etats qui demandaient desjuges ad hoc faisaient.
en fait, cause commune avec des Etats dont des juges de la nationalité se
trouvaient sur le siège.Et enfin.il y a le rroisieme et dernier cas. celui dont on
parle beaucoup. sur lequel nous reviendrons encore tout a l'heure. qui est la
fameuse ordonnance du 31octobre 1935 dans l'affairede la Cornpotibiliré de
cerioins décrers-loisdantzikois avec la consritiirionde la Villelibre.
Dans cette affaire. laCour a refusé d'octroyer un jugead hoc a la Ville libre

de Dantzig parce qu'il n'y avait pas de différend,parce que la question qui était
poséeàla Cour étaitsimplemeiit une question constitutionnelle de la Villelibre
de Dantzig dans laquelle s'opposaient non pas desparties mais despartis de la
Ville libre de Dantzig sur la constitutionnalité de ces décrets. Des lors, c'était
une &aire purement interne a la ville. elle n'avait aucun caractere inter&-
tique. aucun caractere de différendinternational ;pas question donc de parties.
pas question de différendne et actuel. pas question de juges ad hoc.
Enfin dernier cas a mentionner. c'est un cas ou les deux parties ont
purement et simplementrenonce a leursdroitsde désignerun juge ad hoc,c'est
l'affaire de I'fnrerprerarionde l'accord gréco-turc du ICr décembre 1926
(protocoleJlnal, article IV) (C.P.J.I. serie no5. p. 247). La Cour en a pris
acte.
En conclusion donc, la position de la Cour permanente de Justice a été
extrêmementclaire. Cela tient sans doute au type d'affairesdont elle a étsaisie
(trés grand nombre d'affaires contentieuses en fait présentéessous formes
consultative) mais la position de la Cour permanente de Justice internationale
étaitclaire. Elle distinguait. en vertu d'ailleurs de la distinction que I'ontrouve
dans l'article 14 du Pacte. en matièreconsultaiive. s'ils'agissait d'unedemande
d'avisconcernant un point d'ordre international ou un <<diErend actuellement
né >>entre les parties. Dans la première hypothèse. l'article 31 ne trouvait pas
application car il n'y avaipas de parties a un différend.

A cet égard.je crois qu'il faut etre attentif lorsque I'on parle du rnot partie
dans une procédure consultative. à ne pas faire de confusions. Je crois qu'il
y a des distinctions a faire parce que, normalement dans une procédure
consultative. le motpartiesoulève des objections de principe puisqu'jl n'ya pas
de parries a une procédure consultative. C'est pourquoi un rand nombre
d'auteurs ont préféréutiliser la formule Etats inreressés fvoir Démètre
Negulesco. <<L'évolutionde la procédure des avis consultatifs de la Cour
permanente de Justice internationale )>Recueil des cours de IAcedemie de40 SAHARA OCCIDENTAL

droit internafional, 1936. III,,p. 72-73). Mais, si on a souvent utilise le mot

parties en parlant de procédure d'avis, c'est parce que la base, pour lejuge ad
hoc, étant l'existence d'un différend,il y a bien entendu des parties a un
différend et dès lors on utilisait le mot parties. II est par conséquent très
important de bien voir cette distinction que lorsque I'onparle deparries, c'est
dans le fond parlies a ut1dij'jjerendqui peut êtrel'objet de l'avis consultatif,
mais que le mot parties ne veut pas dire parries a la procédure consultative ;
cela me paraît êtreune chose qui doit êtrebien précisée parce que je crains que
dans un certain nombre de cas, on aboutisse, si on ne fait pas cette distinction,
a des confusions.
Jén ai ainsi fini de la partie Ia plus simple, celle laCour permanente de
Justice internationale et j'en arrive, hélas, a la partie la beaucoup plus
complexe, c'est celle.Monsieur le Président. Messieurs de la Cour, qui vous
concerne, c'est celledu droit et de la pratique de la Cour internationale de
Justice.
Je distingueraia nouveau les textes de ta pratique.

Les textes qui gouvernent l'activité consultative de la Cour sont
passablement différents de ceux qui existaient a l'époquede la Sociétédes
Nations et il faut le souligner en particulier lorsque I'on veut utiliser les
précédentsde l'ancienne Cour. Je ne vous relirai pas l'article 96de la Charte ;
vous savez que celui-ci prévoit que l'avis consultatif est donné sur toute
quesrionjuridique, a l'alinéa 1 et a l'alinéa 2 de l'article 96. Le critère
fondamental de l'activitéconsultative de la Cour c'est un avis portant sur une
questionjuridique.
Second texte qui, dans la hiérarchie desnormes doit êtrevu immédiatement,
c'estle Statut de la Cour dans lequel voustrouverez I'article68Je ne vous le tis
pas maintenant pour ne pas allonger les débats.je le lirai tout a l'heure a
meilleur escient.
Puis, vous avez dans le Règlementlesarticles 87 et 89. Le second, l'articl89
disant que :

Si l'avis consultatif est demandé au sujet d'une question juridique
actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats, l'article31 du Statut

est applicable. ainsi que les dispositions du présent Règlement qui
pourvoient a l'application de cet artic>i.

Voyons maintenant quelIe a étéla pratique de la Cour.
Dans une certainemesure, c'estune pratique négative ; négativedans lesens
que. contrairement a la Cour permanente de Justice internationale, la Cour
internationale de Justice n'a jusqu'à préseneu a véritablement discuterd'une
affaire de juges ad hoc que dansun cas, dans l'affairede laNamibie.et comme
dans ce cas-la elle a refuséde donner un juge ad Iior cela a entrainé, dans la
doctrine, toute une série d'écritdésabusés,pessimistes, voire désespéréss,ur
lespossibilitésde voirjamais la Cour accepter en aucune circonstancedes juges
ad hoc en matière consultative. (Ainsi Jean-Paul Jacqué, <<L'avisde la Cour
internationale de Justice du 2 1 juin 197 1 >>,Revue générale de droit
internationalpublic, 1972. no 4, p. 1001 -1002, et Michla Pomerance, (The
Admission of Judges Ad Hoc in Advisory Proceedings :Some Reflections in
the Light of theNamibia Case »,AmericunJournal ofIlrternationalLaw, 1973,

vol. 67, no 3. p. 446.)
A notre sens, je crois qu'ilfaudrait nuancer cesjugements, et qu'i la vérités,i
cette situation apparaît aussi noire, c'esta la suite d'une sériede circonstances
assez particulières,qui fait que la Cour n'a pas eu l'occasion, ou qu'ellene s'est
pas crue en droit, d'accepterlanomination d'un jugead hoc. ESPOSÉ ORAL DE 51. SAI-XION 41

Il est indispensable de mentionner plusieurs élémentsa cet égard.Je me

permettrai de répéter cequ'a dit hier. à l'audience du 12 mai (ci-dessus
p. 9-30). mon cher collégue et ami, M. Dupuy. mais je crois que c'est
important.
Tout d'abord. la plupart des questions juridiques qui ont étéposéea laCour
par les organismes qui y sont habilites par la Charte ou en vertu de la Charte,
tous ces avis étaient de caractère abstrait. Toutes ces questions, bien sûr,
pouvaient êtreconsidéréescomme opposant majoritéou minorité.notamment
a l'Assembléegénérale.IIest clair que l'affairede laRéparatioitdes donirnages
subis uu service des Nalions Unies, ou que l'affaire des Cotiditions de
I'admissiorid'trriEtat commeMenlbredesNations Unies (article4 de la Charte).
ou que I'affairedesRgsrrves à 10conventionpour laprkvetrtioiiet la répression
dri ut-iirictlr, gc;~ioc'idco,u que I'affaire de Cer~uiiics dc;l~ccli.s Nutioir.~
Uiiics~ii.lic'lc7.l~cir~rigi.u~,lc/itu Clrur?~.)nt étécontroversées a I'Assem-
blte generale :cela c'est certain. hlais c'étaitmajoritt. contre minorité, cela
n'impliquait pas directement une constestation entre deux ou plusieurs Etats
nommément désignés etparticuliers. La plupart de ces cas avaient trait a des

questions relatives aux compétencesdes organes des Nations Unies et étaient
présentes dans une formulation abstraite. c'était des questions de nature
institutionnelle ou constitutionilelle. Tout cela excluait lejuge ad hoc. On était
presque dans la théorie pure du juge Azevedo. si vous me permettez
l'expression.
Certes. il y a eu deux ou trois affaires oii I'onaurait pu avoir des doutes. IIy
a tout d'abord les premiers avis relatifs au Sud-Ouest afiicaiir et ensuite il y a
eu aussi I'affairede I%~terprPtatioties irairésdepaix coirclirsavec la Birlgarie,
la Hotrgrieet luRorrrnatiie.oiices trois Etatsestimaient que dans unc certaine
mesure il y avait un litige, un différenddont la Cour se saisissait dans cette
affaire. hlais une chose est certaine. c'estqiie. dans ces trois affaires oii ilaurait
pu éventuellement y avoir possibilité pour la Cour d'en parler. aucune
demande de juge (rdIioc.n'&té faite par les parties et, comme cette fois-cion ne
se tro~ivc plus dans le même systèmequ'a la Cour permanente rle Justice
internationale etque cést aux parties a prendre l'initiatived'une demande de
juge ad hoc. la Cour n'apas pu examiner la question.
Le seul cas ou une demande a étéformulee c'estl'affairede IaNamibic. C'est
le seul et unique preckdent. IIest négatifmais, a mon avis, a lui seul on ne peut
pas dire qu'il forme lajurisprudence de laCour, par toutes les particularitésqui
l'entourent.

Aussi en l'absence a proprement parler de ce qu'on pourrait appeler une
jurisprudence de la Cour en cette affaire. je crois que I'on pourrait essayer
d'envisager l'ensembledes textes qui gouvernent la Cour et d'ydiscerner deux
voies. D'une part. ou bien la Cour se concentre sur le texte spécialde son
Regtement (article 89 du Règlement d'aujourd'hui), ou bien elle prend pour
base le principe général quiest l'article 68 du Statut. Les deux méthodes.
d'ailleurs. j'essaierai de le prouver, ne s'excluant pas. Ces deuxméthodesont
été défenduesde part et d'autre avec scienceet fougue. Je crois queaproposde
cette affaire-ci. il n'estpas mauvais de tenter de les examianotre toiir. de les
revoir et d'essayerde se demander comment on pourrait y appliquer la requête
du Gouvernement de la République islamiquede Mauritanie.
Aussi j'envisagerai d'abord dans une premiere partie la première méthode.
celle de l'article 89 du Reglenient ;dans une seconde partie j'exaniinerai la
méthode del'article68 du Statut.
Voyons donc l'article 89 du Règlement, et ici je me permettrai de vous le
citera nouveau :42 SAHARA OCCIDENTAL

« Si l'avis consultatif est demandé au sujet d'une question juridique
actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats, l'article3 1 du Statut
est applicable. ainsi que les dispositions du présent Réglement qui
pourvoient à l'application de cet article. ))

Première chose fondamentale. l'article 89 fait a la Cour utie obligatioti de
désignerun juge ad Iioc.
Cela étant.je crois que ce texte comporte toute une sériede mots pièges,une
sériede notions qu'il importe d'analyser de près ;chacun des mots que vous
trouvez dans ce texte peuvent. éventuellement, être interprétésde façon
différente.
Je commencerai. si vous le voulez bien, par la notion de quesiiotrjuridique.
La notion de question juridique, ne l'oublions pas. est déterminanteen matière
consultative puisqu'elle découle de votre constitution. elle découle de I'ar-
ticle 96 de laCharte. C'est doncune notion cle. c'est une notion fondamentale.

IIconvient ensuite, je pense, de bien discerner la difference qu'ily a entre les
mots <(question juridique >)utilises dans l'article89 du Règlementet les termes
qui étaient utilisés sous la Cour permanente de Justice internationale ou
l'article71 du Réglement parlaitd'un <(différendactuellement né >); ces deux
termes ne sont pas les mêmeset la différenceentre les deux peut êtreimpor-
tante. je ne dis pas qu'elle esttoujours nécessaire. mais bienqu'elleperti étre
importante. Voyons pourquoi.
La notion de di'grettd juridique est une notion sur laquelle la jurisprudence

de la Cour au contentieux. je dis bien au contentieux, est particulieremenl
affinée.Vous avez eu l'occasion dans le cadre de nombreux litiges de préci-
ser la notion de différendjuridique, notamment en fonction des limitations
inhérentes a votre fonction judiciaire internationale. et toute une série de
nuances extrêmemenifines et aiguës peuvent êtrereprises de votre jurispru-
dence. Sans vouloir êtrecomplet a cet égard.je me permettrai de citer l'une
d'elles.Je ne serai pasa cet égardaussi complet que mon collègueDupuy qui. a
cet égard.hier. a développétres longuement cette question :je vais être beau-
coup plus bref. je dirai simplement que vous vous souviendrez notam-

ment que dans l'affairedesCoticessiotisMavrommariset1Palesritrele différend
était définciomme i<un désaccordsur un point de droit ou de fait. une contra-
diction. une opposition de thésesjuridiques ou d'intérêtesntre deux personnes ».
que te conflit doit êtreextériorisé par <(réclamation d'une des parties se
heurtant a l'opposition manifeste de l'autr ) Bud-Ouest africaiti, arrd. C.IJ.
Rateil 1962. p. 328).quecela doitportersur desthèsesjuridiquesbiendéfiniee ts..
En fait la notion de drfle'rendjuridiqueest une notion qui est une notion clé
pour le contentieux et qui, donc. a fait l'objetd'unetres longueanalysede votre
part. et sur laquelle ilexiste des ouvrages ou desarticles, je pense par exemple a

l'article d'Erik Suy, qui est actuellement le secrétaire généraladjoint aux
Nations Unies. qui a fait sur cepoint un article que vous connaissez sans doute,
d'unetrèsgrande qualitéscientifique, qui ajustement analysé avec sointoute la
jurisprudence de la Cour pour montrer combien cette notion étaitune notion
préciseet complexe («Contribution de la jurisprudence internationale récente
au développement du droit desgens»,Revue beigd ee droit inter~~ational1,965.
p. 315et suiv.).
Le fait que dans son avis sur la Namibie la Cour. au paragraphe 32. au
paragraphe 33 et au paragraphe 34 se soit référéep alusieurs reprises aux mots

<<diffërend juridique )plutôt quV l'expressionquestionjuridique ne doit pas. a
mon sens. étre compris comme une volonté de la Cour de confondre ou
d'amalgamer les deux notions. Je pense que. si elle l'a fait. c'est simplement parce que l'Afrique du Sud avait voulu prouver la question juridique en allant
plus loin. en disant qu'ily avait un différendjuridique et, donc, s'il y avait un
différend juridique. il y avait au moins une question juridique pendaiite, et de

plus l'Afrique du Sud utilisait la notion de différendjuridique » pour essayer
de faire jouer dans une certaine mesure l'incompétencede la Cour.
Ce qui fait que cela peut expliquer pourquoi la Cour semble avoir. dansune
certaine mesure, utilisé un mot pour l'autre dans les paragraphes que je
signalais.
Je pense toutefois que I'on ne peut pas confondre ces deux notions ; que le
concept de ql~esriorji ridique est évidemmentbeaucoup plus large que celui de
différeiidjuridique :il peut recouvrir. il peut englober la notion de différend
juridique. mais peut aussi se trouver en deçà et ne pas nécessairement
impliquer tout ce que dans votrejurisprudence contentieuse vous avez pu dire
au sujet de la notion de différendjuridique.
Au surplus si la Cour. dansson Règlement. s'estécartée dutexte de la Cour
permanente de Justice internationale. n'a pas repris la notion de diffërend né

actuel. si elle a sélectionnéla notion de question juridique pendante ». c'est
qu'ellevoulait tout de mêmedire autre chose.
On pourrait citer. acet égard.lejuge Krylov qui. dans son opinion dissidente
dans l'affairede I'lt~rerprétoiiodis rrairésde paix coizclusavec la Btrlgarie,la
Hot~grie el la Roui~iatiie.écrivait:
<(On doit caractériser les Etats visés par l'article 83 du Reglement
comme des Etats divisés par l'existence d'une question juridique

<<actuellement pendante entre eux ». c'est-à-dire comme des 'Etats
intéressés a la décisioqnue la Cour va prendre a ce sujet. Ce ne sont pas
précisément desEtats-parties comme on en rencontre dans une affaire
contentieuse.
On peut simplement nommer ces Etats, les Etats intéressés. C'est
pourquoi l'article83 donne a ces Etats ledroit de designer lejuge. ))(C.I.J.
Recueil 1950. p. 107.)

La notion dujuge Krylov est peut-étreun peu évanescente. maisje crois qu'il
est certain que dans la littérature juridique classique questiot~juridiqire
s'oppose aqtresriottpoliiiqtre.Cela. c'estla premièrechose sui est sire. Ensuite.
c'est un concept qui au point de vue de son contenu est très général et hi. Du-
puy me permettra de citer a nouveau. a mon tour. la définitionde Charles De
Visscher. selon lequel on pouvait définirla question juridique comme
« toute quesrion susceptible de recevoir une réponse en droit ». Voila une
notion qui est claire. qui est simple: mais qui n'est pas aussi précise. aussi
définie.aussi rigoureuse. aussi exigeante que la notion de differend actuel-
lement né.
Deuxième groupe de mots important dans cet article : alslrjeide. Dans le
paragraphe 38 de son avis sur laNamibie la Cour anoté desdifférences. Elle a
dit que contrairement a l'article82 du Règlement (aujourd'hui I'article 871,
I'article83 (aujourd'hui I'article89) envisage une hypothèse plus restreinte.

celle ou l'avis consultatif est <(demandé au sujet d'titre questiotrjuridique
actuellement pendante et non pas celle OU il a trait a pareille question ».
Sijecomprends bien la Cour, ellea voulu faire une distinction entre les mots
<<au sujet de » et elle a estimé qu'ils avaientun sens plus restrictif que les mots
« a trait a kt.Je dois dire que je suis un peu perplexe. que la difference si
elle existe m'apparaît bien mince ou bien alors je n'ai pas le sens des nuances.
parce que si I'on se réfère a des dictionnaires français - personnellement
j'akctionne. voiis me le permettrez, le Roberi - si I'on se réfèreau44 SAHARA OCCIDENTAL

dictionnaire Robert, au sirjpfde se définitcomme c<a propos de >>et les mots
avoir rraità se disent d'une chose qui se rapporte à.est relative a une autre.
Je dois dire que personnellement je discerne mal la différenceentre ce qui est
cca propos de ),et ce qui <(se rapporte a ».et en tout étatde cause ces mots
indiquent une liaison qui me parait relativement lâche.
C'est pour cette raison d'ailleurs que je ne crois pas devoir suivre la
remarquable analyse qui a étéfaite par M. lejuge de Castro dans son opinion

individuelle dans l'affaire de la Namibie, qui me paraissait ètre sur ce plan
excessivemcnt sévèreen disant qu'<cil faut une identité entre I'objet de la
question et l'objetde la demande d'avis ;il faut des Etats qui aient la qualitéde
parties))(C.1J.Reciieil 1971. p. 175).
Le sens naturel des mots c<demander un avis au sirjet dkrie qiresrion
juridique pendante » ne peut vraiment pas. a mon sens, impliquer des
conséquences aussi complexes. aussi exigeantes. IIsufit que la demande d'avis
soit en relation avec cette question;l'exigencede la qualitéde (<partie >semble

êtrede meme un retour a la notion de différend.Je crois que dans le fond
l'opinion de hl. lejuge de Castro peut sans doute s'expliquer etalors a partir de
ce moment laje suis prêta le suivresicequ'il a dit a ce propos concerne en fait
la notion de différend. auquel cas. bien entendu. toutes les exigences sont
compréhensibles, mais je ne crois pas qu'elles le soient pour la notion de
<<question juridique pendante >>.
Sur ce mot peitdurtte. dans son opinion dissidente dans l'affaire de la
Namibie. sir Gerald Fitzmaurice invitait a prendre

(<ce terme dans l'acception normale qu'en donnent les dictionnaires.
savoir <<non encore décidé >>(rernaini~ri~rndecidcd OU 110yet decided) et
« non terminé ,>ou 6 non encore tranche » htur rerr?ririated, rcn?uirririg
rinsetrled).brefccen souffrance ». ajoutait-il encore (C.I.J.Reciieil 1971.
p. 313).

LeRoberr. pour sa part. donne des définitionsanalogues :« en instance, qui
n'est pasencore jugé.qui n'a pas reçu de solution H.Tout cela me parait 6tre
des conceptions de bon sens du terme pei~duriiet. encore une fois.je ne le vise
vraiment pas. je pense que les distinctions extrêmementprécisesque XI. lejuge

de Castro avaient indiquées dans son opinion individuelle sont parfaitement
valables pour la notion de différend.mais probablement sont trop rigoureuses
lorsqu'il s'agitsimplement d'une question juridique pendante ;ildisait en emet:
<<La qualification deifpendante »appliquée a une question exige que la
question déjàexistante soit la meme que la question objet de la demande

d'avis - identiténécessairequi ferait que, si la question avait ététranchée
par un arrêt, on pourrait opposer a une nouvelle demande I'exceptiores
j~idicata.>)(C.I.J.Recrieil1971 .p. 176.)
Cela me parait véritablement,encore une fois. s'appliquer plus a la notion de

différendqu'ala notion de qiiestionpetidunte.

L'airdierice.sirspetidue à 11 h 20, est reprise aII h 40

Monsieur le Président.Messieurs de la Cour. j'en étaisdonc a désarticuler ce
pauvre article 89 du Règlement mol a mot et j'en étaisarrive a essayer de
toucher le mot acrtrellentenf.Celui-ci, grace au ciel, me parait relativement
simple. La question qui est <actuellement >>pendante. cela veut dire qu'elleest
pour le moment pendante, en tout cas pendante au moment ou la question est
posée. Cela signifie-t-ilqu'une question posée historiquement ne serait pas EXPOSEORAL DE hl.SALLTON 45

pendante? Tout dépend évidemment du point de savoir si la question
historique se place dans un contexte purement historique ou si elle est la

condition d'une qualification actuelle. Dans ce dernier cas. il est évidentqu'elle
a un caractére actuel.Il sufit de penser aux multiples affaires dont cette Cour a
étésaisie et qui concernaient notamment des titres historiques invoquésdans
des conflits frontaliers ou autres, pour savoir qu'une question historique peut
en fait avoir un caractère parfaitement actuel. Je crois que1i il n'y a pas de
probleme.
Dernier élémentde la définitionde l'article 89. disons des conditions de
l'article 89:il faut que la question soit actuellement pendante entre deux ou
/)lrtsic~ir,sEILI. OUSsavez que dans l'affaire de la NLIIII~~laLCJour a estimé
que tel n'était pasle cas, dans l'affairequi lui étaitprésentée.notammeiit parce
que laquestion juridique ne faisait qu'opposer un Etat al'ensembledesNations
Unies.
Face a l'ensemble de ces considérations un peu théoriquesque je viens de
vous donner. des tentatives de compréhension humbles de ma part de tous les

termes qu'il y a dans l'article89. je voudrais maintenant essayer d'y comparer
les raits. c'est-à-dire de voir comment. face a cette terminologie, on peut
envisager la position de la République islamiquede Mauritanie dansle cadre
des questions posées ala Cour.
Deux questions se posent :y a-t-il une question actuellement pendante.
d'une part, entre deux ou plusieurs Etats.d'autre part ?

Ya-i-il utle quesriofljuridique actuellemetrt pettdat~te?
Je ne vais pas relire lesdeux questions qui ont époséespar l'Assemblée ala
Cour et que maintenant. je pense, chacun d'entre nous est capable dc répéter
par cmur.
Ce qui est certain a propos de ces deux questions, c'est qu'elles nepeuvent
pas étreisoléesde leur contexte. L'Assembléegénérale, Monsieurle Président.

Messieurs de la Cour. n'estpas composée d'historiensde salon passionnéspar
l'histoire coloniale du XIXesiècle,des aventures d'AlvarezPérez,de Bonelli et
autres. Ces questions sont certainement attachantes, mais ce n'estévidemment
pas la que réside l'intérêdt l'Assembléegénérale.
Lesdeux questions qui sont posées a la Cour. lesdeux questions historiques.
sont en fait les ~!r~c;~~rislsecss,w~~srnr~llo~lig~;csci ~~c;ccs.stric.~vue de
déterminer comment le territoire du Sahara occidental doit êtredécolonise,
selon quelles modalités. avec la participation de quels Etats, etc. C'est en
quelque sorte une qualification préjudiciellequi est demandéea la Cour.
Si la Cour devait donner une réponsenégative ala première question, c'est-
a-dire que le territoire n'est pas [erra nirllius. et si. dans la seconde. elle devait
dire qu'il existedes liensjuridiques entre le Sahara et l'ensemblemauritanien,
d'une part. et le hlaroc, d'autre part. cela aurait immédiatement pour
conséquence de créer une série d'obligations pour l'Espagne. en tant que
Puissance administrante, envers le Maroc et la Mauritanie. a propos de la
décolonisationde ce territoire. bien sûr dans lecadreque définiraitl'Assemblée

générale, maison voit tout de suite l'impact direct que cela peut avoir sur les
Etats en question.
Les divergences. les conflits juridiques ou d'intérêtsentre l'Espagne, la
Mauritanie etle Maroc, a propos du Sahara occidental. sont a la foisnombreux
et anciens.
Je cite l'exposéécritespagnol. pages 16 (1)et suivantes. Le rapport sur le
probleme de la décolonisation d'Ifni et du Sahara. approuvé par le Comité
spécialde IDrganisation des Nations Unies. le 20 septembre 1963. met en46 SAHARA OCCIDEhTAL

évidence cette année-lades divergences entre les points de vues des Etats
intéressesen ce qui concerne le processus de décolonisationa suivre s'agissant
du Sahara et. depuis cettedate. ilest évidentque cesdivergences. qu'ellessoient
devant la Quatrième Commission ou devant l'Assembléegénérale.n'ont rien
perdu de leur acuité.
Qu'il s'agisse de revendications territoriales a proprement parler, de

divergences sur la manière de traiter la population sous administration
espagnole. des conditions préalables a tout processus d'autodétermination, des
obligations de consultation de la Mauritanie et du Maroc qui n'ont pas été
respectées. l'ensemble de ces élémentsengendre a l'évidenceune situation
conflictuelle constante, permanente, et toujours actuelle entre l'Espagne et la
Mauritanie. Cette situation créea ce point un ensemble de divergences entre
l'Espagne. la Mauritanie. le Maroc et. il faut aussi L'ajouter.I'ALgéq.ue. dans
sa résolution 3292. paragraphe 4. l'Assembléegénérale apu noter qu'elle
considère (que la persistance d'une situation coloniale au Sahara occidental
compromet la stabilité et l'harmonie dans la région du nord-ouest de
l'Afrique >r.
Si je vsus explique tout cela. Monsieur le Président,hlessieurs de la Cour.
c'est parce que c'est la toile de fond. Mais. tout cet ensemble connictuel, ce
conflit au sens politique du terme, ce n'est pas lui que l'Assembléea soumis a
l'attention de la Cour. L'Assembléea choisi un point bien précis :la question
juridique pendante fondamentale dans le conflit complexe qui oppose les Etats
concernés c'est le statut du territoire au moment de la colonisation par
l'Espagne.

Pourquoi ce point est-il fondamental ? Parce que c'estaprèsavoir reçu une
explication juridique sur ce point que l'Assembléepourra. dans l'exercicedes
pouvoirs politiques qui lui appartiennent en propre - qui appartiennent a elle
seule -. déciderquelles sont les diverses conséquertcesqu'ilfaut tirer de ce fait
juridique pour la politique de décolonisationdu Sahara occidental.
C'est donc uniquement ce point-la dont ta Cour est saisie. L'Assemblée
générale a été parlaitement consciente de ce fait lorsque dans sa résolu-
tion 3292 du 13décembre 1974, par laquelle ellea saisi la Cour de la demande
d'avis. ellea mentionné dans le célèbreconsidérant dont nous parlait hier
M. Petren :

« Coturotat~iqu'une dificulté juridique a surgi au cours des débatsau
sujet du statut juridique dudit territoire au moment de sa colonisation par
l'Espagne. >)
Dans ce paragraphe de la résolution. I'Assemblee générale reconnait
explicitement l'existenced'une difficultéjuridique - dificultéjuridique qui est
une questiotjuridique - a propos du statut juridique du Sahara occidental au

moment de sa colonisation.
Je voudrais dire incidemment en ce qui concerne la question qui nous a été
posée hier par M. le juge Petrén que jusqu'a présent la délégationde la
Mauritanie a essayé en vain de toucher l'ambassadeur a New York qui a
participéa la négociation etqui est le seul. apparemment. qui pourrait nous
donner la réponse. a moinsqu'un membre du Secrétariat des Nations Unies ne
puisse le faire. mais nous sommes vraiment en instance, nous espérons encore
te toucher cet après-midi et nous donnerons certainement la réponse
demandée.Je pense cependant que, dans le cadre généralde la manière dont la
République islamiquede Mauritanie envisage le problèmegénéralde la notion
de question juridique pendante, quelles que furent les raisons pour lesquelles
la modification a été finalement faite,le choix de l'un ou l'autre terme : EXPOSE ORAL DE M. SAWiON 47

diflcu[résjirridiques ou confroversesjuridiques - si I'onprend pour base. non
pas la notion de diJJerendjuridique.mais la notion de questio~jiuridique - ne
paraît pas en ce qui nous concerne avoir beaucoup d'importance.
Fermant cette parenthèse, j'en reviens a ce que je pense êtrel'élément

fondamental qui est posédevant la Cour. le statut du territoire du Sahara
occidental au moment de la colonisation. C'est incontestablement la question
juridique charnière implicite. non encore résolueentre lestrois Etats intéresses.
El c'est pour y répondre que l'Assembléea posé a la Cour deux questions
concrètes qui sont les prémisses. qui sont les coirdirioirsn&cessairesde la
question principale.
Si I'on examine maintenant ces deux questions concrètes posées par
l'Assemblée a la Cour, nous savons que I'Espagne nie l'existence d'un confli t
ce propos :elle nie l'existenced'une controverse sur ces questions.
Pourtant. la position de I'Espagneest loin d'êtreclaire sur ce point. Si.a la
page 156(1)de son exposéécrit.elle nie toute controverse sur fa notion detc./-rrr
i~itlliüsnéanmoins, quand on reiit les débats devant ia Quatrième Commis-
sion, on voit qu'ace moment-la le représentantde I'Espagnea dit queson pays
ne considéraitpas le Sahara conime un territoire sans maitre parce que, disait-
il. il avait sa « population propre »(A/C.~/SR.~ 130, p. 9).
En revanche, dans l'exposé écrid te l'Espagne. page 156 notamment. des
citations donnéesconcluent a ce que le Sahara occidental étaitlerra ntrllius. et

que d'ailleurs elle n'avaitpas d'autre choix que de dire que c'est un territoire
ferra trullius- pages 174 et 1 75.
N'y a-t-il pas la une question juridique ? N'y a-t-il pas \a une question
juridique pendante alors que. au même moment. a la mime Qiiatrième
Commission, le hlaroc et la Mauritanie soutenaient des positions différentes?
Même chose pour la seconde question. M. de Piniès a la Quatrième
Commission a insitésur le rait qu'au moment de la colonisation :
<(leSahara. comme tout autre territoire africain. pour ne pas dire comme
le reste du monde. avait sa population propre - le Sahara étant peuplé

par des Saharaoua et lesautres territoires par d'autres habitants)(A/C.4/
SR.2 130. p. 9):
C'est en quelque sorte donner l'impression qu'il y a la une population
autochtone. Cela est trèséloigne - c'est lemoins que l'on puissedire - des
positions qui ont étéexposéesdepuis dix ans devant la Quatrième Commission
et devant l'Assembléegénéraletant par la Mauritanie que par le Maroc et a cet
égard la Cour a certainement eu l'occasion de prendre coniiaiss:ince du
volumineux dossier preparé par le Secrétaire généraldes Nations Unies qui

montre comment cet antagonisme ancien sur cette question s'est développé
depuis de nombreuses années.
Je crois que tout cela met en évidencele caractere de question juridique
actuellement pendante de cette deuxième question.
Mais je crois que pour la seconde question il faut encore aller plus loin dans
la réflexionet dans l'analyse. Le caractere de cette question poséea la Cour est
tel. que la Cour. pour y répondre. seraobligéede rechercher tous les éléments
de fait et de droit qui unissent ce territoire a l'ensemble mauritanien et au
Maroc ou qui, selon l'Espagne, n'ontaucun rapport avec eux. IIsuffit de voir
l'ensemblede matériaux quiy ont été apportes. et. a cet égard.on me permettra
de dire incidemment combien j'ai admiré personnellement le remarquable
ensemble d'annexes présentépar le Gouvernement espagnol et qui aide
absolument tous les Etats intéressés a cette affaire. Tout cela montre bien que
l'analyse de cette question par la Cour doit nécessairement I'amencr a des48 SAHARA OCCIDENTAL

études rétrospectivesd'un ensemblede faits historiques et d'actesjuridiques qui
prouvent ou qui contestent les liensjuridiques affirméspar les parties, ces liens
juridiques qui sont de différente nature juridique. Une simple lecture. il ne
s'agit pas ici d'aborder le fond, une simple lecture superficielle des exposés
écrits desparties met en relief que, pour prouver cesliensjuridiques, les parties
ont des prétentions diverses dont il est viritablement difficile de soutenir
qu'ellesn'ont pas le caractere de question juridique actuellement pendante.
Je pense donc que sur ce premier point on peut dire qu'il y a une ou
plusieurs questions juridiques pendantes entre Lestrois Etats.

Mais ceci m'amèneen fait à la seconde question :
Peut-on dire qu'il y a une questionjuridique actueilemetit pendante etttre
deux ou plusieurs Etals ?

Vous vous souviendrez. Messieurs. que dans I'aîfairede laNamibie la Cour
n'avait pasadmis la présencede cet élément.
Je ne vous relirai pas tous les paragraphes 32, 33 et 34 de cet avis (C.I.J.
Recueil. p. 24) que vous connaissez fort bien. et qui, je le crains prendraient
inutilement votre temps. Je me permettrai de ne pas les relire, je suppose qu'ils
sont tous gravésdans votre mémoire.
Ce que je pense le plus important ici c'est de vous montrer toutes les
différencesqu'il y a entre la présenteaffaire et l'affairede laNamibie, et elles
sont nombreuses.
Tout d'abord il ne s'agitpas du tout d'une requêtequi est présentée parun
organe des Nations Unies a propos de ses propresdécisions,en vue d'obtenir de
la Cour un avisjuridique sur lesconséquenceset lesincidencesde cesdécisions.
Ce n'est pas celadu tout. C'estune requete qui porte sur lestatut d'un territoire
déterminéet les relations de ce territoire avec les Etats particuliers. a un
moment déterminé. Encore une fois, le caractere rétrospectif des questions
posées a la Cour accentue les aspects de contestation interétatiques, sans pour

autant, bien slir. éliminer le service qui sera ainsi rendu par la Cour a
l'Assembléedans sa réponse etdans l'exercicedes compétences discrétionnaires
de t'Assembléeen matière de décolonisation.
Certains. ceux que j'appelle les pessimistes. dans la doctrine. ont cru
pouvoir interpréter l'arrêtde la Namibie en disant que chaque fois qu'un
organe de l'organisation des Nations Unies demanderait un avis a propos de
I'exercicede ses fonctions. cela aurait pour effet que la Cour devrait refuser de
donner un juge ad hoc. Cela me parait particulièrement excessif parce que
comme en toute occurrence où presque toujours les avis sont demandés en
relation avec le travail ou. les compétences de ses organes, a partir de ce
moment-la, on supprimerait tout a fait lejuge ad hoc, alors qu'ilest prévupar
les textes.
Je crois que c'est une position qui me paraît particulièrement pessimiste et
alarmiste.
ta seconde difference entre l'affaire de la Namibie et celle-ci c'estque les
contestations. les questions juridiques pendantes ne se présentent pas ici
simplement entre l'Espagne et l'organisation des Nations Unies. mais elles se
présentententre l'Espagneet la Mauritanie d'une part, l'Espagneet le Maroc de
l'autre. sans compter les divergences et les connits d'intéréts existantentre la
Mauritanie et le Maroc. En l'instance la Cour se trouve devant un conflit quia
des allures tripartites. triangulaires, contrairement aux questions dont la Cour
est habituellement saisie, et comme elle étaitd'ailleurssaisie dans l'affaire de la
Namihie. Ici ce n'est pas d'un conflit constitutionnel qu'il s'agit,ce n'estpas de
discuter la compétencede tel ou tel organe des Nations Unies ou de la famille des Nations Unies. mais bien des droits particuliers de deux Etats ou de trois si
on inclut l'Espagne. a l'occasion de la décolonisation d'un territoire.
Troisième différence. Ona déjàsoulignéque la résolution 3292 (XXIX)

c<Dernatzde a l'Espagne en tant que Puissance administrante en
particulier. ainsi qu'au Maroc et a la Mauritanie. en tarit que parties
concernées. de soumettre a la Cour internationale de Justice tous
renseignements ou documents pouvant servir a éluciderces questions. ))
(1.p. 7.)
Ici, vous le voyez bien, l'Assembléegénérale circonscrita titre principal. car
par ailleurs elle parle aussi de l'Algérie, maisici.àtitre principal ellecirconscrit
l'intérêdte la question aux trois Etats:l'Espagne. le Maroc et la Mauritanie.

J'ai, ce que certains pourraient peut-ètre considérer comme'-un certain
masochisme, passéquelques heures a relire il y a quelques semaines l'ensemble
des résolutions par lesquelles I'Assemblee generale avait, dans le passe.
demandédes avis consultatifs a la Cour, Je doisdire que dans aucun crisje n'ai
vu une situation aussi claire, aussi préciseou l'Assemblée désignaietlle-même
les parties directement concernées dans une affaire consultative.
Quatrième point. La deuxième question posée a la Cour mentionne
spécifiquement le Maroc et l'ensemble mauritanien. dont on acceptera sans
doutequenous avons. dans une certaine mesure. la possibilitéde parler en son
nom.
Peut-on d'une manièreplus claire - pour reprendre une expression de M. le
juge Gros dans son opinion dissidente dans l'affairede laNairiibieet a laquelle
il n'y a rien a ajouter ni a retrancher -. peut-on d'une manière plus claire
procéder a la constatation de l'existence entre certains Etats d'intérêts
juridiques opposésqui leur donnent une place particulière dans l'appréciation
de la situation d'interëtgénerat >>(C.I.J.Recueil (971 , p.329).
Ledésirde la Cour decoopérerau maximum avec les organes politiques qui

lui demandent un avis devrait. dans le respect bien sûr de la conception qu'elle
peut sefaire de sa politique judiciaire. la conduirea prendre en considération
l'intérêptarticulier de certains Etats lorsque cet intérêt esrteconnu par l'organe
politique lui-mème.
Enfin. il existe entre I'affaire de la Namibie et la présente affaire une
différence capitalequi ne saurait étreassez soulignée.C'estla présenceau siège
de la Cour. telle qu'elleest actuellement composée.d'unjuge national d'un des
trois Etats intéresses.
Dans les pages consacréesdans I'A~uirraird ee I'ltis~i~~dcet droit iirrernarional
de 1954 la question du juge ad hoc. lejuge Guerrero exprimait la réflexion
suivante :

<(IIexiste cependant un cas ou la participation d'unjugead hot dans la
procédured'une affaire serait absolument légitime :c'est lorsqu'une seule
des parties est représentéesur le siège. »
Je ne vous lirai pas non plus un long extrait de l'opinionindividuelle de hl. le

juge Fouad Ammoun :lui aussi insistait dans l'affaire de lNamibie sur cet
élémentessentiel en cette affaire que. pour que l'on puisse désignerun juge ad
lzoc, il aurait fallu que l'une des parties npast un juge de sa nationalitésur le
siege, alors que l'autre en avait un.
IIva de soi que l'insistance de la Républiqueislamique de Mauritanie sur la
question de la présenceau sièged'un juge, de nationalité espagnolepourquoi le
taire, ne touche en rien la personne de celui-ci.dont la Républiqueislainique se
plait a reconnaître l'impartialité, l'indépendanceet l'intégrité.50 SAHARA OCCIDENTAL

Ce que nous réclamons ici c'est le principe de l'égalitén ,otamment. c'est le
principe fondamental qui nous paraît devoir êtredéfendu.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement de la Republique islamique de
Mauritanie prie la Cour de dire que le présent avisconsullatif est demandé au
sujet d'une ou plusieurs questions juridiques actuellement pendantes entre
elfes. l'Espagne et le Maroc. et que I'article 31 du Statut es1 par conséquent
applicable en verlu de l'article 89 du Règlement.

Si. contre toute attente. la Cour ne devait pas estimer que I'article 89 du
Règlement de la Cour est applicable en I'espece. le Gouvernement de la
République islamiquede Mauritanie prierait la Cour de bien vouloir envisager
subsidiairement Lespossibilités d'applicationqu'offre, en l'espèce, l'artic68 du
Statut de la Cour.
Ceci m'amène a la derniérepartie de mon exposésur l'articte68 duStatut de
la Cour. Je me permets de vous en rappeler les termes :

(<Dans l'exercicede sesattributions consultatives. laCour s'inspirera en
outre des dispositions du présent Statut qui s'appfiquent en matibre
contentieuse, dans la mesure ou elle les reconnaîtra applicables. »

L'élémenftondamental de I'article68,qui le distingue donc de I'article89du
Reglement. est que le Statut donne a laCour utlepossibiiitéde désignerun juge

ad hoc, elle ne lui en faitplus une obligation. elle lui donnune faculté,elle ne
lui impose pas un devoir.
Certes en disant cela je m'engage déjàdans une controverse : aussi je
voudrais d'abord essayerde dégagerun certain nombre d'éléments sur lesquels
il n'y a. j'espère, pasde controverse :un certain nombre de caractéristiques
généralesde ce texte qui pourraient être acceptéespar tous. II me semble
possible d'en dégagertrois : c'est que I'article 68 du Statut a un caractère
général quipose un principe : deuxièmement il donne a la Cour de larges
pouvoirs d'appréciation et.troisièmement, dans la hiérarchie desnormes qui
guident l'activitéde la Cour. ilest supérieurau Règlement.Cela me parait être
trois points indiscutables et qui peuvent s'expliquer assez facilement.
Gr;irc;i.cl.osuri~/1/ii.iiir.ipc.tel est bien le caractère de I'article68. Le texte,
vous vous en souviendrez. clôture le chapitre IV du Statut qui est relatif aux

avis consultatifs: c'est le dernier article de ce chapitre :il est mis la pour
combler les lacunes, il exprime un principe général qui permet a la Cour
d'appliquer les dispositions du Statut qui s'appliquent en matière contentieuse
et qu'elle estime pouvoir appliquer par analogie des situations. La Cour
d'ailleurs ne s'estpas privéede l'utiliser.
Second élément. I'article 68 donne a la Cour de larges pouvoirs
d'appréciation. Ici les citations que l'on peut faire dans la jurisprudence de la
Cour sont nombreuses. Je vous rappellerai votre avis du 30 mars 1950,
Interprétationdes traifésde paix. dans lequel vous insistiez sur ce fait en
disant :

<<Il en résulteclairement que cette application dépend des circonstances
particulières àchaque espèceet que la Cour possèdea cet égardun large
pourvoir d'appréciation. D (C.I.J.Recueil 1950, p. 72.)

Dans l'affaire de la Namibie. plusieurs juges dont en particulier M. André
Gros, ont soulignécet aspect des choses (C.I.J.Recueil 1971. p. 327).
De méme, dans l'avis du 28 mai f951(Reserves à la cotzventionsur le
génocide).la Cour a a nouveau rappeléque : (<I'article 68 du Statut lui reconnaît le pouvoir d'apprécierdans quelle
mesure les circonslances de chaque espèce doivent la déterminer a
appliquer a la procédure consultativelesdispositions du Statut applicables
en matièrecontentieuse )(C.J.J.Recueil 1951, p. 19).

Troisièmeélémentl.'arfic[e66:est. dans la Iziérarclrid ees tiorrnesqitigtiiderit
l'acrivife de la Cour. supérieurau Reglemet~t.Cela découle aisément des
articles 30, 69 et 70 du Statut qui. tout en conftrant a la Cour le droit de
déterminerpar un règlementle inode suivant lequel elleexerce sesattributions,
réservent aux Etats souverains. c'est-à-dire à la procédure internationale de

rcvision conventionnelle. la modification du Statut.
Et je souhaiterais ici rappeler ce que soulignait sir Gerald dans son opinion
dissidente dans l'affairede laNamibie :
« les dispositions du Règlement sont subordonnkes a celles du Statut. La
Cour ne pouvant adopter un Règlement incompatible avec son Statut.
toute règle de procédure contraire au Statut serait, par le fait même.

dépourvue de validité et le Statut prévaudrait >>(c.I.J. Rcciicil 1971.
p. 31O).

Cela cesont lescaractéristiques générales du texte. Je crois qu'en vuc d'éviter
iwte confusion il est aussi indispensable de lie pas coilfoitdrelhrticle 68 du
Starut avec /'ar/ic/e 87 du Règle~nerzt.Ce sont deux dispositions tout a fait
différentes. A première vue, quand on les lit, quand on les regarde. on a
l'impression de frèresjumeaux. Bien qu'il s'agissedejumeaux. ce sont de faux
jumeaux car. en effet. ily a au moins trois différencesessentielles : d'abord. le
paragraphe initial qui introduit I'articledu Règlement etqui. s'ilse réfère a la
Charte et au Statut. ne parle que du chapitre IV du Statut et pas de l'ensemble
du Statut et ensuite on a apporte une précision importante. une limitation
importante, qui est qu'«a cet elTet.elle recherche avant tout si la demande ...

d'avisconsultatif a trait ou non a une question juridique ...pendante... ))
C'est-à-direqiie l'on a diminue les pouvoirs discrétionnairesde la Cour qui
existaient dans le Statut. on les a réduits,on les a transformes en lilliputiens.
Enfin. autre notable diflérerice. la Cour s'inspire dans ce texte non plus
comme elle ledit dans I'article68 du Statut des dispositions du Starrtt.mais elle
s'inspire des dispositions du Règlement.
Vous voyez q~i'ily a la.deux textes qui sont entièrement différentsl'un de
l'autre. Si je les ai mentionnésc'estpour écarterI'article 87 du Rkglement qui
me parait pouvoir jeterplus d'ombre sur cette question que de clarté.
Ce qui est essentiel dans tout ceci, Monsieur le l'résident, Messieursde la
Cour. ce sont lesrapports de systémequ'il y a entre les articles 68 du Statut et
89 du Reglement. Ces rapports de système eux sont discutes et âprement.

Pourtant c'est une question importante. Quels sont les rapports logiques. je
dirais mêmeplus. quels sont les rapports politiques. et quand j'emploie ce mot
politique je l'emploie, Messieurs.dans le sens noble du mot. au sens noble du
terme. c'est-à-dire de la poiitique judiciaire de la Cour. Quels sont les rapports
qui existent entre les articles 68 du Statut et 89 du Règlement?Pour certains.
I'article 68 confère des pouvoirs supplémentaires a la Cour. Pour d'autres.
l'article89 épuise complètement les pouvoirs de la Cour en matière de
nomination des juges (rd Iiocet. j'essaierai en tout casde lemontrer ensuite. il
me semble que la Cour a pris une position intermédiaire qui est ni l'une ni
l'autre.
Voyons maintenant ces trois positions.
La prentière,selotrlaquelle l'article68 confèredespotivoirs siippléinet~faires52 SAHARA OCCIDENTAL

g la Coirr, a ététrès remarquablement exposée par MM. les juges Dillard.
Onyeama, Gros et sir Gerald Fitzmaurice dans l'affaire de la Nantibie. Dans
une certaine mesure lejuge Petrény a égalementtouché. Ce sont Mhl. lesjuges
Dillard et Onyeama qui. je dirai, ont ouvert le feu dans leur déclaration
commune jointe a I'ordonnance du 29janvier 1971. lorsqu'ilsont déclare :

<cNous ne pouvons nous rallier a la décision de la Cour. Tout en
n'estimant pas que la République sud-africaine ait établi son droit de
désigner un juge ad hoc en vertu de I'article 83 [aujourd'hui 891 du
Règlement de la Cour. nous sommes convaincus que le pouvoir
discrétionnaireconféré a la Couren vertu de I'article68 de son Statut lui
permet d'approuver une telle désignation et qu'il aurait étéapproprie
d'exercer ce pouvoir discrétionnaire vu l'intérêtparticulier de la
République sud-africainedans la question dont la Cour est saisie.>)(C.1.J.
Recueil 1971. pi 14.)

Lejuge Onyeama dans son opinion individuelle a encore insistésur ce fait,je
vous fais grice de cette citation (C.IRcarcil 1971. p. 140).
M. lejuge Gros développela mêmeidéeet declare :
<(mêmesi laCour n'avait pasadmis ...que I'artict83 [aujourd'hui 891,lui
faisait obligation d'accepter la demande de désignation de juge ad lioc.

I'artic68 du Statut Luien laissailafaculté.etje me réfèrea ladéclaration
de mes collèguesM. Onyeama et M. Dillard a ce sujet sur I'ordonnance du
29janvier 1971 >)(C.I.JRecueil 1971, p. 330).
Et c'est sans doute sir Gerald Fitzmaurice qui a consacré le plus long
développementà cette question. dans son opinion jointe al'avis.et la aussi je
crois que certaines de ces remarques faites par ce distingué et lin juriste
méritent d'êtreici relues. Après avoir rappeléque l'une des dispositions du
Sutut que I'article 68 permet d'appliquer en procédure consultative est I'ar-

ticl3 1.sir Gerald remarque ceci :
(<I'article68 du Statut [et non du Règlement comme le dit une coquille
dans la traduction]confèrea laCour le pouvoir général d'appliquerledit
article et d'autoriser la désignationd'un juge ad hoc si une demande est
présentéea cet efit » (C.I.J.Recueil1971. p. 310).

II expose ensuite que l'articl83 du Reglement (aujourd'hui l'articte 89)et
que I'articl68 du Statut traitent d'aspectsdifférent:
(<Le deuxième(I'artide 68 du Statut). malgréuneformulation presque
impérative. donne en fait a la Cour une sorte de pouvoir discrétion-
naire lui permettant d'assimiler. en tout ou en partie. les procédures
consultatives a des affaires contentieuses. L'arti83e du Règlement. lui.

contient une sorte de directive que la Cour se donnea elle-meme quant a
la maniere dont elle doit exercer ce pouvoir discrétionnairedans certaines
circonstances bien définies)i(C.I.J.Recireil 1971.p. 310.)
En quelque sorte. lorsque les circonstances prévues par I'article 83
(maintenant 89) sont réunies,la Cour doitautoriser la nomination d'unjuge ad
hoc. En revanche. selon ses pouvoirs résiduelsdont elle jouit au titredeI'ar-
ticle 68 du Statut. laCourpeilt désigneun jugead Ilocen dehors bien entendu
des circonstances prévues par I'article83 du Règlementdans la mesure ou elle
reconnait t'articl31 applicable. Donc l'articl83 n'estpas limitatif dans cette

théorie,il ne peut pas interdire a laCour d'admettrladésignationd'unjugead
hoc lorsqu'une disposition du Statut l'y autorise, cést-&dire l'article 68. EXPOSÉ ORAL DE hl. SALhlON 53

L'article83 n'estqu'un cas d'applicationde I'article68 du Statut. il n'enépuise
pus Ic~si~irt~/u/ilc;.s.
Unedeuxièmeposition consisteà dire que l'article89 épuiseles pouvoirsde
la Cour en matièrede nominationdejuge ad hoc et ici je vais me réferertrés
longuement a une étude tres approfondie de l'éminent juge Jiménez de
Aréchaga qui s'est attaché a démontrer que I'article 68 du Statut ne fait pas
référence à l'article 31 de ce même Statut (Zeitschrifrfurauslündisches

oflertllichesRecht und Volkerrechl, 197 1,pp. 697 et suiv.).
J'ai bienpeur, évidemment, de ne pas interpréter correctement la penséede
cet éminentjuge. surtout dans ce temps tres bref qui m'estdonnépour pouvoir
résumer sa pensée. mais j'espere que je ne le trahirai pas trop. Si j'ai bien
compris, pour lui, le pouvoir discrétionnaire de la Cour dans le cadre de
I'article68 du Statut doitétre considérécomme exceptionnel et non suscel;.ible
d'êtreelargi par une interprétation extensive. Selon l'éminent juge, il ne
s'applique qu'aux dispositions du Statut relatives aux affaires contentieuses et
pas a celles qui s'appliquent a la procédure consultative ex proprio vigore,
comme il l'écritdans le texte anglais quej'espere ne pas traduire tropmal pour
le moment.
Toujours selon lui, l'article1 du Statut. au mêmetitre que les articles 16,
17.20 ou 24, apparaît dans lechapitre 1du Statut qui a trait a l'organisation de
la Cour et, dit-il. s'applique par conséquentaussi bien en matiere contentieuse
qu'en matiere consultative salis avoir besoin de I'article 68. L'article 31
s'appliquant aussi a la procédure consultative. la Cour n'a aucun pouvoir
d'appréciationa son égard, cela découlemëme du texte du Statut. Elle doit
appliquer ces dispositions de I'article 31 et pas simplement étreguidéepar
elles; elle doit les appliquer dans chaque cas ou les circonstances précises
qu'elles ont définiessont réunieset seulement dans ces circonstances. Clbid.,

p. 709.)
II conclut ainsi fermement que I'article 68 du Statut ne recouvre pas I'ar-
ticle31et, par conséquent, ne confere a la Cour aucun pouvoir discrétionnaire
en ce qui concerne la question de l'admissiondejugesad hoc dans la procédure
consultative. (Ibici.,p. 711.)
Devant ces deux positions franchement opposées.quelle a été l'attittrdede la
Cour,enparticulier dans 1'affairede la Namibie ?II est intéressant d'abordde
noter que l'Afrique du Sud n'avait passoulevéle moyen de I'article68 et que
néanmoins la Cour en a longuement traité dans son avis. ce qui est ainsi le
signe certainementdetrès longues delibérationsen son sein sur lapossibilitéou
non d'appliquer cet article 68. Je vais ici. je m'en excuse, lire le paragra39e
de I'avisde la Cour. parce qu'il esttres important pour que l'on saisisse bien
cette argumentation qui est une argumentation délicate.
La Cour a déclaréceci, dans son paragraphe 39 :

<<On a aussi exprimél'avisque. mêmesi l'Afrique du Sud n'apas droit
a un juge ud hoc, la Cour n'en devrait pas moins, dans l'exercice du
pouvoir discrétionnaireque lui confere l'article68 du Statut, lui permettre

d'en désigner un. pour tenir compte du fait que ses intérêtssont
particulièrement touchésdans la présente instance. A cet égard, laCour
rappellera une décision prisepar la Cour permanente B une époqueoii le
Statut ne contenait aucune disposition sur les avis consultatifs, soin de
régler la procédure en la matière étant laissé entièrement a la Cour
(C.P.J.I.serie E no4, p. 72). Saisie d'une requétetendant a la désignation
d'un juge ad hoc dans une affaire où elle estimait [c'est l'affaire de la
Co~??/~l~fibi /~~c;ertui1\ @cr~~ts-10i.uit1zikoi.vavecIl~.ot~.s/i/t/dre 1054 SAHARA DCCIDENTAL

Villelibre] qu'il n'existaitpas de différend. laCour permanente a dit. en
rejetant cette requête:« La Cour ne peut statuer qu'en conformité deson
Statut et de son Règlement,dûment établi enapplication de I'article 30 du
Statut >)(ordonnancedu 31octobre 1935, C.P.J.I. sérieAl3 n065, ann. 1,
p. 70). EHe a constate en outre que « l'application [de l'exception ne]
saurait êtreétendueau-delà des limites qui lui ont étéréglementairement

fixées» (ibid, p.71 ). »(C.I.J. Recueil 1971, p. 26-27.)
Enlin. dernier passage que je cite de ce paragraphe 39 :

<Dans la présentealTaire,la Cour, tenant compte du Réglementadopté
en vertu de I'article30 du Statut. est arrivéeà la conclusion qu'elle n'était
pas en mesure d'exercer un pouvoir discrétionnaire a cet égard. » (lbid.,
p. 27.)

Monsieur le Président. Messieurs de la Cour, je crois que pour ceux qui
lisent ce texte, en particulier pour le pauvre juriste moyen de mon style, ce
texte laisse planer certains doutes sur la portéedu refus de la Cour. Celle-ci
insiste sur le fait que c'est« dans la présenteaffai))que la Cour <<n'étaitpas
en mesure d'exercer un pouvoir discrétionnaire a cet égard». Nulle part la
Cour ne s'estprononcéesur le principe de la relation entre I'article68 du Statut
et I'article83 (aujourd'hui I'article89) du Règlement. Rienne prouve donc que
la Cour ait pris parti d'une manière autre qu'en fonction des circonstances.

Quant à certains arguments qui ont étéutiliséspour dire que l'article 68
exclurait I'article31,je dois dire que personnellement je ne parviens pas a être
convaincu. En effet l'article 68 du Statut dit que dans l'exercice de ses
attributions consultatives, « la Cour s'inspirera en outre des dispositions du
présentStatut qui s'appliquent en matiere contentieuse ... »II ne dit pas« qui
s'appliquent en matièredeprocedure contentieuse », il dit <(qui s'appliquent en
matiere contentieuse ».En d'autres termes, il ne se limite pas au chapitre III. Il
peut aussi impliquer des dispositions du chapitre I qui sont susceptibles de
s'appliquer en matière contentieuse. murafis mutandis.
En outre. l'application de I'article3ala matiere consultative étaia ce point
peu évidentequ'ila fallu tout de même cinqans pour que la Cour permanente
de Justice internationale se décidea interpréterleStatut de cette façon dansson
Règlement. J'ajouterai qu'il a fallu que la Cour permanente de Justice
internationale tranche la question d'abord par voie d'interprétationen créant
I'article 71. alinéa2. et que mêmeaprès cela un certain nombre de juges

n'étaientpas satisfaits. je vais vous en donner des preuves dans un instant, et
on peut considérerdans une large mesure que I'article68 est venu a posteriori
justifier I'article1, alinéa 2, du Règlement.
Dans un article sur le juge ad hoc. Jean-François Lachaume disait:
« On pouvait a la rigueur s'interroger sur la légalide cette disposition
du Réglementétendant a la procédure consultativele bénéfice du juge ad

hoc alors que leStatut ne prévoyaitrien en cesensde façon explicite. Pour
prévenirune critiquede cette nature, lors de la revision du Statut en 1929
furent ajoutés a ce dernier quatre articles relatifs a la procédure
consultative et notamment I'article 68 prévoyant que la Cour s'inspirera
dans l'exercice de ses attributions consultatives « des dispositions du
Statut s'appliquant en matiere contentieuse. dans la mesure ou elle les
reconnaîtra applicables. » (<<Le juge ad hoc >).Revue généralede droit
inlernational public, 1966. no 2. p. 265-358, spécialement p. 300.)

J'étaisun peu embarrasse, Monsieur le Président. Messieurs de la Cour, de EXPOSÉ ORAL DE M. SALMON 55

cette référence.disons. de seconde main. récente. et j'airéusatrouver ici.ala
bibliothèque de la Cour. un document que je cherchais depuis longtemps, le
procès-verbal de la session tenue aGenève du II au 19 mars 1929, qui est le
rapport du comitédejuristes charge de l'étudedu Statut de laCour permanente

de Justice internationale, et j'y ai découvert deux choses qui me paraissent. je
crois. importantes. ici, quand on veut examiner les rapports de systèmesentre
les deux articles en question.
Jelistout d'abord dans ce texteala page 67. au moment ou I'ona parléde la
procédure en matiere d'avis consultatif et de la question du transfert dans le
Statut de certaines dispositions du Règlement de la Cour. une déclaration de
M. van Eysinga qui se demande si plusieurs des dispositions du Règlementne
devraient pas êtretransféréesdans le texte du Statut. II cite a titre d'exemple
l'alinéa2 de I'article71qui prévoitune application extensive de I'article31du
Statut et qui. de ce fait. devrait figurer dans celui-ci et non pas dans le
Reglement et il ajoute : <on poiirrail mime se demander si l'obligation de fait
de prescrire cette disposition n'a pas amené la Cour a légiférerultra vires.))
M. van Eysinga n'a pas étéle seul de son avis. Et si I'on prend le même
document a la page 125. là ou vous avez le rapport final adopte par lecomitéde

juristes concernant la question de la revision du Statut de laCour. vous trouvez
le paragraphe suivant en matière d'avis consultatif:
« Le comité[je ne vais pas tout vous lire.je vous lis uniquement ce qui
concerne. disons, le paragraphe 681propose, en outre. d'ajouter a ce
chapitre sous le numéro 66 un article final destinéa tenir compte du fait
que la Cour peut Etre appelee à donner des avis consultatifs. soit en
matière contentieuse. soit en matiere non contentieuse. IIen résulteque.

dans le premier cas. elle aura a faire application des dispositions de
procédure contentieuse viséesdans les chapitres précédentsdi1 Statut,
dispositions qui ne trouveraient pas toujours leur application lorsque la
Cour rend un avis en matiere non contentieuse. Ainsi. par exemple. les
dispositions des articles 57 et58 doivent s'appliquer dans tous les cas.
tandis que l'application de I'article 1 n'est imposéeque lorsque l'avis
consultatif est demandé sur une question relative a un différend
actuellement ne. » (Docrt~~rcii(IL/u,S(IL.~L (@S NUI~OIIC Sl, 66. M66.
1929, V, p. 67 : voir aussi C.P.J..\c?.D. 3Cadd. au no 2. p. 413.)

Ceci vous montre donc bien que dans l'esprit dti comité dejuristes. I'ar-
ticle68 était destine.partir dece moment-la, a couvrir. àexpliquer, ajustifier
la pratiquejusq~i'ice moment faite d'une manière purement interprétativesur
la base de I'article31.
Je persiste donc humblement a croire que le rapport entre l'article 68 du
Statut et I'article89 du Règlement estun rapport hiérarchique. Ce point n'est
pas tranché en principe par la Cour qui conserve toute liberté a cet égard.
11faut peut-êtremaintenant examiner d'un peu plus prèsleparagraphe 39 de
l'avisde la Cour que je vous lisais tout a l'heure dans l'affairede lahramiAie.
mon avis, ce paragraphe soulève trop de questions, il laisse trop de portes
ouvertes pour que l'on puisse affirmer que la Cour ait voulu a tout jamais
s'interdire une application autonome de I'article68. en matière dejugead hoc.

application que lui inspireraient la volontéd'une bonne administration de la
justice ou le sens de l'équité.
Et c'est pour cela d'ailleurs, je crois, qu'il faut pousser plus loin encore
l'analyse, et en particulier l'analysedu précédentqui est ici cité.qui est celui de
l'affaire des Décrets-lois dati~zikois.
D'abord. ce précédentcomportait une faiblesseque la Cour a reconnue elle-56 SAHARA OCCIDENTAL

meme, puisqu'elle a spontanément relevé,dans une phrase incidente. que cet
avis avait été rendu

<(à une époque ou le Statut ne contenait aucune disposition sur les avis
consultatifs ; le soin de régler la procédure en la matiere était laisse
entièrement a la Cour (C.P.J.1.serie E n04. p. 72). » (C.I.J.Recueil 1971.
p. 26. par. 39.)

Le fait qu'aucune disposition correspondant a l'article 68 du Statut de la
Cour sur laquelle un pouvoir résiduel aurait pu s'appuyer, le fait que cela
n'existait pas en 1935 - je vous rappelle que ce n'est qu'en 1936 que la
revision du Statut est entréeen vigueur - ce fait est évidemmentcapital en la
matière. Plusieurs juges l'ont souligne dans leur opinion individuelle ou
dissidente : lejuge Onyeama G'hid.,p. 140-14 11,lejuge Oillard G'hid..p. 153,
note 1 ),lejuge Fitzmaurice (ibid..p. 3 12)et lejuge Gros (ibid.,p. 330).Je crois
qu'il y a la tout de mémeun élément fondamental.L'article-7 I du Règlement
étaitalors la seule disposition applicable et il était logique qu'on l'interprète
restrictivement dans le silence du Statut. étant donné les doutes auxquels je
faisaisailusion tout
a l'heuresur la légitimité mêmede cet article 71(en ce sens,
Jean-Paul Jacque, « L'avis de la Cour internationale de Justice)). Revue
généralede droij iirfertiatiorzolpublic. 1972, no 4. p. 1057).
Si pourtant on a pu relever que dès 1923 la Cour avait souligné les
pouvoirs discrétionnaires qu'elle possédait enmatière d'avis consultatif »
(Jiménez de Arechaga, Zei/.s~./ii.j/ ,i'ii<rrislrriidi~cliis[~2!ïilic/teaeclir trirtl
Yij/X-o.r~.c.hi.971. p. 7101,c'est vrai que la COLI^ permanente de Justice
internationale a dit dés 1923 qu'elle avait des pouvoirs discrétionnaires en
maliéreconsultative, maisen fait. ce n'est qu'A partir de 1927 quélfea oséles
exercer. ILlui aura fallu quatre ans de réflexion etil n'en demeure pas moins
que la Cour n'a eu l'âme vraiment en repos qu'aprèsl'entréeen vigueur de la
modification du Statut.
Enfin. lorsqu'on examine ce paragraphe 39. je crois qu'il faut tenir compte a

la fois des particularités de l'affaire des Dkcrets-lois dair~zikois et des
particularités de l'affaire de la Namibie elle-même.
Pour ce qui est de I'afîairedesDgcrers-loisdantzikois. je crois qu'on n'a pas
assez souligné que.si la Cour ne pouvait utiliser ses pouvoirs discrétionnaires
comme l'y invitait la Ville libre de Dantzig. c'est parce qu'on lui demandait
d'appliquer I'article 31 du Statut. Or, cet article faisait allusiona l'existencede
parties :dans I'affairedes Dc;~.i,c,is-lo~i.u~i/:ikoi.i~l.n'yavait pas de parties. il
n'yavait pas deux parties. il n'yen avait qu'une :il n'yavait pas de contestation
interétatique ;dansaucun cas. l'article31n'aurait pu être applique.Le texte de
l'avis.que je ne vais pas vous relire, le souligne clairement. C'est pour cela que
la Cour n'apas pu user de pouv6irs discrétionnaires.Mais si la notion deparrie

étaitessentielle pour la Cour permanente de Justice internationale. c'estque la
base juridique. pour elle, c'étaitcelle de disfkretid-lié.On est partie a un
différend.Donc. pour qu'ily ait partie. ilfallait qu'ily ait un différend;s'iln'y
avait pas de différend.il n'y avait pas de parties et on ne pouvait pas appliquer
l'artide 31 qui parle de parties. C'est clair.
Or cette argumentation, a mon sens. n'est plus valable pour la Cour
internationale de Justice. parce qu'ici. maintenant. la base juridique de I'avis
consultatif est/a questionjuridiquaep ,ropos de laquelle on parle d'ailleurs non
pas de parties mais plutôt d'Efatsinferesses.IIn'estplus iciquestion de parties.
la procédure consultative exclut par définition cette notion.
L'article68 du Statut qui n'existait pas à l'époque desDcici-crs-l0id.s~~~~i:ikoi.v
fait, lui aussi, toute la différence car il autorise la Cour a s'iiispirer des EXPOS~ ORAL DE hl. SALMON 57

dispositions du Statut qui s'appliquent en matière contentieuse et donc de
I'articl3 1.sans s'attacher au fait qu'il y ait un Etat partie ou non. L'article68
lui donne ce pouvoir. alors que cela n'existait pasa l'époquede I'articlede la
Sociétédes Natioiis. parce que celle-ci était limitpar la notion de différend.
Tout cela est absolument essentiel.
On ajoutera au surplus qu'ici la difficulté rencontrée dans l'affaire des
Décrets-loisdatrtrikois ne se présentepas puisque le caractere interétatique de
la relation, et quand je dis ici. je parle de l'affaire Suharo occidenr~l. le
caractere interétatique de la relation est constant. le caractere intéresséde
l'Espagne. du Maroc et de la Mauritanie a la question poséetransparaît a tous
les niveaux de la procédured'avis.

Quant aux diîfërences qu'ily a entre l'affairede lNamibie et celle-ci.je ne
vais pas répéterce que j'ai dit tout a I'heure, mais ce qui jouait dans lecadrede
I'article89 du Règlementjoue a fortiori dans le cadre de I'article68 du Statut.
J'en arrive donc a la fin de mon exposé. Monsieur le Président. Pour cet
ensemble de raisons quenous venons de vous indiquer. le Gouvernement de la
République islamiquede hlauriianie demande respectueusement ala Cour. a
titre principal, de reconnaître que le présentavis consultatif ea demandéau
sujet d'une question juridique actuellement pendante entre la Mauritanie.
l'Espagneet le Maroc et que I'article31du Statut est ainsi applicable. attitre.
subsidiaire, la République islamiquedeMauritanie demande respectueusement
a la Cour de bien vouloir. en tenant compte des circonstances particulières de
l'espèce, userdes pouvoirs que lui donne I'article68 du Statut pour fairejouer
au bénéficede la Mauritanie l'article3 1du Statut.
II nous reste. Monsieur le Président. Messieurs de la Cour. a remercier la
Cour de la patience et de la bienveillante attention qu'elle a bien voiilu nous
accorder durant cet expose oral du Gouvernement mauritanien.

Lairdieitce esflevée à 13 II5 TROISJÈMEAUDIENCE PUBLIQUE (14 1'75, 10h 10)

Pr~;sril:[Voir audience du 12V 75.]

EXPOSÉ ORALDE M. BEDJAOUI

REPRÉSENTANT DU COUVERNEhIENT AI.CÉRIEN

Le PRÉSIDENT :Ainsi que je l'ai rappeaél'audience du 2 mai (ci-dessus
p. 7-81,par lettre du 21 avril 19(v, p.3841,l'ambassadeur de la République
algériennedémocratique et populaire a Paris, se rkféraniaux communications
des Gouvernements marocain, mauritanien et espagnol relatives a la question
desjuges ud /roc,a fait savoir que I'Aigériesouhaitait et réservaitses droits a un
titre égal.Le représentant de l'Algérieayant demandé a s'exprimer sur une

certaine question, je lui donne.maintenant la parole.
M. BEDJAOUI : Monsieur le Président, Monsieur le Vice-Président,
Messieurs les membres de la Cour, conscient du grand honneur et du rare
privilègeque j'ai de m'adresser personnellement, pour la première fois. a vous,
je voudrais tout d'abord vous exprimer mes vifs remerciements pour avoir
acceptéde m'autoriser a faire une brève intervention, alors méme que j'avais
informéM. le Greffier de la Cour de mon intention de ne pas participer au
présent débatrelatia la désignationdejuges ad hoc pour ne pas compliquer les

données dece problème.
Comme je l'avaisindiquéàM. le Grefier d'ordre de mon gouvernement, je
me réserve le soin de dire à la Cour, le moment venu, le sentiment du
Gouvernement algériensur la compétenceet le fond en la présenteaffaire.
Ce faisant,'Algérie,dans cette procédureconsultative. ne participera pas au
débat au fond en sa seule qualité de Membre des Nations Unies. partie au
Statut de la Cour. Elle y participera également,etj'allaisdire avantenutant
quqEtat <intéressé» au règlement de cette affaire.
Mon gouvernement attache d'autant plus de prix a cette précision qu'ellea
semblé,a l'audiencedu 12 mai, quelque peu perdue de vue, sans doutepour les
besoins de la démonstration, dans la plaidoirie, par ailleurs magistrale. du
conseil du Gouvernement marocain (ci-dessus p. 9-30).
J'ai craint, en l'écoutant.que la Cour ne vienne a penser que l'Algérien'est
d'aucune manière intéresséepar la présente affairCe serait alors, assurément,
méconnaître une réalitégéopolitique ainsi que la portée des résolutions
pertinentes de l'Assembléegénéralequi expriment et traduisent cette réali. i
on s'attache a une lecture un peu plus complète de ces résolutions, on
s'aperçoita l'évidenceque l'Algérie strouve dans une situation spécifiqueen
rapport avec l'affaire qui nous préoccupe.

Je ferai, avec votre permission, Monsieur le Président,un trèsbref rappel de
ces diverses résolutions. CAssembIée générale n'a jamais, dans aucune
résolution relative à l'objet, désigné lMaroc et la Mauritanie, sans avoir
désigné de quelque manièrel'Algérieaussi.
A sa vingtième session, t'Assembléegénérale aadoptéle 16 décembre 1965
la résolution2072(XX) par laquelle elle ne désignait certes pas l'Algérie.mais
alors pas davantage. il faut lesouligner, le Maroc et la Mauritanie, se boanant EXPOSE OR.4L DE M. BEDJAOUI 59

prier instamment le Gouvernement espagnol de prendre immédiatement les
mesures nécessairespour la libérationdu Sahara occidental de la domination
coloniale.
Mais aussitgt qu'il estapparu nécessaire a l'Assembléede désigner.dans ses
résolutions subséquentes.les Etats concernés,elle n'ajamais oublié l'Algérie,
qu'elle a soit nommément désignée. soitindirectement citéesous l'appellation
de <<partie intéressée».
Le fait est déjàtréssignificatif des la vingt et unième session suivante, en
1966. Un projet de resolution (,4/AC.109/L.35 du 7 novembre 1'1661,qui
invitait la Puissance administrante a entrer en consultation avec la Mauritanie

et le Maroc et qui restait muet sur l'Algérie.n'est pas passé, pasplus qu'un
autre projet de résolution(A/AC.I 09/L.35/Rev.l du I1novembre 1966).qui
demandait au Gouvernement espagnol déntrer ren consultation avec la
Mauritanie et le Maroc et toures aufres parties intérLilsC;L:~cie p'zriel iiyant
paru inapproprié aux diverses délégations.Celles-ci ont en effet estiméqu'en
fait de parties intéresséese.n I'ot:currence.il n'y enavait qu'une seule. l'Algérie,
si l'onexclut bien entendu le Maroc et la Mauritanie par ailleurs nommément
désignésdans le projet que je viens de rappeler.
Finalement, la resolution 2229 (XXI) du 20 décembre 1966 a effectivement
invité le Gouvernement espagnol a <(entrer en consultation avec les

Gouvernements marocain et mauritanien et toute autre partie intéressée )> -
au singulier cette fois - chaque délégationétant convenue de voir l'Algérie
derrière cette appeflation. L'Algériea déclaréc,ontinue de déclareret déclarera
toujours que dans cette affaire elle n'aaucune revendication a faire valoir. ce
qui lui a toujours conféréune situation particulière qu'elle tient de son bon
voisinage, de ses relations fraternelles avec le Maroc et la Mauritanie et de la
géopolitiquede cette même régionC . ette situation particulière a été exprimée
par l'Assembléegénéralede façon spécifique,dans la resolution 2229 précitée.
par l'emploide l'expression v partie intéressée1).
La remarquable constance de la position des Nations Unies ne s'esta aucun
moment démentie sur ce point. jusqu'a la dernière session de l'Assemblée
généraleJ .e me permets de renvoyer - etje vous prie. Monsieur le Président,
Messieurs, de m'excuser d'avance de l'énumération,mais eHeest nécessaire -

au paragraphe 3 de la resolution 2354 (XXII) du 19 decembre 1967. au para-
graphe 3 de la résolution2428 IXXIII) du 18 décembre1968.au paragraphe 4
de la resolution 2591 (XXIV) du 16 decembre 1969, au paragraphe 6 de
la résolution271I (XXV) du 14 décembre 1970, au paragraphe 5 de la reso-
lution 2983 (XXVII) du 14 décembre 1972 et, enfin, au paragraphe 4 de la
résolution3162 (XXVIII) du 14 décembre 1973.
Vous aurez remarquéquedans cette énumérationj'ai pu laisser l'impression
d'un apparent hiatus en ne citant pas de résolution pour la vingt-sixième
session de 1971.C'esttout simplement que l'Assembléegénéralen'apas pris de
résolution sur le fond de l'affaire, pour cette session-là. le Gouvernement
espagnol ayant fait étatde dificultés matériellesauxquelles il séstheurté pour
réaliserle recensement de la population disséminéeau Sahara occidental.
Une seule nouveautéest àobserver, mais aussi à souligner. avec la dernière

résolution 3292 (XXIX) du 13 décembre dernier, par laquelle votre Cour.
Monsieur le Président, Monsieur le Vice-Président.Messieurs les membres. a
étésaisie de la présenteaffaire.
La resolution 3292 va plus loin que toutes les autres et désignecette fois
l'Algérienon pas comme partie intéresséem . ais nommément, au surplus dans
un considérantspécial.et de surcroît avant même l'Espagne.
Si on nourrissait quelque doute, par conséquent,sur la situation spécifique60 SAHARA OCCIDENTAL

de l'Algérie en rapport avec la présente affaire sous examen. on ne
comprendrait nullement pourquoi, de l'ensemble des Etats Membres des
Nations Unies qui ont pris part au débat, seule l'Algériea éténommément
désignéedans ce considérant spécial. +
Par ces diverses résolutions, qui expriment de façon appropriéela situation
de l'Algérie. l'Assemblée généralea tout simplement traduit une réalité
géopolitiquequi est propre a la région. En effet, dans cette phase historique
pour la décolonisationauthentique du Sahara et pour l'avenir de la régiontout
entière,comment l'Algériepeut-elle seconfiner dans l'indifférencealors qu'elle
appartienta cette régionet qu'elleest liéepar un destin commun avec le Maroc
et la Mauritanie. grâcea la géographie,l'histoire, la civilisation, la langue ?
Pour terminer, Monsieur.le Président,je dirai que l'Algéries'est toujours
félicitéde sa position et de sa qualitéparticulieres de « partie intér>>.ar
dans cette affaire qui concerne une population arabe et musulmane, je susûr
que le Maroc, la Mauritanie et l'Algérietrouveront dans leurs fraternelles
relations, dans leur solidarité et dans leur génie propre, le moyen de

transcender la difliculte actuelle et de dégager une solution commune.
l'essentielétantet demeurant pour tous et pour chacun la décolonisalionet la
libérationdu Sahara. EXPOSÉ ORAL DE M. SEDO

M. SEDO : Monsieur le Président, Messieurs les juges, c'est un grand
honneur pour moi que d'intervenir au nom du Gouvernement espagnol devant
cette haute Cour de justice. Au nom de toute la représentation espagnole,je
désireexprimer notre témoignage d'admiration etde profond respect envers la
Cour internationale de Justice. organe judiciaire principal des Nations Unies.
Permettez-moi aussi de manifester notre satisfaction devant la présencede
représentants de gouvernements de pays auxquels l'Espagne est reliée pardes
liens d'affection. cesmêmesliens qui nous rattachent traditionnellementus
Les pays arabes.
Au cours de l'examen de la question du Sahara occidental par I'Assemblk
généraledes Nations Unies pendant sadix-neuvième session. les représentants
de nos gouvernements respectifs ont pu manifester des points de vue
divergents; et si, aujourd'hui. des opinions divergentes peuvent être
manifestées sur la question en cours d'examen, de telles divergences ne
diminuent en rien la compréhension qui a toujours présidéaux relations entre
nos pays et qui, j'en suis sûr, continuera a les inspirer dans l'avenir.
Le Gouvernement espagnol a considéré avecplaisir les exposés écrits
présentes par lesGouvernements du Chili. de la France. du Nicaragua, du
Panama. de la République Dominicaine, du Costa Rica. de I'Equateur ainsi que

celui que le Gouvernement du Guatemala a fait parvenir a la Cour
internationale de Justice (1. 63-71). L'intérêt manifesté ptaorus ces Etats
Membres des Nations Unies a collaborer avec les organes principaux de
l'Organisation sur la question de la décolonisation duSahara occidental esttrès
appréciepar mon gouvernement. d'autant plus qu'il correspond B celui qu'il
manifeste lui-même. La délagation espagnole ne doute pas que la Cour
internationale de Justice tiendra dûment compte de l'intde la communauté
internationale au sujet de cette question qui est mise en évidence par la
présentationde ces exposés.
Or, avant d'entrer dans l'analyse de la désignation d'unjuge ad hoc. le
Gouvernement espagnol désire faire remarquer le sens et la portée de sa
participation dans I'aîîaire présente,car cela conditionne la position que nous
avons soutenue et que nous soutiendrons au cours de la présenteintervention.
En premier lieu, le Gouvernement espagnol ne se trouve pas représentéici
en qualité de partie a un différendjuridique avec d'autres Etats ou avec
l'organisation des Nations Unies. Au contraire. la raison de notre présenceici
est purement el Wrnplement le devoir que nous nous sommes iniposésde
collaborer avec les Nations Unies dans lesquestions de décolonisation.Cunst
fait acquis que l'Espagne a collaboré avec lesNations Unies dans le processus
qui aamenéla Guinée équatorialea son indépendance.dans celui qui a abouti
a la rétrocession d'Ifni au Maroc et qu'elle collabore au sujet de la
décolonisation du Sahara occidental depuis que l'Assembléegénerale sén
occupe. Dans l'expose écritdu Gouvernement espagnol et particulièrement
dans sesparagraphes 91a 128(1,p. 108-1 22)noustrouvons un témoignagede
cette longue collaboration. Et si l'Espagne, aujourd'hui, se trouve présente
devant la Cour c'est parce que celle-ca considéréque. ainsi que les autres
Membres des Nations Unies, elle était susceptible de lui foiirnir des62 SAHARA OCCIDENTAL

renseignements sur les questions posées par la résolution 3292. En plus.
l'Assembléegénérale.par cette mêmerésolution, a demandé à l'Espagne, en
tant que Puissance administrante, de soumettre à la Cour tous renseignements
ou documents pouvant servir a éluciderces questions. C'est donc avec cette
double qualitéde Membre des Nations Unies et de Puissance administrante du
Sahara occidental que l'Espagneest disposée a continuer de collaborer avec les
organes compétents des Nations Unies.
S'ily a un motif qui inspire cette collaboration. c'est bien la préoccupation
espagnole d'accomplir avec honnêtetéet dignitéla responsabjlitéhistorique qui
lui revient envers le peuple sahraou;d'où sa constante réaffirmationque c'est
la population autochtone du Sahara occidental, territoire que l'Espagne
administre avec un respect scrupuleux de son statut international, qui est le
légitimemaître de son avenir.
Tels sont et pas d'autres les véritables intérèts espagnols.Et si nous faisons
étataujourd'hui de nos objections a la désignationd'un juge ad hoc, ce n'est
nullement pour poser des entraves ou pour compliquer la procédure.Tout au
contraire, la délégation espagnolefonde son attitude dans le sentiment que

pour faire justice il faut appliquer le droit.
Cet intérêtqui est le notre coïncide avec celui de la communauté
internationale et se reflète sans ambiguïté et sans aucun doute dans les
résolutions des Nations Unies qui ont proclaméle droit du peuple du Sahara
occidental a la libre détermination et à l'indépendance.Nous estimons qu'il ne
peut y avoir un conflit d'intérêtsentre l'Espagne et les Etats aujourd'hui
représentésdevant la Cour, c'est-à-dire le Royaume du Maroc, la République
islamique de Mauritanie et la République algérienne démocratique et
populaire. Tous ces pays ont reconnu ce droit. comme le démontrent les
paragraphes 50 à 75 de notre exposéécrit(1.p. 87-101).
Pour cette raison fondamentale, ['Espagne ne saurait admettre que I'on
essaie d'effacer la véritable question de l'autodétermination du peuple du
Sahara en suscitant un litigeterritorial entre Etats.
La délégation espagnole,dans les paragraphes 25 1a 287 de son exposéécrit
(1, p. 166-179) a attire l'attention de la Cour sur la portée desdeux questions
poséespar l'Assembléegénérale. Demême.dans les paragraphes 284 a 340 de
ce mêmeexposé (1. p. 178-206). elle a mis en relief les analogies et les
difîérences des questions posées par la demande d'avis avec les litiges
territoriaux et les périlsqu'il y aurait pour l'égasouveraine des Etats, aussi
bien que pour l'exercice correct de la fonction judiciaire de la Cour, si la
présente affaireest envisagéesous une optique déformée.

Je dois donc, à ce stade, exprimer l'appréhensionavec laquelle nous avons
entendu la tenue générale decertaines interventions devant la Cour, qui n'ont
pas cache leur conviction qu'un éventuel avisde la Cour aurait une influence
décisivedans la résolutionde ce qui, sous Ie masque d'un litigejuridique avec
l'Espagne, constitue en réalité lebut de s'installer souverainement sur ce
territoire africain, quelle que soit la volontéde sa population autochtone.
Avec la permission de la Cour. je cède la parolea M. José Manuel Lacleta,
chef du service juridique du ministère des affaires étrangères.qui exposera les
raisons qui justifient, de l'avisdu Gouvernement espagnol, que l'articl89 du
Règlement, rapportéà l'article 3 1 du Statut de la Cour, ne soit pas applicable
dans la présenteaffaire. EXPOSÉ ORALDE M. LACLETA
REPRESENTANT DU GOUVEKNEMEN'I' ESPAGNOL

hl. LACLETA : Monsieur le Président.Messieurs les membres de la Cour,
dans la présente affaire, comme l'exprime la lettre du Secrétaire généradles
Nations Unies au Président de ta Cour. en date du 17 décembre 1974. la
demande d'avis consultatif a étéfaite par l'Assembléegénéralepar la

« résolution3292 (XXIX) sur laquestion du Sahara espagnol dans le
cadre de l'examen du point 23 de l'ordre du jour de sa vingt-neuvième
session relatia l'application de la déclaration2ur l'octroi de I'indépen-
dance aux pays et aux peuples coloniaux » (V, p.370).

IIs'agitdonc. prima facied'une demande formulée parl'Assembléegénérale
a propos de ses propres dècisions. Cependant, d'autres Etats ayant posé la
question de la composition de la Cour. on est obligéde déterminer si l'avis
consultatif est demande par l'Assembléegénérale« au sujet d'une question
juridique actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etatsn.Ce n'est que
dans le cas ou cette question centrale reçoit une réponse affirmative que
l'aarticle31 du Statut est applicable. ainsi que les dispositions du présent

Règlement qui pourvoient a l'application de cet arti».e
A cet égard, il faut tenir compte que l'article 89 du Règlementen vigueur
« envisage une hypothèse plus restreint>>que celleprévuea l'article87 et qu'il
ne serait donc pas suffisant que la demande d'avis consultatif ait trait a une
question juridique actuellement pendante entre Etats.
Ce point a étéclairement établi parla Cour internationale de Justice dans le
paragraphe 38 de son avis consultatif dans l'affaire de laNamibie. Il ne suffit
pas d'une simple analyse grammaticale ou sémantique, l'essentiel est de
considérer l'objet et le butque poursuivent l'une et l'autre disposition du
Règlement.
Pour qu'il y ait lieua la désignation de juges ad hoc dans une affaire
particulière, il faut que l'avisconsultatif soit demandéau sujet d'une question
juridique actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats. Autrement dit,
pour que l'article89 du Règlement puisseêtreappliquédans la présenteaffaire,
il faut qu'il y ait identitéentre I'objetdes questions formulées par l'Assemblée
généraleet I'objet d'un diffèrend juridique actuellement né entre Etats.La
finalitéde l'avis. dans ce cas. ne peut êtreque de contribuer a la solution
pacifique de ce diffkrend.
L'expression <question juridique actuellement pendante entre deux ou

plusieurs Etats » est, du point cievue du Gouvernement espagnol, équivalente
a la notion de <<différend» employée par rapport aux avis consultatifs
à I'article 14 du Pacte de la Socides Nations, et ella étérecueillie au cha-
pitre VI de la Charte des Nations Unies concernant le règlement pacifiquedes
diffërends.
Certes, il a signaléque lelangage du Pacte, rapportéa celui de l'article96,
paragraphe 1,de la Charte et al'article65 du Statut de la Cour, nous offre des
différencesde rédaction.Suivaiit l'article prédu Pacte, la Cour permanente
de Justice internationale pouvait émettre des avis consultatifs « sur tout
differend ou tout point dont la saisira le Conseil ou'Assemblée». Dans les64 SAtlhRA OCCIDENTAL

dispositions du système actuel de la Charte des Nations Unies, par contre. ilest
établi que <<la Cour peut donner un avis consultatif sur toute question
juridique ». Aussi faudra-t-il déterminer si l'expression générique « toute

question juridique )> employée par les dispositions en vigueur comprend
l'hypothèsedesavis au sujet d'un différend,c'est-à-dire« I'avissur différend».
aussi bien que celle des avis demandéssur une affaire non contentieuse. c'est-
a-dire<ides avis sur point)).
A cet égard, il a étésoutenu que, dans le système des Nations Unies, la
possibilitéqu'on demande a la Cour un avis consultatif au sujet d'un différend
entre deux ou plusieurs Etats est disparue. Ce point de vue fut defendu par
M. Azevedo dans ses opinions individuelles dans les affaires des Coridilionsde
('admission d'un Etat commeMembre des Notions Utties(article 4de la Charte).
en 1948. et de I'lnierprétaMondes traitésdepaix conclus avec la Bulgarie, lu
Hongrie et la Roumanie. en 1 950.
Dans la premièredes affaires citées.M. Azevedo arrivait a ta conclusion que
lechangement d'expression enregistré destextes du systèmedu Pacte ceux du
systeme actuel impliquait la conséquenceque la curieuse notion qu'on a du
appeler 1'0arbitrage consultatif », ainsi que l'intervention de juge adhoc en
matière d'avis, ont alors disparu ))(C.I.J.Recueil 1947-1948. p. 73). Dans
l'affaire de Iïnterprétation des Irailde paix, il reprenait cette conclusion en

affirmant que :
Pour ce qui est de la désignation d'un juge ad hoc, on pourrait
rappeler que la Cour permanente a fini par l'accepter,sous la pression de
l'ancien article 14. Mais une fois celui-ci disparu, ilaurait fallu aussi
supprimer I'article83 du Réglement ...»(C.I.J.Recueil 1950. p. 86.)

De I'avis de M. Azevedo, l'article 83 d'alors, devenu l'article 89 du
Règlement récent,concédait aux Etats une faculté qui « ne se concilie
nullement avec les seuls avis théoriques ou abstraits que la Cour devra
maintenant donner sur des questionsjuridiques v.
On pourrait, toutefois, admettre que la distinction établie a l'article 14 du
Pacte entre I'avissur différend et l'avis sur point n'a pas étérejetéedans le
système de la Charte des Nations Unies. Cela justifierait le maintien de I'ar-
ticle 89 dans le Réglementde la Cour sur la base de l'équivalenceentre la no-
tion de différend et cellede<question juridique actuellement pendante »entre
Etats.
Cette conclusion pourrait êtreétablieen partant de l'article 65 du Statut,

rapportéa I'articl96. paragraphes 1 et2.de laCharte. En effet, conformément
au paragraphe 1de l'article96 de la Charte. la faculté généralee demander un
avis sur «toute question juridique » serait attribuée, exclusivement, a
l'Assembléegénérale etau Conseil de sécurité.Par contre, les autres organes
des Nations Unies et les autres organisations internationales autorisées par
l'Assembléegénéralene seraient admises qu'a demander des avis consultatifs
« sur des questions juridiques quiseposeraient dans le cadre de leur activité»,
suivant le paragraphe 2 de I'article 96. Autrement dit. la distinction établie
entre le paragraphe 1et le paragraphe 2 de l'article96 par rapporta la faculté
de solliciter des avis serait faite sur la base des organes admis a faire cette
demande a la Cour el compte tenu des fonctions dévolues a ces organes selon la
Charte. Le critère essentiel pour cette distinction serait que 1'Assembtée
généraleaussi bien que le Conseil de sécuritéexercent des fonctions en matière
de règlementpacifique des différendset non pas tes autres organes indiquésau
paragraphe 2 de I'article96..
Sile critere essentiel dfadistinction établiepar I'artic96 étaitla nature des EXPOSE ORAL DE M. LACLETA 65
pouvoirs de l'Assembléegénéraleet de ceux du Conseil de sécuritéen matiére

de réglement pacifique des différends. l'institution de l'avis sur différend
conserverait la mêmefinalitédans le système de la Charte que celle qu'elle
avait dans le cadre de la Sociétedes Nations. A l'article 14 du Pacte, l'avissur
différendse rattachait au systéme générad l e règlement des différendsétabli
aux articles 12. 13 et 15. et la pratique nous montre l'usage fréquentqu'en a
fait le Conseil de la Sociétédes Nations pour la solution des différends. Au
systeme de la Charte des Nations Unies l'avis sur différend ne saurait se
rattacher, de méme, qu'au régimegéneralde réglement pacifiquedes différends
établi au chapitre VI de la Charte, aux articles 33, 36 et 37 tout par-
ticuliéremeiit.
L'interprétation que l'on vient d'exposer pourrait se justifier. en outre, a
travers un simple raisonnement par inclusion. En effet. si l'Assembléegénérale

et le Conseil de sécurité étaient fondés a demander des avis consultatifs sur
« toute question juridique >plogiquement il faudrait inclure dans cettecatégorie
généraleles <<questionsjuridiques actuellement pendantes >>entre Etats, c'est-
a-dire la catégorie spéciale des <questions juridiques )>constituée par les
différendsjuridiques. En derniéreanalyse, les termes mêmesde l'article89 du
Règlementconsacreraientpar voie de spécialisationce qui serait implicite dans
l'articl96 de la Charte.
Une fois admise la possibilitéde demander un avis sur differend. il faudrait
déterminer l'existence d'un différendactuellement pendant entre I<tatset il
faudrait égalementque la Cour apprécieque les Etats parties dans ce différend
ont donné leur consentement quant a la procédure d'arrangement par la voie
judiciaire.
En effet, comme il a étéaflirmé par la Cour permanente de Justice
internationale dans l'affairedu Statür de IuCorek orienta/e :

« Il est bien établien droit international qu'aucun Etat ne saurait être

obligéde soumettre sesdifférends avecles autres Etats soitala médiation.
soita l'arbitrage, soitenfia n'importe quel procédé de solution pacifique,
sans son consentement. » (C.P.J.I.sériB e no 5, p.27.)

Cette affirmation de la Cour permanente n'est pas périmée.
Que Ion me permettede rappeler quemêmedanslesystèmede la Charte des
Nations Unies, comme il a étédit. le principe du consentement des Etats.
expression de leur indépendanceet de leur égalité souveraine, joue d'une façon
déterminante quant a l'application du chapitre VI de la Charte. Cette
interprétation a étéconfirméetrès précisémenp t ar la résolution2625 (XXV),
contenant la déclaration des principes de droit international sur les rapports
d'amitiéet de coopération entre les Etats, conformément à la Charte des
Nations Unies.
Et pourtant je ne crois pas devoir m'arrêter, a présent, sur ce problème,

Dans la présente affaire, il ne s'agit pas d'un avis demandé au sujet d'un
difïérend dans le cadre du chapitre VI de la Charte et, par conséquent, s'il
n'existe pas de controverse ou de question juridique actuellement pendante. il
n'est point besoin de s'arrêterau probleme du consentement pour établir la
juridiction de la Cour en matière d'avis consultatif.
Cette interprétation que je viens d'exposer trouverait sa confirmation dans
les précédentsde l'article 84 actuel et dans la pratique de la Cour. Je me
limiterai par la suitea mettre en relief, brièvement, les points essentiels du
' probleme ainsi que son évolution dans le Règlementde la Cour. Lespoints que
je considère essentiels sont les suivants:66 SAHARA OCCIDENTAL

Primo, ayant a l'esprit la distinction établiea I'article 14 du Pacte entre les
avis sur différendet les avis sur point, lecomite desjuristes chargéde préparer

le Statut de laCour souligna en 1919 le besoin d'appliquer les règlesétabliesen
matiere contentieuse aux avis consultatifs du moment ou la Cour établirait
l'existence d'undifferend. Comme l'affirma lerapporteur du comité,l'éminent
juristeM. de La Pradelle :
<Dès l'instant qu'ils'agitd'un différendactuellement né,la Cour devra
statuer de la mêmemanière que s'il s'agissait d'un litigeporte devant
elle.>(Procès-verbaux du comite des juristes, p. 731 .)

La conséquenceen fut l'inclusion de l'article 36de l'avant-projet de Statut,
disposition suivant laquelle lorsque la Cour serait saisie d'une demande d'avis
consultatif au sujet d'un différend actuellement néla procédure en matiere
d'avis consultatif serait assimilée ataprocédure contentieuse. entre d'autres
questions, en ce qui se rapporte a la désignationde juges ad hoc. Cependant.
l'Assembléede la Sociétédes Nations supprima du Statut les dispositions
relativesa la procédureconsultative ;mais les débatsde1919au sein du comité
des juristes devaient produire au moins un résultatse rapportant aux avis sur
différendde I'article 14du Pacte :la notion d'un differend actuellement ne».
Secundo, la suppression de l'article36 de l'avant-projet de Statut de 1919 fit
que. jusqu'en 1927. ni le Statut ni le Règlementde la Cour ne contiennent de
disposition sur la désignationde juges ad hoc en matière d'avis consultatifs.
Cependant. comme je l'ai signalé déjàauparavant, t'article 14du Pacte était
rattaché au système généralde règlement pacifique des differends, les ar-
ticles 12.13 et 15, et ainsi le Conseil de la Sociétédes Nations demanda a la
Cour des avis consultatifs sur des différends actuellement nésentre Etats. A
deux reprises, dans l'affaire de I'Echangedes populationsgrecques et turques.

avis no 10. et dans l'affaire de I'lnterpreiatide I'articl3,paragraphe 2, du
traitéde Lausanne, avis no 12, la Cour sètrouvant devant des differends entre
Etats, sur lesquels un avis consultatif étaitdemandé,declara que l'article31du
Statut n'était pas applicable enmatiere d'avisconsultatifs.
Or. le refus de la Cour dans l'affaire de Mossoul, en 1925. étaitassorti de la
réserve que sa décision ne prgugeait pas « Ia question des modifications
éventuellesa introduire dans le Règlement >> La revision du Règlement. en
1926, mit en relief l'importance dece problème ainsi que le fondement de la
désignationde juges ad hoc. Et en 1927. finalement, fut approuveun texte qui
deviendra I'article 71, paragraphe 2, du Règlement, rédigecomme suit - je
m'excuse de mentionner un texte si bien connu :
« Lorsque l'avis est demandé sur une question relative a un différend
actuellement néentre deux ou plusieurs Etats ou Membres de la Société
des Nations, I'article31du Statut estapplicable. En cas de contestation, la

Cour décide. >>
Tertio, l'examen de la pratique de la Cour permanente de Justice
internationale. entre 1927 et 1935,datedu dernier avis consultatif émispar la
Cour permanente, nous montre qu'a dix différentes reprises ta question de
désignationde juges ad hoc en matiere d'avis consultatifs fut posée.Dans six
de ces affaires, I'article 31 ,fut déclare applicable: dans trois affaires son
application fut refusée et dans un cas les parties renoncèrent a leurs droits.
Cependant ce sont les critéresjuridiques guidant la pratique de la Cour dans
l'application du Règlement qui sont bien plus importants que ces chiffres.
IIest intéressantde souligner d'une part que laCour admit que I'article3f du
Statut étaitapplicable uniquement dans le cas ou un avis serait demandésur EXPOSE ORAL DE XI. LACLETA 67

une question relative a un differend actuellemenne entre Etats h4embres de la
Sociétédes Nations. Peu importe que. dans un premier stade. ce soit la Cour
qui invite les Etaasfaire usage de cette facultéou que. depuis 1932. ce soient
les Etats qui doivent le demander a la Cour. Le critèreessentiel est le méme,
l'existenced'un différendentre Etats.
D'autre part. comme l'avait reconnu le représentant de la Ville libre de
Dantzig, dans l'affaire de la Compatibilitéde certains Jkrels-lois dutitzikois
avec la constitirtiode lu Villelibre. 1935:

le Sénat ne méconnaît pas qu'en l'espèceil ne s'agit pas d'un différend
actuellement ne entre deux ou plusieurs Etats ...et que. par conséquent.le
Senat ne peut faire valoir un droit fonde sur l'article 71. alinéa 2, du
Reglement.
Le Sénat[de la Ville libre] n'ignore pas non plus qu'un Etat lie saurait
réclamer. du fait seul qu'il est jugé susceptible de fournir des
renseignements. le droit de designer un juge ad hoc.» (C.PJ.1. série C
ii077, p. 171.)

,Mais face a l'invocation du droit de la Cour a user de son pouvoir
discrétionnaire pour la désignation d'un juge ud hoc. l'ordonnance du
31 octobre 1935 rejette cette possibilité.Tel que ce précédentest recueilli au
paragraphe 39 de l'avisdu 2 1juin 1971. dans l'affairede la Naniibie:
«Saisie d'une requêtetendant iila désignationd'un juge ad lror dans
une affaire ou elle estirriait qu'il n'existait pas dedifférend. la Cour

permanente a dit, en rejetant cette requête :<<la Cour ne peut statuer
qu'en conformité de son Statut et de son Règlement. diment établi en
application de l'articl30 du Statut.))(C.1.J.Reciteil 1971. p26-27.)
Soit dit en passant. la pratique de la Cour dans cette périodenous montre
que. sauf dans I'aiïairedu Szurirtde la Curelieorietirale.le problème rattacaé
l'existenced'un différend. c'est-à-dire. leconsentement des Etats parties. ne se
posa jamais devant la Cour d'une faqon déterminante. La raison en est que les

avis consultatifs furent demandés par le Conseil de la Sociétédes Nations dans
le cadre du systémegénéralde règlement pacifique des différends du Pacte et
que les règlesde vote dans cetorgane et même la demande préalabledes deux
parties jouèrent leur rôle. Comme if a étémis en relief dans une étuderécente
du professeur Puente Egido publiée dans la Zeitschr13 fii rtrslütidisc/~es
bffentlichesRecht und Volkrrrechr(1974, p.223-2431l,e refus d'une des parties
au differend. exprime au cours de l'examen par les organes de 13 Société.
empêcha toujours la demande d'avis consultatif a la Cour. L'examen de cette
pratique est conluanl quant au poids décisif du politique. donc du
consentement des Etats dans cette matiére.
Quarlo. pour finir cet examen des précédentset de la pratique touchant ala
notion de <<question juridique actuellement pendante » entre Etats de l'ar-
ticle 89 du Règlement. j'ajouterai que la désignation des juges ad hoc en
matière d'avis consultatifs ne se posa plus après 1936. date de la mise en

vigueur des textes revisésdu Statut et du Règlementde la Cour.
Le Règlement de 1936 contenait deux dispositions. précédents immédiats
des articles 82 et 83 du Règlement de 1946 et des articles 87 89 actuels. Les
textes de 1936. comme c'est logique. consacrent lapratique suivie par la Cour
et nous suggérentdeux observations.
D'un coté, en ce qui concerne la désignationde juges ad hoc. l'article 83
confirme la pratique suivie par la Cour dont nous venons d'examiner les
critères.Si en 1946 on remplace la référencea<(un differend actuellement ne »68 SAFIARA OCClUENTAL

par l'expression «question juridique actuellement pendante » entre Etats. il
s'agitd'un simple remaniement de la rédaction,non du fond.
D'autrepart. Yintroductionde I'article82 du Règlementde 1936 est reliéeà la
revision préalableeffectuéedans l'article 68 du Statut, cette mêmeannée. Le
problème posépar la célèbre « cinquième réserve » des Etats-Unis est, sans
doute, a l'originede la nouvelle disposition du Statut. Une bonne preuve en est
que la commission de coordination établiepar la Cour, pour justifier le projet
d'article. ail indiquéque celui-ci aurait pour ob:et

« consacrer le droit de la Cour d'appliquer à la procédure consultative
la disposition de I'article 36, dernier alinéa, du Statut, lui permettant
de statuer sur sa propre compétence » (C.P.JJ. sL;r-iD II" 2, 3C add.,
p. 880).

Je fais cette observation en passant. aux seules fins de mettre en relief que,
comme il a étéindiqué,sien matière consultative un avis est demandéau sujet
d'un différendentre Etats, il faudra alors établir la conséquence appropriée
non seulement quant a l'applicationde I'article31du Statut, mais égalementet
corrélativement quant a I'existence du consentement des parties, base de la
juridiction de la Cour dans toute controverse.
Sitels sont lesprécédentset la pratique quanà I'article89 du Règlement,on
est admis a réfuter le raisonnement contenu dans la communication du
Gouvernement de la République islamiquede Mauritanie adressée ala Cour le
26 mars 1975 et proposant un point de vue different de ceiui établiexpressé-

ment dans le Règlementpour désignerlesjuges ad hoc.Le Gouvernement mau-
ritanien considère que :
« la Cour comprend l'opportunité pour la Mauritanie de désigner une
personnalitépour siégeren qualitéde juge a la Cour qui compte déjàun
juge de la nationalitéd'une des parties intéresséesviséesau paragraphe 2
de la résolution précitée.))

- c'est-à-dire de la résolution 3292. Ce raisonnement, de l'avis du
Gouvernement espagnol suppose une petilio principiiet va a l'encontre du
fondement de I'article89 du Règlementde la Cour.
En effet, que la Cour comprenne un juge de la nationalité d'un certainEtat
n'est aucunement un fait déterminant pour que d'autres Etats puissent se
prévaloir du droitde désignerdesjuges ad hoc en matièred'avisconsultatif, en

l'absence de l'hypothèsede base établiea I'article89 du Règlement,c'est-à-dire
que l'avis ait étédemandé par l'Assembléegénérale « au sujet d'une question
juridique actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats ».
La raison en est que I'article31 du Statut a pour but essentiel de consacrer
l'égalitédes parties dans un litige international,' «le principe le plus
sacré de toute procédure )$,comme l'exprimait M. Max Huber en 1926, au
comitéchargéde la revision du Règlement de la Cour (C.P./J. sérieD no2,
add.. p. 186).
Or, l'application du principe d'égalisouveraine des parties dans le proces
international implique, logiquement, la nécessité qu'ilexiste des ((partiesv
dans une controverse internationale. Et suppose. par conséquent, l'existence
d'un tel <<différend» dans la procédure contentieuse aussi bien que dans la

procédureconsultative.
Cette interprétation de I'article89 du Règlementtrouve un appui solide dans
les origines et les précédentsde cette disposition d1926a nos jours. C'est ce
qu'a mis en relief, dans une étude consacréeà la question qui nous occupe,
M. Jiménez de Arechaga, une étude publiée dans la Zeir.sc/irifr jiïr EXPOSÉ ORAL DE M. LACLE'I'A 69

auslandisches ~t~jliclies Rechr und Volkerreclli, sous le titre<iJudges Ad Hoc
in Advisory Proceedings ». II en tire la conclusion, je me permets de citer
textuellement en anglais. que :
(in any advisory case in which the Court seesbefore ifcoriresririgparlies
and experiences the necessity of preserving their equality before the judge.

the Court is both ernpowered and obliged to apply Article 31 of the
Statute and admit one or more ad Iiocjudges » libid.. p. 709).
Par conséquent. la Cour doit apprécier l'existence d'un différendjuridique
entre les parties (contesring pour pouvoir appliquer le principe de
l'égalitdevant le juge international. Sur cette base. le comité restreint chargé

d'examiner la proposition du juge Anzilotti put aflirmer avec uiie grande
finesse en 1926.a l'occasionde la revision du Règlementde la Cour. que : (en
réalité.lorsqu'en fait il se trouve des parties en présence. il n'y a qu'une
différencepurement nominale entre les affaires contentieuses et les affaires
consultatives ».
C'est pourquoi il faudra : <assurer aux parties a un litige international qui
serait lesujet d'un avisconsultatif, l'égalien ce qui concerne la représentation
nationale au sein de la Cour >>(C.P.J.I.sérieE rio4.p. 7).
Permettez-moi de soulignei- l'expression contenue dans le passage que je
viens de citer.<(un litige international qui serait le sujet d'un avis consultu.if
car il s'agit sans doute du précédentdirect a l'origine de l'article 89 actuel du
Règlement. En effet, il correspond a la proposition faite par M. Anzilotti.

laquelle, approuvée en 1927, deviendrait l'article 71, paragraphe 2. du
Règlementde la Cour. comme nous l'avons ditauparavant.
Résumons ce point : étant donné I'existence d'un différendjuridique qui
ressortit a cette Cour, le principe de l'égalitédes parties devant le juge
international est le critèrequi inspire l'article89 du Règlement.
Son application dans la procédureconsultative suppose nécessairementqu'il
existe (<un litige international qui serait le sujet de la demande d'avis»De la
sorte. dans les différentes rkdactions du Reglenient de 1927 a 1972, se
maintient l'idéeque la désignationdu juge ad hoc exigeque l'avissoit demande
par l'organe requérant au sujet d'un litige international »(<sur une question
relativea un différend actuellementné )entre Etats ou bien. suivant lestermes
de l'article 89 du Règlement présent. au sujet d'une question juridique

actuellement pendante » entre Etats.
De l'avis du Gouvernement espagnol. cette hypothése essentielle pour que
joue le principe de l'égalité n'existeas dans l'affaireprésente et,sans préjuger
les considérations que j'exposerai par la suite. je me limiterai a indiquer
l'examen initial du problème contenu dans les paragraphes 215 à 225 et 251
jusqu'a 259 de l'exposeécritdu Gouvernement espagnol (1.p. 154-1 57 et 166-
1691.
Si la finalité essentiellede l'arti89edu Réglementde la Cour est d'assurer
aux parties dans un litige international qui serait le sujet d'un avis consultatif
l'égalitédevant lejuge, il en découlerait,en premier lieu. que la Cour n'estpas
admise a exercer des facultés discrétionnairespour désignerun juge ad hoc,

simplement pour tenir compte que les intérêtsde certains Etats sont
particulièrement touchés qans la présente instance. En deuxième lieu, que la
désignation d'unjuge ad Iioc. a défaut d'undifférendenire Etats. ne saurait se
justifier par des considérationsd'équité.
Je vais indiquer trèsbriévement cesdeux conséquences.
En ce oui se rapporte au premier point, il suffit de renvoyer aux
considérationsexposéespar la Cour dans son avis consultatif du 2I juin t971. 70 SAHARA OCCIDENTAL

dans I'articlede la Namibie.Les raisons avancéesau paragraphe 39 de cet avis,
a la lumière du precédentétablipar la Cour permanente dans I'affairede la
Compatibilitéde certains décrets-lois dantzikoisavec la cotrstitufionde la Ville
libre, ordonnancedu 31 ocrobre1935 (C.P.J.I.serie AIB no 65, p. 70-71 1.sont
tranchantes. La Cour n'est pas « en mesure d'exercer un pouvoir discrétion-
naire a cet égard )(C.I.J.Recueil 19 71 , p. 27).
A ce sujet. il est nécessairede faire deux observations:

Primo. si la Cour se rapporte (<à la présente affaire» dans le texte que je
viens de lire. c'est-a-direà I'affairede laNamibie.efleexpose néanmoins. d'une
façon claire. le fondement juridique de sa décision.fondement qui a une portée
genérale. La Cour affirme, en effet. qu'elle ne peut pas exercer un pouvoir
discrétionnaire a cet égard <(tenant compte du Règlement adopte en vertu de
I'article30 du Statut >PDe ce fait, on peut conclure que l'article 89 concrétise
les circonstances nettement et, par conséquent. exclut un pouvoir discrétion-

naire quant a la composition de la Cour.
Secundo, mème si I'article 68 du Statut était inclus après la décision de
la Cour dans I'affaire de laComputibilitéde certains décrets-loisdunfzikois,ce
fait ne peut pas changer les données fondamentales du problème. Le but de
I'articl68 est ditlérende celui de I'article31,et ce dernier existait a l'époque
dans leStatut de la Cour. Le domaine de I'article68 relèvede la procédure :le
domaine de I'article31est celui de la composition de laCour. Pour cette raison,
I comme il a été reconnu lors de la revision du Reglement, le comitéarriva iila
conclusion que « la question touchait a la constitution de la Cour et qu'elle
restait. par suite. en dehors du domaine de la compétencede cette dernière »
(C.P.J.1.sérieE. p. 225-2261.
C'est-à-dire, qu'il s'agit d'une question préprocéduraleet, comme telle. en
dehors du domaine de l'application de I'article68 du Statut de la Cour.

Dans l'étudeque j'ai citéeauparavant de M. Jiménezde Aréchaga.on arrive
a la mêmeconclusion en exposant :(<a second and decisive reason for not
distinguishing the Dantzig precedent ». c'est-à-dire:

« Article 68 of the Statute does not cover Article3 1and therefore does
not confer discretion with respect to the question of admission of judges
ad hoc in advisory proceedings »(Zeirschrifrfiirauslandisch~soffenjnrliches
Recht ltnd Vülkerrecht.Band 31. 197 1.p. 711 ).

En ce qui touche a l'irrecevabilitéde désigner desjuges ad hoc en matikre
d'avis consultatif avec des considérations d'équité a l'appui. par exemple, en
affirmant que l'un des Etats intéressesdans la présente affairea déjàun juge de
sa nationalité ala Cour. je serai aussi trèsbref.
En effet, si l'équitest inhérente a une saine application du droit. de sorte
que Lejuge international doit tenir en compte des considérations d'équité .ela
n'est admissibleque « dans la mesure ou elle serait compatible avec le droit en
vigueur ». comme l'affirmait la résolution adoptée par l'Institutde droit
international en 1937. Cette solution a étéaffirméepar la Cour. indirectement,

dans son arrêtdu 5 février 1970.dans l'affairede laBarcelona Tractiori.Light
and Power Company, Lirnited. deuxièmephase (C.I.J. Recueil 1970, p. 48).
touchant à I'exercicedu droit de protection diplomatique des actionnaires. Et,
d'une façon directe. dans son arrét du 25 juillet 1974. dans I'affaire de la
Compétenceen matièrede pècheries(Royaume-Uni c. Islande),Lorsquela Cour
affirme : « II ne s'agit pas seulement d'arriver a une solution équitable. mais
d'arriver a une solution équitable qui repose sur le droit applicable. )>(C.JJ.
Recueil 1974, p. 202.) EXPOS~:ORAL DE M. LACLETA 71

De I'avis du Gouvernement espagnol. le droit applicable en l'espèce. c'est-
a-dire l'article 89 du Règlement. nepermet pas de retenir des considérations
dëquite dans l'absence d'une donnéede fait conditionnant l'application de cet

article:« que l'avis soit demandé au sujet d'une question juridique actuel-
lement pendante »entre Etats.

L 'audietrce,suspetidue a II h 20, est reprise à Il 1150

Dans la première partie de mon expose j'ai essaye d'établir certaines
conclusions a retenir pour l'interprétationde l'article89 du Règlement. Cette
interprétation a étéfaite compte tenu du sens courant des termes de cette

disposition dans les contextes de l'article 65 du Statut et de l'article 96 de la
Charte. ainsi que de l'objet etdu but de la disposition établissantles conditions
pour la désignationde juges ad Iioc en matière d'avis consultatif.
Cette interprétation a étéconfirmée en outre a travers l'examen des
précédentsde l'article 89 du Règlementet de celui de la pratique suivie par la
Cour permanente dans son application.
Qu'il plaisea la Cour de me permettre de passer maintenant a Iéxarnen des
circonstances de la présente demande d'avis. en relation avec la requéte

présentéepar les Gouvernements du Royaume du Maroc et de la République
islamique de Mauritanie, qui estiment avoir la facultéde designer des juges
conformément a I'article31 du Statut.
Je vais procéder a cet examen en l'axant sur deux questions principales :
premièrement.la notion de « parties intéressées ndans la résolution3292 de la
vingt-neuvième Assembléeet la déviationartificieuse qu'ellea subie dans les
demandes de désignationdejuges ad lrucpar les Couvernemen ts du Maroc et
de la hlauritanie. Deuxièmement, le fait essentielque I'avis n'estpas demandéa

la Cour par l'Assembléegénérale des Nations Uniesau sujet d'une question
juridique actuellement pendante entre des Etats. car il néxistr aucun difirend
touchant au Sahara occidental entre l'Espagne. Puissance administrante du
territoiré,et les Etats qui. dans diflérentesrésolutionsde l'Assembléegénérale.
sont qualifies de parties intéressées>).
Dans sa communication en date du 26 mars 1975 (V. p. 380). le
Gouvernement mauritanien mentionne l'Espagne comme (<une des parties

interessées visées au paragraphe 2 de la résolutionprécitée >)c'est-a-direde la
résolution 3292. Donc, de ce fait. le Maroc et la Mauritanie sont également
qualifies implicitement de ((parties interessées».
De même.dans la communication en date du 25 mars (V, p. 379-3801
adressée a la Cour par le Gouvernement du Maroc. ilest anirméque I'<< affaire
du Sahara occidental intéresse principalemenl trois Etats : l'Espagne. le
Royaume du Maroc et la Républiqueislamique de Mauritanie >)et ilest ajoute
que : <La spécificitéde l'intérêd te ces Etats est fortement marquée par la
résolution 3292de l'Assembléegénéralesollicitant I'avisde la Cour. )>

De I'avisdu Gouvernement du Maroc. cet intérêt spécifiqudeécoulede la
résolution 3292lorsqu'il est demande :
<<non seulement a la Puissance administrante. mais égalementau Maroc
et a la Mauritanie. « en tant que parties concernées >),de présenter a la

Cour tous renseignements ou documents pouvant l'éclairer ))(V. p. 379).
Pour l'examen du rapport éventuel pouvant exister entre la notion de
t(parties intéressées))ou (( parties concernées >) - en anglais, en tout cas. c'est
la mêmeexpression <<interested parties >>-, expression employée dans les72 SAHARA OCCIDENTA 1.

resolutions de l'Assembléegéneralesur le Sahara occidental. et la qualité des
trois Etats comme (<parties» à un différend.il est de rigueur de procédera un
bref examen des circonstances de la présente affaire en rapport avec la
demande d'avis consultatif.
Etant donne le caractere préliminairede la question que nous considérons
dans cette audience et son but bien délimite.je me bornerai a avancer une
première appréciation desfaits et du droit sans aborder le fond de l'affaire.
L'examen que je me propose de réaliser estd'autant plus nécessaireque. de
l'avisdu Gouvernement espagnol. la présente affaire du Saliaru occidriitul se
caractérise par un trait que l'on retrouve dans toutes Ics questions qui
pourraient étreexaminéesdans cette procédure.D'une façonsommaire. ce trait
serait I'efiort déployépar les Gouvernements du Maroc et de la Mauritanie
pour que la question du Sahara occidental sorte du cadre institutionnel des
Nations Unies. oii elfeest soumise a l'Assembléegénéraledans l'exercicede ses
fonctionsen matièrede décolonisation des territoiresdépendants.pour la situer
dans le cadre traditionnel des relations entre Etats. en faisant un différend

territorial qui opposerait L'Espagneu Royaume du Maroc et a la République
islamique de Mauritanie.
Ce serait la la première phase d'une action politique entreprise par ces deux
Etats. Dansune deuxièmephase. comme lesGouvernements du Maroc et de la
Mauritanie l'ont exposé,une fois acceptée l'existence d'un différentderritorial,
et la Cour s'étant prononcéesur ce point. la question du Sahara occidental
reviendrait au cadredesNations Unies et, un avisde cette haute Cour a l'appui.
on pourrait engager une nouvelle action politique visant a la révision du
processus de décolonisation. suivijusqu'a présent parl'Assembléegéneralepar
rapport a ce territoire.
Examinons ces deux phases plus concrètement. Pour ce qui est du droit des
Nations Unies en matière de décolonisation. l'opération politiqueque les
Gouvernements du Maroc et de la Mauritanie essaient de mettre en place
implique une conséquence importante : détourner ou méconnaître Ic principe
fondamental de la libre détermination des peuples. applicable et effectivement
applique par I'Assemblk géneraledans lecas du Sahara occidental.C'est-à-dire

que. du principe de base de la résolution 1514 (XV). on en arriverait a un
domaine où l'examen des questions relatives a la souveraineté territoriale
deviendrait possible par l'allégationde prétendus droits historiques sur le
territoire « au moment de sa colonisation par l'Espagne )p.
Le caractere artificiel de cette conception juridique devient évident si l'on
s'arrêtea trois points fondamentaux. que je me limiterai a énoncer.
Premièrement. il existe deja une procédure de décolonisation du territoire
adoptéepar les Nations Unies dans laquelle l'Assembléegénératea proclamé.
d'une façon réitéréeq.ue la population du Sahara occidental a droit a la libre
détermination et a I'indépendance.Iyallegalion de prétendusdroits historiques
par le Maroc et la Mauritanie essaie de faire échec a l'exercice par la popula-
tion du Sahara occidental de son droit a la libre détermination et a l'indé-
pendance.
Deuxièmement, que les Gouvernements du Maroc et de la Mauritanie ont
déclaréa ptusieurs reprises. par le truchement de leurs représentants. que la
décolonisation du Sahara occidental doit étre réaliséeà travers la libre
expression de la volontédela population dans un référendumorganisésous les
auspices des Nations Unies. car la population du territoire a droit a la libre
détermination et a l'indépendance. L'allégationactuelle, sur la base de
pretendus droits historiques, s'inscrit contre les actes mêmesde ces deux
gouvernements. et n'est pas admissible. EXPOSE ORAL DE M. LACLETA 73

Troisièmement, que ce statut actuel du territoire a étéreconnu par des Etats
tiers et par la Puissance adrninistrante elle-même.C'est ainsi que la Puissance
administrante décida en 1974 de procéder a la célébration du réferendum
sollicitépar les Nations Unies dans de différentesrésolutions ; et il est évident
que l'annonce de cette décisionest le fait qui déchainaun changement dans les
attitudes du Maroc et de la Mauritanie des l'été1974 ;changement d'attitude
dont la plus claire expression serait la prise de position maintenue au cours des

débatsde la vingt-neuvième session de l'Assembléegénérale.
L'examen de ces faits a étéréalisépar le Gouvernement espagnol dans les
paragraphes 1 7a 90 deson exposéécritd'une façon detaillée(1.p. 78- 108).etje
ne crois pas devoir m'étendresur ce point aux simples fins de cette question
préliminaire.
Par contre, il faudrait examiner comment ces faits se projettent sur l'objetde
la présente question préliminaire.c'est-à-direla désignationd'un juge ad hoc.
En effet. du droit spécialconçu parles Nations Unies pour la dkcolonisation
du territoire du Sahara occidental, les Gouvernements du Maroc et de la
Mauritanie ont voulu dégagerun élémentqu'ils jugent important, la notion de
« parties intéressées)r.qu'ils entendent utiliser a présenta des fins procédu-
rales, en en déformant et la nature et la portée.
Ainsi, d'un côté,on restreint cette notion en essayant de l'appliquera des fins

procédurales. car la qualification de « parties intéressé»sa étéattribuée par
l'Assembléegénérale, nonseulement au Maroc et a la Mauritanie, mais aussi a
l'Algérie.En effet. depuis la réunion de 1966 a Addis-Abeba du comitéspécial
charge de l'application de la déclarationsur l'octroi del'indépendanceaux pays
et aux peuples coloniaux. comitécréé par la résolution 1615(XXVIII). dans les
résolutions successives de l'Assembléegénéralesur le Sahara occidental. est
établie l'obligation de laPuissance administrante de déterminer. par lavoie de
consultationsavec la population du Sahara. lesGouvernements du Maroc et de
la Mauritanie et <<toutes autres parties intéressée>).en l'occurrence l'Algérie.
les modalitésde l'organisation du référendum prévupar ces résolutions. La
communication adressée a laCour le 21 avril 1975 (V.p. 384)par leGouverne-
ment algérien est suffisamment éloquente a cet éagrd,ainsi que les paroles

déterminantes que nous venons d'entendre de la part du représentant de
l'Algériequant a la position de son pays dans cette question.
En deuxième lieu, en s'employant a utiliser la notion de «parties
intéressées» a des fins procédurales, on arrive nécessairement a élargir son
sens. et de ce fait a le déformer. On ne saurait soutenir, comme l'a fait le
Royaume du Maroc dans sa communication en date du 25 mars (V. p. 379).
que <(l'affaire du Sahara occidental intéresse principalement trois Etats :
l'Espagne, le Royaume du Maroc et la République islamiquede Mauritanie H.
Dans cette affirmation sont mèléset confondus différentsstatuts juridiques.
L'Espagne est la Puissance administrante du territoire, non pas une simple
<<partie intéressée»aux modalitésd'exercicedu droit de libre détermination a
travers un réferendum ; c'est elle ledestinataire des résolutions de l'Assemblée
générale etp, ar conséquent, elle qui est en charge de s'acquitter des obligations
que ces résolutions établissent. Son locus srondi dans le processus de
décolonisation du territoire rie découle pas d'un simple intérêt,mais de
l'ensemble du droit spécialcréépar les Nations Unies par rapport au Sahara

occidental. Quant au Maroc.la Mauritanie et i'Algériel,e sens et la portéede
cette notion sont clairs.
La simple lecture des résolutions adoptéespar l'Assembléegénéralesur le
Sahara occidental révèleque lecaractèrede « parties intéressée>>aété attribué
par les Nations Unies a des lins très concrètes, a savoir <(les modalitésde74 SAHARA OCLIIJENTAL

l'organisation du référendum ». Les résolutions de l'Assembléegénéralesont

constantes et réitérées à cet égard. La communication du Gouvernement
algérien du 21 avril illustre suffisamment ce point. car il y est dit que les
résolutions de l'Assembléegénérale (<reconnaissent I'Algfrie comme ((Etat
intéressé )>au règlement de cette affaire par la libre et pleine disposition de la
population concernée >),manifestée atravers ce référendum.
La résolution 3292, dont il convient de signaler qu'elle fut adoptéedans le
cadre généralde la décolonisation du territoire et rattachée aux résolutions
antérieures. .en se rapportant au Maroc et a la Mauritanie «parties
concernées )>,n'ajoute rien a cette situation antérieurement établie. IIest

demandésimplement a la Puissance administrante et a cesdeux Etats. comme
parties concernées. de collaborer avec la Cour dans la présenteprocédure en
produisant <<toute l'information et tous les documents nécessaires pour
éclairer >)les questions faisant l'objet de l'avis. En somme, cette pétition de
collaboration avec la Cour ne va pas au-delà de la participation que ces Etats
Membres des Nations Unies pourraient avoir dans toute autre procédure
consultative. d'accord avec l'article 66. paragraphe 2. du Statut de la Cour.
disposition qui fait état.de même quela résolution 3292. de la possibilitéde
« fournir des renseignements sur la question >).Je dois insister a cet égardque

ta présentation par le Gouvernement espagnol de l'information et des
documents qui sont déjà versés au dossier. ainsi que ma présence ici
aujourd'hui. répondent a cette interprétation.
J'aimerais aussi signaler que le Gouvernement espagnol a examine, dans son
exposéécrit.la pratique des Nations Unies sur l'organisation d'un réfërendurn
et. dans ce coniexte. les attitudes exposees. parmi d'autres Etats. par le
Royaume du Maroc. la République islamique de Mauritanie. la République
algérienneet la Puissance administrante elle-même. Cetexamen est contenu
dans tes paragraphes 129jusqu'a 160 de l'exposéespagnol (1. p. 122-1331,ce
qui nous permet, sans qu'ilsoit nécessairede nous étendredavantage a présent,

de juger la nature et la portée de la notion de « parties intéressées » dans le
processus de décolonisationdu territoire.
Cela étantacquis. il est évidentque l'argumentation, construite sur une tout
autre notion de « parties intéressées ». est une manifestation de plus des
intentions politiques auxquelles j'ai faitallusion précédemment.
En emet, partant des résolutions de l'Assembléegénéralesur le Sahara
occidental ou la notion de <parties intéressées » aux fins d'organisation du
référendum a sonsens naturel, on veut arriver a la conclusion que, dans cette

demande d'avis consultatif et dans le but d'obtenir certains résultats
procéduraux. les Nations Unies elles-mêmesont statue qu'il existe (<certaines
parties >) et que le locirs slalidi de certains Etats dans le processus de
décolonisalion.du Sahara occidental est équivalenta l'admission de l'existence
d'un conflit d'intérëts qui va devenir un differend juridique. impliquant,
autrement dit, l'existence de « parties dans un différendjuridique >>.
Ce n'est qu'en considérant la demande d'avis dans la présenteaffa~resous
l'optique politique que j'ai signaléeque l'on peut saisir ces caractéristiques

essentielles,caraderisiiques que nous retrouvons tout le long de la procédure.
Cette transposition répétée de questions du secteur institutionnel, c'est-à-dire
de questions du ressort des organes des Nations Unies, au secteur interétatique,
en marge de l'organisation. nous rappelle un mécanisme bien connu du
droit international privé qu'on explique en signalant le fait qu'une personne,
pour échapper a un système juridique défavorablea ses intérêts. établiutn
point de rattachement artificiel avec un autre système juridique qui lui est
favorable. Ayant obtenu un résultat parcelte invasion du systèmejuridiqueouil cherche a abriter ses intérets.il essaie de faire valoses intéréts - normale-
ment sur la base d'une décisionjudiciaire - dans le systèmejuridique origi-
naire. c'est-à-dire dansce même système ou le probleme qui vient de recevoir
une solution artificieuse étaitnaturellement inscrit. Une cour dejustice - c'est
I'avis du Gouvernement espagnol - se doit de ne pas collaborer a un tel
résultat.
J'ajouterai toutefois que la résolution 3292 elle-même. enformulant les
questionsdont la Cour est saisie, a ferme la voie a une telle possibilité.puisque

le présent avis consultatif est demandé « sans préjudice de l'application des
principes contenus dans la résolution 1514 (XV) de l'Assembléegknérale )p.
a la base desquels se trouve celui de la libre détermination despeuples.
Avec la permission de la Cour. j'examinerai a présent un autre aspect du
rneme probleme :celui de savoir si I'avisdu Sal~ara occider~~a l été demande
par l'Assembléegénérale desNations Unies au sujet d'un diffkrend entre Etats
ou si. aucontraire. comme il a étédit à bon droit dans l'affairede laNoniibie :
« IIs'agit d'une requêteprésentéepar un organe des Nations Unies. à
propos de ses propres décisions. en vue d'obtenir de la Cour un avis
juridique sur les conséquenceset les incidences de ces décisions.» (C.I.J.
Recueil 1971. p. 24, par. 32.)

Les Gouvernements du Maroc et de la Mauritanie ont essayéd'établirune
différenceentre la demande d'avis dans la presente affaire et la requête du
Conseil de sécuritédans l'affairede ta Naniibie. D'aprèsce point de vue. <<les
données des deux affaires seraient fondamentalement dissemblables et
appelleraient des réponses différentes)>S . i nous demandons en quoi consiste la
donnéedifférentiellede l'affairedu Soliora occideirralpar rapport a l'affairede

IaNaniibie. la réponseest la suivante :dans I'avisrelatif au Sahara occidental.
la requêtede l'Assembléegénéralene fait pas référencea la portée d'untexte
adoptépar cet organe des Nations Unies, mais elle tend a éclairerI'Assemblee
sur le statutjuridique d'un territoire.
En outre. il existerait une question juridique actuellement pendante entre la
Puissance adrninistrante du Sahara occidental et les Etats directement
intéressés.L'objet de cette question juridique serait le statut juridique du
territoire du Sahara occidental :et. d'aprèslapremière desquestions poséespar
la résolution3292, on pourrait dire qu'il s'agitdu statut du territoire du Sahara
occidental <<au moment de sa colonisation par l'Espagne >et non pas de son
statut actuel.
IIsuffit d'exposercesarguments pour que tout de suiteapparaisse clairement
son manque de base juridique.
En premier lieu, en affirmant que l'Espagne est la Puissance administrante.
on reconnait que le Sahara occidental est. dans l'actualité,non un territoire
quelconque. mais un territoire dépendant. non autonome. dont le statut est
déterminé parle chapitre SI de la Charte des Nations Unies. ainsi que par le
droit élaborépar I'Assembleegénéraleen partant de la Charte. notamment la

résolution 1514 (XV) et la résolution 2625 (XNV). Faut-il rappeler que la
Namibie se trouve elle aussi placéesous un régimeinternational ?
Deuxième observation : on dit que le prétendu differend existe entre la
Puissance administrante du Sahara occidental et <des Etats directement
intéressés ».
Cette derniére référencenous mène immédiatement a d'autres questions :
quels sont les Etats directement intéresses eta quel titre ces Etats sont-ils in-
téresséspar rapport au territoire du Sahara occidental? Pour répondre
a ces deux questions. il est évidentque l'on doit tenir compte comiiie on l'a76 SAHARA 0CCII)ENTAL

déjàfait des diErentes résolutionsde l'Assembléegénéralesur la question du
Sahara occidental. y compris la résolution 3292 (XXIX) qui constitue un texte

adopté au cours de l'exercicede ses pouvoirs en matière de décolonisation.de
mêmeque les autres résolutionssur cette mêmequestion du Sahara occidental.
En dernière analyse. I'avisest demandé par un organe des Nations Unies a
propos de ses propres décisionsen vue d'obtenir de la Cour un avis juridique
sur les conséquenceset les incidences de ces décisions.
Cette conclusion est corroboréesi l'ontient compte des points suivants.
Premièrement. I'avis n'est pas demandé a la Cour pour le motif que la
question du Sahara occidental aurait étéportéedevant 1'Assembleegénéraleen
vue d'arriver au règlementpacifique d'un differend actuellement néentre deux
ou plusieurs Etats. Autrement dit. l'Assembléegénéralen'a pas étésaisie par
un Etat qui aurait demande a inscrire cette question a l'ordre du jour de
1'Assemblée.Tout au contraire. comme il a étésouligne par le Secrétaire

général des Nations Uniesdans la note d'introduction aux documents soumis a
la Cour, la question du Sahara occidental a étéexaminée par l'Assemblée
générale
« du moment où. peu de temps après l'admission de l'Espagne a
l'organisation des Nations Unies en 1955. la question de la communi-
cation des renseignements en vertu d.eI'alinéae)de l'article73 de laCharte

a étésoulevéeau sujet, notamment, des territoires africains administrés
par l'Espagne » (1,p. 14, par. 11).
Ce point me semble important. La question du Sahara occidental n'a pas
surgi en 1974et l'Assembléegénéralen'a pasétésaisiede cette question par un
Etat. Au contraire, il y a dix-neuf ans que le Sahara occidental est l'objet

d'examen par l'Assembléegénéraledans l'exercicede ses fonctions en matière
de territoires dépendants. a partir de la première question relative a
l'administration des territoires non autonomes, c'est-à-dire celle de la
transmission d'informations par la Puissance adrninistrante.
Deuxièmement. la requêted'avis dans I'affaire du Sahara occide~~ta lst
contenue dans la résolution 3292 (XXIX). Or. le contenu de cette résolution.
dans ses paragraphes initiaux aussi bien que dans le dispositif. témoigneque
I'avis est demandé a propos des décisions de l'Assembléegénéralesur le
territoiredu Sahara occidental en vue de la décolonisationdudit territoire. En
effet.ilconvient de souligner les points suivants :

Primo. la résolution 3292 (XXIX) fait suite aux huit résolutionsantérieures
adoptéesentre 1965 et 1973. lesquelles sont rappelé--au paragraphe 2 du
préambule.
Secundo. la requète sollicitant I'avis de la Cour réaffirme le droit a
l'autodétermination des populations duSahara occidental, conformément à la
ré--lution 1514(XV). et établit.comme ie l'aidit auoaravant. aue la demande
d'avis est faite« sans préjudicede ~'a~~l~caliod nes principes contenus dans la
résolution 1514 (XV) n. Le fait que l'avis est demandé a la Cour par rapport
aux fonctions de l'Assembléegénéraleen matière de décolonisation est
souligné par la résolution 3292 (XXIX). au paragraphe 5 du dispositif. car le

comitéspécialchargéd'étudierla situation en ce qui concerne l'application de
la déclarationsur l'octroi de l'indépendanceaux pays et peuples coloniaux pst
prie « de suivre la situation dans leterritoire y compris l'envoid'une mission de
visite dans le territoire ». Et. a cet effet. je voudrais informer la Cour que la
mission de visite envisagée parla résolution estarrivéeau Sahara occidental et
que cette mission de visite fera son rapport a l'Assembléegénérale lorsde sa
trentième session. EXPOSE ORAL DE M. LACLETA 77

Tertio.en plus. le paragraphe 2 du dispositif de la résolutionportant requete

d'avisétablitclairement que l'Assembléegénéraleentend continuer a examiner
la politique a suivrepour accélérerle processus de décolonisation du territoire.
conformément a la résolution 1514 (XV). dans les meilleures conditions, a la
lumiére de I'avis consultatif qui sera donne par la Cour internationale de
Justice. Si cet avisdoit éclairer l'organequi l'ademande sur la politique a suivre
pour accélérerla décolonisation duSahara occidental. I'avisest demandé non
pas au sujet d'une question juridique actuetlement pendante entre Etats. mais
dans le cadre des fonctions d'un organe des Nations Unies en vue d'obtenir de
la Cour des éclaircissements sur les conséquences et les incidences de ses

decisions.
Quarto, ce point. finalement. est mis en relief par fa résolution portant
requête d'avis. ou l'Assemblée générale constate expressément « qu'une
diflicultéa surgi au cours des débats )sur la question du Sahara occidental. Le
texte final de la résolution 3292 (XXIX) a souffert un changement de ré-
daction important et significatil'qui a étél'objet d'une question de la part de
M. Petrén récemment. Suivantle projet de résolutioncontenu dans le docu-
ment A/C.4/L.1090. présentédevant la Quatrième Commission, les auteurs
du projet demandaient a I'Assernbléegénéralede constater que :

des difficultésjuridiques ont surgi au cours des débats. résultant des
controverses intervenues sur le statut dudit territoire au moment de sa
colonisation par l'Espagne >>.

Cette rédaction.on peut I'obscrver,part de l'idéeexposée parle Royaume du
Maroc a la Cour dans sa communication du 25 mars 1975 (V, p. 379-380) de
l'existence d'un differend ou d'une question juridique actuellement pendante
entre la Puissance administrante et les Etats intéressésO. r. dans le texte de la
résolution définitive.toute allusion a la prétendue cccontroverse)) est
supprimée. On est donc fonde a en tirer la conclusion que l'Assemblée
générale.expressément, n'admet pas que I'avis est demandé au sujet d'une
controverse juridique actuellement pendante entre Etats. Au contraire. on y
souligne qu'ils'agit d'unavis sur une dificulte juridique néeau cours du débat
sur une question ressortissant aux organes des Nations Unies.
Cette première appréciation des faits et du droit suflit pour arriver a la

conclusion que le but de la requêtede l'Assembléegénéraleest d' « éclairerles
Nations Unies dans leur action propre u. pour employer l'expression de la
Cour dans l'affaire sur les Réserves a la coriveiiiioripourla préveiiriorietla
répressiotidtlcrime de gekoride (C.I.J. Rec11ei1iI.51.p. 19).
Dans l'affairede laNamibie, I'avisconsultatif du 21juin 1971a fourni a la
Cour l'occasion de préciser les conditions d'application de l'article 89 du
Règlement.Comme il est signaléau paragraphe 32 de I'avis,la requete d'avis
peut avoir comme objet. d'une part :

c(de faire en sorte que la Cour assiste leConseil de sécurité[etaussi. je me
permets d'ajouter. l'Assemblée]dans l'exercicede ses fonctions relatives
au règlementpacifique d'un differend entre deux ou plusieurs Etats dont il

serait sais)>(C.1.J.Recueil 1971, p. 24).

Mais la requête.tout aussi bien. peut être
(<présentéepar un organe des Wations Unies. a propos de ses propres
décisions. en vue d'obtenir de la Cour un avis juridique sur les

conséquenceset les incidences de ces décisions >)(ibid.).78 SAHARA OCClDENTAL

II s'agit d'une distinction claire et précise, justifiéeen droit international
contemporain par le rôle de plus en plus étendudes activités desorganisations
internationales. II est possible. certes. qu'un différendentre Etats. nédans le
cadre du droit international interétatique, soitsoumis aux organes qui, selon la
Charte. sont compétents en matière de règlement pacifique des differends et
que l'Assembléegénéraleou le Conseil de sécurité.une fois saisis de ce
différend par les Etats (parties )>,puissent recommander une procédure
d'arrangement pacifique consistant a demander a la Cour un avis consultatif
sur ce diffèrend. Ce fut une pratique fréquente au Conseil de la Sociétédes
Nations.
Dans le système de la Charte, cette possibilité découlerait des
dispositions du chapitre VI relatif au règlement pacifique des différends. Mais
ce n'estpas le cas dans l'affairequi nous occupe.
Si on examine la jurisprudence de la Cour internationale de Justice. on doit
établirdeux concliisions non susceptibles de contestation. Premièrement. il ne
suffit pas de nier l'existenced'un différendpour qu'il n'existe effectivement pas.
De même.il ne suffit pas. non plus. d'afiirmer son existence pour que ce
différendsoit une réalité.Deuxièmement, l'essenced'un diffërend ne se trouve
pas dans I'existencepure d'un conflit d'intkrêts,mais dans le fait que ce conflit
d'intérêtsse soit manifeste extérieurement ou ait pris forme internationale-
ment. Ceci suppose que, pour déterminer l'existence d'un difîérend, il faut
démontrer que ka reclamation de l'une des parties se heurte a l'opposition
manifeste de l'autre.
Tel étant le droit, il est évidentquenile Maroc ni la Mauritanie, en tant
qu'Etats, n'ont démontré avoirun conflit d'intérêtasvec l'Espagne par rapport
au Sahara occidental qui aurait pris forme juridiquement. donnant lieu a un
litige entre Etats.

Si on affirme qu'il existe un ancien differend à partir du moment de la
colonisation par l'Espagne, il est inexplicable que. tenant compte d'une si
longue période de temps, il n'ait pas étépossible de porter devant la Cour
aucune preuve documentaire a l'appui de cette affirmation. II faudrait aussi
expliquer l'effetdes traitésinternationaux et des actes diplomatiques intervenus
pendant toutes ces années.
IIserait également inutilede chercher une opposition. manifestéede la part
de l'Espagne, a une réclamation diplomatique inexistante sur le plan bilatéral.
Certaines manifestations ou déclarations unilatéralesrecueillies par la presse et
par d'autres moyens de diffusion sur la question du Sahara occidental
montrent des attitudes qui apparaissent dans le cadre de la politique intérieure
du Maroc et de la Mauritanie. mais sans constituer pour cela une conduite de
ces Etats ou des manifestations de volonté pouvant leur être imputées
juridiquement par rapport a d'autres Etats et beaucoup moins capables de
produire des conséquences juridiques pour l'Espagne.
On ne saurait admettre que la note marocaine du 23 septembre 1974

(document de l'AssembléegénéraleAl977 1du 24 septembre 1974).a laquelle
l'Espagne n'apas donnéde réponse,ou le Maroc propose au Gouvernement
espagnol un arbitrage de cette Cour que l'Espagne n'a pas accepté. puisse
incarner la réalitéobjective d'un différendsur une question territoriale qui ne
s'estjamais dûment posée.
Dans le cas de la Mauritanie. le manque de preuves sur l'existence objective
d'un differend est encore plus frappant.
On a soutenu que ce prétendu differends'estreflétédans les déclarations ou
dans les manifestations des représentants desgouvernements en question faites
au sein de certains organes des Nations Unies.
Certes. si une matièrea étédévolue par les Etats a un organe international, EXPOSEORAL DE LI. LACLETA 79

l'activitédes organes dans L'exercice de leurs fonctions donne licu a des
divergences de points de vue parmi les membres de l'organisation quant a
l'exercice des compéiences par cet organe ou sur l'interprétation destextes
fondamentaux régissantleurs activités.Mais, comme l'a signaléla Cour dans
l'affairede laNamibie :
« Presque toutes les procédures consultatives ont étémarquéespar des
divergences de vues entre Etats sur des points de droit:si lesopiiiions des
Etats concordaient, il serait inutile de demander I'avisde la Cour. »(C.I.J.

Recueil 1971. p. 24.)
Les divergences de vues peuvent opposer un Etat au reste des membres de
l'organisation ou a des differents groupes d'Etats. Mais cela ne constitue pas
un différendentre Etats. C'est là l'hypothèsenormale de l'activitédes organes
des organisations internationales. II faut encore souligner que ces divergences
se rapportent a l'exercicedes fonctions de cesorganes dans descas concrets et a
l'occasionde l'adoption de leurs décisions.
Monsieur le Président. Messieurs les juges. j'arrive a la fin de mon
intervention. Je voudrais vous remercier de votre attention bienveillante et
conclure que le Gouvernement espagnol estime qu'on ne saurait établir
objectivement l'existence d'un différendjuridique international actuellement

pendant entre Etats dans laquestion du Sahara occidental et qu'il n'existe
aucune base pour appliquer l'article 89 du Règlement de la Cour. Le
Gouvernement espagnol n'apas accepte. ni aux Nations Unies. nien dehors, la
proposition du Royaume du klaroc - a laquelle se rallia par la suite. avec
d'importantes réserves,la Mauritanie - de soumettre un litige hypothétiqueet
artificieux a un type quelconque d'arbitrage ou d'arrangement judiciaire.
Au contraire. le Gouvernement espagnol considère que la question du
Sahara occidental est une question de décolonisation d'un territoire non
autonome en se prevalant des dispositions pertinentes de la Charte et des
rksolutions de l'Assemblég eenérale qui reconnaissent d'une manièrereiterée et
constante ledroit de la population du territoire a la libre détermination et
l'indépendance et qui établissent. en outre. la procédure pour sa mise en
Œuvre. L'Espagne ne saurait admettre. en sa qualitéde Puissance adminis-
trante. qu'a propos de ces résolutionsde l'Assembléegénéraleon ait créeun
litigejuridique international l'opposanta d'autres pays klembres des Nations
Unies. L'Espagne affirme. une fois de plus - et je termine - que les
obligations découlant de la Charte et des résolutions de l'Assembléegénérale
engagent au même titretous les Etats Membres des Nations Unies. QUESTIONS DE SIR HUMPHREY WALDOCK ETDE M. PETRÉN

Sir Humphrey WALDOCK :In its written statement the Government of
Morocco has said that in 1974 it had wished and had expressly proposed that
the case should be brought before the Court for a decision in exercise of its
contentious jurisdiction. Counsel for the Government of Spain had also
referred to this proposal in his address this morning. Would the representatives
of the Government of Morocco be good enough to specify more precisely the
legal claim of Morocco against Spain and the legal dispute between the two
countries his Government had proposed should be brought before the Court in
the form of a contentious case? In what terms did the Government of

Morocco formulate its proposa1? Would the representatives of the Govern-
ment ofMauritania please inform the Court whether it was associated in any
way with the proposal and ifso in what terms ?Would the representatives of
the Government of Spain please also inform the Court as to what response it
may at any time have made to the proposal of the Government of Morocco ?
M. PETRÉN :Je voudrais prier les conseils du Gouvernement marocain et
du Gouvernement mauritanien de nous donner une précision.Ma question au
conseil du Gouvernement marocain est la suivante :Est-ce que. dans le
contexte de la presente demande d'avis. il existe dans l'opinion du

Gouvernement marocain un droit ou des droits revendiquéspar le Maroc que
l'Espagneou la Mauritanie conteste et, si telest lecas, quel estou quels sont ces
droits? Et au conseil du Gouvernement mauritanien. je me permettrai alors
d'adresser la question correspondante : Est-ce que, dans le contexte de la
presente demande d'avis. il existe dans l'opinion du Gouvernement maurita-
nien un droit ou des droits revendiques par la Mauritanie que l'Espagne ou le
Maroc conteste et, sitel est le cas, quel est ou quels sont ces droits ? Je vous
remercie.

Le PRÉSIDENT : J'espèreque les représentants des trois gouvernements
pourront répondre a ces questions aussitôt que possible. (Voir ci-après82-
84, 92-93, 95-96 et 106.)Je comprends qu'a la séanceque je vais convoquer
pour demain matin c'est lereprésentantdu Maroc qui va parler pour répondre
a une question posée anterieurement. S'il pouvait aussi repondre a ces
questions, ce serait une chose très utile pour faciliter la tâche de la Cour.
M. SLAOUI :Le Maroc a pour objectif premier de faciliter au maximum la

tâche de la Cour. mais ce matin nous avons entendu les interventions des
représentants de l'Espagne et de notre ami M. Bedjaoui et d'autres questions
ont étéposéespar MM. lesmembres de la Cour. Peut-êtreserait-il possibala
Cour d'accorder au Gouvernement du Rovaume du Maroc un certain délai
raisonnable pour lui permettre-de prépa;er et de présenter ses répliques.
Toutefois. si la Cour Denseau'il est nécessairede tenir audience demain matin.
le Maroc sera prêtàfaciliterdans la mesure du possible ledéroulementde cette
procédure.
Le PRÉSIDENT :La Cour est ici pour rendre la justice et pour éclaircirles

points qui sont obscurs. C'est pourquoi elle fera tout son possible pour
permettre aux représentants des gouvernements de donner les réponsesqu'ils
jugent nécessaires.Si vous avez des difficulaérepondre aux questions et aux QUESTIONS DE LA COUR 81

problèmes qui ont étésoiilevésce matin, serez-vous prêtsdemain inatin ou
demain après-midi?

M. SLAOUI :IIn'y a pas de difficultés,mais il s'agit de reconnaître que
le texte des interventions ne nous sera cornmuniq~iéque ce soir a partir de
I8 heures et que le temps dont nous pourrons disposer pour préparer les
réponsessera insuffisant. Si vous pensez que l'on doivereprendre les audiences
demain apres-midi, nous travaillerons dans la nuit et nous serons touta fait
prêts.

Le PRÉSIDENT : Vous placez toute la responsabilité sur moi. monsieur
l'Ambassadeur. Je vous demande de combien de temps vous avez besoin pour
présenter votre point de vue, que la Cour veut entendredans tous ses aspects.

M. SLAOUl :Peut-êtrela délkgationmauritanienne a-t-elle un avasdonner
sur l'opportunité d'organiser une audience demain, car notre propre
intervention ne prendra certainement pas toute l'audience de demain apres-
midi. si la Cour décidede siegea ce moment-la.
Le PRESIDENT : Je ne voudrais pas insister parce que je suis oblige de

donner àtous les Etats intéressésletemps nécessairepour qu'ils réfléchissent et
répondent aux questions d'une façon qui les satisfasse. Cest pourquoi je vous
demande si vous serez prêtsà parler demain après-midi ou si vous voulez
parler après-demain matin.
M. SLAOUI : Monsieur le Président, je n'ai pas voulu mettre la
responsabilité sur vous mais vous demander s'il pouvait y avoir uli moyen
terme qui nous permette de disposer du temps suffisant pour préparer nos
répliquessans obliger la Cour a perdre un certain'temps et à dinerer encore

plus longtemps la décision qu'elleaura a prendre.
M. OULD ALLAF : En ce qui concerne la délégationde klauritaiiie. nous
pensons pouvoir prendre la parole demain jeudi en fin de matinee. mais
l'après-midiaussi nous arrangerait.

Le PRÉSIDENT :La Cour se réunira demain a 15 heures. Le premier
orateur sera le représentant de la Mauritanie. En ce qui concerne les
représentants des autres gouvernements, jexprimerai seulement le vmu qu'ils
fassent leur possible pour répondreaux questions poséespar les membres de la
Cour.

L'audience estlevéeà 12h 45 QUATRIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (15 V 75, 15 h 5)

Présents :[Voir audience du 12 V 75.1

EXPOSÉ ORAL DE M. SALMON

REPRESENTANTDU GOUVERNEMENTMAURlTANlEN

M. SALMON : Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, nous
souhaiterions cet après-midi tout d'abord répondrea plusieurs questions qui
ont étéposéespar MM. lesjuges et ensuite faire une brèveréponseal'exposé
oral du Gouvernement espagnol.
With regard first to the question put yesterday by Judge Sir Hurnphrey
Waldock, this question was as follows :"Would the representatives of the
Government of Mauritania please inform the Court whether it was associated
in any way with this proposal and if so in what terms ?''The reply is very
simple for us. The Islarnic Government of Mauritania has never been
associated with the initiative taken by the Moroccan Government. This was a
purely unilateral decision taken by the Moroccan Government without
inforrning in any way the Government of the lslamic Republic of Mauritania.
On the other hand with regard to the initiation ofthe advisoryprocedure in the

course of the las1General Assembly meeting it is cfear that such procedures
have been the result of parallel representations and action taken by both
Morocco and Mauritania. 1 hope that this reply is satisfactory to Judge
SirHumphrey Waldock.
En ce qui concerne ensuite les questions qui ont étéposées paM. le juge
Petrén.Voyons donctout d'abord sa premièrequestion, cellequ'ilnous a posée
a l'audience du 12 mai (ci-dessus p. 31) sur les divergences de texte du
neuviéme considérant de la ,résolution3292 (XXIX)de l'Assembléegénérale
du 13 décembre 1974. Comme nous vous l'avions promis. nous avons étéen
contact avec notre représentant permanent de -la mission permanente de
Mauritanie a New York, qui nous a donne. un certain nombre de rensei-
gnements. Nous avons également eu des contacts avec S.Exc. M. Slaoui.

Nous avons surtout examiné les textes et il en découleque la résolution qui
a étémise au vote par l'Assembléegéneraleest le projet Vltl du document
Al9748 du 12 décembre 1974, que vous possédez puisqu'ilvous a étéremis
dans le dossier'du Secrétaire généradle l'Assembléegénérale.C'est donc ce
projet de résolutionVIIl annexe au rapport de la QuatrièmeCommission qui a
étémis au vote a l'Assembléegénerale. et ceci d'ailleurs dans sa version
française qui faisait foi. Vous avez sans doute cetexte devant les yeux et vous
voyez que le neuvième considérant avait la teneur suivante :<iConstatant
qu'une controverse juridique a surgi au cours des débats au sujet du statut
dudit territoire au moment de sa colonisation par l'Espagne.)>(Les italiques
sont de nous.)Ce paragraphe. comme tout leprojet de résolution. ainsique cela
appert des documents de l'Assembléequi ont' ététransmis, n'a pas subi de

Non reproduit.modification. 11a étémis tel quel au vote et adopte par l'Assembléele 13 dé-
cembre 1974. 11en résultedonc que le texte voté est bien celui~ui comporte
le mot i<controverse )> et que le document A/Rés. 3292 (XXIX) du

17 décembre 1974. qui a kt6 finalement distribue comme étant le texte
authentique. comporte a l'évidenceune erreur matérielle.Comme hl. lejuge
Petréns'en étaitlui-mêmerendu compte. l'équipemauritanienne elle-mèrne. a
cet égard. a été. jedirais, victime de cette modification de texte. Vous aurez
relevé.en effet. que. dans notre exposé écrit.nous nous étions fondéssur le
premier texte. qui apparait. semble-t-il. aujourd'hui comme leseul authentique.
celui qui parle de<(controverse >> .i d'ailleurs nous l'avions fait. c'étaitnous
fiant au texte gui avait a ce moment-laétédirfusépar le service de presse et
d'information des Nations Unies. dans un ouvrage publie immédiatement
après la fin de la session et donnant le texte de toutes les résolutions de
l'Assembléegénéraleavec les votes. Après avoir eu connaissance du texte
oficiel (A/Rés. 3292 (XXIX)).nous nous étions rangesavec discipline. Et vous

avez vu que, dans l'exposé oralque je vous ai fait. il y a deux jours, j'avais
repris le mot qui semblait êtrele mot adopté. De toute façon. S. Exc. hd.Slaoui.
qui a vécu a New York les évenemcnts et ces journies mémorables. a
l'intention, je pense, de donner touta l'heure desinformations pfuscomplètesa
la Cour. Je suppose que par conséquent ilest inutile que la délégation
mauritanienne s'étende plus sur Laquestion. Je suis persuadépar ailleurs que le
Greffier de la Cour pourrait peut-êtredemander officiellement confirmation de
ce qui précède auSecrétariatgénéralc ,equi effacerait définitivementtout doute
ou souci chez chacun d'entre nous.
En ce qui concerne la seconde question posee par M. le juge Petren a
l'audience du 14 mai 1975 (ci-dessus p. 80), c'est une question qui est plus
délicate. IIa demandéceci au (3ouvernement mauritanien :

<<Est-ce que. dans le contexte de la présentedemande d'avis. il existe
dans l'opinion du Gouvernement mauritanien un droit ou des droits
revendiquéspar la Mauritanie que l'Espagne ou le Maroc contesie et. sitel
est le cas, quel est ou quels sont ces droits? ))

Je crois bon d'insistersur le fait que dans sa question M. lejuge Petréna bien
dit :« dans le contexte de la présentedemande d'avis >: ce sont des mots qui,
pour nous, paraissent assez essentiels pour comprendre sa question.
Le conseil du Gouvernement de la République islamique de Mauritanie
voudrait se permettre de rappeler a la Cour que. dans son exposé oral du
13 mai (ci-dessus p. 32-57), il a essaye de montrer que la question juridique

du territoire au moment de sa colonisation par l'Espagne et que les deux ques-
tions précises poséespar l'Assembléeavaient pour but d'éclairer celle-cs iur le
statut juridique du territoire. Le conseil de la hlauritanie croyait avoir ainsi
implicitement dégageque les réponses que pouvait donner la Coiir a cette
question auraient pour effet de mettre en lumière lasituation juridique existant
dans le passé - notamment le point de savoir s'ily avait îcrru ~iirl/itisOnon.
notamment le point de savoir s'il y avait des liens juridiques avec l'ensemble
mauritanien.
Quelles que soient les réponses de la Cour sur ces questions, elles auront
pour effet de préciser l'existenceou non de droits des diverses parties.
t'existenceet la nature des liensjuridiques. Ce qui est une forme de droit.
J'avaisaussi expressément signalé - metournant cette rois-ci, non pas vers

le passé,mais eriregardant vers l'avenir - a la page 46 ci-dessus du compte
rendu de l'audience du 13mai 1975 :84 SAHARA OCC113ENl'AI.

((après avoir reçu une explicalion juridique sur ce point, ... I'Assemblee
pourra. dans l'exercicedes pouvoirs politiques qui lui appartiennent -
qui appartiennent a elle seule -. décider quelles sont les diverses
conséquences qu'il faut tirer de ce fait juridique pour la politique de
décolonisation duSahara occidental n.

Et j'avais égalementdit,a la même audience. à lapage 45 ditmêmedocu-
ment :
<(Si la Cour devait donner une réponsenégative ala première question.
c'est-à-direque le territoire n'est rerra ,iullirrs,et si. dans la seconde.
elle devait dire qu'il existe desliens ...entre le Sahara et l'ensemble
mauritanien. d'une part, ct le Maroc. d'autre part. cela aurait
immédiatement pour conséquencede créer une séried obligations pour

l'Espagne, en tant que Puissance administrante. envers le Maroc et la
Mauritanie. a propos de la décolonisationde ce territoire, [mais]bien sùr
dans le cadre que définirait l'Assembléegénérale, maison voit tout de
suite I'impactdirect que cela peut avoir sur les Etats en questio».

11parait difficile de rentrer dans plus de détailssur les multiples droits et
obligations qui sont ainsi contestésdans les relations trilatéralessans entrer
dans le fond dont faCour nous a demandé denous écarter. Je pense au surplus
que la lecture des exposes écritsdes trois gouvernemenis fait apparaitre des
revendications fondamentalement difrérentes.
Méme sile Gouvernement espagnol semble avoir pris pour tactique d'éviter
au maximum de répondre directement aux questions qui sont posées par
l'Assemblée,cela n'empêchepas que ses exposés écritsrévèlentla situation
conflictuelle trilatérale.
Je crois qu'en fait la question qui été poséepar M. le juge Petréndonne
l'occasion au gouvernement que je représente ici de bien préciserdevant la
Cour que la Mauritanie ne fait cause commune avec aucun Etat. aucun Etat
qui compte un juge de sa nationalitéau siège. Elle ne faitcause commune avec
personne ni au siègeni ailleurs.
J'enviens maintenant. hlonsieur lePrésident.a la réponsea l'expose oralqui
a été faitpar le Gouvernement espagnol et a cet égardjèssaierai d'être leplus
bref possible.
Nous éviterois d'abord de reprendre des arguments que nous avons

amplement développes - préventivementsij'osedire - dans notre exposé du
13 mai (ci-dessus p.32-57).ceci afin d'éviterd'iriutilesrépétitionset de ne pas
prendre le temps précieuxde la Cour. Je passerai aussi tres vite sur toute une
sériede petites questions.
En conséquence.je ne reviendrai pas sur l'analyse de L'affairedes Dkt-ers-
loi.du\ii~zikoia laquelle jài consacré de longs développements.
Je crois aussi qu'il faut releverue. contrairement a ce qui est allégué ci-
dessus page 65. la Mauritanie ne croit pas avoir jamais contesté que I'ar-
ticle 89 du Règlement posait un certain nombre de conditions - nous les
avons passéesen revue avant-hier pendant plus d'une heure.
C'estainsi encore que nous pensons avoir largement montréque le principe
de l'égalitdes parties n'estpas nécessairementliéa l'existenced'un différend ;
sur ce point encore. je crois que de tres nombreux développementsont étéfaits
avant-hier.
A la page 68, le Couverriement espagnol a l'airde dire que la Mauritanie a
réclaméun juge ad Ilocsimplement parce qu'elle n'a pas de juge au siége.Je EXPOSE ORAL DE hl.SALLIOG 85

crois que c'est vraiment une vue des plus sommaires :notre position a.étéj.e
pense, exposéeavec un peu plus de de~ails.
Enfin. page 70. ilest prétendu que nous invoquons l'équité coilira legem ;
je crois que ceci ne correspond à aucune réalité.Si leGouvernement de la
République islamique de hlauritanié invoque I'euitè.c'est évidemment cette
équitédu jus arr aeyui - comme on dit en iatin?ie droit art GeI'équiiable) -
c'est-à-dire cette equite qui repose sur le droit et ici en particulier sur les
pouvoirs souverains d'interprétation et sur les pouvoirs largement discrétion-
naires d'appréciationqui appartiennent de droit la Cour.
Enfin. page 75. il est étonnamment soutenu que la Mauritanie conteste le
caractère de territoire non autonome du Sahara occidental ; je dois dire que
c'est la première nouvelle !
Ces petites choses étantécartéesj.e voudrais maintenant évoquerun certain
nombre de questions un peu plus substantielles.

Tout d'abord. le Gouvernement de la République islamique de &lauritanie
regrette qu'en dépitde son affirmation page 72 ci-dessus - affirmation de ne
pas vouloir aborder le fond de l'affaire - le Gouvernement espagnol s'y soit
pourtant largement attache par de longs développements sur le principe de
l'autodétermination. la compatibilité avec les positions et les revendications
mauritaniennes et marocaines. l'incompétencesur base de l'avisde la Carélie
orienlale. etc.
Dans son expose oral - qui devait porter sur lejuge ad hoc - le
Gouvernement espagnol nous a renvoyésaux paragraphes 17 a 90. 129 a 160.
2I5 a 225.25 1a 259. soit. sije calcule bien.a cent trente et un paragraphes de
son exposé écrit! Nous doutons que la Cour souhaite que nous répondions.
a ce stade. a toutes ces questions de fond puisque la Cour a insisté.par la voix
de son, Président. pour que nous ne touchions pas au fond. Aussi. sauf si
la Cour veut entendre de notre part une réponse sur un de ces points de
fond qui lui paraitrait devoir nécessairement êtreélucidéa ce stade de la

procédure concernant le juge ad hoc. sauf ce cas. nous croyons devoir nous
abstenir de penetrer dans tous ces points de fond développes par la partie
espagnole.
Pour nous en tenir donc uniquement aux aspects de I'expos? oral du
Gouvernement espagnol qui touchent a laquestion qui nous concerne - celle
du juge ad hoc - le Gouvernement espagnol a tenu en substance un
raisonnement que je vais schématiseret donc certainementdéformer. mais qui
nie parait etre en gros le suivant:

Pour qu'il y ait un juge ad hoc en vertu du principe d'égalité des parties. il
faut un differend actuellement ne : celaa étérépété ci-dessu aux pages 65 a68.
Cette notion de différend est entendue dans son sens le plus strict ; c'est la
conception la plus formaliséede la compétence contentieuse de la Cour - je
veux dire de la notion de differend dans lacompétence contentieusede la Cour.
voir page 68.
Second élément duraisonnement espagnol : il faut, pour que la Cour puisse
ètre saisie d'un différendde ce genre. que celui-ci lui soit transmis par la voie,
par le biais. des articles de la Charte relatifs au règlement paciftque des
différends,soit au niveau de I'Assemb!eegenérale.soit au niveau du Conseil.
voir page 78.
Troisième élémen t l'expose assimile totalemeiit les notions de ql~esrion
jltridiqueperidatitr et la notion deduferend juridique acturllenient né.Aucune
explication n'est donnée,si ce n'estque. on nous le pretend, on nous l'affirme
- c'est la seule explication que j'ai trouvée - qu'il s'agissait« d'un simple86 SAHARA OCCIDEN'I'AL

remaniement de la rédaction, non du fond (p. 68). Personnellement. j'y

avais vu autre chose.
Toujours s'il faut suivre le raisonnement espagnol, le systeme de la Cour
permanente de Justice internationale n'a pas changé d'un iota depuis 1945.
L'articlef4 du Pacte et I'article 96 de la Charte, c'est le mêmeesprit. c'est la
même chose ; I'articl7 1, alinéa2, du Réglementde la Cour permanente de
Justice internationale est totalement assimile a I'artic89 du Règlementde la
Cour internationale de Justice.
Enfin. dernier élément duraisonnement :pour que la Cour soit compétente.
il faut. dans un différend de cette nature. que les Etats aient donné leur
consentement :voir page 76, page 78,etc.
II n'y a pas de doute que cet ensemble forme un édificeconceptuel qui est
bien charpente et qui, disons. fait en soi un tout que l'on peut très bien
comprendre mais qui, personnellement, me parait artificiel. La Cour
comprendra qu'ilne nous est pas possible de reprendre aujourd'hui tout ce que
nous avons dit avant-hier sur les différencesde texte qui existent entre le
systeme de la Cour permanente de Justice internationale et le systeme de la
Cour internationale de Justice et tout ce que le second peut comporter de
difficultésd'interprétation. Sur ces points. nous avions essayé de faire un
travail. disons. d'analyse, nous attendions de l'Espagne une contradiction. Je
suis désole.nous n'avons euqu'une affirmation. Personnellement. je continue

a penser que toutes les différencesde texte que j'ai soulignéesavant-hier qe
sont pas l'effet du hasard. qu'elles correspondent a une donnée historique et
que. a partir du moment ou ces textes sont différents etque leur contexte est
différentet que le système est différent.cela donne a la Cour des pouvoirs qui
sont tout a fait différents de ceux qui existaient au moment de la Cour
permanente de Justice internationale.
Je ne contesterai donc pas en detail - je crois que ce n'est pas possible-
cette architecture. priant la Cour &'avoirla bontéde bien vouloir se référer a
mon exposéa l'audience du 13 mai (ci-dessus p. 32-57).
II y a juste un petit point. c'est d'ailleurs un point relatiyement secondaire
par rapport a l'ensemble des idéesexpriméespar l'Espagne, que je crois ne
pas pouvoir laisser passer sans réagir. L'expose oral espagnol, ci-dessus aux
pages 64 et 65, recherche le critère essentiel entre I'article 96. alinéa 1,de la
Charte et I'article96, alinéa2.Je vous rappelle tout d'abord ces textes :

« 1. L'Assembléegénérale ou leConseil de securité peutdemander a la
Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question
juridique.

2. Tous autres organes de l'organisation et institutions spécialiséesui
peuvent, a un moment quelconque, recevoir de I'AssembIeegénéraleune
autorisation acet effet ont égalementle droit de demander a la Cour des
avis consultatifs sur des questions juridiques qui se poseraient dans le
cadre de leur activité*

Le Gouvernement espagnol a soutenu que :

(tLe critère essentiel pour cette distinction serait que l'Assemblée
générale aussibien que le Conseil de sécurité exercent des fonctionsen
matière de règlementpacifique des différends... >>

Ce qui n'est pas le cas pour les institutions viséesau paragraphe 2.
Je pense que cette proposition est assez douteuse quand on sait qu'un certain E.YPOSE ORAL DE AI. SAI-LION 87

nombre dïnstitutions spkialisées ont évidemment a exercer des fonctions en
matiere de règlement pacifique des différends.je pense a l'OIT, a I'OhjS. a
I'IMCO. etc.. sans parler des multiples accords. de siège qui prévoient la
soumission de litigesjuridiques a la Cour internationalede Justice sous forme
d'avisconsultatifs :tout cela vous montre qu'en fait le règlementpacifique n'est
pas liénécessairement a ce premier alinéa.
Je vous l'ai dit: c'étaitun point relativement secondaire.
Le second argument du Ciouvernement espagnol consiste a répétera
plusieurs reprises - ci-dessus pages 63 et 75 a 78 - qu'il ne peut pas être

question d'octroyer un juge url /ioc lorsque l'Assembléedemande un avis ci
/)r~~pcdsc,se?;pro1)rc.sdl;c~i.xiootr.siriles coii.sr;qiic~iPI~i~rcirlciirc.sdsc.s
d~;caio~is.Alors la. c'esttres clair. c'est reprendre le petit paragraphe bien
connu de l'affaire de laNrr~nihi~ pour essayer de le faire appliquer ici.
Encore une fois.je me permets tres respectueusement de renvoyer a Iéxposé
oral que j'ai rait avant-hier et ou je crois avoir montré ou. en totit cas. avoir
essayéde montrer, en particulier aux pages 47 a 50. d'abord que ce riëtait pas
lecas en I'espécec.'est-&direque l'on ne se trouvait pas icidevant une question
posée a propos des décisions. des conséquences ou des incidences de ces
décisions et ensuite d'une manière plus fondamentale que l'on pouvait

contester l'idéeque la Cour devrait ip.\.\cl.fuoefuser tout jugeud hoc lorsque
I'Assembleedemande un avisjuridique sur une question posée en relationavec
ses propres résolutions. Autsrit dire, qu'on supprimerait le juge ud /roc en
matiere consultative.
Par ailleurs. toujours polir rester dans ce groupe de paragraphes de I'ex-
poséoral du Gouvernement espagnol. la République islamique de Maurita-
nie n'a évidemnieni jamais contesté que la question posée par l'Assemblée
étaiten rapport avec les fonctions de I'Assembleeen matiere de décolonisa-
tion. Elle a. au contraire. insistésur le fait que l'Assembléeavait posé ala
Cour une question juridique sur le statut particulier d'un territoire non auto-
nome et que cette question répondaux conditions viséesa l'article89 du Regle-

ment.
LeGouvernement espagnol a aussi voulu tirer certains arguments. ci-dessus
page 77. a propos de lamodification du texte de la résolution3292 (XXIS) : le
mot « controverse O ou <(difficultésjuridiques >: hélas.les conclusions que le
Gouvernement espagnol avait cru pouvoir tirer de cette différencesemblent
avoir été peut-êtru en peu hâtives.
Et j'en viens maintenant. c'estmon dernier point. a ce que leGouvernement
espagnol appelle la déviatioriartificieuse>) - page 71 - des ddégations
mauritanienne et marocaine. Un peu plus loin, il traite de ((point de

rattachement artificiel 1,- page 74. D'ores etdéjà,on pourrait voir pointer ici
de nouvelles affaires Nor!eboht?i. ou des pavillons de complaisance. dans
lesquelles le Maroc ou la Mauritanie tremperaient ! Pourquoi ? A propos de la
notion de « parties intéressées H. selon le Gouvernement espagnol. la
Mauritanie et le Maroc utilisent d'une manière artiricieuse cette notion. Le
Gouvernement espagnol donne trois raisons: 1) cette notion a étéaussi
appliquéea l'Algérie :2) elle apparaît pour reconnaître aux deux pays certains
droits de regard en matiere de référendumou pour 3) demander a ces deux
pays de collaborer avec la Cour en lui fournissant des renseignements. ce qui
est d'ailleurs une obligation statutaire.
La réponse est assez aisée. Certes. l'Assembléea certainement parté de

l'Algérie,mais ce n'est pas dii tout dans le même contexte ni de la méme
manièreni dans la mêmesiermes et \'Algérie elie-méme.commevous lesavez
d'ailleurs, nedemande pas de juge ad hoc.88 SAHARA OCCIDENTAL

Ensuite pour les points 2 et 3 il y a une tentative de minimiser l'importance

de ces indications donnéespar la résolutionde l'Assembléegénéraled'une part
et de faire disparaître tous les éléments complémentairest,ous les élémentsde
fond que nous avons exposés avant-hier pour justifier de notre intérêt d'autre
part.
Aussi bien. Monsieur le Président.Messieurs de la Cour. le Gouvernement
mauritanien maintient respectueusement larequétequ'ilavait eu l'honneur de
vous faire a l'audience du 13 mai (ci-dessus p.57). EXPOSÉ ORAL DE M. SLAOUl
REPRÉSESTAST DU COU\'ERNEXIEKT h1AROChIN

M. SLAOUl :Monsieur le Président.Monsieur le Vice-Président. Messieurs
les membres de laCour. qu'il me soit tout d'abord permis de vous adresser mes
vifs remerciements et d'exprimeala Cour ma sincere satisfaction ainsi que ma
conviction du redoutable honneur qui m'est donné de fournir quelques
élémentssusceptibles d'aidera la recherche de la vérité t 'apporter ainsi ma
contribution a l'aeuvrede justice qui vous est confiée.
Je voudrais plus particulièrement essayer de répondre deux questions qui
ont été poséersespectivement par M. Petrénet par sir Humphrey \traldock.
Je profiterai cependant de l'occasion qui m'est ainsi offerte pour expoaela
Cour mon sentiment sur certains points de l'intervention préliminaire de
M. l'ambassadeur d'Espagne qui me paraissent mériter d'étrerelevés.
Je tiens, des maintenant, a répondrea la question poséepaM. Petrén, lors
de l'audience tenue le lundi 12 mai 1975 (ci-dessus p. 31). Dans sa question.
M. Petrén asouligne que la Cour avait reçu, sous deux formes différentes,le
neuvième considérant de la résolution3292 de l'Assembléegénérale.
La première version. communiquk le 14 décembre 1974 par Ic conseil
juridique des Nations Unies. disposait : «Co~rsfurari~qu'une controverse
juridique a surgi au cours des débatau sujet dudit territoire au moment de sa
colonisation par l'Espagne.))(\',p. 369.)La deuxiémeversion au contraire.
étaitrédigéecomme suit :« Constatant qu'une dificulté juridique a surgi au
cours des débats au sujet du statut dudit territoire au moment de sa
colonisation par l'Espagne.»(V, p. 374.)

En tant que représentant du Royaume du Maroc auprès de I'organisation
des Nations Unies, ayant donc directement participé. tant a l'Assemblée
généralequ'a la Quatrième Commission, a l'examen du projet de résolution
devenu la résolution 3292, je désire vous apporter mon témoignage qui
répondra, je le pensea la question poséepar M. Petrén.Ce tkmoignage, tant
d'acteur que de spectateur. lors de l'examen etdu vote de la résoluti3292,
m'amènea vous indiquer que le texte de la résolution 3292. tel qu'ia été
transmis a la Cour dans sa deuxiémeversion, est entachéen ce qui concerne
son neuvième considérant d'une erreur matérielle manifeste. L'existencede
cette erreur est. par ailleurs, abondamment prouvée par les débats quise sont
déroulesaux Nations Unies.
Premier élément.une erreur matérielle entache le texte transmis a la
Cour par le Secrétariat général des Nations Uniesle 17 décembre 1974
(V, p. 373-3741.Ainsi qu'il vous l'aétexposépar l'autre conseil, le Royaume
du Maroc. en plein accord avec la Républiqueislamiquede Mauritanie,se trouve
a l'origine du projet de résolutiondemandantala Cour un avis consultatif sur
le Sahara occidental. On peui. noter que ce projet a eu finalement pour
coauteurs lesEtats représentantle groupe africain et le groupe des pays arabes.
Cette large assise, regroupant la quasi-totalité ducontinent africain et des pays
arabes, démontre a l'évidencele large consensus des pays de cette régiondu
monde sur le texte destinéa laCour internationalede Justice. Une telle assisea
étéencore renforcéepar le vote intervenu au sein de la Quatrième Commission
et regroupant quantre-vingt-sept Etats représentatifsde tolescontinents.Ce

projet. votépar la Quatrième Commission. a été transmisa la vingt-neuvième90 SAHARA OCCIDENTAL

session de l'Assembléegenérafepar le rapport A/9748 du 12décembre 1974.

présenté parle représentant de la Guinée-Bissau. rapporteur généralde la
Quatrième Commission. Ce rapport est fondamental car il contient le texte
faisant foi du projet de résolution VIII, tel qu'il a étévotépar la Quatrième
Commission.
Nos observations ultérieures démontreront que ce texte a étéadopté par
l'Assemblée générale. le 13 décembre 1974. sans que son neuvieme
considérant, qui nous intéresseprésentement. n'aitétéaucunement modifiéou
amendé. Or. le neuvième considérant de ce projet de résolution,contenu a la
page 28 du rapport A/9748, est énoncédans les termes suivants :

«Constatant qu'une controversejuridique a surgi au cours des débats
au sujet du statut dudit territoire au moment de sa colonisation par
l'Espagne. )>

«Noting that during the discussion a legal controversy arose over the
status of thesaid territory at the time of its colonization by Spain)>

L'Assembléegénérale a voté cetexte sans aucune modification. Il en résulte
qu'une erreur matérielle entache le texte du neuvième considérant de la
résolution 3292 et que seul le texte votépar l'Assembléegénéraleet contenu
dans le rapport A/9748 peut faire foi.
On pourrait penser que cette erreur matérielleaurait dû êtresignaléeplus
rapidement au service compétent du Secrétariat des Nations Unies. J'ai le
devoir cependant de faire remarquer à la Cour que le Maroc, comme tant

d'autres pays. est un pays en voie de développement ne disposant pas d'une
infrastructure administrativecomparable a celle des pays développés. illui est
donc parfois diflicile. comme de nombreux pays en voie de développement.de
faire face rapidement aux multiples exigences de l'administration internatio-
nale et. a fortiori, de contrôler, paragraphe par paragraphe, mot après mot,
l'impressionnant ensemble de textes élaborésdurant une session de l'Assem-
bléegénérale.
J'attire cependant l'attention de la Cour sur le fait que cette résolution,
soutenuepar la quasi-totalité.despays du tiers monde, représente un espoirmis
par ces Etats dans l'action pacifiquedes Nations Unies, comme cela est chaque
fois le cas lorsqu'un problème de décolonisation tend a progresser vers sa
solution. Une erreur matériellene dépendant pas de ces pays doit êtreréparée
et il faut contribuer a l'exacte détermination du neuvieme considerant de la

résolution 3292.a savoir, ((l'existenced'une controverse juridique ayant surgi
au cours des débats au sujet dudit territoire au moment de sa colonisation par
l'Espagne ))Cette erreur matérieHeest par ailleurs abondamment prouvéepar
l'examen des débatsauxNations Unies, que j'ai personnellement vécus.en tant
que représentant permament du Royaume du Maroc auprès de cette
institution.
Deuxième élément. l'erreurmatérielle sur le neuvième considérant est
prouvée par les débats aux Nations Unies. Si l'on tente de systématiser
l'ensemble des élémentsprouvant a l'évidence l'erreur matériellé e voquée
précédemment,et la persistance des termes « controverse juridique » dans le
texte final de ta résolution 3292, telle qu'elle a étévotée par l'Assemblée
générale.le 13 décembre 1974. trois catégories d'observations peuvent être
apportées.Ces observations feront l'objetde trois points.
Premier poiri[. L'existence d'une controverse juridique est aîflrmée par
plusieurs Etats tiers. C'estainsi que la Haute-Volta. parlanau nom des auteurs

du projet de résolution, à la 2130e séance de la Quatriéme Commission, a EXPOSEORAL DE M. SI.AOUI 91

indique que les diflicultésjuridiques qui ont surgi au cours des débats résultent
des controverses intervenues dans le statut du Sahara au moment de sa
colonisation par l'Espagne.A la mêmeséance.le représentantde la République
arabe syrienne. également coauteur de la résolution,au titre des pays arabes.
rappela qu'il étaitnécessairede soumettre ce différend ala Cour internatio-
nale de Justice. De même,selon le représentant du Cameroun. et toujours a la
2130' séancede la Quatrième Cammission, il existe entre le Maroc, la Mauri-
tanie et l'Espagne « un differend de caractère juridique dont la solution
préalable serait de nature a aider au règlement du problème du Sahara
dans son ensemble 1)A la21 25%ance, le représentantdesEtats-Unis deciara
a propos de la question du Sahara occidental :<<il faudrait encourager les pays
ademander un avis consultatif a la Cour, chaque foisque cela peut faciliter le

règlementpacifique des différendsentre Etats ».
IIressort de cette déclarationkmanant d'Etatsaussi divers que le différend,la
controverse juridique.est au ct-eur des motivations ayant entraîné la requéte
pour avis consultatif. Un tel élémentne pouvait donc être supprimé.ce qui est
également confirmé dans les faits par l'attitude mêmedu Gouvernement
espagnol.
Deuxième point. L'existence des termes « controverse juridique » dans le
texte voté par l'Assembléegénéraleest prouvée par l'attitude de l'Espagne.
Plusieurs exemples viennent a l'appui de ce fai: en premier lieu l'exposé écrit
du Gouvernement espagnol (1.p. 168) déclareque le projet de résolution fut
inclusr<dans le rapport de laQuatrième Commission a I'Assémblég eénéraleet
[qu'il] futapprouvé par celle-ci. sans débatet sans aucun amendement )>.

Or, nous l'avons vu précédemment,le rapport A/9748 de la Quatrième
Commission contient le projet de résolutionévoquantla controverse juridique.
On ne peut donc que confirmer le passage précédentdu Gouvernement
espagnol rappelant que ce texte a étéapprouvé par l'Assembléegénéralesans
débatet sans aucun amendement.
Le texte final du neuvième considérantde la resolution 3292 est donc celui
contenu dans le projet de résolution présenté par le rapport Al9748.
En deuxième lieu, lors de la 231ge séance de l'Assembléegénérale.le
vendredi 13 décembre 1974..c'est-à-dire lejour du vote de la résolution3292,
le representant de l'Espagne. mon ami M. de Pinies, a déclaré: « Avant de
procéderau vote du projet de résolution figurantdans le document A/9748 >>.
etc.
Le représentant espagnol reconnaît donc que l'Assembléegénérale votele
projet de résolution mentionnant expressément les termes
« controverse
juridique ».Or, rappelons-le encore une fois, ce texte n'a fait l'objetd'aucun
amendement avant le vote.
Troisième point. Les déclarations du rapporteur de la Quatrième Comrnis-
sion démontrent l'existence d'une erreur matérielleet le maintien des termes
<(controversejuridique »dans le texte voté.
Trois observations sont a retenir. Premièrement, le rapporteur de la Qua-
trième Commission, représentant de la Guinée-Bissau. rappelle a I'Assem-
bléegénérale,le 13 décembre t974, que le <projet de resolution qui va être
vote est contenu dans le document Al9748 ».
Deuxièmement, ce meme rapporteur a mentionné que le texte fraiiçais du
projet de résolution constituaitl'original. 1aacette occasion. rectifiécertaines

erreurs de traduction anglaise. mais n'a a aucun moment attirél'attention de
l'Assembléesur le neuvième considérant.
Troisièmement. le vote sans amendement a étéacquis et le Président de
l'Assembléegénéraie,au moment du vote déclara :riJ'invite lesmembres de92 SAHARA OCCIDENTAL

l'Assemblée a se reporter au projet de résolutionAl9748 sur la question du

Sahara espagnol. »(AlPV.23 18. p.29.)
Le texte inclus dans le document Al9748 est donc bien le texte qui a été
finalement adoptépar l'Assembléegénéralesans amendement.
Je souhaiterais maintenant répondre à la question (ci-dessus p. 80) que
sir Humphrey Waldock nous a fait I'honneur de nous poser au sujet de l'in-
tention qu'a exprimée le Maroc de porter devant la Cour internationale de
Justice siégeantau contentieux le différendqui L'oppose aL'Espagne.
Je ne puis mieux faire que de donner lecture de la lettre, en date du
23 septembre 1974. adressée par le ministre des affaires étrangères du
Royaume du Maroc 1 son homologue espagnol :

<<J'ai l'honneur de vous prier de bien vouloir portera la connaissance
du Gouvernement espagnol la proposition officielledu Gouvernement de
S. M. le Roi desoumettre. conjointement avec leGouvernement espagnol.
la question du Sahara occidental a I'arbitragede la Cour internationale de
Justice. Je me fais un devoir cet égardde vous rappeler les termes de la
déclaration faite par SM. le roi Hassan II au cours de sa conférence de
presse du 17 septembre 1974.ou l'on relèvenotamment :

<<Si l'on peut conserver et préservercette amitiéhispano-marocaine
pour la région,pour 1:Europe.pour l'Afrique,pour la civilisation. nous
aurons rendu a l'Espagne. au Maroc et a tous, un grand service.
Et c'est pour cela que, dans ma recherche constante, continuelle et
opiniatre d'une solution, d'une solution de négociationdirecte. je fais à
l'Organisation des Nations Unies, aujourd'hui, et a I'Espagne, la
proposition suivante:
<Vous prétendez.Gouvernement espagnol, que leSahara était res
nullius ;vous prétendezque c'étaitune terre qui étaiten déshérence :

vous prétendezquU n'y avait aucun pouvoir ni aucune administra-
tion établissur le Sahara, le Maroc prétendle contraire.
Alors demandons I'arbitrage de la Cour internationale de Justice.
Elle va dire le droit. c'estuneCour qui est un organisme dépendant
directement des Nations Unies, elle dira le droit sur titre et elle
pourra. a ce moment-la, éclairer l'organisation desNations Unies
pour recommander au Maroc et a l'Espagne la voiea suivre.»
Afin de guider l'organisation des Nations Unies dans la voie d'une
solution définitive du problème du Sahara occidental, qui soit à la fois

conforme au principe de la Charteet aux intérêts supérieurs de la paix et
de la sécuriteinternationales, le Gouvernement de S. M. le Roi présente
formellement a l'attention du Gouvernement espagnol la proposition de
soumettre conjointement cette question a I'arbitrage de la Cour inter-
nationale de Justice conformément à l'esprit et a lalettre du chapitre VI
de la Charte des Nations Unies traitant du règlement pacifique des
différends.
Comptant sur la sagesse du Gouvernement espagnol et sur son
attachement a la préservation de l'amitiéentre nos deux pays, que
l'histoire et la géographie destinent à la coopération et a l'entente, le
Gouvernement de S. M. le Roi reste persuadé que le Gouvernement
espagnol donnera une réponsepositive a sa proposition afin de pouvoir
saisir, dans les meilleurs délais, laCour internationale de Justice.

En ma qualité de représentant permanent du Maroc auprès des Nations
Unies. j'ai transmis cette lettreM. le Secrétairegéneraldes Nations Unies en EXPOS€:ORAI. DE hl.SLAOUI 93

le priant de bien vouloir en assurer la diffusion en tant que documerit officiel
de l'Assembléegénérale.Ainsi que l'a reconnu dans sa déclaration d'hierle
conseil du Gouvernement espagnol. celui-ci n'a donné aucune réponse a cette
lettre.
Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, veuillez me
permettre maintenant. en quelques minutes. d'aborder la dernière partie de

mon intervention.
Le Gouvernement marocain. s'adressant a la Cour par l'organe de son
conseil. s'est scrupuleusement abstenu d'aborder le fond de l'affairequi lui est
soumise en ce moment. II entendait ainsi répondre au vŒu exprimé par la
Cour de ne pas voir les parties invoquer les arguments de fond au cours d'un
débat préliminaire consacré à l'examen de la demande d'unjuge ad hoc.
Le Gouvernement marocain ne peut donc qu'exprimer sa surprise et ses
regrets d'avoir entendu le Gouvernement espagnol, par l'organe de M. l'am-
bassadeur d'Espagne a La Haye et de son conseil. présenter devant la Cour des
considérations qui non seulement touchaient au fond du problème mais de
surcroit se développaient au plan politique dans des domaines extérieurs aux
questions poséesa la Cour par la résolution3292.Ce faisant, le Gouvernement
espagnol a tenu. dès le stade actuel d'une procédure qui concerne exclu-
sivement la composition de la Cour. a exposer un système qui tend idétour-
ner la Cour de l'examen des questions que l'Assembléegénéralelui a confiées
et àla fairejuger d'un différend politiquequi n'apas étésoumis ason examen.
Compte tenu des déclarations d'ordre politique que M. l'ambassadeur
d'Espagne a cru devoir faire devant la Cour. nous prions la Cour de nous
permettre de faire les mises au point suivantes. Tout d'abord, lorsque le
Gouvernement espagnol soutient que «l'Espagne collabore au sujet de la

décolonisation du Sahara espagnol depuis que l'Assembléegénérales'en
occupe »,il veut oublier qu'il ne tenait qu'a lui d'écourter cequ'il appelleune
longue collaboration puisqu'il eût suffi d'accorder quelque attention et de
donner suite aux résolutions de l'Assembléegénéralequi depuis 1964 lui
enjoignaient- de décoloniser le Sahara occidental en liaison avec les Etats
directement concernéspar la libérationauthentique.
Qualifiant ainsi de longue collaboration avec les Nations Unies une tenace
résistancea suivre leurs reSolutions, le Gouvernement espagnol ne craint pas
de recourir a un autre euphémisme en faisant etat de la préoccupation
espagnole pour accomplir avec honnêteté et dignitéla responsabilitéhistorique
qui lui revient envers le peuple sahraoui,
Ce que le Gouvernement espagnol qualifie ainsi de responsabilitéhistorique
n'estautre que la persistance d'une mainmise coloniale a la fin de laquelle il ne
saurait se résoudre aux yeux des .populations du Sahara occidental. Une
responsabilité incombe bien a l'Espagne. celle d'avoirexercé sur elles une
domination coloniale. responsabilitédont le Gouvernement espagnol ne peut
se libérerqu'en acceptant une décolonisation prompte et authentique de ce
territoire.
Le Gourernement marocain ne peut accepter davantage que le Gouverne-

ment espagnol soutienne, comme il l'a fait hier, qu'il administre un territoire
placésous mandat international. Que l'Espagne assume un certain nombre
d'obligations a l'egard de la communauté internationale et à ['égarddes
populations du Sahara occidental au premier rang desquelles figure l'obligation
d'accepter une décolonisation véritable, cela n'est pas douteux, mais le
territoire lui-mêmedemeure malheureusement sous un statut colonial qui lui a
étéunilatéralement imposépar l'Espagne.
LeGouvernement espagnol ne saurait tenter de camoufler sous une sortede94 SAHARA OCCIDENTAL

mandat sa présencesur ceterritoire. La communauté internationale ne lui a

jamais donné un mandat et ne lui a confie aucune fonction de tutelle.
Par définition.le territoire'non autonome au sens de la Charte des Nations
Unies demeure sous la souveraineté de 1'Etatcolonial et c'est bienpour l'en
distinguer que la Charte a institue le régimede tutelle qui confèau territoire
concerné un statut international. D'ailleurs, dans les volumes présentéspar
l'Espagne au titre des documents et informations. le Gouvernement espagnol
utilise toujours l'expression de souveraineté espagnole pour qualifier la nature
juridique de sa présence.
Le statut international d'un territoire est déterminé par un traité inter-
national spécifique conclu avec un Etat mandataire ou tuteur par l'organi-
sation internationale au nom de l'ensemble de la communauté interna-
tionale.
On mesure a cet égard combien nous sommes loin en ce qui concerne le
Sahara occidental de l'hypothèse du statut de la Namibie qui au contraire,
comme la Cour l'areconnu, se trouve dans une situation toute différenteen sa
qualitéd'ancien territoire sous mandat.
Les obligations qui pèsent sur l'Espagne a titre personnel. en tant que
puissance coloniale, ne sauraient transformer cette qualitéen celled'agentde la
communauté internationale, ni purger sa présenceau Sahara occidental des
vices originaires qui l'entachent.
Enfin, lorsque le Gouvernement espagnol ose soutenir que son intérêt
coïncide avec celui de la communauté internationale au motif que celle-ci a
reconnu le droit des populations du Sahara occidentala la libre détermination,
qu'il nous permette de rappeler que la décolonisation authentique de ce
territoire ne saurait se satisfaire d'arguties politiques ni d'affirmations

théoriquesmais exige une réalisationeffective.
Pour en faciliter l'avènementtrop longtemps retarde par le Gouvernement
espagnol, l'Assembléegénéralep . ar la résoluti3292. a adresséa la Cour une
demande d'avis dont les réponses lui seront précieuses pour aboutir au
règlement de ce problerne de décolonisation.Contrairement a ce qu'affirme. à
la fin de son exposé, M. l'ambassadeur d'Espagne. ce n'est pas seulement le
Gouvernement marocain mais bien l'Assemblée généralq eui estime dans la
résolutionprécitée que l'avisde la Couraura une influence sur la poursuite de
l'examen du problème par les Nations Unies.
Le Gouvernement marocain tient à répéteren terminant cette déclaration
qu'ileiit préférn'êtrepas oblige de la faire et qu'ilsouhaitait voir maintenir les
débatsdans le strict domaine de la présenterequêteconcernant la désignation
de juges ad hoc.

L'audience, suspendue a 16 h 20,est reprise a 16 h 45 M. DUPUY :Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour, je
voudrais répondre tout d'abord,en exerguede mon intervention de ce soir. a la
seconde des questions que M. lejuge Petrénnous a fait hier Uhonneur de nous
poser. Cette question, rappelons-le, est la suivan:e
(<Est-ce que, dans le contexte de la présentedemande d'avis, il existe
dans l'opinion du Gouvernement marocain un droit ou des droits
revendiquéspar leMaroc que l'Espagne ou la Mauritanie conteste et. si tel
est le cas. quel est ou quels sont ces droits>)(Ci-dessus p.80.)

Précisons toutde suite que, respectueux du désirde la Cour de ne pas voir
entamer un débatsur le fond à l'occasion des discussions sur la désignation
d'un juge ad hoc, le Gouvernetnent du Maroc s'est efforced'aborder le moins
possible les problèmes anerents a la teneur des titres qu'il invoque au Sahara
occidental, de peur toujours de toucher à des terrains que le stade actuel de la
procédurenous invite au contraire a ne pas approcher. Cependant, la question
de M. Petrén appelle deux séries de reponses, selon que l'on envisage les
rapports du Maroc avec l'Espagne ou avec la Mauritanie.

Premièrement à l'égardde l'Espagne. L'exposé écrid tu Gouvernement
marocain (III. p. 125-204) ii longuement retracé l'histoire des atteintes
apportéespar l'Espagne à sa souveraineté au Sahara occidental, souveraineté
marocaine reconnue par de nombreux actes internationaux. II s'est par là
mêmeefforcéde démontrer que ce territoire ne pouvait au moment de la
colonisation espagnole, êtreconsidérécomme une terra nuliius. puisqu'il
relevait d'un soiiverain immémorial qui n'a jamais cesséde protester et de
lutter contre une présencecoloiiiale, qui a dû d'ailleursattendre fort longtemps
avant de devenir effectivea la faveur du dépeçagedont le territoire marocain a
étéla victime au début decesiècle.Cetexposé a égalementmontre que. desson
retour a l'indépendance.le Maroc, qui n'avait jamais admis les atteintes a sa
souveraineté et son intégritéterritoriale, a réaffirméses droits légitimesau
Sahara occidental. Dans sa déclarationorale devant la Cour, leGouvernement
du Royaume du Maroc a rappeléles dénégationsque l'Espagne a opposées ala
reconnaissance de ses droits légitimes au Sahara occidental. Récemment
encore, en dépitde plusieurs résolutions de l'Assembléegénéralequi, depuis
1964. l'enjoignaient de décoloniser ceterritoire, le Gouvernement espagnol a
adopte une attitude négative et dilatoire et s'est abstenu d'entamer avec le
Maroc des négociations auxquelles il était explicitement invitepar les Nations
Unies. 11existe donc, d'unepart. un différendentre les deux pays qui concerne
la décolonisation duSahara oct:idental, différendqui ne pouvait êtrerésolupar

la décisiontardive du Gouvernement espagnol de procéder unilatéralement a
un référendum alorsque les modalitésde cettedécolonisationne peuvent être
décidées que par les Nations Unies. avec la participation des Etats intéressés.
11existe, d'autre part, à l'intérieurde ce differend d'ensemble global, un
second différend, plus particillier. qui concerne le statut du territoire au
moment de sa colonisation par l'Espagne. Ce second differend plus particulier
est celui-la mémequi fait l'objetprécisémentde la présentedemande d'avis et
constitue une questionjuridique actuellement pendante entre lesdeux Etats, au96 SAHARA OCCIDENTAL

sens de l'articl84 du Règlement de la Cour. Le fait que le Gouvernement
espagnol ait consacré plusieurs volumes produits devant la Cour pour
contester les thèses juridiques marocaines et les faits historiques qu'elles
invoquent a cet egard apporte une preuve manifeste de l'existence d'une
opposition d'intérêtjsuridiques entre les deux pays.
Les réponses qui seront apportées par la Cour à cette question juridique
pendante revêtentune grande importance. car elles influenceront le règlement
par les Nations Unies du premier différend, dudifférendd'ordre global, relatif

a la mise en Œuvre effective d'une décolonisationauthentique.
Deuxièmement, en ce qui concerne la Mauritanie, le Gouvernement du
Royaume du Maroc croit devoir rappeler qu'aux termes de la résolution 3292
(XXIX) le Maroc et la Mauritaniesesont reconnus mutuellement intéressésau
devenir du Sahara occidental. Ces deux gouvernements ont agi parallèlement
pour obtenir le vote de cette résolution aux fins de demander un avis
consultatif a la Cour. Pour autant, il serait vain de nier I'existence entre les
deux pays d'intérêtsqui ne sont pas tous concordants. Compte tenu de la
nature de la procédure engagéedevant la Cour et de la mission impartie a
celle-ci par la résolutionqui l'asaisie pour avis, il semble inutile et prématuré
de relever les points sur lesquels les deux gouvernements pourraient être en
désaccord.C'est la raison pour laquelle, comme l'exposéécritdu Gouverne-
ment marocain !'a précisé,il n'a pas cru devoir faire des développements
d'ordre géographique ; il aura l'occasion de s'en expliquer plus longuement
durant la suite de la procédure;une telle attitude a semble au Gouvernement
marocain susceptible d'éclairciret de simplifier le problème soumisala Cour
par la résolution3292 (XXIX). Pour autant. les deux Etats n'ont pu envisager
de faire cause commune, car la désignation d'un seuljuge od hoc mettrait
celui-ci dans une position extrêmementdélicateet tendrait en quelque sorte a
l'instituerarbitre au sein même dela Cour entre lestitres et les droits du Maroc.
d'une part. et de la Mauritanie, d'autre part.
Voila, Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour, la réponse
que, par mon intermédiaire, le Gouvernement marocain a cru pouvoir faire
aux questions que M. lejuge Petréna bien voulu nous poser.
II m'incombe maintenant d'apporter quelques précisions a la suite des

déclarations que nous avons entendues hier de la part du conseil du
Gouvernement espagnol. Je ne saurais développer a l'excéscette réplique.trop
respectueux du temps et des travaux de la Cour. Je ne saurais non plus
m'étendre sur les arguments qui ont été présentés palre Gouvernement
espagnol sous peine de le silivrsur le terrain qull n'a pascrain d'aborder
abondamment, le terrain du fond !
Le Gouvernement marocain tient pour sa part a rappeler ce qu'il déclarait,
par l'intermédiairede son conseil. au dèbutde son intervention a l'audiencedu
12 mai (ci-dessus p91,a savoir qu'il considère que les problèmes que la Cour
examine en ce moment, problèmes qui concernent exclusivement sa
composition. répondent a une priorité logique,comme la Cour l'a elle-même
reconnu naguère. te Gouvernement marocain tient a souligner qu'il les
considere. ces problèmes. comme devant êtrerésolusprimafacie sans préjuger
les décisionsque la Cour croira devoir prendre, tant au plan de sa compétence
qu'au niveau du fond. Cependant, il nous faut bien constater que le
Gouvernement espagnol ne semble pas manifester les mêmesréserves ;et la
déclaration que nous avons entendue hier avait pour effet d'introduire des
questions de fond. allant jusqu'a évoquer la pertinence des exposés écritsdu
Gouvernement marocain en cequi concerne notamment la valeur de ses titres.
De surcroît, il avait pour effet d'introduire de grandes confusions dans le débat et de déformer les données du probleme. Confusion d'abord - celle-ci est
évidemment la moins grave - en invoquant des considérations sans

pertinence en l'espèce.Je prendrai un exemple : l'usage faitpar la déclaration
d'hier sur l'opinion du juge Azevedo sur le problèmeposépar la persistance ou
par la fin des avis surdifférends.C'est letype méme la de questions qui nous
paraît présenter un intérêtacadémique dont dans une autre partie de ce
bâtiment il nous arrive de débattredurant les sessions d'été.
Le juge Azevedo. qui tint sa place dans cette Cour avec distinction et
autorité.pensait qu'il fallait conclura la disparition aux Nations Unies de la
possibilité de demander un avis consultatif sur un différend. C'étaitune
opinion doctrinale. mais elle se heurtait I'articl89 qui prévoit expressément
des avis sur une question juridique pendante, notion qui inclut celle de
«différend )>.qui est d'ailleurs plus vaste que celle-ci et qui, dès lors. n'a pu
disparaître. L'avisque vous avez rendu dans Ihffaire de la Nuilrihic.le prouve
abondamment. Vous avezrefuséde considérerque lesconditions de l'article 89
étaientréunies.Vous avez considéréqu'il n'y avait pas de différendjuridique
en l'espèce.ce qui démontrebien. par a con/rario,que sices caractères eussent
étéréunis.vous auriez pris une décision différente. D'ailleursl.ejuge Azevedo
ne cachait pas qu'ilregrettait l'existencede l'arti83ede l'époque ;c'étaitdonc
bien qu'il leconsiderait lui-mémecomme un texte de droit positif. sinon, on ne

voit guèrequel regret il aurait pu susciter chez lui. Enfin, lejuge Azevedi.qui
on ne peut tout de mêmepas faire dire des choses qu'il nà jamais pensées.a
écritpour précisersa pensée. penséeque. je n'ai pas besoin de le dire. nous ne
partageons pas :« ilaurait fallu aussi supprimer I'article83 du Reglement ».
dansson opinion a propos de I'lnrerpre~ariod nes traites depaix cotrcltisavec la
Bulgarie. la Hongrieet la Roumanie. en 1950. Sidonc, il exprimait un regret,
c'estqu'ilconsidérait quecette disposition étaittoujoursen vigueur. Si bien que
nous ne voyons pas l'intérêd t e nous attarder plus longtemps, ni l'intérêt
d'ailleurs qu'avait lconseilespagnol a s'attarder autant sur cette question.
Plus sérieux,nous parait. l'usage ambigu qui a été fait de la vieilleaffaire du
S/rtctidc lu CarL'licorieri~ule,usage qui a tendu 8 soutenir qu'il faudrait le
consentement des Etats intéresséspour obtenir un avis portant sur une
controverse juridique. Nous voudrions sur ce point. presenter a la Cour.
plusieurs observations.
Premièrement. si le Gouvernement espagnol invoque la Carelje orientale
aux lins de plaider l'incompétencede la Cour. en espérantune résurrectionde
cette jurisprudence de 1923. libre a lui, mais alors. c'est qu'il reconnaît
l'existenced'un difirend. car c'estbien pour ce motif que la Cour permanente
s'estdéclarée incompétenteO . n comprend déslors la raison de la discrétion des

propos espagnols qui, lorsqu'ilsévoquentcette affaire. ne vont jamais jusqu'au
bout. n'aboutissent jamais a une conclusion ferme et franche. vous demandant
de vous déclarer incompétents. Or, de deux choses l'une. ou la Carélie
sapplique toujours ou elte ne s'applique pas. Dans ces conditions. la thèse
espagnole se trouve au cŒur d'une singulièrecontradiction.
Deuxiémeobservation, l'analyse au fond que le conseil du Gouvernement
espagnol a présentée de l'affairedu Sfa~lide la Curelie orieiiialparait erronée.
Leconsentement des Etats n'est plus requis dans ce type d'avis sur différend.
Nous l'avons montré sur la base des textes nouveaux qui regissent la Cour
depuis 1927, sur celle de la jurisprudence de la Cour etje constate que la thèse
soutenue par le conseil du Gouvernement espagnol est en complet désaccord
avec celle exprimk dans son opinion individuelle a propos de la Aralnibiepar
un juge éminent que nous nous étions permis de citer avant-hier (ci-dessus
p. 15)et qui concluait au caractère périmede la jurisprudence Caréliede ce98 SAHARA OCCIDENTAL

point de vue. Que cette jurisprudence ne soit plus la vôtre, résultede l'examen
de vos décisions.Dans l'affaire concernant I'/nterprétationdes traitésde paix
coriclusavec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, premier avis, certains
Etats soutenaient que la Cour étaitincompétente pour statuer sur la demande
d'avis en l'absence du consentement des parties au différendsur lequel elle
portait. La Cour n'a pas eu de peine a réfuter cetteargumentation et a faire
valoir que le consentement des parties a un différend, s'il constituait le
fondement de la juridiction de la Cour, dans le cadre de son activité
contentieuse, n'était pas nécessaieans la procédured'avis consultatif, laquelle
n'aboutissait pas normalement aune décisionobligatoire. Dansson avis sur les
Réservesa la convenfionpour la préventionet la répressiondu crime de
génocide.la Cour a également admis que la voie consultative pouvait être

utilisée,meme s'ilexistait un différend.Enfin, dans son avis sur lesJ~igemet~~s
du Tribunal administrat$ de l'OIT sur requétescontre l'Unesco. LaCour est
alléeencore plus loin dans le sens de l'élargissementde sa compétence en
admettant que la voie consultative pouvait constituer la procédure de regle-
ment d'un différend.Dans I'avis de 1971 sur la Namibie, le Gouvernement
sud-africain invoqua l'affairedu Statut de la Carélieorientale,en faisant valoir
que la Cour permanente de Justice internationale avait refuséde se prononcer
sur la question posée.parce qu'elle concernait directement le point essentiel
d'un differend actuellement ne entre deux Etats. Or, la Cour considéra,
au paragraphe 31de son avis, que la référencea cette affalre n'était pas perti-
nente car elle différaitde l'espéceexaminée. l'un des Etats intéressésdans le
Statut de la Cardie orientale n'étaitpas membre de la Sociétédes Nations
et ne s'était pasprésentédevant la Cour permanente de Justice interna-
tionale. La Cour internationalede Justice affirmaacette occasion que l'Afrique
du Sud étaitliée,comme Membre des Nations Unies. par l'article96 de la Charte
qui autorise le Conseil de sécuritéet l'Assembléegénéralea demander
un avis consultatif sur toute question juridique, qu'elle s'était présentée
devant la Cour et avait participé a la procédure. Dans I'avis présentement
demandé sur le Sahara occidental, l'argumentation précédenteconcernant
t'Afrique du Sud est tout a fait applicable a l'Espagne, Membre des Nations
Unies et intervenant directement dans les différentes phasesde la procédure.

Cela dit, précisons qu'invoquer l'affairedu Statut de la Carélieorientale. ne
serait-cequ'avec I'arriére-penséde vousorienter vers une décisiond'incompé-
tence. serait prématuré, car.nous ne sommes pas parvenus a ce stade de la
procédure.C'est bien laune preuve de ces efforts qui ont été déployé dsevant
vous pour nous faire sortir du cadre strict et rigoureux de l'examen de la
question très particulière du procès restreint qui se déroule devant votre
prétoire sur la question de savoir si nous aurons ou non des juges ad hoc.
Examinons maintenant. ces mises au point effectuées, les deux séries
d'arguments que nous avons cru devoir dégagerde l'intervention du conseil
espagnol, dans la mesure ou ils concernent le problème du juge ad hoc.
Nous voudrions présenter essentiellement deux séries d'observations. La
premièreconcerne les conditions dans IesquellesI'avisde la Cour a étésollicité
et la nature de cet avis. La seconde portera sur les ambiguïtésentretenuespar le
Gouvernement espagnol depuis le début de cette affaire sur la notion de
différend.
Premier point. L'Espagne soutient que I'avisest demandé a la Cour par un
organe des Nations Unies pour ses propres décisions. EHe veut ainsi. bien
entendu. rapprocher. autant que faire se peut, l'espèceactuelle de celle de la
Namibie. Or nous avons déjàeu l'honneur d'exposer devant la Cour, grâce a
l'examen de la résolution3292 (XXIX).que l'objetde la requêtedemandant un EXPOSEORAL DE hl. DUPUY 99

avis consultatif sur le Sahara occidental ne porte nullement sur une décisionde
I'Assembléegénérale..En déclcirant.dans son dernier considérant, qu'il est
hautement <(souhaitable que 1'.4ssembléegénéraleobtienne pour poursuivre
l'examen de cette question, lors de sa trentième session. un avis consultatif sur
certains aspects juridiques importants du probléme ».I'Assembléegénérale a
parfaitement marquéquesa requête avaitpour objet de résoudre une question

d'ordre juridique se posant entre certains Etats. question dont L'existence
empéchaitla poursuite normale de l'examen de ce probleme de décolonisation.
II ne s'agitdonc pas. dans l'affaire présente,contrairement a ce qui se passait
dans celle de IaNamibie. de soumettre a la Cour la portéed'une résolutiondéjà
intervenue. IIsemble que les déclarations espagnolesconfondentdeux types de
résolutions.Dans I'avissur lakmibie. une résolution284(1970)du Conseil de
sécuritédemandait a la Cour un avis sur les conséquences d'une autre
résolution. la résolution 276 (1970) du même organe. DansI'affaireprésente.
n'intervient qu'une seule résoliition, la resolution 3292 (XXIX). par laquelle
I'Assembléegénéralesaisit la Cour. non pas d'un de ses actes propres. non pas
d'une résolution particulière, maisd'une question juridique qui se pose entre
certains Etats.
LeGouvernement espagnol s'ingénie,par une sorte d'opération d'amalgame,
a tenter d'assimiler les deux types de cas en essayant de faire croire que la
résolution 3292 (XXIX) interroge la Cour sur une décision de I'Assemblée
générale.Or ce n'est pas le cas : l'avis consultatif a pour objet, non pas de
s'interroger sur une décision qu'aurait prise l'Assemblée générale, mais
d'obtenir un avis qui éclaireral'Assembléegénérale en vue de lui permettre de

prendre une décision envue de réaliser ladécolonisation authentique de ce
territoire.
11est donc absolument sans pertinence de vouloir soutenir que l'hypothèse
qui est a la base de la demande d'avis qui vous est soumise ait la moindre
ressemblance, de ce point de vue, avec celle qui vous saisissait dans l'affaire de
laNamibie.
J'en arrive au second point,i la confusion entretenue par le Gouvernement
espagnol sur la notion de différend.Je voudrais sur ce point, avec la permission
de la Cour. êtrelégèrementplus long.
La première observationconcerne la distinction fondamentalededeux séries
de différends, distinction que nous venons déji de présenter dans la réponse
que nous avons eu l'honneur de faire (ci-dessus p. 95-96) à la question de
M. Petrén (ci-dessus p. 80) et sur laquelle je prie la Cour de bien vouloir
me permettre de revenir un instant. Nous y attachons en effet une trks grande
importance, tout le système de la démonstration du Gouvernement espagnol
consistant précisément a mêlerconstamment ces deux types de problème.
Il y a d'abord lin differend global qui résultede l'opposition existantentre les
Etats concernés et intéressessur les modalites de la décolonisation.
Il en est un second. plus particulier mais beaucoup plus ancien. C'est ce
différend-ciqui concerne le statut juridique du Sahara occidental au moment

de la colonisation. Seul ce second probleme particulier mais ancien setrouve
soumis a la Cour par la résolution 3292 (XXIX). Or, le Gouvernement
espagnol - toujours selon la méthode de l'amalgame - s'applique a le
confondre avec le premier. Il souhaiterait, semble-t-il.faire la Cour juge de ce
premier differend et il consacre un gros volume a évoqueret a retracer toute
une sériede résolutionsde l'Assembléegénéralepour vous inviter a les mettre
en Œuvre. vous. organe judiciaire. et a décider des modalités de la
décolonisation. Cedont il est bien certain en tout cas que vous n'avezpoint a
vous charger sur le vu de la niission très préciseque I'Assembleegénérale a100 SAHARA OCCIDENTAL

souhaité vous voir accepter. Vous êtesévidemmentlibres de ne pas l'accepter.
Mais, si vous l'acceptez,Monsieur le Président,Messieurs les membres de la
Cour. vous devrez vous en tenir au cadrejuridique de la résolutionqui vous a
saisis.
Ce premier differend d'ensemble, d'ordre global. qui concerne les modalités

de la décolonisation du Sahara occidental, il relèvetoujours de l'Assemblée
généraleq , ui s'estcontentéesimplement d'en suspendre l'examen en attendant
votre réponseaux questionsqui font l'objetdu second differend, plus restreint.
mais plus ancien.
Par ailleurs, les exposésécrits. les déclarations orales tout aussi bien, du
Gouvernement espagnol nient l'existenced'un différend,sans jamais tres bien
préciserduquel il s'agit.
Il nie l'existence du premier au motif qu'il aurait décidéd'appliquer les
résolutions de l'Assembléegénérale.Qu'il soit permis de remarquer que ce
serait une décisionqui aura étémûrement réfléchie eq tui aura permis àtout le
moins de poursuivre sur ce territoire ce qui n'est peut-être pasabsolument
interdit de qualifier de mise en condition. Car, lorsque l'Assembléegénérale.
depuis 1964, a pris des résolutions de ce genre, il ne tenait qu'a la puissance

coloniale d'y prêterattention et de les mettre en Œuvre. Mais je résisteraia la
tentation qu'un avocat pourtant éprouve évidemment lorsque le terrain lui est
favorable et je ne suivrai pas le Gouvernement espagnol sur ce terrain, car
nous ne plaidons pas au contentieux ce différendglobal. Nous ne souhaitons
pas davantage envenimer le débat.
Cependant. le Gouvernement espagnol nie aussi l'existence du second
différend, plus restreint mais plus ancie: celui qui concerne lestatut juridique
du Sahara occidental au moment de la colonisation espagnole et qui vous est
posédans les deux questionsqui vous ont été adresséep sar la demande d'avis.
Il en nie l'existencealors que, pourtant, c'estce différendqui nous amèneet qui
l'amène devant la Cour. C'est celui qui appelle de la part de la Cour une
solution aux questions juridiques pendantes. réponses et solutions qui auront
une influence dans la suite des travaux de l'Assembléepour résoudre l'autre
différend, le différend global. On retrouve ici ce partage des rôles que
j'évoquais dans ma première déclaration et que j'illustrais d'une citation de
Charles De Visscher qui, déjà a la Sociétédes Nations. avait aperçu cette

répartition des taches entre l'organe judiciaire, saisi pour avis, et l'organe
politique qui assume la fin de l'affairesur ses autres plans.
En second lieu. je voudrais revenir tres brièvement sur un point dont je me
suis longuement explique dans la déclaration que j'ai eu l'honneur de faire
devant la Cour a l'audience du 12 mai (ci-dessus p. 9-30). Je prie MM. les
membres de la Cour de bien vouloir s'y reporter. s'ilslejugeaient nécessaire.Je
ne voudrais pas abuser du temps de la Cour en insistant sur cet aspect du
problème, mais je dois tout de même l'évoquer avec un minimum de
précision :il s'agitde la notion de partie concernéeque l'exposédu conseil du
Gouvernement espagnol a évoquéeà plusieurs reprises. Cet expose soutient
que l'Espagne n'aurait pas d'intérêta cette affaire parce que « sonlocus standi
résulteraitdu droit spécialcréepar les Nations Unies ».
Si un Etat a le droit de puiser un locus siandi dan<(le droit spécialcréépar
les Nations Unies O, on imagine mal que ce soit précisément, età titre
quasiment privilégié.comme on semble vouloir nous le faire admettre, le

gouvernement qui a fait l'objet dudit droit spécial,alors que celui-ci a été
adoptéaux fins de le critiquer et de l'inviter a prendre des positions qu'il a
toujours refusées ou qu'il n'a semblé accepter que dans des conditions
particulières etincomplétes. EXPOS E RAL DE M. DUPUY 101

Pour aller plus au fond de cette analyse, nous notons. premiérement. que le
Gouvernement espagnol soutient qu'il estici pour collaborer avec les Nations
Unies :nous ne voudrions insister sur ce que la collaboration avec les Nations

Unies peut avoir de pertinent lorsque précisémentelle consiste pendant des
années a refuser d'exécuterleurs résolutions.
Mais, en ce qui concerne le juge ad hoc que nous avons l'honneur de
demander a la Cour. nous nous trouvons en présenced'un aspectparticulier de
cette callaboration, faite si spontanement par le Gouvernement espagnol pour
que cejuge ad hoc nous soit refuse, tout en soutenant qu'il n'y a aucun intérêt
puisque, aussi bien, il n'existe pas de différend maisune simple divergence
d'opinions.
En second lieu. le Gouvernement espagnol se présente - je m'excuse,
Monsieur le Président. Messieursde la Cour. d'avoir a donner un ton un peu
polemique a cette analyse mais j'eusse incontestablement souhaite ne pas avoir
a y recourir :je n'ai pas choisi le terrain. il m'a étéimposé. le rôlede l'avocat,
son devoir, est de l'accepter - le Gouvernement espagnol se présente donc
comme un agent de la communauté internationale et soutient que c'est en cette
qualitéqu'ilcomparait devant vous. Dans la déclarationque M. l'ambassadeur
Driss Slaouia faite toua I'heilre devant la Cour (ci-dessus p. 89-94), il s'est
expliquésur ce qu'il faut penser sur le plan juridique d'une telle prétention. II
est évidentqu'une puissance coloniale ne peut fonder sa souveraineté que sur
la mainmise unilatérale effectuéeà l'époque coloniale, selonles procédésdu
droit colonial, droit qui a existé etqui a été enseignedans les universités:le
mot « colonial >>semble aujourd'hui chargé d'un aspect péjoratif.je prie la

Cour de penser que je l'utilisecomme on le faisaita l'époqueou le phénomène
colonial atteignait son niveau le plus élevéde plénitude etde prospérité :on
parlait de « droit colonial », on parlait d'une « politique coloniale » et
l'expression n'était as considéréecomme infamante. Je ne l'utilisepas dans un
tel sens. Je dis qu'une puissance coloniale fonde sa souveraineté sur un acte
unilatéral et ne peut donc pas. par une sorte de dédoublement fonctionnel.
venir aprèscoup et la fin du XXesicèletâcher de faire admettre a un organe
comme la Cour qu'elleexerce un mandat qu'elle seule s'estdonné.Vous savez
mieux que moi, car vous avez eu l'occasion. dans l'exercice de la fonction
judiciaire de la Cour, d'étudierces notions de mandats internationaux de façon
beaucoup plus approfondie que dans nos universitésnous ne pouvons le faire.
et ce n'est certes pas à la Cour que je le rappellerai, que le mandat ou que la
tutelle internationale reposent sur des actes internationaux, plus spécialement
sur un accord passéavec la communauté internationale, représentéepar la
Société desNations jadis ou par l'organisation des Nations Unies aujourd'hui.
L'Espagne peut avoir des obligations internationales. des obligations

personnelles a l'égarddu Sahara occidental. Mais le statut de ce territoire n'est
pas un statut international ettous les documents produitspar leGouvernement
espagnol pour cette procédure s'appliquent a démontrer la souverainetéqu'ila
acquise sur ce territoire a l'époque coloniale.
Ainsi, est-ce une sorte de camouflage de cette présence colonialesous une
idéede statut internationalqui nous a été ainsi présentée hierdeux reprises et
si l'on suivait d'ailleurs l'exposé écridtu Gouvernement espagnol. on en
arriveraita penser que c'esta cause de la Mauritanie et a cause du Maroc que
ce malheureux territoire n'esttoujours pas décolonisé.
En réalité.par toutes ces démonstrations. le Gouvernement espagnol a
amplement démontre son intérêd t ans cette affaire, son intérit a maintenir sa
présenceau Sahara occidental sous des formes renouvelées, manifestant plus
d'imagination que les premières. C'est cet intérêdt 'ensemble qui se distribue102 SAHARA OCCIDENTAL

dans divers intérêtsparticuliers. spécifiques,au sein des divers différendsque
j'ai évoqués.le differend global, de la compétence de l'Assembléegénérale,
le différendparticulier portant sur les questions qui vous sont poséespar elle
et, troisièmement. le différend très spécialqui concerne la désignation d'un
juge ud tioc. Voilà comment se distribue cet intéret espagnol à ces trois

niveaux.
Quant a l'avis. Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour,
que vous donnerez, il va avoir pour effetde cerner lescontours, pour reprendre
une expression en usage dans une haute juridiction de mon pays. de cette
notion d'Etat concerné,voire d'Etat intéressé,que la résolution 3292 (XXIX)
utilise à plusieurs repris-s tel est l'intérêptremier de ce résultatattendu de
l'avis- expressions d'«Etat concerné » et da«Etat intéressé » qui ont
égalementété utiliséepsar de nombreuses résolutionsantérieurescomme nous
croyons ravoir dkjà rappelé.
Nous ne voudrions pas prolonger beaucoup plus longtemps cet exposé.
Nous avons amplement. dans notre première déclaration. insisté sur
l'opposition des thèses et des intérêts juridiqueset ce ne sont pas, je pe-se
M. l'ambassadeur Driss Slaoui s'en est expliqué devant vous - des
considérations puiséessur les modifications intervenues sur le pian matériel
dans les textequi ontaboutai la résolutionqui vous aété adresséequi peuvent
changer quoi que ce soit a ce problème car, vous l'avez dit vous-memes a
plusieurs reprises, la notion de différendest objective, et c'est a laCour et a la

Cour seule qu'il appartient de déterminer si la question juridique pendante
existe ou n'existe pas. Ce n'est pas parce qu'une résolution parlerait de
« controverse >>ou de difficultés» que la Cour se sentirait immédiatement
paralyséepar la terminologie utiliséepar un organe politique.
De surcroit, nous avons indiqué - et. avant nous,M. Erik Suy !'afait avec
rigueur dans un article sur la notion de differend auquel faisait référencemon
collègue et ami le professeur Jean Salmon - ce qu'il fallait penser de la
considération tirée du fait qu'un différend s'estmanifesté a l'intérieur d'un
organisme multilatéralcomme l'Assembléegénérale desNations Unies. En ce
qui concerne la question juridique pendante qui vous est posée par ta
résolution 3292 (XXIX). il s'agit d'une question fort ancienne qui n'a pas
attendu cette résolutionpour'se poser mais que cette résolution aeu te grand
méritede vous poser.
C'estun probleme qui se pose depuis des décennies. C'estun problémedont
l'acuité s'estdéveloppéeau sein de l'organisation internationale et dont
l'Assembléegénérale aperçu la spécificité, edtont ellea décidé devous saisir
pour solliciter votre avis. puisque aussi bien il s'agit d'un probleme juridique.
Elle ne pouvait mieux faire que de s'adresser à la Cour.
Or, non seulement cette observation est évidente. mais. de surcroit. elle
réduita néantles tentatives du Gouvernement espagnol de faire croire que le

Maroc. et que la Mauritanie, d'ailleurs, se livra des efforts pour sortir du
cadre des Nations Unies. Cela a étdit hier expressément.Nousnous livrerions
sous vos yeux a des efforts pour sortir du cadre des Nations Unies ! mais ou
sommes-nous donc ? La Cour internationale de Justice serait-elle extérieure
au cadre des Nations Unies ? De même,le Gouvernement espagnol prétend
que nous voulons politiser le probleme en suscitant une demande d'avis. Mais
comment peut-on utiliser la Cour internationale de Justice pour politiserun
problème?N'est-cepas plut6t une démarcheinverse qui justifie lesvoeux d'un
Etat de voir votre Cour se saisir d'une manièreou d'une autre d'une contro-
verse juridique qui l'oppose aun ou plusieurs autres Etats. Cette allégation est
contraire à la réalite historique puisque l'Assembléegénérale a précisément EXPOSE ORAL DE hi. DUPUY 103

suspendu le règlement politiquede I'aiTairepour vous demander votre avis et
attendre la réponseque vous lui donnerez.
Enfinje me pose aussi unequestion aprèsavoir entendu l'exposed'hier :qui
a demande cet avis ? Vous n'avez pasété saisis par des Etatç.
Le fait que le Maroc et la Mauritanie. et d'autres Etats. se soient rassemblés
dans l'Assembléegénérale desNations Unies. et d'abord à la Quatrieme
Commission, pour présenter un projet de résolution, puis pour en obtenir le
vote n'empêcheque celui-ci est imputable a l'Assembléegénérale.
Ce fait historique et politique. qui a abouti a une résolutionrasseniblant un
grand nombre dqEtats,permet d'obtenir la saisine de la Cour pour avis. Mais
qui saisit? C'est l'Assembléegénérale.L'actejuridique sur la base duquel la
Cour est saisie est un acte de l'Assembléegknérale ; il exprime la volonté
propre de cet organe. Nous savons tous ce que représente la spécificitéd'un
organe international et mon éminentcollèguePaul Reuter, qui a souvent eu

l'occasion de plaider devant vous. a consacre a ce sujet des analyses d'une
remarquable précision.qui démontrent que c'est lavolontépropre de l'organe
qui s'exprime dans la résolution qu'iladopte.
Monsieur lePrésident,Messieurs les membres de la Cour, nous ne voulons
pas poursuivre. Cela nous serait possible. Nous pourrions relever beaucoup
d'autres points. Nous préferonslaisser a la sagesse de la Cour le soin de faire
cet inventaire. Nous regrettons seulement d'avoir dû apporter nos réponsesen
soulignant les défautsde l'argumentation qui étaitopposéea notre demande de
juge ad hoc. Nous aurions sans nut doute préféré ne pas avoir à le faire. Nous
n'en sommes que plus fondéa adresser a la Cour l'expression de notre vive
gratitude pour l'attention qu'ellea bien voulu nous accorder.

Le PRÉSIDENT :Je m'adresse maintenant au représentant du Gouverne-
ment espagnol. Quand serez-vous prétà répondre aux questions poséespar
MM. lesjuges (ci-dessus p. 31 et p. 80) ? Vu que nous avons donne un temps
sufisant aux représentants de la Mauritanie et du Maroc, nous voulons vous
donner aussi l'opportunité et la possibilitéde préparer votre réponse aux
questions. Je vous propose de le faire demain après-midi ou samedi matin.

M. SEDO : Li représentation espagnole se propose de faire une dernière
intervention pour répondre aux questions posées par M. Petren çt par sir
Hurnphrey Waldock, et pour faire ses derniéresobservations. Je vous assure
que nous serons aussi brefs que possible. Nous pourrions êtreprèts demain
après-midi. sicelaconvient a la Cour.
Le PRÉSIDENT :La Cour sera mkme prêtedemain matin, mais la question

est de savoir si vous serez préts? Vous ne recevrez le compte rendu de
l'audience d'aujourd'hui que demain a midi. C'estdans l'intérêdte l'égalides
Etats intéressésque je fais cette remarque.
M. SEDO : Notre objet principal sera de répondre aux questions que
lesjuges ont posées.Notre intervention pour lesautres questions sera très
brève, parce que nous considérons que la Cour est sufisamment illustréeet
qu'elle connail déjàles points de vue réciproques. Nous serons prêtsdemain
aprés-midi.meme si nous recevons tris lard le compte rendu.

L'audience es[levèeà 18 heures CINQUIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (16 V 75, 15 h 30)

Présettts:[Voir audience du 12 V 75.1

EXPOSÉORALDEM.LACLETA

REPRÉSENTANT DU GOUVERNEMENT ESPAGNOL

M. LACLETA : Monsieur le Président. Messieurs de la Cour. au cours de

cette audience. je me propose de répondre a deux questions qui nous ont été
adressees par M. Petrén et sirHumphrey Waldock. En plus, j'ai l'intention de
présenterquelques remarques a propos des interventions des Gouvernements
du Maroc et de la Mauritanie aux audiences précédentes.
Réponsesaux questions qui nous ont été adressées :
A I'audiencedu 12 mai (ci-dessusp.3 1),M. Petréna bien voulu adresser une

question aux conseils des Etats ici représentés,concernant la teneur exacte du
neuvième considérant de la résolution 3292 (XXIX] de I'Assembléegénérale,
telle qu'ellea étéadoptéepar celle-ci le 13 décembre 1974.
. AUcours de mon intervention a l'audience du 14 mai (ci-dessusp. 77-80),
j'ai fait quelques remarques au sujet de cette question. mise en relief aux
paragraphes 255 a 259 (1, p. 168-169) de l'exposéécrit du Gouvernement
espagnol. Toutefois, je voudrais y ajouter les observations qui suivent, en
réponse ala question précitée.
Primo. de l'avis du Gouvernement espagnol, il faut tenir compte de trois
textes figurant aux numéros 20,21 et22 du dossier transmis à la Cour par le
Secrétairegénéral deN s ations Unies (1.p. 38-39). Le premier. c'est letexte du
projet de résolutionsur la question du Sahara espagnol présentéle 9 décembre
1974 a la Quatrième Commission de l'Assembléegénérale(document coté
~/C.4/~.1090), dont les versions originales sont en anglais et en français. La

version anglaise du neuvieme considérant du projet de résolution etait la
suivante :
(Noting that during the discussion a legal controversy arose over the
status ofthe said Territory at the time of its colonization by Spain. »

Par contre, letextefrançais du projet affirmait audit considérant:
«Constatant que des difficultésjuridiques ont surgi au cours des
débats, résultant descontroversesintervenues sur le statut dudit territoire
au moment de sa colonisation par l'Espagne. )>

Ilest a souligner non seulement le terme <controverse » inclus dans les
versions anglaise et française en lui-mème. mais aussi sa signification dans le
contexte des deux versions du document. De ce fait. si on considèrele moment
auquel on réfèreladite controverse juridique, le moment ou ellea surgi. c'eau
cours des débatsau sein de la Quatrième Commission, lors de l'examen par cet
organe du point 23 de I'ordredu jour. Par contre, le texte français a une portée

Non reproduits. EXPOSÉ ORAL DE M. LACLETA 105

plus large et aussi plus proche aux attitudes du Maroc et de la Mauritanie au
cours de ce débat.
Ledeuxiémetexte a considérer.c'est ledocument A/9748. en date du 12 dé-
cembre, contenant le rapport de la Quatrième Commission. La version

originale est en français. maissi on lit son texte à la pa28 on constüte que le
texte du neuvieme paragraphe suit exactement le texte anglais du document
précédent,la version française de celui-ci ayant étéécartée.
De ce fait, on arrivea la mème conclusion :s'ilexiste une controverse, cette
controverse aurait s.urgiau cours des débats sur le point 23 de l'ordre du jour
au sein de la Quatrième Commission de l'Assemblée.
Troisième texte :il s'agit de celui contenu dans le document A/RES/3292
(XXIX) (V, p. 373-3741,C'est le texte transmis a la Cour, ainsi qu'aux Etats
Membres des Nations Unies. certifiéconforme par le Secrétaire général.Au

neuvieme considérant. le terme controverse n ne figure pas et la résolution
constate «qu'une difficultéjuridique a surgi au cours des débats D.
Secundo. j'ai examinéle processus des textes en tenant compte du contexte
général.ou apparaissent les termes <(controverse >)et <[difficultéjuridique D.
S'il en résulte une conclusion, elle serait celle-ci :le texte final adopte par
1'Assemblée générale le 13 décembre 1974 met en reliefque quelques Etais
Membres des Nations Unies. lors de la considération du point23 de l'ordre du
jour. ont eu des divergences de vues concernant le statut du Sahara occidental
au moment de sa colonisation par l'Espagne.
D'abord ce fair est qualifiécomme <(controverse rr.mais a la rigueur il ne

s'agitpas d'une controverse juridique ou d'un différendentre Etats )>au sens
strict de cette notion. Si finalement la résolution 3292 (XXIX) a constaté
(<qu'une djficulte juridique a surgi au cours des débats )).cette dernière
expression était évidemment plus exacte que celle employée aux textes
précédents,car en effet l'Assembléegénéralen'avait étésaisie d'aucune
controverse ni d'aucun différend.Elle exerçait ses fonctions dans le cadre des
compétences dévolues a cet organe, en examinant lepoint de son ordre du jour
que j'ai mentionné.
Tertio, du point de vue formel, le texte adoptépar l'Assembléegénéraleest
celui qui est contenu dans le document A/RES/3292 (XXIX). que vous

trouvez comme pièce no 22 du dossier transmis a la Cour par le Secrétaire
généraldes Nations Unies.
En effet. celui-ci est le seul texte certifie conforme par le Secrétaire général
des Nations Unies comme étantle texte adopté par 1;4ssemblee.Comme on le
sait fort bien dans la pratique des Nations Unies, le fait que le Secrétaire
généralcertifie conforme un texte consiitue \'authentification des textes des
résolutionsadoptées par tes organes de l'Organisation,
Finalement. il a été reconnudevant la Cour que, aux fins de la présente
procédure. la constatation par l'Assembléegénéralequ'une controverse ait
surgi entre Etats ne serait nullement déterminante. car l'existence de toute

controverse doit etre établieobjectivement par la Cour par rapport à un conflit
d'intérêts etala conduite précédente desEtats en cause.Cependant. je me dois
d'ajouter que les versions anglaises des trois documents dont j'ai parlé,ainsi
que la version française des deux derniers textes, sont concordantes sur
l'élémenq t ue j'ai mis en relief. a savoir la controverse dont il s'agirait avait
surgi <<au cours des débats desorganes des Nations Unies ».
De l'avisdu Gouvernement espagnol. ces considérations montrent qu'il n'y
aurait aucune utilité dans une éventuelle démarche de la Cour aupres du
Secrétairegénéral des Nations lJnies au sujet du texte de la résolutionprécitée,
car ilappartient a la Cour d'en tirer les consequences appropriées.106 SAHARA OCCIDENTAL

Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour, ii l'audience du
14 mai. sir Humphrey Waldock a bien voulu adresser aux représentants du
Gouvernement espagnol une question (ci-dessus p. 801,rapportéea cellesqu'il
venait de poser aux représentants duGouvernement marocain dans les termes

suivants :
(<En quoi consistaient précisémentla demande juridique du Maroc
contre l'Espagne et le differend juridique entre les deux pays dont leurs
gouvernements avaient proposéde saisir la Cour au contentieux ? En quels
termes le Gouvernement marocain avait-il formulé sa proposition ?))

Les représentants du Gouvernement espagnol ont étépriésd'«indiquer à la
Cour la réponse que ce gouvernement aurait éventuellement donnée a la
proposition du Gouvernement marocain )).
Je suis en mesure d'informer sir Humphrey Waldock et tous les membres de
la Cour que la proposition faite au Gouvernement espagnol étaitcontenue dans
une lettre en date du 23 septembre 1974. adresséepar le ministre d'Etat chargé
des affaires étrangères du Royaume du Maroc au ministre des affaires

étrangères del'Espagne. Cette lettre ayant étélue ici par M. le représentant du
Gouvernement marocain (ci-dessus p. 921, il n'y aurait aucune utilitéa la
présenterà nouveau.
Pourtant, je tiensa signaler que dans cette lettre le Gouvernement espagnol
s'est vu attribuer une allégation sur la qualification juridique du Sahara
occidental comme res nüllius, dans le passéhistorique. dont il ne s'estjamais
réclame. En même temps, comme il l'a déjà abondamment exprimé, le
Gouvernement espagnol n'entend pas qu'il existeun différend territorial avec
le Maroc ou n'importe quel Etat sur ce sujet.
LeGouvernement espagnol n'a pas donnéde réponsea cette proposition du
Gouvernement marocain. ce qui implique la non-acceptation de la proposition
par les raisons, parmi d'autres. qui sont contenues aux paragraphes 197 a 202
et 225 a 230 de son exposéécrit(1.p. 147-149 et 157-160).

Maintenant. avec la permission de la Cour. je voudrais faire quelques brèves
remarques de caractère généralsur les interventions du Maroc et de la
Mauritanie dans le présentdébat.
Après une séried'audiences consacrées B la désignation desjuges ad hoc, la
première constatation importante qu'on est en droit de faire c'est qu'il n'a pas
étédémontré devantcette Cour qu'il existe un diffërend juridique ou une
question juridique actuellement pendante entre l'Espagne, le Maroc et la
Mauritanie qui pourrait justifier l'applicationde l'article89 du Règlementde la
Cour et. comme il a étédemandé,procéder a la désignationde deux juges ad
hoc. par la Mauritanie et le Maroc respectivement.
A cet égard,il faut insister qu'on n'a pas pu formuler juridiquement ni par le
Maroc ni par la Mauritanie la réclamationqu'ilsdisent avoir contre l'Espagne.
Ce point constitue certes la prémisse de base de n'importe quel litige
international.

IIa étésoutenu qu'on doit faire une distinction dans cetteaffaire entre ce qui
a été appelé « un différendglobal ou général ))de nature politique a l'intérieur
duquel se trouve un Ciifferendparticulier qui, cette fois-ci. aurait un caractère
juridique. Ce dernier porterait sur le statut juridique du territoire au moment
de sa colonisation par l'Espagne. II s'agit, évidemment, de la technique de
l'amalgame - pour employer un terme tirede l'éloquentexpose du professeur
de l'université de Nice, CG-eil du Gouvernement du Maroc - et qu'il nous
reprochait d'ailleurs. Mais. pour clarifier la question. il ne faut pas s'étendre
longuement. Je ne ferai que trois simples considérations. Prinro.le prétendu différendglobal ne se rapporte qu'a des divergences de

vues de nature politique expriméesau sein des organes compétents des Nations
Unies par des représentants desEtats hlembres et destinéesa secombiner avec
d'autres déclarations et manifestations de volonté des Eiats Membres pour
former la volontégenerale de ces organes et. par la. la volontéde l'organisation
des Nations Unies.
Secundo, le differend di<<particulier »porte, selon le conseil du Maroc. sur
les memes questions qui font l'objet de la demande d'avis. II s'agit donc d'un
differend sur des questions concernant la souverainete territoriale au moment
de la colonisation par l'Espagne. hlais. quoi que I'ondise et bien que I'ondise
que ce prétendu différendest fort ancien et qu'il existedepuis des décennieset
des décennies.il est étonnant qu'il ne se soit extérioriseque le 23 septembre
1974ou bien. de l'avisdu conseil du Gouvernement marocain. dans le faitde la
présentation par le Gouvernement espagnol de plusieurs volumes devant la
Cour. IIest plus étonnantencore qu'on ne fasseaucune mention du droit ou la
prétention quien découletrouverait son fondement.
Tertio.on ne peut pas avoir recours au cadre général duproblème de la
décolonisationau sein des Nations Unies pour y greffer ledifférend particulier

dont l'existence n'a pas étéétablie.II ne s'agit pas de mélangerdes questions.
mais de clarifier en droit.
Monsieur le President, hlessieurs fes membres de la Cour. la représentation
espagnole voudrait remercier la Cour de lui avoir permis d'exposer ses points
de vue sur cette question. IIest clair maintenant qu'ily a certains points qui ont
étéparfaitement établis.Je voudrais en signaler les trois suivants:
Premièrement. lademande d'avisconsultatif contenue dans la résoluiion3292

(XXIX)place cetle Cour devant une situation d'une grande complexité.supé-
rieure en ce sens a la majorité des avis quiont été auparavant demandés a
la Cour. Ce serait peut-étre laraison pour laquelle, de la manière la plus
naturelle. on s'est vus portes a toucher à certaines questions qui ont trait au
fond de la demande d'avis. A cet égard.il faut souligner qu'on nous a reproché
d'aborder le fond. le fond étant. bien entendu. le statut actuel du territoire
d'après la Charte et les résolutions des Nations Unies: ce qui équivaut a
admettre que le véritable problèmese rattache au moment actuel et pas a un
moment historique. IL faut souligner. en plus. que l'intervention espagnole a eu
lieu au troisièmejour d'audience et aprés avoir entendu les trois Etats qui se
sont présentésdevant la Cour avec l'Espagne.
Si laCour estimait qu'on a abordéindliment le fond, je prierais la Cour de
considérer que. pour l'Espagne. il ne s'agissait que d'établirclairement quel
&taitson locuss~andi en tant que Puissance administrante du territoire et. de ce
fait. en tanqu'Etat qui a desobligations envers la population du territoire qu'il
administre. L'Espagne est la puissance qui. d'aprèslaCharte. a la responsabilité
internationale du territoire et on ne doit pas oublier que la résolutio2625 de
l'Assembléegénérale desNations Unies dit :

« Le territoire d'une colonie ou d'un autre territoire non autonome
possède en vertu de la Charte un statut sépare et distinct de celui du
territoire de I'Etarqui l'administr:ce statut séparéet distinct en vertu de
la Charte existe aussi longtemps que le peuple de la colonie ou du
territoire non autonome n'exerce passon droit a disposer de lui-même
conformément a la Charte et. plus particulièrement, à ses buts et
principes. ))

Bref, il s'agit donc d'un territoire qui est soumasun régime international.
Deuxièmement. il ressort clairement des interventions des représetitantsdu108 SAHARA OCCIDESTAL

Maroc et de la Mauritanie que leurs gouvernements prétendent que l'avis
consultaq tiiestdemande a laCourpeut avoir des effets décisifsslesdroits

et les intérêtsdes Etats ici représentés ainsique sur les droits du peuple
sahraoui.
Le Gouvernement espagnol voudrait réitérersa position maintes fois
exposée.savoir que la considération du problème du Sahara occidental doit
êtreabordéeen tenant compte de tous les aspects du problèmeet non dans le
cadre artificiellement limité des questions historiques sur la souveraineté
territoriale. IIfaut aussi prendre en considération,comme l'Espagneet l'Algérie
l'ont fait. qu'il est nécessairede s'en tenir au système juridique international
contemporain dans son,ensemble. cadrejuridique qui repose sur la Charte des
Nations Unies et s'étend a toutes les résolutions de 1Drganisation qui ont
enrichi le corpusjuris geti~i.m
Troisièmement. la dernière constatation qui découle clairement des
audiences de cette semaine c'est que. après l'intervention du 14 mai de la
République algériennedémocratique et populaire (ci-dessus p. 58-61). on ne
peut plus soutenir que la notion'Etatintéressécontenue dans les résolutions
puisse recouvrir. voire justifier. celle d'Etats partaeun litige territorial.
L'Algérie.en comparaissant devant la Cour et en faisant état expressémentde
l'inexistence dè toute revendication territoriale de sa part, empêchetoute
tentative de réduire la question devant la Cour aux limites étroites d'un
prétendu litige territorial et la place sous sa vraie lumière.
Le seul exposéde ces trois considérations fait ressortir une fois de plus. de
l'avis du Gouvernement espagnol. la nature extrêmement complexe des
questions objets de la présente requéted'avis.On craint qu'a l'arrière-plan des
questions historiques ne se trouvent des buts qui porteraient atteinta des
droits inaliénablesreconnus par la Charte et les résolutions des Nations Unies. CI,OTURE I)E'I,A.PROCÉDURE ORALE SUR LES DEMANDES
IIE DESICNATION DE JUGklS AU HOC

Le PRESIDENI-: Nous sommes ainsi parvenus au terme des débats
concernant la désignation éventuellede juges ad Iiocen la présenteespèce.Je
tiens a remercier de leur concours les représentants et conseils des
gouvernements qui se sont exprimésa ce sujet. Je leur demanderai de bien
vouloir resteala disposition de la Cour pour louacelle-ciestimerait avoir
besoin d'explications ou de renseignements complémentaires. La Cvarse
retirer maintenant pour délibérersur les demandes de désignationde juges ad
11oc'présentéespar le Royaume du )Maroc et la République islamique de
Mauritanie. En ce qui concerne la procédure ultérieure. la Cour tiendra
audience a une date qui sera annoncée ultérieurement.

L'audience estlevkd 16 heures

'C.I.JRecueil 1975. p.06-1 PROCES-VERBAUX DES AUDIENCES PUBLIQUES

ferluesarrpalais de la Paix, a La Hay25juin au 16jirillet75,
soirsla prgsidenceM. Lacl~s,Prc'sidetll

MINUTES OF THE PUBLIC SITTINGS

Aeldat the Pcacc.Palace, TheHagirc,Jrom25 Jlta16 Jitly l Y75,
Prc>sidelucllspresiditlg SIXIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (25VI 75, 10h 5)

Present: M. LACHSP ,rgsiden:M. AMMOUN. Vice-Pr6sidcrt:Mhl. FORS-
TER. GROS. BENGZON, PETREN. ONYEAMA.DILLAKD, IGNAC[O-PINTO,
DE CASTROM . OKOZOV JI~.IÉNEZDE ARÉCHAGA. sir Humphrey WALDXK.
MM. NAGENDRA SINGHR . uD.~.juges ;M. BONI,juge ad hoc: M. AQUA-
RONE. Greffier.

S. Exc.M. Mohammed Bedjaoui,ambassadeur d'Algérieen France,
M. Ahmed Derradji, ministre plénipotentiaire.

S. Exc.M. hloulaye el Hassen. représentantpermanent auprès des Nations
Unies.
S. Exc. M. Ely Ould Allaf. atnbassadeur de MauritaaiBruxelles.
S. Exc.Cheik-Sidia Mohamed, ambassadeur de Mauritanie a Bonn.
S. Exc.Soumare Gaye-Silly. ambassadeur de MauritanieaTunis.
hl. Yedali Ould'Cheikh. secrétaire généraladjoint a la présidence de la
République.
S. Exc.M..Mohamed Ould hlaouloud. ambassadeur.
M. Abdellahi Ould Mohamed Sidya. conseiller.
hl. Bal Mohamed El h~lokhtar. fonctionnaire au rninistére des affaires
étrangères,
M. Merned Ould Ahmed, professeur.

M. Jean Salmon, professeura la facultéde droit de l'Universitélibre de
Bruxelles, conseilde la République islamiquede Mauritanie,
Mm DeniseMathy, chargéede recherchesau centre de droit international de
l'universitélibre de Bruxelles,assistante,
M. Michel Vincineau, chargéde cours a la facultéde droit de l'Université
libre de Bruxelles, assistant.

Potrr1.Muroc :
S. Exc. M. Driss Slaoui, ambassadeur, représentant permanent du Maroc
auprésdes Nations Unies,
S. Exc.M. Abderrazak Mekouar, ambassadeur du Maroc aux Pays-Bas,
hl. Magid Benjelloun. procureur générala la Cour suprémedu Maro:

co~~seils
M. Georges Vedel, doyen honoraire de la facultéde droit de Paris,
M. René-JeanDupuy, professeur a la facultéde droit de Nice. membre de
l'Institut de droit international,
M. knnouna, professeur àla facultéde droit de Rabat,
M. Lazrak, professeur à la facultéde droit de Rabat,
M. Isoart,professeura la facultéde droit de Nice,
M. Piquemal, assistaatla facultéde droit de Nice,
M. Mohamed Mustapha Charbi, chef de la division des étudesjuridiques au

ministèredes affaires étrangères,114 SAHARAOCCIDENTAL

M. Benauouz, chargéde mission au ministere de l'intérieur,
M. Maazouzi, gouverneur, chd du service des affaires sahariennes a la
prisidence du conseil,
M. Mohamed Ahmed Gharbi, chargéde mission au cabinet royal.

AILI~I'Espügï :~~

S.Exc.M. Ramon Sedo, ambassadeur d'Espagne aux Pays-Bas,
M. Santiago MartinezCaro, directeur dcabinet technique du ministre des
affaires étrangères.
M. José M. Lacleta, conseillerjuridique au ministere des affaires étrangères,
M. Fernando Arias-Salgado, conseiller juridique au ministère des affaires
étrangères,
M. Pedro Gpez Aguirrebengoa, conseiller d'ambassade au ministere des
affaires étrangères,
M. Jesiis Atienza Serna, secrétaired'ambassade au ministere des affaires
étrangères,
M. Julio ~onzilez Campos, professeur ordinaire de droit international a
l'universitéd'Oviedo.

S.Exc. M. Tshilumba Kabishi, ambassadeur du Zaïreaux Pays-Bas,
M. Bayona-ba-Meya, présidentde la Cour suprêmediiZaïre. professeur a la
facultéde droit de l'universiténationale du Zaire.

M. Balanda Mikuin Leliel,conseillàrla Cour suprëme du Zaïre. professe~ir
à la facultéde droidel'universiténationale du Zaïre.
hl. Wamu W'Ekunda. premier secrétairede l'ambassadedu Zaïre aux Pays-
Bas. OUVERTUREDE LAPROCÉDUREORALESUR LA REQUETE
POURAVIS CONSULTATIF

The PRESIDENT: Before proceeding to the judicial function which is
before the Court today, it isrny sad duty to record the passing, and to pay
tribute to the memory, of one of the most distinguished former Members of
this Court. On 22 May last. at the age o90. Lord McNair passed away. So
ended one of the languest. and most varied and most brilliant careers in the

field of international law seen in oür time. Lord hIcNair had personal
experience in practically every aspect of international law. as praclitioner. as
teacher. as solicitor and barrister.as consultant and as judge. He held iIl
succession chairs of internatiorial law and comparative law in Cambridge and
he became in turti Member and President of this Court. His wiitings on
international law subjects earned him the highest respect, which was also
accorded to his opinions and the decisions of the Court during his term of
office.There is every reason to think that if we could pierce the veil which very
properly surrounds the Court's deliberations at that time, as at any time, his
sure touch would on rnany occasions be found to have guided the Court in
forrning its decisions. It is hard to believe that 20 years have passed since Lord
McNair occupied this chair in this very courtroom. His memory will remain
with us and will remain with the international legal community for years to
come.

La Cour se réunit aujourd'hui pour entendre. conformément a l'article66,
paragraphe 2, de son Statut. les exposés oraux relatifs a la requêtepour
avis consultatif dont L'Assembléegénérale desNations Unies l'a saisie par
sa résolution 3292 (XXIX). du 13 décembre 1974 (1. p. 6-71, et qui lui a
ététransmise par lettre du Secrétaire général de 1;Organisation des Nations
Unies en date du 17 décembre 1974(1.p. 3). La Cour est invitéea exprimer
son avis sur deux questions, dont je prierai le Greffier de bien vouloir donner

lecture :

Le GREFFIER :
((1. Le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) était-il,au
moment de la colonisation par l'Espagne. un territoire sans maitre
(terranuIlius1?

Si la réponsea la première question est négative.
II. Quels étaientles liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du
Maroc et l'ensemble mauritanien ? ))

Le PRÉSIDENT :Dans sa résolution. l'Assembléegénéraledern~ndait a
l'Espagne, en tant que Puissance adrninistrante en particulier, ainsi qu'au
hjlaroc eta la Mauritanie. en tant que parties concernées,de souniett-ea la
Cour internationale de Justice tous renseignements ou documents pouvant
servir a éluciderces questions. Le préambule de la résolution faisait d'~utre
part mention des déclarations raites devant l'Assembléegénérale parles
représentants de ces trois Etats ainsi que par le représentant de l'Algérie.
La requète pour avis consilltatif a &tenotifiéeimmédiatement a tous les 116 SAHARA OCCIDENTAL

Etats admis aester devant laCour.comme leprescrit I'article66, paragraphe 1.
du Statut. et le Secrétaire général deNations Unies a adressé a la Cour. en
application de l'artic65, paragraphe 2,du Statut, un dossier de documents '
pouvant servir a éluciderles questions. Ce dossier est parvenu a la Cour en
plusieurs envois :les 18et25 février1975 pour la prerniérepartie (1p. 11-39),
et lesI1et 15 avril 1975 pour la seconde (1,p. 39-60).
En outre, conformément a I'artic66, paragraphe 2,du Statut de la Cour,
tous les Etats Membres des Nations Unies ont étéavisés qu'ils étaient
considérés susceptibles de fournir des renseignements sur' les questions
soumises a la Cour et que celle-ci étaitdisposéa recevoir des exposés écrits
dans un délaidéterminépar une ordonnance du 3 janvier 1975.
Dans ce délai, lesEtats suivants ont présenté des exposés écrits ou
communications assimilées a des exposésécrits(1,p. 63-71):Chili, Costa Rica,
Equateur, Espagne, France, Guatemala, Maroc, Mauritanie, Nicaragua, Pana-
ma et République Dominicaine.
Le Royaume du Maroc et la République islamique de Mauritanie ayant
expriméledésirde désignerchacun un juge ud 110cen la présente procédure,et
i'bpagne ayant élevédes objections et demandé a êtreentendue, la Cour a
tenu, du 12 au 16 mai 1975, une séried'audiences consacrées Acette question,
au cours desquelles les représentantsdu Maroc, de laMauritanie, de l'Algérie
et de l'Espagne ont pris la parole (ci-desssus p. 9-108). Par ordonnance du
22 mai 1975 *,la Cour a autoriséle Maroc, mais non la Mauritanie, a désigner
un juge ud Iroc.
Le Gouvernement marocain a désigné M. Alphonse Boni, présidentde la
Cour suprême de la Républiquede la Côte d'Ivoire, comme juge tic1lioien
application de I'article 31, paragraphe 2, du Statut et fe Gouvernement
espagnol, consulté conformément a l'article 3. paragraphe 1. de notre
Règlement, n'a pas fait conna,itre d'objection à ce choix.
J'invite en conséquence M. Alphonse Boni a prononcer l'engagement
solennel prévu a I'artic20du Statut de laCour.

M. BONI : Je déclare solennellement que j'exercerai tous mes devoirs et
attributions de juge en tout honneur et devouement, en pleine et parfaite
impartialitéet en toute conscience.

LePRESIDENT :Je prends acte de cette déclarationprononcéepar M. Boni
et le déclareinstallé enses fonctions de juge u~iIiocen la présente instance.
La Cour ainsi composée va maintenant procéder a la procédure orale en
l'affaire.
LesEtats Membres desNations Uniesont été avisee sn temps utile de la tenue
des présentes audiences sur le fond et ils ont été priésde faire savoir s'ils
entendaient présenter des exposésoraux. Outre les quatre Etats qui étaient
intervenuslorsde laprocédure orale sur la question desjuges ad fioc,leZaïre a
exprimé le désir de prendre la parole (V, p. 389). La Cour a décidé en
conséquence d'entendreles exposes dans I'ordre suivant : Maroc. Mauritanie.
Algérie.Zaïre, Espagne.
Je tiens a rappeler que, conformément a I'article 56 du Reglemtnli de la
Cour, les exposes oraux prononcés au nom de chaque Etatdoivent êtreaussi
succincts que possible eu égarda ce qui est néessaire pour l'intelligencedes

' Non reproduits.
C.I.J.Reci~ci1975,P.6. OUVERTURE DE LA PROCÉDURE 0RAI.E 117

thésesprésentées.Ils ne doivent porter que sur les points essentiels. sans
rependre toutce qui a ététraitédans les piècesécriteset qui est connde la
Cour. Je voudrais donc appeler en particulierl'attention des Etats qui ont
présenté des exposésécrits sur l'opportunide ne pas répétesrimplement les
faitset argumentsdéjàinvoques dans cesexposes. EXPOSÉ ORALDE M. SLAOUl
REPKESENTANT DU GOUVERNEMENT MAROCAIN

M. SLAOUT :Monsieur le Président,Messieurs les membres de la Cour, le
22 mai écoulé,vous avez bien voulu autoriser le Royaume du Maroc a
désigner un juge ud lîoc, notamment pour le motif qul«au moment de
l'adoption de la résolution3292 (XXIX) il paraissait y avoir un différend
juridique relatif au territoire du Sahara occidental>) entre mon pays et
l'Espagne(C.1.J.Recueil 1975. p. 7).
Vous avez constaté ainsiune réalitéqui rksulte tout d'abord des positions
prises par le Maroc et de sa demande constante et non équivoquepour la
réalisationdeson unité nationaleet de l'intégrdeéson territoirLe différend
juridique pendant est dû, en effet,a l'obstination manifestéepar l'Espagne,
durant plus de dix ans, de ne pas mettre en Œuvre les résolutions claireset
nettes de l'organisation desNations Unies. L'Espagnes'estacharnée,dans une
premiere période, vouloir prouver sa souverainetésur le territoire du Sahara
qu'elle a tenté d'assimiler une province espagnole. Ayant échouésur ce
terrain, lesautoritésespagnolesont essayéde perpétuer leurdomination par la
tentative de créationd'un Etat fantocheau Sahara,tout en feignantde se rallier
aux principes de la libreetermination.
Jetiens, au nom de mon gouvernement, a remercier la Cour, qui a fait une
juste application des principes d'équité et d'égiéi sont le fondement de sa
fonctionjudiciaire.Il ne s'agitpas pour le Marocde nommer au sein dela Cour
un porte-parole ; nous sommes convaincus que la Cour a accepte de voir
figurer en son seinM. Alphonse Boni pour ses qualités d'éminenjturiste qui
dira le droit et défendraavant tout la justice.
Je tiens ici a afirmer, s'ilen étaitbesoin, que notre demande tendaatla
demande d'unjuge ad Iton'estnullement et ne doien aucun cas étrecomprise
comme un acte de suspicion a l'égarddu haut magistrat espagnol dont nous
nous honorons de taprésenceparmi lesmembres de laCour et àla compétence

et a la droiture duquel nous entendons rendre le plus grand hommage.
Je ne voudrais pas clore.ce chapitre de mon intervention sans adresser
l'expressionde notre reconnaissancea M. le premier président Boniquia bien
voulu accepter lalourde charge pour laquelle nous l'avonsproposé.
Nous sommes conviésaujourd'hui aprésenteroralement un exposede notre
point de vue sur les mémoiresécrits présentéasla Cour.
Je voudrais au préalable fournir a la Cour quelques explications ou
éclaircissementsrelatifscertains passages de notre mémoireécrit.
Les mémoiresmauritanien et marocain ont étérédigésindépendamment
l'un de l'autre. Respectueux de leur obligation d'éclairer laCour, les deux
gouvernements ont fourni les renseignements qui étaienten leur possession,
chacun en ce qui leconcerne. Mais cetteméthode, conforme au rble revenant
aux Etats particulièrement concernésdans l'affaire sur laquelle la Cour est
consultée, ne doit pas fournir un prétexte pour relever de prétendues
contradictions entre le point de vue marocain et le point de vue mauritanien
qui sont en réalicomplémentaires.
C'est ainsi que l'on ne peut pas valablement opposer la conception que le
Maroc sefaitdes liens juridiques qui ont existéentre lui-mêmeetle Sahara
occidental et celle que la Mauritanie se fait de ses propres liens avec ce
territoire. EXPOSEORAL DE M. SLAOUI 119

Le Maroc affirme l'exercice de la souveraineté mais il ne nie point, pour
autant, que des liens juridiques d'une autre nature, mais non moins essentiels
eu égarda la question posée a laCour et aux modes de vie politique dans la
région intéresséeau moment de la colonisation espagnole, puissent être
affirméspar la Mauritanie.
Une autre confusion doit ètre écartée: elle consisteraia oublier que la
souveraineté invoquéepar le Maroc et que les liensjuridiques invoquCspar la
Mauritanie se sont exercéssur des tribus nomades et ont eu un premier impact
sur les hommes. Ceux-ci, certes, ont dessine dans leurs parcours un ensemble

territorial mais, en raisrnème de la nature des relations entre l'homme et le
sol,des chevauchements géographiquessont inévitables.
Quand le Maroc fait état de dahirs adressésa des destinations géographiques
allant jusqu'au cap Blanc, il invoque des documents attestant l'allégeancede
tribus se trouvant a un moment donne dans un de leurs lieux de nomadi-
sation. Mais il n'entend pas, par II même, soutenir qu'au point de vue de
destination du dahir l'appartenance a l'ensemble mauritanien n'étaitpas pré-
pondérante.
En sens inverse d'ailleurs, le Maroc ne considére pas que la mention
géographique par la Mauritanie des points extrémesde ta nomadisation des
tribus mauritaniennes exclut la prépondérancede la souveraineté marocaine
dans ces régions.
En définitive,il existe un nord et un sudjuxtaposant dans l'espace desliens
juridiques du Sahara occidental avec le Maroc et avec la Mauritanie.
Eu égard aux questions posées a la Cour. compte tenu de ce que. par
définition, la mission de la Cour ne concerne aucun probléme politique et
n'implique aucune délimitation territoriale, le fait qu'il existeentre le nord et le
sud des chevauchements qu'il est sans interet de mieux définir. ne peut
modifier le sens des réponses de la Cour. Celle-ci constatera que le Sahara
n'étaitpas, au moment de la colonisation espagnole. une terranulfius et qu'il
était. sans aucun vide géographique. un ensemble de terres marocaines et
mauritaniennes OU Marocains et Mauritaniens, en des fo~mes et des lieux
différents, exerçaient une autoritépolitique.
Enfin, il faut. dans la lecture du mémoire marocain. introduire la notion
historique.A cet égard,leMaroc doit soulignerque lorsqu'il affir(III.p. 180-
182) que la souveraineté marocaine s'est exercéesans discontinuitti sur la
totalité duSahara occidental, ce passage se rapporaeune périodeantérieure a
facolonisation espagnole.
Q rappeldes donnéeshistoriques anciennes n'a nipour objet, ni pour effet

Sahara avec l'ensemble chinguittien au moment de la colonisation espagnole,

ni bien évidemment decomporter la moindre réservequant a la souveraineté
de la République islamiquede Mauritanie.
La suppression de cesconfusions ou équivoquesprésente d'ailleurs,pour les
débats,un grand avantage. En effet, les débatsseront allégés d'explicatiost,
eventuellement, d'échanges d'arguments qu'auraient inévitablement appelés
de la part du Gouvernement marocain et, sans doute, du Gouvernement
mauritanien, des interprétations erronées, tendancieuses ou excessives de la
procedure écrite.
Ainsi, le probleme soumis a la Cour esta la fois mieux éclairciet simplifié.
Pour ce qui est du mémoireespagnol,il soulève avant tout le probleme de la
recevabilitéde la demande d'avis soumise a la Cour et développeun certain
nombre d'arguments auxquels la délégationdu Royaume du Maroc va
répondre. 120 SAHARA OCCIDENTAL

Sous le titre l~!/i)r~?~[~~ior?(/(IL.IIIIILil soumet l'appréciationde la
Cour un certain nombre de pihs précédéeds'un véritable plaidoyertendant a
établirune prétendue souveraineté espagnole sur le Sahara, excluant par la
l'existenceou mêmel'exercicede toute autre autorité de nature étatique.
Dans l'exposéécritqu'il a soumis a la Cour, le Gouvernement espagnol
prétend.aux pages 83 et 87 (1).que le changement d'attitude des organes des
Nations Unies se reflete dans l'attitude du Maroc ... el qu'a partir de 1966. le
Maroc abandonne sa prétention à des négociations bilatérales et propose
t'indépendancedu Sahara.
Qu'il me soit permis tout d'abord de relever le défautde pertinence de cette
prétention dans le présent débat. Votrehaute juridiction n'est pas saisie du
probleme de savoir quelle a étél'attitude des diverEtats dans la question de la
décolonisation du Sahara. Elle est en présenced'une demande d'avis, rédigée
de façon très précise etqui est l'Œuvrede t'Assembléegénérale et nonde tel ou
tel autre Etat.
Mais si l'on voulait se laisser entraîner sur le terrain assez imprudemment
d'ailleurschoisi par l'Espagne,on constaterait que c'estcelle-ciqui, soit par son

obstination,soit par sesmanŒuvres, a créé la situalion àlaquelle a dil faire face
la dernière Assembléedes Nations Unies.
Alin de poser clairement le probleme, ilconvient tout d'abord de rappeler les
termes de la première résolutionvotéepar l'Assembléegénéralele 16décembre
1965, au sujet des territoires d'Ifni et du Sahara occidental (résolutio2072
(NN)).
L'Assemblée :

Prie instamment le Gouvernement espagnol, en tant que Puissance
administrante. de prendre immédiatementles mesures nécessairespour la
libération de la domination coloniale des territoires d'Ifni et du Sahara
espagnol et d'engager a cette fides négociationssur lesproblémesrelatifs
a la souverainetéque posent ces deux territoires.>)

Par une lettre en date du8septembre 1966, adresséeau président du Comité
spécialdes Nations Unies sur la décolonisalion,le représentant du Gouverne-
ment espagnol se déclareprèta appliquer la résolution 2072 (XX). seulement
pour Ifni. refusant de la mettre en Œuvre en ce qui concerne le Sahara
occidental.
Ainsi, contrairement a ce qu'il prétenddans le mémoire soumis a la Cour, le
Gouvernement espagnol n'a pas respecté leprocessus de décolonisation prévu
initialement par l'Assembléegénérale.Il a,des l'abord, dissociéarbitrairement
entre les deux territoires d'Ifni etdu Sahara occidental.
Face ü ces maneuvres. le Maroc a choisi de voter en faveur de la résolu-

tion 2229 o(Xl) du 20 décembre 1966. qui

(<invite la Puissance administrante a arrêter le plus tôt possible, en
conformité avec les aspirations de la population autochtone du Sahara
espagnol et en consultation avec les Gouvernements marocain et
mauritanien, les modalités de IOrganisation d'un référendum qui sera
tenu sous lesauspices desNations Unies, afin depermettre a la population
autochtonedu territoire d'exercer son droit a I'autodétermination».

Afin d'expliciter et d'éclairersa position, le représentant du Gouvernement
marocain a tenu a aflirmer, quelques mois plus tard, le 7 juin 1967, devant le
Comitéspécialdes Nations Unies : EXPOSÉ ORAL DE M. SLAOUI 121

(<La position prisepar le Marocne doiten aucune façonêtrecomprise
commesignifiantsousquelqueformequecesoitun abandon de sesdroits
sur IcSahara qui se trouve aujourd'hui sous la domination espagnole.
Ses droits de souverainetf demeurent imprescriptibles, il s'agid'une
souveraineténationale établidepuislestempslesplusreculésdel'histoire
du Marocet que seulel'occupation coloniale de fait estvenue récemment
interrompre. ))

On s'aperçoitde la sorte qu'iln'y a aucune contradiction ni discontinuité
dans l'attitudemarocaine. Mon pays a tenu simplement,pour faireéchecaux
entre le but poursuivi, qui reste le retour du territoire a la mèrepatrie, et le
processus de décolonisationa suivreen fonction des circonstances.
La résolutionde 1966 ne constitue donc qu'une etapedans I'evolutjondu
Sahara, imposée par l'attitudeégativedu Gouvernementespagnol,et non pas
une coupurecomme le prétendle mémoire espagnol Ilconvientde relever,en
effet,que laditerésolutionde 1966,ainsique toutes lesrésolutions ultérieures
adoptéespar I'Assemblkegénérale , compriscelle envertu delaqueHelaCour
estsaisieaujourd'hui,rappellentdans leurpréambulelapremière résolution de
I'Assembl&en date du 16décembre 1965.
Quoi qu'il en soit, le Maroc a demandéque la procédureenvisagéesoit
assortie de certaines conditions fondamentales pour sa mise en Œuvre. Ces
conditions sont destinées, enparticulier, a protégerles droits du Maroc au
respectde l'intégritde son territoire national.
Faisant d'ailleursdroit a la demande marocaine, la résolutionde 1966 et
toutes les résolutions ultérieuresde l'Assembléegénéralejusqu'en 1973
reprennent, pour l'essentiel, lesconditiofixées.
C'estdans cesens que la résolution2229IXXI) du 16 décembre1966 :

« Prie le Secrétaire généradle nommer immédiatementune mission
spécialequi sera envoyéeau Saharaespagnolen vuede recommanderdes
mesures pratipues touchant à I'ari~licationintéarale des résolutions
prtinente; de 1;~ssemblée général et-notamment,cdedéciderdansquelle
mesurel'ONUparticipera a lasurveillancedu référendum etdeprésenter.
le plus rapidement possible, un rapport au Secrétairegéné;alqui le
transmettra au Comitéspécial. »

Le 25 novembre 1974. intervenant devant la Quairieme Commission de
traitant de ladite mission spéciaj',ainotamment déclaré: Maroc et

« Malgrélecaractèreurgentdecette mesure, souligné par la résolution,
et la réitératide cette recommandationdans lesrésolutionsultérieures.
malgrélesefîorts du Secrétairegénérala,ucune missionn'aété autorisée a
pénétrea ru Sahara.
L'examende lacorrespondance du Secrétairegénéra avec la Puissance
administrante est hautement édifiant. Pendant desannées, a toutes les
recommandations et communications du Secrétaire genérallui dernan-
dant de se prêtera l'exécutioda dispositionsde larésolution2229(XXI),
reprises par les résolutionssuivantes et relativeà la mission spéciale
devant visiter leSahara, l'Espagne,lorsqu'ellene seborne pas a garder le
silence,répond soitque deséléments extérieursont perturbéla situation
dans le territoire et qu'ilfaut attendredesjours meilleurs,soit,qu'entout
cas,la mission nepourra êtrecomposéeet opérerqueselonlaconception122 SAHARA OCCIDENTAL

que l'Espagne se fait de ces sujets. Il ne s'agitpas, dans l'esprit de
l'Espagne, d'une mission des Nations Unies, mais de visiteurs agréés,
sinon choisis par elle.
En bref, cette affaire est une éclatantedémonstration de la volonté dela
Puissance administrante de s'en tenir a des actions unilatéralement
décidéespar elle. Ainsi, bien que décidéedepuis huit ans, une mesure
regardée comme le préalable indispensable a la mise en Œuvre du

processus de décolonisation n'a même pas reçu un commencement
d'exécutionou de préparation.
L'essentiel n'est pourtanpas dans la force d'inertie qua étéopposée
par la Puissance administrante et qui a retardé le processus de
décolonisation. L'essentiel se trouve dans le fait que la Puissance
administrante a systématiquement détruit les conditions qui devaient
présiderau processus envisagépar les résolutions etqui commandaient ce
processus. Elle a ainsi crééune situation nouvelle qui, comme on le dira,
appelle UII nouvel examen de la question, pour lequel l'Assemblée
généralen'est pas liéepar les modalitésqu'elle avait jadis envisagéeset
dont les conditions ne sont plus, du fait délibéréde la Puissance
administrante, a mêmed'être réunies. Le comportement de l'Espagne
tourne le dos à toute préparation d'un processus d'autodétermination.
Pour êtreclair, les années quise sont écouléeont été employéeà s mettre
en condition les populations intéressées, de telle sorte que leur
consultation, déclenchéeau moment choisi par la seule Puissance
administrante, soit, en quelque sorte, dans la main de celle-ci. »

IIapparait clairement que le Maroc, tout en réservant defaçon constante ses
droits. a voulu. seulement dans un esprit de conciliation et pour mettre la
Puissance administrante en face de ses responsabilités, adhérer a certaines
modalités préconisées par l'Assemblée générale dans sa résolution du
20 décembre 1966. Mais comme cela ressort de I'évolutionque nous avons
décrite. l'Espagnea tenté de vider ce texte de sa véritable significationen
refusant de se conformer aux conditions qu'il prescrit.
II ne faut pas que le Gouvernement espagnol, comme iltente de le faire dans
son exposé écrit.renverse les rôles en soutenant que c'est le Royaume du
Marocqui a retardéle processus de décolonisation duSahara occidental, alors
qu'il ne tenait qu'au Gouvernement espagnol de donner suite aux multiples
résolutionsde l'Assembléegénérale.Nous pensons avoir prouvé que ce sont,
au contraire. les manŒuvres dilatoires de l'Espagne qui ont mis en échec
l'ensemble des résolutionsde l'Assemblée,organe politique responsable de la
conduite du processus de décolonisation.
Le Gouvernement espagnol a refusé constamment d'engager avec le
Royaume du Maroc les négociations préalables prévues partoutes les
résolutionsdes Nations Unies sur la question du Sahara.
C'estdevant la tentative des autorites espagnoIes déntreprendre des actions
unilatéralesau Sahara en violation de toutes les résolutions desNations Unies
et de placer ainsi le Maroc devant le fait accompli, que le roi du Maroc.
S. M. Hassan II.a proposé en ces termes.désle 17 septembre 1974, de sou-
mettre le préalable juridiquea la plus haute instance judiciaire internation:le

« La Cour internationale de justice dira le droit sur le point de savoir
s'il n'y avait aucun pouvoir ni aucune administration établis sur le
Sahara ...elle pourra a ce moment-la éclairerl'Organisation des Nations
Unies pour recommander au Maroc et a l'Espagne la voie a suivre..» EXPOSÉ ORAL DE M. SLAOCII 123

Le 13 décembre 1974, l'Assembléegénérale, apréa svoir rappelétoutes ses
résolutions sur le Sahara depuis 1965. considère qu'il est hautement
souhaitable que l'Assembléegénéraleobtienne, pour poursuivre l'examen de
cette question, un avis consultatif sur certains aspectsjuridiques importants du
problème.
Le Gouvernement espagnol a demande a la Cour de se déclarer
incompétentepour repondre a la demande d'avis consultatif.
Il scdtient, d'unepart, que la demande d'avisentraînerait la Cour a réglerun
litige territorial entre deux Etats et, d'autre part, que la queposée serait
sans intérêt ni pertinence,car la réponsequi lui seradonnée serait sans portée
quant aux modalitésde règlementdu problèmede la décolonisationdu Sahara.
Ces allégationsse contredisent, car, pour détournerla Cour de repondra la
demande de I'Assemblée, on allèguetantôtque la question qui lui est soumise
est trop décisive,tantôt qu'elle n'aaucune utilité.Il faudrait choisir !
Mais aucune de ces allégations n'estvraie, et la suite de nos exposés le
montrera. La réponse que laCour donnera a la demande d'avis ne réglera
aucun différend territoria;le sort du Sahara est dans les mains de !'Assemblée
générale et d'elle seule et l'Assembléene s'est pas liée,mêmeconditionnelle-
ment, a faire dépendre ses dkisions de la réponse de la Cour. Mais cette
réponse ne sera pas moins utile et nécessaire car au nom de quoi le
Gouvernement espagnol interdirait-il a l'Assembléede prendre en considéra-

tion la situation du Sahara occidental au moment de la colonisation ?
En réalité, n tel raisonnement fait peu de cas du texte de la résolu3292
(XXIX) et de la pratique des Nations Unies en matière de décolonisation.
L'Assemblée,par la résolution 3292 (XXIX).décide, en effet,de demander a la
Cour internationale de Justice. sans préjudicede ladéclaration 1514(XV) de
l'Assembléegénérale.de donner, a une date rapprochée. un avis consultatif.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, en rendant votre avis .
consultatif, vousrépondrezprécisémentaux questions qui vous sont soumises
par I'Assembléegénérale. La résolution3292 déterminevotre compétenceen la
matière. 11ne s'agit nullement de réglerun litige territorial entre deEtats,
encore moins de réglerun point abstrait de théorie juridique, mais d'éclairer
l'Assembléegénkrale sur des questions fondamentales, dans le cadre du
processus de décolonisation du Sahara sous domination espagnole. Il
appartiendra a l'Assemblée,organe politique responsable de ce processus,
d'adopter lesrecommandations qui s'imposent. Mais pour se prononcer, elle
doit êtredûment informéesur deux aspects fondamentaux.
Prrini$rc.metlt,le Sahara occidental était-il,au moment de lacolonisation par
l'Espagne, un territoire Sans inaitre,terra nullius ? Et si la réponse a la
premièrequestion est négative,deuxièmemrnr,quels étaientles liensjuridiques
de ce territoire avec le Royaume du Maroc et l'ensemblemauritanien ?
L'Assembléegénérale abesoin d'être éclairé suer ce prkalablejuridique pour
appliquer la résolution 1514 dans tous ses éléments.y compris le para-
graphe VI, sur le respect de l'unité nationale et de l'intégritéterritoriale
desEtats Membres. Lesquestions posées a laCour sont précises. Ellesn'hypo-
tlièquent pas la position juridique des parties au différendjuridique pendant
et elles n'empiètent nullement sur le pouvoir discrétionnaire de l'Assemblée
pour mener a son terme le processus de decolonisation au Sahara occidental.

C'est ce que j'ai déjàdéclaréen ma qualitéde représentant permanent du
Royaume du Maroc devant la Quatrième Commission de l'Assemblée
génerale,le 25 novembre 1974 :
« II faut bien observer que. pour décider le recours a la Cour124 SAHARA OCCIDENTAL

internationale de Justice. il n'est pasnécessaireque l'Assembléeait décidé
de façon définitive l'attitude qu'elle prendra, le moment venu. sur le
processus de décolonisation,selon que laréponsede la Cour sera dans tel
ou telsens. IIsuffit qu'ellejuge possible que la réponsede la Cour influe
sur la decision qu'elle devra prendre. En d'autres termes, an ne
comprendrait pas que l'Assembléese prive d'un élement d'appréciation
dont l'importance est certaine. mêmesi maintenant elle se refuse a
s'engager surlesconséquencesqu'elletirerait de telle ou telle réponsede la
Cour ...IIne serait pas demandéa la Cour de dire selon quelles modalites
doit s'opérer la décolonisation du Sahara. Cette question, par nature
politique, est réservée a l'Assemblée générale. >> (A/C.4/SR.2 117.
p. 17-18.1

Cesquelquesdéveloppementsmontrent bien l'espritdans lequel a été connue et
adoptéela résolution 3292 (XXIX) de l'Assembléegénérale.

Tout en engageant a tort la Cour a se déclarer incompétente, le
Gouvernement espagnol a néanmoins estimé nécessairede soumettre a cette
haute juridiction un ensemble d'arguments et de documents pour prouver
i'absence de liens juridiques entre le Sahara occidental et le Royaume du
Maroc. Je souhaiterais, Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, vous

soumettre a cesujet quelques observations d'ordre général.
Mais auparavant j'aimerais rappeler que la question essentielle soumise à la
Cour est de savoirquelsétaient les liensjuridiques du Sahara avec le Royaume
du Maroc et l'ensemble mauritanien à un moment précisde l'histoire, c'est-
a-dire au moment de la colonisation espagnole. Toutes les digressions
étrangèresa ce cadre devraient normalement etre purement et simplement
écartées.
Or, il résultedu mémoireespagnol lui-mêmeque ce que l'ona appelépar la
suite Villa Cisneros n'a été occupe, pourla première fois et pala force, qu'en
1884 et que ce point est restéle seul a êtreoccupé,dans des conditions assez
précairesd'ailleurs,jusqu'en 1916,date de la prise de cap Juby. Ainsi donc, la
périodeconcernéeest au maximum celle qui s'échelonneentre 1880 environ et
l'année1912,date de rétablissement du protectorat sur le Maroc.
Cependant, le mémoireespagnol ayant estime devoir remonter au XIIesiè-
cle, nous nous voyons contraints de rappeler, mêmebrièvement, les événe-
ments historiques tels qu'ils se sont produits dans leur véritable réalité,afin
d'éviter d'éventuellecsonfusions. C'estau bénéfice de cette observation que je
me permettrai d'exposer ci-après quelques considérations sur le plaidoyer
espagnol tel qu'il a étéprésentéa la Cour.
Le second tome du mémoire espagnol, intitulé li$~ririaiioiicl docri-
1?1eiltconstitue en fait une tentative de démonstration de l'existenced'abord,
et de la permanence ensuite, de l'occupation espagnole du Sahara depuis le
XIIIC siécleenviron. Présenté,dit-il,«sans préjudicede toutes lesobservations
qui ont étéfaites dans l'exposéécrit )) espagnol (1, p. 2241, iIconstitue un
ensemble d'éléments historiqueset de faits sur lesquels l'Espagncroit pouvoir

appuyer ses prétentions.
Les membres de la délégationdu Royaume du Maroc vont procéder à
l'examen de chacune des prétentions espagnoles pour en établir lemal-fonde,
en expliquer les véritablesmotifs, ainsique les mobiles, apparents ou cachés,et
exposerrespectueusement a la Cour, avecla réalitédes faits, la véritablegenèse
des événements, ainsique le sens préciset la portée exacte des circonstances
invoquées,des textes présentés ou des traitésconclus. EXPOSE ORAL DE M. SLAOUI 125

Pour ma part, je me propose, sans pour autant m'engager dans une
démonstration détailléeou une explication exhaustive, de dégagercertains
élémentsqui me paraissent acquis aux débatset de tirer certaince onclusions
obligéeset indiscutables, a la lumière de quelques positions définitivement
adoptéespar le mémoire espagnol.
1. Prk~arducper~nut~ertc ee la prL;setrcerspagtiole au Sulraraau cours de la
pkiodc. utile'rie~iau XIXesikcle. Le second tome de ce mémoire estconstitué
par septchapitres dont le second est intitul:«Antécédentshistoriques », alors
que le cinquieme est intitulé :« L'établissement dela souveraineté espagnole
sur le Sahara occidental. » Le second chapitre (1. p.235-2471essaie d'établir
que ['Espagne aurait eu des droits sur le Sahara jusqu'en 1527, date de la
destruction de la tour de Santa Cruz de Mar Pequefia. Quant au cinquieme
chapitre (1,p. 286-2981,il commence par la phrase suivante :

<<Comme au cours d'époques précédentesl,a présence espagnolesur le
littoral nord-africain ... devait continuarêtre, pendant le XIXe siècle,
une constante historique. »

Et plus loin, page 287, au paragraphe 4 dudit chapitre, il est préci:é
« Des explorations furent menées à bien, comme celle réalisée par
Gate11en 1865, dans laquelle il parcourut leTekna et arriva à pénétrersur
le littoral proprement saharien.>>

Ainsi donc, entre 1527et 1865,ilest admisque l'Espagne n'ajamais occupéou
tenté d'occuper aucune parcelle du territoire saharien. Le fait est d'ailleurs
implicitement reconnu et pudiquement admispar le fait mêmeque le mémoire
espagnol passe prudemment toute cettepériodesous silence. Nous verrons plus
loin qu'effectivement, durant toute cette période, l'autoritédes sultans du
Maroc n'étaitcontestéepar aucune puissance, comme cela résulte amplement
des traités conclus tout au long de ces sikles.On est des lors en droit de se
demander si tous les déve1oppementshistoriques, relatifs ace qui est antérieur
à 188 1, ne sont pas hors sujet et ne sont donc d'aucun effet sur la question
soumise a la Cour.
2. Inexisrence de la préseance espagnole au Sahara jusqu'en 1916. La
lecture de l'ensembledes mémoires espagnols établitde façon péremptoireque
si lecomplot menécontre le Maroc depuis 1884 a conduit ala conclusion d'une
multitude d'accords entre pays européens,la plupart de ces accords ont eu un

dénominateur commun : c'est le fait qu'il se soit agi d'accords seCeetqui
démontrebien que ceux qui les ont conclus avaient une raison sérieused'agir
dans l'ombre ;cette raison résulte notamment de la lettre adresséete 16juin
1904 par l'ambassadeur d'Espagne a Paris ason ministre d'Etatet darislaquelle
ildit:<(Monsieur Delcasséaffirme que la publication du traité franco-espagnol
pourrait être la cause d'un soulèvement au Maroc qui rendrait nécessaireune
intervention militaire.>) Une telle préoccupation prend toute sa valeur
lorsqu'on se rappelle que l'artic6edu traitéde 1904 parle de Sakiet El Hama
comme de territoires « qui ne font pas partie du Maroc >>.Durant toute la
périodeallant de 1884jusqu'en 1916, malgréla multitude des traités conclus
contre le Maroc et malgréla soumission de ce deinier au protectorat en 19 12,
l'Espagne n'a étendu son autorité sur aucun point du Sahara, si Ibn excepte
Villa Cisneros. Ainsi donc, tant que le Maroc a exercé pleinement sa
souveraineté, l'Espagne n'ajamais pu s'implanter sur une portion quelconque
du Sahara. La déclaration faite par M. Albert Lebrun, futur président de la
Républiquefrançaise,devant son Parlement le 17octobre 1928, est édifianteà
cetégard :126 SAHARA OCCIDENTAL

« On connaît la situation, le Rio de Oro est une vaste contréedéserti-
que ...trois postes espagnols y sont installés..et les Espagnols sont en
quelque sorte prisonniers derrière leurs murailles et leurs réseauxde fils
de fer.»

3. Jnnopposabilifeuu Marocdes [rai[.&coriclirsenire 1900 et 1912. Tout au
long du mémoire espagnol. il est avancé que le Maroc aurait souscrit aux
différents traités (auxquelsil n'étaitpourtant pas partie). et cela en observant le
silence ou mêmeen y ayant parfois acquiescé.
Un tel argument se trouve démentinon seulement par le caractère secretde
la plupart de ces traités, mais aussipar les déclarations publiques apaisantesqui
ont suivi la conclusion de chacun de ces traites et aussi par la situation tragique
dans laquelle se débattait Je Maroc du fait meme de la pression exercéede
toutes parts sur ses frontières.

Le Maroc était. dès 1900.dans un état de guerre de fait et subissait plutOt
qu'il n'orientait les événements.
4.Marrt$estations de la souveraineté du Maroc face aux tenlalives
européenfies.Tout au long de la tentative d'occupation du Sahara par
l'Espagne,leMaroc n'acependant pas cesser de manifester son opposition et de
revendiquer sesdroits chaque fois qu'il ena eu l'occasion. Nous avons produit
des documents aussi multiples que divers pour établir ce fait; c'est la
protestation marocaine auprès de l'Espagne au moment de l'occupation de
Villa Cisneros : c'est la protestation espagnole lorsque Villa Cisneros a été
attaquée par les autorités marocaines sur ordre du Sultan ;c'est la circulaire
adressée parle ministre marocain des affaires étrangères,M. Torres. atous les
représentants des puissances étrangères a Tanger en 1886. etc. Cependant.
l'Espagne, qui a pourtant Ie souci du détaila omis. sans doute involontaire-
ment. de rappeler ces fails qui auraienten toutcas. mieux éclairé la Cour.
5. Rappori des iraites concIusetttre 1900 et 1912 avec le Maroc. Alors que
dans le chapitre II,l'Espagne. en traitant des antécédentshistoriques. n'hésite
pas a parler du partage de l'Afrique ou du Maroc et invoque de prétendus
accords ou traites qui le concernent, dans sa seconde partle, celle objet du
chapitre V, le mémoire espagnol traite le Sahara comme une entité a part et

n'hésitepas, en invoquant les divers accords passésentre 1886et 1912, a
essayer de faire admettre qu'il s'agissait de tractations et de négociations
n'intéressanten rien le territoire marocain et cela en contradiction aussi bien
avec l'espritdans lequel se sont dérouléesces négociationsqu'avec les termes
des correspondances échangéesnotamment entre Espagnols et Français.
IIs'avèreutile de rappeleracet égardun certain nombre de lettres échangées
et que le Gouvernement espagnol ne pouvait ignorer.
a) Le 30 mars 1891. le ministre d'Etat espagnol écrivaità son ambassadeur
a Tanger :
i
« Le Gouvernement espagnol n'a pas de viséessur la côte voisine de
l'Afrique. Mais déjà en 1880, la décadence de l'Empire marocain
permettait de prévoirl'arrivéedu jour où cet Empire setrouverait ruiné.»
(Archives nationales espagnoles. doc. 1883, p. 25.)

b) Le ministre d'Etat espagnol écrivait, le 7 mai 1900. a l'ambassadeur
d'Espagne a Paris :« Lr irontière norda l'intérieur dRio de Oro doit êtrecelle
des limites du Maroc non encore déterminées » (ibid., doc1900, p. 53-58).Un
tel document établit non seulement que la question intéressaitle Maroc mais
encore que Sakiet El Hamra fait partie du Maroc. C) Le ministre d'Etat écrivait.le 3 mars 1904, a son ambassadeur a Paris :

« En échange de la renonciation i la region de Fès, nous pourrons
demander comme comperisation, au sud, le territoire allant depuis le cap
Guir vers le sud ; la France aura sur la côte atlantique marocaine le
territoire allant du capGuir a l'embouchure du Sebour. )>(Mc:Ii~oir,e
l'écol diplornutique, 1950. p. 150.)

d) L'ambassadeur d'Espagne a Paris envoyait. le 6 avril 1904. au ministre
d'Etat un télégrammeainsi conçu :« Rd. Delcassé refuse de donner des
compensations au Maroc et d'accepter l'Atlascomme frontière au sud > ,id..
p. 192).
el Le 30 avril 1904, le président duconseil d'Etat et ex-ministre d'Etat, le
marquis de Aguiellaç. écrivaitau présidentdu conseil des ministres espagnol :

<(En 1900, la France a eu un intérêt spécial a fixlearlimite nord du Rio

de Oro, le Gouvernement espagnol n'a pas accepté la proposition
française car, a mon avis, cette limite ['Espagnedevait la discuter avec le
Maroc. >)Vbid., p. 195).
f) Le 4 mai 1904. l'ambassadeur d'Espagne a Paris envoyait au ministre

d'Etat le télégrammesuivant : <(M. Delcasséacceplerait la proposition de
l'Espagne au sujet de la frontibe au nord du Maroc, si l'Espagneacceptait les
propositions françaises au sujet du sud du Maroc >)(ibid.p. 195).
Nous aurions pu ainsi citer une multitude d'autres documentsqui établissent
que, depuis 1886. toutes les discussions qui ont abouti aux traites conclus et a
l'occupation du Sahara concernaient fe Maroc. Et lorsque nous examinerons
un certain nombre de textes législatifsou réglementaires espagnols pris par
l'administration du Sahara, nous verrons que ce territoire a toujours été
administré parle même ,rganisme, un autre, l'inspection générale des colonies.
s'occupant exclusivement de la Guinéeespagnole.
De telles vérités n'auraient pasdu ëtre passéessous silence par le mémoire
espagnol s'il avait voulu réellementpresenter la chronologie historique sous

son véritable aspect.
6. Le Sahara hait-il une terra nullius au momertt de la colonisarion ? II
résulteamplementde l'ensembledu mémoire espagnolque leSahara n'étaitpas
et n'ajamais étéune ierra niillius. ce qui permet de considérerque toutes les
parties sont unanimes a admettre ce fait.

C'est compte tenu de ces observations d'ordre généralque nous nous pro-
posons d'entamer l'examen en détail des thèses soutenues par le Couver-
nement espagnol.
Avec la permission de la Cour, je vais céderla parole aux membres de la
délégationdu Royaume du Maroc qui vont presenter devant vous le point de
vue de mon pays sur les développements, les arguments ainsi que les pré-
tentions du Gouvernement espagnol.

Auparavant et en conclusion de cet exposé liminaire.je voudrais redire a la
Cour, avec tout le respect qui lui est dû, l'espoir que le Gouvernement
marocain met dans sa sagesse. II est clair que, pour résoudre la dificile
question dont la solution lui incombe. l'Assembléegénérale avoulu non
entraîner la Cour sur un terrain étranger à sa mission, mais lui demander de
l'éclairersur des donnéesjuridiques qu'elleestime importantes.
La confiance ainsi marquée envers le droit, envers la Cour, ne sera
certainement pas déçue.Ce n'estpas le Maroc. ce ne sont pas les Membres des128 SACI RA OCCIUESTAL

Nations Unies et ceux qu'intéresse tout particulièrementla décolonisationqui
vous suggèrent de déclinervotre compétence. Au contraire. ilsvous deman-
dent. dans le cadre de vos fonctions et de votre mission propre, d'apporter
la lumièredu droit a leurs débatset a leurs travaux. Pour notre part. en toute
loyauté.comme la suite de nos exposésvous leprouvera. nous ne sollicitons

rien d'autre.

L'audience,sirspctidtie II II20, es{ reprise IIh 40 EXPOSÉ ORAL DE M. DUPUY

M. DUPUY :Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour,

ayant le grand honneur de me retrouver de nouveau a cette barre devant la
Cour internationale de Justice. je voudrais la prier de m'autoriaelui exposer
le plan de la démarchedu Gouvernement marocain dans la phase orale de la
procédure. Ce plan est très simple. il consista examiner successivement les
problèmes se rattachant a la recevabilitéde la requêtepour avis et, par la suite.
a examiner le fond.
En ce qui concerne la recevabilité. deuxsortes de problemes se posent a la
Cour :le premier concerne la compétence proprement dite stricto sensu sur la
base de son Statut, de son Règlement. de sa jurisprudence en matiére d'avis
consultatif et le second problème porte sur l'exception préliminaire soulevée
par le Gouvernement espagnol, sur cette sorte de demande reconventionnelle
présenteea la Cour et lui posant une autre question que celle que la résolu-
tion 3292 (XXIX) lui a posee, une question reconventionnelle sur le vu de
laquelle la cour devrait se dessaisir de ce dossier.
Voilà ce qui concerne le domaine de la recevabilité.Sur le fond, nous aurons
des observations a présenter sur les arguments et les documents qui ont été
présentés parle Gouvernement espagnol comme cela va de soi.
Je puis affirmer que le Gouvernement marocain est tres soucieux de ré-
pondre avotre vŒu de ne pas prolonger a l'excès cesdébatsoraux. Cependant
le Gouvernement marocain prie la Cour de bien vouloir l'excuser si parfois
les développements et les commentaires présentéspar ses agents et ses
conseils retiennent l'attention de la Cour pendant un temps qui. sans être

long. pourrait tout de mêmesernbler parfois étendu ; la responsabilitéde cette
éventuelle prolongation des débats n'incombe pas au Gouvernement maro-
cain mais bien au Gouvernement espagnol. qui a dépose huitvolumes d'ex-
plications et de documents, et la Cour s'attend naturellement a ce que les
Etats concernés fassent un sort à une documentation aussi volumineuse. faute
de quoi on pourrait penser que le Gouvernement du Maroc n'a rien a y
répondre.II lui faut donc, tout en s'efforçant d'être concisdans la forme, faire
tout de mêmele point sur les divers arguments et documents qui ont été
déposés,arguments qui sont d'ailleurs - et nous devons a regret le souligner
- les plus divers et dont le nombre et le rôle sont des plus difficaldéce-
ler et ne le cèdent qu'au nombre des contradictions que cette argumentation
recèle.
Nous devons attirer l'attention de la Cour que selon le Gouvernement
marocain les longs développements consacréspar le Gouvernement espagnol
tant au problème de la recevabilité de la requêtequ'au problème du fond
manifestent le souci de ce gouvernement de faire appel a tous les arguments
possibles et imaginables, mêmelesplus contradictoires. Comme si l'onavait été
épouvante il'idée d'enoublier un ou deux et délaissanttoute sélection etpla
mêmetoute logique dans la construction intellectuelle de ces mémoires. on
présente a la Cour en vrac une sorte de magasin ou se trouvent rassemblésles
arguments les plus divers et. je le répète.tres souvent en contradiction
fondamentale les uns par rapport aux autres. Ce qui nous oblige. la encore. a
une grande attention. à souligner ces contradictions et a essayer de mettre un130 SAHARA OCCIDENTAI

peu de clarté dans un probleme juridique qui se trouve ainsi aussi

artificiellement compliqué.
Nous prions la Cour de croire que si nos propos présententquelque sévérité
nous sommes les premiers a la regretter. Qu'on permette au conseil que je suis. .
parlant à titre personnel. de dire l'admiration profonde qu'il a pour l'Espagne
pour sa culture, pour son peuple. Qu'on lui permette de dire qu'ilest lui-même
profondément marquépar la culture espagnole et qu'elle estl'un des elements
les plus enrichissants de sa propre culture. Qu'on lui permette mêmede
souligner qu'il a quelque lien de parenté avec un des plus grands poètes de
l'Espagne contemporaine et enfin qu'on l'autorise a rappeler qu'il a le plus
profond respect et la plus grande admiration pour S. Exc. M. Cortina Mauri,
dont ce conseil s'honore d'êtrele confrère dans une sociétésavante. JIn'enest
que plus gêné de sembler marquer une ténacitéparticulièredans sa critique de
la position espagnole, mais je prie la Cour et la délégationde ['Espagnede ne
voir dans cette attitude non seulement que l'exercice normal d'une fonction.
celle de conseil d'un gouvernement. mais aussi une réaction intellectuelle
insurmontable devant l'argumentation pleine de contradictions qui nous a été
opposée. AvecI'autorisation de la Cour. je voudrais, Monsieur le Président.
Messieurs les membres de la Cour. aborder la recevabilitéet tout d'abord la

première des questions qu'elle pose :celle de la compétenceau sens strict dzi
terme.
Le principe général quigouverne la compétence de la Cour et que nous
devons rappeler est indiquédans l'article65 du Statut qui dispose a t'alinéa1 :

La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique,
a la demande de tout organe ou institution qui aura étéautorisé par la
Charte des Nations Unies ou conformémenta sesdispositions a demander
cet avis. »

Il résultedes dispositions que nous venons de lire qu'une distinction a vrai
dire importante apparait entre, d'une part, l'existence dela compétencede la
Cour et, d'autre part, l'exercice de cette compétence. En effet.même s'ilest
établique la Cour est compétentedans une affaire déterminée,il ne s'ensuitpas
qu'elle doive nécessairement répondre a la demande d'avis, car l'article 65.
paragraphe 1, est permissif. Il ne met pas d'obligationa la charge de la Cour,
tout le monde sait cela et, bien entendu, c'est pourquoi le probleme de la
compétencese pose.
Dans son avis sur Certaines dépensesdes Nations Unies, la Cour, rappelant
sa jurisprudence antérieure, a établi cettedistinction de la détermination de
l'existencede sa compétenceet de l'exercicede celle-ci.Sila question poséeiila
Cour n'estpas juridique, la Cour ne dispose pas de pouvoirs discrétionnaires ;
dansun tel cas elle doit se déclarer incompétenteOn peut dire qu'on se trouve
en présenced'un cas que l'an pourrait qualifier d'incompétenceliée. La Cour
est liéeet ne peut faire autre chose que de se reconnaitre incornpetente.
Le pouvoir discrétionnaire de la Cour pour décidersi elle doit répondre a
une demande d'avis n'existe qu'a partir du moment ou la Cour a établi
l'existencede sa compétence a l'égardde cette demande.
La Cour internationale Justice, dans son avis sur Certaines de&nses des

Nations Unies, a déclaré :
« conformément a I'article65 du Statut, la Cour ne peut donner in avis
consultatif que sur une question juridique. Si une question n'est pas
juridique, ta Cour n'a pas de pouvoir discrétionnaire en la matière :elle
doit refuser de donner l'avis qui lui est demandé. Mais, mêmes'il s'agit EXPOSE ORAL DE ,Cl. DUPUY 131

d'une question juridique. a laquelle la Cour a indubitablement compe-
tence de répondre.elle peut néanmoins refuser de le faire» (C.I.J.Reciieil
1962, p. 155).

Nous nous trouvons donc dans cette hypothèse dans ce que \'on pourrait alors
appeler un cas d'incompétence facultative.
La Cour dispose a ce moment-la d'une certaine marge d'appreciation. Nous
devons prendre conscience de cela puisque ainsi se trouve dresséle cadre de
réflexionqui s'offrea la Cour pour déciderde sa compétence.
Si nous examinons tout d'abord lepremier point qui est celui de l'existence
de la compétence de la Cour, dans l'espèce présente, il nous semble
indubitablement qu'une réponse affirmative s'impose. L'existence de la
compétencedela Cour ne nous parait pas discutable. puisque aucun des cas ou

l'on pourrait conclure a son incompétence liée. nécessaire. nesetrouve ici
réalisé.
Rappelons en premier lieuque l'Assembléegénérale qui a demandéun avis a
la Cour est habilitéea ce faire. L'article 96. alinéa 1, de la Charte déclar:
<(L'Assembléegénérale oule Conseil de sécuritépeut demander a la Cour
internationalede Justice un avis consultatif sur toute question juridiqueH
En second lieu. la Cour doit constater I'existence de sa compétence,
puisqu'ici ne setrouvent point réuniesles conditions qui devraient la conduire
a une conclusion contraire, ce qui veut dire que nous ne nous trouvons pas en
présenced'une demande posant une question politique. nous ne nous trouvons
pas en présencede questions émanantd'un organe non habilité ademander un
avis, nous ne nous trouvons pas en presence de questions déboydant le

domaine des attributions de l'organe requérant, nous ne nous trouvons dans
aucune de ces hypothéseset tout au contraire les questions posées a la Cour
sont des questions juridiques. Ce caractère juridique peut résulterde plusieurs
observations. Tout d'abord. première observation. le caractère 'uridique des
questions estconfirme par lestermes de la résolution3292 (XXIX qui déclare :
« Cotisidératii.des lors. qu'il est hautement souhaitable que 1'Assem-
bleegénérale obtienne, pour poursuivre l'examen de cette question lors de
sa trentième session. un avis consultatif sur certains aspects juridiques

importants du problème ,(argument de texte).
Seconde observation. la premiè1.ese trouve confirmée par l'objetdes questions
elles-rnémesqui porte sur des probtemes essentiellement juridiques. qualifica-
tion d'un territoire de ferm nullius ou non. détermination de l'existenceou de
l'inexistence de liens juridiques. II est difficile de se trouver en presence de
questions plus authentiquement juridiques que celles-la. Enfin, troisième

observation. il faut évoquerce que représentela notion de question juridique.
Or, comme le disait CharlesDe Visscher. il s'agitde
« toute question susceptible de recevoir une réponse fondée en droit.
Tenue en principe de remplir sa fonction consultative et par conséquent
de répondre a une telle question. la Cour s'abstiendra de le faire lOU la
solution de la question poséedépendraitde considérationsétrangères au
droit. en particulier de considerations politique))(Théorieset réolifé st?

droit infertiafiotialpublic. 1970p. 401).
Les questions poséesdans la prisente demande rentrent bien dans la catégorie
des questions juridiques et nous rappellerons quedansson avis du 28 inai 1948

sur les Conditionsde I'adniissiond'utrEtot comme Membre desNatioits L/liies
(arficle 4 de la Charte), la Cour a indique qu'elle pouvait <(donner un avis132 SAHARA OCCIDENTAL

consultatif sur toute question iuridique. abstraite ou n»n(C.I.J.Recueil 1947-
1948. p. 61).
Enfin, en ce qui concerne le problème du Sahara occidental. on doit
observer que la recherche de l'entitéqui a originellement exercéla souveraineté
sur leterritoireen question doit êtretraitéecomme une question de droit parce
qu'il ne s'agit pas seulement de rechercher des faits mais d'en apprécier la
portée juridique. de donner une réponsequi a un sens juridique. D'ailleurs. la
Cour a parfaitement affirmé cette interprétation dans son récent avis
consultatif de 1971 sur laNamibie, en déclarant :
<Selon la Cour. ce n'est pasparce que la question poséemet en jeu des
faits qu'elle perd le caractère de<(question juridique )>au sens de I'ar-
ticle96 de laCharte. On ne saurait considérerque cettedisposition oppose
les questions de droit aux points de fait. Pour ètra même de se pronon-

cer sur des questions juridiques. un tribunal doit normalement avoir
connaissance des faits correspondants. les prendre en considérationet, le
cas échéant, statuera leur sujet.)(C.I.J. Recueil 1971, p.27.)
On ne saurait mieux dire pour répondreà toute objection sur ce terrain.
Enfin, dans l'ordonnance du 22 mai 1975 par laquelle la Cour a bien voulu
autoriser le Gouvernement du Maroc a désigner unjugead hoc. elle a reconnu
que l'avis portait sur une question juridique actuellement pendante. On peut
donc dire en conclusion ce qu'écrivaittrès justement un éminentjuge de la
Cour dans son opinion individuelle a l'avissur laNamibie (C.I.J.Recueil 1971,
p. 170):

«Le refus de rendre un avis est admissible seulement si la question
poséeà la Cour est essentielfement politique ou non juridique, car ce qui
est décisif.semble-t-il. c'est l'élément posife juridicité etnon l'élément
négatifconstitué parles motivations politiques. »

Ce premier point étant réglé,il nous semble donc que l'existence de la
compétence de laCour ne saurait faire de doute. Mais, nous I'avoirvu, reste
encore pour la Cour a décidersi elle doit exercer sa compétenceet cet exercice.
évidemment,se situe a deux types de problèmes, adeux niveaux de réflexion.
Tout d'abord, leproblème généralde l'acceptation ou du refus de répondreàla
demande d'avis et ensuite le problème spécifiquede la compétenceen matière
d'interprétationde la demande d'avis.
Nous allons aborder le premier de ces deux problèmes. leproblèmege'neral
de l'acceprurionou du refus de répondre.
Dans son avis sur I%zterprç'laliondes .traités de paix conclus avec la
Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, prernicre phase, en 1950. la Cour
internationale de Justicea rappeléque l'article 65 du Statut étaitpermissif et
donnait a la Cour le pouvoir d'apprécier siles circonstances de l'espèceétaient
telles qu'ellesdevaient la déterminer a ne pas répondre a une demande d'avis
(C.1.J.Recueil 1950. p. 71 et 72).Autrement dit, on se trouve en présencede
ce que j'ai qualifié tout a l'heure d'une éventuelle incompétence. d'une
incompétence facultative ; dans cette interprétation qui est large la Cour
juridiquement compétente pourrait néanmoins refuser de répondre a la
demande d'avis, en vertu d'un pouvoir discrétionnaire. Cependant. mêmesi
juridiquement laCour a la possibilitéde ne pas répondre aune demande d'avis
pour laquelle elle est normalement compétente,elle a manifesté toujours, dans EXPOSE ORAL DE M. DUPUY 133

sa jurisprudence, le souci en pratique de répondre chaque fois qu'il lui était
possible aux demandes qui lui étaient adressées,Elle a posé en principeque
la réponse ne doit pas étre refusée,sauf raisons décisives,raisons décisives
analyséespour chaque cas d'espèce.Dans son avis consultatif sur Certuines
dépeirsesdes Natioiu Unies(article 17, paragraphe 2,de lu Charte), la Cour a
déclaré.malgréle caractère permissif de l'article 65 du Statut. « qu'il faudrait
« des raisons décisives » pour l'amener à opposer un refus à une demande
d'avis consultatif» (C.1.J.Recueil 1962. p. 155). Et l'explication de cette
attitude est fort simple, elle nous est donnée par la Cour elle-même.L.orsquela
Cour reçoit une demande d'avis. sa réponse, nous dit-elle, constitue une
participation de la Cour. elle-même« organe desNations Unies ))à l'actionde
l'organisation et, en principe. elle ne devrait pas ètre refusée » (avis sur
IYnrerpre~ariodies traitésde paix conclusuvec la Bulgarie. la Hongrie er la
Roumanie (C.I.J.Recueil 1950, p. 7 1)Ainsi la Cour a manifesté lahaute idée
qu'ellese fait de la mission qu'elleassume au sein de l'organisation des Nationk

Unies. L'avisdemandésur le Sahara occidental nous parait illustrer parfaite-
ment le rôle que la Cour s'estdonnéet que nous croyons lui voir a nouveau
assumer en l'espèce, larésolution 3292 (XXIX)déclareen effet :
<Co1nid6rari1d ,éslors, qu'il est hautement souhaitable que l'Assemblée
générale obtienne.pour poursuivre l'examen de cette question lors de sa
trentième session. un avis consultatif sur certains aspects juridiques
importants du problème. a

Ainsi I'avisconditionne - iious verrons d'ailleurs dans quelle mesure - la
poursuite de l'examen de l'affairepar l'Assembléegénérale ;la Cour a confirmé
cette position égalementdans ses avis sur lesRéserves rila conve~~lio nour la
preventioii et lu répressiondu crime de génocide(C.I.J.Recueil 1951, p. 19)et
sur lesJugemenfs du Tribunalodminisfrarifde I'Organisationinternaiionaledu
Travail (C.I.J.Recueil 1956. p. 86).
Cela signifie donc que le refus de la Cour de répondre a une demande n'a
qu'un caractere exceptionnel et. a cet egard, on peut dire que l'avis sur le
Sahara occidental qui lui est demandésemble difficilement devoir entrer dans
le cadre d'une telle exception qui devrait conduire la Cour a l'écarterde son
prétoire.
Il faut d'abord observer que si l'article a en effet un caractere permissif

que nous avons bien marqué dès le début des explications que nous avons
l'honneur de présenter ala Cour. celle-cia elle-mêmetoujours montré que ce
caractere permissif connaissait des limites qu'elleapprécie. certes,mais qui ont
en elles-mêmes un caractere objectif.
Deux observationspeuvent 6tre faites a cet égard.Tout d'abord. l'Assemblée
générale a seule le pouvoir discrétionnaire d'apprécier l'opportunité de
demander un avis. Et la Cour n'ajamais envisagéde mettre en question. bien
entendu, ce pouvoir discrétionnaire de l'Assembléegénéralede demander ou
de ne pas demanderun avis. En l'espèce.il est certain que l'Assembléegénérale
a étéjugede l'opportunitéde la demande d'avis et de l'objetdesquestions sur le
Sahara occidental qu'elle adressait a la Cour. Voilà pour ce qui concerne la
cornpetence de l'Assembléegénérale.
Seconde observation :la Cour, de son coté. apprécie l'opportunitde donner
l'avis.mais il faut bien voir qti'ellele fait toujo-rsnous l'avons vu - avec
présente a l'espritl'importance de la mission qu'elleassume au sein des divers
organes des Nations Unies. Elle a dit qu'en principe la réponsene devrait pas
êtrerefusée.
Comme l'aremarquéun auteur, M. Dubisson. dans son ouvrage sur laCour134 SAHARA OCCIDENTAL

internationale de Justice. elle porterait atteinte au principe d'égalientre les
organes principaux des Nations Unies par le moyen de cette appréciation. si
elle remettait en cause le choix opérépar l'organe qui a demandél'avis.
C'estune observation qui. en l'espèce.ne manque pas d'intérêtc.ar le choix
de I'Assemblkegénéralesur les questions et le moment historique sur lesquels
elle interroge la Cour a étédéterminépar elle. en fonction des difficultés
juridiques qu'elle a rencontrées dans l'examen plus vaste, politique et non
seulement juridique, de l'ensemble de la question de la décolonisation du
Sahara occidental.
En fait, la Cour internationale de Justice, si nous consultons sa juris-
prudence, n'ajamais utiliséce que j'ai appeléson incompétence facultative.
Autrement dit. elle n'a jamais oppose un refus que sur le plan théorique
l'articl65 du Statut lui reconnaît;elle ne l'ajamais fait précisémentparce que
les circonstances dans lesquelles elle s'esttrouvéedans les précédentesaffaires
qui lui étaientsoumises lui ont permis de faire prévaloirsa mission d'organe
judiciaire principal des Nations Unies. coopéranta l'action de celles-ci.
En revanche, la Cour permanente de Justice internationale avait déclinésa
compétence dans une célèbre affairedont nous avons parlé et dont nous

entendrons vraisemblablement encore parler dans lecas présentet vraisembla-
blement dans d'autres :le statu^de lu Cureiieorienlale.
Cela nous donne donc le devoir d'examiner si ce précédentpourrait être
invoquéici. Hla été d'ailleurs dans lesécritsde procédurequi ont étéprésentés
a la Cour par le Gouvernement espagnol.
Selon nous. aucun des motifs ayant fonde cette déclaration d'incompétence
de la Cour. permanente de Justice internationale ne se retrouve dans I'espéce
présente.
Quelles étaient les considérations qui ont arrêtéla Cour permanente de
Justice internationale? Nous pouvons dire tout de suite que de son point de
vue. a son époque, l'attitude de la part de cette Cour étaitjustifiée.Tel n'est
point le problème, d'ailleurs, dans cette affaire. Les raisons qu'elle avait
retenues étaient. d'une part, l'absence de consentement d'un Etat intéressé,
d'autre part, le fait que les questions soulevaient des points de fait et, enfin. que
la question qui était posée a la Cour permanente de Justice internationale
concernait directement le point essentiel d'un diffërend actuellement pendant.
L'avissur la Carélieorien~uleretenait donc trois arguments pour déclinerla
compétencede la Cour.
Tout d'abord, I'absencede consentement d'un Etat intéressé.En effet, c'est

un point très important et nous considérons qu'elle avait l'impossibilitéde se
déclarercompétente. puisqu'un Etat intéressé.l'union soviétique.n'avait pas
donnéson consentement et ne participait pas a la procédure.C'estpar respect
pour la souveraineté de l'Union soviétiqueque la Cour permanente de Justice
internationale a pris sa position. Cela étaittout a fait normal.
Mais. précisément.nous ne nous trouvons pas du tout ici dans un cas
comparable. car les deux points relevés par la Cour permanente ne se
retrouvent point en l'espèceprésente. D'unepart, l'Union soviétiquen'étaitpas
membre de la Sociétédes Nations. Au contraire, l'Espagne est Membre de
l'Organisation des Nations Unies.
D'autre part. IUnion soviétique ne sëtait pas présentéedevant la Cour
permanente de Justice internationale. t'Espagne se présente. fournit des
documents, conteste la demande de juge ad hoc. Le raisonnement que nous
nous permettons de faire, c'est celui que vous-mêmes.Messieurs, avez fait
naguère dans l'avisde 1971sur laNamibieq.ue vousvoudrez bien m'autoriser
à citer sur ce point. puisque le Gouvernement de l'Afrique du Sud avait lui EXPOSE ORAL DE hl. DWPWY 135

aussi invoquéle précédentde laCarelie orie~ltale.Vous lui avez réponduceci :
<<Cette affaire (lCcrrdicorieiituk~)n'est pas pertinente car elle diffère
de la présenteespéce.C'estainsi que l'un des Etats intéressésn'titaitpas a
l'époquemembre de la Sociétédes Nations et ne s'étaitpas présenté
devant la Cour permanente. Or l'Afriquedu Sud est liée.comme Membre
des Nations Unies, par l'article96 de la Charte qui autorise le Conseil de
securite a demander un avis consultatif sur toute question juridique. De
plus elle s'est présentéedevant la Cour. a participé tant a la procédure
écritequ'a la procédure orale » (C.1.J.Recueil 1971, p. 23).

La seconde considération. sur laquelle la Cour permanente de Justice
internationale avait assis sa position. portait sur le fait que les questionsqui lui
étaient soumises soulevaient essentiellement des pointsde fait. Or. ces points de
fait dans la Cat.die orietrtald. ne pouvaient être éclaircis,selon la Cour
permanente. que contradictoirement, ,si bien que l'absence de l'Union
soviétique empéchait l'administration contradictoire de cet éclaircissement.
Tout au contraire ici, nous observerons que, l'Espagne étant présente et
fournissant des documents sur lespoints de fait et dedroit qui sont insérésdans
l'affaire dont la Cour a a connaitre, le caractère contradictoire de cette
discussion des faits est aisémentsatisfait, d'autant qu'il s'agitde faits passés.

Itne s'agit pas d'envisager, comme dans une commission d'enquête,de se
porter sur les lieux pour voir comment le problème se pose ! Etant donnéle
type même de question qui est posé a la Cour et la participation que le
Gouvernement espagnol a bien voulu apporter a cette procédure, cette
démonstration contradictoire des faits est largement offerte devant la Cour
dans les multiples mémoires et documents qui lui ont étéprésentes.
Reste le troisième point. Les questions qui étaient soumises a la Cour
permanente de Justice internationale concernaient directement le point
essentiel d'un différend actuellement né.Nous voudrions faire, sur ce point.
une série d'observations.
La première porte sur une considération d'ordre a la fois historique et
exégetique.Rappelons. comme nous l'avons déjamarqué dans les interven-
tions que nous avons eu I'honileur de fairea cette barre devant la Cour que. a
l'époqueou l'avissur laCarélieorientalea étérendu, c'est-à-dire en 1923.il n'y
avait pas d'équivalenta l'actuelarticle 89 du Règlement.Nous ne reviendrons
pas sur l'historique que nous avons déjaretracé a la Cour, nous n'évoquerons
pas a nouveau l'action décisived'Anzilotti. président du comitéde revision,

précisémentaprèsl'affairesur laCarélieorientale, et comment on a voulu que
la Cour puisse examiner des avis sur différend.
Or. l'article 89 du Règlement actuel prévoit expressémentle cas ou l'avis
porte sur une question juridique pendante entre deux ou plusieurs Etats. II
affirme donc la compétencede la Cour dans ce cas car il serait en effet absurde
d'imaginer que la Cour ne puisse accorder un juge ad hoc que si l'existence
d'une telle question est vérifiée et qu'eeoit immédiatementaprès se déclarer
incompétente parce qu'elle ne saurait connaitre d'une question juridique
pendante.
C'est un raisonnement qui aboutit a une contradiction inextricable et, sla
Cour avait voulu arriver a une solution de ce genre, elle aurait, en 1972,
lorsqu'elle a procédéa la revision de son Règlement. purement et simplement
écartél'article 89. Or elle l'a au contraire maintenu.C'estqu'au moins deux
considérationspeuvent faire comprendre cette solution :d'une part, alors que
la Cour permanente de Justice internationale ne faisait pas partie de LaSociété
des Nations, la Cour internalionale de Justice, crééepar la Charte, est un136 SAHARA OCCIDESTAL

organe des Nations Unies :article 92 de la Charte. article premier du Statut de

la Cour. et d'autre part il en résulte qu'elle a le devoir de coopérer avec
l'Assembléegénéraleet le Conseil de sécuritéet les autres organes de la même
Organisation.
Comme le disait encore l'éminentmembre de cette Cour. dont je citai tout a
l'heure un passage de l'opinion individuelledans l'affairede la Nuiriihie :
« Comme dans l'affaire de I'/l#ierpréta~iod rzestraitesde paix. la Cour
peut dire : «Dans le cas actuel, la Cour se trouve en présence d'une
demande d'avisqui ne tend pas a autre chose qu'aéclairer >un organe des

Nations Unies. C'est donc aussi parce que, la réponse n'ayant qu'un
caractère consultatif. sa force est bien diffkrenle de celled'un arrêtqui met
fin a un procès contentieux que le précédentde 1923a été écart( eC.I.J.
Recueil 1950. p. 7 1).
D'autre part et surtout. on peut considérercomme périméela doctrine
énoncéedans l'avissur IeSlatirr de la Carélieorienfale en raison du libellé
des articles 82 et 83 [devenus aujourd'hui 88 et 891du Règlement de la
Cour. La Cour doit rechercher si la demande d'avis a trait ou non a une
question juridique actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats :
elle doit le faire. non pour déclarer son incompétence, maispour tenir
compte de cet élémentdans la procédurea suivre et dans l'applicationdes
règlessur lesjuges ad hoc. On ne peut donc indiquer plus clairement que
la Cour a compétenceen ce quiconcerne une demande d'avis ayant trait a
une question actuetlement pendante entre Etats. ))(C.I.J.Recueil 1971.
p. 172-173.)

Nous voudrions ajouter une seconde observation. a savoir que. dans I'avis
sur I'inrerpretafiondes traitésde paix en 1950. la Cour a examinéle probleme
desavoir si le précédentsur laCurelie oriet~ialedevait la conduire a se déclarer
incompétente et c'est bien a cette espèce que - nous l'avons vu - faisait
allusion la citation que je viens de me permettre de lire devant la Cour.
Dans cet avis de 1950. la Cour a écartece précèdentde la Carélie ;elle s'est
déclaréecompétenteen observant que les questions ne touchaient pas le fond

du différend etque le règlement de ce différend étaitassuré non par elle -
considération très importante -, mais par les commissions instituéespar les
traites de paix en question.
En ce qui concerne l'espèceprésente,nous devons rappeler'que le règlement
du différend fondamental sur la décolonisation du Sahara occidental est
pendant devant l'Assembléegénéraleet doit êtrerésolupar elle et non pas par
la Cour a qui l'Assembléegénéralen'ajamais pense confier le règlementde ce
différend.
Ainsi pouvons-nous rappeler que. dans un avis sur les Reserves ci la
cotrvetrfionsur le gériocide.la Cour a admis que la voie consultative pouvait
êtreutiliséemémes'ilexistait un différenddans la mesure ou elle se superposait
a la procédure prévue pour réglerce differend sans se confondre avec elle
(C.I.J.Recueil 1951. p. 19-20).Tel est bien le cas ici. le réglementdu differend
fondamental, du différend essentiel.du differend global, qui porte sur les
modalitésde la décolonisation duSahara occidental. étanttoujours du ressort

de l'Assembléegénérale,la demande d'avis n'ayant pas eu pour effet de le
confier a la Cour.
Certes, Lademande d'avispose a la Cour des questions juridiques auxquelles
l'Assemblée générale estime hautement souhaitable qu'elle réponde. Le
probleme posé a la Cour par l'Assembléegénérale estle type même dela
question juridique pendante. Dans son ordonnance en date du 22 mai 1975, EXPOSE ORAL DE M. DUPUY 137

accordant au Maroc l'autorisation de désignerun juge ad hoc. la Cour. on le
sait, a reconnu l'existenced'une telle question.
Deux observations doivent étrefaites :d'une part, la réponsea ce probleme
n'entrainera pas par elle-meme de conséquence dans l'ordre juridique actuel.
D'autre part, seule t'Assembléegénéraletirera ses conséquenceset elle pourra
le faire en toute libertéet de ïaçons très diverses, sans qu'aucune corrélation
mécanique, automatique ou nécessairepuisse êtreétablie a l'avance entre les
réponsesde la Cour et les dispositions que l'Assembléegénéralecroira devoir
prendre.
Reprenons ces deuxpoints.
Premier point, les réponses de la Cour ne doivent pas entrainer de

conséquences dans l'ordonnaricernent juridique actuel. c'est-a-dire qu'elles ne
peuvent pas affecter les droits actuels de l'Espagne. car ces qucstions ne
concernent pas sa souveraineté présente.Les réponses de la Cour ne peuvent
pas non plus. a elles seules, décider du statut futur de ce territoire par rapport
au Maroc et a la Mauritanie.
La meilleure preuve que la Cour ne tranchera pas un différend territorial. un
différendtel qu'il pourrait êtrerégléau contentieux. est que si laCour prenait
un arrêtil ne serait pas susceptible d'exécution.La Cour auraen rkalitérésolu
une question juridique. mais elle n'aura pas modifié l'ordonnancement
juridique actuel. Certes, en résolvant cette question juridique. elle touchera.
comme nous l'avons dit. ailx droits et intérètsdes uns et des autres des Etats
concernéset cela justifiait. compte tenu de l'importance de ces problèmes, la
demande dejuge ad Iiocque nous avons formulée. maisil est bien évidentque

l'avis aura résolu une question juridique sans modifier le statut territorial
présentdu Sahara. D'ou la tentation espagnole - tentation i laquelle l'expose
écritque le Gouvernement espagnol a présente n'a pas résisté - rl'invoquer
l'affairedu Catnerouil septetrtrional pour amener la Cour a se dessaisir.
On ne saurait obtenir de la Cour qu'elle se dessaisisse de l'affaire par
référence a l'arrêtsur leC:u~trc-.rarei/~ierift~iciaulmoins pour deux raisons.
La prerniére raison. c'est que nous sommes engagés dans une procédure
consultative et. comme' la Cour l'a rappelé avec force dans l'avis sur
I'l~i/c~r.j~r.cdloi;tiurilcde~/iai.u :

« Le consentement des Etats parties a un différend est lefondement de
la juridiction de la Cour en matière contentieuse. II en est autrement en
matière d'avis. alors méme que la deinande d'avis a traita une question
juridique actuellement pendante. )>(C.I.J.Rccireil 1950, p. 71.)

On ne saurait étre plus formel que la Cour l'a été.La seconde raison de
repousser toute référencea l'arrêtsur le Carnerouti septenrriotial résidedans
l'observation que dans cette affaire le requérant demandait 1la Cour de revenir
sur une question qui avait étédéjàrégléepar l'Assembléegénérale.
Dans l'espèceprésente,au contraire. pour le Sahara occidental. le problème
n'apas encore été résolupar l'Assembléegénéraleet c'estprécisémentpour être
éclairéeque l'Assembléegénérale considère comme « hautement souhaitable ))

de recevoir les réponsesde la Cour, pour autant que - et c'estle second point
de cette démonstration sur ce chef - 1;.2ssembléerestera entièrement libre de
tirer teHeau telle conséquence des réponsesde la Cour.
On ne saurait soutenir qu'une réponseaffirmative de la Cour a la seconde
des questions poséesentrainerail automatiquement le ralliement de I'Assern-
bléegénéralea une solution de rattachement du Sahara occidental au Maroc et
a la Mauritanie, selon le modèle d'Ifni par exemple. et devrait automatique-
ment écarter unrecours a un référendum.Rien dans la résolution3232(XXIX)138 SAHARA OCCIDENTAL

ne permet de considérer qu'il existerait une corrélation nécessaireentre la
réponse de la Cour et la solution qu'adoptera l'Assembléegénérale.Celle-ci,

organe politique, a jugéutile d'étreéclairéepar la Cour, mais elle demeure
entièrement libre de ses choix futurs. A aucun moment, elle n'a envisagéde
déléguera la Cour le règlementdu différendglobal portant sur les modalitésde
la décolonisation duSahara occidental, ce qui eût étéle cas si elle avait établià
l'avance un lien automatique decorrélationentre les réponsesde la Cour et ses
décisionsa venir sur le différend.
Certes. quant a eux, les Etats concernes ont pu souhaiter établirde telles
conséquencesa I'appui de leurs positions respectives ; mais pour autant. nous
devons le reconnaitre, l'Assembléegénéralen'est liéepar aucune de ces
déclarations, elle appréciera quelle portée leur accorder dans les solutions
qu'elleretiendra.en toute libertépour la décolonisation duSahara occidental.
Ainsi, ii est bien évidentque la Cour en répondant à la demande d'avis va
résoudre une question jui-idique et va coopérer l'action de l'Assemblée

généralequi le lui a demandé.sans pour autant anticiper sur les solutions que
l'Assembléegénérale retiendra.
La résolution 3292 (XXIX) est a cet égard trèsexplicite et le confirme
lorsqu'elfe précise,dans son troisième alinéa,qu'elle poursuivra I'examen de
l'affaireà la Lumiérede l'avis. Elle dit (<a la lumière» :elle ne dit pas
conformément » a l'avis. L'avis doit lui donner un éclairage. maisnon lui
dicter sa décision.Et dece point de vue-laencore on ne peut pas faire appel au
précédentde laCarélieorientale.Cependant, on ne saurait en conclure. comme
le fait le Gouvernement espagnol dans ses écrits,que Lesquestions et l'avis
auront alors une portée académique.Ils n'auront pas du tout une portée
académiquepuisque l'avis est utile a l'Assembléegénérale.Elle a déclaréelle-
mêmequ'ifétait <(hautement souhaitable >);il lui sera utile sans pour autant la
conditionner. IIlui estcertainement utile ainsi que l'expliquela résoluti3292
(XXIX) dans ses considérants, car il constitue un élémentconditionnant non
pas les décisions del'Assemblée.mais la poursuite de I'examen de l'affairepar
etle seulement.

la portéede ce type d'avisse comprend aisément sit'on se rapporte au rôle
imparti aux avis en droit comparé, et notamment dans certains droits
nationaux. On peut distinguer trois sortes d'avis.
En premier lieu. des avis qui émanent d'organes consultatifs. dépourvus en
fait de toute influence nécessairesur la décision finalede l'autorité,de l'organe
qui a lepouvoir de décision. Ce sont des avis que I'on demande a certains
organismes pour leur donner l'occasionde l'exprimer, sans que pour autant, a
aucun moment, les textes qui les prévoient n'aient promis a ceux qui sont
consultésque ces avis auront nécessairement une influence. L'exemple peut
êtredonnépar lesavisqui sont donnés par des associations de consommateurs
sur la détermination des normes de fabrication de certains produits. Ils sont
destinés a rassurer ceux qui donnent I'avis, beaucoup plus qu'a inspirer
réellement lecomportement de I'organe compétent pour prendre la décision.
Ce sont des avis qui participent d'un système politiqueet, dance domaine, une
grande part de gratuite est reconnue a ce type d'avis. Cesont des avis que I'on
pourrait qualifier d'insignifiants. Eh bien. nous constatons que c'est a ce type
d'avis que le Gouvernement espagnol semble penser lorsqu'il prétendque les

questionsqui vous sont poséessont académiques! Qu'il me soit permis de dire
qu'ilest inimaginable de considérerque lesquestions poséeset les réponsesqui
seraient données par une institution de l'importance de la Cour internationale
de Justice puissent avoir ce caractère académiqueet insignifiant.
La seconde catégorie d'avisque nous situons aux antipodes de ce premier EXPOSE ORAL DE XI. DUPUY 139

type d'avis.cesont lesavis dits conformes.tes avis conformes ont pour effet de
lier la cornpetence de l'organequi va prendreladécision. Celui-ciprendra cette
décisionsur avis conforme. Bien entendu. ce n'est pasle cas de l'avisqui vous
est demandé aujourd'hui. II n'empêcheque le Gouvernement espagnol. dans
une de ses conlradictions dont il a le maniement de virtuose. prétend également
que votreavis aura cette porteecar,dansde nombreux passages de sonexposé

écrit.il dit que votre avis sera académiqueet, dans d'autres passages, il vous
met en garde, déclaranten substance : «si vous le prenez, vous allezavoir une
responsabilitéénorme,parce que vous allezavoir a lier l'Assembléegénéraleet
vous allez régler le sort actuel du territoireD.Votre avis est ainsi présente
comme s'il était unavis conforme. Autrement dit. le Gouvernement espagnol
joue alternativenient sur les deux registres :tantôt sur le modèle d'un avis
insignifiant. en déclarantles questions académiques.et tantôt il attribueaces
questions une portee décisive, prétendant qu'il tranche un problème de
souveraineléaciuel vous assimilant ainsi a un donneur d'avisconforme. Nous
devrions souhaiter que le Gouvernement espagnol opte entre ces deux
positions qui sont difficilement conciliables.
En réüliié.il existe une troisième catégoried'avis. Ce sont les avis qui
constituent cc que I'on appelle une formalité substantielle. Les avis qui
constituent une formalité substantielle. et [el est bien le cas de ]"avis que
I'AssemblEegknéralevous a deinaildé,ont un poids réelet ilssont susceptibles
de modifier les positions de l'autorité qui alepouvoir de décisionsans pourtant
la lier. Si I'on in'autorisait à faire une référenceau droit de mon pays,
simplement parce que peut-étrenous le connüissons moins mal que celui des
autres. je me permettrais d'évoquer les avis que le Conseil d'Etat français

donne sur les projets de lois ou sur les projets de décrecs.Ces avis ne sont donc
pas insigilifiants, comme ceux de la première catégorie.Ifsne sont pas non plus
déterminants. comme ceux de la seconde categorie. Ils sont éclairantset leur
éclairageconstitue une formalité substantielle dans une procédure complexe.
Ils constituent les elements d'un dossier complexe, ils vont jouer un r81e.mais
ce rôle n'est pas prkvisible. il n'est pas appréciaall'avance. C'est biendans
cette perspective que I'avisprésentvous est dernündk sur le Sahara occidental.
puisque la résolulion 3292 (XXIX) prévoit, rappelons-le, que l'Assemblée
généralese prononcera «A la lumière » de votre avis. Ainsi, on ne saurait
invoquer a aucun point de vue le précédentde la Curc;lipori~ii[ulc,et la Cour
devrait aiskmeiit dans cette affaire se déclarer compétente.

L'uiidiei~cest levéea 13 heiires SEPTIEM AEUDIENCE PUBLIQUE(26 VI 75. 10 h)

Préseiits: [Voir audience du 25 VI 75 .]

hl. DUPUY :hlonsieur le Président. Messieursles membres de la Cour. je
reprends l'exposeque j'avaisentaméet.je croispouvoir ledire. avancéhier sur
le problèmede la compétencede la Cour. J'avais examine le probleme général

de l'acceptation ou du refus éventuel de la Cour de répondre a la demande
d'avis et j'avais annoncé un second problèmespéc~jlque de comperencede !a
Cour en matièred'interprétationdes quesrionsqui lui sontposées.
Je serai relativement bref sur ce probleme puisque aussi bien nous allons le
retrouver dans lesexplications que j'aurai l'honneur de présentera la Cour tout
au long de l'exposésur la recevabilitéde la requêted'avis. Cependant. il est
certaines questions spécifiques que l'on doit aborder et que la Cour.
normalement. se pose a l'occasion de l'interprétationqu'elle doit faire de la
demande qui lui est adressée.
On se trouve la dans un domaine juridique trèscirconscrit car, semble-t-il,
deux principes se dégagentde l'examen de votrejurisprudence : les questions.
d'une part, doivent avoir été rédigée dsans des termes préciset. d'autre part.
l'interprétationqui doit évidemment étre menée parlaCour ne doit pas aboutir
a la formulation de nouvelles questions.
Tout d'abord, les questions doivent avoir étérédigéesdans des termes
precis :cela résulte duparagraphe second de l'article65 du statut qui déclare :

<(Les questions sur lesquelles l'avisconsultatif de la Cour est demandé
sont exposées a la Cour par une requête écrite qui formule, en termes
précis.la question sur laquelleI'avisde la Cour est demandé. H

Dans plusieurs avis. la Cour a dû déterminer le sens et la portée des
questions poséeset. pour autant, l'interprétationque la Cour a faite a toujours
étémenéedans de sages fimitesen ce sens que cette interprétation porte sur les
questions elles-mémes ; elle n'aboutit pas a modifier ces questions. La Cour a
éclairé, précislée sens des questions posées, celan'est pas douteux, et c'était
bien son devoir. Cela est logique car elle doit respecter lechoix de l'Assemblée

généraledans ses questions et. de ce faitla Cour doit s'efforcer d'en définir le
sens exact. de peser le sens des mots, mais, pour autant. et c'estla seconde idée
qui semble guider votre jurisprudence. l'interprétation ne doit tout de même
pas aboutir a formuler de nouvelles questions comme tend a l'obtenir de vous
le Gouvernement espagnol dans l'affaire présente.
II faut noter que ce n'est pas la première fois que la Cour internationale de
Justice se trouve ainsi sollicitéepar un Etat qui n'apprécie pas questions que
l'Assembléegénéraleou que le Conseil de sécuritélui a posées.de la voir en
soulever elle-même.de sa propre autorité. ou plutot a l'instigation de I'Etat
intéressé d'examinerde nouvelles questions. Qu'il me soit permis de rappeler
que, dans~l'avissur la Nuiiribi~,,ce type de question vous a été posé par le
Gouvernement de l'Afrique du Sud. Je souhaiterais. a cet égard, citer la
réponse que faisait l'un d'entre vous dans son opinion individuelle, car elle
exprime fort bien tout ce processus du raisonnement de la Cour face aux
questions qui lui sont posées : EXPOSÉ ORAL DE SI. DUPUY 14 1

« Vu les termes de la requêtepour avis. la demande de l'Afriquedu Sud
est-elleou non trl~ravires ? La requêtepart d'un fait - la résolution276
(1970) du Conseil de sécurité - et invite la Cour a donner un avis sur les
conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de
l'Afrique du Sud en Namibie, nonobstant ladite résolution. La demande
de l'Afriquedu Sud a pour but que la Cour admette des moyens de preuve

sur rrnauire,fuit.ou uneartfrequestion. cellede savoir si l'Afriquedu Sud
a failli ou non à son obligation de promouvoir le bien-êtrenioral et
matériel duSud-Ouest africain.
Admettre la demande de l'Afrique du Sud serait donc. semble-t-il.
changer I'objt.~mémede la requêtepour avis :ce serait prier la Cour de
donner un avis sur un sujet tout a fait dqferenr de celui qu'a sollicité le
Conseil de sécurité: en d'autres termes. ce serait admettre quelque chose
comme une demande reconventionnelle d'avisou avis reconventionnel. D
(C.I.JRecueil 1971. p. 177-178.)

Cette analyse. si brillamment libellée, se fonde sur un comportement
constant de la haute juridiction internationale qui siège ence palais.
Dans son avis sur l'lnierpr$i~iiorzde f'accordgréco-bulgaredu 9 décembre
1927. votre devancière. la Cour permanente de Justice internationale. a

déclaré :
((Aux termes de l'article 14 du Pacte. le droit de soumettre une
question a la Cour a fin cl'avisconsultatif est exclusivement rkservé 'a
l'Assemblée etau Conseil de la Sociétédes Nations. La Cour est donc
tenue par les termes des questions telles qu'ellesont étéformulées parle

Conseil dans l'espèce.» (C.P.J.1.sérieAlB n045. p. 87.)

Nous nous trouvons dans le cas actuel dans une situation identirlue. Le
Gouvernement espagnol n'a pas le pouvoir de soumettre a la Cour. comme il
parait y prétendre, une question préliminaire nouvelle.une question recbn-
ventionnelle aux fins d'avisconsultatif.
Que la Cour. nous l'avons vu. dispose d'uncertain pouvoir discrétionnaire
pour accepter ou refuser de répondre aux questions, cela relève d'analyses
assez nuancéesque nous avons évoquées hier.mais de toute façon. elle la dit
elle-meme, elle ne peut se poser d'autres questions. Elle n'apas un pouvtiir, une
compétencede substitution a l'égarddes questions et elle n'ajamais prétendu
en avoir un. L'Assembléegénérale a d'ailleurs bien préciséque les questions
qu'elle posaitappelaient des réponses qui lui seraient utiles.
A cet égard.nous sommes bien dans le sillaged'une longuejurisprudence de

la Cour, de sa devancière. et de la Cour présentequi. dans son dernier avis.
celui sur laNailribie,a déclareau paragraphe 41 :(<Lorsqu'elleexamiiie cette
possibilité,la Cour ne doit pas perdre de vue qu'<en principe la réponsea une
demande d'avis ne doit pas êtrerefusée >>(C.I.J.Recueil 1971. p. 27) et l'avis
fait référence a un avis antérieur (C.I.J.Recueil 1951. p. 19). La Cour s'est
demande. eu égard asa pratique passée.si des raisons décisivesjustifieraient un
tel refus. ce qui fait écho a cette nécessitédes raisons décisivesque nous
analysions hier. Elle n'apu en découvriraucune. Elleestime au surpliis qu'en
répondant a la requete non seulement elle resterait <ifidèleaux exigences de
son caractère judiciaire >>(C.I.J.RpciieiI 1960. p. t53) .ais encore elle s'ac-
quitterait de ses fonctions d'ccorgane judiciaire principal des Nations Unies »
(article 92 de la Charte des Nations Unies).
tl nous scmble ainsi que nous avons fait le tour des problèmes qui sc posent142 SAHARA OCCIDENTAL

a la haute juridiction internationale au niveau de l'examen desa compétenceau
sens strict du terme.
Force nous est maintenant d'aborder la seconde série de problemes qui
précisémentsont posés par cette question reconventionnellesoulevée par le
Gouvernement espagnol et, selon laquelle, la Cour devrait se dessaisir du
dossier pour le motif que les questions qui lui sont poséespar l'Assemblée
généralesont absurdes et ne peuvent absolument pas ëtre de celles que l'on
pose a la Cour dans l'exercicede sa compétence consultative ;qu'aussi bien la
question ne se pose pas parce qu'elle a étérésolue déjàpar l'Assemblée
générale, sibien que la Cour, ayant reconnu que toute difficulté était régléper

l'Assembléegénérale elle-même, devraic tonclure que son intervention est
dépourvue d'utilité.
Voila la question préliminaire qui vous est posée par le Gouvernement
espagnol.
Je voudrais, avec la permission de la Cour. justifier la demande d'avis que
l'Assembléegénéralelui a adressée.
Compte tenu de l'importance quantitative etvolumineuse des démonstrations
que le Gouvernement espagnol a consacrées a cette question préliminaire, a
cette demande reconventionnelle. dans un mémoirespécifiquequi se présente
d'ailleurs comme l'exposé écrip troprement dit, compte tenu du nombre de
considérations les plus diverses et souvent contradictoires que ce gros
document comporte, le conseil du Gouvernement marocain est obligé de
donner a ce document toute l'attention nécessaire. Cela relèvede son devoir et,
dans ces conditions. ilsouhaiterait annoncer d'abord a laCour la démarchequi
sera la sienne et le plan de l'argumentation qu'il compte développer pour
justifier la demande d'avis.

Dresser un tel plan n'étaitpas facil;iln'etait pasquestion de reprendre page
par page la réfutation du volumineux document espagnol, car on y revient
constamment, la Cour s'en sera certainement aperçue, sur des questions
déjàvues ;il y a des retours en arrière, des anticipations. Je me suis efforcé
de dégagerles lignes principales de ce document et donc de cette argumen-
tation.
Pour justifier la demande d'avis adresséepar l'Assembléegénérale alaCour.
je voudrais démontrer essentiellement deux points :le premier c'est que l'avis
est un prealabfe au règlement de la question du Sahara occidental par
l'Assembléegénérale.Le second point est le suivant :l'avisn'altère pasle libre
choix de l'Assembléegénéralequant au processus de décolonisation duSahara
occidental.

Premier point :l'avises!unpréalable au règlementde la question duS~h~ru
occidentalpar l'Assemblée générale.
Cela est très important. Le Gouvernement espagnol voudrait nous faire
croire que c'est la question qu'il soulève qui constitue un préalable. Nous
estimons qhe les questions qui sont posées a la Cour constituent le seul et

unique préalable etque tous les autres problemes auxquels on peut penser ne
peuvent etre examinés.comme l'Assembléegénéralel'a parfaitement ressenti,
qu'aprèsque réponseaura étédonnée a ces deux questions.
Pour démontrer ce point. nous voudrions réfuterles développementsque le
Gouvernement espagnol a consacres soit a l'objetde la requéted'avis, soit a la
portéede la requêted'avis.
Nous allons nous efforcer de démontrer tout d'abord quel est le véritable EXPOSÉ ORAL DE M. DUPUY 143

objet de la requête et nous verrons que, contrairement aux analyses
espagnoles, I'avis n'a paspour objet de résoudreun contentieux d'attribution
territoriale. En second lieu, nous analyserons la portéede I'avisattendu et nous
montrerons que I'avis a pour effet d'éclairerl'Assembléegénéralesur une
question juridique pendante.
Abordons tout de suite lepremier point :l'avisest un préalableau règlement
de la question du Sahara occidental par l'Assembléegénérale.C'est dans ce
premier point que nous allons consacrer des développements successifs. d'une
part,a I'objet.d'autre part. a la portéede I'avis.
Les analyses précédentessur le problème de la compétence strictosensu ont

déjàdémontreque I'avisconsultatif demandésur leSahara occidental constitue
une contribution de la Cour au fonctionnement des Nations Unies. Des lors.
I'avisapparaîtcomme un préalableaux travaux de I'i\ssembléegénéralepour
la décolonisation du territoireconcerné,cela ressort d'ailleurs directement tant
de la lettre que de l'esprit de la résolution3292 (XXIX) qui a bien indiquéque
cet avis lui paraissait « hautenient souhaitable » pour poursuivre. dit-elle,
l'examen de cette question lors de sa trentième session.
Le Gouvernement espagnol s'estévertué.dans son expose écrit, a nier ce
caractère préalablede I'avisen tentant de lui donner une signification erronée.
Deux observations éclairentla signification exacte de I'avis. D'unepart. I'avis
demande sur le Sahara occidental n'a pas pour objet de résoudre un
contentieux d'attribution territoriale. C'est a tort que l'exposé écritspagnol
prétend(1.p. 193- 194)que l'ondemande a laCour un avis consultatif sur des
questions relatives a l'attribution de la souveraineté territoriale. L'avis de la
Cour n'aura pas du tout l'objet d'un acte attributif de souveraineté. non
seulement parce que les avis ne sont pas obligatoires. mais cela n'est pas
évidemment l'observation la pltis décisivedans ce domaine. mais c'est parce
qu'aussi. en s'en tenant a l'examen de l'objet des questions posées.il apparait

que les problèmes de souverainete dans le futur, apres ledépartde laPuissance
actuellement administrante. seront réglésa la suite des débatsde l'Assemblée
généraleet comme conséquence des résolutionsque l'Assembléegénéraleaura
adoptées.L'avis, par ailleurs, n'a pas pour objet une attribution et n'est donc
pas un acte attributif, c'esun acte déclaratifau domaine tres circonscrit. II a
pour objet de constater si a une certaine époque le Sahara occidental étaitune
terre sans maître et. dans la négative,sides liens juridiques existaient avec le
Royaume du Maroc et l'ensemble mauritanien. Des actes juridiques qui ont
valeur de constatation sont de nature simplement déclarative. Or cet acte
déclaratifdoit intervenir dans un domaine tres circonscrit.
Par ailleurs, I'avis consultatif a une fonction. celle d'eclairer l'Assemblée
généralesur une question juridique pendante, et cette question est limitée
historiquement a une certaine période. I'avis n'ayant pas a trancher un
problème généralde décolonisation. La résolution 3292 est d'ailleurs tres
précise acet égardlorsqu'elle déclare :«Constatont qu'une difficultéjuridique
a surgi au coursdes débatsau sujet du statut dudit territoire au moment de sa
colonisation par l'Espagne. >>
Nous pouvons donc. au bénéfice de cesobservations généralesr,eprendre les

deux points que nous avons annoncés.i savoir l'analyse de l'objetet l'analyse
de la portéede I'avisattendu.

En premier lieu, l'avisest bien un préalable. parcequ'il n'apas pouobjet de
résoudre un contentieux d'attribution territoriale. en ce sens que la Cour ne va144 SAHARA OCCIDENTAL

pas dire. comme par exemple dans une affaire du type des Mi~tquiers et
Ecrehous, tef Etat est souverain au Sahara occidental. II est évidentque si la
Cour devait réglerun litige territorial, l'avis ne serait plus un préalabte et on
comprend très bien que l'argumentation espagnole consiste précisémenta
essayer de démontrer que c'est le règlement d'un litige territorial qui vous est
soumis. L'exposéecrit espagnol croit pouvoir soutenir que le problème posé a
la Cour vient demander a celle-ci,en dernier ressort:

<<La solution d'un double conflit territorial, d'une part entre la
Puissance administrante et les entités mentionnéesdans la deuxième des
questions sur lesquelles on demande un avis consultatif, d'autre part entre
ces deux entités,si la Cour répond négativementa la première question. >>

II est difficile d'aller plus loin dans une interprétation systématiquement
déformantedu problème que l'Assembléegénérale aposé a la Cour. La Cour
internationale de Justice n'a pas, en l'espèce. a réglerelle-mêmele sort du
territoire, ceciveut dire deux choses. Tout d'abord, que l'avisn'apas pour objet
de répondre. de résoudre un contentieux d'attribution territoriale car il ne
touche pas a la souverainetéterritoriale actuelle. La Cour ne peut pas anticiper
sur la solution que l'Assembléegénérale proposerapour le règlement définitif
du sort du Sahara occidental et elle n'en aurait certainement pas l'intention,
étant entendu que de toute façon le problème de la survie de la souveraineté
territoriale de l'Espagne ne se pose pas, puisque ce pays a lui-même déclaré
renoncer a cette souverainetépour l'avenir. Le non-règlement par la Cour du
sort du territoire entraîne également une seconde conséquence. a savoir que
l'avis n'a pas pour objet de,résoudre un contentieux d'attribution territoriale

car il ne doit pas assurer un partage territorial, Le Gouvernement marocain
désireexpficiter cela. La Cour ne peut répartir entre'le Maroc et la Mauritanie
le territoire en question, parce que précisémentsi elle le faisait elle anticiperait
sur des décisionsa venir a l'Assembléegénérale,sur la suite des résolutions a
venir, résolutions dont on ne peut absolument pas prévoira quelles solutions
elles se rallieront.
Ainsi, il faut démontrer tout d'abord que l'avisn'a pas objet de résoudreun
contentieux d'attribution, car il ne touche pas a la souveraineté territoriale
actuelle sur le Sahara occidental. L'Espagne, a cet égard,s'efforcede déformer
le sens des questions. Elle déclareau paragraphe 270 de cet exposé écrit:« que
la première des questions contenues dans la résolution 3292 IXXIX) met
directement en question la validitéde la souveraineté territoriale de l'actuelle
Puissance adrninistrante. » (1, p. 173.) Le document espagnol ajoute au
paragraphe 272 que I'examen de la deuxième question aboutirait a me-
connaitre la souveraineté actuelle de cette puissance sur le Sahara occi-
dental. De mème, l'exposé ecritespagnol, s'en prenant toujours a la réso-
lution3292 (XXIX). se livre a une attaque contre l'Assembléegénérale.en lui

reprochant d'avoir poséa la Cour des questions de caractère historique ;on lit
au paragraphe 293 :
<<ce retour dans le temps ne peut ignorer la situation territorialactuelle.
car celle-ci revêt.de l'avis du Gouvernement espagnol, un caractère
préalableet conditionnant en ce qui concerne l'examen par la Cour des
questions posées. )(1,p. 182.)

Nous devons observer que l'objetde l'avis ne répond absolument pas aces
analyses. 11 est de donner a l'Assemblée générale desinformations qui
permettront de déterminer la situation future de ce territoire. comme elle
l'entendra. Or, de ce point de vue. le raisonnement espagnol doit étre EXPOSE ORAL DE M. DUPUY 145

absolument inversé.La situation territoriale future ne peut etre déterminéeque
par un retour dans le passé,qui a valeur de préalable. parcequ'il doitpermettre
de savoir quels sont véritablement les Etats concernés. II a pour objet de
vérifier sile Maroc et la Mauritanie sont vraiment des Etals concernéscomme
le dit la résolution 3292 (XXIX). et de déterminer ce que cela veut dire, de
donner un contenu a cette notion d'«Etats concernés ))qui, si elle est vérifiée,
résulterait du fait qu'il y a eu des liens juridiques entre eux et le Sahara
occidental. Voila l'information que la Cour doit donner a l'Assembléegénérale
et dont celle-ci fera ce qu'elle croira devoir faire sur un autre plan. Or, deux

points se dégagent a l'évidencede la requêtepour avis consultatif. C'est que,
d'une part, I'avisn'aaucunement pour but de remettre en cause la souveraineté
actuelle de l'Espagne. II n'a absi>lüment pas a rechercher quel est le souverain
actuel sur le Sahara occidental. Cette question ne présenteaucun intérêt. Et
d'autre part. et par conséquent.il n'ya pas a appliquer lesprincipes dégagés par
la jurisprudence internationale en ce qui concerne le règlement des litiges
territoriaux et, notamment, il n'y a pas dans cette affaire àdégagerla notion.de
la date critique. Iln effet, la date critique cristallise le différeàd propos de
l'attribution de la souverainete sur un territoire. Or, nous l'avons vu, I'avin'a
nullement pour objet l'attribution par lui-mime de la souveraineté sur le
Sahara occidental. Noirs voudrions reprendre les deux affirmations que nous
venons de faire.
Tout d'abord, je rappelle que I'avis ne remet pas en cause la situation de

l'Espagne et de sa souveraineté actuelle sur le Sahara occidental. La première
objection espagnole est la suivante : le Gouvernement espagnol tend a nous
faire croire que I'avisporte sur un conflit territoriaa,savoir le statut actuel du
Sahara occidental. et dés lors la Cour. telle est la conséquence de ce rai-
sonnement, devrait tenir compte de l'ensemble du processus historique qui a
conduit a l'établissementde Iiisouveraineté espagnole ; .elLedevrait tenir
compte de la consolidation destitres espagnols. alors qu'en limitant au débutde
lacolonisation son examen laCour méconnaîtraitle principe d'égalité entre les
parties. Voici L'argumentationespagnole.
La vraie réponse a tous ces développements est extrêmementsimple. Elle
consiste a souligner avec force que personne n'ajamais poséde tels problemes B
la Cour. C'est par pure imagination qu'on peut soutenir le contraire. Du même
coup, on s'aperçoit que leproblème n'estpas un litigeterritorial entre l'Espagne
et les autres Etats concernés. La seule question qui se pose concerne, de notre
point de vue, lepoint de savoir si le Maroc, je laisseau conseil de la Mauritanie
lesoin d'expliquer son point de vue en ce qui concerne l'ensemblemauritanien,

mais n'anticipant absolument pas sur ses propres observations, nous limitant
au cas du Maroc. le seul problème qui se pose est de savoir si le Maroc était
souverain au Sahara occidental au moment de la colonisation espagnole : et
les conséquences qui seront a tirer des réponses que la Cour donnera a ces
questions le seront par I'Assenibléegénérale.Les réponses de la Cour n'in-
téressentque le Sahara occidental lui-méme.Elles n'intéressentque les Etats
concernés qui peuvent êtreamenés a jouer un role dans son processus de déco-
lonisation. rôle que la Cour n'a d'ailleurspas à déterminerelle-méme.nous ne
le répéteronsjaniais assez, puisque ce role sera fixépar l'Assemblée. Mais
puisque ce ne sont pas des problemes actuels, mais des problemes situis dans le
temps qui se posent à la Cour. celle-ci est donc amenée a examiner un
ensemble de faits circonscrits a l'intérieur de cette période historique qui
constitue le moment de la colonisation car. nous allons le voir, le moment n'est
pas un instant. le moment c'es1une période. d'oc la deuxieme objection
espagnole a la recevabilitéde la requéte.146 SAHARA OCCIDENTAL

Le libellé de la première question est interprété par le Gouvernement
espagnol comme nous ramenant dans un cas de litige territorial, par appel ala
notion de terra nullius. Nous précisons bien que nous n'étudions pasen ce
moment la question de fond, a savoir si le Sahara occidental étaitou non une
terra nulliusau moment de sa colonisation. Ce n'est pasdu tout lepoint de vue
auquel nous nous situons en ce moment.
Nous mettons pour l'instant simplement en lumière l'argumentation
espagnole selon laquelle le recours a la notion deterra nullius par les questions
qui nous sont poséesnous mettrait dans la situation d'un litige territorial. Ce
serait une preuve. aux yeux de t'Espagne. de l'existence d'unvéritablelitige
territorial actuel du type Minquierset Ecrehous.
On peut tout d'abord se poser la question de savoir s'il n'ya pas ici une
tactique espagnole. en ce sens qu'il existe effetune contradiction apparente.
puisque a l'Assembléegénéraleet a la Cour, lors des précedents débats, le
Gouvernement espagnol a dit n'avoir jamais considéréle Sahara occidental

comme une {erra nullius. alors qu'il résultepourtant des huit volumes qu'il a
déposesdevant la Cour qu'ils'agitbien d'uneferm nullius, selon lui, puisque la
notion de [erra nullius. dans la conception du Gouvernement espagnol repose
sur un syllogisme.
Premièrement. une terra nuIlius, c'est, dans cette analyse espagnole, une
terre sans souveraineté étatique. Deuxièmement. le sud du Maroc. et pas
seulement le Sahara occidental, dans cette meme analyse. est une terre hors
souveraineté du Sultan. Donc. troisièmement. conclusion du syllogisme. le
Sahara occidental est une ierra nullius.
Une autre contradiction résulteaussi du fait qu'Ala page 11 (1)de l'expose
que nous critiquons. il est rappeléqu'en l'affairedesMinquiers etEcre'housles
deux Parties avaient exclu l'appel a la théoriede la lerra nullius. C'est exact.
mais cela n'empêche pas le Gouvernement espagnol d'écrire ala fin du même
paragraphe que la question posée a la Cour ar<Lemème objet que celui précisé
par le Royaume-Uni et la République françaisedans lecompromis de 1950 sur
l'affairede la souverainetéterritoriale sur les Minquiers et Ecrého)*.
II semble bien, a cet kgard. que lorsqu'on veut tout utiliser parmi des
arguments concevables et que l'on veut tout prouver. on en arrive parfois à
dire le contraire de ce qul'onavait écritquelques lignes plus haut.
L'avis netouche pas la souverainetéterritoriale et, par la même,il n'y a pas
lieu d'appliquer les principes. les méthodes de la Cour utilisésdans de tels

litiges, et notamment la date critique. cette date cristallisant le différena
propos de l'attribution de la souverainetésur les territoires. C'est le deuxième
point qui va maintenant nousxetenir un instant.
Le problèmede la date critique est directement liéaux problèmesconcernant
l'attribution de la souveraineté territoriale. Conscient de cette liaison, le
Gouvernement espagnol, tres habilement. tente une manŒuvre - qu'on ne
prenne pas ce mot dans un sens péjoratif,mais dans le sens qu'il a dans les
combats militaires aussi bien que dans les combats judiciaires - visant a
détourner l'avis de ses limites historiques précises,pour montrer qu'il s'agit
d'un litige territorial actuel.
II apparaît dès lors nécessaireau Gouvernement marocain de montrer les
différencesfondamentales existant du point de vue de la datecritique entre des
arr-s tranchant un litige territorial et un avis consultatif a venir sur le Sahara
occidental. De cette confrontation, il ressort que la notion de date critique,
inadaptée a un avis de ce type. ne touchant pas la souveraineté actuelle de
l'Espagne sur le Sahara, doit êtreremplacéepar la notion de période critique.
Ainsi vais-je analyser deux points :d'une part la différenceentre les deux EXPOSE ORAL DE LI. DUPUY 147

voies de droit et, d'autre part. la nation de date critique elle-mêmedans son
inadéquation a I'affaireprésente.
Tout d'abord, les différencesfondamentales concernant la date critique et
l'utilisation de cette notion entre les arrêts touchantun litige territorial et
sur le Sahara occidental nous parait assez aisément démontrable.

Le mémoire duGouvernement espagnol a expliqué que l'avis de la Cour
aurait des conséquences a l'égardde la souveraineté de l'Espagne sur le
territoire concerne à I'heure actuelle :je lis au paragraphe 29:
<<la formulation d'un probleme d'attribution de la souverainetéterritoriale
en tant que question historique et non pas entantque question actuelle est
un fait inouï [c'estécrit!]dans lecadrede la pratiquedes Etats relative aux
conflits de souveraineté territorial»(1,p. 184).

Sic'étaitvraiment un conflit territorial, je ne crois pas que ce serait tellement
inouï. mais comnie de toute façon ce n'en estpas un, nous n'avons pas lieude
pousser des exclamations a ce sujet.
L'objection fondamentale qu'il faut faire à l'analyse du Gouvernement
espagnol est que, précisément,ce n'est pas un conflit actuel, sur le plan
territorial, qui est confael'examen de la Cour. Il y a une question juridique
pendante entre l'Espagne et le Maroc sur un problémeparticulier dont la Cour
a étésaisie. Ce problème est un élément d'un problemeplus vaste et global.
Nous nous en sommes déjà expliqués; le probleme global devant être
examine par l'Assemblée.Si bien que dans un véritable différendterritorial, le
travail, la fonction, le raisonnement de la Cour consiste a faire la somme de
tous les élémentsde fait. de droit, de tous les titresjuridiques.
Comme nous l'avons vu dans l'affaire des Minqlriers efEcréhous,la Cour,
après avoir fixé une date critique, a tout de mème acceptéd'examiner des
points qui se sont produits après cette date critique car, dans un vrai litige
territorial, la Cour fait la somme de tous les élémentsde la cause pour pouvoir

parvenir a trancher le litige.
Dans l'affaire qui nous intéresse, aucontraire. l'Assembléegénéralelui a
soumis un problème bien déterminé,circonscrit dans une période déterminée.
Elle s'est,d'autre part. résera elle, Assembléegénéralel.esoin d'examiner les
autres éléments dela cause. en vue d'aboutir a la solution politique qu'elle
croira devoir retenir.
C'est ici que nous apercevons combien la notion de période critique répond
beaucoup mieux que celle de date critique au contexte historique du moment
de la colonisation espagnole. 1-eGouvernement espagnol s'évertue a utiliser
la notion de date critique, tout en contestant I'expression utiliséepar la réso-
lution 3292 (XXIX) de « moment de la colonisation espagnole )ret cette
démarche lui est dictée par le dessein d'aboutir a une fin .précise.qui est
d'amener la Cour a ne pas se limiter à la période historique explicitement
formulée par l'Assembléegénérale,et a examiner la situation actuelle pour
consacrer la validitédes titres espagnols présentsau Sahara occidental. sur la
base notamment de leur consolidation.
II semble que cela ferait plaisir au Gouvernement espagnol que la Cour
reconnaisse qu'il est souverain. en vertu de la consolidation de ses titres.Je
conçois parfaitement qu'il est des satisfactions qu'on aimerait éprouver ! Mais
ce n'estpas l'heure ni te lide les solliciteCe n'estpas le rôle qui est attendu
de la Cour. Ce n'estpas le rôle qui est attendu de la Cour par celui qui l'asaisie,
et celui qui Sa saisie est un organe des Nations Unies. L'Assembléegénéralen'a
pas saisi la Cour pour qu'elle décerne des satisJecii rrelevants et sans
corrélation avec les problèmes que l'Assembléegénéralelui pose. problèmes148 SAHARA OCCIDENTAL

qui commandent auxyeux de cette Assemblée lasuite de l'examen par elle de
la question.
Pour le Gouvernement marocain, comme il l'adit dans son exposé écrit.la

recherche de la date critique, courante et normale dans les procèsportant sur
l'attribution de territoires, n'apasretenir icil'attention de la Cour.comme elle
l'a fait dans certaines des grandes affaires qu'elle a jugéesau contentieux.
En ce qui concerne le Sahara occidental. la Cour n'a pas a procéder a un
règlement territorial imposant de sa part des délimitations, soit a l'extérieur.
soita l'intérieurdu territoire. Donc. tout te problème deladate critique n'apas
a êtreévoqué.premièrement, compte tenu du rôle que l'Assembléegénérale a
priéla Cour de bien vouloir assumer. en la situant a un moment déterminé
dans le passéet, deuxièmement, parce que les données dela question portée
devant la Cour ne permettent pas de dégagerune date critique.
Cela tient. d'une part, aux caractères de la présence espagnole au Sahara
occidental et. d'autre part. au comportement du Royaume et du peuple
marocains.
C'est en raison de la dilution de ces faits, comportement espagnol.
comportement marocain, qui sont des faits dans une période - et dans une
longue période - qu'il n'est pas possiblede fixer une date par rapport a
laquelle on raisonnerait en termes de (<avant » et « après».

En ce qui concerne laprésence espagnoleau Sahara occidental, nous savons,
et nous ne développerons absolument pas ce point ici, au niveau de la
recevabilité. qu'ellea pendant très longtemps été ponctuelle.
Ce n'est qu'a une époque relativement récente qu'elle a pu s'étendreau
territoire dans son entier. Quant au Maroc, on doit considérer I'Etat. d'une
part. et le peuple marocain, d'autre part.
En ce qui concerne I'Etat.sa souverainetésur le Sahara occidental entre en
hibernation en 19 12 avec l'instauration du protectorat qui consacre son
démembrement. Pendant toute sa période du protectorat. le Gouvernement
marocain sera dans l'impossibilitéd'exprimer lui-mémeles protestations qu'il
avait lui-même formulées constamment. avant cette date, a l'égard des
tentatives d'installation espagnoles au Sahara occidental. Certes la Puissance
protectrice défendra sa souverainetéen général. maiselle ne pourra le faire au
Sahara. étant empêchéeparle traitéde 1904 dans ses rapports bilatéraux avec
l'Espagne.
En ce qui concerne le peuple marocain, en revanche. la mise en hibernation
de la souveraineté de 1'Etat ne I'a pas empkhé de manifester son refus
d'accepter la présence espagnoleau Sahara occidental. Sa résistance a constitué
une protestation permanente et, lorsque l'Espagne a établi, en 1912. sa

présenceau Maroc sur de nouvelles bases. le peuple a pris la relèvede I'Etat.
Comme le constatait le général Lyauteylui-même,dans une lettre du
21août 19 12. où il déclarai:
« La situation prend un caractére générap llus sérieux,car l'entente
entre El Hiba [le filsde Ma el Aïnin qui venait donc du Sahara occidental]
et le Zaiani [qui se trouve au centre du Maroc] est un fait accompli et ce
dernier est égalementen accord complet avec Sidi Rao ...de sorteque sur
tout notre front il y a maintenant une unitéréalisée et la coordination des
efforts auxquels il faudra parer sur tous les points.))(Texreset letrres de
Lyautey, t. 1.p. 28.)

Qu'on nous excuse d'avoir citece texte, nous n'entamons pas le fond. mais
nous montrons simplement ce que signifie cette notion de période.
Ainsi. grâce a l'action continue de résistance du peuple marocain groupé EXPOS~ ORAL DE M. DUPUY 149

autour de ses chefs, la souveraineté marocaine n'ajamais vraiment cédé.On
pourrait peut-être,a ce niveau. se reporter a une analyse de M. Mohammed
Bedjaoui qui, dans son livre sur La révolutionalgérienne etle droi,a exposé
que « lecaractèrejuridique fondamental et incontestéde l'occupation de guerre
résidedans le fait que celle-ciest impropre a faire disparaître la souverainetédu
pays occupé» (p.39).
Cette idéede la survie d'une souverainetéqui n'estpas exercéepar i Etat en
raison de la situation coloniale dans laquelle il se trouve, mais qui se perpétue
dans cette hibernation. est parfaitement valable lorsqu'il s'agittout spéciale-
ment d'un protectorat. car, ne l'oublions pas, le protectorat ne mettait pas fin à
l'existencethéorique,de principe, de 1'Etatprotégé.
Enfin, le Gouvernement espagnol est parfaitement conscient de cette
situation.II va. des lors, tenter de rejeter la référencepourtant explicite, au
moment de sa colonisation afin de se voir reconnaitre une consolidation
couvrant les vices originels de ses titres. Et, comme nous allons le démontrer,

cette manŒuvre tend de nouveau a déformer la demande d'avis et a la faire
interféreravec le problème de la souverainetéespagnole actuelle non soumis a
la Cour.
Encore convient-il de souligner que. lorsque nous évoquons la suspension
de l'exercicede la souveraineté par le Sultan, cette suspension étaitle résultat
du traité de protectorat ; en revanche nous devons préciser qu'il était
juridiquement irrégulierpour l'Espagnedeprétendrea un protectorat espagnol
qui n'existait pasau niveau du droit international de l'époque.En effet. le traité
de Fèsdu 30 mars 1912est expressément qualifiepar lui-mêmede traitépour
l'organisation du protectorat français dans l'Empire chérifien. L'Espagne ne
s'est vue reconnaître que deux zones d'influence qui furent définiespar la
convention Franco-espagnole du 23 novembre 1912, c'est-à-dire que sa pré-
sence sur le territoire marocain est la conséquence d'un accordqui ne creait
pas un nouveau protectorat. Iln'y avait en réalitéqu'un seul protectorat au
Maroc, l'Espagne ne pouvait prétendre a la qualitéd'Etat protecteur dès lors
qu'elle tirait ses compétences d'un traité conclu avec unautre Etat que 1'Etat
protégé.
Cette analyse juridique irréfutable a été faite, des1913, par un homme qui
devait tenir dans cette Courune place eminente. le professeur Jules Büsdevant.

dans un article publiéen langue allemande («Die Entwicklung der Marokko
Frage ».Jahrbuch des Vdkerrczchts. 1913, p. 742-8021, Nous la retrouvons
exprimée dans le récent ouvrage du professeur Charles Rousseau (Droit
in~ernarionalpublic,t. 11,1974. p. 295).
II est d'ailleurs remarquable que le Gouvernement espagnol, en dépit des
dénégationsque l'Espagne a toujours opposées à l'analyse du professeur
Basdevant, l'ait finalement ratifiéelors de l'accession du Maroc a I'indépen-
dance. En effet, une déclarationcommune hispano-marocaine du 7 avril 1956
est venue reconnaître que la convention franco-espagnole du 27 novem-
bre 1912 ne pouvait plus régir à l'avenir les relations entre l'Espagne et le
Maroc. Etant donne que cette déclaration commune est intervenue a une
date. le 7 avril, antérieure ii l'accord diplomatique franco-marocain du
26 mai 1956 mettant fin au protectorat. on doit en conclure que l'Espagne a
admis la survie de la souveraineté marocaine en dépitdu régime établipar le
traite deFès du 30 mars 191 2,lequel n'avait pas encore pris formellement fin
au moment de cette déclarationdu 7 avril.
L'Espagne. en définitive, ne veut pas que l'onmette en question sa
souveraineté présente mais elle souhaiterait qu'on en tienne compte pour

consacrer la valeur de ses titres juridiques, ce qui ne relève absolument pas.150 SAHARA OCCIDENTAL

répétons-le.du probléme que nous examinons. que la Cour a a examiner.
L'Espagne se voudrait possesseur immémorial au Sahara et voudrait se

l'entendre dire ici. Sachant bien qu'elle ne saurait nourrir de telles espérances.
elle prétend alors que les questions qui vous ont étéposées privilégientle
Maroc ou la Mauritanie. Mais il faut bien reconnaitre que ces questions
admettent simplement que L'Espagnen'apas toujours étésouveraineau Sahara
occidental. Dèslors que les questions poséesa la Cour ne concernent que les
droits du Maroc antérieurement et au cours du lent établissement de la
présence espagnole sur le Sahara occidental, il n'y a pas lieu a étudier la
consolidation des droits de ['Espagne sauf. comme nous l'avons fait dans le
mémoire marocain. pour montrer que cette présence a été longtemps précaire.
a étélente as'établir.
Pour nous résumer. il n'y a pasune véritabledate critique a rechercher dans
cette affaire. 11s'agitutôt d'une périodecritique. marquée par des tentatives
de. pénétration espagnolesuscitant une protestation permanente de I'Etat
marocain jusqu'en 1912. Protestation que la résistancedu peuple marocain.
entamée bien avant le protectorat, continuera de formuler durant celui-ci
jusqu'au moment ou l'indépendance revenue,en 1956,l'Etat reprendra. par la
voix de son souverain. la revendication d'une souveraineté au Sahara
occidental que le démantèlementde I'uniléet de l'intégritédu Maroc n'aura
jamais pu éteindre.
Le Gouvernement espagnol est donc. une fois de plus. au cŒur d'une
contradiction. D'une part. il voudrait que la Cour, écartant la notion de
<<moment de la colonisation espagnole »,reconnaisse les droits actuels et la
souveraineté de l'Espagne alors que, d'autre part. si l'on fait, comme il le
demande, appel au droit international nouveau fondé notamment sur la
1514 (XV). l'Espagne devrait avoir déjà assuré pleinement et
résolution
authentiquement la décolonisationde ses territoires.
IIs'agiraitde savoir ce que veut exactement leGouvernement espagnol. IIdit
renoncer à la souverainetéet. dans ce cas. s'ily renonce, il ne saurait redouter
que la reponse de la Cour aux questions affecte des droits qu'il répudieIui-
même.
Par ailleurs. le Gouvernement espagnol est égalemerrimal fondéa soutenir
que l'avis camoufle un contentieux d'attribution territoriale. cet avis n'ayant
pas pour objet d'opérer unpartage territorial. Ce dernier point appelle peu de
commentaires.
L'exposéespagnol soutient que le langage employé par les résolutions de
l'Assembléegénéralene permet pas d'envisager un partage d'un territoire entre
les Etats demandeurs. Et ien conclut que la demande d'avis qui supposerait.
selon lui, un tel partage. serait en contradiction avec les résolutions.Mais il est
bien évidentqu'il n'ajamais été questionde solliciter de la Cour qu'elleselivre
a un tel partage.En réalitéla résolution3292 (XXIX) ne confie pasa la Cour
une telle tâche. Le langage employépar l'Assembléegénéralemontreson souci
de ne pas préjuger le statut définitifdu Sahara occidental. Tout spécialement
cette demande ne veut ni confier ala Cour le soin de répartirle territoire entre
lesdeux Etatsconcernés en cas de réponseallirmative a la seconde question. ni
anticiper sur les modalitésqui détermineront la décolonisationdu territoire.
Au surplus. il faut rappeler qu'il n'estpas demandala Cour une attribution
de zones entre les Etats concernes. mais simplement. ese plaçant en la période
historique antérieure a la colonisation, de déterminer si des liens existaient
entre ces Etats et le territoire. C'est donc sans fondement que toute allusion a
un partage par zones peut étreformuléepar le Gouvernement espagnol.

La Cour est saisie d'une requêtedont nous espérons avoir démontré le EXPOS~ ORAL DE M. DUPUY 151

véritableobjet. L'objet de cette requêten'est absolument pas de resoudre un
conflit territorial. II -stet ayant démontre ce qu'il n'estpas, nous devons

maintenant. dans un second temps de notre démarche, démontrer ce qu'il est
- il est seukement,pour la Cour, l'occasiond'éclairerl'Assembléegénéralesur
une question juridique pendante.

L'audience, suspendue à II h 15, estreprise a 11 h 45

Ayant eu le grand honneur ce matin de développer devant la Cour des
analyses qui concernaient l'objet de la demande d'avis et, par la même,l'avis
lui-même,je voudrais qu'ilme soit permis, maintenant, d'aborder lesecond des
points que javais annonces dans cet examen généralqui concerne la valeur
véritable de I'avis attendu. Selon le Gouvernement marocain. I'avis est un
préalableau règlement de la question du Sahara occidental par l'Assemblée
générale.Cette aiErmation se trouve vérifiéetout d'abord, et c'esce que nous
avons vu dans la séance precédente,par l'objetde I'aviset, d'autre part. et c'est
ceque, avec la permission de la Cour, nous allons montrer maintenant, par la
portéede I'avis. Lecaractère préalablede I'avisrésulteégalement dufait qu'il
contribue a éclairer I'Assemblkegénéralesur une question d'ordre juridique

pendante.
Je voudrais, très rapidement, cette fois encore, évoquer la démarcheque je
vais suivre, avant mêmed'aborder le point lui-même. afind'aider la Cour a
suivre plus confortablement mes développements.Pour l'empêcher d'assumer
sa mission. le Gouvernement espagnol présente a la Cour deux types
d'arguments que nous avons dégagésde l'ensemble des écritsqu'il a déposés.
Deux sériesd'arguments espagnols : les uns tiennent aux comportements des
parties concernées. qui sont analysés par ces textes espagnols dans des
conditionsqui nous paraissent inadmissibles, et tes autres sont fondéssur l'idée
que le problémeposépar la décolonisation adéjaététranchépar l'Assemblée
généraleC . e sont ces deux sériesd'arguments du Gouvernement espagnol que
nous allons nous efforcer de réfuter.

1. J'aborde donc le point central de notre présentexposé,dans sa seconde
phase. L'aviscontribuera,tellees1sa portée,à éclairerl'Assembleegénérale sur
une questionjuridique pendante.
Le Gouvernement espagnol croit pouvoir tirer un argument du fait que
depuis 1966. comme il le rappelle, le Maroc a votéen faveur des résolutions
qui prescrivent a l'Espagne de procéderala décolonisation,pour prétendreque
ce probleme est donc désormaisrésolu.Le plus extraordinaire encore est qu'il
prétende opposer a l'attitude du Maroc ce qu'il ne craint pas d'appeler :
<<l'attitude positive de l'Espagne vis-à-vis de la décolonisation du Sahara
occidental d'aprèsles recommandations des Nations Unies ».On peut mesurer
comment cette attitude espagnole peut étrequalifiéede positive en rappelant
que, depuis neuf ans. ce gouvernement a tout fait pour eviter de procéder a
cette décolonisation et n'a attaché aucune valeur aux résolutions de
l'Assembléegénéralequi l'yinvitaient expressémentet de façon pressante.
L'exposéécritque nous examinons soutient aussi que la demande d'avis

n'est susceptible « de servir de guide pour que les Nations Unies puissent
résoudre définitivement un probleme qu'elles ont déja résolu ». Comment le
Gouvernement espagnol peut-il soutenir que l'Assembléegénérale akjarésolu
ce problème, alors qu'elle a précisémentdemandéa la Cour son avis dans une152 SAHARA OCCIDENTAL

résolutionqui déclare explicitementque cet avis l'aideraa résoudreleprobleme
qu'elleexamine. ILest évidentque.tout au long de la lecture de cet expose. on a
le sentiment qu'il y a une chose que le Gouvernement espagnol regrette
profondément.c'estque l'Assembléegénérale aitdemandéun avis a laCour. II

semble, en effet, qu'il le regrette et qu'ils'ingéniealors, par tous les moyens.
expliquer que c'estle Maroc, que c'estla Mauritanie quiont saisi laCour. Mais
la Cour ne siègeici qu'en vertu de la résolution 3292 (XXIX) dans l'affaire
présente et l'attitude que nous critiquons nous parait particulièrement
choquante, alors que c'est précisémenten vertu de cette résolution que les
exposésécritsont étéadressésa la Cour, que la procédure orale a laquelle nous
participons. en ce moment même. aétéengagée.Pour inciter la Cour a se
déclarer incompétente, le Gouvernement espagnol invoque plusieurs argu-
ments. essentiellement deux sériesde considérations.Tantôt, il s'en prend au
comportement des parties concernéeset oppose lecomportement de l'Espagne
a celui du Maroc. Tantôt, sur un second plan. il se livre a l'affirmation selon
laquelle le problème posépar la décolonisation adéjàététranchéet, dans ces
conditions, rend inutile votre examen. Examinons ces deux points.
Premier point, le Gouvernement espagnol cherche a bloquer. devant la

Cour, une demande d'avis dont il n'a pas pu empêcher l'adoption par
l'Assembléegénérale. II ne craint pas. pour ce faire. de contester la valeur de la
résolution 3292 (XXIX), comme si l'Assembléegénérale n'avait pluseu la
compétence,en raison desprécédentes résolutions adoptéepsar elle.de prendre
celle qui vous saisit. L'ensemble de ces analyses du Gouvernement espagnol
fait apparaître le recours a diverses théories.
Tout d'abord. a une tl-téoriecontractuelle. C'est ainsi qu'on peut lire,aux
pages 151 - 152 (1)de l'exposé écri t
« Dans l'esprit du Gouvernement espagnol, son acceptation des

résolutions de l'Assembléegénérale confèrea ces actes un caractere
d'obligation juridique que ne saurait méconnaître ni l'organisation elle-
même ni aucun de ses Etats Membres, car la volontémanifestéepar 1'Etat
destinatairede ces résolutions créeun lienjuridique touchant au contenu
de ces actes. lien qui par son caractere objectif s'impose d'une façon
genérale. ))
Cette analyse nous parait des plus aventureuses. On imagine mal comment.

et sur quelles bases juridiques, se fonde le mémoire espagnol pour justifier
l'existenced'un contrat passéentre un Etat et l'Assembléegénérale. ala suite de
l'adhésionde cet Etat aux rSsolutions votkespar elle. Ledroit del'organisation
internationale exclut toute référence a l'idée de contrat. Admettre que
l'Assembléegénéraleserait liéeen raison de l'acceptation par l'Espagne de ses
résolutions aboutirait à reconnaître a cet Etat le pouvoir de déterminer le
moment ou 1'Assembléegénéralesera dessaisie du probleme. Ainsi, un Etat
ayant resistéaux recommandations de l'Assembléegénéralepourrait, en y
apportant un accord, d'ailleurs plus formel que réelet qui n'observe pas les
conditions énoncéespar ces résolutions avecprécision(nous reviendrons plus
tard sur ce point), déciderarbitrairement et discrétionnairement de dessaisir
l'Assembléegénérale.II est bien évident qu'une telle théorie est des plus
scabreuses :elle méconnaîttescompétencesgénéraleset diffuses reconnues par
la Charte aux Nations Unies et tout spécialementa l'Assembléegénérale.Cette
théorie contractuelle que le Gouvernement espagnol a essayéd'utiliser a son

profit. il essaie égalementd'y faire recours aux dépensdu Maroc.
A l'inverse, le Maroc doit remarquer qu'il n'ajamais soutenu qu'un Etat
pouvait refuser d'exécuterles résolutionsde I'Assembleegénéralelorsque I'Eiat EXPOSI ORAL DE M. DUPUY 153

auquel elles s'adressent ne les a pas lui-même appliquées.C'est par pure
imagination que le Gouvernement espagnol a pu concevoir une telle théorie
exposéeau paragraphe 209 de son mémoire(1,p. 152).D'une part, ce n'estpas
le Gouvernement marocain qui n'a pasexécutéles résolutionsde l'Assemblée
générale, mais,tout au contraire, c'est l'Espagne qui ne leura donné aucune
suite. Ces resolutions n'étaientpas adresséesau Maroc. elles concernaient la
Puissance administrante. C'est elle qu'elles visaient, c'est elle qu'elles
sollicitaient d'exécuter certains actes, de prendre certains comportements.
D'autre part, l'Espagne nesaurait soutenir que c'estle Maroc qui a empêché le
Gouvernement de Madrid de procéder,enjanvier dernier, a un référendumau
Sahara occidental. C'est larésolution3292 (XXIX) qui l'ya invité. Cen'estpas
le Gouvernement du Maroc qui a saisi la Cour pour avis. enfin. c'est bien
l'Assembléegénérale,il faudra toujours le répéter, puisquele contraire est
constamment affirme dans le document que nous critiquons, qui y a procédé
par la résolution3292 (XXIX)dont par ailleurs. ala findu même paragraphe,

leGouvernement espagnol estbien oblige de reconnaître qu'elle exprime la
volonté générale desMembres de l'organisation. Alors, si elle exprime la
volonté générale desMembres de l'organisation, comment peut-ila tout
instant imputer notre présenceàtous iciaux Gouvernements du Maroc et de la
Mauritanie ?
En fait, une partie essentielle du raisonnement du Gouvernement espagnol
tend a faire croire. au mépris des règles qui concernent la compétence
consultative de la Cour, que celle-ci a étésaisie par des Etats. A la vérité,la
résolution3292 (XXIX)ne peut pas êtrecritiquéeet cela pour trois raisons au
moins. Premièrement, parce qu'un tel recours qui serait introduit contre une
résolutionde l'Assembléegénéraleaux fins de faireprononcer son irrégularité.
un tel recours n'est pas ouvert devant la haute juridiction internationale.
Qui plus est, la Cour internationale de Justice, dans son avis sur la Namibie
(C.1.J.Recuei/l 97/, p. 21-22) déclare:

<<Le Gouvernement sud-africain a soutenu que, pour plusieurs motifs,
la résolution 284 (1970) du Conseil de sécuritédemandant un avis a la
Cour n'estpas valable et que, par suite, la Cour n'a pascompétencepour
rendre un avis. Toute résolutionémanant d'un organe des Nations Unies
régulièrement constitué. priseconformément a son règlement et déclaree
adoptéepar son président, doitétreprésumée valable ...»

Telleest bien, semble-t-iladémarchequi devrait étrecellede la Cour dans le
cas présent.Si la Cour peut en effet, c'estdans sa compétence,donner, dans un
avis, son opinion sur la valeur juridique d'un acte d'un organe des Nations
Unies, comme elle a eu l'occasion de le faire dans le passé. dans sa
jurisprudence consultative. il est bien évidentque tout de même,en principe.
comme elle l'a dit fortement dans l'affaire de la Namibie, la validitéd'une
résolution doitêtreprésumée.
Deuxièmement. parce que l'Assembléegénéralepeut toujours. et a tout
moment. déciderde s'adresser a la Cour dans le but d'étendreson information
et d'être éclairésur un point juridique.
Et enfin, troisièmement, parce que, sur le fond, il n'ya aucune contradiction
entre les resolutions antérieures et la demande d'avis exprimée dans la
résolution 3292 (XXIX), votee comme les précédentespar le mêmeorgane.
Autrement dit. on ne saurait retenir des considérations qui toutes se fondent
sur une analyse erronée et déformante du problème de savoir qui a saisi la
Cour pour avis.
Le Gouvernement espagnol ne s'entient pas àcesobservations et il reproche154 SAHARA OCCIDENTAL

au Maroc de viser ace que les resolutions votéespar l'Assembléegénéralene

soient pas exécutées. Cereproche est assez étonnant:il ne tenait en effet qu'au
Gouvernement espagnol de faire en sorte que ces résolutions fussent exécutées
depuis neuf ans qu'elles sont régulièrement et annuellement votées. Par
ailleurs. ce gouvernement ne saurait reprochera l'Assembléegénéraled'avoir.
en votant la résolution 3292 (XXIX), modifié sa démarche a l'égarddes
modalitésde la décolonisation duSahara occidenial.
L'Assembléegénérale estmailresse de sa propre politique. On ne peut lui
reprocher d'adopter telle ou telle conduite ou de la modifier. ou de la corriger.
ou de s'y maintenir, ou de la reprendre après avoir semblé l'abandonner. mais
surtout on ne voit pas comment l'exposé écrie tspagnol pourrait justifier le
développementqu'il accorde ace thèmeen s'adressant a la Cour. La Cour, en
effet, ne saurait juger de fa démarche politique de l'Assembléegénérale.La
Cour ne semble nullement. en dépit des sollicitations du Gouvernement
espagnol, disposéea se reconnaître une compétence qui ne pourrait etre que
politique. ce qui est aux antipodes de la jurisprudence de la haute juridiction.
Le domaine de la Cour - et nul mieux qu'elle-mêmene le sait - est celui du
droit. cést-a-dire de la légalité.Le terrain de l'Assemblée généraleo.rgane
politique. est le terrain de l'opportunité. Dans tous les ordres juridiques,
internes et internationaux, le juge se refuse a apprécier la démarche d'un
organe politique, lejugese refuse a exercer un contrôle de l'opportunité.
Enfin. le Gouvernement espagnol soutient que le Maroc est engagé,qu'en

votant les résolutions reconnaissant le droit a l'autodétermination des
populations du Sahara occidental. il s'estengagécontractuelIement a admettre
le processus prévu par l'Assembléegénérale.C'est la un nouvel appel a une
theorie contractuelle. theorie qui nous paraît mkonnaitre complètement la
notion de comportement d'un Etat membre à l'intérieurd'une organisation
tant par référence a l'idéede contrat que par celle a l'idéed'engagement
unilatéral. C'est méconnaître ce qui se passe juridiquement dans une
organisation internationale, lordu vote d'une résolution,que de prétendre le
contraire. et cela pour au moins deux raisons. Premièrement, lorsqu'un Etat
prend parlau vote d'une résolutiondans une organisation internationale, cela
signifie qu'il participe a l'expression de la volontégénéralede l'organisation,
c'est-à-dire à l'expression d'une volonté propre a I'organisation,a I'expres-
sion d'une volonté imputable non a lui mais a l'organe de l'institution
internationale.
J'ai déjàfait réferencedevant la Cour aux analyses qui ont étéfaites sur la
théoriede l'organe et notamment a celles de mon éminent ami, le professeur
Paul Reuter. qui a démontré lumineusementque ce qui diïîérencienotamment
une conférence diplomatique, ou une négociation diplomatique. de l'organe
d'une organisation internationale, c'est que dans la première hypothése les
actes des représentants des Etats sont aux Etats. alors que dans la seconde,
dans celle de I'organisation inte'rnationale,les actes des représentants des Etats
sont imputables a l'organisation elle-même,dont ils permettent l'expression de
la volonté propre, spécifique. Par ailleurs, en l'espèce, la résolution de
l'Assembléegénéralerecommande sur lefond certaines modalitéspour la mise

en Œuvre de la décolonisationau moment ou elle est votée.Et nous retrouvons
la démarche naturelle d'un organisme politique qui se place sur le plan de
l'opportunité.
Si cette résolution se révèleen fait impuissante a résoudre le probléme,
comme ce fut le cas des résolutionsconcernant le Sahara occidental, du fait de
l'obstruction du Gouvernement espagnol, le problème se pose a nouveau et il
se pose chaque fois, bien sûr, dans des circonstances qui peuvent n'êtrepas EXPOS ERAL DE M. DUPUY 155

toujours les mêmes,car le propre du milieu politique est d'être caractérisp éar
sa mobilité. Des lors le problème peut être abordé a nouveau dans des
conditions difîérentespar l'organe qui se place sur le plan de l'opportunité. et
qui dispose, nous le verrons plus tard, surlabase du droit international, d'un

large choix de solutions pour résoudre un probleme de décolonisation,si bien
que. selon les circonstances, il choisira telle ou telle modalité,nul ne pouvant,
en tout cas, prévoirquel sera son choix.
Donc la résolution non exécutée - et ce n'est pas la faute du Maroc si ces
résolutions n'ont pas étésuivies d'effet- une résolution nonexecutéeexprime
un moment dans l'évolutionde la pensée etde la démarche de l'Assemblée
générale et, fauted'avoir vu ses resolutions exécutées, l'Assembléepeut
modifier sa démarcheou se poser des problèmes qui ne lui étaientpas apparus
plus tôt. Elle peut se poser des questions précisémentque la résistance de
l'Espagne,en l'espèce,lui a révélée sce sont ces questions qu'ella voulu vous
poser. Ainsi, on ne saurait soutenir que le Maroc, en votant des résolutionsqui
reconnaissaient l'autodétermination, a renoncé a faire valoir ses droits
immémoriaux sur le territoire. En véritéle Maroc poursuivait. en votant ces
résolutions avec la majoritéde l'Assembléegénérale, alorsque l'Espagne se
refusait à les voter elle-même. un but qu'il poursiiit toujours : c'est la
décolonisation rapide et authentique du territoire ; pour autant on ne saurait
lui opposer qu'il a pris par là même des engagementssur son comportement
personnel,engagementsqui, de toute façon d'ailleurs. nepourraient pas plus le
lier qu'ils nepourraient lier l'Assembléegénéraleelle-même.
Qu'il nous soit permis de rappeler une considération juridique,a savoir que

la décolonisation telle qu'elle est analysée par la résolution 1541 (XV), qui
prolonge la résolution 1514(XV),peut résulterde plusieurs voieset, aussi bien,
du retour d'une province a la mère patrie dont elle a été détachée
artificiellement par un démembrement colonial. Enfin, et nous reviendrons
plus tard sur ce point, les résolutionsde 1'Assembleegénéralene sebornaient
pas a affirmer l'autodétermination,elles établissaienttout un régimejuridique
de l'autodétermination. Elles liaient celles-ci a un ensemble de conditions :
création d'un climat politique parla Puissance administrante, consultations du
Maroc et de la Mauritanie, accueil d'une mission des Nations Unies sur le
territoire concerné. Or la méconnaissance par l'Espagne de ces conditions ne
lui permettait pas de procéder elle-même unilatéralemen t un référendumqui
s'écartait dès lors durégimejuridique prévupar les résolutions.
Une seule chose importe face a un probleme de décolonisation, c'est que
violence ne soit pas faita un peuple. Or la violence peut affecter les formes les
plus diverses et les plus contradictoires.La violence peut resulter aussi d'un
référenduminauthentique, ne satisfaisant que de façon formelle, extérieure,le

principe d'autodétermination ; c'est bien la la raison pour laqiielle les
résolutions de l'Assembléegénéraleavaient déterminé avec precision ces
conditions.
Elles avaient établiun régimede la décolonisation.régimequi forme un tout
indivisible et'lerecours a un réfkrendumunilatéralementdécidé et organisépar
la Puissance administrante ne pouvait prétendre se situer dans le cadre de
l'application des résolutions,ne pouvait que trahir la volontéde la Puissance
administrante de s'enécarteret de réaliser par la mêmeune autodétermination
inauthentique.
Aussi bien, le vote par le Maroc des résolutionsantérieuresdoit se situer. sur
le plan juridique, dans le coinportement naturel d'un Etat au sein d'une
organisation internationale. 11 signifiait simplement son ralliement a des
mkthodes envisagéespour faire valoir, dans le contexte des annéesantérieures,156 SAHARA OCCIDENTAL

une véritable décolonisation qui tenait compte, selon lui, de ses intérêts
historiques. Or ce contexta étémodifié,tant par le non-respect des conditions
prévuespar les résolutionsque par le conditionnement d'une population dont
une partie s'est trouvéeécartéedu territoire et dont d'autres parties pouvaient
se trouver sous l'emprise de la Puissance administrante.
Ce sont la des considérations diversesdonttout gouvernement lient compte.
Il convient donc d'insister sur le fait que si le processus juridique de
décolonisation du Sahara occidental est tel qu'il s'est progressivement
compliqué. sil'Assembléegénérale adù, en 1974,adresser une demande d'avis
a la Cour, c'estbien en raison du retard que leGouvernement espagno1.amis ii
donner suite a ces résolutions.
Si le référendumavait étéorganisédès 1966 dans le cadre du régime établi

par la résolutionde l'Assembléegénéraledes ce moment-la, il n'yaurait plus de
problème depuis dix ans.
2. Ayant ainsi réfutéle premier point de l'argumentation espagnole. nous
devons maintenant examiner l'afirmation selon laquelle le probleme posépar
la décolonisationa éted@jàtranchépar I'AssembZeegénérale,problèmeauquel
nos développementsviennent de nous amener d'ailleurs tout naturellement.
Le Gouvernement espagnol se livre à des efforts systématiques pour dé-
former les donnéesdu probleme et le sens des questions posées&la Cour. 11
avance que la démarche marocaine souhaitant l'intervention de la Cour
présuppose« qu'une question aussi essentiellement politique que la decolonisa-
lion d'un territoire autonome puisse êtrerésolue parla Cour internationale de
Justice sans tenir compte de,laplupart des faits importants survenus jusqu'au
moment de la proposition de saisir la Cour ». Une telle interprétation de la
position marocaine est particulièrement malveillante. Jamais leGouvernement
marocain, qui a tout de mêmeune certaine connaissance de ta Charte des
Nations Unies comme tous les Etats Membres de l'organisation, n'a souhaite
dessaisir l'Assemblée généraleo .rgane politique des Nations Unies. du
règlement du différend globalsur la décolonisation, différendnédu refus de
l'Espagne de donner suite aux résolutionsde l'Assembléegénérale. N'oublions
pas que ce différend global ,sur les modalitésde la décolonisation. le grand
differend que nous avons dégagédans la distinction que nous avons établie
entre lui et la questionjuridique pendante particulière, qui est poséea la Cour,
ce différend-la, est bien évidemment essentiellement politique et que. seule.
l'Assembléegénéralepeut le régleret qu'elle en demeure saisie. Jamais le
Gouvernement marocain n'a pensé que la demande d'avis qui vous était
adresséepar l'Assembléegénéraleet que l'avis qu'ilattend de vous comme

toutes lesNation s nies l'attendent viendrait donnerune injonction déter-
minante a l'Assemblée générale sur les modalités de la décolonisation.Le
Gouvernement marocain sait parfaitement, etje m'en suis expliquéhier devant
la Cour, que l'avisque vous allez donner ne sera pas insignifiant, qu'il nesera
pas non plus déterminant, mais qu'il sera éclairant. II constituera en effet une
formalité substantielle de ce processus complexe en vue de la décolonisation
qui fait intervenir plusieurs organea des titres différents, avec des missions
particulières et spécifiques pour chacun d'eux pour aboutir a la décision
politique prise ensuite par l'Assembléegénérale,sans qu'aucune corrélation
automatique, mécanique ou nécessaire puisseêtreétablie entre l'avis et la
solution de l'organe politique, l'avis éclairantl'organe politique, lui fournissant
un enrichissement de son dossier, quitte a l'organe politique a opter ensuite
entre les diverses solutions que le droit international présent met a sa
disposition sur la base de la Charteet des résolutionsde principes votées parles
Nations Unies (15 14(XV), 1541(XV), 2526(XXV)spécialement). EXPOSEORAL DE M. DUPUY 157

Fidèlea sa méthode quiconsiste a faire régnerla plus grande confiisjon sur
les donnéesexactes du problèmesoumis a la Cour, le Gouvernement espagnol
confond donc systématiquement. constamment. comme il le faisait des la

procédure sur la demande de juges ad hoc,ces deux problèmes :le probleme
juridique particulier soumis a la Cour et le grand probleme, politique, de la
décolonisationet de ses modalités du ressort de l'Assembléegénérale. Allant
encore plus loin. le mémoire espagnol prétendque la Cour trancherait « avec
un caractèredécisif,les droits actuellement existan»s(1.p. 190.par. 32) alors
que chacun saitque laCour a rappelé dans son avis de1950sur l'lnterpréfation
des iraitésque dans la procédureconsultative :

<<La réponsede la Cour n'a qu'un caractère consultatif: comme telle,
elle ne saurait avoir d'effet obligatoire. Il en résulte qu'aucun Etat.
Membre ou non membre des Nations Unies. n'a qualitépour empêcher
que soit donnésuite aune demande d'avis dont les Nations Unies, pour
s'éclairerdans leur action propre, auraient reconnu I'opportunit>P(C.I.J.
Recueil 1950. p. 71.)

LeGouvernement espagnol en arrive asoutenir la thèseque la considération
du point du vue historique des droits ne peut se justifier que comme un
précédentdans un examen judiciaire complet qui embrasse et aboutit a la
situation actuelle (1, p. 190, par. 3121, c'estd-dire qu'il refuse que des
problémes de ce genre soient soumis pour avis à la Cour. Cette analyse est
évidemment dépourvue devaleur parce qu'elle procède toujours de la meme
confusion entre les deux séries de questions qui se posent: la question
juridique pendante devant la Cour, pour avis, et le différend globaldevant
l'Assembléegénérale.
Dansson souci detoujours méconnaîtrela résolution3292(XXIX).l'exposé
que nous critiquons soutient la thèseque le statut du Sahara occidental a déja
étédeterminé par les résolutions antérieures de l'Assembléegénéraleet que,

dans ces conditions. l'avis ne pourrait avoir aucun effet sur la basede la
jurisprudence de la Cour telle qu'elle est établiepar l'arrêtsur le Cameroun
septentriona(.
J'aidéjàeu l'honneur hier d'exposeràla Cour combien cette référencen'était
pas pertinente. Mes observations se situaient dans le cadre de l'examen de ta
compétence stricio sensu de la Cour, mais il est bien évident que le
raisonnement que j'ai tenu hier est absolumenttransposableau niveau
La référence a cette affaire n'est absolument pas relevante :deux sériesau
moins de diffërences peuvent êtredégagées entre les deux cas. En premier lieu,
en ce qui concerne le Camerounseptentrional,d'une part, le référendumavait
déjaeu lieu sous le contrde de l'organisation des Nations Unies, c'est une
précision d'espèceque nous n'avions pas donnée hier, que nous croyons
pouvoir rappeler aujourd'hui ;d'autre part. les résultatsde cette consultation
avaient étéentérinés parl'Assemblée généraleT. out étaitdonc finiau moment
ou l'on saisissait la Cour. Au contraire, pour le Suliaru occidr~rral, non

seulement rien n'est fini, mais tout continue. En second lieu, en ce qui
concerne le Camerounseptentrional,il étaitdemandéa la Cour de revenir sur
une décision définitivede l'Assembléegénéralealors que, tout au contraire, en
ce qui concerne leSahara occiden~al,c'est l'Assembléegénéralequi demande
un avis iila Cour. C'estdonc exactement l'hypothèseinverse.
Ainsi, tout a la fois, le Gouvernement espagnol essaie de détourner la Cour
de sa mission, soit en voulant la terroriser par Iàrnpleur des conséquencesde
l'avis qu'elledonnera et qui réglerait. selon lui.un contentieux territorial qui se158 SAHARA OCCIDENTAL

substituerait aux décisionsattendues de I'Assembleegénérale.soit au contraire
en tentant de demontrer l'inanité et l'inutilide I'avisa venir.
Or, la encore c'est toujours la même démarche bivalente que nous

critiquons. Parfois. on vous présente des analyses aux termes desquelles I'avis
que vous donnerez sera determinant. Parfois. les analyses espagnoles veulent
expliquer que cet avis sera insignifiant et académique. Or. il ne sera ni l'un ni
l'autre; il sera éclairant. L'Assembléegénérale a besoin des rkponses de la
Cour, mais pour autant I'avisn'altère passon libre choix quant aux modalités
de la décolonisation du Sahara occidental.
Nous abordons ainsi le second des deux points principaux qui constituent
l'exposéque nous avons l'honneur de donner devant la Cour ce matin. Nous
rappellerons que notre premier point tendait démontrerque I'avispréalable a
la question, telle qu'ellesera examinéepar l'Assembléegénérale.ne constituait
pas un moyen de résoudre un contentieux territorial. d'une part, et qu'il avait
pour portee dëcfairer 'Assembléegénéraled . 'autrepart.

Nous avons maintenant ainsi a examiner le second point essentiel que nous
avons dégagede l'argumentation espagnole. a savoir que l'avis n'altèrepas le
librechoix de l'Assembléegenerale quani au processus de décolonisaiiondu
Sahara occidenlui.
Si l'on veut nous permettre l'évocationde l'articulation de nos développe-
ments dans ce second point. nous nous efforcerons de montrer la diversitédes
moyens qui s'offrent a l'Assemblée générale, diversitételle qu'aucune
corrélation automatique précisémentne peut êtreattachée aux rapports de

I'aviset de ses résolutionsa venir. Nous verrons d'abord que, sur la base de la
pratique des Nations Unies, les principes de la decolonisation sont eux-mêmes
divers et que les Nations Unies ont du assurer. à diverses reprises, des
arbitrages entre des principes de la décolonisation. Ceci est important a
démontrer, car cela iliustre précisémentla diversité dessolutions dont dispose
l'Assembléegénérale.Cela illustre la grande gamme des solutionsqui s'offrent
a elle et entre lesquelles elle arbitrera, au vu de principes dive:principes de
l'autodétermination.principe de I'unjte et de l'intégrité territorialedpeuples.
tels que ces principes sont énoncésdans lesdiverses résolutionsde l'Assemblée
générale : 1514(XV), 2625. etc.
Nous aurons aussi a démontrer ensuite, toujours dans la mêmeperspective,
que la décolonisationest le point fondamentalattendu pour la satisfaction de la
dignitéet du développement de populations placéesjusque-la dans un système
colonial, et que ce but de décolonisation lui-mêmepeut êtreassumé par des

techniques différentes.et plus seulement par des principes. qui peuvent aboutir
a la constitution d'un nouvel Etat. dans certains cas. mais qui peuvent aussi.
car la décolonisation ne débouche pas forcement sur la constitution d'un
nouvel Etat, aboutir a d'autres solutions, solutions entre lesquelles de toute
façon la Cour n'aura jamais a choisir, solutions entre lesquelles seule
I'Asçembleegénéraleaura a faire ce choix. Telle est l'orientation généralede
l'examen auquel nous allons nous livrer maintenant.
L'avis n'altérera pas le libre choix de l'Assembléegénéralequant au
processus de la décolonisation du Sahara occidental. .Le Gouvernement
marocain tient a rappeler que l'affaire du Sahara occidental relève
fondamentalement et essentiellement du processus général.dedécolonisation.
Les résolutions de l'Assembléegénéralesont toutes dirigées contre la EXPOSE ORAL DE M. DUPUY 159

Puissance administrante en vue d'obtenir d'elle qu'elleaccélèrele processus de
décolonisation. C'est donc par une déformation outrancière de l'espritet des
finalitésqui inspirent les résolutions que le mémoire espagnol tend a faire
croire que c'estdu fait du Maroc et de la Mauritanie que le territoire se trouve
encore dans une situation coloniale.
On constate un effort systématique du Gouvernement espagnol pour
méconnaîtrele fait colonial a l'originede sa présenceau Sahara occidental, fait
colonial qui explique précisémentles résolutionsde l'Assembléegénérale.Le
Gouvernement espagnol prétend mettre un terme a ce fait colonial, i cette
situation coloniale, et, de fait, son mémoire est fondesur la reconnaissance par
l'Espagne du droit aI'autodétei'minationdu peuple saharaoui, reconnaissance
toute récente,précisons-le.
IIest nécessairede préciser. a cetégard,le sens et la portéedu terme utilise
dans l'exposé écriq tue nous critiquons, car ce terme diriitodc;/ertnir1u~io1e
laisse de présenter une grande ambiguïté. A suivre le raisonnement et les
conceptions du Gouvernement espagnol a l'égarddu terme o~itcidC/~rtniriu~ioi~,
on méconnaîtrait la diversité des solutions que l'Assembléegénéralepeut
retenir, diversitéqui s'offaeelle.
Pour le Gouvernement espagnol, le mot u~i/odc'(er~nirru[io~ a~deux sens.

D'une part, il s'agit de I'autodéterminationentendue dans un sens d'indépen-
dance. Ainsi que nous le démontrerons plus tard, il y a là une confusion, parce
que si l'on dit a un peuple :« Vous allez vous autodéterminer afin d'être
indépendants v,il ne s'autodétermine plus, déslors qu'on lui dicte a l'avance la
solution alors qu'il devrait au contraire choisir librement. On entre dans un
processus absurde, une contradiction évidente. a partir d'une notion
d'autodétermination qui supposerait un libre choix, en lui assignant une seule
solution, qui serait obligatoirement l'indépendance. Si ce peuple préfère,
comme la résolution 1541 (XV) le prévoit, s'associer librement à un Etat
indépendant ous'intégrer aun autre Etat, c'estlepropre de I'autodétermination
que de lui ouvrir toutes ces possibilités.
L'autodéterminationc'estun libre choix et ce choix ne peut donc pas se voir
limite a une seule option. Cette observation d'évidencenous donnera d'ailleurs,
par la suite, l'occasion d'expliquercomment on peut interpréterles résolutions
nombreuses qui parlent d'autodétermination et d'indépendance.Nous verrons
qu'il n'y a nulle contradiction dans les formules utiliséespar les résolutions.
En second lieu, aux yeux du Gouvernement espagnol, I'autodétermination a
aussi un autre sens. L'autodétermination est égalemententendue par lui

comme imposant une procédure unique, a savoir le recours au réfirendum.La
encore, nous verrons que la pratique des Nations Unies est beaucoup plus
complexe, parce que les Nations Unies ont a faire face a des conditions de fait
géographiques.historiques. politiques, a l'égard desquelles elladoptent. je ne
dirai pas seulement une grande flexibilité, maisbeaucoup mieux, une grande
marge de décision,comme cela se conçoit de la part d'un organisme qui doit
tenir compte de l'opportunité d'une solution. Or, la confusion des termes, dans
ce domaine, est trèsgrave, car elle a pour conséquenceune confusion dansle
raisonnement juridique du Gouvernement espagnol.
Pour ce gouvernement, le Maroc a accepté l'autodétermination etil en
conclut que le Maroc reconnait que le Sahara doit être un Etat indépendant,
après organisation d'un référendum : telle est l'interprétation espagnole.En
réalité,le langage des Nations Unies, je le répète, est loin d'avoir cette rigidité,
comme le prouve la diversitédes solutions qui ont étéadoptéesaux Nations
Unies pour assurer la décolonisationet qui, toutes, sorit inspiréespar cette idée
fondamentale sur laquelle j'insistais tout a l'heu:jamais violence nedoit être160 SAHARA OCCIDENTAL

faite a un peuple. II est intéressant a cet égard d'analyser le contenu des
résolutions qui ont étéprises par l'Assembléegénéralea propos d'un autre
territoire que le Sahara occidental:le territoire d'Ifni.
Qu'a dit l'Assembléegénérale ? Nous citerons d'abord la résolution 2072
(XX), intitulée« Question d'lfni et du Sahara espagnol ))qui constitue le point
de départ de l'intervention de l'organisation des Nations Unies dans les
problèmes poséspar les territoires non autonomes relevant de la Puissance
administrante, de l'Espagne. Cette résolution 2072 (XX) lie les deux
problemes : celui d'Ifni et celui du Sahara occidental, et elle définit
parfaitement le but que les Nations Unies se sont fixé.il s'agit :6 de prendre
immédiatement les mesures nécessairespour la libération de la domination
coloniale ». D'ou l'énoncé d'uneobligation a la charge de la Puissance

administrante, car c'est une priorité pour l'Assembléegénéraleen 1965 que
d'obtenir la fin de la domination coloniale, puisqu'en 1965, au moment ou elle
vote cette résolution, on connaît déjàet l'onest régidéjàpar la résolution 5 14
(XV) qui déclare.dans son paragraphe premier, que c'est un déni des droits
fondamentaux de l'homme que le maintien de la subjugation,de la domination
et de l'exploitation étrangères. II est donc nécessaire d'admettre que la
décolonisation est,selon la resolution 1514 (XV). l'objectif prioritaire. c'est-
a-dire la fin de la subjugation, de la domination et de l'exploitation étrangères.
II est vrai que dans le texte des résolutions, sur les questions relatives a la
décolonisation, se trouve employé également le mot autodétermination )>
pour designer « l'actede décolonisation D.Mais ilest vrai aussi que l'Assemblée
générale affineses analyses! comme le démontre une seconde résolution,
toujours sur Ifni et le Sahara dit espagnol. la résolution 2229 (XXI) du

20 décembre 1966. Elle déclarequ'elle :« 1.RPafJirme le droit inaliénable des
peuples d'lfni et du Sahara espagnol aI'autodétermination u,donc elle affirme
égalementle droit inaliénable dupeuple d'lfnia l'autodétermination. Mais cela
ne veut pas dire, pour autant, qu'Ifni doit devenir indépendant aprés un
référendum. car de fait l'Assembléegénéralen'a ni décidéqu'lfni serait
indépendant ni qu'il y aurait lieu a un réferendum. C'est donc bien que, pour
elle. l'autodétermination est une notion plus large que celle qui répond aux
conceptions du Gouvernement espagnol. C'est bien qu'ases yeux l'essentielest
la décolonisation et l'absence de violences faites à un peuple. De fait, la
résolution 2354 (XXII)montre bien que, dans l'espritde l'Assembléegénérale,
l'autodétermination n'est pas forcément constitution d'un Etat indépendant,
puisque l'autodétermination pour Ifni, en vertu de I'Assemblèegénérale elle-
méme, a consistéau retour a la mère patrie et cela par des voies autres que
celles ,du référendum. L'Espagne est donc mal fondée a expliquer cette
solution de la manière qu'elle ie,fait dans une lettre du18avril 1Y67. envoyée
aux Nations Unies par son représentanta l'Assembléegénérale.qui explique la

solution adoptéepar le caractère particulier du territoire d'Ifni, qui selon cette
lettre le différencieraitentièrement du Sahara.
Or, cette explication est mal fondée etcontradictoire, car le Gouvernement
espagnol, dans l'expose des motifs du décret du 29 aoiit 1934, citédans le
mémoire du Gouvernement marocain, justifie l'organisation administrative
unique des deux territoires, celui d'Ifniet celui du Sahara occidental« par leur
forte unitéethnique, géographique,climatique et économique ».
Si la situation d'Ifni est prétendueaujourd'hui differente de celle du Sahara
occidental, c'est que le Gouvernement espagnol reconnaît maintenant la
souveraineté marocaine sur lfni et qu'il refuse d'admettre les liens juridiques
ayant existéentre le Maroc et ses provinces sahariennes.
Nous retrouvons ici la signification de l'avisdemandé a laCour. son objet,qui est depermettre a l'Assembléegénéraled'êtremieux éclairée sur l'ensemble
de ces problèmes. de pouvoir dkfinirun processus de libération du territoire du
Sahara dans de meilleures conditions, en appréciant quelles conséquenceselle
doit tirer de l'existence de lieris juridiques du Maroc et de ce territoire, au
moment de la colonisation espagnole.
Or, on doit bien voir que le raisonnement du Gouvernement espagnol est

faussé, parce qu'on ne saurait soutenir que l'avis qui vous est demandé,
Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour. n'est pas recevable
au motif que l'Assembléegénérale aadoptéle principe de l'autodétermination.
A dire vrai, c'estexactement l'inversequi apparaît àl'évidence.Nous voyons
du mêmecoup aquel point l'avisattendu n'estabsolument pas déterminantet
n'anticipe absolument pas sur les décisionsa venir de I'Assembléegénérale.
En effet l'Assemblée,premiérement,dispose d'un grand clavier, qui lui offre
des solutions nombreuses, en vertu des analyses qu'elle fera des conditions
objectives que révèlet'examen complet du probléme, avec a l'esprit I'idée
majeure que nulle violence ne peut êtrefaita un peuple ;mais,en second lieu,
queltes que soient les réponsesque la Cour donnera aux questions qui lui sont
posées, elles nelieront pas l'Assembléegénérale.Et quelles que soient les
solutions qu'adoptera I'Assembléepour la décolonisation duSahara occidental,
vos reponses lui seront utiles.
Si. par exemple, l'Assembléedécide de faire procéder a un référendum
d'autodétermination, il s'agitde savoir à l'égardde qui on s'autodétermine.
Bien entendu, si I'Assemblée générale envisageait de recourir a un
référendumet de rédigerdesquestions. il est certain que siaucun lienjuridique
entre le Royaume du Maroc et le Sahara occidental n'a étéreconnu il ne
viendra pas a l'idéede l'Assembléegénéralede demander a ces populations si
elles souhaitent, en exercice de leur libre détermination. revenir a la mère
patrie marocaine, pasplus qu'ellene leur demandera si ellessouhaiteraientêtre
norvégiennes. ouêtrerattachéesaux iles Maldives.
Les questions qui vous sont posées sont bien Lepréalableaussi bien pour
l'autodéterminationrefërendaire quepour d'autres voies. Cela neveut pas dire,

notez-bien, que la reconnaissance des liens juridiques entrainera nécessaire-
ment l'Assembléegénérale versune solution de ce type, mais cela signifie que
si elle s'y rallie, à telle ou telle solution. y compris la solution réferendaire.là
encore, elle aura besoin de savoir ce que la Cour lua répondu. puisque aussi
bien elle attend dvous que vous l'éclairiez.

L 'audierrceestlevéeà 13 heures HUITIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (26 VI 75. 15 h)

Préseitrs: [Voir audience du 25 VI 75.1

M. DUPUY : Monsieur le Président.Messieurs les membres de la Cour. je
reprends mon expose au point ou j'en étaisarrivé dans l'introduction de la
seconde partie. au cours de laquelle j'ai dégagédeux principes : une diversité
des techniques. tout d'abord, dont dispose l'Assembléegénéraledans les choix
qu'elle fait des modalitésde la décolonisationd'un territoire, et également la
diversité des principes.
Diversité des principes. diversité des techniques. c'est sous cet éclairage
généralde moyens multiples. d'éventail.de clavier, de gamme. toutes ces

images soni analogues. que j'avais. vous vous le rappelez, présenlecette
introduction des développements que je vais avoir l'honneur de présenter
maintenant.

Tout d'abord. diversif6 des principes de fa décolonisation auxquels
l'Assembléegénéraleest conduite a se réferer,sur la base de la Charte. sur la
base des grandes résolutionsnormatives de principes qu'elle a prises. et entre
lesquels elle est ameneea exercer des arbitrages car ces principes ne sont pas
toujours concordants. Si nous prenons. pour la considerer de prés, la
résolution 1514 (XV), par exemple. nous constatons qu'elle énonce a son
paragraphe 2 le principe de la libre détermination des peuples. Elle énonce
aussi. en son paragraphe 6. le principe de l'unité.de l'intégriterritoriale des
peuples.

Dans certains cas, confrontée a certains problèmes dans leurs données
géographiques. ethniques. politiques. historiques, l'Assembléeest amenee a
donner a tel ou tel de ces principes une valeur prioritaire dans la solution
qu'elle croit devoir retenir pour permettrea un territoire d'êtreauthentique-
ment décolonisé,car tel est le but fondamental. nous ne le rappellerons jamais
assez : la décolonisation du territoire.
Si nous nous reportons a l'exposé écritespagnol. nous relevons au
paragraphe 161 (1. p. 133) que ce document reconnait que <(l'intégrité
territoriale estl'un des principes clefs de la résolution 1514 (XV) ».
C'est l'expressio(« principes clefs>)qu'utilise le mémoire espagnol.Nous
tenons a aflirmer notre parfait accord avec le mémoire espagnolsur ce point.
La décolonisation doit donc tenir compte de ce principe clef de la résolu-
tion 1514 (XV). sauf qu'évidemment. pourle Royaume du Maroc. l'intégrité
territoriale qu'il faut considérer estcelle du Maroc lui-même.car il n'esi pas

possible. si l'on veut respecter le droit international de la décolonisation. de
couvrir une opération de démembrement d'un Etat indépendant effectue par
les puissances coloniales au début du XXC siècle.
S'ilen étaitautrement, le Maroc aurait été doublementpénalisé.d'une part
par l'Europe colonisatricea la fin du XIXCet au débutdu XXC siécleet d'autre
part par t'adoption de la solution préconiséepar l'Espagne a l'heure actuelle.
solution qui n'entend que pérenniser le dérnantelfement du Maroc et la
domination de la Puissance administrante par des voies renouvelées. EXPOSÉ ORAL DE Ad. DUPUY 163

Cela est la position politique et juridique du Gouvernement marocain. Mais
s'il est normal que ce gouvernement défende ses intérèts.des positions. des
thèses etdes intérêtsjuridiques.s'ilest toatfaitjustifié,car c'estson devoir de
les soutenir. il reste évidemment a l'Assembléegénérale desNations Unies
d'apprécierces positions, comme elle apprécie toutes les positions des Etats
concernés dans ce probleme.
11 n'empêche cependant que l'on doit rappeler qu'un processus de
décolonisation serait incomplet et déformé si l'un des principes était

définitivementet. apriori, exclu, s'ilne pouvait mêmepas reconnaître l'unité et
l'intégritéterritoriale comme un des principes qui, dans cette affaire. est
susceptible de jouer un rôle considérable.
Or, en nous plaçant dans la position de l'Assembléegénéraledes Nations
Unies, qui se trouve en présence de ces principes divers qui lui posent des
problèmes de conciliation. de compromis, sinon d'arbitrage, nous devons
essayer de montrer comment elle va à nouveau êtreen mesure de choisir entre
des voies diverses et donc comment, de toute façon, elle garde sa libre
détermination, son libre choix, que l'avis de la Cour ne va pas altérer.
Tout d'abord, la référenceau principe de I'intégritéterritoriale du Sahara
occidental ne peut pas constituer un préliminaire nécessaire a la libre
détermination,comme iesoutientaux pages 133-134 (1)l'exposé écriqtue nous
critiquons.
Nous n'entendons pas du tout discuter ici du fond du probléme.Nous nous
situons au plan de la recevabilitéde la requëte, qu'on nous suive bien. Nous
n'entendons pas du tout démontrer ici, en ce moment, l'unité et l'intégrité
territoriale du Maroc s'étendantau Sahara occidental ;ce n'estpas le moment.
Nous nous en tenons au probleme de recevabilité, mais nous attirons très

respectueusement l'attention de la Cour sur le fait que le principe de I'intégrité
territoriale est utilisé par lCiouvernement espagnol comme un préalable.
comme une question préliminaire, qui devrait conduire la Cour a déclarerla
requêted'avis irrecevable. parce que, nous dit ce document aux pages 133-134,
ce principe de l'unitéet de l'intégrterritoriale du Sahara occidental constitue
un préliminaire nécessaire a la libre détermination. On nous avance que si la
Cour entamait l'examen des questions qui lui sont posées pour avis elIe
remettrait en question a son tour ce principe.
Nous remarquons tout d'abord qu'aucune des résolutions de l'Assemblée
généraleconcernant ce territoire du Sahara occidental ne fait mention du
principe de l'intégrité territoraason sujet. C'estpar uneconclusion qui nous
parait oséeque le mémoireespagnol croit pouvoir l'invoquer. La référence faite
par le même exposé à des précédentsconstitués par le Basutoland, le
Bechuanaland et le Swaziland, comme par celui de la Guinéeéquatoriale. ne
présenteaucune pertinence. On ne saurait comparer la situation des Etats sud-
africains avec celle du Sahara occidental. En effet, il s'agissait de protectorats
coloniaux de Sa Majestébritannique et, au moment de leur décolonisation.
l'Assembléegénéraleéprouvait une crainte. L'Assembléegénérale craignait
que l'Afrique du Sud ne leur appliquât la politique d'apartheid, en en faisant
des Etats bantous a l'intérieurde l'Union sud-africaine elle-méme.Personne
évidemment n'accusele Maroc de faire de l'apartheid. Siune comparaison était

possible. nous pourrions non pas, certes, accuser l'Espagne de faire de
liipartlieid, mais compte tenu de son dessein de constituer un Etat fictif,qui ne
devrait son'existence qu'a elle-même,nous trouver en présenced'un cas qui
devrait soulever les mêmescraintes de décolonisationinauthentique que celles
soulevéespar les entreprises de l'Afrique du Sud. En effet, au moment de la
décolonisation des petits Etats du sud de l'Afrique. on craignait que l'Union164 SAHARA OCCIDENTAL

sud-africaine n'utilise la créationde ces petits Etats pour justifier sa politique de
multiplication des Etats bantous. qui eût brise l'unitéde la nation bantoue. Or.
si nous considérons le Sahara occidental. la politique de l'Espagne tend
précisément a,briser l'unitéde la nation marocaine et l'unitéde la nation
mauritanienne. On voit des lors dans quelles conditions LeGouvernement
espagnol essaie d'invoquer le principe d'unité du territoire colonial.aux fins de
constituer un Etat artificiel. L'unitéterritoriale d'une colonie ne peut être
invoquéeque lorsque ce territoire non autonome n'a jamais fait partie d'un
Etat reconnu internationalement avant sa colonisation. En revanche. il ne
saurait l'êtrelorsque la colonie est issue du démembrement d'un Etat. Dans ce
cas, c'est I'unitéet t'intégritéterritoriales de cet Etat qui sont en cause et qui

doivent êtreprotégées.On comprend dès lors comment les deux questions
posees par la résolution 3292 a la Cour constituent un préalable; non pas
qu'on attende de la Cour qu'elle détermine les conséquences a en tirer. mais
parce qu'il est indispensable que. pour la bonne information de l'Assemblée
générale,celle-cidispose de tous les éléments du dossier.L'Assembléegénérale
a besoin de savoir si ce territoire est issu du démembrement du Royaume du
Maroc ou non afin d'en tirer des conséquences qui. d'ailleurs. peuvent être
diverses. Ainsi. contrairementa ce qu'affirme l'exposéespagnol dans le titre de
son paragraphe E. a la page 133 11).ce n'est pas l'intégration territorialedu
Sahara occidental qui forme un <<préliminaire nécessaire)> mais, bien au
contraire, ce sont ces questions qui constituent le préalable indispensable i
l'Assembléegénéralepour la poursuite de l'examen de l'affaire. En résumé,le
principe de l'intégritéterritoriale comme « préliminaire nécessaire >> a la
décolonisation, quelles que soient Les modalités que l'Assembléegénérale
adoptera pour celle-ci, n'a de sens que s'il s'agit de l'intégrité territorialede
l'entiténationale qui a étédémembrée.Le Gouvernement espagnol tend a
mélangerles hypothèses qu'ilcite en exemples. Qu'on nous permette d'évoquer
ces problémesauxquels il fait référence.II fait en effetappel aux problèmes du

Koweït ou de la Cote des Somalis, paragraphes 168 a 174 du mémoire (1,
p. 135-1361.Le Gouvernement espagnol croit pouvoir tirer argument de ces
cas en remarquant que l'Assembléegénérale.lorsqu'ils'est agid'accepter ou de
refuser les revendications d'Etats tiers sur lesterritoires non autonomes. a tenu
compte de critères, Parmi ces critères, il relève la contiguïtéet la possession
préalable clairement établies. Remarquons immédiatement que ces deux
critères sont tout a fait favorables au Maroc en ce qui concerne le Sahara
occidental, comme il croit d'ailleurs l'avoir démontre dans son expose écrit,
mais ce n'est faqu'une parenthèse. Par ailleurs, si I'oncompare la réactionde
I'Assembleegénéraledans les cas retenus en exemples par l'exposé espagnol :
Koweït, etc., on s'aperçoit que pour ces derniers rassemblée générale n'a.a
aucun moment. éprouvéle besoin de poser des questions a la Cour. On mesure
a quel point la référenceà ces cas manque de pertinence si I'on observe que
dans lecas du Sahara occidental l'Assembléegénéralepose deux questions ala
Cour, ce qui démontre parfaitement qu'elle ne se place ni dans le cas de la
Mauritanie et du Koweït. ni dans celui de la Somalie francaise. Au surplus, en
ce qui concerne la Mauritanie et le Koweït, leur indépendance était dt'jà
proclamle, effective. au moment où l'Assembléegénérale aeu a connaitre du
probléme.Problèmesoulevédonc non pas par leur indépendance, non pas par
leur décolonisation. mais par leur entrée aux Nations Unies. Tel était le

problème. tout a fait différentde celui qui nous retient aujourd'hui. En ce qui
concerne le Sahara occidental, au contraire, en effet. on ne setrouve pas en
présenced'un territoire indépendant. On se trouve en présence d'un territoire
qui est toujours dans le~tatut~colonialet dont le problèmeest donc précisément EXPOSEO . RALDE M. DUPUY 165

de savoir comment il va en sortir. Aucun rapport entre les deux cas. De toute
façon. on remarquera que l'Assemblée généralea toujours adopte des
démarches accordéesaux caractéristiques particulières desproblèmes qu'elle
examinait. Elle ne s'estjamais considéréecomme tenue par ces pratiques anté-
rieures. Chaque cas d'espèce esttraitéen fonction des considératioiis locales
spkifiques. et ence qui concerne le Sahara occidental l'Assembléegénérales'est

aperçue que l'impasse politique a laquelle elleaboutissait étaitdue notamment
a l'existence d'une question juridique. Nous voyons ainsi comment. en
faisant appel a un avis de la Cour. elle affine ses techniques de décolonisation.
La seconde considération que l'exposéécritquenous critiquons nous amène
a présenter. toujours au point de vue du principe de l'intégritéterritoriale.
résultede t'applicabilitéde ce principe. Si l'Assembléegénéralecroitdevoir le
retenir. et nous contestons précisément la diversité de ses démarches
éventuelles,le principe de l'intégriet de l'unité territorialesdoit s'appliquer au
Royaume du Maroc et a la République de Mauritanie. Contrairement a ce
qu'avance le mémoire espagnol le recours a I'autodetermination. par
opposition a ce principe. n'est pas un préalableau problème pose a Iü Cour. II
n'y a aucune place pour une sorte de question reconventionnelle. Tout à
l'inverse,ce sont les questions poséespar L'Assemblée généralequi constituent
un tel préalable pour toute solution quelle qu'elle soit que l'Assembléesera
amenée a adopter sur la décolonisationauthentique du territoire. II ne faut pas

oublier que la résolution 1514 (XV) affirme non seulement (le droit a
l'autodétermination P. paragraphe 2. mais aussi le principe de <l'unité
nationale et de l'intégritéterritoriale d'un pays O, paragraphe 6.
L'indépendanced'une province peut entrer en conflit avec la règleaffirmée
par. la résolurion 15 14 a son paragraphe 6 :
« Toute tentative visanta détruirepartiellement ou totalement I'unité
nationale et l'intégrité territoriale d'unpays est incompatible avec les buts
et les principes de la Charte des Nations Unies. >i

Or. lorsque ce conflit de normes est apparu. conflit de normes entre le
principe du paragraphe 2 sur l'autodéterminationet celui du paragraphe 6 sur
I'unité et l'intégrierritoriales. l'Organisation des Nations Unies a toujours été
ires respectueuse du principe de I'unitéet de l'intégritéterritoriale. Comme
l'écritle professeur Virally. dans son ouvrage, L'Organiso~iomondinie. 1972.
page 430 :

c<l'organisation respecte avec rigiditéle principe de t'intégrterritoriale.
qui figure a l'artic2. paragraphe 4. de la Charte. mêmesi ce doit etre au
détriment du droit des peuples a disposer d'eux-mêmes.Elle l'aposé
comme principe dominant de sa politique en Afrique et ce principe a
notamment dicte sa position dans l'affaire du Katanga en 1960-1 963 et
celle du Secrétaire géneraldans l'affairedu Biafra en 1969.On le retrouve
également a la base des réactions de l'ONU a l'égardde I'afTairedu
Pakistan oriental en 1971. Ceci montre que les compétencesen matière
de changement pacifique ne conduisent, pas seulement a ravoriser le
changement, mais aussi a le défavorise...D

Ainsi, a la lurniére de cette analyse. se trouve retracé un certain
comportement des Nations Unies.
Si l'on se rapporte au Traire de droit inreruutionalpublic du professeur
Hubert Thierry. qui vient de sortir (1975. p. 500).on lit ceci: « L'antinomie
entre le droit des peuplesadisposer d'eux-mêmes, d'unepart. I'unitépolitique
ou l'intégritterritoriale. d'autre part. est irréductibleen thé»rPrécisons,si166 SAHARA OCCIDENTAL

l'on nous permet ce commentaire immédiat, qu'en effetcette irréductibilité
apparait en théorie. Nous verrons que les Nations Unies ont diverses manières
d'essayer de dépasserces antinomies. Le professeur Hubert Thierry ajoute :

« Dans Lapratique des Nations Unies. en revanche. le premier de ces
principes. t'unitéet I'intégritéa. prévalusur le second dans le domaine de
la décolonisation.Sa mise en Œuvre a comporté. notamment sous L'angle
du rôle dévolu au comitéchargéde l'applicationde la résolution 1514et a
l'Assembléegénérale.une certaine institutionnalisation qui a Faiten sorte
qu'une pression demeurant non décisivea étéexercée par les organes
internationaux sur les puissances coloniales. La solution inverse a été. u
contraire. préferéeen dehors de ce domaine, c'est-à-dire en dehors du
domaine de la décolonisation. La charte de l'OUA.par exemple. insiste a
maintes reprises (art2 et 3)sur la souverainetéet I'intégriterritoriales de
ses membres et sur l'éliminationdu colonialisme, mais elle ne mentionne
pas le droit des peuples autrement que sous la forme d'une réference
généraleau principe de la Charte. Cette pratique des Nations Unies aété
confïrmée dans la résolution 2625 sur les relations amicales et la
coopérationpacifique entre les Etats. Aux paragraphes 7 et 8 de ce texte,
on lit en effe:

« Rien dans les paragraphes précédentsne sera interpréte comme
autorisant ou encourageant une action. quelle qu'elle soit, qui
démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, I'intégrité
territoriale ou l'unitépolitique de tout Etat souverain et indépendantse
conduisant conformément au principe de l'égalité de droits et du droit
des peuples à disposer d'eux-mêmesénoncéci-dessus et dotéainsi d'un
gouvernement représentant I'ensemble du peuple appartenant au
territoire sans distinction de race, de croyance ou de couleur»

Dans cette condition. on comprend fort bien le souci de l'Assemblée
générale. En votant la résolution 3292(XXIX) et en priant la Cour de dire si.
avant sa colonisation par l'Espagne.leSahara occidental étaitliéjuridiquement
au Royaume du Maroc. l'Assembléegéneralese pose leproblèmede l'existence
éventuellede l'unitéet de l'intégritéterritoriales du Maroc. Ce n'est pasà dire
pour autant qu'organisme politique. attentif à de multiples considérations
d'ordre divers. elle tranchera en ordonnant une application drastique a ce
principe ou qu'au contraire elle envisagera des solutions nuancées. comme
nous l'avons vu le faire dans certaines hypothèses. Mais, en tout cas, elle ne
peut rien faire en connaissance de cause si on ne répond pasaux questions
qu'ellea posée.Si L'onveut la mettreen mesure d'exercer son librechoix il faut
qu'elle sache. pour prendre ses responsabilités politiques, quelles étaient les
données juridiques au moment de la colonisation par l'Espagne du Sahara
occidental ; il s'agit. dans ces conditions, pour elle, lors de l'adoption des
décisions.de disposer de tous les éléments dudossier :ce qui ne veut pas dire.
bien sûr. que la reconnaissance de ces liens entraînera mécaniquement le

recours a une solution déterminée,puisque l'organisme politique se décideen
faisant intervenir des analyses complexes dans un ensemble qu'il veut aussi
complet que possible.
La pratique de la décolonisationmérite acet égardde retenir notre attention.
Elle nous donne la confirmation de cet éventailouvert de solutions et permet
l'établissementd'une typologie des problemes que posent a la fois le principe
d'autodéterminatiot~,entendu comme droit de libre disposition des peuples. et
celui du respect de l'unitéet de I'intégriterritoriales des pays.
Si nous essayons. avec la permission de la Cour. de dresser une teHe ENPOSI?ORAL DE hl. DUPUY 167

typologie qui va nous montrer cette diversité des réactionsde l'Assemblée
générale. leurgrande flexibiliréet l'imagination dont elle témoigne. nous
pouvons distinguer trois catégories.
La premiere catégorie nous montre que le droit de libre disposition est
reconnu a un territoire non autonome au sens de la Charte. Les limites de ce
territoire. non autonome au sens de la Charte. ont ététracéesdans des régions
ou n'existaient pas d'Etat reconnu par la communauté internationale au
XIX' siècle : il pouvait se trouver des entites politiques mais il n'existait pas
d'Etat reconnu par la communauté internationale de l'époquecoloniale ; c'est
le cas de plusieurs territoires africains pour lesquels l'autodétermination a
étél'instrument juridique de l'indépendance. II n'a pas paru possible de
reconstituer, au moment de l'indépendance,dans cette premiere catégorie.les
entités préétatiquea su sens du XIXesièclequi avaient pu se constituer et on a

considéréque la stabilité politique et le maintien de la paix exigent le respect
des délimitations héritéesde la période coloniale. L'étude de cas concrets
permet de mieux cerner la complexité duproblème. On peut d'abord évoquer
!'Algérie.Pendant la période coloniale, le Gouvernement français a fixéLa
consistance territoriale de l'Algérieen soumettant a une mêmeautorité
centrale. ceHedu gouverneur général.le nord et lesud du pays. c'est-à-dire son
prolongement saharien. Des que s'ouvrent des négociations entre le
Gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République
algérienne.une opposition apparaît. précisément,sur le sort du Sahara. Pour
les representants algériens.la reconnaissance de la souverainete algériennesur
le Sahara est lin préalable a la négociation. Le président du GPRA s'en
explique. en 1961. dans une conférence à Casablanca : « Nous pi-enons la
résolution que jamais l'Algériene cédera sans la reconnaissance de son
indépendance totale et de son intégrité territoriale.» Le président de la
République française prend acte de cette résolution et. dans sa conftirence de

presse du 5 septembre 1961. le présidentde la République française déclare :
<(Les réalités [etous savons que c'étaitun homme qui aimait insister
sur la nécessitéde regarder en faceles réalites],c'estqu'iln'ya pas un seul
Algérien,je lesais. qui ne pense que leSahara doit fairepartie de l'Algérie
et qu'il n'y auraitpas un seul Gouvernement algérien. quelleque soit son
orientation par rapport àla France. qui ne doive revendiquer sans relâche
la souverainetéalgériennesur le Sahara. »

Ainsi se trouvait reconnu le droit du peuple algériena son unité territoriale
et au recouvrement de ses richesses naturelles.
Autres cas, toujours dans cette.première catégorie :l'Irian et l'enclave de
Cabinda,rattachés l'una l'Indonésie.l'autrea l'Angola. sur la base de l'idéeque
devait être assuréel'unitéterritoriale et administrative de l'ancienne colonie
hollandaise. dans un cas. et de l'ancienterritoire d'outre-mer du Portugal. dans
l'autre.
Seconde catégorie :on dégagela solution suivantede la pratique des Nations
Unies : le droit de libre disposition ne peut pas détruire l'unitéd'un Etat

indépendant. Ici. nous ne nous trouvons plus en présence d'un territoire non
autonome mais d'un Etat indépendant et le droit de libre disposition est
considéré.par les Nations Unies. comme ne pouvant pas détruirel'unité de cet
Etat indépendant. L'exemple estfourni notamment par la sécession kütangaise.
précédenttrèssignificatif. La résolution du Conseilde sécurité du24 riovembre
196 1préciseles principes et les buts de l'organisation des Nations Unies en ce
qui concerne le Congo. elle s'affirme résolue a maintenir l'intégritéterritoriale
de la République du Congo et elle réprouve énergiquement les activités168 SAHARA OCCIDENTAL

sécessionnistes illégalementmenées par l'administration provinciale du

Katanga avec l'appui de ressources provenant de l'extérieur ; elle déclareque
toutes les activités sécessionnistesdirigéescontre la République duCongo sont
contraires a la loi fondamentale et aux décisionsdu Conseil de sécurité etexige
expressément que les activités de cette nature. actuellement menées au
Katanga, cessent immédiatement.
Troisième catégorie : La troisième situation est, fondamentalement diffé-
rente des deux précédentes. La première intéressait un territoire non
autonome. la seconde un Etat indépendant, la troisième concerne un Etat
reconnu internationalement avant la colonisation. placésous une domination
coloniale et démembre.
Le Viet Nam offre un parfait exemple de cette situation a deux moments de
son histoire contemporaine. La conquêtefrançaise a d'abord fractionnéle pays.
L'administration découpele Viet Nam en deux : une colonie. la Cochinchine.
conquise de 1859 à 1867. et un protectorat. Annam-Tonkin. établien 1883-
1884. Au lendemain de la proclamation de la Réqublique démocratique du
Viet Nam. a Wanoï.en septembre 1945. lesautorités administrantes tentent de
conserver la division territoriale par la proclamation d'une République
autonome de Cochinchine. Finalement. celle-ci est sans lendemain puisque

l'accord franco-vietnamien du 8 mars 1949 reconstitue l'unitédu Viet Nam et
lui rend I'indépendance. Maisune nouvelle menace pèse sur son unité. la
guerre civile éclateentre les deux gouvernements : cette guerre prend fin a
Genève en juillet 1954.
L'accord sur fe cessez-le-feu au Viet Nam, pour séparer les combattants,
trace à la hauteur du fTe parallèle une ligne de démarcation militaire et
provisoire. L'acte finalde la conférencedeGenèveaffirme l'existencedes droits
nationaux fondamentaux des peuples vietnamiens. la souveraineté, t'indépen-
dance. l'unité etl'intégrité territoriales.Des électionssont prévuesau plus tard
en juillet 1956.Ces électionsn'ont finalement pas étéorganiséeset deux Etats
s'établissentde part et d'autre du 17eparallèl:la République démocratique du
Viet Nam au nord et la République duViet Nam au sud. La guerre reprend et.
pour y mettre un terme, ce sont les accords de Paris <<sur la cessation de la
guerre et le rétablissementde la paix »du 27janvier 1973.
Or l'examen de cet accord est extrêmement intéressant. Cet accord doit
résoudreen effet une contradictionqui paraît. en théorie.comme disait l'auteur
que j'èvoquaistout a l'heure. absolument insurmontable. En effet. d'une part
l'article premier énumère les droits nationaux fondamentaux du peuple
vietnamien, l'indépendance,la souveraineté,I'unitéet l'intégrité territoria:ela

réunificationest prévuepar le chapitre V. Et, d'autre part, l'article9-reconnait
au peuple sud-vietnamien le droit d'autodétermination déclaré sacreet
inaliénable.
Comment concilier le droit a l'unité dupeuple vietnamien dansson entier et
le droit a l'autodétermination du peuple sud-vietnamien ? Eh bien. la
contradiction est de~asséewarl'interdiction de constituer un Etat sériaréT. out
simplement. le droii d'autchéterminaion s'effacederrière celii de l'unité,son
exercice doit seulement oerrnettre de déterminer. nous dit le texte. l'avenir
politique du Sud-Viet am, c'est-à-direpermettre l'établissementàSaigon d'un
régime acceptant a moyen terme le principe de la réunification de I'Etat
vietnamien.
Le second cas de cette catégorie. auquel évidemment nous pensons
irrésistiblement. est celui du Royaume du Maroc. qui se trouve dans une
situation identique a celle du Viet Nam au XIXCsiècle puisqu'il asubi le
démembrement de son territoire, soumis a des régimes juridiques différents,etqu'ilse trouvait mémedans une situation pluscomplexe que celledu VietNam
car il relevait de régimesjuridiques résultant de différentsdémembrement qui
visaient a concilier les intérdsdes diversespuissances européennesintéressées :
d'ou cette situation bizarre et bigarré:l'internationalisation de Tanger. le pro-
tectorat. les zones d'influence espagnole.les terres de souverainetéespagnole.
II est bien évident que si des liens juridiques existaient au moment de la
colonisation l'Assembléegénéralepourra en tenir compte :elle pourra estimer
et apprécier quelles conséquences en tirer.A cet égardil semble que l'on pour-
rait rappeler ici la déclaration faite par le représentant de la CÔted'lvoire qui.

1 la Quatrième Commission. déclarait a propos de la résolution 3292 (XNIX) :
Les auteurs de ce projet de résolution ont pris soin de dire que ce
recours a la Cour internationale de Justice ne porte pas prgudice a
l'application des principes contenus dans la résolution 1514 a laquelle ils
demeurent tous fermement attachés. ))

Ensuite les auteurs ont dit au paragraphe 3 du dispositiîque
« cet avis qui est demandéa la Cour permettra hl'Assembléede dkfinir la
politique a suivre pour accélérer.conformément a la résolution 1514
(XV). le processus de décolonisation quidevra se faire dans les nleilleures

conditions possibles ».
Le délégué de la CÔte d'lvoire a ainsi admirablement marque qu'il n'existe
aucune contradiction entre la résolution 3292 (XNIN) et la résolution 1514
(SV) a laquelle la première fait effectivement référence.comme elle fait
référence d'ailleurs atoutes les résolutions votées anterieurenient par
l'Assembléegénéralesur le Sahara occidental. En fait. le délégué de la Cote
d'lvoire disait que l'Assembléegénérale serait a mémede trouver. disposant

d'un dossier enrichi. la meilleure solution pour la décolonisation:aboutir ala
décolonisation dans les meilleures conditions possibles. De fait, l'Assemblée
généralepourra imaginer divers procédésde décolonisation et si elle peut
recourir a l'organisation de consultations. elle aura aussi la possibilitéd'opter
entre plusieurs options. car de toutes façons. et c'est le second point de cet
exposéauquel nous arrivons niaintenant. la décolonisation ne débouche pas
forcement sur un type determiriéde modalitks. la décolonisationne débouche
pas forcémentsur la création d'un nouvel Etat indépendant d'autant que. si
nous partons du principe que nous évoquions ce matin. savoir que nulle
violence ne doit êtreraiteiiun peuple. lui assigner un Etat dont I'indkpendance
serait fictive serait pricisement commettre une violence a son égard.

Nous abordons ainsi le thème de la dirrrrsirr'des ~eclririyires.après avoir
montre celui de la diversitédes principes.
L'indépendance estune solution. mais ce n'est qu'une option ainsi que le
confirme la résolution 1541 (NY) du 15 décembre 1960. Dés lors le
raisonnement juridique espagnol selon lequel laréponsenégativede la Cour a
la première question et la réponse positive a la seconde devraient entraîner.
d'une façon nécessaire. la renonciation à l'utilisation du procédé de
l'autodétermination est absolument sans pertinence. Car I'autodetermination
elle-même peut aboutir a diverses solutions. L'Assemblée générale est
souveraine dans lechoix des solutions politiques. Elle n'est liéa cet égardque

par la Charte et les grandes résolutions de principes prises sur sa base.
notamment la résolution 1514 (SV). la résolution 1541 (SV). Selon le prin-170 SAHARA OCCIDENTAL

cipe VI de l'annexe a la résolution 1541(XV). on peut dire qu'un territoire non
autonome a atteint la pleine autonomie :

((a) quand il est devenu Etat indépendantet souverain :
6) quand il s'est librement associé a unEtat indépendant :ou
cl quand il s'est intégréa un Etat indépendant. >>

Ainsi. les soiutions auxquelies peut abouijr le processus de décolonisation
sont diverses. II convient de rapprocher le principe VI de l'annexe a la
résolution 1541(XV) du paragraphe 4 de la résolution 2625 (XXV) sur les
relations amicales et la coopérationpacifique entre les Etats qui déclar:
«La créationd'un Etat souverain et indépendant.la libre association ou

l'integration avec un Etat indépendant ou I'acquisition de toute autre
statut politique librement décidépar un peuple constituent pour ce peuple
des moyens d'exercer son droit a disposer de lui-même. ))
Ainsi la résolution2625 (XXV)éclaireadmirablement la résolution1541(XV).
Pour la résolution 1541 (XV) on peut dire qu'un territoire non autonome est
décolonisélorsqu'il est devenu un Etat indépendant. lorsqu'il s'estlibrement

associe ou lorsqu'il s'est intégra un Etat indépendant. Autrement dit. cette
résolution 1541 (XV) définit les solirtiot~s qui sont considéréescomme les
resultats de la décolonisation. Pour autant lesnioyetisutilises pour parvenira
tel résultatde la décolonisationsont très divers et précisémentla consultation
par référendumen est un parmi d'autres. L'intérêd t e la resolution 2.625
(XXVI est qu-elle ajoute un élément nouveau en exposant que la libre
détermination elle-même,conçue comme le recours au référendum. peut
égalementaboutir à l'un des trois résultatsprévuspar la résolution 1541(XV).
Lestrois resultats indiquéspar celle-cipeuvent être atteints aussi parle moyen
de la mise en ceuvre de la libre détermination et. du mêmecoup. se trouve
éclairéun problème d'interpretation des diverses resolutions des Nations
Unies. qui affirment le droit des peuples a I'autodétermination et a
l'indépendance.
II est bien évident que parler de droit a I'autodétermination et a
I'indépendance.comme je l'évoquaisce matin. semble assez illogique, parce
que si toute autodétermination devait ètre considérée comme devant

nécessairementaboutir a l'indèpendancecela signifierait qu'in'y aurait pas de
libre détermination véritable. Cela signifieraitqu'un peuple se verrait exclu de
la possibilitédes deux autres solutionsprévues par les résolutions1541 (XV) et
2625 (XXV), a savoir l'association ou l'intégration. II est également exclu
d'imaginer que les résolutionsnombreuses qui parlent d'autodétermination et
d'indépendance aient voulu, en les liant I'une a l'autre. imposer a I'auto-
détermination la solution d'indépendance.contraire au concept mêmed'auto-
détermination si elle est la solution unique et exclusive.
Et cependant ces résolutions ne commettent pas d'erreurs. Elles savent fort
bien ce qu'elles veulent dire.
Pour comprendre les formules utiliséespar ces résolutions et leur donner
leur sens véritable. il faut les restituer dans leur contexte. et celui-ci est
essentiellement le fait colonial par rapport auquel elles se situent.
L'indépendance,en effet, pose d'abord la question de savoir a l'égardde qui
on va se déclarer indépendant. Or.c'est un fait que I'autodétermination et

l'indépendancesont intimement liéesI'uneà l'autre dans la mesure OU il s'agit,
pour le peuple concerné. de retrouver son indépendance à l'égard du
colonisateur. Mais pour autant cela ne signifie pas que ce peuple, exprimant
librement sa volonte. tout en se déclarant indépendantdésormais a l'égardde 171
EXPOSE OKAL. DE 51. DUPUY

I'anciennepuissance coloniale ne voudra pas s'associerou s'intégrer a un autre
Etat, avec lequel ilétaitprécisément associéo.u auquel ilétait intégravant que
ne se produise. a son égard.l'emprisede la colonisation.
Autrement dit. un point est certain. l'affirmation conjuguée du droit a
I'autodétermination et a I'indépendance constitue l'affirmation de deux
principes complémentaires. déslors qu'ils concernent I'ancienne puissance
coloniale. Cette formule liant I'autodétermination a I'indépendance exclut
l'autodétermination factice. inauthentique. organisée. manipulée par le
colonisateur lui-meme et qui pourrait conduire a l'intégrationavec la puissance

coloniale elle-mèmeou à l'associationavec elle.cequi était précisémenlta thèse
du Gouvernement espagnol en 1966 et dans les années suivantes. qui
envisageait alors l'intégration.
Voila pourquoi les résolutions desNations Unies ont assuréla nette liaison
entre I'autodétermination et I'indépendance. Elles ont voulu exclure une
hypothèse d'autodétermination tronquée. aboutissant à l'intégrationà l'ancien
Etat colonial. et l'oncomprend des lors qu'en 1973la résolution 3162(XXVIII)
ait déclaréréaffirmer l'attachementde l'Assembléegénérale

« au principe de l'autodétermination et son souci de voir appliquer ce
principe dans un cadre qui garantisse aux habitants du Sahara sous
domination espagnole l'expression libre etauthentique de leur volonté.
conformément aux résolutions pertinentes de l'Organisation des Nations
Unies dans ce domaine fi.

On ne saurait mieux dire que t'autodétermination ne saurait aboutir à un
système d'intégrationou d'association au colonisateur ni a un systémequi.
d'une manière détournéeet camouflée. maintiendrait la domination de la
puissance coloniale a l'encontre de laquelle serait affirmée I'indépendancedu
territoire jusque-lii colonise.
Or. Monsieur le Président.Messieurs de la Cour, si nous nous reportons a
l'examendes résolutions des Nations Unies. cet examen nous révèleleur souci
d'éviterqu'une décolonisation iictive ne débouche sur la création d'un Etat
inconsistant. permettant le maintien du controle de I'ancienne puissance
administrante. Le paragraphe 4 de la résolution 2621 (XXV) du 21 octobre

1970. relative ail programme d'action pour I'application intégrale de la
déclarationsur l'octroi de I'independance aux pays et aux peuples coloniaux.
condamne
(<les activités et les pratiques des interéts étrangers - économiques,
financiers et autres- qui opèrent dans les territoires coloniaux nu profit
des puissances coloniales et de leurs alliésou en leur nom. car celles-ci

constituent un obstacle majeur a la réalisationdes objectifs énoncésdans
la résolution 1514(XV) ».
De même.selon le paragraphe 2 de l'article 16 de la Charte toute récentesur
lesdroits et lesdevoirs économiquesdes Etats. nous lisons : <Aucun Etat n'a le
droit depromouvoir ou encourager des investissements qui peuvent constituer

un obstacle a la libérationd un territoire occupe par la force))
La décolonisation unilatéraleest ainsi condamnéeet nous pouvons dire que,
dans ces conditions. est grave le fait pour un gouvernement de s'efforcer,
contrairement au contenu des résolutions pertinentes adoptéespar l'Assemblée
généraled . 'ignorer que tel et tel Etat, en l'espèce,pour l'Espagne.leillaroc et la
Mauritanie. a étéqualifiéd'Etat concerné. parles Nations Unies.
Le témoignage de cettevoloiitéde décolonisation unilatérale en dépit des
résolutionsde l'Assembléegénérale. invitantle Gouvernement espagnol a une172 SAHARA OCCIDENTAL

consultation. c'est-à-dire a une véritable coopération avec le Maroc et la
Mauritanie. apparaît très nettement dans divers textes :

Une lettre du 18 avril 1967 adressée au Secrétaire généralpar le repre-
sentant de I'Espagne :

Le 18novembre 1966. une délégationde Sahraouis a remis au sous-
secrétaire du département des territoires non autonomes deux communi-
cations dans lesquelles le représentantde la population autochtone déclare
que celle-ci devrait décider elle-méme. librement. de son avenir.
L'Espagne. qui. en prenant cette position, agit conformément aux
principes des Nations Unies. ne peut cependant pas admettre I'interven-
tion d'intérêtscontraires à la volonté des populations du Sahara. ))
(Document no 98 du dossier transmis par le Secrétairegénéral de l'ONU.)

Le 17 octobre 1968. le ministre espagnol des affaires étrangèresécrit.dans
une lettre adressée au Secrétaire général des Nations Unies,que son
gouvernement « estime que c'est à la population autochtone elle-mêmequ'il

incombe de décider de son avenir, en négociant avec I'Espagne )i.Et le
28 septembre 1973. le représentant permanent de l'Espagne auprès de
l'organisation des Nations Unies communique au Secrétaire généralquatre
documents relatifs au Sahara occidental. Deux sont essentiels pour compren-
dre le projet du Gouvernement espagnol et ses conceptions en matière de
décolonisation.
Le premier est une communication adresséeau chef de I'Etat espagnol par
l'assembléegénéraledu Sahara et de ce texte se dégagent trois idées :

(<1) le désirdu peuple saharien de déclarer publiquement. pour que nul
ne l'ignore dans le monde. que la coexistence séculaire entre les
peuples espagnol et saharien est absolument volontaire et est fondée
sur l'amitié. la sincérité.le respect mutuel et la justice qui ont
toujours régnédans les rapports fraternels entre les deux peuples et
qui ont été particulièrement favorablesau Sahara ;

2) Iàutorité suprême,dupeuple saharien continue d'etre incarnéepar le
chef de I'Etatespagnol et que I'Espagne. aunom du peuple saharien.
continue d'exercer la représentation internationale de celui-ci et
garantit l'intégritde son territoire et la defense de ses frontière:
3) seul le peuple saharien a le droit de décider de son avenir sans
contrainte ni ingérence étrangères.

Le deuxième document est la réponse du chef de I'Etat : « l'acte
d'autodétermination s'accomplira quand la population enaura fait librement la
demande H.
En d'autres termes. a la lumière de tous ces textes. le Gouvernement.
espagnol veut étrele maître du moment et de laprocédurede ce qu'il conçoit
comme l'autodétermination.On comprend mieux lesens de la résolution3292
(XXIX) demandant a L'Espagne de surseoir au référendum qu'elle avait
unilatéralement envisagé d'organiser au Sahara occidental. L'Assemblée

généralea .utrement dit. refuse. et celad'une façon genérale,la politique du fait
accompli : elle refuse la créationd'un Etat qui ne serait pas authentiquement
décolonisé.La vraie décolonisation est d'assurer une indépendance réelleà
l'égarddu colonisateur et. par conséquent. il conviendra, pour I'Assemblee
générale.de déterminer le statut du Sahara occidental le plus approprie. Or,
celle-ci, a ce moment-la, va de nouveau rencontrer une grande diversitéde
solutions pour l'appréciationdesquelles les informations qu'elleaura reçues de EXPOS~ ORAL DE hl. DUPUY 173

l'avis de la Cour lui seront utiles. sans qu'on puisse pour autant. compte
tenu de cette diversité, établirla moindre connexion. la moindre corrélation
automatique entre l'avis etla démarchea venir de l'Assembléegénérale.
La pratique révèleen effet au moins trois options. La résolution 1541
n'exprime pas des hypothèses d'école. ellesuppose un choix réel.Or. les
circonstances particulières justifient les solutions adoptées: il est donc
important pour l'Assembléegénéralede considérer le statut réeldu Sahara
occidental a l'heure actuelle. mais aussi les liens juridiques ayant pu exister
auparavant entre cette province et le Maroc au moment de la colonisation
espagnole.
Le mémoire espagnol affirme que le Sahara occidental se trouve dans un
statut juridique international. Nous avons déjà fait. nous le pensons, une
critique de cette prétention. nous estimons qu'il y a une grande contradiction
de la part du Gouvernement espagnol a soutenir tout a la fois que ce territoire
est placésous un statut international et sous la souveraineté de l'Espagne.

Lorsqu'un territoire est placésous un statut international, il s'agitd'un statut
du territoire lui-n~éme,d'un statut réel. et il est exclu que l'autoritéde la
puissance coloniale qui s'yexerce soit autre chose que celle d'un gestionnaire,
non d'un souverain. La puissance coloniale ne peut se dire souveraine que si le
territoire est situédansun régime colonial etnon doté - a titre de territoire(re1
- d'un statut international. Dans ce cas la Puissance administrante doit
supporter des obligations a titre personnel incontestablement. obligations
personnelles qui. de toute façon. ne transforment pas le statut du territoire en
une sorte de territoire sous mandat ou sous tutelle. Un tel statut international
ne résulteque d'un accord international qui confèrea ce territoire ce dit statut.
Or, tel n'estpas le cas ici.

L 'audieirce,s~ispendr~a 16 1715, est reprise c16 I35

La résolution 2625 (XXV) préciseque tout Etat a l'obligation de :

«b) mettre rapidement fin au colonialisme en tenant dûment compte de
la volonté librementexpriméedes peuples intéressés :
et en ayant présenta l'espritque soumettre des peuples ala subjugation. a
la domination ou a l'exploitation étrangèresconstitue une violation dece
principe. ainsi qu'un déni des droits fondamentaux de I'hommc. et est
contraire a la Charte. »

On retrouvera dans ce texte. premiérement. qu'il faitI'obligation de mettre
fin non seulement a la situation coloniale d'un territoire non autonome. mais
égalementau colonialisme qui est une forme plus subtile que le phénomène
colonial historique qui se réalisait parl'annexion. Si l'on peut dire. c'étaitla
colonisation du tambour et des étendards. Mais. rentrés les tambours. repliés
les étendards. le colonialisme. plus discret. est encore susceptible de se
manifester en permettant a la puissance naguère administrante de rester la
puissance inspirante. Au surplus. le mêmetexte précise ensecond lieu que ce
territoire doit étre libérénon seulement de fa subjugation mais aussi de la
domination et de l'exploitation etrangeres. Or. la thèse du Gouvernement
espagnol est. au paragraphe 349 de l'exposéecrit (1. p. 209-210).que les titres

historiques des Etats sur le territoire ne peuvent avoir aucune valeur face aux
droits des peuples a la libre détermination. Notons qu'en affirmant cela
l'exposéecrit espagnol semble reconnaître l'existence de titres historiques des
Etats concernés. mais cen'estla qu'une parenthèse. La portéede l'observation
de l'Espagne est que le droià la libre détermination seraitdonc un préalableet174 SAHARA OCCIDENTAL

que lestatut d'un territoire ne devrait plus se fonder suraucun autre examen et
en tout cas pas sur l'examen de titres historiques. On peut observeracet égard.
en premier lieu. que si comme le dit le Gouvernement espagnol, au para-

graphe 350 de son exposé (1.p. 21O), le statut international d'un territoire
non autonome résidedans le droit de sa population ala libre détermination, et
sur ce point nous serions d'accord. on devrait constater que la Puissance
administrante du Sahara occidental a jusqu'ici méconnu ce statut. En second
lieu, mélanttout à la foisl'appelaux notions de statut international du territoire
et de souverainetéespagnole. l'exposeécritau paragraphe 293 (1.p. 182) :
(<Le Sahara occidental est actuellement un territoire non autonome.
jouissant d'un statut international propre. sur lequel L'Espagne. la
Puissance administrante, exerce sa souveraineté territoriale incontestée.H

Nous rappelons que nous ne sommes point la pour contester la souveraineté
territoriale de l'Espagne. mais simplement pour contester qu'elle puisse
l'associera l'idéede statut international pour le territoire. Or. si comme nous
l'avons dit tout a l'heure. pèsent en effet sur la Puissance administrante des
obligations a titre personnel (obligations que l'Espagne a méconnues en
s'efforçant de les tourner par le recours a une autodétermination unilatérale-
ment organisée).il n'en est pas moins exact que I'obligationde décolonisation

authentique serait également méconnue par l'abandon pur et simple du
territoire a des autorites de complaisance. installéeset investies par la Puissance
administrante. éventualité que le Gouvernement espagnol semble avoir
évoquée récemmentL . a décolonisation unilatéralequi tend en fait pérenniser
le contrôle d'une puissance 'étrangèresur un territoire est condamnée par la
pratique des Nations Unies. Des lors qu'un Etat colonial a accepté de
reconnaître que certains territoires étaientnon autonomes. il n'estplus libre de
changer cette qualification. Pour autant. le territoire n'a pas un statut
international particulier. II a un statut constitutionnel définipar la Puissance
administrante et ce statut constitutionnel ne peut changer que conformément
aux vŒux de la population. c'estcequi a d'ailleurs été observé dans toutes les
circonstances. y comprisdans lecas d'Ifni.ou les résolutions visaientbien « les
veux des populations ». mais seule l'Assembléegénéralea qualité pour
constater precisément si cette mutation s'est opéréeréellementet rkgüliere-
ment. C'est seulement au lendemain de cette constatation qu'un statut

international est reconnu a l'ancien territoire non autonome.
La qualitéde non-autonomie-se perd par l'indépendance. Or.comment peut
se réaliser cetteindépendance ? Examinant la pratique internationale et celle
des Nations Unies. nousavons observéla diversitédes solutions qui s'offrent ;
nous avons dégage tout a l'heure une typologie faisant apparaitre trois
catégories de situations différentes. Nous voyons maintenant, méme pour
l'indépendance.diverses façons dese réaliser.L'indépendancese réalisesoit par
la constitution d'un nouvel Etat. soit par l'association a un Etat indépendant.
soit par l'intégrationdans un Etat déjàindépendant :ce n'est pas nous qui le
disons. c'estla résolution 1541 (?(VI.etce sont d'autres résolutionsque je vais
demander a la Cour la permission de rappeler et de citer qui l'affirment
expressément. Cette intégration elle-mêmepeut d'ailleurs s'effectuer de
plusieurs manières. J'en dégagerai trois. a la lumière de la pratique
internationale.
Premiérement,l'intégrationpeut se réaliserau sein de l'ancienne Puissance
administrante. Nous en avons un exemple tout récentqui concerne, non pas
un territoire non autonome. mais un territoire qui étaitsous tutelle. IIs'agitde
l'archipeldes Mariannes du Nord qui. par un référendumdu 17 juin 1975(on ESPOSE ORAL DE hi. DUPUY 175

ne saurait en trouver de plus récent).s'est déclaré, librement. territoiredes
Etats-Unis. Voila un cas où I'autodétermination a conduit a une intégrationa
l'ancienne Puissance administrante au titre de la tutelle.
Deuxième cas.celui de l'intégrationdans un Etat voisin. Leexempleest celui
duCameroun :on nous a sollicitéa plusieurs reprises de parler du Cameroun
septentrional et nous avons toujours rejetéla référence a I'arrètde la Cour le
concernant: en revanche nous devons rappeler les conditions de la
décolonisation du Cameroun sous tutelle britannique. Certes il s'agissait. la

encore. d'un régimede tutelle. mais lecas est trèsintéressant.car il a conduit la
Cour elle-même a se pronoricer dans' une affaire contentieuse sur les
hypothèsesde la résolution 1541(XV).
La Cour internationale de Justice a rendu. en effet. t2juillet 1963 un arrêt
dans lequel elle constate que « le plébiscite a bieneu lieu les II et 12 fevrier
1961 et. le 21 avril 191. l'Assembléea adopté par la suite la résolution 1608
(XV) »: celle-ci présenteLinintkrêtspécialen l'espèce.car le paragraphe 2 de
cette résolutionmentionnéepar la Cour est ainsi conCu :
« [L'~ssembléegénérale ]reiidacte des plébiscitesselon lesquels:

a) la population du Cameroun septentrional a décide.a une majorité
importante. d'accéder al'indépendanceen s'unissant a la Fédération
du Nigeria indépendante. )>
L'Assembléegénéralea admis cela et la Cour a fait réference expressea ce
texte. La population par ce plébiscitea décidéd'accédera l'indépendanceen
s'unissant a la Fédérationdu Nigéria indépendante.Donc l'intégration,c'est
aussi l'accession a I'indépendance. Etla mêmerésolution ajoute : cb) la
population du Cameroun méridional ü également décidéd'acckder a I'indE-
pendance en s'unissant a la Républiquedu Cameroun indépendante. .i

Troisième solution : l'intégration au sein d'un Etat ayant retrouve son
indépendanceet recouvrant. par la même.par cette integration. son unitéet
son intégritéterritoriales. C'est le précédentde l'Inde. et du rattachement des
établissements français de I'lnde ex-française et du rattachement de I'lnde
portugaise, des enclaves deGoa, a I'lnde.IIs'agit biend'une intégrationau sein
d'un Etat qui avait retrouve son independance et qui. du mêmecoup,par cette
intégrationrecouvrait son intégritéterritoriale.
Ce type de précèdent est particulièrement révélateudres ouvertures qui
s'offrenta la pratique des Nations Unies. Ces divers exemples prouvcnt aussi
que les questions posées a la Cour constituent bien un préalable a la
décolonisationdu Sahara occidental. car. face a une telle diversité.il est bien
normal que l'Assembléegénéraleescompteetre eclairéequitte àceque. dans le
contexte politique et face au jeu des principes et des techniques qui se
présentent a elle. et compte tenu des conditions spécifiquesdes territoires au
temps présent. parce que pour elle le probleme est en effet un problème du
présent etun probleme du futur. elle utiliseces éclaircissementsau mieux. pour

aboutit a la décolonisation dans les meilleures conditions possible. pour
reprendre l'expression du représentant de la côte d'Ivoire que je citais touta
l'heure.
D'ailleurs. mémedans I'hypothkse où l'Assembléegénéraledécideraitque,
pour la mise en euvre du principe de la libre détermination. il convient de
recourir a un référendum.dans ce cas-la aussi bien, il serait utile de savoir si.
compte tenu de l'existencede liens juridiques avec un pays au moment de la
colonisation par l'Espagne de ce territoire. il ne conviendrait pas de poser aux
populations le probleme de leur rattachement, de leur retour. ou au contraire
de leur detachement. ace qui. par hypothèse. serait leur ancienne mèrepatrie.176 SAHARA OCCIDENTAL

En résumé.Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour, ce
problème de l'aménagement des questionsdans un éventuel référendumest
donc éclairé,dans une certaine mesure. par la nécessitépour l'Assemblée
généraled'être aucourant de toutes les données de l'affaire. sans que pour
autant l'Assembléesoit conduite. sur le vu de ces informations reçues. a
prendre des dkcisions que nous pourrions prévoir dès maintenant. car ce
domaine est un domaine complexe. c'est le domaine de la politique. c'est le
domaine de l'opportunité.c'estledomaine dans lequel un certain empirisme est
évidemment laissé al'organe qualifié. Cetorgane, nous l'avons vu. est flexible
dans sa démarche. il s'efforce d'adapter celle-ci aux problemes concrets ; ce
n'estpas le hasard qui le guide. ou son choix ne saurait étrearbitraire. IIveut
s'informer. il désire disposer d'un dossier complet. ilveut donc un avis qui
constitue, dans son cheminement vers une solution politique juste. vers une
décolonisation véritable. C'est la raison pour laquelle il considere cet avis
commeune formalité substantielleet importante. d'une grande utilité.sans que

pour autant. bien sur. il nous ait dit et sans que nous puissions prévoir cequ'il
en fera exactement. L'avis n'altéreradonc pas le libre choix de l'Assemblée
générale.
Tel est le propre d'ailleurs du souverain, de celui qui se détermine dans le
domaine politique a la lumière des données concrètes des problemes. mais
aussi des principes. des techniques. illustrés par les précédentsde la pratique
internationale.
Ainsi se trouverait définilecontenu de la notion d'Etat concernéutiliséepar
la résolution3292 (XXIX).Le recours a une consultation populaire sous l'égide
des Nations Unies pourrait éventuellement. si elle était décidee. y attacher
quelque intérêt.On comprend. des lors. que dans toutes les hypothèses
auxquelles l'Assembléegénéralepourra ètre amenée a se rallier. les questions
poséesa la Cour constituent un préalable.IIn'y a pas d'autre préalableque ces
questions que l'Assembléegénérale a poséesdans cet esprit.
On comprend égalementpourquoi, dans sa sagesse. la Cour internationale
de Justice a décidé,dans l'affaire présente, de mêler.les débats sur la
compétenceet sur le fond. C'est parce qu'elle a fort bien compris que ces deux
aspects sont indissociables. compte tenu de la signification des questions a elle
posées par l'Assemblég eénérale.IIest bien évident que.dans ces conditions. les

réponsesde la Cour ne préjugenten rien les modalitésde la décolonisation qui
seront fixées par l'Assemblée. Pour que toutes les alternatives de la
décolonisation soient explicitées.il faut qu'avant tout recours a telle ou telle
d'entre elles. il soit vérpar la Cour si un pays a vocation a la qualification de
mère patrie. Je dis bien :a vocation.
II s'agit bien de cela. Est-ce que telle communauté a vocation à êtrela
communauté d'accueilpour le retour d'une population qui relevait autrefois de
sa souveraineté et qui souhaiterait y revenir ? Ou bien est-ce qu'elle n'a pas
cette vocation ?IIne s'agitpour l'heureque de vocation et. dans ces conditions,
quel que soit le procédé etlors rnëme que ce serait celui du référendum,il
convient de déterminer par rapport a qui. par rapport a quelle entitéayant
vocation. on va s'autodéterminersoit par rattachement. soit par détachement.
et le cercle est bouclé. L'Assembléegénéraleva ainsi disposer de toutes les
donnéesdela cause. Sur levu de sa pratique. ala lumière des principes.compte
tenu de la diversité des techniques. des modalités de décolonisation qui
s'offrentitelle et qui ont étéutilisées soitsousson égide. soithors de son cadre
pour certaines affaires. de toute façon. grâce a cette culture juridico-politique,
I'Assembleegénéraleva pouvoir adopter une démarche plus assurée encore
parce qu'ellesera mieux informée. EAPOS~ ORAI. DE hl. DUPUY 177

C'est que votre avis sera certainement ni insignifiant. comme on l'accuse
parfois de devoir ètre en arguant d'un soi-disant académisme des questions
posées, ni déterminant. car l'Assemblée générale est riche de solutions
virtuelles qu'elle doit adapter au concret auquel elle est confrontée. II sera
éclairant etcést cet éclairageque lesNations Unies vous ont demande.
Monsieur le Prksident. Messieurs les membres de la Cour. il reste au conseil
du Gouvernement marocain de vous redire le grand honneur qu'ila éprouvé a
tenir labarre devant la Cour. eii vous priant de l'excuser pour le temps qu'il a
dii consacrer a ses développements. en vous priant aussi de croire ;isa plus
profonde gratitude pour la bienveillante attention que vous lui avez accordée. EXPOSE ORAL DE hl. BENNOUNA

REPRESENTANTDU GOUVERNEMENT MAROCAIN

M. BENNOUNA : Monsieur le Président, Messieurs les membres de la
Cour, j'ai l'honneur de prendre la parole aujourd'hui dans le cadre des exposés
oraux que la délégationmarocaine entend consacrer, avec l'autorisation de la
Cour, aux questions qui sont soumises Bla plus haute juridiction internationale
pour avis consultatif par 1'Assembleegénéraleau sujet du Sahara occidental.
En se conformant a l'orientation que vous avez recommandée, Monsieur le
Président,en ouvrant cette procédure orale, la délégationmarocaine a estimé
nécessaired'apporter a la Cour certains compléments d'information qui ne
figurent pas dans le mémoireécritque le Gouvernement marocain a présentéà
la Cour. Et pour cause. leGouvernement marocain a tenu. dans son mémoire
écrit.aexposer a laCour des Clémentsd'information et des documents. comme
le lui demande expressémentla résolution3292 (XXIX).en se situant dans le

cadre trèsstrict des questions posées par cettemême résolutionM . ais tel n'est
pas le cas. comme a eu l'occasion de Ledire le conseil du Gouvernement
marocain. M. le professeur Dupuy. tel n'est pas le cas de l'expose soumis par
l'Espagne.
LeGouvernement espagnol a voulu détournerla Cour de ces questions qu'il
estime non pertinentes et l'amener. au travers de I'examendu droit des peuples
a disposer d'eux-mêmestel que compris et interprété parce même Gou-
vernement espagnol et de l'examen du processus de la décolonisation du
Sahara occidental. a se déclarer incompétente.
Nous sommestenus ainsi de répondre a cette argumentation. bien que nous
estimions que ce nést pas exactement l'objetdes questions qui sont poséesa la
Cour. et de soumettre a la Cour des éléments nouveaux d'appréciation de
manière a écarter définitivement les prétentions confuses. on a eu déjà
l'occasionde le dire, et souvent contradictoires que nous avons étéobligés. et
c'est notre rôle. de relever dans l'expose écritqui vous a étésoumis par le

Gouvernement espagnol.
Nous pouvons lire ainsi dans l'exposé écridtu Gouvernement espagnol :
<<les questions formuléesdans la pétition d'avisconsultatif manquent de
pertinence juridique dans le droit international contemporain, dont
Iéxigence véritable est la décotonisation du Sahara occidental par
l'applicationdu principe de la libre déterminationdes peuple» (1,p.2 19,
par. 379).

On affirme ainsi la non-pertinence de ces questions du fait de l'applicationdu
principe de la libre détermination des peuples.
Or, ce sontprécisémentles difficultés néede l'application dece principe qui
sont a l'originede l'adoption par l'Assembléegénérale desNations Unies de la
résolution3292(XX IX) en date du 13 décembre 1974, par laquelle vous étes
saisis en celle affaire. En effet, ce texte, tout en « rc'aJfiniiurit droit a
I'autodéterminalion du Sahara espagnol. conformément a la résolution 1514
(XV) )>constate qu'une <<dificulte juridique a surgi au cours des débatsau
sujet du statut dudit territoire au moment de sa colonisation par l'Espagne».

Ainsi, afin de poursuivre l'examen de la question du Sahara sous domination EXPOSE ORAL DE M. BENNOUNA 179

espagnole, l'Assembléegénéralea estimé nécessairede soumettre à la Cour
certaines questions juridiques importantes se rapportant a ladite controverse.
Doit-on voir la une contradiction dans l'attitude de l'Assembléegénérale des
Nations Unies ? Controverse juridique d'une part et affirmation d'autre part
du principe de l'autodétermination. C'est ce que déclare le Gouvernement
espagnol qui demande a la Cour de se contenter de relever cette contradiction
et de se déclarerincompétente.
Je voudrais d'abord me situer sur un plan purement formel avant de me
situer sur le fond. Sur le plan purement formel, on ne peut manquer de relever

que l'Assembléegénérale a tenua marquer la continuité de son ziction en
rappelant toutes les résolutionsrelatives a l'affairedu Sahara depuis 1965. Elle
a tenu. par ailleurs, a souligner qu'elle se réservait le droit de décider des
modalités du processus de décolonisation du Sahara occidental. L'Assemblée
générale, selonle paragraphe premier de la résolution 3292 (SXIX) :

«Dc;cide de demander a la Cour internationale de Justice, sans
préjudicede l'application des rincipes contenus dans la résolution 1514
OXV)de l'Assembléegentiralegt c'estle processus de la décoloniration],de
donner, a une date rapprochée, un avis consultatif sur les questions
suivantes. »

La réponseaux questions posées estdestinée a éclairer- et nous sommes bien
obligésd'insister sur Iëclairage, te terme<<éclairer» qui résulte d'ailleursde la
jurisprudence de la Cour en matière d'avis consultatif - l'organisation dans

son action propre ; il n'est.pas question, comme le suppose le Gouvernement
espagnol, d'une remise en cause par le Gouvernement marocain du droit des
peuples a disposer deux-mëmes.
Sur le fond. l'argumentation du Gouvernement espagnol est fondéesur un
postulat inexact, selon lequel l'Assembléegénéraleaurait déjàdécide,de façon
définitive, dusort du Sahara occidental par la simple reconnaissancc du droit
du peuple sahraoui a la libre détermination. A partir d'un postulat inexact,
toute l'argumentation, par conséquent, espagnole a été construite. Une telle
argumentation, de ce fait. partant d'un postulat inexact, ne peut conduire qu'a
des conclusions erronées. Le principe du droit des peuples a disposer d'eux-
mimes fait partie du droit positif iriternational actuel, ainsi que la Cour l'a

reconnu expressément dans l'avisdu 2 1juin 1971sur l'affaire de la Nutt~ibie,
plus particulièrement dans les paragraphes 52 et 53 (C.f.1Rectrei/ 1971, p. 31).
Mais ce principe pose encore de nombreuses difficultésau niveau de sa miseen
Œuvre, Monsieur le Président,Messieurs les membres de la Cour, et avec votre
autorisation je vais citer quelques auteurs, spécialistesde ces questions du droit
des peuples a disposer d'eux-mênies,pour montrer exactement clans quel
contexte et comment se pose k: principe dans le droit positif actuel.
IR professeur Virally, dont l'ouvrage a dkjàétécite au cours de la séance
precédente,ouvrage sur L'Orgaiiisoriotittia~~dialep ,ubliéen 1972, écrit : t<la
réalisation progressive d'un très large consensus sur le droit des peuples a
disposer d'eux-inèmesest maintenant établie )et il ajoute:

<(certes il ne s'agit que cl'un accord de principe qui laisse subsister de
larges plages de désaccordsur l'étenduede ce droit et sur lesconditionsde
sa mise en Œuvre...

On s'explique dans ces conditions que l'on s'en soit tenu, pendant
longtemps, a invoquer le droit des peuples [a disposer d'eux-mêmes]a
propos de situations ccmcretes, sans se hasarder a une définition
générale. >)(P.238 et 309.)180 SAHARA OCCIDENTAL

Le professeur nord-américain Emerson, auteur de nombreuses étudessur le
droit des peuples a disposer d'eux-mémes.aboutit a la mémeconclusion dans
un de ses derniers articles paru dans I;l~nericurrJo~rnral(~/rilc.rtiatio~iLaw!
de 1971 :

« Any examination of self-determination runs promptly into the
difficulty that while the concept lends itself to simple formulation in
words which have a ring of universal applicability and perhaps of
revolutionary slogans, when the time comes to put it into operation it
turns out to be a complex matter hedged in by limitations and caveats...
Because of the great variety of situations, problems and claims, the
decisions would undoubtedly have frequently to be of an ad lioc 'political'
nature ...)(P.459 et 474.)

C'est précisémentpour adapter ses décisions aux situations concretes et
pour tenir compte des limitations inhérentes au principe du droit des peu-
ples a disposer d'eux-mêmesque l'Assembléegénkralea crééen 196l (résolu-
tion1654 (XVI)) « un Comité spécialcharge d'étudier la situation en ce qui
concerne l'application de la déclarationsur l'octroi del'indépendanceaux pays
et aux peuples coloniaux )>.ditO Comitédes vingt-quatre D.
Eclairéepar les rapports de ce comité,l'Assembléegénéralese réservele
droit de décider,en fonction de circonstances qui sont évolutives, des modalités
du processus de decolonisation.
De circonstances qui sont évolutives. IIest certain que dans la conduite de

son action propre l'Assembléegénerale doit tenir compte, tout d'abord, des
limitations inhérentes au principe de libre détermination, tel qu'il se présente
dans le droit positif actuel. Protecteur des aspirations nationales des peuples
soumis a la domination coloniale, ce principe garantit également l'existence
nationale et l'intégriterritoriale des peuples déjàconstitues en Etats. II porte
en lui-mêmeces deux éléments.Nous sommes tenus de constater, et non
d'inventer, le droit positif.
C'est en tout cas ce qui ressort de l'ensemble des instruments juridiques
internationaux relatifs au droit des peuples à disposer d'eux-mémeset c'estce
qui ressort de la pratique des Nations Unies, ainsi qu'a commencé a l'exposer
devant vous le conseil du Gouvernement marocain.
Si nous essayons d'analyser les travaux préparatoires de la Charte elle-
même,lorsque le principe du droit des peuples a étédiscuté,et si nous nous

référons par conséquenta ce document fondamental, dans son tome VI, qui
s'intitule Utiited Nurior~sCoi!fcrelioii Irrrertru~iotialOrgurtizaticiirs,pa298,
nous lisons ceci:
4<Ce principe [ils'agitdu principe du droit des peuples a disposer d'eux-
mèmes]n'était compatibleavec les buts de la Charte que dans la mesure
ou il impliquait, pour les peuples, le droit de s'administrer eux-mêmes.

mais non pas le droit de sécession.n
Si nous essayons de suivre l'évolutionet les discussions au sein des Nations
Unies a partir de l'adoption de la Charte. nous nous apercevons que le premier
débatva avoir lieu au cours de l'année 1952, au sein de la Commission du droit
international, d'une part. au sein de la TroisiémeCommission de l'Assemblée

générale.II s'agissait, Monsieur le Président. Messieurs les membres de la
Cour, d'élaborerles pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme, tels
qu'ils vont être incorporés finalement dans une résolution et soumis a la
signature des Etats en 1966. Les peuples afro-asiatiques, encouragés a ce
moment-la par l'union soviétique,ont voulu faire reconnaître dans ces pactes. EXPOSE ORAL DE hl. BENNOUNA 181

en tant que droit, le droit des peuples a disposer d'eux-rnémes,que la Charte
posait comme un principe. L'analysede toutes les interventions qui ont eu lieu
a ce moment-la révèleque le débat s'est cristalliséautour de la notion de
peuple. Les pays anticolonialistes tenaient à ce qu'il y ait une définitionde la
notion de peuples. C'était,pour eux, la meilleure garantie que le principe
devienne un droit. Ils prônaient, ces Etats, comme le constate un auteur
spécialistedes Nations Unies, Marie-Claude Smoots, dans une étude parue
récemment a la Revue jkiiçoise de scie~rcpalifiq~ie,1972, numéro 8 - qui
parle d'une double morale aux Nations Unies -, une application litnitee aux
majorités nationales qui, sur un territoire donné, étaientsous la domination
d'une puissance étrangère. Le droit des peuples a disposer d'eux-mémesne
devait pas s'appliquer, selon ces pays, àdes groupes locaux et minoritaires qui
voulaient faire sécession,il ne devait pas s'appliquer a des territoires qui ne
faisaient partie d'une entité nationale.Ce droit ne devait pas détruire l'unitéde
la nation, le principe essentiel, selon ces Etats, restant la souveraienté
nationale.
Ainsi que le rappelait le conseil du Gouvernement marocain, l'opposition

entre « droit des peuples a disrioser d'eux-mêmes )>et « intégritéterritoria»e
est une opposition le plus souvent de théoricien.Le théoricien,ici,arrivea étre
un homme de fiction et parfois un homme d'irréalisme,car le droit des peuples
a disposer d'eux-mëmes doit s'apprécier parrapport a la réalité qu'ielst appelé
a régir.C'estpour cela que le problèmerevient a définireffectivement cequ'est
un peuple et c'estpour cela que cette question est une question qui reste
éminemment politique et c'est une question qui relève, dans l'étatactuel du
droit positif, de l'organe politique responsable de la décolonisation, qui est
l'Assembléegénéraledes Nations Unies.
Ladéclaration 1514(XV)est particulièrement explicite ace sujet. Elle révèle
par conséquent ce qu'est, comme on l'a djt, la « morale » des Nations Unies.
Dans le préambule, tout d'abord, l'Assembléegéneraleest convaincue que
tous les peuples ont un droit inaliénableà la pleine libertéa l'exercicede leur
souverainetéet à l'integritéde leur territoire nationa)>.Au paragraphe 4, ce
texte ajoute que :

<<fl sera mis fin a toute action arméeet a toutes mesures de répression,
de quelque sorte qu'elles soient, dirigéescontre les peuples dépendants,
pour permettre a ces peuples d'exercer pacifiquement et librement leur
droit a l'indépendancecomplète, et l'intégritéde leur territoire national
sera respectée.))

Et ce texte arrive au paragraphe 6, qui est consacré,comme vous avez eu
l'occasion de le constater au cours des interventions de la délégation
marocaine, Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, a
l'exposédu principe de l'intégritterritoriale et de l'unité nationale.C'estla que
nous atteignons dans cet instrument juridique des Nations Unies la conciliation
entre le droit des peuples ase décoloniseret le droit des peuples a leur unité
nationale et a leur souveraineté nationale. Le droit des peuples devient en
quelque sorte un des fondements de la souveraineté nationale. En nous
référantaux travaux préparatoires de cette déclarationet en particulier de son
paragraphe 6,nous nous apercevons que telle était la signification que les
coauteurs de ce texte et les pays qui l'ont soutenu ont voulu lui donner. On a
souligné en tout cas, en particulier aucours de ce débat,que le partage d'un
Etat, Membre ou non membre, le démembrement d'un peuple n'étaientpas
admissibles. II est révélateur,d'ailleurs, au cours de cette session d1960, au
cours de laquelle a éteadoptéela résolution 1514 (XV), que le problème du182 SAHARA OCCIDENTAL

démembrement de l'Algérieétait posé.Des Etats comme l'Indonésieet le
Guatemala sontintervenus expressément, au cours de la 947eséancepléniére
de l'Assembléegénérale,pour rappeler que le paragraphe 6 réservaitles droits

des Etats démembréspar le colonialisme pour parfaire l'intégritéde leur
territoire national.
Quelques mois seulement après l'adoption de la déclaration 15 14 (XV),
trente et un pays afro-asiatiques demandaient par une lettre en date du 11août
1961l'inscription de la question algérienne,de nouveau, a l'ordre du jour de la
seizième sessionde l'Assembléegénérale.Monsieur le Président, Messieursles
membres de la Cour, avec votre autorisation je voudrais citer le mémoirequi a
étéjoint a cette demande detrente etun pays afro-asiatiques. Voila exactement
les termes de ce mémoire :

<Les négociations de Lugrin ont été interrompues le 21juillet 1961à la
demande de la délégationalgérienne,le Gouvernement français refusant
de reconnaître les principes fondamentaux de l'intégrité territorialede
I'Algerieet de l'unitédu peuple algérien.»
Dans la résolutionadoptéeà la quinzièmesession de l'Assembléegénérale,
l'organisation des Nations Unies s'estreconnue la responsabilitéde contribuer
a ce que le principe de libre détermination soit mis en Œuvre avec succèset
avec justice sur la base de l'unitéet de l'intégterritoriales de l'Algérie.(Voir

Maurice Flory. « Négociation etdégagementen Algérie », Aii~iuuire~ruirçaLs
d~'.droit iiilert~afioi1961, p.852.)
Le 20 décembre 1961, suite a cette presentation des pays afro-asiatiques,
l'Assembléegénérale adoptaitune résolution 1724 (XVI) sur la question
algérienne :
(<L'Assembléegénérale adresseun appel aux deux parties pour qu'elles
reprennent les négociations,en vue de mettre en Œuvre ledroit du peuple
algérien a la libre détermination et a l'indépendancedans le respect de
l'unité etde l'intégriterritoriales de l'Algéri>)

Ainsi le sens de la déclaration 1514(XV)est, a notre avis, clairement posé:
la décolonisationpartielle est condamnée. La libre détermination ne peut se
réaliserque dans le respect de l'uniténationale du peuple concerné.La réponse
aux questions posées a Ia Cour dans la résolution 3292 (XXIX). et que cette
haute juridiction internationale va donnera l'Assembléegénérale, éclairera cet
organe politique sur les contours de l'uniténationale et de l'intégterritoriale
de certains Etats Membres des Nations Unies, précisémenten donnant des
informations a l'Assembléegénéralesur les liens juridiques qui étaientétablis,
au moment de la colonisation espagnole. entre le Sahara espagnol et le
Royaume du Maroc et l'ensemblemauritanien. Ces questionsqui sont posées a
la Cour sont donc tout afait pertinentes et permettrona l'Assembléegénérale

de choisir le processus qu'il convient pour la décolonisation du Sahara sous
domination espagnole, et comme l'a rappelé le conseil du Gouvernement
marocain, devant vous, Monsieur le Président, Messieurs les membres de La
Cour, c'estla decolonisationdu Sahara sous domination espagnole qui importe
le plus. C'est l'objectifprincipal que le Gouvernement marocain poursuit.
Pour marquer l'importance de la réservecontenue dans leparagraphe 6de la
déclaration 15 14(XV), l'Assembléegénérale a tenua inclure de nouveau cette
réserve de façon encore plus explicite dans le libelle de la déclaration de
principes, la declaration2625 (XXV).dite déclarationrelative aux principes de
droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les
Etats conformément a la Charte des Nations Unies. Déclaration qui a été EXPOSÉ ORAL DE hl. BENNOUNA 183

analysée comme un texte interprétatif de la Charte de l'organisation des
Nations Unies. La pertinence des questions posées A la Cour apparaît
clairementde nouveau au regard de ce texte. La réponsede l'instance judiciaire
principale des Nations Unies éclairera l'Assembléegénéralesur les actions
ayant abouti au démembrement du Royaume du Maroc. Lorsque, la aussi,
nous nous référonsaux travaux préparatoires de la déclaration 2625 (XXV),
travaux préparatoires qui se sont déroulésau sein d'un comite, entre 1964 et
1970, Comitéspécialdes principes du droit international touchant les relations
amicales et la coopérationentre les Etats, nous nous apercevons que leprincipe
de l'intégrité territorialeest partie intégrante, si nous pouvons dire, fait partie
complètement et est associéau principe du droit des peuples a disposer d'eux-
mêmes, ainsique l'ont affirméde nombreuses délégationsdans leurs obser-
vations finales devant ce comitésur les relations amicales. Je cite certaines de
ces observations :

<(le droita l'autodétermination ne s'applique ni aux Etats souverains et
indépendants, ni aux parties intégrantes de leur territoire, ni a une
fraction d'un peuple ou d'une nation. » (Comité spécial (1970) des
principes du droit international touchant les relations amicales el la
cooperation entre les Etats, A/AC. t25/ 12, p.i 18.)

Le secrétaire généralde l'Organisation des Nations Unies a lui-même,au
cours de l'année 1970, étéamené a préciserla portée et les limites du prin-
cipe du droit des peuples a disposer d'eux-mêmesdans deux déclarationsau
moins. qu'il a eu l'occasion de faire dans des capitales africaines. II ressort
des déclarations du premier fonctionnaire international que l'organisation
mondiale ne saurait cautionner des entreprises de demembrement d'un Etat
membre.
l. ejanvier 1970,leSecrétairegénéral , l'époque feuU Thant, avait déclaré
a Dakar, au Sénéga l

<<lorsqu'un Etat Membre est admis a l'organisation des Nations Unies,
cela implique que l'ensemble des Etats Membres de l'Organisation
acceptent le principe de lïntégritéterritoriale, de l'indépendanceet de
la souveraineté de I'Etat en question. » (ONU, Clironiy~retfit~~~suelle,
vol. VII, 1970, p. 39.)

C'estune premiére déclaration du Secrétairegénéradle \'Organisation des
Nations Unies et, quelques jours plus tard seulement, ie Secrétaire générall,e
premier fonctionnaire de l'organisation préciserasa penséedans une nouvelle
déclarationfaite cette foia Accra, au Ghana, le 9 janvier 1970 :
<<En ce qui concerne la deuxième question qui porte sur I'autodétermi-
nation, je pense que ce principe est mal compris dans bien des partiedu
monde. Le droit des peuples a disposer d'eux-mêmes n'implique pas
l'autodétermination d'un secteur de la population d'un Etat Membre
donné.Si l'on appliquait leprincipe de l'autodéterminationacinq. a dix, a

vingt régions différentesd'un Etat Membre, je crains qu'alors iln'yait pas
de finaux problèmes qui se poseraient.

Lorsqu'un Etat demande a devenir Membre de l'organisation des
Nations Unies et que l'organisation accepte sa candidature, cela implique
que le reste des Etats Membres de l'ûrganisation reconnaissent l'intégrité
territorialel'indépendance et la souveraineté de 1'Etat Membre en

question.)>(ONU, Chrot~iqlre met~s~rrllev,ol. VII, 1970, p. 42.)184 SAHARA OCCIDENTAL

Ainsi l'analyse de ces textes, de ces instruments juridiques, de ces
déclarations est destinee seulementa démontrer que l'ûrganisation des Nations
Unies a essayé constamment dans sa pratique et dans les textes qu'elle a

adoptésde tenir compte de tous les principes fondamentaux de la Charte, de
tous ses principes, de façon et de manière simultanées. Lorsquel'Assemblée
générale desNations Unies recommande un processus de décolonisation,elle
prend en considération l'ensemble des principes de la Charte des Nations
Unies. C'est lapreuve encore une fois, Monsieur le Président, Messieurs les
membres de la Cour, de la pertinence des questions qui vous sont poséespour
avis consultatif.
Les Nations Unies, en effet, en mettant en Œuvre le droit des peuples a
disposer d'eux-mêmes, ont cherché constamment a se prononcer en
connaissance de cause, en s'informant sur les questions juridiques pendantes,
sur les questions essentielles. Ainsi, les Nations Unies se sont pose la question
de savoir si les territoires concernés ont été artificiellement créép sar le
colonisateur au détrimentde 1'Etatdont ces territoires faisaient originellement
partie.
Dans ce domaine, l'organisation des Nations Unies a affirméen quelque
sorte une certaine continuitépar rapport à la Sociétédes Nations, puisque la
Sociétédes Nations a éte affrontée a l'affaire du Mandchoukouo et elle a

condamné les entreprises japonaises visant au démembrement de la Chine
populaire par la créationde I'Etatdit fantoche du Mandchoukouo. La gamme
des solutions. la gamme des procédures, comme I'a rappelé le conseil du
Gouvernement marocain. est très variée devant les Nations Unies et les
Nations Unies ont recouru, selon lescas d'espèce,en fonction de cas concrets, à
difîérentsprocessus de décolonisation.
LesNations Unies ont certes organisédes référendums. On peut citer le cas
du Togo. du référendumde 1959.On peut citer lecas des parties du Cameroun
qui étaientsous administration britannique, comme l'a rappeléle conseil du
Gouvernement marocain. On peut citer égalementle cas du Samoa occidental
qui relevait de l'administration de la Nouvelle-Zélande. Dans ces cas-la,
l'organisation des Nations Unies a preferé recourir a la procédure du
réfërendum. mais. dans d'autres situations. lorsque l'intégrité territoriale était
concernée, l'Organisation des Nations Unies a trouvé d'autres solutions pour
harmoniser le respect du droit des peuples àdisposer d'eux-mêmeset le respect
de l'intégritterritoriale des Etats.
Lorsqu'en 1961 le Gouvernement indien, pour hâter la décolonisation du
territoire de l'enclave de Goa, a intégré cette enclavedans son territoire, ia
soutenu qu'il agissait sur la base du droit de l'Inde de parfaire son unité
nationale et son intégritéterritoriale.LeGouvernement indien a déclarédevant

le Conseil de sécurité:<<l'idéemêmed'un réferendumest absurde :on ne peut
demander a des Indiens s'ilsveulent devenir Indiens )>.
LeConseil de sécuritén'a puadopterde décisiondu fait de l'exercicedu droit
de veto, mais l'Assembléegénérale desNations Unies a condamné quelques
mois plus tard le Portugal, justifiant ainsi implicitement l'actionentreprise par
le Gouvernement indien. IIs'agitde la résolution 1699(XVI).
Dans une autre affairea laquelle on a déjàeu l'occasionde se référer. l'affaire
de I'lria oncidciital,et il s'agia n'en pas douter d'un précédentéclairant,
toutes les précautionsont eieprises par I'Organisation des Nations Unies pour
assurer le respect de l'intégriterritoriale de l'Indonésie.
Les Pays-Bas prétendaient preparer unilatéralement l'accession de la
population de l'Irian occidental a l'indépendance. Le représentant de
l'Indonésiea déclarédevant les Nations Unies : 185
EXPOSE ORAL DE M. BENNOUHA

<<L'Irian occidental fait partie intégrante du territoire de l'Indonési;
aussi, au moment du transfert de souverainete des Indes néerlandaises,
aurait-il du également être cédé. Le fait que cette population présente des
caractères différentsde ceux de la population indonésienne importe peu ;
ce qui est beaucoup plus important c'est la manifestation que cette
population a donnée, durant la lutte pour l'indépendance contre la
Hollande, de l'identitéde ses sentiments avec les autres Indonésiens. Le
nationalisme indonésien n'est pas fonde sur la race, mais il a une base
territoriale et, pour racine, les souffrances endurées en commun au cours
de l'occupation coloniale. 1)(Revriedes Nariotis Utiies,f957, no 2, p. 67.)

Les Nations Unies devaient tenir compte de cette situation et c'estpour cela
qu'elles ont propos& une procédure particulière de décolonisation de I'lrian
occidental.
L'Organisation des Nations Unies a proposé que des négociations se
déroulent sous les auspices du Secrétaire général des Nations Unies entre les

deux parties concernées, donc l'Indonésie et les Pays-Bas. Ces deuxEtats ont
signé effectivement un accord sous la présidence du Secrétairegénéralde
l'organisation des Nations Unies lui-même.Ce texte (qui a étépubliédans la
Rev~redes Nutiorrs U~lies,1962,no 8, p. 16)est ainsi conçu :
« Une autorité exécutive des Nations Unies prendrait la relève de
l'administration de l'ancienne dépendance des Pays-bas le 1" octobre
1962 et pour une période interimaire qui se terminerait le terniai 1963,

après cette date la totalité des fonctions étatiquesdans le territoire serait
transférée à l'Indonésie a charge pour ce pays d'organiser plus tard une
consultation de \apopulation de l'lrian occidental.>)
Cette consultation a eu lieu effectivement en 1969.
Cette procédure, comme on le voit, Monsieur le Président, Messieurs les

membres de la Cour, a permis de concilier le droit de l'Indonésieau respect de
son intégrité territoriale etde son unité nationale et le principe de libre
détermination des peuples. Ainsi l'on voit, face a une situation concrète les
Nations Unies ont adoptéune procédureconcrète, une procédure déterminée,
une procédure appropriée.
L'Organisation des Nations Unies, en 1961, a eu a faire face a une autre
affaire, tres malheureuse hélas. etqui a créébeaucoup de souffrances, c'est
l'affaire qu'on a appelée du Katanga. L'entreprise effectivement de création
d'un Etat a partir d'une province katangaise, d'une province congolaise, d'une
province qui relevait de la colonie du Congo, de la colonie belge.
L'attitude des Nations Unies face a ce problème, qui mettait en jeu le
principe du droit des peuples a disposer d'eux-mêmeset le principe de

l'intégritterritorialea étéégalementtres nette. comme l'arappelé leconseildu
Gouvernement marocain dans son intervention. Les Nations Unies ont réitéré
de façon constante dans leurs résolutions leur opposition a la création d'entités
artificielles, sur la base des ressources économiques très importantes de la
province, a la créationd'entités artificiellesau détrimentd'un Etat Membre de
['Organisation des Nations Unies.
Quelques années plus tard, c'est l'intégritéterritoriale du Nigériaqui était
menacée. L'Organisationde l'unitéafricaine, qui a eu à traiter de ce problème,
en tant qu'organisation régionale,a affirméune position égalementtres nette
sur cette question,

« réaffirmant solennellement son adhésionau principe de la souveraineté
et de l'intégritéterritoriales de tous les Etats membres, réaffirmant la 186 SAHARA OCCIDENTAL

condamnation de tout acte de sécession dans chaque Etat membre,
reconnaissant cette situation comme une affaire interne du Nigéria,dont
la solution relève avant tout de la responsabilité des Nigérianseux-
mêmes».

C'estla résolution qui aétéadoptéepar les chefs d'Etat africains et les chefs de
gouvernement réunis àKinshasa en septembre 1967.
Dans le rappel de cette pratique et de ces précédents,on ne peut manquer de
mentionner un problème trèsrécent quise pose au cours de cette même année
1975. En effet, un peuple africain,lepeuple de I'Angola, affirme son droit au
respect de son unité nationale et de son intégrité territorialeau moment ou le
Portugal a engagéle processus de décolonisationde L'Angola.
Le Gouvernement portugais et les mouvements de libération nationale, les
trois mouvements de libérationde l'Angola, ont signéun accord le 16janvier
1975. Ce texte prévoit que :

« l'indépendanceet la souverainetétotale de I'Angolaseront proclaméesle
11novembre 1975et I'intégrité territoriale de l'Angolaest garantie dans le
cadre de ses frontières actuelles, l'enclave de Cabinda étant considérée
comme partie intégran de el'Angola». (Texte de l'accord paru dans la
revue Afriqtiecoiitei~rporoirte, 1975, no 77, p. 17.)

De nombreux pays africains, en particulier ceux qui sont citésdans la revue
AJriqtie coritei7zporaincomme l'Algérie,le Congo (Brazzaville),ont apporté
leur soutien aux mouvements de libération nationale de l'Angola dans la lutte
qu'ils mènent pour le respect de son intégritéterritoriale.
Quant à l'affaire de Gibraltar, le mémoiredu Gouvernement espagnol s'est
complu a en retracer toutes les données, tout en affirmant qu'il s'agitd'un cas
particulier, non assimilable au territoire du Sahara occidental qu'il maintient
sous sa domination coloniale. Et pourtant on ne peut s'empêcherde constater
une grande similitude, au niveau des principes fondamentaux du droit inter-
national qui sont en cause,entre ces deux cas.
L'exposéa étéfait de cette affaire dans le mémoire espagnol. Il nous

appartient seulement de rappeler que, en réponse au référendum organisé
unilatéralement par la Grande-Bretagne, l'Assembléegénérale desNations
Unies a adopté différentes résolutionsoii elle considère que toute situation
coloniale qui détruitpartiellement ou totalement l'unité nationale etl'intégrité
territoriale d'un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte
des Nations Unies (résolutions 2353 (XXII) du 15 décembre 1967 et 2429
(XXIII)du 18 décembre 1968).
L'Assemblée générale a demandé aux deux parties de reprendre les
négociationspour mettre fin a la situation coloniale existant a Gibraltar et de
sauvegarder les intérëts de la population lors de la cessation de cette situation
coloniale.
C'est donc toujours une tentative, face a un cas concret, par l'Assemblée
généralede concilier entre le principe du droit des peuples a disposer d'eux-
mêmeset le principe du respect de l'intégritéterritoriale des Etats, c'est-à-dire
éviter de faire violence a la population, comme l'a déjàdit le conseil du
Gouvernement marocain ; éviter de faire violence a la population, c'est
égalementtenir compte de la vocation de cette population.
En niant la pertinence des questions poséesa la Cour pour avis consultatif, te
Gouvernement espagnol, Monsieur ie Président, Messieurs lesmembres de la
Cour, est en contradiction avecson. comportement et sa position aux Nations
Unies dans l'affairede Gibraltar.En effet, Iesquestions poséespar l'Assemblée EXPOSE ORAL DE M. BENNOUNA 187

généralevisent aobtenir de la Cour des éclaircissementssur les liensjuridiques
existant entre le territoire en question et certains Etats Membres des Nations
Unies.
Informéequ'elle sera du bien-fondédes aspirations du Royaume du Maroc
et de 1'Etatmauritanien au respect de leur intégritéterritoriale, l'Assemblée
généralepoursuivra en toute sérénité et en connaissance de cause le processus
de décolonisation du territoire.
Se référantàla résolutionde décembre 1965qui préconise desnégociations,
l'exposéécrit duGouvernement espagnol déclare :

« ces négociations ... ne sont qu'un pas préalablepour procéderpar la
suite a la décolonisation du territoire, sans qu'il résulteadmissible d'en
déduireque la situation coloniale serait résoluedes qu'on aurait trouvé
une solution au ..litige territorial »(1,p. 82, pa32).

Les négociations - c'estdans l'exposéécrit duGouvernement espagnol -
sont considéréescomme un préalableau processus de la décolonisation.
LeGouvernement espagnol se contredit encore une fois. Tout en admettant
que les négociationspeuvent constituer un préalablesur la base de la résolu-
tion 2072 (XX) il nie la pertinence des questions qui sont posées a IrCour et
dont l'objetest de permettre a l'Assembléegenéralede déterminer la partie ou
les parties fondées a négocier dans la mesure ou leur unité nationale et
l'intégritde leur territoire sont concernéespar le processus de décolonisation.
En conclusion,Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour, les
travaux préparatoires de la résolution 3292 (XXIX) sont trés révélateurs
également sur la pertinence des questions et sur l'esprit dans lequel cette
résolution a étérédigée.
Plusieurs représentantsafricains (puisque le groupe africain en étél'auteur)
parmi le groupe qui a proposé cette résolution, plusieurs pays africainsont
défendula nécessitéde demander un avis consultatif a la Cour. Il s'agit la du
moyen le plus approprie pour éclairerI'Assembléegénéralesur les questions
juridiques préalables et de lui permettre de poursuivre en connaissance de
cause le processus de décolonisation duSahara sous domination espagnole.
et ils l'ont déclare expressément devant la Quatrième
Pour ces pays,
Commission et l'Assembléegénérale.la question du Sahara n'a pas en-
core ététranchée définitivement. C'est ce qu'a déclarépar exemple et de
façon particulièrement explicite le ministre des affaires étrangèresdu Zaïre.
le 7 octobre 1974. devant I'Assembléegénérale :
Pour ce qui est du Sahara dit espagnol, nous nous réjouissons
particulièrement de I'acccordintervenu entre le Maroc et la Mauritanie en
vue de soumettre la question il'appréciationde la Cour internationale de
Justice.
Tous les pays Membres de notre Organisation se doivent de louer cette
sagesse et de les encourager dans la voie pacifique qu'ilsont choisie. En
conséquence, l'Espagne doit abandonner le prétexte fallacieux du ré-
férendum car la décolonisation n'est pas synonyme de référendum.»
(A/PV/2259.)

Le représentant de l'Espagne lui-même,M. Piniès, le 4 décembre 1974,
devant la Quatrième Commission, a déclaréqu'il était d'accord avec le
Gouvernement marocain sur un point :

« La délégation espagnole partagel'avis du représentant du Maroc sur
un aspect du moins, a savoir qu'ilimporte de trancher en connaissance de
cause et sur la base de tous les éléments pertinents.C'est dans cet esprit 188 SAHARA OCCIDENTAL

que doit êtreenvisagéela requete adressée a la Cour internationale pour
lui demander de rendre un avis consultatif qui ne se limite aaI'examen
des titres juridiques sur le territoire a la date a laquelle I'Espagna
commence d'y exercer sa juridiction.» (A /C.4/SR.2 126.)

Ce n'est pas parce que l'Espagne n'a pu obtenir de 1'Assemblkequ'elle
soumette des questions supplémentaires qu'on doive considérer celles qui
figurent dans la résolution3292 (XXIX)comme non pertinentes au regard de
l'action de l'Assembléegénérale. II ressort de la déclaration de M. Pinies.
représentant permanent de I'Espagne,que u l'examen des titres juridiques sur
le territoire a la date a laquelle I'Espagne a commencé a y exercer sa
juridiction>>fait partie de ce(<élémentspertinents ». et c'est l'expression du
representant de I'Espagne, M. Pinies, «dont l'Assembléegénérale abesoin
pour trancher en connaissance de cause ».
Trèsrécemment, a Rabat, le comitéde libération nationale africain. lors de
sa vingt-cinquième session, en juin 1975, a adopté une résolution par

consensus unanime, appuyant sans réservel'initiativede l'Assembléegénérale
du 13 décembre 1974.
Ainsi, Monsieur le Président. Messieurs les membres de la Cour, nous
pensons avoir démontré, au cours de cet exposéoral, que les deux questions
soumises a la Cour pour avis consultatif sont trèspertinentes en l'espèce.Nous
nous sommes fondés sur les instruments juridiques de l'organisation des
Nations Unies, sur la pratique de l'organisation des Nations Unies, sur les
déclarations des responsables gouvernementaux. sur les déclarations égale-
ment du representant permanent de I'Espagne lui-même.En se déclarant
compétente, la Cour remplira pleinement sa mission, son rôle d'organe
judiciaire principal des Nations Unies. NEUVI~ME AUDIENCE PUBLIQUE (30VI 75, IOh 15)

P~~SPIJ :IVoir audience du 25 VI 75.1

M. BENJELLOUN :Monsieur le Président, Messieursles hauts magistrats
de la Cour internationale de Justice, c'est avec confiance, et une satisfaction
légitimemêléed'une certaine émotion, que je prends aujourd'hui la parole
devant votre haute instance pour essayer de soumettre a votre juste
appréciation un certain nombre d'observations relatives aux arguments
avancés parle Gouvernement espagnol, lesquels tendent a présenterle Sahara
occidental comme un territoire sur lequel la souveraineté ibérique n'aurait
jamais cesse de s'exercer, depuis des siècles, déniant par la méme toute
souveraineté marocaine sur ces territoires et mémetoute attache du Sahara
avec le Maroc.
Celui-cia toujours, en toutes circonstances, préferéle recours aux moyens
pacifiques et légaux etn'a jamais cesse de s'appuyer sur les principes des
Nations Unies, de défendreleur idéal etde rechercher l'aviset l'appuide leurs

organes principaux.
C'est cette persévérance dans l'option, c'est cette permanence dans la
détermination du Royaume du Maroc a se faire rendre justice par des voies
légalesqui est a la base des explications que je vais avoir le privilègede fournir
a laCour et qui, du moins jel'espére. 'inspirera dans les dkveloppemenls que
je me propose d'entreprendre.
Notre attachement au Sahara n'ad'égalque notre foien la légitimide notre
position;et si, travers l'histoire, leMaroc n'ajamais admis le faitaccompli, il
n'entend pas aujourd'hui non plus céderdevant les tentatives de toutes sortes
dont il est l'objet etaccepter ce qu'il n'ajamais cesséde répudier.
Céstdans cet esprit qu'ilconçoit lesinformations qu'il sepropose de fournir
a la Cour et c'estdans cette optique que je me propose d'engager lesdébatsau
fond.
J'évalue a sa juste portée l'honneur qui m'est ainsi fait et souhaiterais
bénéficier de I'indulgence de la Cour a l'égard d'une intervention qui a
l'objectivitépour seul souci, la recherche de la véritépour unique objectif, et
qui est, avant tout, l'expression de notre foi totale et la conséquencede notre
confiance absolue en cette haute instance internationale.
Je vais donc aborder aujourd'hui l'examen de la question quant au fond, le
problème de la compétenceet de la recevabilitéayant étédéjàtraité.
Mon propos n'est nullement cependant de revenir sur ce qui a déjàété
exposédans notre mémoireécrit,ou méme de développerplus longuement ce
quenous pensons avoir suffisamment explicite, mais d'examiner objectivement
quelques paragraphes du mémoireespagnol qui me paraissent mériter d'étre
repris etde les rétablirdans leur vérité a la fois juridique, géographique,
historique et politique ou diplomatique.
Mais que la Cour veuille bien m'excuser d'êtrme alheureusement oblige de190 SAHARA OCCIDENTAL

recourir a des développements peut-êtreabondants compte tenu des longueurs
du mémoireespagnol dépose.
J'aurais voulu avoir a répondre a une argumentation suivie et logique,
continue et rigoureuse, partant d'une idée et ladéveloppantpour aboutir a une
conclusion claire et peut-être pertinente.
Mon intervention aurait alors essayéde revêtirle mêmeaspect, de suivre
l'exempte etd'aboutir a un résultat peut-ètre aussi constructif.

Mais le mémoire espagnolayant préférée,t c'estson droit,adopter une autre
méthode,je vais tenter de le suivre dans ses méandreset de relever cequi parait
mériterune réponse,afin d'éviterdes digressions inutiles tout en fournissant a
la Cour les appréciationsqu'elle esten droit d'attendre du Royaume du Maroc.
Mon intervention se limitera donc afournir à la Cour un certain nombre de
remarques et d'éclaircissementssur ce que le mémoire espagnol appelle :

1) les« caractéristiques générales du territoiredu Sahara occidental >>:
2) <<Les expéditionssahariennes de l'Empire du Maroc du XVle au XVIIle
siècle» ;
31 les <<Témoignages géographiques et cartographiques sur les limites
méridionales du Maroc >);
4) et enfin la<(Délimitationconventionnelle du Sahara occidental >>.

J'aurai ainsi traitéles questions relatives au cadre géographique. historique
et politique du Sahara ou du moins celui qui lui est assigné par le
Gouvernement espagnol.
Les autres développements présentéspar le mémoire espagnol seront
examinéspar les autres membres de la délkgationmarocaine.
Et d'abord examinons ce que le Gouvernement espagnol appelle:
Caractéristiquesgknérulesdu ferrituire du Sahara occiderital.
II s'agit des matieres traitées au chapitre 1 du livre 1 des I~~forrnatio~isl

doc~inrerzî sspagnols (1, p. 225-2341.
Ce chapitre, après avoir présenté les caractéristiques géographiques du
Sahara occidental, caractéristiques sur lesquellesnous pensons n'avoir aucune
observation a formuler si ce n'est quelques remarques de détail, émetles
prétentionssuivantes :

Tout d'abord, il existerait géographiquement une différencefondamentale
entre le reste du Maroc et le Sahara occidentai.
Par ailleurs, l'organisation sociale serait différentedans les deux régions.
Enfin, le seraient aussi : la culture, la langue, l'économie, l'organisation
familiale et les pratiques religieuses.

Examinons donc rapidement chacune de ces afirmations :
Du 'et? esf-ide lu prgfeiidue diffrret~ceg&ologiq~reet géographique?

Dire que le Maroc n'a aucun lien géographique avec le Sahara est une
afirmation erronée et tout a fait tendancieuse. Pour le démontrer, il suffit de
comparer les provinces marocaines méridionaleslibéréesavec le reste du pays
au lendemain de l'indépendance,en 1956, c'est-à-dire lesprovinces de Ksar Es-
Souk, Ouarzazate et Tarfaya avec les terres marocaines encoresous lejoug de
l'occupation. Nous allons donc étudierles différentspointssuivants dans cette
comparaison : climatologie, paléoclimatologie, géologie, géomorphologie et
géographiehumaine.

Je m'excuse par avance auprès de la Cour si les développementsauxquels je
vais procéder s'avèrent d'unelongueur inusitée. Je promets d'éviter au
maximum ces longueurs, mais le mémoire espagnol ayant cru devoir traitertous ces paragraphes j'ai estimé devoir au moins donner un minimum

d'explications.

Le Sahara, contrairement a ce qui a étéaffirmé.est d'abord une notion
climatique ; c'est une zone plus ou moins aride qui s'explique par la
dégradation du climat méditerranéen,caractérisépar les pluies d'hiver qui
deviennent de plus en plus rares du nord vers le sud, et par la dégradation du
climat tropical, caractérisépar des pluies d'été qui diminuent en sens inverse,
du sud vers le nord. Le Sahara est donc un désert qui s'explique par des
facteurs climatiques d'ordre cosmique.
Cependant ces données d'ordre généralsont modifiées par des facteurs
geographiques tels que l'eloignernentde la mer ou la présencede reliefsppls ou
moins élevés.
C'estainsi que l'ondistingue un Sahara occidental moins aride que leSahara
central ou oriental. Cela s'explique par la proximitéde l'océanAtlantique et le
courant froid des Canaries, qui rafraîchit l'atmosphèredes régionslittorales et

de moins en moins les régionsorientales.
Si le Sahara central est tout a fait aride, le Sahara occidental est arrosépar
des pluies qui atteignent trente àcinquante millimètresd'eaupar an, diminuant
vers le sud et vers l'est.
D'autre part, la présencede l'accident atlasique, chaîne de montagnes de
direction ouest-sud, ouest-est, nord-est, constitue une véritable barrière
climatique qui explique que l'ariditéarrive a des latitudes plus élevéesen
Algériequ'au Maroc.
Du point de vue géologique,certes, le sillon sud-allasique, qubn appelle
aussi sillon préafricain, partage deux régions différentesau point de vue
structural, le nord ayant connu les plissements du tertiaire et du début du
quaternaire, tandis que le sud faisait partie du socle ancien qui n'a pas connu
de mouvements tectoniques depuis le carbonifére, lors des mouvements
hercyniens. C'estpeut-être cetteréalitéstructurale qui a fait dira certains que
le reste du Maroc est différentau point de vue physique du Sahara.
Or,et ceci est important, le Maroc n'est paslimitéet n'a jamais étélimitépar
cesillon sud-atlasique :en effet, c'estdelaque provient l'erreur qui a conduit le
mémoire espagnolà avancer toutes les affirmations que nous déplorons, parce
qu'ellesne cadrent pas avec la réalité.
Lesprovinces de Ksar Es-Souk, Ouarzazate et Tarfaya, dont j'ai parlétout a

l'heure, se trouvent au sud de cette limite géologique, maisleur marocanité ne
peut êtremise en doute. II est donc intéressant de comparer la structure
geologique de cestrois provinces marocaines avec lesterres marocaines encore
sous domination espagnole.
On y constate la mérne structure géologique :un socle ancien, précambien,
constitue par des roches cristallines. Au-dessus des couches sédimentaires
primaires et tertiaires constituées surtout par des grés, existent des schistes et
des argiles. Quant a la tectonique, elle montre une stabilité relativedepuis les
mouvements hercyniens du carbonifère. Cette période de glypogenese qui a
transformé ces régions,au cours du secondaire et du tertiaire, en une vaste
pénéplainea été rajeunie parendroits par des mouvements tectoniques récents
datant du débutdu quaternaire.
Toutes ces caractéristiquesse retrouvent aussi bien au nord de la prétendue
frontière du Sahara occidental qu'au sud de cette frontière.
Du point de vue geomorphologique, le relief du Sahara occidental est tout 192 SAHARA OCCIDENTAL

aussi simple que sa structure géologique : il s'agit d'une régionqui s'incline
généralementde l'ouest vers I'est,c'est-à-direde cinq cents métres,au niveau
de la mer, et est constituéede niveaux étagésqui s'abaissent vers I'est.
On définitau Sahara plusieurs unitésmorphologiques qu'on retrouve aussi
bien au sud-est qu'au sud-ouest du Maroc. Ces unitéssont :

- les Iiatnadas ou lruir~i~rudu :sce sont des plateaux rocheux dans les
régions désertiquesdont la surface peu inclinéecorrespond a l'affleurement des
roches résistantes. L'âge et #lanature de ces roches importent peu dans la
constitution des hamadas. C'estle climat qui représentele facteur prédominant
dans l'évolutionde l'érosion :l'amplitude thermique diurne très grande fait
éclater les roches en grandes dalles et en petites esquilles ; la roche nue est

vernissée par desactions chimiques.
On retrouve les hamadas aussi bien dans les provinces de Ksar Es-Souk,
Ouarzazate et Tarfaya, donc dans les limites actuelles du Maroc, que dans les
terres marocaines spoliéesdu Sahara. Citons quelques exemples :au Sud-Est
marocain existent les hamadas de Meski, de Bou-Denib et du Cuir ; au Sud-
Ouest marocain, dans la province de Tarfaya, existe la hamada de Kablia ; au
Sahara occidental existe la hamada de Koudiat Es-Sbaa, au nord du massif
ancien des Zemmour ;
- a côte des hamadas. j'aurais pu citer le kreb, lagara, le reg, l'erg et un
certain nombre de classifications des particularités du Sahara, mais pour éviter

a la Cour des longueurs inutiles, je me permettrai de ne pas les citer.
Mais ce que l'on peut remarquer, c'estque les mêmes unités géomorpholo-
giques se retrouvent dans l'ensembledu Sahara occidental, comme dans le sud
du Maroc dans ses frontières actuelles, et ont une influence directe sur la
géographiehumaine et économique.
Dire qu'au point de vue physique le Maroc n'a aucun lien avec le Sahara
occidental est donc, comme nous l'avons dit au début, une affirmation
totalement erronée.
D'ailleurs. et je prie la Cour de le constater. il n'est pas nécessaire d'être

géographe pour remarquer que les frontières de ces terres spoliéessont tout
a fait arbitraires;elles sont tracées a la règle, nous verrons d'ailleurs dans
quelles conditions et a la suite de quels marchandages. et ne correspondent a
aucune réalité,ni géographique. ni physique. ni humaine, ni économique. ni
juridique.
II est enfin à noter que le géographe Jean Célérier.parlant au septième
congrès de l'Institut des hautes études marocaines. en 1930. a textuellement
déclaré :

La Meseta marocaine. dans son aspect de pénéplainecristalline. de
plateaux crétacés, oude plaines d'accumulation alluvionnaire. c'estdéjàle
régimedes plates-formes africaines. Evidemment. l'évolution durelief est

difîérenciéepar un climat plus humide que le climat saharien. Encore
pourrait-on faire beaucoup de remarques, meme de ce point de vue
morphologique : au mois d'aoùt, les Skhour ou les rochers du Gueliz.
dans la régionde Marrakech [c'est-à-diresur leterritoire actuel du Maroc].
sont des visions qui ne surprendraient pas a quelques degrésde latitude
plus au sud. >>

L'ensemble des élémentsindiqués ci-dessus résulted'un certain nombre
d'ouvrages et notamment des ouvrages suivants :Le Sahura. de Gautier : la
Géographie universelle er l'Afrique sepfetrrriotrale er occidetrrale. d'Augustin
Bernard :l'Histoirede l'Afrique. de Cornevin :leDictionnaire de lu geogrupliie, EXPOSE ORAL DE M. BENJELLOUN 193

de Pierre George ; Etudes, tiareset documents siirte Sahara occiderital, de

J. Célérier;Le Sahara Jrançais, du généralJean Charbonneau, et le Sa/iara
espagtrolJiu d'ut?iqvrhe coloriiul,de Gaudio.
Je prie la Cour de bien vouloir m'excuser d'avoir étécontraint d'user d'un
vocabulaire habituellement inusité et aux consonnances souvent dures, mais
j'ai cru devoir cependant fouriiir ces élémentsuniquement pour rétablir une
véritéqui n'aurait pas dû êtrediscutéeou contestée par le Gouvernement
espagnol. II est en effet certain qu'une différencegéologiqueou géographique
entre deux contréesn'impose nullement que ces deux contrées doivent obéir a
des souverainetésdifférentes.A cet égard,une étude,mérnesuperficielle, dela
géographiede l'Espagne elle-mème permettrait de se demander comment des
contrées aussi différentes que la Galicie et l'Andalousie fassent partie d'un
même Etat. La mêmequestion pourrait égalementêtreposéepour la région
basaue et celle de Valence. E:t l'on serait même endroit de se demander
comment les îles Canaries, qui n'ont riende commun géologiquement avec la
péninsule ibérique, peuvent-elles être considéréescomme relevant de la
souverainetéespagnole !
En tout état de cause, le chefde 1'Etatespagnol, S. Exc. le généralissime
Franco lui-même,a affirme naguère exactement le contraire de ce que soutient

aujourd'hui le mémoire espagnol, et cela dans un discours qu'il a prononcé
le 3 juin 1961, devant les Ccirtes, et dans lequel, pour essayer de justifier
précisémentle rattachement du Sahara a ['Espagne, et plus particulièrement
aux îleCanaries, cequi, a mon sens, est dejgune gageure,la règlenormale
voulant que ce soient les îies qui soient rattachées aux continentsS. Exc. le
généralissimeFranco, dis-je, a expressément affirméque «la simple continuité
géographique du Sahara avec le Maroc ne pouvait justifier le rattachement
de l'un a l'autre », ajoutant mêmeque « si un tel principe était admis, la
géographie politiquede l'univers devrait êtrerevue et corrigée».
Nous sommes parfaitement d'accord avec S.Exc. le général Francoquand il
reconnaît qu'il existeune continuité entre le Sahara et le reste du Maroc. Nous
aimerionsajouter cependant que cette continuiténe devraitpas justifier que ces
deux parties d'uiimême territoire soient détachéesl'une de l'autre.
Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, après avoir
procédé succinctement a l'analysede la première partie du chapitre premier du
mémoire espagnol, avec l'autorisation de la Cour je vais traiter la question
concernant les groupes humailis.

2. GROUPE SL'MAINSQUI HABITENTLESAHARA

Une étude exhaustive de l'origine des habitants du Sahara mériterait un
examen plus approfondi, dépassant largement le cadre de cet exposé et des
développementsautrement plus consistants que ceux que l'Espagnea présentés
et qui se basent, comme on peut facilement leconstater, principalement sur des
appréciationsfournies par des auteurs connus pour leur appartenance a l'idéal
colonialiste, et qui ont écrit d'ailleurs a une époque ou certains pays
expansionnistes étaient a la recherche d'une assise ayant un semblant de
sérieuxpour leurs conquêtes, a moins qu'ilne s'agissede ceux qui,comptetenu
de I'evolution des événements,ont essayéde sauver ce qu'ilspouvaient par un
effort de recherche qui lui permette d'éleverdes frontières la ou il n'en existait
point.
En tout état decause, ce qui est certain c'estque, quelle que soit l'originedes
habitants de l'ensemble du Maroc, un fait primordial s'est produit, a savoir194 SAHARA OCCIDENTAL

l'arrivéede la religion musulmane qui a unifie les races dans un mêmecreuset
de foi et de fraternitéet qui a suscitlavolontéunanime d'une vie commune,

laquelle volonté constitue l'une des conditions essentielles de l'existenced'une
nation.
C'estd'ailleurscette volontédeshabitants du Sahara et des habitants du nord
du pays de partager le mêmedestin que nous avons amplement établidans
notre précédent mémoire.
11existe cependant certains faitsque lemémoire espagnol - qui ne consacre
a fa question qu'une seule page, malgrésa prolixitépar ailleurs - il est une
question que le mémoire espagnol n'ose passer sous silence et qui est
significative du caractèresuperficiel de la these qu'ildéfend et selon laquelleil y
aurait une diffërence d'origine entre les habitants du Sahara et ceux du reste du
pays. Les faits relevéspar le mémoire espagnol sont au nombre de deux. II
reconnait en effet:

1. Quece sont les Maaquils, les hlaaquilsétant une tribu actuelledu Sahara,
venus du nord, qui se divisent en deux groupes :les Chebanats, qui restent
avec les Berbères du nord, et les Beni Hassan, qui s'établissent aunord de
l'Adrar, c'est-&dire dans le Sahara, mais le mémoireespagnol préfèrene pas
apporter cette précision.
2. Ce sont deux membres de la tribu des Beni Hassan qui sont les ancêtres
des Ouled Delim et des Udaïas marocains actuellement.

Nous verrons par la suite, par ailleurs, que Domenech Lafuente, dans son
livre Quelque clioseslir le Rh de Oro, déjàcitédans notre mémoire écrit.
affirme a la page 26 que les Almoravides, qui ont constitué la célèbre dynastie
marocaine, sont les ancktres des deux grandes tribus sahraouies : les
Aroussiyine et les Ouled Delim.
II est donc permis d'affirmer, n'en déplaise aux auteurs du mémoire
espagnol, que les habitants du Sahara ont les mêmes ancêtres qu'une grande
partie des habitants du nord du pays.
Au demeurant, est-il réellementutile de se poser la question de savoir de
combien d'ethnies différentesse compose le peuple espagnol ?

3. VIE SOCIALE, POLITIQUE ET CULTURELLE DU SAHARA

II est unanimement admis que la vie sociale, politique ou culturelte des
Sahraouis est absolument identique acelle des habitants du reste du Maroc et,
qu'il s'agissede citadins ou de transhumants, nous trouvons les mêmesrégles
et les mêmeshabitudes tant au nord qu'au sud du pays. 11ne peut dailleurs en
étre autrement compte tenu de l'unitéde langue, de mode de vie et decroyance
qui distingue l'ensemble.
Cependant, le mémoire espagnol, perséverant a solliciter les faits et a
persister à nier l'évidence,invoque un certain nombre de termes, purement
arabes d'ailleurs, pour essayer de découvrir des éléments typiquement
sahraouisou un mode de vie a part, afin d'accentuer les différeqcesqu'ilcroit
avoir trouvéesentre les deux rives de l'oued Draa.
Qu'il me soit permis de revenir sur quelques-uns de ces mots pour en

proposer a la Cour le sens exact afin que les discussions revëtent un aspect
clair, que les développements bénéficientde plus de précision etque soient
écartéesles déductionsqui tendent a faire croire a un particularisme sahraoui.
Tout d'abord, le motSaliara lui-même n'a jamaissignifié « vide n.comme il
est prétendu. Ethymologiquement, il veut dire vaste territoire, peu peuple, peu EXPOSE ORAL DE M. BENJELLOUN 195

fréquenté, inhospitalier et, dans tous les cas, exigeant un déplacement
permanent parce que ne permettant pas une vie citadine du fait de la raretéde

la flore.
Lameilleure preuve en est dans le fait qu'il existe en arabe un adjectif qui,
lui, signifie « vid)>et qui est souvent accoléau mot Sahara.
La définitiondonnée cependant au mot Saliara par le mémoireespagnol n'a
dans le cas d'espècequ'une importance relative ;nous avons tenu néanmoinsa
ne pas laisser se perpétuer inutilement une erreur ;mais bien plus grave est
l'usage fait par le mémoireespagnol d'autres mots d'origine arabe.
Le mot raj3a par exemple n'a pas le sens qui lui est donné d'un acte de
protection, mais signifie simplement « étendard fien arabe.C'est ainsi que les
Sahraouis se mettaient les uns sous l'étendard desautres, comme cela se
pratique mëme de nos jours un peu partout à travers le monde et ne constitue
nullement une exclusivitésahraouie.
Lesmaaliîiiiirs sont textuelleinent les
patrons »,les maitres d'wuvre et non
pas les artisans, et le terme, nori plus, n'a rien de spécifiquementsahraoui.
Quantaux iglzaiiaolietrs,cesont. de façon générale,leschanteurs, les bardes,
leterme étant un vocable berbère, dérivant lui-mêmedu mot arabe aghiiia qui
veut dire chanson, et n'est donc pas non plus exclusivement sahraoui.
Pour ce qui est du mot klraima qui, à en croire le mémoire espagnol,
constituerait une architecture caractéristique duSahara, il signifie siniplement
en arabe « tente », comme le reconnaît le mémoire espagnol lui-mêmeà la
page 278 (1). paragraphe 12. Sans doute les rédacteurs du mémoire en arri-
vant a cette page avaient-ils oubliéce qu'ils avaient écrita la page 230, para-
graphe 13. Le mot. en tout cas. n'a rien de spécifiquementsahraoui.
Le leffveut dire alliance et soutien et constitue une caractéristique de la vie
paysanne marocaine ; il est courant. notamment dans les régionsde l'Atlas.
de se prêter un témoignage. c'est-à-dire de venir témoigner en faveur de

quelqu'un, alors qu'on n'a pas assistéaux faits, et cela dans un esprit de pure
solidarité.Le principe d'un telacte est d'ailleursbasésur la confiance que celui
qui accorde le témoignage aen celui qui le lui demande. C'estce que, dans les
pays européens, on appelle un témoin de moralité. Mais, dans notre cas, le
témoinépousela cause qu'il fait sienne et, a son appréciation subjective,ajoute
un autre élément,plus personnel, inspiré par la notion de clan ou par la
communauté du devenir.
Et dans l'ensemble des régions duRif, comme sur toute l'étenduedes autres
territoires, de multiples tribus sont solidaires les unes des autres en vertu de
coutumes ancestrales.
Une telle pratique n'est cependant pas une particularité du Sahara. Elle

trouve sa justification non dans une prétendue appartenance a une même
origine ethnique, mais tire son origine de facteurs multiplea la foissociaux et
religieux.
Quant à la culture au Sahara, elle est la mémeque celle du reste du Maroc ;
et lorsque le mémoireespagnol cite kecas du cheik Mohamed Ould Mohamed
Saleni, « qui a écrit descommentaires de plus de mille deux cent cinquante
pages », dit le mémoireespagnol, ce mémoire oublieseulement d'indiquer que
cet auteur, comme d'ailleurstous les auteurs ou intellectuelssahraouis. emploie
la langue arabe pour s'exprimer, c'est-à-dire la langue de l'ensemble des
Marocains. Le mémoireespagnol parle de culture autonome, mais il se garde
bien de définirce qui en fait l'autonomie. Nous pouvons en tout cas assurera la
Cour qu'il s'agit ià d'une simple affirmation, toute culture ne trouvant par
principe sa richesse et son épanouissement que dans les échanges qu'elle
effectue, les adaptations qu'elle assimileou le rayonnement qu'elle assure. La196 SAHARA OCCIDENTAL

culture des habitants du Sahara, issue du patrimoine commun arabe et
musulman, nourrie du riche héritageaccumulé pendant treize siècles,inspirée
par Ies hauts faits et les vertus d'une civilisation confirméeet créatrice,pui-
sant l'essentiel de ses orientations dans l'exemple de ses prédécesseurset
véhiculéepar la mêmelangue que celle qui est parlée a travers le monde arabe
ne peut. par définition. étredifférentede la culture des autres habitants du
Maroc.

Et nous en arrivons a ce que lemémoireespagnol appelle la langue parléeau
Sahara.
Dans cette optique, le mémoire espagnol se livre a une gymnastique assez
curieuse pour démontrer que le hassartia qui est parle au Sahara n'est pas
I'arabe.En effet, a l'encroire, lehassatiia serait une langue différentede I'arabe
sous prétexte qu'ellene contiendrait que soixante-quinze pour cent de mots
arabes, ce qui reste d'ailleurs a démontrer, alorsqu'un certain Swadesh fixà
quatre-vingts pour cent le minimum nécessairepour déclarerque deux formes
linguistiques sontdes dialectes d'une mêmelangue.
Le peu de sérieux d'untel!raisonnement serait évidemment facile a établir.
Nous nous contenterons cependant de citer un auteur, celui-ci espagnol, Angel
Flores Morales, cité d'ailleurspar le mémoireespagnol lui-mêmeet qui, dans
un livre éditéà Madrid en, 1946, par le haut-commissariat d'Espagne au
Maroc, organisme officiel donc, écrit textuellement:

« El Hassania est un dialecte arabeC'estun langage formé paralluvion
avec descouches empruntées du berbere et de I'arabedans une proportion
majeure de I'arabe. II apparaît qu'actuellement on fait des recherches
scientifiques afin de connaître son origine, mais officiellement iln'ya rien
au sujet de cet aspec..)>

Angel Flores Morales ajoute :

« Je peux affirmer avec certitude, parce que je l'aivérmoi-mémesur
le plan pratique, que celui qui parle I'arabe dialectal peuts'entendre a la
perfection avec les Sahraouis, de même façon que les soldats maures du
nord du Maroc lorsqu'ils sont en garnison au Sahara se comprennent
facilement avec les autochtones.))

Or le berbère est une langue aussi répandue au Maroc que I'arabe ; et le
dialecte parlédans le reste du Maroc n'est pas autre chose qu'un mélangedes
deux langues, différemment dosésuivant les régionsd'ailleurs.
Dans son livre El Wasyr, édité en Egypte, au Caire plus précisément,en
1911. puis en 1958.A hmed Chinguiti démontrel'originearabe de la langue de
Hassan a partir d'une analyse détaillde la grammaire et de la phonétique.
Faut-il une preuve plus convaincante ?Ajoutons que les habitants du Sahara
n'écriventqu'en arabe, qui est la langue de leur histoire et dont ils se sont
toujours servis a l'exclusion de toute autre.
On est d'ailleurs, et je m'excuse peut-étrede me répéter,on est d'ailleurs en
droit de se demander si les Espagnols parlent tous la même langue etsi les

Andalous comprennent les Basques ou si ces derniers entendent legallego ?
Le mémoire espagnol s'en prend aussi a l'économiesahraouie.-Je vais
brièvement dire quelques mots sur cette économie.
Traitantbrièvement de l'économiesahraouie, qui est en fait cellede tous les
transhumants a travers le monde, le mémoire espagnolne peut faire autrement
que de reconnaître qu'elle est fondamentalement basée sur l'élevage etpar
conséquent impose le nomadisme, qui est nécessaire a la recherche de EXPOSÉ ORAI.DE M. BENJELLOUN 197

pâturages, comme elle est aussi basée, mais a un degré moindre, sur
l'agriculture. la ptche et le commerce.
Jusque-la, le mémoire'espagnolne rapporte que des élémentsnormaux et les
explications qu'il fournit obéissena une logique indiscutable.
Mais ces explications, quoique logiques et faciles a faire admettre, ne

semblent pas satisfaire les rédacteursdu mémoire,car elles ne leur permettent
pas de fournir une justificationa la thèse qu'fis veulentcoûte que coiite faire
partager et selon laquelle la différenceest totale, l'opposition parfaite entre le
Sahara et le reste du Maroc.
Aussi nous proposent-ils la théoriede ce qu'ils appellent leghazi, qui serait
une expédition militaire menée par une tribu contre une autre afin de la
dépouillerde son bétailet de ses biens et qui serait évidemmentspécifiquement
sahraouie.
Le mémoiresemble ignorer cependant que ce qu'ilappelle leghuzi n'est rien
d'autre que ce que les Français appellent le rerzou. le mot dérivantdi1vocable
arabe ghotaoir qui veut dire simplement « conquéte >>; le mémoire semble
aussi oublier ou ignorer que les conquêtesobéissent parfois a travers le monde
à divers mobiles etpas seulement àcelui de dépouiller l'adversairede sesbiens.
Par ailleurs, paraissant se rendre compte de ce que cette interruption
contient de peu flatteur pour lesSahraouis qu'il n'entendnullement critiquer, le

mémoireconclut sur cette affirmation peu claire : Cette situation [c'est-à-dire
celle de l'économie] devaitsubir de profondes transformations au cours du
XIX siècle,avec la présenceeuropéenne >ivoulant sans doute afirmer par la
qu'il n'y a plus d'attaques entre tribus depuis l'arrivéedes Européens.
hlais une telle affirmation s'avèrepour le moins imprudente, car en fait elle
est a tafois illogique et contraire aux faits.
Illogique, elle l'est,car elle semble affirmer que le mémoire n'a décritque
l'économiesahraouie du XVIIICou mêmedu XVIIC siècle, ce que nous
n'aurions jamais compris a la lecture des paragraphes précédentset qui, en tout
état de cause, ne nous intéresseque trèspeu, puisque ce qui retient l'attention
de la Cour, et la notre, c'estla description de i'economie sahraouie au moment
de la colonisation du Sahara.
L'affirmation est aussi contraire aux faits parce que nous savons, pour
l'avoir etabli dans notre mémoire écrit etparce que le mémoire espagnol le
reconnait lui-même,et dans une douzainede passages, que leSahara ii'aconnu
aucune présence européenne au cours du XIXe siècle. Il est en effet
explicitement avoue qu'a l'exceptionde VillaCisneros. l'Espagne,pas plus que

les autres pays européens, n'a rien occupe au Sahara durant le XIXcsikle et
qu'il faut attendre l'année 1916 pour voir IBspagne arriver a cap Jiiby, dans
des conditions que nous connaissons d'ailleurs et qui n'ont rien de ce qui
pourrait justifier la qualification <<présence )>.
Tout cela n'est d'ailleursque l'expression d'unegène insurmontable néedu
soutien d'une thèse difficile.
Retenons néanmoins que l'économiesahraouie, la mêmeque celle des
provinces actuelles du sud du Maroc, est conditionnée par les facteurs que
nous avons rappeléset non pas par l'existencememe d'une prétendue entité a
part qui, forcément, ne peut par sa seule existence avoir d'influence sur les
conditions climatiques.
Le dernier point traite par le mémoire espagnol ou l'avant-dernier est la
structure sociale du Sahara. Nous allons parler de cette structure sociale.
Traitant de cette question, le mémoire espagnol affirme :

« Lesconditionsgéographiques exposées plushaut et ledéveloppement198 SAHARA OCCIDENTAL

d'une vie nomade baséesur l'élevagetranshumant et le commerce ont

abouti à la création de structures tribales spécifiques et de relations
particulières entre ces groupes humains essentiellement autonomes. »(1,
p. 232, par. 16.)
Structures tribales spéc~$ques,relulions parriculières, groupes humains
esseiitielleineiitul~toiton..tels sont les faitsqui,aux yeux du Gouvernement
espagnol, prouveraient une différencefondamentale entre le Sahara et le reste
du Maroc.

L'affirmation en elle-mémeest catégorique. Nous allonscependant voir que
la démonstration est beaucoup moins sùre et que les faits justificatifs moins
bien probants.
Examinons un a un ces .faits justificatifs tels que les degage le mémoire
espagnol.
Ce mémoireprétenden effet que :
1. Les caractéristiques spirituelles du Sahraoui seraient : la religiosité,le

culte de l'hospitalité,l'attachement a sa terre et a ses coutumes et le profond
attachement aux idéesde famille. Au risque de manquer de modestie, je peux
affirmer a faCourque ce sont la les qualites que l'on reconnaît habituellement
a tous les Marocains, mêmea tous les Nord-Africains, et pas seulement aux
Sahraouis.
2. Le mémoire espagnoldit : le groupe social élémentaireau Sahara serait
la famille. Je pense pouvoir affirmer qu'il est le mêmepartout a travers le
monde.
3. Le mémoire espagnol.affirme que la famille sahraouie serait de type
patriarcal. Je pense aussi pouvoir affirmer que le matriarcat constitue
l'exceptionnelle exception a travers le monde. En tout état de cause, le
patriarcat, tel qu'il est décritpar le mémoire,est du type de lapalria poteslus,
qui est précisémentcelui qu'impose le droit musulman, et n'a donc rien de
spécifiquementsahraoui,
4. Les tribus du Sahara elles-mêmes,teltes qu'elles sont rappeléespar le

mémoire espagnol, ne sont constituées que par les descendants d'ancêtres
venus du nord du Maroc, comme nous le verrons au chapitre suivant.
Signalons simplement que l'une de ces tribus porte le nom de Tidrarin, et non
Tridarin comme indiqué parle mémoireespagnol.
5. Quant a l'organisation administrative et politique du Sahara. telle
qu'elle estdécrite.elle est la mêmeque celle qu'a connue le Maroc depuis des
siècleset que celle qu'il connaît actuellement encore. Le cheik, toujours un
mot arabe, est le représentant de l'autoritédans chaque commune. la djetnaa,
un autre mot arabe, étantl'organe délibérant. Cecn i 'a rien de particulièrement
sahraoui.
6. <<Chaque tribu, dans le droit malékite, possède ses propres lois
particulières qui reçoivent le nom de<<aorf », dit le mémoireespagnol.
Une telle affirmation nous laisse perplexe, car, ou il s'agit de dire que les
Sahraouis sontde rite malékite etnous pouvons affirmer à la Cour que tout le
reste du Maroc l'est ;ou bien il s'agit de dire que l'Or-est une particularité
sahraouie, et nous pouvons aussi affirmer a la Cour,sansaucun risque dëtre

contredit,que le rite malékite,partout où il est reconnu et appliqué,autorise de
se réfëreràl'Or-,c'est-à-dira la coutume, 1àou il n'édicte pasde règleprécise.
Faut-il ajouter que le mot Or- est évidemment aussiun mot arabe.
7. Enfin, la hiérarchie sociale, telle qu'elle est admise par le mémoire
espagnol. est exactement la mêmeque celle de tout pays musulman, ou l'on
considère qu'il existe effectivement dechorfa, descendants du prophéte,etc. EXPOSÉ ORAL DE hl. BENJELLOUN 199

Précisons cependant que, contrairement a ce quafirme le mémoire
espagnol, mais ceci n'estqu'une erreur detraduction, leszua~riane sont pas les
lettrésou les gens de livres, ce sont simplement des mausolées, des lieux de
prières,oudes confrériesreligieuses.
Comme nous pouvons le constater, rien de tout cela n'est particulièrement
sahraoui etnous avions raison d'affirmer que le mémoireespagnol faitpreuve
d'une imprudence certaine lorsqu'il prétend l'existence de structures tribales
spécifiqueset de relations particulières entre les groupes humains sahraouis,
essentiellement autochtones.

Ce qui s'avère certain, même a travers la démonstration du mémoire
espagnol, et surtouta travers cette démonstration, c'estqu'il existeune affinité
réelle,une ressemblance frappante. une similitude totale, entre la vie sociale du
Sahraoui et celle des habitants des autres régions du Maroc.
Nous en arrivons a l'avant-dernier paragraphe du chapitre idu livre 1du
mémoi~eespagnol, qui traite de la religion pratiquée au Sahara 11, p. 233,
par. 17).
II est incontestable, et le niémoire espagnol ne le conteste pas, que les
Sahraouis sont des musulmans.
Mais ce qui est encore plus incontestable, c'est que ce sont aussi des
musulmans de rite malékite,comme le reste du Maroc.
Le mémoireespagnol cite à l'appui desa thèse,selon laquelle ilexisterait une
différencedans la pratique de l'Islamentre le Sahara et le reste du Maroc, le
livre deM. Schramm.
Celui-ci semble en effet venial'appui des prétentions espagnolesIIaffirme
effectivement avoir découvert des différencesdans la pratique de I'lslamentre
le nord et le sud, entre le Maroc actuellement libéré etle nord du Sahara
actuellement sous domination espagnole. Mais une telle affirmation ne parait
pas pouvoir résistera un examen sérieux.Tout d'abord, les points relevés par
Schramm ne présentent qu'un intérêrtelatif, qu'une importance secondaire,
comme cela résultera de leur analyse à laquelle nous nous proposons de
procéder.Par ailleurs, mêmesur les points qu'il releve, la différencequ'il croit
avoir perçue nous paraît problématique, nous sommes mémecertains de son
inexistence.
Revenons donc au mémoire espagnolet a ses afirmations ou prétentions.

Les Sahraouis, dit le memoire espagnol, sont sunnites. Nous allirtnons que
le reste du Maroc Ièst aussi. Le fait est d'ailleurs tellement connu que nous
pensons ne pas avoir besoin de l'etablir.
Quant au livre de Schramm, il prétendque le nord du Maroc ferait au sud
un certain nombre de reproches, que nous estimons futiles. Nous allons les
analyser un a un et nous en prouverons la futilité.
Premièrement, le nord du Maroc, d'aprèsSchramm, reprocherait au sud de
ne pas respecter l'ordre des repas durant l'année.Une telleaffirmation n'estpas
très claire, mais en tout état de cause nous ne voyons pas ceque lecontenu
d'une telle expression pourrait avoir avec les principes ou les croyances
religieuses, le Coran ou la Souna ne s'étantjamais occupes de l'ordre des repas
du musulman.
Le nord reprocherait, ajoute Schramm, au sud de ne pas se conformer aux
manières de sacrifier le mouton. Une telle information ne peut avoir aucun
sens, car dans tous les rites de l'Islam la seule exigence est que l'actelui-même
soit précédéde l'invocation divine.
Troisièmement, d'après Schramm toujours, le nord reprocherait au sud de
donner trop de libertéauxfemmes.Signalons simplement que la femmedans le
nord du Maroc jouit des mêmes droitsque l'homme, sans aucune limite, et200 SAHARA OCCIDENTAL

que, dans ces conditions, celles du sud, c'est-à-diredu Sahara, ou du moins du
nord du Sahara, ne pourraient avoir plus de libertéqu'elles. Ausurplus, et en
tout état de cause, si dans l'ancien temps la femme citadine étaitquelque peu
limitéedans sa liberté,compte tenu de certaines exigences imposéespar la vie

de ia cité,la femme de la campagne par contre a toujours bénéficiéde la plus
large libertéet a toujours menéla vie de ses sŒurs dans les provinces du sud.
La difference, s'ily en avait une, existerait donc entre la campagne et la ville,
les transhumants et les citadins, et non pas entre le nord et le sud d'un même
pays.
Le nord reprocherait encore au sud, ditM. Schramm, de ne pas réaliserles
ablutions rituelles. Une telle observation est une preuve de la méconnaissance
totale des réalitésde l'Islam. Les ablutions sont en effet exigéescinq fois par
jour. Mais, dans le cas ou l'eau se fait rare, il est permis de renoncer aux
ablutions et de se contenter de toucher une pierre ou mêmedu sable avant de
passer la main sur les membres qui normalement auraient du êtreaspergés
d'eau. C'estce qui est appfiquédans tous les lieux privésd'eau etpas seulement
au Sahara.
Et M. Schrarnm ajoute que le nord reprocherait encore au sud de ne pas
répondre aux appels de la guerre sainte. Le fait est totalement faux et la
participation des Sahraouis aussi biea la défensede la Mauritanie sŒur qu'a
celle du Maroc en est la preuve la plus éclatante. Rappelons a cet égardque
l'action du grand patriote Ma el Ainin aux côtés duroi du Maroc, au débutdu
siècle,était tellementf~cace~qu'elleexigéla conclusion d'un traité particulier
entre la France et le Maroc, letraité 4umars 1910,par lequel le roi du Maroc
s'est'engagéa ordonner au glorieux combattant d'abandonner le combat. Il
étaitdifficileau roi du Maroc de ne pas acceptece traitéen 1910. La Cour en
connaît les raisons.
Schramm lui-même,malgrétous ses reproches, qui sont,comme je l'aidit et
comme la Cour a pu le constater, futiles, ajoute que le Sahara occidental a
développébeaucoup de formes propres, ce qui, ajoute-t-il, ne peut êtrerien
d'autre qu'une conséquence des conditions géographiques particulières. C'est

ce que nous disions auparavant. Complétonssa penséenéanmoins en ajoutant
que le mêmephénomène s'est produit dans les provinces marocaines de
Ouarzazate, de Ksar Es-Souk et mêmede Marrakech, et cela exactement pour
les mêmesmotifs. Cela n'apas empëchécestrois provinces d'avoir toujours fait
partie intégrantedu Royaume du Maroc, et surtout de n'avoir jamais vu leur
marocanitédiscutéeou contestée.
Se basant sur cet ensemble hétéroclitede remarques inexactes, le mémoire
espagnol croit pouvoir déduirequ'il existerait une différenceentre te nord du
Saharaet le reste du Maroc etcite, en conclusion, Robert Thomaspour essayer
de confirmer sa thèse.
Nous savons pourquoi Robert Thomas a écrit son livre dont le peu de
sérieux résultede l'affirmation selon laquelle feu S. M. Mohammed V n'aurait
pas compris les Mauritaniens qui, en 1957,étaient venus a Rabat lui présenter
leurs félicitations.
Robert Thomas, tenant du Sahara français et défenseur d'un colonialisme
condamne et dépassé,ne pouvait évidemment écrireautre chose.
Renvoyons Robert Thomas au livre de Morales que nous avons déjàcité,
qui est un document ofiïciel espagnol, et précisons respectueusement devant la
Cour que le Gouvernement marocain a connu de nombreux ministres
d'origine sahraouie, dont l'un est actuellement ministre des Habous et des
affaires islamiques, et qui n'ont jamais éprouvéde difficultésà converser, en
arabe bien entendu, avec leurs concitoyens. EXPOSÉ ORAL DE hl. BENJELLOUN 201

IIest ainsi établique, contrairement àce qu'afirme le mémoireespagnol, les

faits qu'il invoque appuient la position marocaine, qui demeure elle-même
conforme aux donnéeshistoriques et geographiques réelles.
Mais, et je me permets de le répéter. cene sont pas seulement les similitudes
geographiques entre deux contrées.l'origine commune de deux groupements,
l'unitéde leur langue ou mêmeleur appartenance a une mëme ethnie qui
peuvent justifier ou imposer leur fusion ou leur confusion au sein d'un même
ensemble.
II y a, avant tout, le passécommun qu'ils ont forgé,les luttes menéesde
concert, le méme idéap lartagé,une culture bitie sur un effort concertéet une
volontépermanente, une détermination réelle avivre ensemble. c'est tout cela
qui fait une nation.
Tout cela a existeet tout cela existe entre les habitants du nord du Sahara et
ceux des autres provinces du Royaume du Maroc.

J'enai ainsi terminéavecl'examen de ceque le mémoire espagnol appelleles
<(Caractéristiques générales du territoire duSahara occidental >).

L'uridir~icr.slîsperid~rù II 111.5. reprise LiII h 4.5

Dans la deuxième partie du chapitre Ildu même livreI,le mémoireespagnol
traitede ce qu'il appelle Lesexpéditionssaharienries de l'Empire dti Afaroc du
XVIroli XVIIIesiècle(I. p. 243-247).
Etdéjà,ce titre nécessitepar lui-mêmeune mise au point.
Tout d'abord, il n'y a pas seulement eu des expéditionsau Sahara,comme
parait le prétendre le mémoire espagnol, mais bien une présencemarocaine

permanente et paisible, une possession immémoriale,difficilement discutable,
une interdépendance résultant dufait que le Sahara comme les provinces du
nord ont toujours appartenu a une même entitéqui s'appelle leMaroc.
Par ailleurs, cette présence, ou plutbt cette interdépendance, ne s'est pas
limitéeaux trois siècles considérés.mais leur a étéau contraire a la fois
antérieure et postérieure.
11 ne s'est nullement agi d'actions épisodiques, mais d'une symbiose
fructueuse et continue, paisible et permanente, qui a fourni a Iénsemble du
pays la plupart de ses dynasties régnantes et a assuré aux provinces
sahariennes ordre, paix et prospérité.
C'estce que je vais essayer d'établir.
Mais le mémoire espagnol puisant l'essentiel de son argumentation

concernant ce paragraphe dans un petit essai écritpar de la Chapelle et intitulé
((Esquisse d'une histoire du Sahara occidental )).il parait utile au préalable
d'indiquer dans quelles conditions et en quelle circonstance cette esquisse a été
écrite etde la replacer dans son contexte, afin qu'elleprenne son sens exact et
sa portéevéritable.Dela Chapelle a en effet présenteson travail a l'occasiondu
septième congres de l'Institut des hautes études marocaines, qui a eu lieu a
Rabat en 1930.
Le lieu et la date sont assez significatifsilne serait pas oséd'affirmer que
de la Chapelle avait une optique quelque peu différentede celle d'un historien
désintéressé en participant a ce congrés.
IIs'agissait en faitbeaucoup plus d'essayer d'asseoir sur des bases juridiques
le dépeçage qui avait étéfait du Maroc que de servir l'histoire avec
désinteressement ;et si les faits historiques que de la Chapelle rapporte sont

relativement exacts, leur interprétation, par contre, ainsi que les eléments
subjectifs fournis par l'auteur permettent toutes les réserves.202 SAHARA OCCIDENTAL

C'estau bénéficede cette observation que je vais me permettrede présentera
la Cour les remarques que suscitent les développements espagnols.
11est, des l'abord,a remarquer qu'alors que letitre propose un exposésur ces
expéditionsau Sahara, il traite en réalitéd'expéditionsmarocaines au Soudan
et au Ghana. Jamais on n'insistera assez sur ce fait et la suite de nos déve-
loppements le démontrera amplement.
Et lorsquiil examine la situation du Sahara, le mémoirele fait en sollicitant
des textes présentésa un congrèstenu pour les besoins de la cause et qui, eux-
mêmes, constituent d'ailleurs une sollicitation intéressée desévénements
historiques.
Je vais donc tracer une esquisse rapide des faits historiques et, afin d'éviter
une polémique inutile ou une éventuellecontestation, je me contenterai de ne
citer que des historiens espagnols confirmés.
Et tout d'abord referons-nous àl'historien Vernet, quia écrit un livrepublié
àTétouanen 1957,intituléIslainisa~ion,qui traite de la periode de l'histoiredu
Maroc allant jusqu'à I'année1060 environ.
Les élémentscontenus dans ce livre, et qui se rapportent au Sahara, sont les
suivants :

- A la page 32, Vernet déclare que des 681 l'illustre combattant arabe
Okba, qui avait conquis tout le Maroc, est arrivéjusqu'à l'ouedDraa et ne s'est
arrëté que parce qu'il avait constate qu'il n'y avait plus de population a
combattre au sud.
- A la page 36, Vernet ajoute qu'en 707 Mousa Ben Nousseir, un autre
chef arabe, a envoyéson fils Marouane a l'extrëme Sous.
- Page 41 :en 721, le neveu d'0kba poussa son action jusqu'au Soudan.
-
Hamra P:il s'agitd'lsmail Ben Obideidallah.ain est nommé a Sakiet El
-
En 745, ajoute Vernet a la page 53, le petit neveu d'okba est arrive
jus-u'à lghli et a creuséles premiers puits du Sahara.
Page 138 :du VIIIeau XIe siècle,des routes sont tracéesa travers le
Sahara et Abderrahman Ben Habib s'estnotamment illustrédans cette action.
La ville marocaine de Sijilmassa a été fondée en 757 et, des lors, a dominéle
Sahara.
- En 761,ajoute Vernet a lapage 55 de son livre, le gouverneurmarocain
du Sahara Mohamed Soujal est allé versle sud jusqu'au Soudan.

Tous ces faits relatés par Vernet sont d'ailleurs confirmés par un autre
historien espagnol, plus célébremêmeque Vernet, Domenech Lafuente, dans
son livre Quelque chose sur Rio de Oro, ouvrage déjàcité.
C'est à cette époque de l'histoire que naît la première dynastie marocaine,
celle des Idrissides.
Au sujet de cette dynastie, Vernet signale, en ce qui concerne le Sahara, les
faits suivants, que j'ai relevésen suivant les pages du livr:

- A la page 72, les Idrissides, c'est-à-direla dynastie d'Idris 1,la première
dynastie marocaine, ont gouverné le Sahara ;a la mort d'Idris II, son fils
Mohammed ICra donné,en 828, en apanage a son frère Abdallah, l'actuelle
Goulimine ainsi que Nifis et Masmouda, qui constituent fa totalitédu SOUS.
- Page 75 : le neveu d'Idris II, prénomme aussi Abdallah, a fondé la
ville de Tamdoult, qui se trouve en plein Sous et qui a servi de chef-lieu
a la province ; ce fait est confirmé par Domenech dans l'ouvrage cité,a la
page-l8.
- Vernet ajoute aux pages 216 à 218 que Moussa Ben Abi el Afia est allé EXPOSÉ ORAL DE M. BENJELLOUN 203

jusqu'a Takrour en plein Soudan en 1032 ;et c'estau Sahara qu'ils'était réfugié
aprèsla lourde defaite qu'ila subie.
C'est a cette date que s'arrêtentles renseignements fournis par Vernet,
puisque son livre indique précisémentqu'il n'a écritl'histoire du Maroc que

jusqu'a l'année 1060. Nous allons donc poursuivre notre exploration
historique en nous appuyant sur le livre de Domenech Lafuente déja cite.
Celui-ci affirme en effet :
- Ziri Ben Atia (un souverain marocain) controlait leSahara par Sijilmassa
dans les années1000. C'estalors qu'arriva au pouvoir la dynastie qui a succédé

a la dynastie idrisside, la dynastie almoravide. Au sujet de cette dynastie,
Domenech précise :
- 'page 1.9 :Abdallah Ben Yassine a donnéau mouvement almoravide son
sens, sa philosophie et son élaii.II a crééla ville d'Aretnana, ville dont les
ruines existent toujours. IIn'a cesse d'administrer le sud jusqu'a sa mort,
intervenue en 1040 dans la régionde Rabat.
- Page 21 : ce sont les Almoravides, dit Domenech, qui ont construit la

route Lemtouna qui traverse -- je cite Domenech - « notre Sahara v ; ce
chemin Lemtouna existe encore de nos jours.
- Youssef Ben Tachfine a fondé Marrakech en 1062, car il considerait,
-it Domenech a la page 21, que la capitale, qui était Fès,était trop loin du
Sahara.
- En 1157. les Almoravides vaincus se réfurrientau sud de leur rovaume a
Sakiet El ~arnia (Domenech, p. 26) ;ce sont les ancêtresdes deux-grandes
tribus sahraouies :les Aroussiyine et les Ouled Delim.

Et ce fut la dynastie qui a succede aux Almoravides, celle des Almcihades.
Pour l'examen des activitésde cette dynastie, nous allons nous référer a un
autre historien espagnol aussi célèbrequi s'appelle Huici etqui a écritun livre
intituléHistoire politiqttede I'Eriipircaliiiahade,publie à Tétouanau cours des
années 1956-1957.
Huici précise :

- la capitale du Sous gouvernait tout le sud (p. 65) ;
- en 1 127, la ville de Tasrirt, dans le Sahara, est occupée (p. 76) ;
- en I130, deux expéditionsont étéorganiséesdans le Sous et on1amené
la conquêted'lghli (p. 107) ;
- en 1157,le sullan Abdelmoumen s'estservi,pour assiéger lavillediIgilis,
de troupes originaires du sud de l'Atlaset du désert(p. 68) ;
- en 1133,Abdelmoumen a organiséle Sous el Aksa, c'est-à-direl'extrême

Sous, c'est-a-dire lenord du Sahara (p. 117).A cet égard,je me permettrai, avec
l'autorisation de la Cour, de signaler que, dans tous les traités que le Gou-
vernement marocain a produits, dans toutes les piècesqui ont été présentées a
la Cour. aussi bien par le Gouvernement espagnol que par le Gouvernement
marocain, danstous les documents qui ont étémis a la disposition de la Cour,
on ne parle que de Sous el Aksa, d'oued Noun et de l'au-delàd'oued Noun. Or,
dans la terminologie de k'époque,et ceci résultede tous les écrits quiont été
présentes,oued Noun - au-delii d'oued Noun etoued Noun - signifieSakiet
El Hamra. Ceci, d'ailleurs, resulte des textes d'unou de deux traitésqui seront
expliqués a la Cour lorsque ces deux traitésviendront a êtreexaminés.
Je reviens, avec l'autorisation de la Cour, a mon expose.
- En 1160, ajoute Huici, Abdelmoumen organise lecadastre depuis Barka

en Tripolitaine jusqu'a Noun et a soumis le Sous el Aksa à L'impôt(p. 193) ;
- en 1176,il a nomme Giraldo Sempaur, général portugaisqui s'était mis a204 SAHARA OCCIDENTAL

sa disposition, chef de la garnison de IéxtrêrneSous. Le Portugais n'a pas

manque d'ailleurs d'inviter son gouvernement a venir s'intéressera la région
(p.-72en 1238, un soulèvement des tribus Maaquil a eu lieu au Sous, dans la

régionde Sakiet El Hamra (p. 5 19):
- en 1267. le sultan Abou Dabouz reçoit un serment d'allégeancedes
cheiks de Sakiet El Wamra (p. 570).
C'est alors qu'arriva au pouvoir la dynastie des h)!érinides.Nous allons
suivre cette dynastie dans le livre de Domenech déjàcite.

- En 1284. Yacoub. un monarque mérinide. envoielegénéralIbn Youssef
pacifierSakiet El Hamra (p. 23).
- Les s'appuyaient sur les Arabes blaaquil du désert qui
occupaient ce dernier depuis l'oued Noun (p. 25).

Un autre auteur espagnol, Seco de Lucena. a écritun livre intitulé Le Maroc
airdcb~r~ du XlVCsi&c/c., publié à Tétouanen 1951, et dans lequel il allirme :
« Le sultan Habib Ben Othman,qui a régnéde 1331 a 1351,a fait de Sijilmassa
la capitale du territoire du Sahara» (p.94).
Et ce fut la dynastie des Saadiens, qui se préoccupaencore du Sahara.
Domenech Lafuente écrita ce sujet dans le mémeouvrage cité : « Depuis
1526, les Saadiens ne cessèrent d'intervenir au Sahara aussi bien sur la cote
qu'a l'intérieurdes terres» (p.26).
IIajoute :« La ville de Taroudant devint la capitale de la dynastie saadienne
et les Saadiens récupérèrentrapidement les villes de Massa, d'Agadir et de
Santa Cruz de Mar PequeÏia »(p. 28).
- Entre 1556 et 1563, Mohamed Cheik traverse Sakiet El Hamra. A cette
expéditionparticipe l'historien espagnol Marmol Carvajal (p. 27).
- Ahmed el Mansour, roi du Maroc, continua la politique saharienne du
Maroc et revendiqua les mines de Taghassa, en 1578(p. 28).
- En 1584, Ahmed el Mansour organisa sa première expédition au
Soudan, et non pas au Sahara. En 1585,eut lieu uneexpédition a Taghassa. En
1589,arriva au Maroc leprétendantau trône soudanais qui fournit a Ahmed el
Mansour tous les renseignements utiles sur le Soudan (p.28).
- En 1590. Ahmed el Mansour organisa la grande expédition sur le
Soudan et dont nous parlerons plus loin. A cette occasion, fut construite la
route saharienne qui prit le nom de route Jouder (p. 30).
- A la fin du XVP et au débutdu XVIIesiècle,les rapports entre le sud du
Maroc et le Soudan restèrent permanents (p.27).
- La page 32 fournit un ensemblede renseignements qui sont lessuivants :
en 16 18, une expédition aété ordonnéepar le roi Moulay Zidane. IItraversa le

Sahara et continua à Tombouctou. La dynastie des Allaouites arriva alors au
pouvoir et ne cessa depuis lors de dominer le sud. En 1668, une expédition.
dirigéepar le roi Moulay Rachid met fin a la tentative de fondation d'un
royaume a Tazeroualt, àoued Noun. Ce faitest confirmépar l'écrivainAsensio
a la page 22 du document cité parle mémoire espagnol.
- En 1670, Moulay Rachid poursuivra jusqu'au Niger un marabout du
Sous qui s'étaitrebellé.
La page 33 du livre de Domenech fournit les renseignements suivants :
- en 1665, Moulay Rachid organisa une expéditionvers leSoudan ;
- en 1662, il accorda son aide a son voisin, l'émirdesTrarza ;
- en 1678, il organisadeux expéditionspar la route Lemtouna qui traverse
le Sahara occidental, comme l'affirme Domenech ; EXPOS~ OItAL DE Xi. BENJELLOUN 205

- en 1679, il organisa une expéditiondans le sud ;a ~a~hassa, en 1680 ;
- en 1730, son neveu Moulay Abdallah organisa une expédition au
Sénégalc .ette expéditionest passéepar Massa, oued Noun et Sakiet El Hamra ;
- entre 1734et 1736, le mëme Moulay Abdallah a été jusqu'au Soudan ;
- durant le règnede Sidi Mohamed Ben Abdallah, entre 1757 et 1790, le

Sahara fait l'objetd'une attention particulière. C'estsous le régnede ce grand
monarque que fut signéle fameux traitéde 1767 que nous développcinsdans
notre mémoireécrit ;
- entre 1802 et 1809, le sultan Moulay Slimane organisa deux expéditions
dans le sud.
Voila un résuméassez succinct d'un certain nombre de renseignements que
j'ai pu recueillir chez des auteurs uniquement espagnols et qui démontrent la
continuité de cette présencemarocaine dans le nord du Sahara.
Nous arrivons ainsi a la période a partir de laquelle nous avons démontré

dans notre mémoireécrit,que nous avons présenté a la Cour, la permanence
de la souveraineté marocaine sur le Sahara.
Il est ainsi établique ce que le mémoireespagnol appelle les expéditionsdu
Maroc au Sahara entre le XVICet le XVIIIcsiècleconstitue en réalité l'exercice
d'une souveraineté marocaine indiscutable sur des régionsqui n'ont jamais
cesse de faire partie du Royaume du Maroc et cela depuis au moins le
VIF siècle.
Sans doute y a-t-il eu des expéditions, mais, comme nous avons pu le
constater, ces expéditionsvisaient d'autres contréesau-delà du Sahara et il ne
sert a rien de confondre le chemin emprunté et la destination visée. les
historiens espagnols ayant établide façon péremptoire la distinction entre les
deux.
Au demeurant, le rayonnement du Maroc en Espagne ne pouvait laisser
indiErentes les populations du sud et les pays limitrophes qui étaienten droit
d'aspirer a participer a l'action grandiose du Maroc, d'abord en tant que
musulmans et. ensuite, en tant que populations intéressées par la pacification et
l'épanouissement d'unpays aussi riche et aussi important que l'Espagne.
Cependant, et alors que les historiens espagnols eux-mëmes rapportent
fidèlement les raits historiques que nous avons relates, le mémoire espagnol a
préféréignorer cette documentation aussi riche que convaincante pour se
contenter de relever quelques événements épars auxquelsil donne, d'ailleurs,
l'interprétation qui sertle mieux ses visées.sans respect aucun pour la vérité
historique.
Pour ne donner qu'un exemple de cette volonté, rappelons que le mémoire
espagnol donne une idée assezdécevante des expéditions dusultan Ahmed el

Mansour Eddhabi au Soudan, alors que l'historien Fechtali, contemporain des
événements,ecrit textuellement dansson livreMu~ialrilAssafa (éd. 1972, p. 78,
79. 80 et 81)un passage queje me permettrai,avec l'autorisation de la Cour, de
lire:
<<Du départdes troupes vers le pays du Soudan, de leur arrivéeau Nil
soudanaisqui coulede so contréeeide la reconnaissancepar les roisde
ses rives de leur suzerainete'
Quand notre maître [il s'agitd'un contemporain d'Ahmed el hlansour.
qui écrit a peu prés en 15901,Ahmed el Mansour As-Saadi, calife et
commandeur des Croyants. puisse Dieu l'assister!obtenait ce qu'il voulait
de la conquete des provinces et de la prise de leur contrée longueet vaste.
il visait la soumission de la contrée contiguëau pays du Soudan.

Les royaumes limitrophes de cette contréeétaient, du côté est,ceux des206 SAHARA OCCIDENTAL

Askia, possesseurs de Gao et de ses dépendances, et du côté occidental,
voisin de l'Atlantique, ceux de Fouta-Djalon et des Foulbés. IIdécide
d'investir l'ensemblepar ses troupesetd'entreprendre une expédition vers
les deux c8tés du sud.
Et puisque Askia, maître de Gao, étaitle plus fort et le plus lointain
d'entre eux, et que l'incursion vers lui exigeait davantage de préparatifs,
d'effectifs etde montures pour traverser de longs trajets, et demandait une
logistique adéquate pour le transport vers la cote des chargements de
munitions, de poudre, de plomb et de matérielsde guerre, facilitant la
conquêteet répondant aux besoins de l'arméeen gros et en menu détail,
qui provenait des tribus nomades du désert et de ceux des peuplades

transhumantes des royaumes du Soudan. il dépêcha d'abord un émissaire
auprès d'Askia, de façon a lui êtreun explorateur de ce pays, jugeant de
ses points de force et de faiblesse,appréciantcequ'il fallaitde troupes et de
préparatifs.»
Et Fechtali ajoute :

<<Pour cette députation, il choisit, parmi les hommes d3Etat, un
dignitaire éloquent en idiome omari : le cheik Moumen Ben Moussa el
Omari el Naaqili. II lui remit un cadeau et un message pour Askia, maitre
de Gao. IIreporta l'invasion par ce cotéoccidental afin de gagner le temps
précédantla venue de son ambassadeur Moumen qui l'aura trouvéavoir
pris toutes les dispositions nécessairesau déclenchement de la guerre.
L'émissairese hâta de rentrer et arriva avant le départdes troupes. Le
commandeur desCroyants l'autorisa a acheminer les convois vers la cote,
satisfit les demandes des soldats, leur fit assurer vivres et montures, et les
équipa a partir de la garnison et des élémentsdu Sous.
Il envoya chercher son serviteur le caïd Abou Abdillah Mohamed Ben
Salem, chef de la garde de Fès, luiconfia le commandement de la colonne
et le fit diriger vers le Sous avec des deniers, des munitions et des
équipements militaires.
II ordonna a Abou Mohamed Abdelmaoula Ben Aïssa Ben Berr qui
étaitle caïd de Takaousset et d'oued Noun de lui tenir compagnie avec ses
hommes et ses esclaves campant avec lui et le nomma a la lieutenance des
opérations militaires, sans le charger du recouvrement des tributs.

Aprèsles agencements indispensables, l'armée partit duSous [etje prie
la Cour de retenir ce point] dans le courant de l'année 1584 et prit la
direction du littoral via le désert jusqu'au Soudan. Elle y arriva, apres
quatre-vingt-dix étapes pénibles, parcourues sans arrêt a travers les
bourgades des nomades de l'est. LesSoudanais étaient pris a l'improviste
par les troupes, car le désert était inhabité.
L'investissement fut nocturne, mais quel fut l'étonnement des
Soudanaisde voir a la pointe de l'aubela multitude des tentes dressées,les
étincellesdes glaives et des cuirasses et le flottement des drapeaux. Les
battements des tambours ajoutaient a leur efîroi, ils crurent que c'étaitle
jour de la résurrection.
Se sentant incapables de résistera l'arméemarocaine, leurs chefs se
précipitèrent versle camp chérifien présenter leur soumission, afin de
conjurer le mal. La délégatjonse composa de Moussa Diop, de Ghouli et
du frère de ce dernier, le vieillard BrahimBen Redouane Yamer Fal. Ils
étaienttous des chefs de la côte du Soudan. Bon accueil leur fut réservé .
par l'expédition marocaine.
Le message chérifien leur demandant de se soumettre leur fut lu et EXPOSE ORAL DE M. BENJELLOUN 207

présenté.Ils l'écoutèrentattentivement et comprirent les menaces et les
promesses qu'il contenait. Ils baisèrent la lettre du prince des Croyants,
descendant du prophète. Les chefs de l'arméemarocaine leur réclamèrent
obéissanceet allégeance.A l'intérieurde la tente de Mohamed Ben Salem.
ils y acquiescèrent volontiers etcorroborèrent leur fidélipar lesserments
les plus sacrés etles plus catégoriques.
Ils obtinrent ce qu'ils désiraient de garantie pour les leurs, puis ils

regagnèrent leurs demeures.
Ensuite, lestroupes quittèrent cette contréepour traverser les diffèrents
districts jusqu'aux rives du Nil soudanais ou elles firent abreuver leurs
chevaux impériaux et ou les drapeaux chérifiens étaienthisséssur les
rivages. C'étaitun grand exploit attribué au commandeur des Croyants,
I'armie victorieuse prit quelques temps après le chemin du retour au
Maroc.
Letotal des tentes ralliéesdépassaitquarante mille. entretranshumants
et nomades des districts orientaux du Soudan.
Sa Majestéobtenait le succèsescomptéde cette colonne lancéecontre
les Askiadu sud.
IIest en cette année[c'est-à-direen 15891en train de se préparer a la
lutte contre les infidèleseta la conquêtede leurspaystant du nord que du
sud par ses avant-gardes et par les envois de troupes vers leurs contrées
jusqu'a ce que l'étendardde Dieu soit hissé, ladomination du proche et du
lointain assuréeet l'hégémonie ..étendue.»

Ainsi est rapportée par un contemporain des faits, par un témoin oculaire,la
campagne d'El Mansour Eddhabi. La narration, comme on peut le constater
est quelque peu difirente de celle qui est faite,pour le mêmeévénement.par le
mémoireespagnol.
L'écrivain Bonafos.dans un livre intituléTaoudenihier et aujourd'hui,qu'il
a écriten 1934 (Presses de l'état-major. Dakar. 1934).traitant de cette même

expédition.écrit :
«Avec peu de monde et de bons mousquets, le Sultan saadien a
bouleverséle vieil édificesocial de l'Afrique entre l'océanAtlantique et la
grande voie Moulouya-Gao ;il a substituéson pouvoir personnel a celui
des hordes guerrières, Sescaïds ont donnéleurs étriers a baiser au chef de
troupes, traverséle Sahara ...sesont fait ouvrir les portes deTombouctou
et de Gao, ont reçu l'hommage de Djenné.maitre desdeux rives du désert.
Le monarque marocain a contr81e ensuite le trafic saharien. >>

Odette de Puigaudeau, dans son livreLepassémaghrébinde la Mauritanie.
éditéa Rabat en 1962, écrita la page 33 :

«Le plus remarquable dans cette affaire est d'avoir fait traverser le
désertde Marrakech a Tombouctou a trois mille hommes avec un convoi
d'artillerie et d'avoir, chemin faisant. foréune centaine de puit>r

Voici ce que disent certains écrivainsde I'expéditionEl MansourEddhabi,et
voila ce qu'en dit le mémoireespagnol.
Continuant cependant a confondre le Sahara avec le Soudan ou
Tombouctou. et appliquant au premier ce qui concerne les autres contrées,le
mémoireespagnol cite un ouvrage d'histoire écritau Maroc. en l'interprétant ii
sa façon, et en cite un passage qui n'a d'ailleurs rien a voir avec le Sahara
occidental, pour tenter de soutenir sa thèse.
C'estainsi qu'il aflirrnea la page 246 (11,paragraphe 29 :208 SAHARA OCCIDENTAL

les auteurs marocains de I't-lis~oiredl[Muroc précisent [p.241 et suiv.]
que Moulay Ismatl dans le sud du Maroc, loin d'avoir pour seul objectif
l'occupation d'une régiondésertique qu'ilpourrait unir a sa patrie, tenta
d'exercer sa domination sur le Sahara et sur ses rares habitants afin de
contrôler avec fermetéle commerce transsaharien et d'en tirer des profils

fort lucratifs ».
Or, les auteurs cités, quine sont pas tous des Marocains d'ailleurs, mais ce
n'est laqu'une précisionsecondaire, n'ont rien airirméde pareil dans les pages
signalées, ni ailleurs.

Moulay Ismaïl est resté dans l'histoire marocaine comme un très grand
monarque, convaincu du caractéresacréde sa mission, et qui a apporte paix,
vigueur et prospérité a son Royaume, dont faisait incontestablement partie la
plus grande partie du Sahara.
Par ailleurs, le mémoire cite la page 247 du méme livre et en relèveun
paragraphe qu'il fait précéderde la phrase : <iTout cela, cependant, fut très
éphémére ca ) et il reproduit la citation qui, elle, n'a rien à avoir avec ce qui
précède.
la technique est peut-êtrehabile, mais elle ne peut tromper un lecteur
attentif.
Revenons brièvement sur les faits. Dans la première partie. il s'agit

incontestablement du Sahara. Dans la citation, il s'agit du Touat.
Et la phrase charnière essaie de faire croire que la citation s'appliqaece qui
précède.
Le procédé estrudimentaire. Et il aurait été peut-être préférabdle e l'éviter
pour toutes les raisons qu'il est facile d'envisager.
Pour compléterle tableau succinct que nous venons de tracer ajoutons les
quelques élémentssuivants qui constituent des témoignagesassez significatifs :

1. De la Chapelle, dans l'ouvrage citépar le mémoire espagnol, écrit:
<<On a déjà observé que toute l'Afrique du Nord s'orientait écono-
miquement et politiquement selon des bandes sud-nord. des régionssub-
tropicales a la côte méditerranéenne. Des iors. le Maroc devait êtreici le

point de départ ou l'aboutissement de tous les grands mouvements
sahariens.
Déjà,une origine commune tournait naturellement vers les tribus du
Maghreb les grands nomades qui, au Soudan, étaientconstamment aux
prises avec leurs coreligionnaires ; le prestige religieux des sultans et
l'appât de leur trône ont encore resserre ces liens. Par suite, l'histoire du
désertéclaired'unjour nouveau la naissance un peu mystérieusede toutes
ces dynasties : Alrnoravide, Mérinide, Saadienne, Alaouite, qui, tour a
tour, ont été inconsciemmentchercher un principe de forcechez lestribus
raçonnées a la dure école du Sahara. >)

2. LegéographeJean Célérierénonçala mémeidéelors de son intervention
au sixièmecongrèsde l'Institut des hautes études marocaines, en 1930, quand
il écrivit:

a La fonction propre, l'originalité duMaroc, c'estd'étre à tous égardsle
lien, lien de passage entre l'Europe méditerranéenneet l'Afriquetropicale.
Ignorer, soit ce qui lui est revenu par le Sahara, soit le rayonnement de
son action à travers le désert,c'est le mutiler et se condamner a ne pas le
comprendre. ))

Ainsi, la place qu'occupe le Maroc saharien dans L'histoiredu pays est EXPOSÉ ORAL DE M. BENlELLOUN 209

primordiale. Depuis la fin du VIF siècle nous constatons une continuité
historique remarquable. Le Maroc a connu pour chefs des rois d'origine
saharienne et les trois derniéres dynasties qui s'y sont succédé sont
sahariennes.
Depuis I'avenement des Mérinides jusqu'au protectorat, leRoyaume du
Maroc a eu des frontières connues et reconnues; et depuis des siccles, et

jusqu'au XXe siècle,il n'a existédans cette partie de l'Afrique qu'une seule
souveraineté, celle du Royaume du Maroc.
Les rois du Maroc qui se sont succédésur le trone ont toujours prariquéla
mêmepolitique :sauvegarder l'iritégritterritoriale du Royaume. Pour cela, ils
ont organise une administration ayant pour base l'autorité et le pouvoir
spirituel du Sultan, représentant de Dieu sur la terre, comme le dit Odette de
Puigaudeau, dans l'ouvrage cité.
Le père iabar constate que tous les Maures reconnaissent le roi du Maroc.
Ilsle regardent comme leur chef. Observation que répète PierreLabarthe dans
son ouvrage Voyage au SL;ii@gulédité a Paris en 1882.A la page 35, il déclar:
« Ces tribus regardent le roi du Maroc comme leur chef. »
Pour maintenir leur autorité, les rois du Maroc envoyaient des expéditions
militaires a partir du Sahara jusqu'au Soudan.

A cetégard,Odette de Puigaudeau constate a lapage 35 de son livre :« Avec
les rois alaouites, les interventions chérifiennes perdirent tout caractère de
conquêtepour ne conserver que celui de tournéesd'inspection etde prestige. )>
Signalons que, des le XVie siècle, l'Espagnea commencéa manifester une
prudence compréhensive a l'égard duMaroc ;cela resulte notamment de trois
brevets espagnols dont l'importance ne saurait être minimisée.
Ce sont:

1) le brevet de Charles Quint du 29 novembre 1532 qui ordonne que des
mesures défensivessoient prises aux îles Canaries contre les agressions des
habitants du Sahara ;
2) le brevet du même Charles Quint du 29 mars 1549 qui interdit le
commerce avec les territoires du chéri6c'est-à-diredu roi du Maroc ;et enfin
3) le brevet du 19 juin 1556 qui interdit aux habitants des Canaries de
s'approcher des c8tes marocaines,

Ces trois brevets sont rapportes par Remeu, tome 1,pages 555 et 604, et
tome II,page 289, de l'ouvrage L'Espag~ie dartsl'AJ+iqueatlaririqlrr,déjàcité
dans notre mémoire écrit.
IIest significatif de constater que le mémoireespagnol passe pratiquement
sous silence la periode allant de 1527 a 1865. Nous savons maintenant que,
durant cette période, jamais l'Espagne n'a essaye de s'installer sur le territoire
du Sahara, comme elle ne l'a jamais d'ailleurs prétendu.
Au cours de cette mêmepériode,le Maroc a, au demeurant, passéun certain
nombre de traitésqui sont la preuve de sa souveraineté totale et indiscutable
dans ces régions.
Ce sont:

- Les traités de1767 et f799 passésavec l'Espagne : il s'agit d'actespar
lesquels l'Espagne sollicitele secours du roi du Maroc pour ses ressortissants
naufragés au-deli de l'oued Noun. C'est là, sans contestation possible, la
reconnaissance explicite de la souveraineté des rois du Maroc sur ces
territoires. Nous avons d'ailleurs vu, dans notre mémoire, que l'Espagne a
donné de ces traités une traduction très discutable pour défendre la thèse
qu'elle soutenait.2 10 SAHARA OCCIDENTAL

- Il y a aussi les traitéspassésavec les Etais-Unis. l'Angleterre ou même
l'Espagne au XIXesiècle,qui ont le mêmeobjet et ne sont a la vérité qu'une
nouvelle affirmation,une nouvelle confirmation. de la souveraineté marocaine
sur les territoires du nord du Sahara.

Domenech. que j'ai déjàcité,a la page 33de son ouvrage, signale :

« Les Maures se considèrent a tel point liésau sultan du hlarac que,
lorsque les troupes françaises arrivèrent aux limites de la Mauritanie et du
Hawd, les troupes menacées demandèrent secours et assistance de
Moulay Abdelhaziz, le roi du Maroc, qui a revendique ces régionscomme
relevant de sa souverainetéet a inspire la conduite antifrançaise de Ma el
Ainin. Le sultan qui lui succéda aenvoyéson propre oncle hloulay ldriss
avec des armes et des munitions pour soutenir la guerre sainte contre les
Français qu'il a assiégésB Tijigja. »

Cordero Torres, le principal spécialisteactuel des affaires sahariennes en
Espagne, écrivaitlui-mime en 1941,dans son livre TruikJ ~;/k~~i~~iiuirt~df'uil
coloiiialespcigiialpublie a Madrid, a la page 315, un chapitre qu'il a intitulé
<<Rébellioncontre le sultan ». dans lequel il précis:

« Durant le XIXesiècle, hiouiay Hassan a nomme descaïds de la région
de Noun dans la prestigieuse famille Birouq (1 896) ; et Alherari (1897),
caïd de Moulay Abdetaziz, a lutleaux côtes des tribus nomades, malgré
les dénégations dessultans du Maroc faites aux Espagnols (1877-1880-
1893) et selon lesquelles leur souveraineté ne s'étendait pas A ces
territoires.

IIajoute d'ailleurs:

« En 1884-1885, le Gouvernement de Madrid considerait comme utile
de s'entendre directement avec le sultan du Maroc en tant que souverain.
au moins juridiquement, desdils territoires. t)

la date indiquée est importante; elle est même capitale,car il s'agit
précisémentde la date à laquelle la première attaque espagnole aétéeffectuée
sur la presqu'ile de Dakhla. si vous voulez, le lieu qui s'estappelé parla suite
Villa Cisneros.
Cordero Torres ajoute a ia mêmepage :
« La renommée du saint Ma el Aïnin est arrivéea la Cour chérifienne

au moment mêmeou l'expéditionde Copolani menaçait les Trarza, les
Brakna et les Taguent, en plus de la pénétration semi-pacifiquemarquée
par l'installation de postes militaires qui se sont substituasl'autoritédu
Sultan. Ma el Aïnin fut alors reçu par le Sultan a Marrakech en 1900, et
reçut de lui des instructions qu'il commença a mettre en pratique en
s'attaquant aux Français (p.315). )>

Une telle relation desévénementsest non seulement conforme a ce qui aété
indiquépar le hlaroc dans son précédent mémoirem . ais encore a la réalitédes
faits. tels qu'ils découlentde I'echelonnement de l'histoire.
Et si Cordero Torres s'étonne de ceque les caïds du roi combattaient aux
côtés desnomades, alors qu'au cours decertaines négociationsle roi du Maroc
aurait affirmésa non-souveraineté sur ces territoires, c'est parce que Cordero
Torres a sans doute interprétéde la meme façon que le mémoireespagnol les
traites de 1767 et 1799, traitésque nous avons analysésdans notre mémoireécritet dont nous avons démontre l'opposition entre le texte arabe et le texte
espagnol produit.
En tout état de cause, la lutte des caïds aux côtés des Maures est plus
conforme a notre thèse qu'ala thèse espagnole.
Tomas Garcia Figueras. le père des africanistes espagnols. écrit lui-meme
dans son livre Santa Crirz de Mur Pequeiio, Ifni S,uhuru. a la page 94 :

« En 186 1. le Sultan n'admettait pas l'indépendance pratique de ces
régions qu'il considérait comme insoumises mais faisant partie de sa
souverainete. c'est pourquoi il considérait comme inamicale toute
tentative étrangèred'établirdes relations avec cette régionou de tenter d'y
ouvrir des poris sans sonconsentement. »

C'estla une declaration dont l'importance ne saurait échapper pour l'examen
de l'affaire du Sahara dans sa totalité. En fait. en 1861. et Tomas Garcia
Figueras fait ici une analyse objective de la situation. si le sultan du hlaroc
considérait que certaines régions étaient insoumises. ilconsidérait en méme
teinps quélles faisaient partie integrante de sa souverainetéet cést pourquoi il
considérait comme inamicale toute tentative etrangére d'établirdes relations

avec cette régionou de tenter d'y ouvrir des ports sansson consentement.
A la page 77 du mêmelivre. Tomas Garcia Figueras déclare :
r<Par ordre royal du 21 avril 1865, le ministre d'Etat informait le
consul général a Tanger :« Vous connaissez l'importance politjque que
revêtent aux yeux des Marocains toutes questions se rapportant
directement plus ou moins a l'indépendanced'oued Noun. II serait très

délicat d'entamer une discussion dans laquelle ilrisque d'y avoir des
controverses sur ce cas particulier. )>
Il s'agissaitde l'arraisonnement d'un bateau par les Marocains sur ces cotes

el au sujet duquel le consul voulait éleverune protestation :le ministre d'Etat
rappelle qu'ilsagissait d'un bateau de commerce et non d'un bateau de pêche.
donc d'un bateau contrebandier. C'estce qui a motivésa remarque au sujet de
la prudence qu'il fallaitavoir a l'égardde tout ce qui touche la rkgion de l'oued
Noun.
A la page 106 du même livre,s'agissant des événements intervenus a la fin
du siècle,le mêmeauteur ajoute :

<<Ledésir légitime du Sultan de confirmer et d'étendreses domainesau
sud de l'Empire a acquis un caractère d'une nécessitépressante, du fait
même des tentativeseurooeennes sur lesdits territoires dans lesauels il
existait certains élkmentstravaillant pour l'indépendancede ces régionsen
s'appuyant précisémentsur les viséesdes Européens. »

L'importance de cette constatation ne saurait non plus faire de doute. Il
existait au Sahara des élémentstroubles qui s'appuyaient sur les vis&
européennes. C'est ce que le mémoireespagnol appelle peut-êtreles pouvoirs
locaux indépendants du Sahara.
Nous pensons avoir ainsi établique ce que le mémoireespagnol considère
comme de simples expéditions au Sahara, et seulement entre le XVICet le
XVIIle sikle, est en réalitéune possession immémoriale, permanente et
paisible des territoires du Sahara occidental par le Royaume du Maroc.
Je ne voudrais pas conclure ce paragraphe sans fournir une précisionrapide

sur la notion de duliir, mot qui en fait signifie loi. Dans son mémoireen effet
l'Espagne affirme, en parlant des rois alaouites :212 SAHARA OCCIDENTAL

« ils obtinrent que quelques chefs de tribus acceptent un dahir
d'investiture. acte qui, étant donné l'autonomie des pouvoirs locaux

sahariens, n'avait pour conséquence que le prestige personnel et les
avantagesqui pouvaient en résulterpour le cheik. pour sa tribu et pour le
Sultan lui-même >)(1.p. 245, par. 28).
Nous pensons que les multiples dahirs que nous avons fournis et que nous
avons produits devant la Cour justifient par eux-memes I'importance de tels
actes pour qu'il faillediscuter l'affirmation pole moins curieuse du mémoire

espagnol. Signalons simplement que le décret espagnoldu 5 janvier 1933, publie
a la Gazertede Madrid du 6janvier 1933, relatif a l'actionde l'Espagnedans la
zone nord du protectorat et a Tanger. indique textuellement en son article 2 :
«Afin que soient obligatoires dans la zone du protectorat espagnol au
Maroc des dispositions de quelque nature que cesoit, ilest nécessairequ'il
y ailun dahir khalifien'et que ce dahir soit publiéau bulletin officielde la

zone. 1)
La notion de dahir revétainsi toute son importance, meme aux yeux du
Gouvernement espagnol.
Précisonsenfin que tout acte législatif est prisau Maroc sous la forme de
dahir depuis treize siècleset que toute nomination a un poste de responsabilité
doit revêtirla même forme.

Ne concluons pas ce chapitre sans citer les termes d'un dahir du 6 décembre
1960qui en abroge un autre du 14 mars 1786. Au Bulletin officiemarocain de
l'année1960. page 2050. a étépublie le dahir suivant:
<Dahir no 1/60/ 128 du 16joumadahin 1380.6 décembre1960, relatif
à l'exploitation des gisements de Rassoul Si-Aksaby de la Moulouya.
Louanges a Dieu seul. que l'on sache par les présentes,puisse Dieu en
éleveret en fortifier la teneur. que Notre Majestéchérifiennea décidéce

qui suit :
Articlepremier. A compter du le' juillet 1960 le droit d'exploiter les
gisements de Rassoul Si-Aksaby sera exercépar le service domanial.

Article3. Sont abrogéestoutes concessions ou autorisations d'exploita-
tion concernant ces gisements de Rassoul qui auraient étépréetidemment
accordées et notamment le dahir cherifren du 13 joumadahin 1200
correspondant au 14 mars 1786. »

Ainsi donc un dahir relatif a l'attribution d'uneconcession et datant de 1786
a continue a produire ses effets. a survécu au protectorat et n'a dù sa
disparition qu'a son abrogation intervenue cent soixante-quatorzeannéesaprès
sa promulgation.
Faut-il une autre preuve plus convaincante de l'importance de la consistance
et de la valeur juridique des dahirs.
J'en ai fini ainsi avec la deuxième partie de mon exposéet, si la Cour le
permet, je vais entreprendre l'examen de fa troisième partie. II s'agit du cha-

pitre III du mémoire espagnol. qui traite notamment de ce qu'il appelle :
Ternoignagesgéographiques eicarrographiquessur leslimites méridiolznlesdu
Maroc (1,p. 248-251).
Je me permettrai. avec t'autorisation de la Cour. de dissequer les quelques
élémentsqu'il présente et de fournir un minimum d'indications susceptibles
d'apporter un peu plus de lumière sur les aspects du problème ainsi évoqué.
II est tout d'abord curieux de constater qu'alors que la question concerne EXPOSÉ ORAL DE hl. BENJELLOUN 21 3

Sakiet El Hamra le mémoire espagnol, fidèle a sa tactique, veut donner
l'impression de ne parler que du Sous ou du Draa, c'est-à-dire du sud du

territoire actuel du Maroc, ajoutant d'ailleurs que les régions comprisesentre
les deux rivièresayant constitue traditionnellen~ent une zone de transition du
point de vue politique la conséquence directede cette situation aurait étéune
continuelle indétermination des limites de la souveraineté marocaine au sud de
l'Atlas.
Zone de transition ? Entre quoi et quoi ?
Le mémoire se garde bien de l'indiquer : mais il n'hésitepas a prétendre,
pour trouver un semblant de continuité dans le raisonnement, qu'il n'a pas
existéde la part des autorités marocaines une action continue de souveraineté
dans cette zone, alors que par contre «une pluralité de pouvoirs locaux
indépendantsde fucio du makhzen y surgirent n.
Sans reconnaître aucune valeur à une telle assertion, observons que ces

pouvoirs locaux, de l'aveu même du niémoire espagnol, n'auraient été
indépendantsque defactoet non de jure.
II est ainsi nettement reconnu que la souveraineté marocaine sur ces
territoires a toujours existéen droit, aussi bien d'ailleurs que sur les territoires
plus au sud puisque l'Espagne, enparlant des uns, vise en fait les autres.
Cependant, il serait facile de démontrer que la prétendue existence de ces
pouvoirs locaux indépendants, rnéme dpfucio, n'est qu'une simple affirmation
due à l'imagination de ceux qiii n'ont cesséde contester la marocanité du
Sahara, confondant a dessein l'insoumission sporadiqiie de certaines régions
qui.entraient parfois en dissidence pour des motifs d'administration, avec la
manifestation d'une indépendance a l'égarddu pouvoir central qui n'ajamais
existéet que Ibn n'estjamais arrivéévidemmenta établir.

En effet, pour justifier ses prétentions, l'Espagne, dans toute l'histoire du
Maroc, qui remonte au moins au VIIICsiècle, n'a trouvéque cinq auteurs,
qu'elle qualifie arbitrairement de géographes, pour essayer de conforter sa
thèse. Ce sont :Robert Thomas ;El Ouazzani ;ibn Khaldoun ; El Omari, et El
Nasiri.
Bien entendu, des dizaines d'autres écrivainsont étudiéla question ;mais
l'Espagne ne pouvait indiquer que les cinq dont elle a rapporte les
appréciations,car ce sont les setils qui ont procédéades affirmationspouvant
paraître soutenir la théorieespagnole, mêmesi dans certainscas ce fait est loin
d'êtreévident.
Revenons donc sur ces cinq auteurs.
Tout d'abord Marc Robert Thomas : celui-ci a écrit en 1960 lin livre
appelé Suliaru eicomtn~oia~rté D.éjàle titre du livre indique le but recherche, si

l'onse souvient surtout de ce que Robert Thomas écrivait a propos de l'Algérie
a la veille de l'indépendancede celle-ci.Robert Thomas soutenait une thèse,et
avait besoin d'invoquer tous les moyens susceptibles de l'appuyer dans une
optique bien déterminée,celle de l'Algériefranqaise,el surtout du Sahara
français.
Il ne s'agissait donc pas du géographe prétendu par le mémoire espagnol,
mais d'un auteur qui poursuivait avant tout un but politique. En tout étatde
cause, ces appréciationsconcerrient la frontièrealgérienneet n'ont rien a voir
avec le problème du Sahara.
Le second auteur est El Hassan Ben Mohamed el Ouazzani. II s'agit, en
réalité,de celui que l'histoire a connu sous le nom de Léonl'Africain,.qui a
publié son ouvrage a partir de Rome. Léon l'Africain, contrairement a ce
qu'affirme le mémoire espagnol, n'a pas manqué de mentionner le Sahara

parmi les territoires marocains, qu'ila appelé<<Sara ))dans l'un des volumes de214 SAHARA OCCIDENTAL

son ouvrage et « Biladel .laid » dans un autre volume, la formule voulant dire
« pays du palmier o.
Il n'a d'ailleurs jamais prétendu écrireune géographiepolitique du Maroc,

s'étantborne a écrireune géographie physique du pays qui, d'après lui, était
composédeplusieurs provinces, dont cellede Sijilmassa, celledu Draa, cellede
Féset celle de Marrakech.
A la mêmeépoqued'ailleursque Léonl'Africain vivaitprécisémentun autre
géographe, celui-ci espagnol, et que le mémoire espagnol ne cite qu'avec
prudence d'ailleurs : ils'agit de Marmol Cârvajal qui a écrit, en 1573, une
description généralede l'Afrique. IIest d'ailleurs normal que le Gouvernement
espagnol ne cite pas cet auteur qui affirme exactement le contraire des
prétentions espagnoles.Qu'on en juge :
Tout d'abord, dans sa préface,ilaffirme que le chérifMohammed, sultan du
Maroc, l'aamené a travers le désertjusqu'a une place appeléeSakiet El Hamra
« aux confins de la Guinée n, dit-il.Par ailleurs, daletome III de son ouvrage
(p. 71,il précise, en parlant de Ouadane que c'est un grand village sur la
frontiere du Sénégal qu'ial visitéavec le chérifMohammed, sultan du Maroc ;
et a la page 62 du même tome,il indique encore que le chérifMohammed,
sultan du Maroc, dans sa trés grande puissance, voulut aller conquérir
Tombouctou en prenant la route de Sakiet El Hamra.
Le troisièmeauteur ou geographe invoque par le mémoire espagnolest Ibn

Khaldoun qui,jusqu'à cejour, étaitconnu comme un sociologue, mais il parait
que, pour les besoins du mémoire, il est devenu geographe. Le mémoire
espagnol s'appuie sur un passage du livre El fhar, écriten 1370.
Mais, ce que le memoire espagnol oublie d'indiquer, c'estqu'Ibn Khaldoun
donne la limite de l'Atlas qu'il appelle <<Deren », de son nom berbère, non
comme la limite frontiere méridionale du Maroc, mais comme la limite
géographiqueentre la partie du Maroc occupée par des habitants sédentaires et
celle habitéepar des nomades. Cette précision,le mémoireespagnol ne l'apas
ajoutée. Le caractère de géographie humaine du livre d'Ibn Khaldoun est tel
que l'illustre historien n'a jamais dit nulle part que le Sahara ne faisait pas
partie du Maroc.
A cet égard,ilest bon de signaler qu'un autreauteur, El idrissi, originaire de
Ceuta, a écrit lameilleure géographiedu monde arabe en 1154, alors qu'il était
en Sicile.
En traitant dans cet ouvrage de l'Afrique septentrionale et saharienne, il
rattache le Sahara au Maroc d'une manière rigoureuse et scientifique (El
Idrissi, Norrzliurel Moucliraq,éd.Alger, 1957,p. 5).
Le quatriémeauteur citépar le mémoire espagnol estEl Omari. El Omari a
écritson livre au début duXIVesiècle ; ils'agit d'ungéographeoriental qui n'a

jamais mis les pieds au mar ro cui n'avait avec lui que des rapports de ouï-dire
et qui se contentait d'enregistrece qu'ilavaitentendu àune époqueou l'Orient
n'était pastrès proche de l'occidental Maroc. IIest certain que le mémoire
espagnol ne pouvait citer un autre géographe considéréde loin comme le
meilleur de son époque, qui s'appelle El Bikri. et qui a rédigéun ouvrage
intituléMusaliq el Ai~lsar,traduit par le baron de Slane (éd.Alger, 1913). 11
serait difficile de citer un paragraphe de cet ouvrage sans les autres car, et la
traduction du baron de Slane le prouve, ils'agit, enfait, d'un livre qui,dans sa
totalité, établitl'appartenance du Sahara au Maroc tant du point de vue
politique que scientifique.
Le mémoire espagnol cite aussi El Nasiri. Il s'agit encore moins d'un
historien, il ne s'agitpas d'un geographe, is'agitd'un simple commis qui était
employé au palais royal a l'époque dusultan Moulay Hassan ICret qui a EXPOSEORAL DE M. BENJELLOUN 215

simplement procédé a des compilations, se permettant d'inventer la ou il
n'arrivait paa trouver une documentation suffisante et rapportant souvent ce
que d'autres auteurs ont écritsans chercher a vérifierl'authenticité desfaits
qu'il prenaita son compte.
LepèreLourido, un historien espagnol contemporain, qui a fait une étudede
l'ouvrage de Nasiri, est arrivéa cette conclusion- la conclusion que je viens
d'indiquer - dans son livre Essais bio-bibliographiq~les dtt sliltatr Sidi

Moliained BerzAhdullali,publié a Grenade en 1967.
Le peu de sérieux desaffirmations espagnoles étantainsi établi,nous nous
proposons de fournir a l'approbation de la Cour d'autres élémentsque nous
croyons plus consistants et plus convaincants: en 1454, a la suite d'un
différend hispano-portugais, le Portugal soutenait que la limite di1 Maroc
s'arrêtaitau cap Noun, alors que l'Espagne soutenait que cette limite allait
jusqu'au cap Blanc (Remeu, t. 1,p. 58).
Par ailleurs, le traitéd'Atcaçovas du 4 septembre 1579 entre l'Espagne et le
Portugal fixe les limites du Royaume de Marrakech au sud du cap Bojador
(Remeu, t. 1).
Le traitéde Sintra du 18septembre fixe la limite sud du Royaume de Fès au
sud du cap Bojador (Remeu, t.1,p. 467). Par ailleurs, CorderoTorres, dans son
livreFroiitières ltispatiiques, écrit(éd.Madrid, 1960, p. 43:)

« L'Espagne, en appuyant le Sultan face a l'Angleterre, a reconnu la
souveraineté du premier non seulement jusqu'au cap Juby mais l'a
étenduejusqu'au cap Bojador, comme cela résultedu traité du 13 mars
1895.>>
Romea, ambassadeur d'Espagne, est venu a Fès en avril 1877, avec pour
seule mission d'interroger les responsables marocains sur les limites sud de leur
pays. Le grand vizir Sidi Moussa lui réponditque, dans certains territoires, la

domination de Sa Majestéchérifienneétaitcalme et pacifique, alors que, dans
d'autres,Sa Majesté envoyaitdes troupes pour maintenir le calme et que, dans
le reste. existait la souveraineté du Sultan sans que pour autant il y ait
domination (Garcia Figueras, S~intuCr~lzde Mur Prqtieiu, p. 93).
Leprotocole hispano-marocain du 20 juin 1900,conclu entre l'Espagne etle
Maroc et dont nousaurons aparler un peu plus longuement demain sila Cour
le permet, étendait, avec l'accord bien entendu des Espagnols, les limites du
Maroc au moins jusqu'au cap Bojador, puisque l'Espagne revendiquait Santa
Cruz el que ce traitédécidaque cette factorerie pourrait êtreplacéepar une
commission mixte a un endroit sur le territoire marocain situéentre le cap
Juby et le cap Bojador. IIparaît. inutile de préciserque la factorerie, de l'aveu
mêmede l'Espagne, devait étresituéesur leterritoire marocain. En tout étatde
cause, le protocole lui-mêmeprécise bienque la factorerie sera situéesur le
territoire marocain a un point entre le capJuby et le cap Bojador.
Et le livre françaisItistr~rcrionstrautiqi~es,reprenant les termes d'un ouvrage
anglais publiéen 1849, donne a un paragraphe le titre suivant :((Sur les cotes
occidentales d'Afrique, depuis le cap Sparte1jusqu'au cap Bojador (cutrs d~i
Muroc) W.Nous sommes en 1849.

Nous aurions pu citer d'autres auteurs, d'autres géographes et d'autres
documents historiques, mais nous pensons que ceux déjà rapportés sont
suff~samment convaincants.
Ajoutons seulement que, depuis 1885 et jusqu'en 1907, l'Espagne n'a pas
cessé, et cela résulte du mémoire écrit que nous avons eu l'honneur de
présentera la Cour, de demander au sultan du Maroc de bien vouloir accepter
de fixer d'un commun accord la limite entre ses propres territoirasliiet ceux216 SAHARA OCCIDENTAL

que l'Espagne possede sur la presqu'île de Dakhla. Signalons que, dans
certaines deses demandes, l'Espagneparle du point qu'elle possede sur la
presqu'îlede Dakhta etdes territoiresdu Sultan.
Y a-t-il aveuplus explicite dela souverainetédMaroc au Sahara?
Monsieurle Présidentj,'en ai ainsi terminéavecla troisièmepartiede mon
expose.

L atidiciicest/LJVLùL13 Il5 DIXIÈME AUDIENCE PUBLIQUE(1 VI1 75, 10 h 5)

Présents : [Voir audience du 25 VI 75.1

M. BENJELLOUN :Monsieur le Président,Messieurs les hauts magistrats
de la Cour internationalede Justice, j'en arrive aujourd'hui au dernier chapitre
de mon intervention, celui concernant ce que le mémoire espagnol appelle
De'iimita~ionconventionnelledu Suhura occidental.
Déjàce titre constitue en lui-mêmeunecontradiction avec ce qui est affirmé
tout au long du mémoire espagnol. Nous avons, en efîet, eu l'occasion de
constater que l'Espagne n'a pas cessé d'affirmerque le Sahara constituerait une
entité propre, géographiquement, géologiquement, climatiquement, sociale-
ment, linguistiquement et politiquement. Il est vrai que nous avons établiqu'il
n'en était rien, maisl'Espagne qui, elle, affirmait le fait, se devait de rester
logique au moins avec elle-meme et d'éviter de se contredire pilr une
affirmation aussi opposéea tout ce qui a étésoutenu auparavant que celle qui
consiste a reconnaître que les limites du Sahara occidental ne resultent que de
certaines conventions sur la valeur desquelles nous reviendrons par la suite

lorsque nous établironsque ces conventions, conclues dans des circonstances
particulières, dans le secret de multiples conciliabules, avec une optique
purement colonialiste, ont-eu pour seul objectifdedémantelerle Maroc et de se
partager ses dépouilles.Nous sommes, en tout état de cause, d'accord pour
admettre que les limites attribuéesa une partie du territoire marocain dont on
veut abusivement faire une entité apart sont des limites facticauxquelles on
veut donner une base, une assise juridique que l'on recherche dans des
conventionsqui, si elles fixent des limites, lesattribuent a des zones d'influence
et non aun ensemble soumis au joug d'un Etat tiers. Nous sommes d'accord
pour admettre qu'a la suite de multiples tractations, de marchandages
laborieux, de discussions apres et parfois houleuses et de traités bilatéraux,
quelquefois contradictoires, le Sahara s'est trouvé doté de limites respec-
tant non pas sa réalitéou sa véritéhistorique mais surtout les concessions
que l'on s'est faitesde part et d'autre et soumis a l'occupation étrangère,occu-
pation qui est restée,pendant longtemps et jusqu'en 1939 au moins, comme
I'aflirme le mémoire espagnol, un simple vŒu pieux qui n'a commencé
a se matérialiser que lorsque le reste du Maroc a réaliseson indépendance

et que les autorités espagnoles ont craint une revendication marocaine qui
était normale et qui ne pouvait pas ne pas étre présentéeet-énergiquement
soutenue.
Le premier paragraphe du chapitre reconnait d'ailleurs explicitement cette
vérité,puisqu'il affirme que les frontières du Sahara ne sont limitées
conventionnellement que depuis 191 2 et que c'est seulement apres la
déclaration du protectorat espagiiol - et non de la souveraineté espagnole,
comme il est indiquépar erreur - de 1884, que l'action de delimitation, du
moins sur le papier, des prétendues possessions espagnoles dans la zone, a
commencé.
Une telle affirmation permet, au demeurant, de dégager.deux autres
conclusions.
La première est que, jusqu'en 1912, il s'agissait de simples prktentions ou
plutot d'une nébuleuse dont les contours n'ont étéarrêtésqu'en 1957, date2 18 SAHARA OCCIDENTAL

attribuée par le mémoireespagnol à la fixation des limites du Sahara. On est
des lors en droit de se demander comment l'Espagne peut-elle oser parler
aujourd'hui de possessions et encore moins de souveraineté.
La seconde conclusion est que le Sahara appartient au Maroc, puisque c'est
seulement a la suite du traité de protectorat sur le Maroc qu'il a été remisa
l'Espagne, surtout si l'ontient compte que le traitéde 12 se base sur celui de
1904 et que celui-ci s'appuie sur celui de 1900.
Nous verrons d'ailleurs, en examinant tous les traités conclusdurant cette
période,et pas seulement ceux rapportéspar le mémoireespagnol, que cet aveu
contenu dans le premier paragraphe du mémoireconstitue la simple expression
d'une véritéque nous n'avons cesséde clamer.
Car les conventions et les traites sur lesquels s'appuie le raisonnement
espagnol ne sont pas les seuls qui ont étéconclus dans l'optique du partage du
Maroc.
Outre en effet la tentative de traitéde 1891et les traités du27 juin 1900, du
3 octobre 1904,du 4 novembre 191 1et du 27 novembre 191 2,il existe letraité
maroco-espagnol du 20 juin 1900, le projet de traité franco-espagnol de 1902,
dans ses diverses versions, le traité franco-anglais du 8 avril 1904, l'acte
d'Algésirasdu 7 avril 1906 et le traitéfranco-allemand de 1909.
Nous nous proposons de procéder aun examen aussi bien de ces traitésque
des motifs qui les ont inspirés et des conditions dans kesquelles ils ont été
conclus, ce qui nous permettra non seulement de fournir le démenti le plus
formel aux prétentions espagnoles mais encore et surtout de degager le lien
obligéet fatal qui existe et qui a toujours existéjuridiquement entre leSahara et
le reste du Maroc.
Mais auparavant nous pensons utile de revenir sur les circonstances qui ont
précédéla conclusion de l'ensemble de ces traités et sur les rapports des
diverses puissances européennes avec le Maroc au cours des vingt dernières
années du siècle écoulé, afinde mieux comprendre le déroulement des
événementsqui ont conduit a Laconclusion des traites successifs susmention-
nés et, par là, a la réalisation du but final, c'est-à-dire l'établissementdu

protectorat sur le Maroc.
La période allantde 1860environ a 1900est en effet marquéepar la volonté
de plus en plus évidente exprimée par l'Espagne d'étendreson autoritésur le
Maroc et de profiter de toute circonstance pour créerles incidents susceptibles
de lui permettre d'intervenir sur le territoire marocain.
On est alors en droit de se demander quels sont les motifs d'un tel dessein ?
Sans doute l'un des principaux motifs résulte-t-ilde la tendance européenne du
moment a coloniser un maximum de territoires, mais en ce qui concerne
I'Espagne en particulier, d'autres mobiles, plus personnels et plus directs, ont
jouéun rôle déterminant.
Ce sont d'abord les conséquencesde la guerre de Tétouan de 1860 qui ont
développel'appétitespagnol et l'ont rendu plus exigeant quant a l'occupation
du littoral atlantique marocain, poissonneux àsouhait, et qui était interdita ses
pêcheursjusqu'alors.
Par ailleurs, le m6me traité, qui lui accordait une indemnité pécuniaire
substantielle, lui laissait entrevoir toutes les possibetitous les avantages
qu'ilétaitpossible de tirer d'une présenceau Maroc ou mêmesurune partie de
son territoire.
Le prétexteimmédiatement invoque pour chercher querelle au Maroc a été
la reconnaissance par le Maroc du droit a l'Espagne d'occuper, sur la côte
atlantique marocaine, une parcelle de terrain suffisante pour lui permettre
d'installer une pêcherie.Jusqu'en 1910 l'Espagne n'a cesséde réclamercette EXPOSÉ ORAL DE M. BENJELLOUN 219

parcelle qu'ellea situéed'ailleursen difirents endroits, au grédesexigencesdu
moment et des désirsexpriméspar tel groupement d'intérêto su par tellesociété
commerciale.
Des 1876, le ton monte de façon alarmante ; l'Espagne devient de plus en

plus exigeante et le Maroc de plus en plus conciliant.
Aux demandes de cession du terrain qui devait remplacer Santa Cruz, le
Maroc répondait par desoffres (l'indemnisation.
Et la situation était devenue tellement tendue a cette époque que
l'ambassadeur de France a Tanger s'estcru obligéd'adresser, le 14mai 1876, a
son gouvernement une lettre qui constate notamment :
<iLes renseignements recueillis par M. de Cariclaux concordent avec

ceux que j'ai eu l'honneur de vous transmettre a plusieurs reprises sur les
tendances que parait avoir la politique espagnole a étendreson action au-
delà du détroit.Pousse par l'opinion publique, et aussi par les nécessités
que vient de créerla dernière guerre, le cabinet de Madrid semble, depuis
quelque temps, rechercher une cause de rupture avec le Maroc. avec
autant de soin que la Cour de Fèsen met elle-mêmea l'évite ..» (III,
annexe 95, p. 379).

Leschoses sont alléesdes lors en empirant, surtout depuis qu'ilétaitdevenu
patent que l'AnglaisMackenzie s'était établi a capJuby, l'Espagnecroyant qu'il
s'agissaiten fait des prémicesd'une occupation ultérieure anglaise.C'est ainsi
que le 19 juin 1881 une depkhe politique était adressee de Tanger par
l'ambassadeur de France ason gouvernement, a faquelle était jointe une note
relative à un article paru dans un journal de Madrid, Ihpartial.
Dans cette note, il est textuellement indiqué: « LÏmpurtiul, généralementle
mieux informe desjournaux libérauxde Madrid,assure que le cabinet Sagasta
va prendre une attitude plus vigoureuse au Maroc ...rt
Et plus loin, la note ajoute:

<rDe ce feu qui couve. il est facilede faire jaillir la flamme. Les cercles
olliciels se montrent tous réservéssur ce sujet. IIy a lieu d'ètreenrayé
pour le créditet les finances de l'Espagne menacéepar la de nouveaux
embarras. quand on voit. depuis 1869. chaque annéese terminer par un
déficit,quand la conversion de la dette est retardéeparce que le paiement
intégralde l'intérêetst impossible. Toutefois. il me parait certain que la
politique espagnole au Maroc est sur le point d'entrer dans une période
d'action. »(III, annexe 103, p. 387.)

De cette note se dégage unautre motif qui parait avoir incité l'Espagne a une
attitude plus provocante al'égard duMaroc :il est représenté parles embarras
financiers du Gouvernement espagnol qui pouvait espérer d'une action au
Maroc plus d'avantages et de profits.
A la mème correspondance était jointe une autre note qui donne un autre
motif à l'attitude espagnole. Elle précise en effe:

<(Le Standard s'occupe de l'intention que l'on prete a l'Espagne
d'exercer sur le Maroc la mêmeaction bienveillante que vient d'exercerla
République françaisesur le bey de Tunis. II n'estpeut-être passans intkret
de savoir si la France a été consultéaeu sujet d'une nouvelle campagne de
l'Espagne au Maroc. >>(III, annexe 104. p. 388 .)

Cette intention espagnole. l'ambassadeur de France à Tanger la développe
ainsi. dans une lettre qu'il a adressee au ministère des affaires étrangères.le
3 1 mai 1881 :il indique:220 SAHARA OCClDENTAL

<<la presse espagnole signale avec grande insistance l'analogie qu'offrela
situation de la France vis-à-vis deTunis avec cellede l'Espagne au Maroc.

IIs'agirait aussi d'yétablir un protectorat d'autant plusfacile a constituer
que plusieurs hommes d'Etat allemands ne s'y montreraient pas
défavorables. »(III, annexe 102, p. 385.)
Dans ce climat de tension, l'Espagne n'est pas demeurée sans agir. C'est
pourquoi elle procède à sa tentative sur la côte saharienne, dans la régionde la
presqu'îlede Dakhla, sur un point appelé plustard Villa Cisneros, et notifieson

intention aux puissances européennes d'imposer un protectorat a la région.
Mais, contrairement ice que l'on pense habituellement, une telle action, ainsi
que l'annonce de l'éventuelprotectorat sur la côte de Dakhla, sont passées
presque inaperçues, sauf de la part du Maroc, dont la vigilance étaiten éveil.
En effet, le roi du Maroc, S. M. Hassan le',devant les tentatives européennes
de toutes sortes et de tous genres, décide, en1882, d'effectuer une visite dans
ses provinces du sud. C'estce que le mémoire espagnol appelleune expédition
militaire.
Pour établirle caractère de simple visite d'inspection etd'organisation d'un
tel déplacement, référons-nous a un contemporain des faits, l'ambassadeur de
France à Tanger, qui ecrivait ason gouvernement le 31 juillet 1882 :

<<L'expéditionde l'Empereur dans le Sous touche à sa fin sans que la
campagne ait abouti a un résultat notable. Il n'y a eu ni combat, ni
résistance sérieuse...
Sur son passage, le Sultan a partout nommé un grand nombre de
nouveaux caids ; il a reçu des déléguéd ses tribus de l'oued Noun et de
celles du cap Juby et il se proposerait d'envoyer un gouverneur jusque
dans cette contrée pour y aflïrmer son autorité.» (III, annexe 105,
p. 389.)

Garcia Figueras, dans son livre Sonto Cruz, a la page 107, signale de son
côté,sur le mêmesujet :
<<A la vérité,le Sultan, avec des forces réduites,mais accompagné des
meilleurs généraux de son Empire,a effectuéson expéditionau cours des

mois de juin, juillet et aoUt 188; et dans cette expédition,ilareconnu la
côte de Santa Cruz de Mar Pequena et est arrivéjusqu'au cap Noun ...
L'expédition s'esrtéduitea une promenade militaire, car on n'a mêmepas
tiréun seul coup de fusil. )>
Bien mieux, lorsque le makhzen s'est rendu compte de ce que les tentatives

européennes d'ingérence dans ses affaires devenaient de plus en plus
nombreuses, le grand vizir a adressé,le 16 mai 1886, une circulaire a tous les
représentants diplomatiques, dans laquelle il a notamment déclaré :
<<En conséquencede ce qui précède, Sa Majesténous a chargéde faire
savoir et de notifier aux représentants des puissances qu'à l'avenir les
navires étrangers qui viendraient commercer sur cette côte ou toute autre
localitéque les ports reconnus par le gouvernement et ou les transactions
commerciales ont lieu avec les étrangers, le feraient entièrement a leurs
risques et périlset sans que le Gouvernement marocain puisse êtrerendu
en quoi que ce soit et par quiconque responsable des dommages ou des
matheurs dont ils auraient étévictimes. )>(III.annexe 119, p. 409.)

Et l'ambassadeur de France, qui adressait cette circulaire a son gouverne-
ment le 17 mai 1886,l'accompagnait de l'appréciationsuivante : EXPOSE ORAL DE M. BENJELLOUN 22 1

« A mon avis, cette circulaire ne vise pas seulement les Allemands,
mais aussi l'installation des Anglais Mackenzie etCurtis au cap Juby et
celle que les Espagnols seproposent, assure-t-on. de créerau Rio de Oro,
dans les memes parages. >>(Ihid.)

Il résultede la note et de la lettre ci-dessus mentionnée:
- d'une part, qu'en 1886la prétendue coloniede Rio de Oro n'étaitqu'une
éventualité,et la tentative d'occupation d'un point sur la presqu'ile de Dakhla
n'etait pas prise au sérieu;
- d'autre part, qu'a cette date le Gouvernement marocain n'a pas manqué
de protester contre les atteintes portées a sa souveraineté. et contre les

tentatives de plus en plus fréquentesde certains aventuriers européens, attirés
surtout par le profit, mais dont lesgouvernements allaient, par la suite, proliter
de l'action illégale.
Cependant, l'Espagne nepouvait en rester la;pousséepar l'exemplede la
France en Tunisie, par le caractéreconciliant du makhzen, quélleprenait pour
de la faiblesse, et surtout par la situation alarmante de son trésor,la redevance
annuelle marocaine prévuepar le traite de 1860 touchant bientôt a sa fin, elle
profite de la premiéreoccasion qui se présenteen 1893 pour chercher querelle
au Maroc. Ce fut la guerre de Melilla qui s'est terminéeen queue de poisson,
mais a la suite de laquelle, et sur l'intervention de I'Angteterre, le Maroc s'est
vu dans l'obligation de recommencer a payer une nouvelle indemnitéannuelle

a l'Espagne.
Mais, entre-temps, la France, qui étaitsolidement établie en Algerie, etqui
ne pouvait pas ne pas êtreinquiétéepar la fameuse déclarationde protectorat
espagnol sur le Rio de Oro de 1884, s'étaitrapprochée du Gouvernement de
Madrid pour une éventuelle fixation des zones d'influence respectives, plus
particulièrement à la limite sud du Rio de Oro et de l'actuelle Mauritanie.
IIest significatif de remarquer a cet égard qu'a cetteépoqueni l'unedes deux
puissances ni l'autre n'a pense a une tentative, quelle qu'elle soit, sur les
territoires au nord du Riode Oro, qu'ellesconsidéraientcomme appartenant au
Maroc.
Ce fait résulte d'ailleursde multiples autres documents, et notamment de
toutes les demandes présentéespar l'Espagne au Maroc, demandes que nous
avons déjàverséesau dossier, et qui concernent l'établissementdes limites
entre ce que l'Espagne appelle le point qu'elle possède a Villa Cisneros et le
reste du territoire marocain.
Cependant, le Maroc ayant conclu avec l'Angleterre,le 13mai 1895,le traite
par lequel il a rachetéle fonds de commerce de l'établissementde Mackenzie,
l'Espagne s'estémue du fait, d'autant plus que l'accord passéentre les parties
reconnaissait l'appartenance au Maroc aussi bien de la région que celle de
l'ensembledu Sahara.
Ce traitea d'ailleurs soulevéune polémiquesur le point de savoir si cette
reconnaissance concernait aussi la régiondu sud du cap Bojador ou seulement
I'izi~~terland.
A cet égard,l'ambassadeur de France qui avait discutéde la questioii avec le
grand vizir marocain Ba Ahmed rapporte, dans une lettre adresséele lO juillet
1895à son gouvernement le point de vue du ministre marocain qui avait
conclu le traité,et il rapporte ce point de vue en ces termes:

<On a voulu désignernon pas les territoires qui s'étendentde l'oued
Draa vers lecap Spartel au nord mais bien ceux qui se trouvent au sud du
cap Bojador. Les mots «au-dessus »auraient pour signification en Arabe222 SAHARA OCCIDENTAL

la côte africaine au Sud marocain d'une façon illimitée,pour poser en
principe de ce côtéla domination du Sultan. )(III,annexe 127, p. 421 .)

Quoi qu'il en soit, l'inquiétude manifestéenotamment par l'Espagne se
traduisit dans des provocations de plus en plus directes à l'égarddu Maroc.
C'est ainsi que le 10 novembre 1898, l'ambassadeur de France a Tanger
écrivaita son gouvernement :

«La presse espagnole mène grand bruit autour de nouvelles
récemment reçues du Rio de Oro et d'après lesquelles un nombre
considérable de marocains - quatre ou cinq mille - s'approcheraient
avec une attitude agressive de ladite factorerie.
Le Gouvernement de Madrid s'est empressé d'adopter certaines
dispositions...
Plutôt que d'ajouter trop de créance a cette prétendue hostilité des
Marocains, on doit rechercher dans les télégrammes expédiésdes
Canaries un symptome du courant actuel de l'opinion publique à Madrid,
o~il'on considere l'extension de l'influence espagnole au Maroc, voire
mêmela mainmise sur quelques points du pays comme un palliatif
nécessaireau revers de ces derniers temps. >>(III. annexe 126, p. 420.)

Sans doute s'agissait-ilde la défaite inflipar les Etats-Unis a l'Espagne, en
1898.
Telle est la situation à la veille de la conclusion du premier des traités
invoqués par l'Espagne et qui, a l'en croire, constitueraient la base de la
délimitation du Sahara occidental, qu'elle considère comme un ensemble a
part.
Nous avonscru utile de rapporter toutes ces circonstances qui établissentde
façon indiscutable la détermination de l'Espagne a occuper ke Maroc et qui
prouvent surtout que le Sahara faisait partie du Maroc, comme cela résultera

de façon encore plus déterminante de l'analyse des traitéseux-mêmes,analyse
iilaquelle nous allons procéder.
Mais en 1895 et au moment ou les transactions allaient commencer au sujet
du Maroc, les territoires du sud étaient calmeset obéissaient d'une manière
incontestable a l'autoritédu Sultan, de la souveraineté duquel ils n'ont jamais
cesséde relever.
Dans la lettre adresséede Tanger, le 5 décembre 1899, a s.ongouvernement,
l'ambassadeur de France, relatant le voyage du lieutenant de Segonzac dans le
Sud marocain, indique notamment :
« L'étatpolitique de toute la régiondu Sous etait tranquille, le voyageur

rencontra de ce fait peu de difficultés...
Mais arrivé chez les Ait Mellout, au pied du massif montagneux du
Tazeroualt, le voyageur se heurta au caïd El Guelouli, représentant du
makhzen marocain et dont l'activitéautant que l'habiletéservent l'action
de la Cour chérifienne.On sesouvient que c'estgrâce a lui que latentative
des flibustiers anglo-belges de la Tourmalitie échoua complètement.
Montant la garde aux alentours du Tazeroualt qu'il a pour mission
d'isoler, établissant la domination de son maître Abd el Aziz dans les
alentours, El Guelouli se refusa a laisser M. de Segonzac poursuivre sa
route.))(III,annexe 130. p. 424.)

Remarquons seulement que le Tazeroualt se trouve a l'extrêmesud du Sous,
avant d'examiner les traités'conclus a partir de 1900.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, le Royaume du Maroc adéjà EXPOSÉ ORAL DE hl. BENJELLOUN 223

établi,dans le mémoireécrit qu'ila eu l'honneur de déposerdevant laCour, un
certain nombre de points concernant lestraités etconventions invoquésdans le

mémoireespagnol pour établirce qu'il appelle : la« Délimitationconvention-
nelle du Sahara occidental )>.
C'estainsi que le Royaume du Maroc a deja établi :
que le prétendu protectorat de 1884 n'est pas conforme au droit inter-
national :
que leSahara occidentalest en réalitéune création échelonnéd ee la politique
colonialiste européenne ;
et que les conventions franco-espagnoles de 1900, de 1904 et de 191 2 ne
sont pas opposables au Maroc.

Ces véritésayant étédégagées,nous allons examiner les prétentions
espagnoles, uniquement sur les points qui n'ont pasdéjàété traitéd sans notre
mémoire écrit,nous référantpour le reste aux développementsque nous avons
dejaprésentés.
Nous allons en effet etablir que ce que le mémoire espagnol appelle
« Délimitations conventionnelles du Sahara occidental » n'a étéen fait que le
dépeçage du Royaume du Maroc, réalisépar des actes qui ne sont pas
juridiquement opposables a l'empire chérifien.

Pour une plus grande clarté de l'expose, nous nous permettrons de suivre
l'échelonnementdes faits, tel qu'ilest présente parle mémoire espagnol.
Et d'abord, le traite du 27 juin 1900. Le 27 juin 1900 a étésigiiéentre
l'Espagneet la France un traitépour déterminerles limites entre lespossessions
espagnoles et françaises sur la ciite occidentale de l'Afrique. etqui, en fait, a
établila limite sud entre le territoire qui est devenu par lasuite le Sahara
occidental et le territoire qui fait partie aujourd'hui de la République islamique
de Mauritanie.
A lire le mémoire espagnol. ilsemblerait que ce traite a étéconclu entre
deux Etats souverains. ayant une frontiére commune discutée et qui ont
décidé demettre un terme a toute possibilitéde contestation par un accord de-
finitif.
Et pourtant les faits sont tout autres dans leur réalité,et les circonstances
sont autrement plus différenteset plus complexes, car en 1900, il s'agissait,
sous le prétextede définirune limite, de se reconnaitre des droits mutuels sur
deux territoires jusqu'alors contestés, appartenant a un Etat tiers, et qui
demeureront contestés jusqu'a nos jours.
Néanmoins, il afallu d'autres discussions il a fallutenir compte d'autres
considérations,avant d'en arriver A la conclusion du traité.C'est ce que nous

allons essayer de rappeler.
Des la prétendue dklaration de protectorat de 1884 en effet, les réactions
n'ont pas manque d'étreplus ou moins effectiveset parfois virulentes de la part
d'un certain nombre d'Et& européens. C'est dans ce contexte que la France
s'étaitrapprochée de {'Espagne,pour la sonder sur ses desseins réels et savoir
quelle étaitla part qui lui étaitfaite dans les calculs espagnols.
A cette époque,il s'agissaitpour la France,tout en mettant l'Espagnedevant
le fait accompli en ce qui concernait l'extension de ses possessions en Guinée,
de tracer une limite qui définisseau sud la prétenduepossession espagnole du
Rio deOro.
Lesdiscussions, commencées en 1886, durent êtreabandonnées en 1891, du
fait surtout que la France ne voulait pas reconnaitre a I'Espagne quelque
possession que ce soit au sud du parallèle 2 1 20', alors que l'Espagne
souhaitait obtenir une frontière qui lui permette de conserver ce qu'elle224 SAHARA OCCIDENTAL

appelait sa possession de Bahia del Oeste, laquelle se trouvait a la lati-
tude 20' 51'. Leschoses en restèrent la.
Survinrent alorsdeux événementsqui ont eu une influence réellesur fasuite
des rapports franco-espagnols. Ce fut d'abord le traité maroco-anglaisde 1895

et ce fut ensuite la guerre hispano-américaine de 1898.
Le traité anglo-marocain reconnaissait la souveraineté du Maroc sur
l'ensemble de la clrte du Sahara, ce qui n'a pas manque de donner a réfléchir
aussi bien a I'Espagne qu'i la France.
Quant A la guerre américano-espagnole, elle a porté un coup assez rude a
l'amour-propre de I'Espagneainsi qu'a sa puissance colonisatrice et l'arendue,
de ce fait, plus conciliante.
C'est dans ce climat que reprirent les discussions entre la France et
l'Espagne, discussions qui aboutirent à la conclusion du traite de 1900.
Cependant l'Espagne, qui manifestait une prudence de plus en plus grande a
l'égardde ses partenaireseuropéens, menait en même tempsavec le Maroc des
discussions parallèlesqui ont abouti a la conclusion du traite du 20 juin 1900.
traitédont le mémoireespagnol ne parle pas. Nous allons voir pourquoi.
Aux termes de ce traitéen effet, Santa Cruz, que l'on cherchait toujours a

placer sur la côte marocaine, devait être situésur le territoire marocain, entre
l'embouchure de l'oued Draa et le cap Bojador. Le fait est à retenir. car il
explique la suite des événements.
Au moment de ta conclusion du traité franco-espagnol du 27 juin 1900
donc, l'Espagne étaittenue, d'une part par le traitéqu'elle venait de conclure
avec le Maroc une semaine auparavant, ainsi que par sa crainte d'une réaction
éventuellede l'Angleterre qui avait reconnu la souveraineté marocaine sur la
côte occidentale. C'estce qui explique le contenu du traité d27 juin 1900. Le
traitépréciseen effet : « La frontiere se continuera à l'est sur le2Io 20' de
latitude nordjusqu'a l'intersection deeparallèleavec le méridien 15O 20'ouest
de Paris...bb
Le secteur oriental a partir de ce point étaitfixémoyennant le tracéd'<(une
courbe qui sera tracéede façon a laisser a la France, avec leurs dépendances,
les salines de la région d'ldjil

Quant ala dernière section du secteur oriental de la frontiere, elle est ainsi
déterminée :
(Du point de rencontre de ladite courbe avec le méridien 15O20'ouest
de Paris (13"ouest de Greenwich), la frontiere gagnera aussi directement
que possible l'intersection du tropique du Cancer avec le méridien 14O20'
ouest de Paris (12O ouest de Greenwich) et se protongera sur ce dernier
méridiendans la direction du nord. »

En agissant ainsi, l'Espagne n'émet aucune prétention sur le territoire que
l'Angleterre reconnaissait comme relevant de la souveraineté marocaine. Elle
éviteainsitout affrontementéventuel avec I'Angleterre,se réservant sans doute
de reprendre la question, en des jours meilleurs. C'est ce qui se produira
effectivement.
En parlant du dernier point du traite, le mémoireespagnol reconnaît le fait,

qu'il ne pouvait contester d'ailleurs, mais se garde d'en donner la moindre
explication, tout en émettant une autre prétention. 11 affirme en effet :
L'accord du 27 juin 1900 ne déterminait pas le point extréme nord de la
frontiere entre les zones directement sous la souveraineté fran~aise et sous la
souverainetéespagnole. >)
Nous aurions été tentes decroire que l'emploidu mot c<souveraineté>>esd t û
a une simple erreur involontaire, si nous n'avions pas remarqué que dans la EXPOSE ORAL DE M. BENJELLOUN 225

totalité du mémoire la confusion était volontairement faite entre zone
d'influenceet souveraineté. ou possession et souveroinere'.ou mêmeautorité
et souveraine~é.alors qu'il ne s'agissait que de se reconnaître des zones
d'influence,zones proscrites d'ailleurs par ledroit internationalde l'époque,qui
les considéraitcomme un moyen de tourner l'exigenced'occupation effective.

En tout état decause, l'usagedu mot <<souveraineté»dans lecas d'espèce est
totalement abusif, s'agissant d'unterritoire dans lequel l'Espagne n'avaitjamais
exercé une présence effective. n'avait jamais exercé aucune autorité et sur
lequel elle ne pouvait émettreque des prétentions discutables et effectivement
discutées.
A un autre point de vue. nous avons vu que l'Espagne n'indique pas
pourquoi I'accorddu 27 juin 1900 ne déterminaitpas le point extrêmenord de
la frontiéreentre les deux zones.
Aussi allons-nous rappeler des faits que le mémoire espagnol a préféré
laisser dans l'oubli.
Le Gouvernement français avait sans doute un intérêctertaina déterminer
ce point, même si ce n'estque pour meltre unterme de futures prétentions
espagnoles. Mais l'Espagne ne pouvait admettre un tel fait, de crainte de se
trouver dans une situation embarrassante tant a l'égarddu Maroc qu'à l'égard
de l'Angleterre.

Ruinéepar la guerre avec l'Amérique, ['Espagnene pouvait s'exposer a la
réactionanglaise qui risquait de conduire le Royaume-Uni a quelque acte de
violence auquel l'Espagne n'étaitpas en mesure de s'opposer.
Mais, faitplus important, l'Espagne, qui venaitde conclure un accord avec
la Maroc, accord dans lequel elle reconnaissait la souveraineté du Maroc au
moins jusqu'au cap Bojador, ne pouvait,quelques jours plus tard, accepter de
fixer,iisa prétendue possession du Rio de Oro, une frontière qui violerait les
dispositions d'un traité signeune semaine plus tôt. Bien plus, tout en traitant
avec la France, l'Espagne entendait n'avoir comme interlocuteur pour fixer la
frontiérenord de son protectorat, que leMaroc. Desorte que, si la frontiéresud
étaitdéfinitivementfixéepar l'accord franco-espagnol, la frontiére nord devait
rester une affaire rnaroco-espagnole.
Une telleaffirmation néstd'ailleurs pas une simple vision de l'espr:elle est
textuellement préciséedans une lettre adresséele 30 avril 1904par le président
du Conseil d'Etat espagnol, qiii a l'époque desfaits étaitministre des affaires

étrangères,a son premier ministre.
Dans cette iettre, il est préc:se
« La France avait un intérêtspécial à fixer la limite nord des
possessions espagnoles du Sahara. Mais je me suis opposé a ces
prétentions parce que j'estime que, cette limite, nous devons la discuter
avec le Maroc. La France s'est inclinée etc'est pourquoi cette limite est
restéeindéterminée.Tous ces faits se trouvent mentionnés dans le Livre
rouge espagnol. » (Mt;~n~iircde /'Ecolr diplornaliql~ecspagttolc, année

1450,p. 398.)
Cette correspondance est d'un intérêc tapital. Elle démontre en effet, sans
discussion possible, que l'Espagne considérait a cette époquequ'a l'exception
du point qu'elle estimait lui revenir tout le reste du Sahara faisait partie du
territoire marocain.
Nous savons d'ailleurs que le Gouvernement espagnol n'a pas cesséde
demander au sultan du Maroc depuis 1886de bien vouloir accepter de fixer la
limite entre ses territoires et(<point)>qu'elle possédaitau Rio de Oro. Nous

avons verséaux débatsde multiplesjustifications de ce fait.226 SAHARA OCCIDENTAL

Remarquons en passant qu'en 1904 le président duConseil d'Etat espagnol
parle encore de possession et non pas de colonie. Nous comprenons
maintenant pourquoi le mémoire espagnol n'a pas cru devoir indiquer les
motifs qui se sont opposés a la détermination du point extrêmenord de la .
frontière entre les deux zones car, s'ill'avaitfaiilaurait étéobligé :
1) de parler du traité maroco-espagnol du 20 juin f 900 qui reconnaît la
souveraineté marocaine au moins jusqu'au cap Bojador ;
2) de reconnaître l'importance que le traitéanglo-marocain de 1895 revêtait

aux yeux du Gouvernement espagnol.
Et nous en arriverons aux projets de traitéde l'année1902.
Dans Ie mémoire espagnol, il n'est pas fait d'allusionaux projets de traite
franco-espagnol de 1902.
Un tel oubli pourrait évidemment se justifier, et c'estnormal, par le fait que
l'Espagne essaiesurtout de démontrer que les limites du Sahara ont étéfixées

d'unemanièreconventionnelle. Lesprojets de traites n'ayant pas eu de suite, ils
n'ont donc jouéaucun role dans cette situation.
Mais pour le Maroc un tel projet revët toute son importance puisqu'il
montre l'évolution des événements qui ont conduit a l'établissement du
protectorat et permet surtout d'établirqu'à l'époquede sa discussion il ne faisait
aucun doute dans l'esprit, aussi bien des Français que des Espagnols, que le
Sahara était marocain, s'agissant d'établir des limites entre des zones
d'influence.
Aussi allons-nous retracer brièvement les événements et rappeler les
conclusions essentielles a tirer du contenu du texte de ces projets.
Et d'abord, quelles sont les raisons qui ont motive la négociation d'un tel
projet ?
La France, établiesolidement en Algérie,manifestait un désirde plus en plus
évident et de plus en plus pressant d'améliorer sesfrontiéres marocaines et
d'étendresa domination sur un maximum de territoires a I'ouest.Et le fait que

le Maroc ait accepté une revision du traité macoco-français de 1884 pour
conclure un nouvel accord aui lui étaitbeaucouo moins favorable confirmait le
Gouvernement français dais sa conviction quele moment d'agirétaitvenu.
C'estalors que le Gouvernement français s'estrapproche du Gouvernement
espagnol pour lui susciter l'idée d'unéventuel partage d'influence dans
l'Empire chérifien.
Mais le Gouvernement espagnol n'étantpas sûr de son opinion publique, un
article a étéinspiré à un homme particulièrement respecte en Espagne,
M. Silvela. Cet article, publiédans la presse, a fait l'effetd'une bomb:(<Quel
intérktl'Espagne tire-t-elle du siaiu qtro marocain ?>>écritM. Silvela:

<<Notre situation quant a nos frontières sud est semblable a celle d'un
propriétairedont le terrain n'a ni lumiere, ni air, ni communications pour
se développer.Nous maintenir dans cette situation est contraire aussi bien
a notre intérêtqu'à notre prestige. Et c'est avec la France que nous
pouvons trouver l'entente laplus intelligente, la plus raisonnable, la plus
naturelle et la plus équitable. Et la France ne peut pas trouver un
partenaire plus qualifie que nous. Si nous ne négocions pas donc
immédiatement, nous irons a la catastrophe en nous contentant de
lamentations et du rappel du testament d'Isabelle laCatholique. b(Article
publié dans la revue La lecture de Madrid, no 8, t. II,du mois d'août
1901 .)

Intéresséepar de teIles propositions, l'opinion publique espagnole réagitfavorablement. Des discussions eurent lieu au Parlement. le ton monta et ie
Gouvernement espagnol dut donner a son ambassadeur a Paris lesinstructions
suivantes : «Engagez les discussions avec la France et essayez d'avoir le
maximum de profit pour l'Espagne dans cette affaire. » (Un tel document est
rapportépar Leon y Castillo dans son livreDemon temps. publiéa Madrid en
1921. alapage 181.)
Entre-temps. le Gouvernement français, quisuivait le développement des
événements de Madridavec une attention particulière, avait nommé son
ambassadeur aTanger gouverneur générad l'Algérieet l'avaitremplacépar un
diplomate plus confirmé, M. Saint-RenéTaillandier, qui, des son arrivée a
Tanger, effectua sa premièrevisite al'ambassadeur d'Espagne, contrairement
aux règlesprotocolaires.
L'ambassadeur d'Espagne renditcompte de cette visitea son gouvernement,

le 20 juin 1902,en ces termes :
«Le 10 courant est arrivé M. Taillandier qui m'a rendu visite
immédiatement. Après m'avoir réitéré le désir de son gouvernement

d'Œuvrer.touj,-rs et en toutes circonstances. au Maroc. en accord avec
l'Espagne ...il m'a déclaréque son gouvernement étaitprofondément
irn~ressionnéDar les manifestations ostentatoires des agents officieux
britanniques àia cour du Sultan. Cette situation préoccupasérieusement
son gouvernement, notamment en ce qui concerne les prétendues
réformes a introduire par l'Angleterreau Maroc, persuadéqu'il s'agissait
d'une manoeuvre pour introduire au Maroc un personnel administratif
anglais pour fournir au pays des armements en provenance de
Manchester etpour l'incitera accepter un prêt.ajoutantque c'étaitla une
méthode que l'Angleterre avait employée ailleurs. méthodedont les
conséquences nous sont connues. » (Mémoire de 1'Ecolediplomatique
espagnole, année1950. p. 274.)

Le projet de traitéde 1902 étaitdonc motive, d'une part, par le désirdes
Français et des Espagnols d'étendre leur influenceau Maroc et, d'autre part,
par la crainte qu'ils avaient de voir I'Angleterreprendre les devants dans un
pays oii ils pensaient êtreles seuasavoir quelque droit a s'implanter.
C'est dans cet esprit que se sont engages les pourparlers franco-espagnols.
Trois projets furent établis.
II résulte deces projets qrie la France reconnaissaita l'Espagne le droit
d'exercer son influence sur la zone qui englobe Sakiet El Hamra et qui va
jusqu'a Mhamid a l'estet jusqu'à Agadir a l'ouest,en passant par la ville de
Taroudant et la villede Zagora au Maroc.
Néanmoins, le Gouvernement espagnol qui avait mené les discussions
tomba a la veillede la signature du traitéet celui qui le remplaça eut peur des
conséquencesdela signature d'un tel acte ety renonça définitivement.
Lejournal français Le Figaro du 11 novembre 19 11. qui venait seulement
d'apprendre l'existencede ces projets de traité.eux aussi évidemmentsecrets,

explique en cestermes les mobiles de leur non-conclusion :
«Avant de signer le traitésecret du 3 octobre 1904,qui a ésignésous
lesauspicesde l'Angleterregarante de nos accords espagnols,M. Delcassé
avait, en 1902. conclu avec l'Espagne,a l'insu de l'Angleterreet contre

elle,le traité secretque Sagastaavait acceptémais queson successeur,
M. Silvella, refusa de signer en arrivant au pouvoir. C'étaipartage du
Maroc en deux moitiés. M. Silvella fut effrayé des responsabilités228 SAHARA OCCIDENTAL

financières et militaires qui incomberaienta son pays, des jalousies qu'il
éveilleraiten Europe, au Foreign Officeen particulier;ileut lecourage de
dénoncerces périls a son collèguedu cabinet de Londres, dont les intérêts
étaient méconnus puisque le partage était fait en dehors de lui. C'était
pendant notre périodede mésententeavec ['Angleterre... »

te texte du Figuro est plein d'enseignements. Retenons simplement qu'en
1902 il s'agissait bien de partage d'influence au Maroc, que le projet parle
expresskment de Sakiei El Hamra et déclare compléterle traitéde 1900, ce qui
permet sans discussion de conclure que Sakiet El Harnra, mêmeaux yeux des
deux protagonistes, faisait partie du territoire marocain.
Nous en arrivons ainsi, Monsieur le Président,Messieurs, à la déclaration
publique franco-anglaise du 8 avril 1904 et aux articfes secrets passésentre

l'Angleterreet la France à la mêmedate.
L'Espagne, ayant ainsi recule a la dernière minute devant la signature du
projet de traité de 1902 qui avait exige des mois de négociations,la France
comprit qu'il lui fallait.avant tout, obtenir un accord préalablede l'Angleterre
si elle voulait promouvoir quelque action que ce soitau Maroc.
Aussitôt, des pourparlers sont engagés avecle Foreign Office.
C'estainsi que, le30 décembre 1902,M. Delcasséécrivaita Paul Cambon,
ambassadeur de France a Londres :

«Votre rapport du 17 de ce mois, no 298, m'a rendu compte d'un
entretien que vous veniez d'avoir aveclord Lansdowne au sujet du Maroc
et m'a permis de constater que le secrétaired'Etat britannique appréciait
personnellement tout l'intérêt qu'iplouvait y avoir pour la France et
l'Angleterre a prévenir par des échanges de vues des complications
d'ordre international au Maroc ..Si lord Lansdowne présentait quelque
observation ou, par exemple, faisait allusion aux échanges de vues que
nousavonseus ces temps derniers avec l'Espagne,et dont ilest dinicile de
supposer qu'il n'ail paseu connaissance, je ne verrais aucun inconvénient
a ce que vous lui fournissiez à ce sujet quelques brèvesexplications. »

Mais quel contenu donner a ces explications ?M. Delcassé lesuggèreen ces
termes dans la mêmelettre :
« En présencede la situationtroublée de l'Empire chérifien,des intérêts
et des aspirations espagnols de l'autre cote du détroit,et des relations de

bon voisinage que nousentretenons avec l'Espagne, il était impossible
pour nous de ne pas chercher a prévenir ducSte de Madrid des défiances
trop faciles a faire naitre. De la certaines conversations ...» (111,an-
nexe 132. p. 427,)

La France a donc ainsi pris la tete du mouvement et semble en mêmetemps
presque s'excuserde ne pas avoir meléI'Angleterreaux conversations engagées
avec l'Espagne a propos du Maroc en 1902.
Le 8 janvier 1903, une note est adressée par le ministère des affaires
étrangères a l'ambassadeur de France a Madrid, M. Jules Cambon.
Après avoir relaté les circonstances qui ont conduit aux pourparlers de
1902, la note ajoute:
<Ces pourparlers, que dominait toujours d'ailleurs, de part et d'autre,
le sincéredésirde maintenir aussi longtemps que possible lestat~i quo au
Maroc, n'ont pas abouti a des arrangements fermes ;mais ils nous ont

permis de constater qu'il ne serait pas impossible, le moment venu,pour EXPOSÉ ORAL DE hl. BENJELLOUN 229

nos deux gouvernements, d'arriver à trouver les termes d'un accord
également satisfaisantpour les deux parties.
Nous avons toujours jugé qu'il serait prudent de préparer avec
l'Espagne, la principale intéresséeapres nous, la solution du problème
territorial que peuvent, d'un jour à l'autre, poser les événementsau
Maroc. Après avoir paru partager d'abord notre sentiment à cet égard,le
cabinet de Madrid semble avoir redoutéapres coup le mécontentement de
l'Angleterre ; et, craignant pour les Canaries, pour ies Baléares,pour
Algésirasquelque tentative qu'il ne se sent pas la force de repousser, il
s'estmontrédésireux d'uneentente avec elle. » (III, annexe 133. p. 429.)

Le texte est clair, le but est précis,tout commentaire parait inutile.
Le Gouvernement francais qui, de plus en plus, fait figure de maitre
d'Œuvre, est donc convaincu que l'Espagne ne ferait rien sans l'Angleterre.
Dans ces conditions, il préfèreprendre le Gouvernement espagnol de vitesse ;
c'est ce qui explique les travaux d'approche auprès de lord Lansdowne et la
conclusion plus tard du traitéanglo-français du 8 avril 1904.
Ce traité revèt une importance particulière car il est a l'origine du

changement d'attitude de l'Angleterre a l'égarddu Maroc, qu'elleavait jusque-
la plusou moins soutenuet qui avait cru, pendant longtemps, pouvoir compter
sur son appui pour déjouerles manŒuvres dont il étaitl'objet.
Aux termes de ce traité,la France laisse les mains libres a l'Angleterre en
Egypte ;en contrepartie. l'Angleterre reconnaît qu'elle n'entravera pas l'action
de la France au Maroc.
Ainsi donc, le problème marocain est régléaux yeux de l'Angleterre qui,
comme nous le verrons par la suite, n'invoquera plus les dispositions du traité
rnaroco-anglais de 1895. Cependant, l'Angleterre ne pouvait se désintéresser
complètement du sort de Tanger et du détroitde Gibraltar et n'entendait pas
avoir pour voisin a Gibraltar un Etat aussi puissant que la France.
Déjàcette idéerésulte d'une lettreadresséedeTanger des le 20août 1882par
l'ambassadeur de France au ministre des affaires étrangèresdans laquelle il
écrit:

«Jusqu'à cejour, les représentantsde l'Espagne au Maroc se trainaient
a la remorque de la politique britannique ; si l'Espagne cherche a se
dérober a cette tutelle ea voler de ses propres ailes, I'Angleterre ne sera
pas d'humeur a tolérer une compétition qui ferait échec a sa position
stratégique a Gibraltar. I'Otou tard, le littoral de Tanger sera l'enjeu final

que se disputeront lespuissances qui épientledémembrement de l'Empire
marocain. »
C'est dans cette optique qu'il a étéjoint a l'accord franco-anglais du
8 avril 1904 des articles secrets dont le troisième stipule expressément :

<Les deux gouvernements ont convenu que certaines régions du
territoiremarocain, limitrophesde Melilta et de Ceuta et d'autres présides,
devront relever de lasphère d'influence espagnole le jour ou le Sultan
cessera d'exercer sur elles son autorité et l'administration de la côte de
Melilla jusqu'aux hauteurs de la rive droite du Sebou devra êtreconfiée
exclusivement a l'Espagne.

Cependant, I'Espagne doit au préalabledonner son adhesion formelle
aux dispositions des articles 4 et 7 de la déclaration de ce jour, et
promettre de les exécuter. ))(III, annexe 46. p. 290.)
Par de telles dispositions, l'Angleterre empêchela France d'avoir un accés230 SAHARA OCCIDENTAL

sur la Méditerranée. Mais la France ne pouvait qu'accepter lesconditions ainsi
imposées, sachant pertinemment que sans cela la possibilité d'étendreson
influence au Maroc ne pouvait êtreenvisagée.
La réaction espagnole, cependant, a la conclusion d'un tel traite, n'a pas
manqué d'êtrevive. Le 23 avril 1904, M. Jules Cambon, ambassadeur de
France aMadrid, écrivait a son gouvernement :

« Dans cette Espagne ou il n'y a pas d'autre politique que celle des
personnes, le corrvettioanglo-français devait donner Lieuaux polémiques
que je vous ai signaléesdans une autre dépkhede ce jour ...
Des le 19 avril, le Heraldo de Madrid ...racontait...que le dernier
cabinet libéralau pouvoir avait négocié avecla France au sujet du Maroc ;
que ces négociations avaient été sur le point d'aboutir;que ce cabinet,
étaittombé, M. de Abarzuza. ministre d'Etat du cabinet Silvela. s'était
refusé ales poursuivre, croyant qu'ellesdevaient aboutir a une conquête
militaire:que M. Leon y Castillo, par.une faiblesseincroyable. consentit à
suivre cette nouvelle politique : que c'est alors que commencèrent les
négociations entre la France et L'Angleterrequi ont ruiné les légitimes
esperances de l'Espagne. » (III, annexe 134. p. 432.)

Et M. Cambon de citer d'autres articlesde presse aussi accusateurs, et aussi
pleins de colèreet d'amertume.
La France, ayant ainsi réglé leproblème anglais, pouvait parfaitement se
passer de l'accord espagnol, sa position étant devenue nettement plus forte.
Cependant, le traitéavec l'Angleterre lui ayant imposéde céderl'influencesur
certains territoireal'Espagne,des pourparlers sont engages avec cette dernière
pour que les discussions soient reprises.
L'Espagne, de son côté, qui s'était inquiétée des négociationsfranco-
anglaises et les avait suivies avec une certaineappréhension, ne demandait pas
mieux que de reprende le dialogue avec la France, surtout que l'Angleterre
n'avait pasmanquéde lui donner tout apaisement et de la tenir au courant du
contenu des articles secrets du traite conclu avec la France.
L'Angleterre avait d'ailleurs, des l27 avril 1904, c'est-à-dire quinze jours
aprèsla signature du traité avecla France, acceptéderenoncer aux dispositions
du traité conclu en 1895 avec le Gouvernement marocain, dans un
mémorandum que lord Lansdowne a remis a l'ambassadeur de France a
Londres (II.appendice 21 a l'annexe21 du mémoire espagnol,p. 179).
La dépêche de M. Cambon ason ministre commente ainsi le mémorandum :

«Aux termes de cette déclaration,l'Angleterre renonce a se prévaloir
contre nous des dispositions du traité de 1895 ; cette renonciation est
généraleel indépendantede nos arrangements avec l'Espagne. Cependant
lesecrebire d'Etat a cru devoirmentionner l'éventualitéd'un abandon
cette puissance des territoires visésdans le traité anglo-marocain et a
donne par avance son assentiment a cette cession.>(1bid.j
Il est donc ainsi établique l'Angleterre, dans la convention du 8 avril, a
imposéa la France de cédera l'Espagne une zone d'influence au Maroc dans le

nord et, dans le mémorandum du 27 avril, a déclarésa non-opposition a une
éventuellecession al'Espagne de l'influence aSakiet El Hamra.
Les contours du traité hispano-français du 3 octobre 1904 étaient ainsi
tracés ; ilne restait plus qu'à le conclure, ce qui fut fait quelques mois
seulement plus tard.
A la page 300,paragraphe 5, deson mémoire(11,leGouvernement espagnol
déclare simplement : EXPOSE ORAL DE M. BENJELLOUN 231

({L'accorddu 27 juin 1900 ne déterminaitpas le point extrënie nord de
la frontiéreentre les zones respectivement sous la souveraineté francaise
et sous la souverainetéespagnole. Cette délimitation se fit par les accords
signes entre l'Espagne et la Franca Paris le 3 octobre 1904et i Madrid le
27 novembre 1912...»
Comme nous l'avons vu, les choses netaient pas pourtant aussi simples et il
s'agissait moins, dans le traité de 1904, de fixer des limites a la prétendue

colonie du Rio de Oro, que de procéder a un partage en règledu Maroc, en y
determinant les zones d'influence française et espagnole.
L'article5 du traité,en effet, déterminece qu'ilappelle les zones d'influence
dans le sud du Maroc :les terines sont nets, il s'agitdu sud du Maroc.
Et l'articl6 stipule que la zone d'influence ainsi attribuéea l'Espagnene fait
pas partie du territoiremarocain.
Ce point revêtune importailce capitale et justifie quelques explications.
L'Espagne comme la France étaient décidéesau partage du Maroc ;mais
comme l'autoritédu Sultan existait et qu'ilsne pouvaient pas pour le moment
agir directement, les deux Etats se contentèrent de délimiter Leurs zones
d'influence respectives.
Cependant, ilscraignaientencore une réactionmarocaine et devaient donner
au Sultan tout apaisement. C'estce qu'ilsont fait dans la déclarationpublique
qu'ilsont diffuséelejour mêmede la signature du traite secret. Ils ne pouvaient
décemmentpublier aussi le traitéqui dit le contraire de la declaraion publique.
C'est ce qui explique que le traité soitrestésecret pendant huitans.
11fallait aussi que le traite, mémesecret, présente un minimum de logique
avec le contenu de la déclaration qui, elle, affirme la détermination des deux
pays agarantir l'intégrité du territoire marocain.

C'est pourquoi les parties traitantes ont eu recours a cette forinule aussi
astucieuse et préméditéeq ,ue contraire a la réalitédes faits, selon laquelle les
territoires du sud, et notamment la Sakiet El Hamra, ne faisaient pas partie du
territoire marocain.

Je disais, en parlant du traite du 3 octobre 1904, qu'il fallait aussi que ce
traité, méme secret, présente un minimum de logique avec le contenu de la
déclaration qui, elle, affirme la détermination des deux pays a garantir
l'intégritédu territoire marocain. C'est pourquoi les parties traitantes ont eu
recours a cette formule aussi astucieuse et préméditéqeue contraire a la réalité
des faits el selon laquelle les territoires du sud,et notamment Sakiet El Uamra,
ne faisaient pas partie du territoire marocain.
Ilspouvaient d'autant plus d'ailleurs agir ainsi que le seul Etat qui aurait pu

s'opposer a leurs manŒuvres, c'est-à-dire l'Angleterre, leur avait laisséles
mains libres par le mémorandum du 27 avril 1904.
Le mémoireespagnol reconnait d'ailleurs :
<C'est pourquoi, en vertu de l'article6 de l'accord de Paris du 3 octo-
bre 1904, la France accepta que « les régionscomprises entre le 26" et le
27" de latitude nord et le méridien 11 ouest de Paris sont en dehors du
territoire marocain )(1,p. 301,par. 7.)

Ainsi donc, ce n'est pas parce que la régionne faisait pas partie du territoire
marocain, comme l'articlel'affirmefroidement, mais c'est simplementparce232 SAHARA OCCIDENTAL

que l'Espagne avait deriiaridéa la France de considérerles faits comme tels et
que la France a accepté de ce faire, que l'on a présentéle Sahara comme ne
faisant pas partie du Maroc. Le traiténe constate pas, mais décideet décide
évidemment sans droit, caron ne dispose pas du territoire d'un Etat tiers.

Sans doute, peu convaincu lui-mêmede son raisonnement, le mémoire
espagnol indique a t'appuide sa thèseun article de presse qu'ilprésentecomme
appendice 46 a l'annexe 21(11:p. 227-2291 ;mais le mémoire se garde bien de
préciserqu'il s'agit d'une simple appréciation rapportée par une publication
américaine,datéeau surplus du 9 septembre 1961.
Mais de telles considérations ne pouvaient gênerle mémoireespagnol qui
ajoute plus loin et ouvertement :« Comme le Gouvernement espagnol l'amis
en relief dans cet écrit,on peut considérer que les frontières historiques du
Maroc, au sud, avaient comme limite l'oued Draa... >(1,p. 303, par. f11,allant
jusqu'a soutenir que le Maroc devrait être reconnaissanta l'Espagnequi, par le
traitéde 1904,lui aurait octroyé généreusementdes frontieres beaucoup plus
favorables que celles qu'il possédaitantérieurement.
Une telle affirmation nous aurait étonnés et aurait justifié d'autres
explications si le reste du mémoireétait plus sérieuxsur les autres points, ce
que nous n'avons malheureusement pas constaté.
Le mémoireespagnol continue d'ailleurs sur cette lancée,invoquant tour a
tour une déclarationde l'ambassadeur de France a Londres ou un ensemble de
documents qu'i loumet péle-mêm àel'appréciationde la Cour.
Mais s'ilest facile de comprendreque l'ambassadeur de France, au cours de
l'année1904,avait tout intérêt à trouver un terrain d'entente entre son pays et
l'Espagne,l'examen des autres documents présentéspermet de se rendecompte

que ces documents disaient en réalitéautre chose que ce que prétend le
mémoireespagnol.
A en croire ce mémoire, l'appendice -1 a l'annexe 2 1 démontrerait <la
concordance de position des Etats sur le point relatif a l'absence de
souveraineté marocaine dans la zone au sud du Draa »(1,p. 303, par. 12).Or
ce document ne conduit nullement a une telle conclusion ; il rapporte
simplement les termes du mémorandum de la Grande-Bretagne du 27 avril
1904par lequel l'Angleterre renonce à seprévaloir des dispositions du traitéde
1895,alors surtoutque ce traiténe permet nullement a l'Angleterre de disposer
des territoires marocains, mais prévoit seulement son accord préalabledans le
cas où le Maroc manifesterait, lui, l'intention de renoncarune parcelle de son
territoire.
Il est évidentqu'une telle renonciation de la part de l'Angleterre ne touche
pas à la souveraineté marocaine qu'elle confirme d'ailleurs, puisque tout ce a
quoi l'Angleterre s'engage, c'est qu'elle ne s'opposera pas à tout arrangement
sur le Maroc, toujours souverain, toujours indépendant, encore maître de son
destin, et défendant avec détermination son intégrité territoriale etson droia
la vie.
Le mémoire espagnol sent,'malgré tout, qu'il est difficilede passer sous

silence le fait que le traité franco-espagnoi de 1904 soit resté secret. C'est
pourquoi il affirme, en parlant de cette mesure::<Cette attitudese justifie sans
doute parce qu'en 1904l'Allemagnen'avait pas donnéson accord Bla politique
française au Maroc, ce qu'elle fit e19 11.))(1,p. 304, par. 13.)
N'en déplaiseau mémoire espagnol,nous doutons que cette explication soit
la bonne.
Nous en doutons d'autant plus que les véritables motifsdu secret d'un tel
traité nous les avons amplement développésci-dessus, comme nous l'avons
expliqué dans notre mémoire écrit,lorsque nous avons rappeléla position deM. Delcasséqui craignait une révolution au Maroc si ce traité venait a être
connu.
Terminons l'analyse du mémoire espagnol sur ce traité de 1904, en rap-
portant cette appréciation qu'iln'hésitepas a faire:

<<L'accorddu 3 octobre 1904 ..est juridiquement important ...comme
preuve de l'absence de souveraineté de la part du Maroc sur la régionde
Sakiet El Hamra ...cette partie du Sahara occidental ... [étant]considérée
par la France et l'Espagne comme se trouvant (<hors du territoire
marocain. » (1,p. 304, par. 14.)

A en croire, donc, le mémoire espagnol,il suflit que l'Espagne et la France
considèrentque la Sakiet El Hamra ne fait pas partie du Maroc pour que ce soit
exact.
Nous croyons pouvoir nous dispenser de tout commentaire concernant une
telle aflirmation, mais nous soinmes tout de mêmeen droit de nous demander
pourquoi une telle disposition ne figure ni dans le traitéde 1900 ni dans les
projets de 1902. 11est vrai que l'Angleterrea ce moment-la, n'avait pasencore

donnéle feu vert.
Ce qui demeure certain c'est que, par lejeu des accords, par la multiplicité
de négociations douteuses et secrètes et par l'intermédiairede satisfactions
donnéesles uns aux autres. lestrois puissances. Angleterre. France et Espagne,
se sont entendues pour que le Maroc soit partage en sphères d'influence aux
termes d'accords secrets et d'arrangements auxquels le Maroc n'a jamais été
appelé a donner son accord et encore moins a participer.
Ce qui est aussi certain c'estque le traitédu 3 octobre 1904 s'intitule Traire
liispuno-frui itçuirc~ ~it Muroc et qu'il se préoccupe non seulement des
territoires du nord mais aussi de la Sakiet El Hamra.
La signature du traite d'octobre 1904 n'a pas manqué d'ailleurs d'apporter
un apaisement compréhensible a l'Espagne.

Jules Cambon, ambassadeur de France a Madrid, écrivait le 27 novem-
bre 1904 a son ministre des affaires étrangères:
<(Dans son numérodu 19de ce mois,La Espana a publiéun important

article dans lequel elle a rendu hommage a l'esprit de modération qui
préside a la politique extérieure de la France et a l'attitude de Votre
Excellence qui est une garantie de paix pour le monde. )(III,annexe L48,
p. 444.)

Nous savons ce qu'il faut penser de cette c<modération D et de cette
((garantie de paix pour le monde ». Quant au Maroc. le seul acte qui ait été
porté a sa connaissance est évidemment la déclaration publique qui a été
publiéelejour de la signature du traitéet jamais le traite secret.
Elle I'ad'ailleurs étédans des termes qui méritent d'être rapportés.
Le6 octobre 1904,en effet, un télégrammecommuniquait la déclarationa la
légationfrançaise àTanger et ajoutait :

<(Veuillez notifier sans retard cette déclaration au ministre des affaires
étrangères du Sultan pour que le Gouvernement chérifien en ait
connaissance par nos soins.
11se rendra compte qu'en signant avec l'Espagne un accord ainsi conçu
nous nous sommes préoccupesavant tout d'engager solennellenient dans

les mêmespromesses que nous-mèmes. quant au reçpect de la sou-
veraineté chérifienneet de l'intégritéterritoriale du Maroc, la puis-234 SAHARA OCCIDENTAL

sance qui possède plusieurs établissements militaires sur la cote
septentrionale de ce pays.
Vous voudrez bien faire donner a Ben Sliman. par l'entremise de
M. Gaillard. des indications verbales dans ce sens. Elles préviendront les
incertitudes que pourraient faire naître chez les membres du makhzen les
rumeurs contradictoires répandues par la presse et qui ne sauraient avoir
aucune valeur. )>(III, annexe 147,p.443.)

Nous savons aujourd'hui que ces rumeurs n'étaient passans fondement,
mais, compte tenu des circonstances, il est évident que le Gouvernement
français n'avait aucun intérêa ce que le Maroc les croie fondées.
Et nous en arrivons aux déclarations franco-allemandes des 8juillet 1905et

du 9 février 1909.
Devant de tels événementsqu'il subodorait, le Maroc a essayé,par tous les
moyens, de sauvegarder son indépendance et sa souveraineté. IIa ameuté
toutes les puissances avec lesquelles i1étaiten rapport, attirant l'attention sur le
fait qu'un complot paraissait se tramer contre son intégrité.
Cefut la le motif de la visite que l'empereur d'Allemagneeffectua a Tanger le
3 1 mars 1905. Des son arrivéeau port, le Kaiser prononca un discours dans
lequel il allirma êtrevenu chez le sultan du Maroc <(indépendant et absolu-
ment souverain >>U.ne telle déclarationne pouvait rester sans soulever les in-
quiétudesfrançaises et espagnoles. Des pourparlers furent engagésentre ]'Alle-
magne et la France et une déclarationfranco-allemande a été publiélee 8juil-
let 1905,déclaration qui posa le principe de l'acceptation par les deux signa-
taires de participer a la conférence d'Algésiras,laquelle, dans l'acte général
du 7 avril 1906, posa le triple principe de la souveraineté S. M. le Sultan,
de l'intégritéde ses étatset de la libertééconomique, sans aucune inégalité.
La France, comme l'Espagne, se trouvait ainsi devant une situation pour le
moins embarrassante.
Sans doute, en ce qui concerne le Sahara, le problème leur paraissait réglé,

du moins en apparence, par le fameux article 6 du traité du 3 octobre 1904.
Mais la question concernant le reste du Maroc était posée, au regard des
dispositions de l'acted'Algésiras.
La France occupa alors en 1907 Les villes dOujda et de Casablanca.
L'Espagne s'empara de la régionde MeliHa.L'Allemagne s'émut etmanifesta
aussitôt sa déterminationa ne pas se Iaisser mettre devant le fait accompli.
C'est alors que des pourparlers s'engagèrentqui aboutirentàla déclaration
franco-allemande du 9 février 1909.
Il s'agit d'un accord aux termes duquel le Gouvernement français
«entièrement attaché au maintien de l'intégritéet de l'indépendance de
l'Empire chérifien» et le Gouvernement allemand

« ne poursuivant que des intérêtséconomiques au Maroc, reconnaissant
d'autre part que les intérêtspolitiques particuliers de la France sont
étroitement liésa la consolidation de L'ordreet de la paix intérieurs, et
décidés'sne pas entraver ces intérétv,

les deux gouvernements déclarent <<qu'ils ne poursuivront et n'engageront
aucune mesure de nature a créeren leur faveur ou en faveur d'une puissance
quelconque un privilègeéconomique >(III, p. 303).
En un langage plus clair, l'Allemagne renonce a sa position intransigeante
au Maroc. En contrepartie, elle est dorénavant considérée comme un
partenaire ayant les mêmes prérogativesque la France, mais seulement du
point de vue économique. EXPOSEORAL DE M. BENJELLOUN 235

La France a ainsi amené l'Allemagne a manifester une attitude plus
compréhensive, plus conciliante.
Nous allons voir qu'elle réussiraà la convaincre de ne plus s'opposer aune
application éventuelle du traité du3 octobre 1904.
C'est ce qui s'est passé grice a l'accord franco-allemand du 4 novem-
bre 1911 :
<La phase finale [dit le mémoire espagnol] de la délimitation
conventionnelle de la frontièrenord du Sahara occidental commença avec

les négociations entre la France et l'Allemagne qui donnèrent lieu a la
signature, le 4 novembre 1911, de l'accord entre les deux pays sur le
Maroc ainsi que des lettres annexes a la méme date qui contribuent a
préciser laportéede celui-ci...>(1,p. 304-305, par. 15 .)
Effectivement, le 4 novembre 1911, a été signé t'accord franco-allemand.

Mais, contrairement a ce qu'affirme l'Espagne, il étaitloin d'avoir pour but la
simple délimitation conventionnelle de la frontiere nord du territoire du
Sahara.
Tout au long du mémoire espagnol d'ailleurs l'Espagne s'acharne i faire
croire que le seul but poursuivi par les puissances européennes, entre 1900 et
1912, est de créer, de modeler et de personnaliser le territoire qui devait
devenir par la suite le Sahara occidental.
Sans nous arréter plus longuement sur une prétention aussi simple,
rappelons brièvement que le traitédu 4 novembre 1911 n'est que la suite de
celui du 9 février1909 et constitue le résultatde l'effortparticulier et pressant
que la France n'a cesse de fournir dans son optique d'écartertout ce qui
pouvait géner la réalisation de l'objectif final. c'est-à-dire f'instaurationdu
protectorat au Maroc.
Mais il est aussi la conséquenced'événements graves quis'étaientproduits

au Maroc : occupation de Fés par les troupes françaises, en mai 1911,
occupation de Larache et de Ksar El-Kébirpar l'Espagne en juin de fa même
année,déclenchementd'une campagne militaire espagnole au Rif.
Le 1" juillet eut lieu ce qu'oa appeléle coup d'Agadir. c'est-à-direl'envoi
par l'Allemagne de lacanonniérePu~rrlierdans ce port.
Le 2 juillet, c'est-a-dire le lendemain, l'ambassadeur d'Allemagne a Paris
écrivaitau ministre des affaires étrangères françaisune lettre dans laquelle il lui
dit notamment :

« Il n'y a pas de doute qu'if n'est plus possible aux puissances
intéresséesde revenir au slatriqrlo au Maroc ; la conception de l'acte
d'Algésirasau sujet de la souveraineté du Sultan et de l'intégrité de son
Empire est désormaisincompatible avec la situation crééepar la marche
des événements. » (Garcia Figueras, L'acrion aficai~re d'Espag~~e,
Madrid, 1966, t. II, p. 385.)

Un prise de position aussi énergiquedevait nécessairementconduire a des
pourparlers qui ont eu effectivement lieu et à des négociations qui ont étéa
l'originedu traitéconclu.
Dans le traité, le Gouvernement allemand déclare :qu'il ne poursuit au
Maroc que des intérêté s conomiques,qu'iln'entravera pas l'action de la France
en vue de prêterson assistance au Gouvernement marocain et qu'au casou la
France serait amenéea préciseret a étendre son contrôle et sa pénétration,le
Gouvernement impérial allemand n'y opposera aucun obstacle, reconnaissant
ainsi la libertéd'actioa la France.
Ainsi donc, le Gouvernement allemand qui, en 1905,clamait publiquement236 SAHARA OCCIDEhTAL

son amitiéau Maroc et sa détermination a préserver sa souveraineté et son
intégrité,le Gouvernement allemand se laissait convaincre en 19 11 et
admettait le principe du protectorat français.
11est certain qu'une telle acceptation n'a pas étéacceptée a titre gratuit, et
que le Gouvernement allemand en a tiréle bénéfice économiquestipulédans la
convention comme il en a tire un autre bénéfice, celuq i ui résulted'un autre

traité signéle mèmejour entre les mémespartenaires et qui concédaitleGabon
à l'Allemagne par la France. Lemémoireespagnol ne parle évidemmentpas de
ce traiténon plus.
Au traitéde 1909, ont étéjointes cependant des lettres annexes portant la
même date ; et dans celle adressée par l'Allemagne a la France. il est
notamment préciséque :
« l'Allemagne restera étrangèreaux accords particuliers que la France et
l'Espagne croiront devoir faire entre elles au sujet du Maroc, étant
convenu que le hlaroc comprend toute la partie de l'Afrique du Nord

s'étendant entre l'Algérie.l'Afrique occidentale française et la colonie
espagnole du Rio de Oro. )>(IIIannexe 53.p. 308.)
A la vérité,il a étésoutenu que les lettres annexes n'auraient étéjointes a
l'accord que plus tard a la suite d'une protestation élevéepar l'Espagne et
qu'ellesauraient été antidatées.
Mais le fait en lui-même importepeu pour le présent expose, cequi nous
intéresseétantle contenu même deces lettres annexes et notamment la phrase

que nous venons de citer.
Aux termes de cette phrase en effet il est précisédeux points essentiels:
1) l'Allemagne restera étrangere aux accords particuliers de la France et de
l'Espagne sur le Maroc ;
2) le territoire marocain englobe au moins la Sakiet El Hamra.

On a longuement épiloguésur la seconde disposition que nous venons de
signaler et diverses explications ont étéavancées pour essayer d'inclure cette
disposition dans un système d'apparence logique. mais qui permette de
concilier l'indifférence manifestéepar l'Allemagne a l'égarddu Maroc avec
cette réservequi parait ètre favorable au Royaume chérifien.
La seule explication valable cependant, et qui résulte d'ailleurs du texte
mêmedes lettres annexes, est que l'Allemagne, dont certains ressortissants
avaient des intérêtsterritoriaux et miniers dans le sud du Maroc. entendait,
dans le cas ou le Maroc venait à êtrepartagé,que la souveraineté marocaine
soit maintenue sur les territoires de Sakiet El Hamra, dans lesquels existaient
les intérêtsde ses nationaux.
IIest en effetnaturel que l'Allemagnetienne à rester en rapport direct avec le
Maroc et évite, sur les territoires qui l'intéressent, l'intervention d'une
puissance tierce avec laquelle elle aurait eu par la suite des difficultés

supplémentairespour l'administration ou l'exploitation des propriétésapparte-
nant ades Allemands.
Ce qui est certain, et quelle que soit l'interprétationdonnéa la phrase citée,
c'est qu'il ne faitnul doute que l'accord conclu reconnait l'appartenance de ta
Sakiet El Hamra au Maroc.
Cependant, une telle disposition ne pouvait que gênerle Gouvernement
espagnol dans son effort de soutenir la dificile thèse qu'il a préféré adopter
dans son mémoire. C'est pourquoi ce dernier s'ingénie a trouver une
explication qui puisse cadrer avec son optique, ne reculant devant aucun effort
d'imagination, comme nous allons le voir. EXPOSE ORAL DE M. BENJELLOUN 237

Mais auparavant il s'avère peut-etre nécessaire de revenir sur une
affirmation que te mémoireespagnol n'a pas cesse de répéter apropos et hors
de propos.
A la page 305 111,paragraphe 15, notamment, il affirme que {'Empire
chérifiendevait donner son adhésion <(le 11 novembre 1911, un mois apres
qu'on eut publié lestermes de I'accordentre la France et l'Espagned3 octobre
1904 qu'il connaissoidelà. )(Les italiques sont de nous.)
Et un peu plus loin il revient sur la mêmeidée enconfirmant :

« De cette façon, on peut arrivera la conclusion que l'accord entre la
France et l'Allemagne en 1911 relatif au Maroc partait de la situation
crééeen 1904 eo vertu desaccords internationaux de la France avec la
Grande-Bretagne le 8 avril et avec I'Espagne le 3 octobre, actes
internationaux qui. comme l'accordde 1911et ses lettres annexes, daictir
cotrtrlrspaIL Muroc. >>ohid.)

Nous aurions pu citer dàutres passages ou le Gouvernement espagnol
aflirme sansévidemment l'établirla connaissancepar le Royaume cherifien des
divers traitéspasses entre les Etals européens.
Une telle affirmation méritedonc quelques explications. Il est tout d'abord
curieux de remarquer qu'alors que les divers traités ont réguliereinent été
notifiésa ceux qu'ils intéressent,et mémea ceux qu'ifs n'intéressentque de
façon secondaire, jamais l'Espagne n'a prétendu que l'un de ces trait& ait été
notifiéau Maroc.
11semble que le Maroc constitue, aux yeux du mémoireespagnol, un cas
mineur et qu'ilsuffise que l'Espagneaffirme qu'ilétaitau courant de ces traités
pour que cela entraine toutes les conséquencesd'une notification.
Nous allons voir que I'afîirmation espagnole est pour le moinosée.comme
nous allons établirqu'au momerit de l'acceptation du traité franco-allemandde
1911le Maroc n'étaitau courant d'aucune autre convention antérieure, parmi
les conventions secrèteset encore moins des lettres annexes au traitéde 1911.
En effet,a la conclusion du traité du 8 avril 1904 entre l'Angleterreetla
France, le ministre des affaires étrangèresmarocainM. BenSlimane, adressait
au délégué du gouvernement a Tanger. le15 avril 1904, une correspondance
déjàannexée au dossier sous le numéro 188. et dans laquelle il lui indique

notamment que la presse ayant diffusé certaines informations concernant
l'accord passéentre lesdeux puissances. et le Maroc n'ayant pas éinformé du
contenu de cet accord, il lui demande de le renseigner d'urgence et de le tenir
au courant.
Iest d'ailleursiisignaler que. quel que soit l'effort d'investigation dudélégue
a Tanger, il ne pouvait ëtre renseignésur le contenu des articles secrets du
traité du 8 avril. dont la nature mêmeempêchaittoute diffusion.
Pour ce qui est du traitéde 1904 conclu entre l'Espagne et la France, nous
savons dans quelles circonstances et dans quel but la déclaration publiqaété
notifiéeau Maroc.
Mais noussavons aussi que le traite secret de la mêmedate nà pas éténotifié
précisément a cause de son contenu et nous avons cite dans notre précédent
mémoirel'étrangeéchange de correspondance qui a eu lieu entre M. Delcassé
et lesresponsables espagnols,correspondance dans laquelle étaientprécisément
expliquésles motifs qui justifiaient aux yeux des signataires la non-publication
du traité secretet sa non-diffusion.
Quant au traitéde 1911.il a fait l'objetd'une demande d'explicationadressée
au Gouvernement français par le sultan Moulay Hafid, le jour ménie ou la
presse en a parlé, c'est-à-direuou deux jours apres sa signature.238 SAHARA OCCIDENTAI

Dans la lettre adresséeà la France a cet effeS. M. Moulay Hafid affirme :

<<Le prestige de l'Empire, sa considération et la sauvegarde de ses
coutumes particulières doivent demeurer intacts, comme par le passé.Le
Gouvernement français n'ignore pas que depuis quatre siècles lepouvoir
se trouve entre les mains de la famikleimpérialealaouite, dignitéqui doit
étre conservée.J'espéreégalementque te Gouvernement français prendra
en considération le fait que le Maroc, depuis sa constitution, n'a jamais
obéien tant que colonie a une puissance étrangère,et que depuis treize

siecles il n'a pas cesséde jouir de son indépendance. Pour toutes ces
raisons, 1'Etatchérifienne saura étreassimiléa un territoire colonial. »
(Garcia Figueras, ouvrage cité,t.II,p. 279.)
Le traitéde 1911 n'a éténotifiéau Gouvernement marocain qu'en tant que
traité, les lettres qui lui étaient annexées n'ayant jamaisfait l'objet d'une
notification, comme cela résulte de toutes tes publications de l'époque,qui

elles-mémesn'ont jamais fait de référencea ces lettres annexes.
A ce sujet, nous avons d'ailleurs trouve une correspondance adressée le
20 décembre191 2 par I'ambassadeur d'Espagnea Tanger, au délégué du roi du
Maroc dans cette ville, sans doute relative au contenu de ces lettres annexes.
dont le Gouvernement marocain avait dû avoir connaissance d'une maniere
approximative et par ouï-dire, mais ce n'estla qu'une supposition de notre part.
Dans cette lettre, I'ambassadeur espagnol déclarenotamment :

« nous jugeons nécessairedevous répondrequ'ilne nous est plus possible
d'engager ionguement une discussion avec vous à propos de ce que vous
avez mentionnédans votre lettre précitéedu 27 Dou el Hijja.
En sus de cela, et parce que nous sommes sürs de ce que la teneur de
votre lettre n'influeen rien sur ce que notre Etat se résouta faire et sur ce
qu'il appuie, a savoir un attachement à ses intérêtseta ses droits, et une
lieutenance dans cet Empire chérifien,nous ne voyons aucune utilité à
transmettre votre missive a notre gouvernement. >)(III, annexe 189,
p. 489.)

Le texte et l'esprit de cette lettre dispensent detout commentaire.
En tout étatde cause, il est certain que le Gouvernement espagnol se montre
particulièrement imprudent lorsqu'il affirme et répèteque les traités passés
entre l'Espagne et lesautres puissances européennesétaientconnusdu Maroc.
Revenons donc au mémoireespagnol.
Pour essayer de donner une explication au contenu des lettres annexes au
traitéde 1911, qui le gênentdans son hypothèse de plus en plus inconsistante,
le mémoire espagnol n'hésite pas à émettre tour a tour les prétentions
suivantes :

1) L'accordde 1911n'étantqu'une suite de 1904, toute référenceau Maroc
ne devrait ëtre interprétéequ'en accord avec les termes convenus en 1904.
2) Autre interprétation :
La finalitéde la description des limites géographiques du Maroc, contenue

dans les lettres annexes, ne serait que<<de déterminerune zone géographique
conventionnelle de façon a empëcher l'Allemagne de s'installer entre le
Royaume chérifienet les autres possessions françaises >>(1,p. 306, par. 18).
3) Troisième tentative :
Les groupes allemands ayant des intérêts miniersdans le sud du Maroc,
ayant publié en 1907 une carte qui établit les limites des revendications
allemandes sur le sud du Maroc, <<au cas ou l'on procéderait a un EXPOSE ORAL DE M. BENJELLOUN 239

démembrement de l'Empire », et cette carte indiquant que Ieslimites du Maroc
s'arrêteraientau cap Juby, c'es1de cette limite dont il faudrait tenir compte. (1,
p. 306-307, par. 19.)

On pensera ce que I'onvoudra de ces suppositions qui sont en tout cas moins
claires et beaucoup moins nettes que le texte du traite lui-même.
Mais la dernière tentative d'explication est encore plus surprenante ou
encore la moins sérieuse.si I'on veut émettre un avis sérieux ; a en croire en
effet le mémoire espagnol :

« Si les négociateursde 1911ont employél'expression <<Rio de Oro >t
pour se référerau Sahara occidental, on doit tenir compte qu'iléquivauta
celle-ci, tantal'époquequ'actuellement. » (1,p. 307. par. 19).

Ce qui voudrait dire en termes plus clairs que les négociateurs français et
allemands savaient en 1911que le partage du Maroc, effectue le 27 novembre
1912. a la conclusion du traité franco-espagnol. allait etre ce qu'il a effec-
tivement été et I'ont donc tenu. par avance. pour acquis.
Je pense qu'une telle argumentation ne mérite pas de réplique. Je vais
m'attacher plutôt a rétablirles faits dans leur réalitét donner au texte lesens
que ses rédacteurs y ont mis ;pour cela, revenons aux écritsde Iëpoque.
Le 16 septembre 1911, l'ambassadeur de la République française écrivait a
son ministre des affaires étrangères :

<(Le ministre d'Etat est venu ce matin me montrer un télégrammede
M. Polo de Bernabérendant compte d'une conversation qu'il a eue avec
M. Jules Cambon. Au cours de cet entretien, notre ambassadeur a krlin,
aprés lui avoir manifestéqu'il étaitsatisfait de sa dernière conversation
avec M. de Kiderlen, lui avait incidemment parlé d'un article de la
convention a intervenir entre la France et l'Allemagne, fixant la limite du
Maroc a la frontière du Rio de Oro. M. Garcia Prieto éuitassez préoccupé
de cette déclaration,qui, a son avis, réglait lasituation des territoires dans

cette régiond'une façon différentede celle fixéepar l'arrangement franco-
espagnol de 1904.
Je lui ai fait observer que le dernier paragraphe de l'article 6 de la
convention dont il s'agit s'applique aux rapports de la France et de
l'Espagne etqu'un arrangement entre l'Allemagne et la France peut trés
bien déterminer d'autre façon la situation de ces territoires. Le
Gouvernement royal serait seulement fondéa déclarerque c'estpour lui
rcs il~f~rlios cicla.
Comme je ne voulais pas paraitre connaître le détail du projet
d'arrangement franco-allemand, je me suis borné a ajouter qu'il étaitfort
possible que dans le traite projetéentre lescabinets de Paris et de Berlinun
article fixât la frontière meridionale du Maroc au Rio de Oro, c'est-à-dire
au territoire espagnol...)(111,annexe 164, p.462.)

11est ainsi établique les signataires du traitéde 111savaient pertinemment
ce qu'ils faisaient et qu'en fixant la frontière du Maroc au Rio de Oro ils I'ont
fait sciemment, entendant poser le principe que la Sakiet El Hamra faisait
partie du territoire marocain.
L'intention des parties résulteencore, et de façon aussi claire et aussi nette,

d'une autre correspondance que nous citons ci-après.
Dans une autre lettre du 1 5 novembre 1911, versée au dossier comme
annexe no 165(111.p. 463). le ministre des affaires etrangères français écrivait
a M. Martin. chargé d'affaires de France a Madrid :240 SAHARA OCCIDEhTAL

« Un paragraphe de l'une des lettres annexes aux conventions franco-
allemandes du 4 novembre 19 11 contient des dispositions que les deux
gouvernements signataires ne publieront pas actuellement, mais qu'ils ont
communiquées verbalement a leurs Parlements respectifs a titre
confidentiel.Ce sont :
1) ...
2) ...
3) Etant convenu que le Maroc comprend toute la partie de l'Afrique
du Nord s'étendantentre l'Algérie,l'Afrique occidentale française et la
colonie espagnole du Rio de Oro.
L'Espagne apprécierale soin mis par nous a exclure sa colonie du Rio
de Oro de la régionmarocaine. >)

L'importance de cette lettre est évidemment double. Elle confirme que le
territoire marocain comprend bien la Sakiet.El Harnra. comme elle préciseque
l'Espagnedevait étrereconnaissante a la France et a l'Allemagned'avoir exclu,
de la régionmarocaine, le Rio de Oro, ce qui démontrebien qu'en réalitéle Rio
de Oro lui-mêmen'estexclu que pour des considérationsqui n'ont rien a voir
avec la véritéhistorique.
Et lorsque l'on se souvient qu'il s'agit d'une correspondance émanant du
ministre français des affaires étrangères,unetelle lettre prend toute sa valeur et
revêttoute son importance.
Dans un télégrammeenfin adressé parle consul de France a Fèsau chargé

d'affairesde France a Tanger, le 28 novembre 1911,il est encore précisé :
« Guebbas [délégué du Maroc à Tanger] rend compte au makhzen que
le ministre d'Espagne lui a notifiéqueson gouvernement ne peut donner
son adhésionàl'accord franco-allemand jusqu'a ce[qu'il ait]prisdes gages
représentant les droits de l'Espagne au Maroc, tels qu'ils résultent
d'accords internationaux antérieurs.
Guebbas demandant indications pour répondre acette notification, j'ai
suggéréau makhzen de déclarerque le Sultan ne reconnaît a l'Espagne
que les droits a elle attribues par les traités conclus avec le Maroc et par
l'acted'Algésiras.»(III.annexe 166, p. 464.)

L'importance de cette lettre tient évidemmena ce qu'elleapporte ledémenti
te plus formel a la prétention espagnole selon laquelle, en traitant en 1911,
Français et Allemands savaient ce qui allait se passer en 191H.résulte eneiTet
de cette lettre que la France n'avait pas encore arrêtsa positiona l'égardde
l'Espagne, puisqu'elle suggère au makhzen que le Sultan ne reconnaisse a
I'Espagneque les droits a elle attribuéspar les traitésconclus avec le Maroc et
par l'acted'Algksiras. Nous savons que le Maroc n'étaitpas partie au traitéde
1904, et encore moins au traite de 1900.
La volonté des parties étaitdonc claire au moment de la signature du traite.
Il est vrai que la simple logique aurait suffi pour rejeter l'interprétation
espagnole.
Nous croyonsavoir ainsi établique le traité franco-allemandde 19 11 disait

ce qu'il voulait bien dire, c'est-à-dire que la frontière du Maroc englobait au
moins la Sakiet El Hamra, la France reconnaissant elle-mêmequ'elle avait fait
une faveur a l'Espagne en excluant le Rio de Oro.
Et nous arrivons aux deux traités du protectorat du 30 mars 19 12 et du
27 novembre 1912.
Le 30 mars 1912était conclua Fèsentre la France et le Maroc le traitéqui a
organiséle protectorat français de l'Empire chérifien,et qui a donnélieua un EXPOSE ORAL DE hl. BENJELLOUN 241

soulèvement populaire général, ainsiqu'aux journéessanglantesde Fèsdes 17
et 18 avril,journées au cours desquelles ont trouvé la mort des centaines de
martyrs, a la suite de la violente reaction de l'arméefrançaise. Ceci est rapporté
par Garcia Figueras, dans l'ouvrage cité,tome II, page 28 1.

Aux termes du deuxième paragraphe de l'articlepremier de ce traite :
<<Le Gouvernement de la République se concertera avec le Gouverne-
ment espagnol au sujet des intérêtsque ce gouvernement tient de sa
position géographique et de ses possessions territoriales sur la côte
marocaine. ))

En vertu de ce paragraphe a été concluentre la France et l'Espagne la
convention du 27 novembre 19 12 qui a fixéla situation respective au hlaroc
des deux signataires.
La France a sans aucun doute agi ainsi dans un cadre legal. 11est a
remarquer cependant que les zones d'influence cédéesa l'Espagne par ce traité
sont nettement moins vastes que celles prévues par l'accordde 1904, qui elles-
mêmesétaient nettement moins importantes que celles prévuespar le projet de
traite de1902. Cela parai1normal d'ailleurs,compk tenu du fait qu'après 1902

la France a étéobligéede renoncer a I'Egyptepour pouvoir conclure letraite de
1904 et quV la suite de la conclusion de ce dernier elle a étéobligéede céderle
Gabon al'Allemagnepour pouvoir imposer sa protection au Maroc. C'est ense
basant sur ces concessions qu'elle a obtenu un protectorat plus étendudans le
Royaume chérifien.
La préparationdu traite du 27 novembre 191 2a été longue etles discussions
difficiles. Il n'est cependant peul-être pas sans intérte citer trois documents
dont l'importance parait réelle.
C'estd'abord une note d'octobre 1911,laisséeaprèssa mort par le président
du conseil des ministres espagnol Canalejas qui menait les négociations,et qui
est écritele 12 novembre 1912 avant la conclusion de I'accordentre les deux
pays.
Dans cette note, il est indiqu:

« L'ambassadeur de France m'arendu visite pour m'informer de ce que
la bonne volonté de son gouvernement s'exprime dans son désir que
l'Espagne obtienne, dans la zone nord, des compensations a ses sacrifices.
Pour cela, une condition silie ylrI~UIest que la zone sud reste réservée
a l'influence française, parce que la France doit payer, pour elle et pour
l'Espagne, le prix de sa liberté d'action, a l'Allemagne... C'est la le
maximum que la France pourrait offrir a l'Espagne, lors de la négociation
du futur accord, une fois conclu le traité avec l'Allemagne. » (Garcia
Figueras, ouvrage cité,t. II, p.285.)

C'est ensuite la note du 27 rnars 191 2 préparéeau ministère des affaires
étrangèresfrançais a l'intention du ministre. Dans cette note, il est notamment
précisé :

(Dans le sud, nous étionsdisposésà laisser aux Espagnols Ifniavec
une banlieue d'une dizaine de kilomètreset un territoire compris entre le
prolongement de lafrontière orientale du Rio de Oro jusqu'a la Saguiet el
Harnra, et celte rivièrejusqu'a la mer. ))(III, annexe 170. p. 470.)

II est ainsi reconnu une fois deplus que la Sakiet El Hamra étaitmarocaine
et que l'on voulait en céderune partie a l'Espagne.
Et dans un télégramme du10avril 1912,l'ambassadeur de France a Madrid
précise àson ministre des affaires étrangères :242 SAHARA OCCIDENTAL

Le Gouvernement espagnol déféreraaux demandes françaises en
acceptant que :
1) La ligne de démarcation dans le sud entre les deux zones d'influence
soit l'oued Draa. >)(III.annexe 17.1 . p. 470.)

Il est ainsi confirméqu'il ne s'agit que de zones d'influence et que les deux
territoires se trouvant de part et d'autre de l'oued Draa sont marocains, le
premier, constitué par cequi est devenu la zone du protectorat français, et le
second, constituépar ce que l'on a appelé,depuis, le Sahara occidental.
Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour, je pense pouvoir
tirer, des développements ci-dessus,les conclusions suivantes :

1. Tous les traitésconclus ou demeures en projet, qu'il s'agissede ceux de
1900, de 1902,de 1904, de 1909ou de 1911,ont été des traités secretq sui, par
définition. n'ontjamais éténotifiésau Maroc, auxquels il n'a pas donnéson
agrément, et qui n'ont donc aucune valeur a son égard, ne pouvant lui être
juridiquement opposés.
2. L'ensemblede ces traités,sans aucune exception, reconnaît, d'une façon
ou d'uneautre, lasouverainete marocaine sur le Sahara et ne fixeque des zones
d'influence.
Or, nous avons établi,dansnotre mémoireécrit,que la zone d'influence n'est
qu'un camouflage diplomatique de l'absence d'effectivité dans l'occupation ;et
la sentence arbitrale de Max Huber, dans l'affairede 171edc Pali~ius.affirme :

« La limitation primordiale qu'impose le droit international i 1'Etatest
celle d'exclure, sauf l'existence d'une règle permissive contraire, tout
exercice de sa puissance sur le territoire d'un autre Etat.>)
ta sphère d'influence constitue un exemple particulièrement grave d'inter-
vention directe dans les affaires d'un Etat ;et certains auteurs l'associenmême
la notion d'agression.

En effet, c'estparce que 1'Etatest une organisation terrjtoriale que la viola-
tion de seç frontières est inséparable dl'idéed'agressioncontre I'Etatlui-même.
3. Loin d'établirune souveraineté quelconque de l'Espagne sur le Sahara,
les traitésque nous avons analysésont constitué l'instrument dudépeçagedu
Royaume du Maroc. Nous avons vu en effetqu'ils'esttoujours agi de fixer des
zones d'influencedans le Royaume chérifien etque ces zones ont variésuivant
la puissance respective des Etats intéresséset des appuis dont ils bénéficiaient.
Ilsont cependant abouti a l'établissementd'un protectorat dans le pays et a son
partage en de multiples zones.
4. Il est incontestable que le Maroc n'ajamais souscrit a aucun des fameux
traités secrets et qu'il s'estopposétant qu'il a pu, défendant sa souveraineté
pleine et entière sur la totafite de son territoire jusqu'au moment du protec-
torat.
5. 11est prouvéque le Sahara a toujours étéconsidérécomme faisant partie
du Maroc et que le Rio de Oro n'a étéadmis par la France en tant que colonie
espagnole que par le jeu d'accords étrangers au Maroc et dans un esprit
d'agréable concessionde la part de la France en faveur de l'Espagne, les traités

eux-mèmesconsidérantces territoires comme une simple zone d'influence.
6. Il est incontestable qu'il n'ajamais existéde souveraineté espagnole sur
quelque parcelle que ce soit du territoire du Sahara, contrairement a ce que ne
cesse d'affirmer l'Espagne dans san mémoire.En ce qui concerne mêmele Rio
de Oro, il a toujours étéquestion de protectorat depuis 1884. et en ce qui
concerne la Sakiet El Harnra il a fallu attendre 19 12pour voir ce territoire
inclus dans la zone dite de protectorat espagnol. EXPOSÉ ORAL DE M. BENJELLOUN 243

7. Il est incontestable que le Maroc, Etat souverain, a été traitcomme un
simple territoire préta êtrepartagé,sans considération aucune pour sa réalité
d'Etat souverain en droit d'exiger le respect de sa souveraineté et de son
intégrité territoriale.
8. IIest prouvéque les tractationsqui ont eu lieu durant toute cette période
étaient peut-ëtre inspirées par une conception particulière du droit internatio-
nal de l'époque,maisqui n'arien a voir ni avec la morale internationale ni avec
le respect du droit des gens et qui a été,d'ailleurs, condamné par certains
auteurs que nous n'avons pas manquéde citer dans notre mémoire écrit.
9. 11est prouve que, malgré les affirmations espagnoles, l'Espagne n'a

jamais mis les pieds sur leterritoire sahraouia l'exceptionde ce qu'elle appelle
trle point>>qu'elle prétendait possédersur la presqu'île de Dakhla et qu'ellea
appelé Villa Cisneros, et cela jusqu'au moment de l'établissement du
protectorat.
10. IIest établique lesprétentionsespagnoles sur le Rio de Oro n'ont pris de
la consistance qu'avec le développement de l'action diplomatique et que la
reconnaissance du statut de ce territoire, en tant que colonie.a été dictéepar
des considérations d'opportunitéet non imposée parun exercice effectif d'une
autorité quelconque ou par un traite passe régulièrementet conformément au
droit international en la matière.
II. 11est établi que le Maroc a formulé toutes les réserves nécessaires,
chaque fois qu'il a étédans les conditions de le faire, c'est-à-dire chaque fois
qu'il a eu connaissance d'une atteinte a son intégritéterritoriale ou d'un
éventuelarrangement pouvant toucher sa souveraineté.

Je voudrais. apres cet exposéet avant de passer au dernier paragraphe de
mon intervention, rnkxcuser auprésde la Cour si j'ai use de certains termes.
peut-ëtre parfois sévères, pour répliquer à certains arguments qui le
méritaient ; mais je tiens a affirmer que je l'ai fait avec le désirsincère de
rétablir la vérité. avecla seule volonté de rappeler les faits avec clartéet de
démontrer l'échelonnement desévénementsavec une totale objectivité. En
aucun cas,je n'aivoulu accuser ou émettre des reproches, mon but étantavant
tout d'exposer sans passion les mobiles de notre action et les motifs de nos
prétentionset de nos réclamations.

L'histoirea,en effetété ce qu'ellea étéet, plutot que de lajuger, ce qui nous
importe, c'est qu'elle soircompriseetadmise tellequ'ellea étévécue etnon telle
que certains veulent l'interpréter.
J'en arrive ainsau dernier paragraphe de mon intervention qui est.relatif a
la situation du Sahara apres l'indépendancedu Maroc.
A la page 309 (11,paragraphe 23, de son mémoire,l'Espagne affirme :
<Par lasignature de l'accordde Madrid du 27 novembre 19 12 secl6t la
séried'actes internationaux relatifsa la délimitationde la frontiere nord

du Sahara occidental. >>
Et quelques lignes plus loin le mémoire ajoute : « l'acte international du
27 novembre 19 12 venait de fermer le cycle ouvert en 1904 ..>)
IIest ainsi reconnu que, comme nous l'avons ioujours affirmé. koüs les
traités relatifsau Maroc et qui ont précédéleprotectorat, ne constituerit que les
phases évolutives du processus qui a eu pour conséquence finale tesdeux
traitésde 19 12,ayant réaliséle partage du Maroc et consommé son dépeçage

en diverses zones d'influence.
C'est la une conclusion dont nous dégagerons l'importancedans quelques
instants et dont nous ne manquerons pas de tirer toutes les conséquences.244 SAHARA OCCIDENTAL

Le Maroc a. en effet. retrouvé sa pleine souveraineté a la suite des deux
déclarations communes franco-marocaine du 2 mars 1956 et hispano-
marocaine du 7 avril 1956.La déclarationhispano-marocaine du 7 avril 1956.
similaire d'ailleuasl'autre, affirm:
« le gouvernement espagnol et sa majesté Mohammed V, sultan du

Maroc, considérant que le régime instauré au Maroc en 1912 ne
correspond pas a la réalitéprésente, déclarentque la convention signéeà
Madrid le 27 novembre 1912 ne peut plus régir à l'avenir les relations
hispano-marocaines » (1,p. 3 10,par. 26).

Dans le paragraphe suivant, fe Gouvernement espagnol :
<(reconnait l'indépendance duMaroc proclaméepar S. M. Mohamed V et
sa pleine souverainetéavec tous les attributs de cette derniére,y compris
le droit du Maroc a une diplomatie eta une propre armée. Il réafirme sa
volontéde respecter l'unitéterritoriale de l'Empire que garantissent les
traitésinternationaux. IIs'engageà prendre toutes les mesures nécessaires
pour la rendre effective>(Ibid.)

En d'autres termes, comme le reconnait le mémoire espagnol lui-mêmee ,n
souscrivant a l'indépendance retrouvée duRoyaume du Maroc. l'Espagne
s'engage à respecter de nouveau l'intégritéterritoriale de l'Empire et a
transferer aux autorités marocaines les pouvoirs qui avaient été exercés par
elle, ainsi que les territoires sur lesquels elle les exerçait.
A la lecture de ces textes, il parait indiscutable que le Maroc pouvait
demander leur application immédiate,tan1en ce qui concerne leszones sous le

protectorat espagnol que celles dépendant de la France.
Le transfert de pouvoirsa eu lieu effectivement en zone nord en juin1956,
mais, en ce qui concerne la zone sud. détenue par l'Espagne en vertu du traite
du 27 novembre 1912, ce traité qu'elle reconnaît elle-même comme «ne
pouvant plus regir a L'avenirles relations hispano-marocaines ». le Maroc
attend encore la récupérationde sa majeure partie.
N'hésitantdevant aucun moyen, quelle qu'en soitla faiblesse, le mémoire
espagnol affirme que le transfert de pouvoirs dansla zone sud du protectorat
n'a pas eu lieu immédiatement parceque :
« Lesmêmesdifficultésprésentesde façon permanente dans les régions
méridionales du Royaume du Maroc pendant une longue période
historique, c'est-à-dire lemanque déxercice d'une autoritéeffective de la
part des autorités marocaines, empêchèrenltes autorités espagnoles de

pouvoir procéder immédiatementau transfert prevu. >(1.p.3 11,par. 28.)
En d'autres termes. le mémoire espagnol a l'air de prétendre que l'Espagne
n'apas remis immédiatementau hlaroc lesterritoires du sudqui étaientsous ce
qu'elle appelait son protectorat depuis plus de quarante ans, qu'elle avait

administrés, dumoins sur papier. depuis plus de quarante ans. sur lesquels elle
avait en principe exercéson autorité pendant plus de quarante ans. qu'elleavait
en principe pacifiésdurant ces quarante ans ei dont la situation économique.
politique et sociale avait subi l'évolutionqui leua étédonnée pendant ces
quarante ans, l'Espagne, dit-elle, n'a pas remis immédiatement ces territoires
au Maroc parce que. à ce moment, le Maroc n'exerçait pas une autorité
effective sur ces territoires !
Je pense que de telles méthodesdans le raisonnement n'apportent rien de
positif dans la recherche de la vérité, risquentde créerinutilement un climat de EXPOSE ORAL DE hl. BENJELLOUN 245

tension préjudiciableaux débatset, en tout étatde cause, dénaturent les faits
sans aucun avantage ni pour les uns ni pour les autres.
A la vérité,et ceci l'Espagne riepeut évidemmentpas le dire, si les territoires
du sud n'ont pas étéimmédiatement,en tout ou en partie, restituésail Maroc,
c'estparce que 1Espagne répugnait a se dessaisir dequelque parcelle que cesoit
des territoires qu'elleavait pris l'habitude d'administrer, comme elle continue a
le faire d'ailleursjusqu'a ce jour, pour la plus large partie de ces territoires.
En effet, des la proclamation de l'indépendance, le Maroc a réclamé
immédiatement la restitution des régionsqui étaientencore entre les mains de
l'Espagneet, devant la longueur despourparlers relatifs àcette restitution etles
dificultésqu'ilrencontrait de la part deson interlocuteur, le Maroc s'estdécidé,
le 26 octobre 1957,a adresser au ministère desaffaires étrangères a Madrid la
lettre suivante:

<(Excellence. ,
Comme suite aux différentesconversations que j'ai eu le plaisir d'avoir
avec vous. tout spécialemelitcelle du 9 de ce mois, concernant le transfert

de pouvoirs de la zone méridionale du Maroc au Gouvernement
marocain, j'ai l'honneur de vous prier de bien vouloir me confirmer par
écritla position du Gouvernement espagnol par rapport a ce traiisfert. Je
me permets d'insister auprès de Votre Excellence comme je l'ai fait a
plusieurs occasions. spécialement a la dernière audience que Votre
Excellence m'a accordée,sur le désir deS. M. le Roi et de son gouver-
nement de voir ce transfert réalisédans le plus bref délai possible.
La réalisationdudit transfert contribueraa resserrer les liens d'amitiéet
de compréhension mutuelle existant heureusement entre nos deux
peuples. )>(II. appendice 50 a l'annexe 21. p. 243.)

A cette lettre, l'Espagne répondait le 5 novembre 1957 par la correspon-
dance ci-après, rapportéedans le mémoire espagnol a l'appendice 51 a I'an-
nexe 21 (II, p.243-2441, et que je demanderais a la.Cour l'autorisation de citer
en entier vu son importance :
<<Le ministère des affaires étrangères présente ses hommages a
l'ambassade du Royaume: du Maroc et a l'honneur de porter a sa
connaissance que le Gouvernement espagnol, fidèle au contenu de la
déclarationcommune hispano-marocaine du 7avril 1956,dans laquelle il

exprimait a nouveau sa volonté de respecter l'unitédu Maroc garantie par
les traitésinternationaux, et ou l'on prévoyaitque les mesures nécessaires
seraient prises dans ledit but, est prèt a étudierles modalitésqui devront
être adoptées de commun accord, suivant la susdite déclaration
commune, afin de pourvoir au développementde celle-cien relarion avec
la note de l'ambassade du Maroc 57-2 f-300 du 26 octobredernierqui fait
référenceau territoire mentionne dans le dernier paragraphe de l'article2
du traitéde Madrid du 27 novembre 1912.
. Lesdites modalitésdoivent porter, d'aprèsle Gouvernement espagnol,
sur les points suivants :

1. La reconnaissance publique et formelle, de la part du Gouverne-
ment marocain, des limites du Maroc établiespar les traités,en relation
avec les territoires limitrophes se trouvant sous la souverainetéespagnole.
2. Un contrôle effectifde la part des forces royales marocainesde leurs
territoires méridionaux, spécialement des régionsdu Sous et du Draa,
dans le but d'éviter l'existence et l'actionde bandes armées dans le
voisinage des territoires espagnols et,donc, leurs incursions dans ceux-ci,246 SAHARA OCCIDENTAL

mêmesi ces bandes prennent des noms qui donnent lieu à des confusions
et peuvent compromettre le Gouvernement marocain, tels que « Armée
de libération))ou d'autres noms similaires.
3. La négociation, dans un esprit de collaboration et de garantie de
i'ordre, intéressant si sérieusement les deux pays, du statut et des
modalitésselon lesquelles des unitésde l'arméeespagnole pourront rester
sur le susdit territoire. en accord avec ce qui a été prévua la dernière
partie de l'article2 de la déclaration conjointe hispano-marocaine du
7 avril 1956 et3 de son protocole additionnel.
4. La reconnaissance en faveur de l'Espagne, en considération de

l'Œuvre qu'elle a réalisée,et sous une forme a convenir, de prjvileges
spéciaux, ainsi que la concession d'un droit préférentielen relation a
d'autres pays, en ce qui concerne le développement économique et
l'exploitation encommun dudit territoire.
D'autre part, le Gouvernement espagnol désireinformer le Gouverne-
ment marocain, dans un esprit de loyauté, que malgréla bonne volonté
montréepar les autoritésespagnoles sur les territoires de sa souveraineté
en ce qui concerne l'activité de cesbandes qui s'y introduisent clan-
destinement en troublant lapaix et la sécuritede ses habitantsils'est vu
obligé aprendre des mesures énergiquessur ces territoires et il les prendra
encore s'il est nécessaire, afin d'évitelreurs incursions et leurs activités
illégitimes.»

Cette lettre mérite évidemmentun examen attentif et permet de dégagerde
multiples conclusions.
Toutd'abord, elle soumet la restitution du Saharaades conditions qu'elle n'a
même pas pensea poser au moment de Larétrocessionde la zone nord, pas plus
que la France d'ailleurs. au moment de son retrait du reste du territoire
marocain.
Mais, ce qui est plus important, ce sont le caractère et la portée de ces

conditions.
Examinons-tes de plus prés :
1. La première condition est relative ala reconnaissance par le Maroc des
limites de ce que ['Espagneappelle ses territoires de souveraineté.
L'importance d'une tellequestion ne saurait faire de doute, car elle constitue
la preuve de l'aveu formel et public fait par le Gouvernement espagnol, de ce
que le Maroc n'ajamais reconnu ni lestraités invoquesni leslimites qu'il fixe.
Mais ilétaitexclu que le Maroc défère aune telle demande, car reconnaître
les limites, c'est reconnaître l'existence de ces prétendus territoires de
souveraineté,alors que le Maroc en a toujours précisément contesté l'existence,
soutenant en permanence qu'il s'agit deterritoires relevant de sa propre
souveraineté.

2. La seconde condition est relativeal'établissementde l'ordre dans la zone
limitrophe. Le Maroc aurait pu souscrire a cette condition, et facilement la
remplir d'ailleurs, si elle avait étéla seule et si l'Espagne avait exécuté
fidèlement les termes de l'accord du 7 avril 1956. Dans ce cas d'ailleurs,
l'Espagne aurait rendu au Maroc l'ensemble du Sahara et le problème ne se
serait mêmepas posé.
3. La troisième condition concerne le maintien sur le territoire d'unitésde
l'arméeespagnole. II est manifeste que le Maroc ne pouvait accepter une telle
exigence, contraire a la notion mêmede souverainetéet d'indépendance.
4. La quatrièmecondition enfin, de loin la plus grave et la plus inadmissible, EXPOSE ORAL DE M. BENJELLOUN 247

n'exige rien de moins que la reconnaissance, en faveur de l'Espagne, <en

considération de l'Œuvre qu'elle a réalisée >>,dit la lettre, deyrivilkges
spéciaux, termes vagues a souhait et qui peuvent autoriser, par la suite.
n'importe quelle exigence.
Comme on s'en rend compte facilement, lesconditions exigéespar l'Espagne
pour se retirer seulement d'une partie du territoire marocain sont telles qu'elles
constituent en fait les bases d'un protectorat d'un autre genre.
Ces conditions, le mémoire espagnolles appelle modalités d'exécution»du
traitémettant fin au protectorat.
En effet, le mémoireaffirme textuellementa la page31 1(11,paragraphe 30 :

<<La note verbale espagnole na 104 datée du 5 novembre 1957
(appendice 51 a l'annexe 21 [II, p. 243-2441), qui répond a la note
[marocaine], contient la réaffirmation de la part du Gouvernement
espagnol de « sa volonté de respecter l'unitédu Maroc garantie par les
traités internationaux>>et par conséquent sa disposition a étudier les
modalitésqui, suivant la déclarationcommune du 7 avril 1956, adoivent
étre adoptéespour accomplir ce qui serapporte au territoire indiquédans
le dernier paragraphe de l'articII du traitéde Madrid du 27 novembre
1912. »

Et le mémoire ajoute :<<c'est-à-dire leterritoire compris entre le Draa et le
paralléle27O40' M.
A en croire donc le mémoire espagnol, les conditions draconiennes et
absolument inacceptables et inaclmissiblesde la lettreespagnole 5unovembre
1957ne constitueraient que des modalités d'application.

Nous nous permettons de laisser à la Cour le soin de juger d'une telle
appréciation.
Quoi qu'il en soit, dès le 11 novembre 1957, le ministere des affaires
étrangèresmarocain adressait a son homologue espagnol, en réponse a sa
correspondance du 5 novembre, la lettre suivante:

« Le ministère des affaires étrangères présente ses compliments au
ministere espagnol des affaires étrangèreset a l'honneur de porter a sa
connaissance que le Gouvernement de S. M. le roi du Maroc a pris
connaissance de la note du Gouvernement espagnol no 104 datée a
Madrid le 5 novembre 1957.
Il exprime son étonnement devant les conditions par lesquelles le
Gouvernement espagnol entend assortir le transfert des poiivoirs à
l'autoritémarocaine &fis une partir du lerrilaire marocain qui étaitsous
protectorat espagnol.
Le Gouvernement de Sa Majesté estime que ceque la note précitkedu

Gouvernement espagnol appelle <<des modalités,>>constitue en fait des
conditions exorbitantes qui sont sans rapport avec le territoire marocain
qui étaitsous protectorat espagnol et que le Gouvernement espagnol s'est
engagéa transférer au Gouvernement de Sa Majesté.
LeGouvernement de Sa Majesté nesaurait accepter de tellesconditions
qui sont contrairesaI'espritet à la lettre de la déclaratio7avril 1956
et des déclarations qui l'ont accompagnée. Cette déclaration stipuleen
effet que les parties considèrent que <(le régime établi en 1912 ne
correspond plus a la réaliactuelle »et déclarentque la convention signée
a Madrid le 27 novembre 1912 <(ne [peut]plus régirles relations hispano-
marocaines ».
II est persuadé que dans l'esprit particulièrement amical qui doit248 SAHARA OCCIDENTAL

présideraux relations entre les deux pays comme dans un esprit d'équité
et de justice, le Gouvernement espagnol ne persistera pas dans cette
position et se fera un devoir de fixer au Gouvernement marocain, et dans
des meilleurs délais, une date pour le transfert des pouvoirs dans cette
régiondu pays et respecter ses engagements vis-à-visdu Maroc qui reste
animéde la volonte de développer avecl'Espagne des relations d'amitiéet
de cooperation fructueuse. H(II,appendice 52a l'annexe2 1,p. 244-245.)

Le paragraphe 2 de cette lettre fait une réserveclaire et nette sur le fait que
l'Espagne ne propose de restituer au Maroc qu'une partie du territoire

marocain qui étaitsous protectorat espagnol.
La position du Maroc a donc été,dés l'abord,des le départ,précise etsans
équivoqueet ne permet donc ni discussion, ni interprétation etencore moins la
contesiation que le mémoire espagnoln'a manqué aucune occasion d'émettre.
Et, contrairement une fois de plus a ce qu'affirme ce mémoire, le
Gouvernement marocain ne s'est pas contenté de rejeter les prétentions
espagnoles quant aux conditions mises à l'exécutionde la déclaration du7avril
1956. Il rappelle aussi les termes mêmesde la déclarationqui stipulent que les
parties considérentle régimede 19 12comme ne correspondant pas iila réalité
actuelle et déclareque la convention signéea Madrid le 27 novembre ne peut
plus régirles relations hispano-marocaines.
Il est donc ainsi établique si le Maroc n'a pas procédéimmédiatementà la
rkupérationde ses territoires encoresous la domination espagnole,ce néstpas

pour le motif peu sérieuxque l'Espagne a indiquéquant au peu d'autoritéque
le Marocavait a ce moment-la sur ces territoires. mais c'est parceque l'Espagne
avait mis une mauvaise volonté à exécuter ce a quoi elle s'étaitpourtant
engagée.d'une part en ne pioposant de restituer qu'une partie des territoires et
d'autre part en assortissant cette restitution de conditions inacceptables et
inadmissibles.
Malgrécette attitude, le Maroc a cependant persistédans ses démarches.
Mais devant le peu d'empressement espagnol, feu S. M. le roi Mohammed V, à
l'occasion d'une visite qu'ila effectuéeau village de M'Hamid, a prononce, le
25 février 1958. un discours dont l'importance historique ne saurait étre
contestéeet dans lequel il a notamment déclare :

<(Et ce qui fait notre joie c'estd'être reçu au vilee M'Hamed qui est
la porte du Sahara marocain. par lesfils de ceux qiri0111repunotre aïeul
dans lin autre village, des Regueibat, des Tekna, dm O~lledDelinzet
d'autres tribus Chetrguit, et de les entendre. accompagnes de leurs
hommes de loi et de leurs lettrés.t~ousréaflrnier - cunrt~iele~irspères
l'ontfait u notre aïeirl - leur clttuchetne~itau trOtiealaorritr et leur
appnrretzattceau Maroc par des liens efroits el qiri ne perivetit ètre

tranchés.Nous saluons leurs âmes généreuseset la ferme détermination
qui les anime et nous leur souhaitons la bienvenue dans leur patrie et
parmi les leurs. comme nousle~rrsréaflrntotzs.a norretour - et que Ies
presetlts eil inforniet11les absent- que ~zouscoirliiiuerotrsà lrirvrer01
fout ce qui es(notre poirvoirpour recouvrer notre Sahara el toiil ce qui,
par le rénioigtragede l'histoire,et par la volonté des habitants. revient de
droit a notre Royaume. >)(Reilaissatrced'ui~enatiotz,Imprimerie royale.
Raba;, 1957-1 958. t. 3. p. 1377-1378:III.exposéécritdu Gouvernement
marocain. p. 169.)

Le discours royal était a la fois une mise en garde et un appel a plus de
courtoisie et de bonne volonté. EXPOS ERAL DE M. BENJELLOUN 249

Deux mois plus tard, en avril 1958, la zone de Tarfaya étaitrestituéepar
l'Espagne au Maroc, mais il était évident qu'untel transfert ne pouvait mettre
un terme aux revendications marocaines.
La question qui se posait et qu'il fallait trancher résidait en effetdans
l'interprétation qui devait etre donnée a la déclaration du 7 avril 1956 qui
stipule clairement que « les parties considèrent que le régimeétabli en1912 ne
correspond plus a la réalitéactuelle».
A en croire la these espagnole, le rappel de la convention du 27 novembre
1912 signifierait que le Maroc n'aurait le droit de réclamerque les frontières
qui résulteraientpour lui des divers traitésconclus entre la France et l'Espagne
et notamment du traite de 1904 dont l'article6 affirme que leSahara occidental

ne faisait pas partie du Maroc.
Une telle prétention ne peut cependant résistera l'examen.
Nous avons établique les traites conclus entre la France et l'Espagne et
auxquels le Maroc n'a ni participé ni donné son accord ne peuvent lui être
opposables ;il n'a nullement éténécessaire en effet d'attendre l'article34 de la
convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités pour décider endroit
international généralqu'un accord bilatéral ne saurait engager un Etat tiers
sans son consentement, surtout qu'en l'espèce l'objetdu traité portait sur le
partage d'un territoire n'appartenant ni à l'une ni a l'autre des parties. Et la
déclaration sur l'octroi de l'indépendanceaux pays et peuples coloniaux du
14 décembre 1960 considèredans son article 6 que :

« Toute tentative, visanta détruirepartiellement ou en totalitél'unité
nationale et l'intégrité territorialed'un pays, est incompatible avec les buts
et les principes de la Charte des Nations Unies.))(Rés.1514(XV).)

Nous avons aussi établiqu'alors que lesnégociateurs signaientletraité secret
du 3 octobre 1904, ils diffusaient en mêmetemps une déclarationaflirmant le
contraire du contenu du traitéet qu'ilssavaient pertinemment que l'article6 du
traitén'avait aucun rapport avec la réalitédes faits comme cela résultede tous
les documents que nous avons produits et notamment de la correspondance
adresséele 15 novembre 1911 par le ministre des affaires étrangères français
au chargéd'affairesde France a Madrid et dans laquelle il lui dit, en parlant du
traité franco-allemand de 1911 :<(L'Espagneapprécierale soin mis par nous a
exclure sa colonie de Rio de Orcide la régionmarocaine. »
Nous avons vu que la France étaittellement convaincue de l'appartenance
du Sahara au Maroc qu'en 19 11elle admettait officiellement l'appartenance au

Maroc de la Sakiet El Hamra, dans le traitéqu'ellea conclu avec l'Allemagne,
et qu'elle lui reconnaissait en méme temps I'appartenance de l'ensemble du
Sahara dans la mêmelettre lorsque son ministre des affaires étrangères déclare
estimer que l'Espagne devrait apprécier le fait que Rio de Oro a étélaissé en
dehors des territoires marocains.
Nous avons vu l'Espagne, dans sa lettre ci-dessus rapportée, demander, en
1957, au Maroc de reconnaître le traitéde 1904, ce qui prouve, s'il en était
besoin, qu'il ne l'avait pasencore reconnu.
Le traitéde 1904, inopposable au Maroc, renfermait donc des dispositions
absolument contraires àla réalitédes faits et ne peut en aucun cas être invoque
en la présente instance.
Pour essayer de trouver une échappatoire, le mémoire espagnol rappelle
l'accord diplomatique franco-marocain signéa Paris le 28 mai 1956 et aux
termes duquel :

« Le Maroc assume les obligations résultant des traitésinternationaux250 SAHARA OCCIDENTAL

passes avec la France au nom du Maroc, ainsi que celles des actes
internationaux relatifs au Maroc qui n'ont pas donné lieu à des
observations de sa part. » (1,p. 310, par. 27.) .

L'Espagne ne tire cependant aucune coiiclusion de ce texte.
Signalons pour notre part, et pour la moralité des débats, que des la
récupérationde sa souveraineté le Maroc, par lettres des 29 mai, 30 août et
14septembre 1956,s'était informé auprésdu Secrétairegénéral des NationU s nies
sur ce qu'il devait fairà l'égarddes traités conclusen son nom ou a son sujet.
Le 25 octobre 1956 il a reçu une réponse a la suite de laquelle, par une
déclarationen date du 4 novembre 1956, reçue a l'organisation des Nations
Unies le 5 novembre 1956, il a reconnu qu'ilétaitliépar un certain nombre de
conventions dont il a donne la liste.Cette listelimitative ne comprenait que des

conventions internationales multilatérales,promulguées au Maroc pendant la
période du protectorat, par un acte Iégislatifmarocain, a l'exclusion de tous
autres.
Ainsi donc, le Maroc a rempli normalement son devoir a l'égard de
l'organisation des Nations Unies. L'Espagne ne peut donc prétendre qu'il
aurait pu par un silence ou une abstention quelconque souscrire aux
dispositions du traitéde 1904.
L'Espagneétaitd'ailleurs elle-mêmetellementpeu convaincue du bien-fondé
de son interprétation de l'accord du 7 avril 1956 que le 4 janvier 1969elle a
signe avec le Maroc un traite aux termes duquel elle lui restitua le territoire
d'Ifni, reconnaissant ainsi qu'en transférant Tarfaya aux autorités marocaines
elle n'avait pas totalement exécutéles dispositions de l'accord de 1956.
Au demeurant, un examen rapide de la législationadoptéepar l'Espagne

durant la périodedu protectorat, en zone sud du Maroc, permet de se rendre
compte qu'à l'évidencel'Espagne a toujours considéréle Sahara occidental
comme une partie intégrante du Maroc.
Qu'on en juge :
- Nous avons déjà citédans notre mémoire écrit un certain nombre de
textes qui légiféraientaussi bien pour la régionde Tarfaya que pour celle de
Sakiet El Hamra et qui émanaient du khalifa, représentant du roi du Maroc a
Tétouan,c'est-à-diredans la zone du protectorat espagnol.
- Nous avons mêmecitédes textes où le roi du Maroc a Iégiférléui-même

pour les zones de Sakiet El Hamra et de Rio de Oro.
Nous allons citer, sans les expliquer, des textes établissantque la Sakiet El
Harnra étaitaussi zone sud du protectorat.
Ce sont tous des textes espagnols :

- le décret royal du 2avril 1901 ;
- le décret royal du 18juillet 1913 ;
- le décret royaldu 8 août 1926 ;
- le décret royal du 24 juillet 1931 ;
- le décret royal du 18 avril 1932 ;
- le décretdu 6 fevrier 1934 ;
- la loi du 12avril 1940 ;
- la loi du 26 septembre 1941 ;
- l'ordre ministérieldu 16 décembre 1940 ;

- l'ordre ministérieldu 8janvier 1941 ;
- et le dahir du 12 février 1941.
A propos des trois derniers textes, Cordero Torres écritdans son livre de EXPOSEORAL DE M. BENJELLOUN 251

droit colonial, page 360:<<Le rnakhzen, de son cote, par le dshir du 12février
1941,a étenduàla zone sud du protectorat la force obligatoire des dispositions
espagnoles. »
Tous ces textes reconnaissent la marocanitéde la Sakiet El Hamra, comme
ceux que nous avons citésdans notre mémoire écrit reconnaissentI'appar-
tenance au Maroc de l'ensemble du Sahara.
Au moment de la déclaration de l'indépendance du Maroc,l'Espagne. qui
connaissait la situation juridique des divers territoires, et ne pouvait ignorer sa
propre législation,a donc reconnu de bonne foi que le traité du 27 novembre
1912 n'étaitplus valable et y a donc renoncé, ainsiqu'a tous les textes qui lui
sont antérieurs et qui n'ont constitué que des étapesdans la marche vers le
protectorat, comme nous l'avons établiplus haut, au commencement de ce
paragraphe, lorsque nous avons indiquéque nous allions tirer plus tard les
conséquencesde la constatation que nous avons faite.

11a fallu les développements ultérieurs,et les discussions devant I'ONU,
pour que l'optique espagnole change et pour que des semblants d'assiseou de
prétextes juridiques soient trouvés à la volte-face espagnole que nous
constatons aujourd'hui.
Mais la Cour ne suivra pas, nous en sommesconvaincus, l'Espagnedans ses
changements d'humeurs ou d'optique.
Ne terminons pas cette intervention sans citer l'un des plus éminentsjuristes
espagnols, le plus au courant des questions sahariennes, M. Cordero Torres,
l'avocat major de 1'Etat espagnol et le président de la section des études
internationalesa l'Institut detudes politiquea Madrid, qui déclaredans son
livreSafrara espagnol, pages 109 et 117 :

<<Le Sahara est un espace dépourvu de presque tous les éléments
naturels nécessairesa Iéxistenced'un territoire en tant que base naturelle
suffisante pour abriter et soutenir une organisation collective, dotee de
capacités d'impulsionsautarciques, ou, si l'on préfère,un Etat qui soit
membre a titre individuel de l'ensemble mondial ...Une sociétéainsi
conçue peut servir a n'importe quoi, sauf comme base spontanée d'un
Etat moderne, construit sur le modèle démocratique que I'ONU
préconise.)>
Le Sahara occidental, comme le prouvent mêmeles textes invoqués par

l'Espagne, a, de tous temps, obéià la souverainetémarocaine.
En tout étatde cause, les liensjuridiques entre leSahara et le reste du Maroc
sont ainsi largement établiset justifieront la décisionque la Cour, dans sa
sagesse, rendra et qui dira qu'au moment de la colonisation du Sahara
occidental il existait des liensjuridiques de souverajnetéentre cette régionet le
reste du Maroc. ONZIÈME AUDIENCEPUBLIQUE (2 VI1 75,IO h 5)

Prtiserit[Voir audience du 25 VI 75.1

EXPOS E RAL DE M. ISOART

REPRÉSENTANT DU GOUVERNEMEW MAROCAIN

hl. ISOART :Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour, au
moment ou j'aborde la barre de LaCour internationale de Justice, je ne peux
oublier que j'ai, pour la deuxième fois, le grand honneur de participer aux
travaux de la haute juridiction internationale.Au debut de ma carrière
d'enseignant, j'ai en effetassistéle conseil du Gouvernement du Cameroun,

M. le professeur Weil, qui étaitl'un de mes maîtres de l'Université française,
lors de l'affaire du Carrrerollrls~pirti~riotral.J'étais,de ce fait, membre de la
délégationde la Républiquedu Cameroun. J'avais gardéde ce premier contact
avec la Cour, ily a donc déjàplusieursannées, un souvenir impressionnant. Je
retrouve intactes mes impressions d'alors, au moment oii m'échoit le
redoutable honneur de parler au nom du Gouvernement du Royaume du
Maroc.
Le Gouvernement marocain lient a apporter des informations et des
documents qui établissentl'existence,au moment de la colonisation espagnole,
de liens juridiques entre le Sahara occidental et le Maroc. Toutefois, avant
mêmede développerles arguments juridiques et historiques qui permettront a
la Cour de répondre aux questions qui lui ont étéposées par l'Assemblée
générale desNations Unies, nous tenons àcontester la démarcheintellectuelle
adoptée par les rédacteurs du livre 1(1, 225-324) de l'ensemble d'ouvrages
intituléInformniionseldocuments présentespar le Gouvernement espagnol.
Ainsi que lesjuges de la Cour ont pu s'enapercevoir, l'affirmation centrale
de ce livre 1ne consiste pas a nier l'existencede liensjuridiques entre le Maroc
et le Sahara occidental, mais a mettre en cause la consistance territoriale
actuelle du Royaume du Maroc.
Le Gouvernement espagnol veut en effet établirle caractère non marocain
des provinces situéeau sud de L'Atlas,du Sous au neuve Draa, au moment de
la colonisation. 11cherche donccifaire dira la Cour qu'au « moment de la
colonisation espagnoleD, le territoire marocain s'arrêtaatla chaine mon-

tagneuse de l'Atlas.
Cette affirmation est exposéea la pa247(11 ,aragraphe 31, de la manière
suivante :« entre le Sous et le Draa, ce seront les pouvoirs locaux autonomes
existantsqui contrôleront le trafic commercial qui contribal'indépendance
de cette régionvis-à-vis du pouvoir marocaiH.
L'affirmation estreprise a la pa283,paragraphe 25, <les pouvoirs locaux
existantentre leSouset le Draa constituentun témoignagequi révèleque le
sultan du Maroc n'exerçait pas dans la région une souveraineté effective,
continue et pacifique».
Le Gouvernement espagnol, étant dans I'irnpossibilitéde prouver I'inexis-
tence de liens juridiques entre le Maroc et le Sahara occidental, tente donc EXPOSE ORAL DE M. ISOART 253

d'accréditer lathèse de l'absence de continuité territoriale entre l'Empire
chérifienet le Sahara occidental.
Ainsi donc, le Gouvernement espagnol, entrainé par sa logique, se voit
amené mettre en question 121légitimitéde la souveraineté du Maroc non
seulement sur le Sahara occidental, qui est l'objetde la demande d'avisadressé
a la Cour, mais encore sur les régions duDraa, du Noun et du Sous.
Une question se pose alors : que faut-il penser d'une telle assertion? La
réponse nous est apportée par le livre I lui-même,car les rédacteurs de cet
ouvrage n'ont visiblement jamais cru àla thèse qu'ilsavancent.
Après avoir consacré presque exclusivement quatre des sept chapitres a
mettre en cause l'appartenance au Maroc des régions situéesau sud de l'Atlas,
brutalement bien que partiellement, le livre I rétablit une part dela vérité
historique a la page 302 (I), paragraphe II :«Comme le Gouvernement
espagnol l'a mis en reliefdans cet écrit,on peut considérerque les frontières
historiques du Maroc, au sud, avaient comme limite l'oued Draa. »

Que signifie donc cette contradiction fondamentale ? Ou s'arrêtele Maroc ?
Est-ce a I'Atlas,est-ce a I'ouedDraa ?
En réalité, lGouvernement espagnol défenddeux thèsessuccessives.
La première tend a faire croire qu'au moment de la colonisation espagnole la
souverainetémarocaine s'arrêtait a I'Atlas.Maiscomme une telleprétentionest
difficila démontrer, le livre 1offre aux juges de la Cour une alternatavdeux
branches.
La première a le méritede la clarté.Elle affirme que la région sitentre le
Sous et le Draa est indépendanteet est donc extérieureau Maroc.
Mais pour les rédacteurs du livre 1cette affirmation mêmeest fabuleuse.
Aussi offrent-ils une deuxième éventualité,toujpurs dans la, première
perspective. La régioncomprise entre le Sous et le Draa é&happe a i'autor'itk
du Sultan et, jouant sur les mots. le document présentéa la Cour cultive
l'ambiguïtéen laissant supposer que par autorité il faut entendre souverai-
neté.
Une telle confusion entre la notion de souveraineté étatique et celle
d'autorité gouvernementale n'est pas acceptable au plan juridique.
Craignant alors que cette thésea deux faces ne soit rejetée,le livre I expose
un deuxièmethème, parfaitement en contradiction avec le premier, et que Ibn

peut énoncer de la manière suivante :s'il est admis que la régioncomprise
entre le Sous et le Draa est une région marocaine, au moins qu'il soit dit et
décidéque la frontiéredu Maroc s'arrêtea ce fleuve du Sud marocain.
C'esta la présentation de ces deux thèses,avec les deux sous-thèses de la
première, qu'avec l'autorisation de la Cour, le conseil du Gouvernement
marocain voudrait maintenant accorder une certaine attention.
Dans un premier mouvement, le Gouvernement espagnol veut donc faire
dire i la Cour que la frontière du Maroc, au moment de la colonisation
espagnole, s'arrétea I'Atlaset plus exactement a la chaine du Haut Atlas et
donc qu'a partir du versant sud de cette chaîne montagneuse commence une
zone de transition, qui sépare l'Empire chérifiendu Sahara occidental.
Pour obtenir ce résultat,le livre 1avance donc deux explications, qui nous
paraissent aussi erronéeset aussi infondéesl'une que l'autre.
La première expiication, nous l'avons dit, a le mérite de l'outrance. On
affirme que les régionssituees entre le Sous et le Draa sont indépendantesdu
sultan du Maroc. Et pour cela le livre 1 s'appuie sur des démonstrations
géographiques.
Après les interventions de M. le procureur généralauprès de la Cour
suprêmedu Royaume du Maroc, nouspensons que ledébat estclos. I)'ailleurs,254 SAHARA OCCIDENTAL

assez peu assurésdu bien-fondéde cette thèsebrutale, les rédacteursdu livre I
offrent une deuxième explication.
Celle-ciest beaucoup plus subtile, car elle consiste en réalitéa jouala fois
sur la confusion des termes et la confusion des notions juridiques. Elle est
contenue dans le paragraphe 5 de la page236 (1):

O Leterritoire d'Afrique sur lequel l'Espagne va établirsa souveraineté,
a partirdu cap d'Aguer au cap Blanc, n'ajamais étésoumis a l'autoritédu
sultan du Maroc. La cordillère de l'Atlas a toujours étéla frontiere
naturelle du Maroc ; sporadiquement, le Maroc étendit son pouvoir
jusqu'a la valléede la rivièreSous ..1,

Autorité dusultan du Maroc, frontiere naturelle du Maroc, lelivre 1confond
ainsi volontairement deux notions fondamentalement différentes, celle
d'autorité gouvernementale et celle de consistance territoriale du Maroc, donc
d'assise matériellede la souverainetéétatique.
Or, tous les Etats ont à un moment de leur histoire connu des phases de
tension interne et de guerre civile. Tous les Etats ont connu aces périodesde

leur vie des interventionsétrangères,cherchant a profiter desquerelles internes
et de l'affaiblissement du pouvoir central, pour patronner des tentatives de
sécessionterritoriale.
Le droit international contemporain a, sur ce sujet, adopté des règlesbien
connues. L'Etat a droit, merne dans ces circonstances, au respect de son unité
et de son intégrité territoriales.
II est effectivement arrive, au XVlfP et au XIXc siècl qeue l'autorité du
sultan du Maroc ne s'étendepas sur l'ensemble du territoire du Maroc, aussi
bien d'ailleursau nord qu'au sud, a I'ouestqu'a l'estdu territoire.
L'histoirea cru mémedevoir retenir des appellations pour caractérisercette
situation territorial:bled rnakhzen, d'une part, bled siba, d'autre part.
Mais nous tenons àattirer l'attention des membres de la Cour sur le fait que,
en 1906, lorsque la conférence internationale d'Algésiras a reconnu l'unitéet
l'intégritterritoriales de L'Empiremarocain, précisémentcertaines zones de cet
Empire, orientales et septentrionales plus que méridionales,échappaient,dans
la perspective des anthropologues ou des historiens de la colonisation, a
l'emprise du pouvoir politique du Sultan.
Les rédacteursdu livre 1d'ailleurs ne setrompent pas sur lecontenu de cette
situation juridique. Le bled siba n'a jamais étél'indépendance ;le bled siba,
c'est toujours le Maroc, ils l'écriveatla page 248 (1)de leur livre 1.
Parlantde cettezone comprise entre leSous et le Draa, quenous estimons ne

pas faire partie précisément du bled siba au moment de la colonisation
espagnole, le livre1,pour défendre sa cause, parlant de cette région,nous dit:
« C'est une des zones du Maroc dénomméecomme « bled es Siba v,la terre
insoumise. »11,p. 248, par. 1.)
La terre insoumise, occasionnellement donc, et non pas la terre indépen-
dante !
Sachant que l'appartenance au Maroc des terres qui s'étendentjusqu'au
Draa est une donnéeirréfutablede l'histoire, le Gouvernement espagnol fait la
part du feu et propose, pour nier les liensjuridiques entre le Maroc et le Sahara
occidental, un nouveau raisonnement, qui constitue en quelque sorte une
position de repli.
Dans l'hypothèse ou la thèse précédentene serait pas retenue, dans
l'hypothèseou on reconnaîtrait que fa souveraineté du sultan du Maroc irait
jusqu'a l'oued Draa, au moins qu'il soit reconnu que cette souveraineté EXPOS ERAL DE M. ISOART 255

marocaine s'arrete précisémentla ou est cet oued. Ce deuxième raisonnement
est sans pertinence.
Mêmele traite franco-espagnol du 27 novembre 191 2 ne fait pas di1Draa la
frontière naturelle ou historique .du .Maroc. Seuls; en véritk, des esprits
européens attachés a une délimitation étatique précise ont pu choisir un
accident naturel pour désignerune frontière du Maroc. Le Draa ne peut pas
êtrela frontièreméridionale duMaroc, car de partetd'autre dece fleuve vivent
les mêmeshommes ;de part et d'autre de ce fleuve et jusqu'a la presqu'île de
Dakhla, donc presque a hauteur de Villa Cisneros, vit une seule et même
grande confédération tribale, litconfedération desTekna, avec ses alliés,les
Ouled Tidrarin. les Aroussiyine et les Erguibat. LesTekna étant des Marocains
et acceptant, comme nous le deinontrerons, l'autoritédu Sultan au moment de
la colonisation espagnole, la souveraineté marocaine s'étend par voie de
consequence au-delà du Draa, sur le Sahara occidental.
L'argument utilisépar le mémoireespagnol et par le livre 1desJtfinnarions
ei dncrirneriisest donc bien évident,il consiste a nier l'appartenance au Maroc
de toute la régionsud de l'Atla; cet argument a été utilisau XIXCsièclepar
les Européens qui ont voulu détourner a leur profit le trafic transsaharien, en
essayant, en dépitde l'opposition permanente du sultan du Maroc et de son
gouvernement, d'installer des comptoirs sur la côte saharienne de l'Empire
chérifien.

La thèse soutenue apparait donc avec clarté :la souveraineté marocaine
s'arrêtea la chaîne montagneuse de l'Atlas,telleest la démonstrationdu livre 1.
Une terre sur laquelle ne s'exerceaucune souverainetéétatiqueest une terre
sans maître, tel est l'argument développedans le mémoireécritespagnol. La
régioncomprise entre le cap d'hguer et le cap Blanc n'étant passoumise a une
autorité,a une souverainetéétatique,est donc une terra rz~illius.
Nous ne comprenons pas alors pourquoi lereprésentant du Gouvernement
espagnol devant la Quatrième Commission de l'Assembléegénérale a déclaré
. que l'Espagne n'ajamais soutenu que le Sahara occidental étaitune terre sans
maitre.
Accepter cette thèse espagnole sous ses diverses variantes, cést,du point de
vue juridique, d'une part, méconnaître complètement la nature de 1'Etat
marocain tel qu'il vit et tel qu'il existe au XIXesiecle et, d'autre part, c'est
ignorer la lutte permanente menée parson Souverain, menéepar le sultan du
Maroc, pour maintenir sa souveraineté sur les parties méridionales de son
Empire.
Tels sont les deux points, Monsieur le Président, Messieursles membres de

la Cour, qu'avec l'autorisation de la Cour nous aimerions développer au nom
du Gouvernement marocain.
Et d'abord, examinons lapremièrepartie, essayonsde présenterune analyse
juridique de I'Etat marocain au« moment de la colonisation espagnole B.
Pour comprendre la nature des liens juridiques entre le Maroc et le Sahara
occidental au <<moment de la colonisation espagnole », il est fondamental de
situer 1'Etatmarocain dans la typologie constitutionnelle des Etats et d'analyser
ensuite les efforts d'organisatiori menés parl'undes plus grands souverains du
Maroc du XIXesiécle,le souverain Moulay Hassan, qui a essayé précisément,
en organisant la partie méridioriaiedeson Empire, de faire face aux tentatives
de pénétrationétrangère.Les caractères de 1'Etatmarocain, l'organisation de
cet Etat dans sa partie méridionale parle sultan Moulay Hassan, tels sont les
deux points plus précisque noiis aimerions successivement aborder.
Voyons d'abord dans cette première partie sur la nature juridique de 1'Etat
marocain les caractères de cet Etat. Le classement que nous allons tenter256 SAHARA OCCIDENTAL

d'effectuerpart d'une constation évidente. incontestable,I'Etat marocain existe
depuis au moins le XF siècle.
Sur ce point, nous nous permettrons de citer letémoignage du Françaisqui a
le mieux connu le Maroc et qui, probablement, l'a le plus aimé.je veux parler
du premier résidentde France au Maroc, le maréchal Lyautey :

«Ici [dit le markhal Lyautey, dans une circulaire de 1920 qui a été
considéréecomme son testament politique a la veille de son départ du
Maroc], nous avons réellementtrouvéun Etat et un peuple. II passait. il
est vrai. par une crise d'anarchie. mais crise relativement récente et plus
gouvernementale que sociale.si le maghzen n'était plusqu'une façade, du
moins tenait-elle encore debout et il suffisait de remontera peu d'années
pour retrouver un gouvernement effectif, faisant dans le monde figure
d'Etat avec de grands ministres, des ambassadeurs ayant frayé avec des
hommes d'Etat européens et dont plusieurs survivaient encore et
survivent toujours. Au-dessous du maghzen, la plupart des institutions
étaient encore debout, diverses selon les régions, mais représentant
vraiment des réalités, administration des villes fort bien gérées,
corporations, djemaa des tribus, grandes firmes commerciales ..une trés
forte bourgeoisie éclairéer,iche et puissante. »

Un Etat existe doncdans le Maghreb extrêmeau moment de lacolonisation
espagnole, mais, pour en comprendre la substance et le mécanisme, il est
nécessaire d'ensaisir toute l'originalité. L'originalitdu Royaume du Maroc
nous apparait sur deux plans; d'abord par rapport aux Etats européens du
XIXcsiècle,mais ensuite par rapport aux Etats musulmans.
Par rapport, d'abord, aux conceptions européennes de la même époque,le
Royaume du Maroc est original. L'Europe a perdu la notion d'allégeance
personnelle au souverain comme base de l'autoritépolitique ; l'Europe lui a
substituéla notion d'adhésion individuellepar l'usageintermittent d'un bulletin
de vote. L'Etat européen du XIXCsiecle est un héritage de la révolution
française de 1789. Bien sûr, le pouvoir politique s'établitsur des hommes, mais
sur des hommes abstraits. sur des citoyens, des hommes qui ne sont plus situés

dans leur profession, dans leur région, dans leur village et, dans cette
communauté de base que constitute l'ensemble desfamilles ayant une mime
origine, des mêmestraditions ou des mêmescoutumes. Pour compenser cette
dispersion, cet émiettementindividualiste, une notion apparait alors, I'apparte-
nance nationale. L'Etat-nation qui est I'Etateuropéen du XIXcsiecle se fonde
sur levouloir-vivre en commundes individus et il conduit tout naturellementa
une conception territoriale de 1'Etat. L'équilibreentre les Etats s'établitpar
l'intermédiaired'une frontière, c'est-à-dired'une ligne qui, dans la perspective
européenne, sépareet divise les hommes. L'Etat-nation, au XIXCsiecle, a figé
l'Europe ; il n'a plus étpossible de procéder ades annexions territoriales, car
toute annexion procédait d'une violationde cette réalitécharnelle et juridique
qu'étaitI'Etat-nation, et le principe des nationalités,forme européennedu droit
des peuples a la libre disposition, empêchaitdésormaisl'annexion.
Définipar rapport a l'extérieur entermes d'affrontement, I'Etateuropéense
construit a l'intérieursur le principe de la centralisation administrative. C'est
alors que l'Europe perd la notion monarchique d'atlégeancepersonnelle au
souverain et sa conséquence essentielle, l'autonomie locale des villes et des
provinces garantie par les conditions du contrat d'allégeance.
Pour apprécier la nature et la valeur des liens juridiques existant entre le
Maroc et le Sahara occidental, il est donc essentiel d'abandonner le schéma
constitutionnel de 1'Etateuropéen du XIXc siècle,car il est Ie produit d'une situation économique et sociale localiséequi ne trouve pas application sur le
territoire du Maghreb extrême.
L'Etat marocain, a cet égard, répond à la conception traditionnelle
monarchique de l'allégeancepersonnelle. Ecoutons sur ce point un Français,
Edmond Douté qui,entre 1900 et 1904, a effectuétrois missions dans le Sud
marocain. Son témoignageest publiédans la revue Afriqtrrfrarlçaise de 190 1,
page 191 :

« 11y a entre nous et les musulmans de l'Afrique du Nord une
différence radicaledans la façon dont s'estconstruite dans notre esprit et
dans leleur l'idéed'empire. Pour nous, l'élémend tominantdans cette idée
est la limite et c'est la ce qu'elle a d'essentiellement romain et cette notion
de limite nous a empêchéd se comprendre cequ'est un empire maghrébin.
Lesmusulmans de l'Afriquedu Nord n'ont pas une conception territoriale
de leur empire, mais bien une conception ethnique. L'élémenp trincipal,
chez eux,dans cette conception, n'est pas l'idéede limites d'un territoire
mais l'idéede sujétiond'une population.
Les Européens, géographes ou hommes politiques, ont toujours
considéréle Marocsous la forme d'un Etateuropéen ;ilsse trompaient et
comme ils ne lui trouvaient pas de limites et qu'il leur en fallait quand

merne, ils en inventaient. Voila pourquoi l'histoire cartographique des
frontieres marocaines est lamentable. Nos atlas classiques, nos cartes
officielles, traçaient avec assurance des frontières ;il y a encore de ces
dernières qui s'obstinent sérieusementà indiquer en pointillé la limite
méridionaledu Maroc. ))
Le résultat de cette obstination dans l'erreur, vous le trouvez, Monsieur le

Président, Messieurs les membres de la Cour, dans le dossier de luxueuses
cartes ' fourni par le Gouvernement espagnol (II,p. 3 f0-3 15)dont nous ne
pouvons, hélas, que regretter que la valeur juridique soit inversement
proportionnelle a la qualité esthétique.
A la page 251(11,paragraphe 12,du livre 1,nous lisons :
«l'examen de la cartographie historique des XVIIe,XVIIIeet XIXesiècles
souligne deux constantes. En premier lieu, la région laplus méridionale

de l'Empire du Maroc, le pays de l'oued Noun, n'a pas étécompris dans
les frontières marocaines pendant les XVIIICet XIXesiècles. Endeuxième
lieu, la limite de l'extrêmesud de l'Empire du Maroc n'a jamais été
indiquéeca~tographiquement au-delà de l'oued Draa. fi
Cette double aflrirmation nous paraît contestable. Elle nous parait
contestable d'abord au plan du droit ;elle nous paraît contestable ensuite au

plan des faits.Cette affirmation nous parait d'abord contestable au plan du
droit ;pour apprécierla valeur juridique d'un document cartographique, il est
tout de même nécessairede tenir compte de l'important apport doctrinal et
jurisprudentiel. Cet apport est parfaitement résumépar l'éminentjuriste et
ancien juge de cette Cour, Charles De Visscher, dans l'ouvrage qu'il a consacré
a l'étudedes « problèmes de confinsen droit international public »:

<<On comprend la grande circonspection dont témoignent arbitres et
juges à l'égard de l'utilisation des cartes. II n'est guére de décision
internationale qui ne contienne une mise en garde àce sujet. »(Problèmes
de cot~finsa1 droit itlterriational publicp. 46.)

' Non reproduites,saufcarte XiV (ci-aprèsp. 384-3851,258 SAHARA OCCIDENTAL

De fait, juges et arbitres manient les cartes avec précaution, tantoi ils les
rejettent, tantôt, au contraire, ils les retiennent, mais alors il s'agit de cas
d'espèceet, dans ces espèces, l'arbitreou le juge recherche des conditions
spécifiques:
Cette double attitude du juge n'estpasdu tout contradictoire:lesjuges et les
arbitres rejettent d'abord certaines cartes. Ils les rejettent lorsqu'elles portent
sur des territoires sur lesquels les cartographes ont peu de renseignements.
C'est précisémentle cas des territoires du Sud marocain puisque les premiers
explorateurs qui ont tenté desrelevésde cartes embryonnaires n'ont pénétré
dans ces régions qu'à lafin du XIXCsiècle.Toute la cartographie antérieure
présentée par le Gouvernement espagnol repose sur des renseignements
fantaisistes, voire légendaires.cetégard,nous citerons le témoignagede deux
historiens français, abondamment cités d'ailleursdans le livre 1,Frédéricde la
Chapelle et Pierre de Cénival.A la page IOde leur ouvrage DesEspog~iols slir

la cute d'Afrique,ils écrivent:
« Cette partie de la côte d'Afrique à peu prèsinabordable et encore mal
connue de nosjours [lelivre est écriten 19351 a toujours fait le désespoir
des géographes. Son tracé sur les cartes anciennes est extrêmement
imprécis et inexact. Comment de documents aussi vagues tirer des
indications précises?»

La conc1usiondes deux auteurs garde toute son actualité.
juges et arbitres rejettedonc les cartes lorsquélles ne reposent pas sur des
renseignements certains. Les juges rejettent également les cartes lorsqu'elles
sont entachéesd'erreursou d'imprécision.C'estprécisémentcette imprécision,
ces erreurs, qui ont permis au surarbitre dans l'affaire duRariride Ktiîclt qui
opposait l'Indeet le Pakistan de rejeter les documents cartographiques fournis.
Nous avons laencore un témoignagequi peut s'appliquer a notre situation :
la lettre du consul de France B Mogador du 20 mai 1866 qui réponda une

demande de son gouvernement de localisalion de Santa Cruz. Le consul de
France a Magador écrit :
« Les cartes de cette partie de l'Afrique sont si incomplètes et
généralement si fautivesque je ne puis donner encore que sous toutes
réservescette indication que je m'efforcerai de vérifiersi j'en trouve le
moyen. >>

Renseignements insuffisants, erreurs ou imprécision : les documents
cartographiques sont également rejetéslorsque les données qu'ils apportent
sont contredites par des actes ou des faits juridiques émanant d'autorités
établies.Nous aurons précisément à démontrer l'existence d'acteset de faits
juridiques établissant l'autorité et la souveraineté du sultan du Maroc au
Sahara occidental au « moment de la colonisation espagnole H.
En revanche, lesjuges et lesarbitresretiennent dans certaines hypotheses les
cartes qui leur sont fournies. Nous nous référeronsa deux hypotheses, a deux
cas qui nous paraissent illustrer parfaitement l'attitude des juges.

La première affaire est celle relatiala Sooveruit~etesur certaiizepurcel/c~s
Jror~talièrest'arrêt de la Cour du 20 juin 1959 a mis dans cette affaire en
évidence l'importance des documents cartographiques. C'est qu'ici ces
documents, en vertu et aux termes d'une convention de délimitation de
frontière de 1843,avaient, affirme la Cour, «la mêmeforce et la mêmevaleur
que s'ilsy étaient insérésn leur entier ».
De même,dans l'affairedu Tctnplede PrAh Vihrar, la Cour a retenu lacarte
qui devait permettre de l'amenera donner sa décision, mais cettecarte étaitune EXPOSC ORAL DE hl. ISOART 259

carte officielle,car la Partie qui contestait l'avait en réaliacceptée,au moins
implicitement.
Les cartesfournies dans ledossier du Gouvernement espagnol peuvent donc
êtrediscutéessur le plan juridique. Elles peuvent I'étreégalementsur le plan
des faits.
On voit mal en effet comment concilier le faitque la limite de I'extrémesud
de l'Empire chérifienserait le Draa avec l'affirmation que le pays qui est au
nord de ce fleuve serait extérieura ce même Empire.En fait, les rédacteurs du
livre1 pour établircette conclusion font référencea l'existence sur certaines
cartes, notamment les cartes allemandes, d'un Etat de Sidi Hescham. En fait,
cet Etat n'a jamais existéque dans l'imagination de ceux qui ont bien voulu
l'imaginer. L'Etat de Sidi Hescham, si l'on se rapporte aux cartes foiirnies, se

déplace :il est tantôt au fin fond du Sahara, il est tantôt sur le bord de l'océan
Atlantique, tantot au nord, tantôt au sud, si bien que, finalement, il se déplace
dans un rayon qui varie entrecinq cents etsix cents kilomètres. L'emplacement
géographiqueest donc trèscontestable. Mais, d'autre part, cet Etat n'ajamais
existécar le fameux Etat de Sidi Hescham n'estqu'une zaouïa, c'est-à-direune
école religieusequi attire des élèvesen raison du rayonnement du saint homme
qui l'acrééeet qui est quelquefois le chef d'une confrérie.Si bien que cet Etat
de Sidi Hescham, selon le témoignaged'un Français qui a étudiéles confréries
religieuses au Maroc, Michaux-Bellaire (Les co~frérire esligi~usa air Maroc,
Rabat, 1923, p. 25), ce fameux Etat de Sidi Hescham serait une ((abbaye
privilégiéeet rémunératrice D. Voila le fameux Etat de Sidi Hescham ! En
réalité,si une erreur de cette espèce peut êtrecommise par les Européensau
XIXesiècle, c'estque ces cartes sont dressées selondes méthodeseuropéennes,
mais leMaroc n'est pas un Etat européen : le Maroc est un Etat musulman et
nous retrouvons la la deuxiéme originalitéde ce Maroc, originalitépar rapport
à I'Etateuropéen, mais originalitéaussi par rapport a 1'Etatmusulman.

L'Etat musulman classique, donc la constitution du Royaume du hlaroc, ne
peut se comprendre que par référenceaux conditions historiques de la
naissance de I'Etat musulman. Cet Etat est né dans une ville : Mkdine. Le
Prophètey a établien mémeteinps une communauté religieuse el un Etat, car
la communauté qui acceptait la loi révélée, lp aarole de Dieu, étaiten même
temps dotée d'une trésorerie et d'une armée pour se défendre et pour
combattre. Des l'origine donc de 1'Etatmusulman on assite à la confusion du
temporel et du spirituel, du rituel et du juridique. Cinq ans après l'hégire, un
Etat musulman existe, Etal théocratiqueparfait puisque le pouvoir législati fst
épuisépar la prophétie, par la parole de Dieu révélée. Mais cet Etast7instaHe
dans une zone particulière sur le plan géographique. cet Etat s'installe dans ta
péninsulearabe. Leprophete va tenir compte de la structure politico-sociale de
la sociétéarabe traditionnelle. Or, les mŒurs tribales de cette régionde l'Asie
tendent a voir tréssimplement dans le chef de tribu le représentant et le guide

des membres de cette tribu. Ce chefest choisi par le conseil des ancieiis ou par
le conseil des notables ; il est tenu de s'associer aux travaux de ce conseil, de
tenir compte des avis ou des doléances.
Ainsi, des le début de 1'Etat musrilman, s'établitun équilibre entre les
autorités tribales qui sont l'expression d'une opinion publique embryonnaire
mais qui sont tout de meme l'expression d'une opinion publique de base et
l'autoritécharismatique du prophete. Naissent alors les deux grandes traditions
politiques musulmanes : l'autoritéthéocratique fondée sur l'obéissance a la
parole de Dieu ;l'autorité politiquefondéesur l'approbation de la commu-
nauté, approbation consignéedans un acte d'allégeancepersonnelle, d'abord au
prophète, puis a son successeur le calife.260 SAHARA OCCIDENTAL

Dèslors. pourquoi nommer un représentant dupouvoir central, extérieura
la communauté de base ? Le chef de la communauté de base est en même
temps investi du commandement au nom du pouvoir central et l'obéissanceest
ainsi garantie par l'observation de la loi de Dieu. La communauté religieuse,
profondément unitaire, sous-tend la communauté politique. L'Etat marocain
est précisémentbati sur ce modèle.
Pour autant - meme dans ce cadre étatique musulman - le Maroc
conserve son originalitépour des raisons a la fois géographiqueset historiques
intimement liées. Le Maroc est insérédans cette sorte de <(Finistère))africain
que constitue la partie nord-occidentale du continent et a ce titre il a deux
frontières naturelles :la Méditerranée,d'une part, l'Atlantique, d'autre part.
Tous les déplacementsde population venant de l'estviennent buter sur la c8te

Atlantique et, butant sur cette côte, ilsdivergent tantôt vers le nord, tantôt vers
le sud.
Le Maroc apparait ainsi comme une sorte de creuset animépar des échanges
circulaires en circuit ferme. du sud vers le nord. du nord vers le sud: des lors,
il n'est pas historiquement exact d'écrire.a la page 237 (1). paragraphe 6, du
livreI :
<<Du XIIS au XVe siècle, le Sahara continua impassible sa vie
autochtone, indépendante et nomade, sans d'autres habitants que les

tribus berbères, avec de légèresinfiltrations d'Arabes purs de souche
rnaqil,expulsésd'Egypte par les sultans fatimides. >>
Ce tableau est parfaitement contraire à la réalitéhistorique. Le Sahara n'a
jamais eu de vie impassible, le Sahara a tout au contraire une vie intellectuelle,
économique et politique très riche et le Sahara n'a jamais eu de vie
indépendante,car il a toujours étéintimement lie a la vie du nord :le nord et le
sud sont inséparables. Nous ne prendrons qu'un exemple dans l'étudede

Frédéricde la Chapelle :
« Lesmaqils expulsésd'Egypte nomadisent au XIICsiecledans la région
septentrionale du Sahara occidental entre la Sakiet El Hamra et le Draa ;
ils s'allient avec un groupe berbére.Une des tribus de ce dernier, lesBrri
Mériri,fonde alors une nouvelle dynastie. «Les muqils furent dans lesud
les instruments de domination des nouveaux sultans et leurs collecteurs
d'impôts » (p. 67, 68). Ils en profitent d'ailleurs pour rançonner les
contribuables du sud et c'est précisémentpour mettre un terme a cette

situation que les tnériiiidesa la fin du XIIiCet au début du XlVesiecle
viennent eux-mêmes y mettre bon ordre en se déplaçant jusque dans la
Sakiet El Harnra. ))
Il n'y a donc jamais eu de vie saharienne autonome par rapport au nord.
L'exposede M. Le procureur général prélsa Cour suprêmedu Royaume du
Maroc sur ce point a étésuffisamment complet. Nous passerons donc sur ce

premier point pour revenir sur l'originalitéde 1'Etat marocain par rapport,
d'une part, a l'orient arabe et par rapport, d'autre part, au Maghreb.
Par rapport a l'orient arabe, le Maroc constitue, désqu'ilse dote d'un Etat,
une sorte de microcosme institutionnel par adoption au plan local du modéle
constitutionnel musulman. Le modefe issu de l'expériencede Médineest pris
par les Marocains et placé sur leur propre sociétééconomique, sociale ei
politique, si bien que l'onva avoir dans cet immenseOrient arabe, en réalitéun
pôle indépendant, ce pole que constitue l'Empire chérifien.Son souverain se
proclame émirdes musulmans sous les ultnorai~ides;il se proclame émirdes
croyants sous les alr>~ahud~s E.mir, mais aussi iman, celui au nom de qui est EXPOS~ ORAL DE M. ISOART 26 1

effectuée la prière.En outre, à partir du XVICsiècle,avec les Saadiens, il est
aussi chérif, c'est-à-dire descendant de la famille du Prophète. Emir des
croyants et chérif.le roi du Maroc voit donc son autoritétemporelle accrue sur
la communauté.
L'adhésionspirituelle des Marocains a leur souverain suffità asseoir son
autorité temporelle, même si l'administration qui le sert, le makhzen, est
embryonnaire. La communauté musulmane du Maghreb occidental et 1'Etat
marocain sont constamment mêléd sepuis le XIesiecle ;cette liaison est même
oniciellement reconnue par le traitéde délimitationconclu entre la France et le
Maroc a Lalla hilarnia le 18 mars 1845. Ce traitécommence par la formule

suivante :« Traité concluentre les plénipotentiairesde l'empereur des Français
et des possessions de l'empire d'Algérie etde l'empereur du Maroc, Sous, Fès,
et des possessions de l'empire d'occident. » La qualitéde sultan et de chérif
permet donc au souverain de bénéficierauprès des populations d'une autorité,
d'une légitimitéqui lui auraient peut-êtrefait défauts'il n'avait dû s'appuyer
que sur les moyens administratifs et militaires du seul mahkzen. Un musulman
mahgrébin qui accepte un souverain marocain comme iman est forcément
membre de la communauté dont le sultan est le chef temporel, car la prière est
dite en son nom, car la loi, la charia, la loi de Dieu, est appliquée pardes cadis
nommes par lui.
Telle était bien la conception de 1'Etat marocain au XIXC siècle. C'est
d'ailleurs en l'invoquant que le Sultan s'opposait a l'établissementd'un sujet
britannique, Mackenzie, au cap Juby. Citons a ce propos le livre 1,page 269(11,
paragraphe 66. Les Marocains, affirme le livre 1, prétendent que l'autorité
spirituelle du Sultan s'étendsur tous les croyants de ces zones autour du cap

Juby :
« Dans les notes marocaines au Gouvernement britannique est répété
inlassablement l'argument que telle ou telle tribu nommait le sultan dans
ses prières. Pour le makhzen, toute tribu musulmane qui ne reconnaissait
pas un autre souverain était sujette du Sultan. La Grande-Bretagne, au
contraire. ne pouvait pas reconnaître cette conception archaïque et vague
de la souverainete sans autorité ou administration. >)

Pourquoi « conception archaïque et vague de la souveraineté sans autorité
ou sans administration >? Est-ce a dire que seules les théorieseuropéennes de
I'Etat, tant pour le passéque pour le présent etpour le futur. soient les seules

valables? Faut-il tenir pour archaïque et vague toute conception qui
s'éloignerait de la conception europkenne ? La réponse positive a cette
question prouverait uniquement que la décolonisation des territoires doit
s'accompagner d'une decolonisatioit des mentalitéset des habitudes de raison-
nement.
Enfin, le Goiivernernent espagnol lui-même partageait cette« conception
archaïque et vague de la souveraineté sans autorité ou administration )>
puisque, comme leprésidentdu Conseil espagnol I'aflirmaita l'ambassadeurde
France a Madrid en 1891 :

« il a toujours étéreconnu [écrit cet ambassadeur de France a son
ministre, citant les paroles du président du Conseil espagnol] que la
souveraineté territoriale du Sultan s'étend aussiloin que sa suzerainete
religieuse et, comme il es1hors de doute que les populations du capJuby
lui sont soumises au point de vue religieux, nous pourrions considérer sa
souveraineté comme indiscutable » @ocuments diplomatiques francais,
1871-1914, t. VIII.p. 514).262 SAHARA OCCIDENTAL

Originalité donc par rapport au monde arabe, mais originalité aussi par
rapport au monde maghrébin qui lui est proche.
Dans sa communication a un récentcolloque (Aix-en-Provence, 1975)sur
les conceptions de I'Etat au Maghreb avant la colonisation, un historien
français, le professeur André Nouchi écrit :« Avant la conquêtefrançaise, le
Maghreb est partagéentre deux souverainetés,l'une turque qui s'exercesur la
régionde Tunis et sur celle d'Alger, l'autre marocaine. »
Cette constatation est due au fait qu'au centre et a l'est du Maghreb la

structure ktatique existante est contrôléepar une caste politico-militaire que les
historiens ont appeléeles Mamelouks, caste d'origine ou de formation turque.
En revanche, l'Empire chérifien est gouverné par un makhzen marocain
dont historiquement tout prouve d'abord qu'il est issu directement de la
nécessitéd'organiser la lutte contre la reconquête ibériqueet qu'ensuite il est
issu de grandes families du sud de l'Atlas prenant appui sur les tribus
sahariennes qui fourniront le bras séculier,les tribus Guich.
En conclusion, 1'Etatmarocain se rapproche de I'Etat européen du XJXe
siècle, non pas parce qu'il est un Etat-nation, mais parce qu'il est un Etat
national. De fait la structure gouvernementale est autochtone, c'est-a-dire née
de la terre marocaine. l'infrastructure est populaire et nationale. La solida-
rité certes est religieuse, elleest aussi politique car le Maroc vit, depuis le

XVe siècle,sous la menace permanente de l'intervention étrangère.
Mais 1'Etat marocain s'éloigdnee1'Etateuropéencar il est musulman. Des
lors ilsera construit sur deux principes. leprincipe égalitaarla base, Lestribus
restant toujours administrées par leurs autorités naturelles et leur chef, qui
reçoit ['investituredu Sultan. Le caid est donc a la fois le défenseur desintérêts
locaux et le représentant du pouvoir central, mais a côté de ce principe
égalitairede base, il convient de faire figurer le principe hiérarchique qui place,
au-dessus de l'organisation tribale, le chef spirituet et temporel avec son
administration, son makhzen. Sa légitimité esrtenforcéepar le faitqu'un sultan
ne se proclame pas unilatéralement, mais est reconnu par les différentes
communautés. Le consentement de ces dernières est en droit absolument
nksaire pour qu'il soit investi du pouvoir ; il n'est donc pas possible d'ac-
cepter l'affirmationcontenue dans le paragraphe 22 du livre 1a la page 282(11,
ou L'onaflirme que Ma el Ainin s'est proclamésultan.

Jamais dans l'histoire du Maroc, depuis douze siècles,un prétendant ne s'est
proclamélui-mêms eultan. Chaque fois, c'estsurune baya, c'est-à-direun acte
d'allégeanceformelle des communautés, que son pouvoir a été établi.
Dans cette perspective, l'historien que nous citions précédemment, Edmond
Douté, écrit :
<<En un sens donc, l'expression de « bled maghzen » opposée a celle de
t(bled siba» n'est pasexacte, cartout le Maroc sous des formes différentes

et a des degrés variablessubit l'action du maghzen. ))(P. 171.)
L'unitédu Royaume n'est donc pas remise en cause par le bled siba.
L'attitude du bled siba se limite au plan fiscal et une certaine répugnance a
payer l'impôt, répugnanceque l'on trouve a travers toutes lesépoqueset dans
tous les Etats.
Les autres fonctions essentielles du pouvoir central, les relations avec les

pays étrangers, la défensede l'Islam ne sont jamais contestées,de mêmeest
toujours acceptéeI'autoritéspirituelle du Sultan.
L'historien maghrébin, Abdallah Laraoui, dans son Hisloire dti Maghreb
parue a Paris en 1970 explique parfaitement la stabilisation du pouvoir
alaouite : EXPOSE ORAL DE M. ISOART 263

<Mohamed III. qui a régné de1 757a 1790. restaura le pouvoir alaouite
surune nouvelle base. Tlmit l'accentde plus en plus sur sa qualitéde chef
religieux ;il réorganisalegouvernement a partir d'une reconnaissance des
loyautéslocalesen secontentant d'investir lechef choisi par la population.
Quant a la fiscalitéagricole, il essaya de s'en rendre indépendant en
développant le commerce de telle manière que les rentrées de douanes
fournissent le minimum nécessaireau fonctionnement de 1'Etat.
En 1965, ayant vu l'importance du commerce de contrebande toujours
florissant sur les cotes du sud, il décidade le concentrer pour mieux le
contrôler dans un seul port, et if choisit le site de Mogador)>

C'est précisémentdans ce site de Mogador que les consuls des principales
puissances furent priés de résider. Ceux-ci d'ailleurs étaient autant les
représentants des Etats que les représentants des intérêtseconomjques des
sociétésressortissant à leurs Etats. Aussi vont-ils tout naturellement, au début

du XIXe siècle, tenter de détourner au profit de ces intérêtsles échanges
transsahariens.
Alors apparaissent dans les dépêchec sonsulaires les fameux pouvoirs locaux
du Sous, du Noun et du Draa.
Et comme le note l'historien espagnol Tomas Garcia Figueras dans son
ouvrage sur Santa Cruz de Mar PequeÏia (p. 106):

« ledésirlégitimedu Sultan de confirmer et d'étendre sesdomainesau sud
de l'Empire a acquis un caractère d'une nécessitépressante du fait même
des tentatives européennes sur lesdits territoires, dans lesquels il existait
certains éléments travaillant pour l'indépendance de ces régions, en
s'appuyant précisémentsur les viséeseuropéennes ».

Le génie du sultan Moulay Hassan, qui régna de 1876 a 1894, fut
précisémentde comprendre cedanger. Pour leconjurer, il ira s'installerdans le
Sahara marocain afin de transformer cette région enterre makhzen désormais
indiscutable.
Avec la permission de la Cour nous voudrions analyser maintenant le
deuxieme point de cette première partie :l'organisation du Maroc du Sud par le
sultan Moulay Hassan.
Nous voudrions, avant d'aborder l'exposé desfaits, présenter sur ce point
deux remarques préalablesqui vont nous permettre d'ordonner l'ensembledes
faits autour de deux idées force.
En premier lieu, il parait nécessaire de souligner la portée juridique des
manifestations de souveraineté que le Sultan va multiplier dans la partie
méridionaledeson Empire, prkisément pour faire faceaux entreprises ou aux
tentatives d'empietement territorial en provenance de l'extérieur.
Cestentatives ont d'abord eu un caractere mercantile, mais trèsrapidement,
précisément en raison de cette légende des pouvoirs locaux du sud

indépendants du Sultan, ces tentatives d'empietement vont devenir un
problème politique.
C'est sur la base de 1'exis.tence de ces pouvoirs locaux forgés par les
déclarations,par les échangesde correspondance en provenance de Mogador,
c'estsur la base de cette légendeet de ce mythe que certains agents étrangers
vont essaye de porter atteinte iil'intégritet a l'unitéterritoriales de 1'Empire
chérifien.
En deuxieme lieu, il convient de mettre en lumière la signification juridique
de l'Œuvre d'organisation du sud par le sultan Moulay Hassan.
La Cour permanente de Justice internationale, dans l'affaire relative au 264 SAHARA OCCIDENTAL

Sralut juridiqltc dl,Gro@tilatidoria~tal, a définila souveraineté territorialea
partir de deux éléments : «l'intention et la volonté d'agir en qualité de

souverain et quelques manifestations ou exercices effectifs de cette autorité))
(C.P.J.IsrritA/8 ti053, p. 45-46).
C'est donc sur le plan de la politique interieure que lesultan Mouiay Hassan
va maintenir sa souveraineté!sur la partie méridionale de son Empire, a partir
d'une double action : une action a caractère politique, se concrétisant par des
voyages personnels dans le sud du Royaume en 1882et en 1886, et par une
.action économique tendant précisémenta normaliser tes conditions d'échange
dans le Sud marocain afin de parer aux initiatives extérieures et afin de
perpétuer a un deuxikme niveau, non moins important que le plan politique,
les manifestations positives de sa souveraineté.
Nous ordonnerons donc cette analyse de l'organisation du Maroc du Sud
par Mouiay Hassan autour de .deux thèmes: d'abord les tentatives de
pénétrationétrangère au sud du Maroc, ensuite les manifestations de la
souverainetédu sultan du Maroc dans la partie méridionale de son Empire.
D'abord examinons les tentatives de pénétrationétrangèreau sud du Maroc.
Elles s'expliquent par l'environnement commercial de cette région. Des
grandes caravanes parties du centre de l'Afrique aboutissent sur les côtes de
l'océanAtlantique et pour contrôler ce commerce,depuis l'existencedu port de
Mogador, le Sultan a obligélesreprésentantsétrangers aétredomiciliésdans ce
port.
Mais a Mogador les échangescommerciaux sont grevésde lourdes taxes a

l'entréeet a la sortie, taxes qui alimentent précisémentle trésormarocain.
Aussi certains agent? étrangers, en poste a Mogador. ont-ils imaginé qu'il
était possible de détourner ce courant commercial en évitant les douanes
chérifiennes et en essayant de se porter sur les côtes méridionales, cotes du
Sous, du Noun et de la Sakiet El Hamra.
Agents anglais, espagnols, allemands déployèrent des effortsen raison de la
concurrence française qui a, elle, bénéficiéde bases de départ déjà bien
installées en Algérieet au Sénégal.
Devant ces menaces directesportées asa souverainetééconomique,leSultan
ne pouvait pas rester indinërent et, face aux réactionslégitimesdu Souverain,
les interétsétrangers,plutôt que de heurter de front la souverainetémarocaine,
préférèrentutiliser une manŒuvre détournéeconsistant a reconnaître de
prétendus pouvoirs locaux, indépendantsdu Sultan.
C'est ainsi qu'a la page 265 (1). paragraphe 53. de son livre 1 des InJor-
marions et docurnen~s.le Gouvernement espagnol soutient la thèse suivante :

« Les relations qu'eurent pendant cette période les pouvoirs locaux
établisentre le Soiis et le Draa, avec les autoritésmarocaines et avec les
puissances européennes,constituent un épisoderévélateurde l'inexistence
d'une action souveraine continue, effective et pacifique du Sultan sur les
territoires mentionnés.»

Le Gouvernement marocain ne peut que regretter l'énoncé en 1975,devant
la Cour, d'une théoriequi a justifiél'interventioncoloniale du XJXe siècle.
En fait, ces tentatives de pénétration,en dépitde la souverainetémarocaine,
se sont heurtées ades protestations officiellesdu Gouvernement chérifien,qui
devaient se multiplier en raison de tentatives de plus en plus nombreuses.
C'estainsi qu'en 1886, le Sultan, par l'intermédiairede son représentant a
Tanger, fit notifier au corps diplomatique une note officielleaffirmant:

<(Sa Majesté a étéinforméeque certains navires de certaines nations EXPOSE ORAL DE M. ISOART 265

sont venus ces temps derniers sur lescôtes de I'<oued Noun ))charges de

diverses marchandises avec l'intention d'opérer des transactionscommer-
ciales avec les habitants de ces régions.Les gouverneurs de ces localités
ayant porte ce fait a la connaissance de Sa hlajesté, Sa Majestéleur a
ordonnéde s'opposer au débarquement des personnes se trouvant a bord
de ces navires, et elle a envoyé avec son ministre le Feki Seid Ali el
Mesfoni, le caïd Moubarek Ben Chelia, escortésde cent cavaliers, en leur
donnant mission de signifier a ces étrangersd'avoir a se réembarqueret a
quitter ces localités ou ils risquent de compromettre leurs intérêtset
d'exposer leur vie, ce qui serait de nature 6 entraîner des complications
fâcheuses pour le Gouvernement marocain. )>(III.annexe 119, p.409.)

Conformément aux usages du droit international, leSultan affirmait donc sa
souveraineté,mis en Œuvre sur le terrain par ses gouverneurs.

Lechamp d'application de cette notification est particulièrement important,
car selon les représentants diplomatiques autorisés le Sahara occidental est
inclus dans cette manifestation officielle de souveraineté.C'estainsi que dans
une dépêchedu 17 mai 1886 le ministre de France a Tanger declare a son
ministre des amairesétrangères :

<A mon avis. cette circulaire ne vise pas seulement les Allemands,
mais aussi I'installaiion des Anglais lMackenzieet Curtis au cap Juby et
celle que les Espagnols se proposent, assure-t-on,de créerau Rio de Oro
dans tes mêmes parages.»(lbid.)

Le Sultan devait donc lutter contre les ingérences économiques d'agents
relevant de plusieurs nationalités. Profitant de cette situation, un certain
nombre d'aventuriers se prétendentreprésentantsofficielsdu Sous et du Noun
auprésde divers Etats européenset accréditentla légendedes pouvoirs locaux

indépendants.
t'analyse des échangesde correspondance entre le consul de hlogador et le
ministre français des affaires étrangèresest a cet égard intéressante.car on
retrouve le Drocessus utilid. Q.elq.es exemples sont particulièrement
significatifs.
Ainsi, dans une dépéchedu 4 septembre 1885, le ministre de France a
Tanger avertit son ministre des affaires étrangèresdes menéesd'un certain
Mohammed Ben Ahmed désirantentrer en contact avec la France, de la part
des tribus du Sous. Ce ministre décrit en faitcetaventurier comme un individu
chassé de sa tribu et dépourvu de toute autorité et conclut par ce constat
réaliste:

ccD'ailleurs, en admettant que Mohammed Ben Ahmed ait été
réellement delegué par ses compatriotes pour nous offrir d'occuper le
Sous. pourrions-nous nous montrer accessibles a ses ouvertures. et prëter
notre concours a un projet dont la réalisation ne manquerait pas de

soulever les plus énergiques protestations du Gouvernement marocain ? n
(111.annexe 1 11.p. 398.)

Ces affabulations se multiplièrent et il serait fastidieux de citer les multiples
exemples trouves dans la correspondance consulaire. Leur écho.dans certains
milieux européens.démontrele manque d'informations réelles. enEurope. sur
les régionssud du Maroc. La correspondance diplomatique prouve cependant
iil'évidence lecaractère artificiel et souvent ridicule de ce mythe des pouvoirs
locaux du Sous et du Noun.266 SAHARA OCCIDENTAL

Le commandant de Hreuilte,qui étaitlechef de la mission militaire française
au Maroc, écrivaitle 29 mai 1886 ;

« 11se peut faire que quelques mécontents parmi les Soussiens aillent
omrir leur pays à une puissance européenne quelconque, mais ce ne sera
jamais qu'un leurre auquel les naïfs seuls pourront se laisser prendre. »
(III,annexe 1 14,p. 403.)

Le Gouvernement marocain regrette donc, a cet égard, que le Gouverne-
ment espagnol reste encore attaché, en 1975, a une interprétation relevant
parfois, de t'aveu des diplomates de I'epoque, de la farce.
Mais au-delà mêmede ce caractéremythique des pouvoirs locaux dénoncé
comme tel, par lesdiplomates en poste, sur leterritoire marocain, certains pays
européensne tardèrent pas a utiliser a leur profit ces légendes enfeignant d'y
croire et mêmeen encourageant parfois en sous-main des tentatives de
sécessionsterritoriales.
Face a ces périls, leSultan organisa la lutte intérieurecontre la pénétration
étrangère,a un double niveau :le niveau politique et le niveau economique.
Cette analyse est d'ailleurs confirmée par le ministre de France a Tanger,

écrivant le4 septembre 1885 a son ministre des affaires étrangères :
<<le Sultan actuel [Moulay Hassan] a réussi, a la suite de sa dernière
,campagne dans le sud de l'Empire, à étendreet a affirmer sa suzeraineté
dans cette région qu'ilsemble avoir choisie comme son terrain d'élection
pour opposer une barrière aux empiétements de l'Angleterre et de
l'Espagne sur la côte occidentale du Maroc. >I(III. annexe II1, p. 398.)

Tel est bien, en effet, l'objectifque vise le Souverain marocain : établirau
sud de l'Atlasune terre makhzen incontestable et internationalement reconnue.
Son action va donc porter a la fois sur le plan politique et sur le plan
economique.
Avant d'entrer plus avant dans l'analyse de la politique chérifienne sur les
deux plans de la politique intérieure et de la politique économique, nous
voudrions réfuter deux allégations tenant a la situation politique du Sous,
allégationscontenues dans le livre 1.
En premier lieu, a la page 266 (11,paragraphe 55, de ce livre, les deux

provinces marocaines du Sous et du Noun sont présentéescomme un endroit
dangereux oh a peine (iquelques sujets du Sultan osent se risquer >).Les faits
historiques contredisent totalement ces affirmations.
Le charge d'affaires franqaisa Tanger, Henri de la Martiniere, a effectue en
1891 - profitant d'un déplacement a Marrakech en compagnie du sultan
Moulay Hassan qui recevait tous les caïds du Sud - un voyage dans
l'ensemble de la région du Sous. II s'y est déplacélibrement, presque sans
escorte, reçu partout par les khalifas des caïds qui étaient allés faireack
d'allégeanceau sultan Moulay Hassan a Marrakech. II adans sesSouvenirs du
Maroc expliquéquelle étaitla politique de Moulay Hassan. Ce dernier préferait
laisser accréditerl'idéequ'il étaitdangereux de se déplacerdans la régiondu
Sous et du Noun pour éviter précisémenltes pénétrationsou les explorations
étrangères.

De même,dans une dépêche adressép ear le ministre de France a Tanger a
son ministre a Paris (III, annexe 130, p. 130-131), se trouve relatéle voyage
d'un officier français, le lieutenant de Ségonzacqui, lui aussiatraverséle Sud
marocain, muni d'un sauf-conduit du Sultan. Le ministre. dans sa lettre.
conclut sans ambiguïti : « l'étatpolitique de toute la région du Sous était
tranquille. le voyageur rencontra de ce fait peu de dificultés ». Ce voyage EXPOSE ORAL DE M. ISOART 267

démontre, a l'évidence,I'autoritkdu Sultan puisque, avec un sauf-conduit desa
part, on peut librement circuler dans sa province du Sous. En revanche, il est
évidentque cette régionmarocaine etait dangereuse pour ceux des étrangers
bravant les interdictions du Sultan et se plaçant ainsi délibérémend t ans une
situation de hors-la-loi. Le témoignage d'un Français, Camille Douls, vient
corroborer cette affirmation. II s'est fait débarquer sur la côte du Sahara
occidental. Ia traverséleterritoire actuel du Sahara occidental et ilest remonté

par le Noun. IIa étéarrêté a Marrakech des que le Sultan a étéinformé dece
voyage.
En deuxièmelieu, le livre 1espagnol des Itiforrnotionset docr~metrlaffirme :
(<Entre Mogador et oued Noun ...la plupart des tribus occupent quant
a la soumission a ta cour [chérifienne],le second des trois degréssuivant
lesquels on classe ordinairement les pouvoirs de l'Empire :tribus qui
prient et obéissent, tribus qui prient et n'obéissent pas et tribus qui
n'obéissent ni ne prient.))(1,p. 266, par. 56.)

Une nouvelle fois. les témoignages historiques démentent de telles
affirmations et cela est particulièrement vrai dans les deux manifestations de
souveraineté les plus significatives:la nomination des caïds qui est un acte
orriciel du Gouvernement chérifien. ensuitele paiement de l'impôt.
Les dépêcheq sue les représentantsde France envoient a leur gouvernement
confirment que. a travers toutes les époques,depuis le début du XIXC siècle,le
sultan du Maroc a procédé a des nominations de caïds. Nous ne prendrons
qu'un exemple. la dépéchedu 31 mai 1842.dépkhe envoyéepar le consul de
France a Mogador. Le consul de France a Mogador precise :

<<Le caïd de la province du Sous, El Hadji Adhmed Agouni. qui était
déjàdisgracie auprès de l'Empereur, est allé dernièrement it Maroc
[Marrakech] pour se justifier auprès du prince Sidi Mohammed. et pour
lui porter en mëme temps un présent de plus de IOO00 ducats
(35 000 francs) : mais il n'en a pas moins été destituée ,t I'on dit que
son gouvernement a étédonnéà Sidi Abdallah Ben Bihyi, gouverneur de
la province Haha. Tout le monde dans cette ville-cidésireraitbien qu'ilen
Rt ainsi ; parce que la prospéritéde Mogador dépend beaucoup de la
tranquillitédes provinces du Sous et de Haha :ce que I'onne peut guère
espérerde voir, que lorsqu'ellessont bien administrées. )(III.annexe 91,

p. 372.)
Utilisant donc son pouvoir de nomination et son pouvoir de révocation.le
Sultan aflirme sa souverainetédans la partie méridionalede son Empire.
Le paiement de l'impota toujours été assuré, dansla province du Sous. Nous
avons sur ce point encore le témoignage du consul de France a Rlogador,
contenu dans sa lettredu 23 février1844. Ceconsul précise même te montant
de I'impotpayé par la province du Sous :

« le résultat de cette opération est évalue a 100000 piastres fortes
d'Espagne (560 O00francs) ..qui vont entrer dans le trésorimpérial..Un
pareil résultatprouve la richesse de cette province et fait supposer qu'elle
peut etre celle de l'Empir...)>(III,annexe 92. p. 373.)

Ces deux illustrations de la souveraineté chérifienne contredisent ainsi
totalement la thèse espagnole. En fait, lorsque le Sultan entreprend ses
déplacementsde 1882 et de 1886 dans le sud, son but principal est de lutter
contre la pénétrationétrangère ct de sanctionner lesquelques cheiks coupables
de transactions illicites avec des commerçants européens. Ce but est d'ailleurs268 SAHARA DCCIDENTAL

clairement énoncépar le ministre de France a Tanger, dans une missive du
31 juillet1882 :

« le Souverain déclarequ'ila voulu ramener a l'obéissancedes cheiks qui
cherchaient une protection étrangèreet voulaient nouer des relations avec
des Européens pour se soustraire a la juridiction de leur gouvernement
légitime.A en juger par les termes de cette proclamation publique, ce que
Moulay Hassan semble surtout redouter, c'estl'ingérenceétrangère surla
cote méridionalede son Empire. » (III.annexe 105, p. 389.)

Les déplacementsde Moulay Hassan en 1882 et en 1886 sont marqués par
des manifestations d'adhésion populaire, maisaussi par toute une séried'actes
juridiques, d'actes de nomination de caïds notamment, pour le compte du
Gouvernement chérifien.
L'adhésionpopulaire est prouvée par les diffkrentes dépêche adresséespar
les représentantsfrançais au ministre français responsable, rendant compte des
déplacementsdu Sultan dans la régionsud de son Empire.
Quelques exemples sont probants a cet égard. Le4 mai 1886, le ministre de
France a Tanger annonce a son ministre des affaires étrangères,a propos du
Sous :«Toutes les tribus de cette régionse sont rendues au-devantdu Sultan et

ont fait acte de soumission » (Correspolidui~ccpolitique. Maroc, vol. 50,
p. 358). Une autre dépêche du12 mai 1886 rend compre de l'ensemble des
démonstrations respectueuses des délégationsde ces tribus a (<l'égardde leur
souverain » G'bid.p. 378). Le 7 juin 1886, le consut de France a Mogador
écrivaitau ministre de France a Tanger :
« L'expédition du sultan Moulay Hassan dans le Sous peut être
considéréecomme entièrement terminée. Ce n'a étéqu'une marche
triomphale. Toutes les tribus se sont soumises et lui ont juré fidélité.II

n'est pas jusqu'aux nomades du Sahara qui n'aient tenu a lui apporter
des méharis et a lui offrir leur concours pour la guerre sainte. >)
(Corrrspofidunce politiqire, Maroc,vol. 51,p. 81 .)
Cette dernière analyse, particulièrement clairvoyante, démontre nettement
que ces déplacementsde 1882 et de 1886 étaient destinesa prouver, face aux
menaces étrangères,l'unanimitédu peuple marocain autour de son souverain.
Par ces actes symboliques, le Sultan manifestait clairement son intention et sa

volontéd'agir ensouverain et de prouver son autorité par un exercice effectif.
II établissait diailieurs une ville chérifienne a Tiznit, en plein cŒur de la
province du Sous. Par la même,il remplissait expressément les conditions
d'existencede la souverainetéterritoriale posées,ainsi que nous l'avons vu, par
la Cour permanente. dans l'affaire relative au Sdatuljuridique du Groëriland
oriental.
Ces déplacements dans le sud, du sultan Moulay Hassan, permettent de
confirmer l'allégeancedu cheik Beyrouk et de sa famille au souverain du
Maroc.
Dans le livre 1a la page264 (11,paragraphe 47, on soutient que lesultan du
Maroc n'exerçait aucune autorité continue sur le territoire de l'oued Noun,
cette autorité étant détenue par la famille Beyrouk, présentée comme
indépendante vis-&vis du Suitan. Le Gouvernement marocain ne peut pas
accepter cette présentation.
A cette époque, un certain nombre d'Allemands, débarquésdu navire

Goitorp a des fins d'installation commerciale dans la régiondu Noun, furent
faits prisonniers. Répondant à une demande du ministre d'Allemagne a ce
propos, le Sultan expliqua (<que les prisonniers étaient bien traités etque le EXPOSE ORAL DE M. ISOART 269

caïd Dahman Ben Beyrouk. qui commande pour lui dans l'oued Noun a
Goulimine. répondait de leur sécurité» (III. annexe 124. p. 418). C'est
d'ailleurs par l'intermédiaire du Sultanque ces Allemands débarquésont été
restituesa leur représentant diplomatique, après que le Sultan eut verséune
rançon symbolique, car la tradition islamique veut qu'une rançon soit payee a
ceux qui se sont emparésd'étrangerssur un territoire interdit.
Le cheik Beyrouk, chef de la province du Noun, a toujours obéiau Sultan au
nom de qui il commandait toute la régionallant depuis le sud duSous jusqu'à

hauteur de Tiris, c'est-à-dire sur une grande partie du Sahara occidental.
Les témoignages memes des captifs allemands qui ont étélibérésgrace à
l'intervention du Sultan corroborent l'affirmation de cette souveraineté
chérifienne dans la régiondu cap Juby. Le rapport du consul de France a
Mogador, en date du 6 mai 1 886,signale :
« Les prisonniers ont donné ici quelques renseignements sur la petite
colonie européenne inst;illee au cap Juby, sous la direction de

M. Mackenzie, sujet anglais. Ils la croient tres menacée et ilssiipposent
que l'intention de l'Empereur est de la balayer en faisant attaquer les
peuples colons qui la composent par les Kabyles qui l'environnent.Le
Sultan ne veut a aucun prix que des Européens pénètrent dans ses
possessions du sud. Peut-êtrese résignera-t-ilà ouvrir au cornnierce un
port sur la côtà Agadir ou a Aglou, mais il s'opposera tres certainement
a tout établissement a poste fixe en dehors des points spécialement
désignés.)>(III, annexe 120, p. 410.)

De meme, l'intervention du Sultan devait paralyser l'initiative d'Alvarez
Pérez,un sujet espagnol, qui essayait de s'installer entre I'oued Draa et Puerto
Cansado. Nous avons la encore un témoignageécritdu ministre de France a
Tanger :
<(Alvarez se maintenait a Aouina pour y faire acte de premier
occupant, jusqu'au moment où il abandonnait et se rembarquait, en
apprenant que le Sultan avait mis en marche un corps de cavalerie pour

aller l'expulse» (Correspo~idaizcpolitiqlrrMaroc, vol.51.)
Les déplacemeritsdans le Sous du sultan Moulay Hassan ont donc eu pour
objet de manifester avec éclat et par sa présencela souveraineté marocaine,
afin de parer aux menaces étrangèresdans cette province et, au-delà. dans la
province du Sahara occidental.
A cet aspect politique de la lutte pour l'intégrité territoriale,le Sultan ajoute

une politique économique visant délibérémenlta normalisation du commerce
du Sud marocain.
Le deuxième aspect de l'action du souverain Moulay Hassan, pour affirmer
sa souveraineté dans la partie méridionalede son Empire, a donc un caractère
essentiellement économique.
Cette action est fondéesur sa volontéd'assurer désormais une possibilité
d'échanges commerciaux dans un cadre légal, enire ses possessions méri-
dionales et l'étranger.
L'analyse du sultan Moulay Hassan est partie de deux constatations. La
première constatation est qu'il est impossible d'imposer la fermeture
permanente de tout le sud de son Empire a la pénétration économique
européenne. D'autres Etats, d'Asie notamment, se sont trouvés dans des
situations comparables.

En outreet c'estledeuxièmepoint de l'analyse duSouverain, lespopulations
méridionalesde son Empire sont dans une situation souvent défavorisée par270 SAHARA OCCIDENTAL

l'éloignement,et notamment par l'imporkincedes frais detransport qui grèvent
les marchandises débarquées a Mogador ou allant a Mogador, et en pro-
venance ou adestination des régionssahariennes de l'Empire.
C'est donc en fonction de cette double réalitééconomique que le Sultan a
propose a la famille Beyrouk, qui étaitune grande famille de commerçants en
méme temps qu'unefamille de chefs de tribus traditionnels dans le sud de la
régiondu Sous et de I'oued Noun, d'organiser le commerce des régionsqui
relevaient de son commandement, au nom du Sultan.
Beyrouk ed donc venu a hlarrakech faire de nouveau acte d'allégeanceau
Sultan.
Un accord a été conclu avecle Souverain pour permettre précisémentde
résoudre cette difficultééconomique, cette impossibilitépour les gens de la
régionde I'oued Nouii d'avoir accèsdans des conditions normales au port de
Mogador.

L'accord devait se faire sur une remise des droits de douane au profit des
marchandises en provenance ou a destination de la régionde I'oued Noun.
Mais cette remise des droits de douane ne doit pas s'analyser comme une
absence de souveraineté,commesemble le croire le livre 1,qui affirme qu'à la
suite de cet accord un consulat de I'ouedNoun aurait étéouvert Mogador.
Les dépêched su consul de France aMogador précisentbien qu'il s'agitd'un
simple entrep6t ou les marchandises a destination. ou qui seront exportéesen
provenance de I'ouedNoun, seront entreposées.
Ifexiste dans tous les Etats, mémea l'heure actuelle, des remises de droits
de douane au profit des régions qui sont défavoriséespar la situation
géographique.
IIest vrai que dans la famille de Beyrouk certains ont essayé,en s'appuyant
sur lesconvoitises étrangères,deconstituer une sortede principauté autonome.
11est vrai que ces tentatives ont existé, mais toutes ont étébriséespar la
souverainetédu Sultan et par ses protestations.
On le voit notamment dans la tentative du fils du premier Beyrouk, Habib
Beyrouk, qui a essayé un moment de comploter avec les Européens. Cette
tentative, ainsi que l'écritle représentant de France a Mogador, s'est heuatée
l'oppositiona la fois de ses freres et des tr:bus

Les manŒuvres de Habib ont bientôt rencontré non seulement
l'opposition de ses freres Dahman et Abidin, mais encore celle de la
plupart de leurs tribus, qui ofinipar déclarerne pas vouloir encourir la
colèreou la malédictionde l'émirdes croyants, le sultan du MarocO, leur
souverain. (Dépkhe du 27 juillet1886, Corrc~sponduiicc coiiii~lercicrlr
coirs~ilairM, ogodor, vol. IV, p251.)
De telles tentatives sont donc restées isoléesl,e Souverain a en permanence
essayéde lesanéantiret ila ainsi multiplié lesactesde souverainetépour mieux
controler, a ffoissur leplan politique esur le planéconomique,la régionde

I'ouedNoun.
maisalors. aprèsavoir organisé cette régionpériphériquede son Empire, le
Sultan a affronte une menace beaucoup plus sérieuse pour l'intégrité
territoriale son Empire, caren réalitéjusqu'a la finduXIXC siècleils'agissait
d'entreprises relevant souvent d'initiatives isoléesd'agents commerciaux
étrangers. Dans la dernière décennie du XIXC siècle, ce ne sont plus des
entreprises commerciales, mais des entreprises politiques qui vont se
développer. La lutte du Sultan devra s'intensifier pour maintenir sa
souverainetésur les parties méridionales du Royaume. EXPOSE ORAL DE M. ISOART 27 1

Dans cette deuxieme partie du présent exposé,nous aimerions revenir sur
deux points fondamentaux que pose le problème des liens juridiques existant
entre le Maroc et le Sahara occidental au moment de la colonisation espagnole.
Dans cette deuxiémepartie qui va êtreessentiellement axéeautour de deux
thèmes : l'analyse progressive de la présence espagnole sur le territoire du
Sahara occidental d'une part et d'autre part l'organisation de la résistancepar le
souverain chérifien, nous serons amen& a examiner un certain nombre de

problèmes qui ont un caractère passionnel.
Nous voudrions, a titre personnel, préciserque nous avons voulu présenter
cet expose avec le maximum d'objectivitéhistorique.
Cette deuxième partie va donc s'ordonner autour de deux grands thèmes :
l'analyse des eléments qui permettent d'installer lacolonisation espagnole au
XIX' siecle et celledes faits établissantla résistanceàla pénétration étrangèrae
partir de lafin du XIXCsiecle.
Dans cette deuxieme partie, nous allons donc d'abord présenterI'analyse
historique de l'installationde la souverainetéespagnole sur leSahara occidental
en reprenant les trois points successivement examinés dans le livre 1 : XVC
et XVle siècles, analyse des tentatives d'empiètement territorial : XVle au
XIXe siècle. <<présence espagnole » - mais quelle présence espagnole! XIXC
et XXc siècles.de nouveau tentatives d'empiètement territorial. Tellessont les
trois périodes historiques que nous nous efforcerons successivement d'examiner.

D'abord. le XVC et le XVICsiècle. L'analysedes elémentsapportés par le
livre 1nous amene a présenterdeux objections en ce qui concerne le contenu
de ce chapitre II qui prétenddémontrer l'existencede droits historiques sur le
territoire marocain. « la Barbarie», telle est l'expressionqui est utiliske ples
rédacteurs dulivre 1,et l'exercice d'actesde souveraineté.
L'analysede ces deux catégoriesjuridiques nous amene d'abord a poser une
première question : ou se situe la frontière du Maroc ? Le paragraphe 5 de la
page 236 (1) du livre 1que nous avons déjàcitéprécise :« La cordillère de
l'Atlas a toujours étéla frontière naturelle du Maroc ; sporadiquement, le
Maroc étendit son pouvoir jusqu'a la valléede la rivière Sous. >>Si l'on suit
attentivement la démonstration du mémoire espagnol,le Portugal, la Castilleet
l'Aragon revendiquent commepropre la Mauritanie tingitane au moment de la
reconquête chrétienne et cette revendication trouverait sa légitimitédans
l'existenceentre le Vcet le VIIle siecle d'un royaume hispano-goth qui inclut

précisément l'ancienne provinceromaine de la Mauritanie tingitane. Or, la
Mauritanie tingitane est l'actuel Maroc et, selon le mémoire espagnol lui-
même,le cap Juby en constitue la limite extrëme.
Alors, une question se pose :ou est, pour le Gouvernement espagnol, la
frontièredu Maroc ? L'Atlas, leSous, le Draa, le cap Juby, le cap Bojador ? La
réponse a la question semblevarier en fonction des nécessités du moment et, de
fait, il est intéressantde rechercher a quelle époque apparait, pour la première
fois,l'appelaux droits historiques de l'Espagne sur le territoire marocain.
L'historien français Frédericde la Chapelle nous l'apprend dans l'étude qu'il
consacre aux possessions espagnoles de la côte occidentale d'Afrique, Santa
Cruz de Mar Pequena, Ifni, publiéea Paris en 1935.
Le statut du Sahara occidental a donne lieu, au XVe siècle,a un premier
diffërend qui a opposé l'Espagne et le Portugal, a propos essentiellement
d'ailleurs de l'appropriation des îles Canaries. Frédéricde la Chapelle ecri:

« Le conflit ainsi engagéfut soumis au pape qui, selon les conceptions
politiques et philasophiqueç du Moyen Age, était fondé comme
représentantde Dieu sur la terre a disposer des territoires non occupéspar272 SAHARA OCCIDENTAL

des princes chrétiens. Les thèses en présence s'affrontèrent en 1435
devant le concile de Bâle. L'Espagne, a cette occasion, développa par la
bouche de I'évéqud ee Burgos une théoriejuridique dont elle ne paraît pas
avoir fait étatantérieurement. En qualitéde successeur universel des rois
goths les souverains de Castille prétendaient avoir héritéd'eux des droits
sur la Tingitane qui avait jadis fait partie du royaume goth. Les limites de
la Tingitane étaient assez imprécises pour qu'on put y englober une
grande partie de la côte d'Afrique et aussi les Canaries en raison de la

proximitéde la côte. Dans ce système, cesont doncdes droits théoriques
sur la c6te d'Afrique qui assure a ('Espagne la suzeraineté sur les
Canaries. »

Et, conclut Frédéricde la Chapelle :<(quelle que fût la valeur de la théorie,
les droits de la Castille furent reconnus ».
IIest plaisant de constater qu'en 1975le Gouvernement espagnol invoque
un précédent qui, précisément, reconnaît l'appartenance au Maroc des
provinces sahariennes.
Le Souverain portugais ne devait pas s'avouer battu a l'issue de cette
premièreépreuve et, pour assurer la reconnaissance des droits que le Portugal
s'étaitoctroyésau mêrnetitre que l'Espagnesur le territoire marocain, au nom
de la reconquête,il procède a l'occupation systématique des principaux ports
de la côte méditerranéenneet atlantique. Les deux Etats vont donc, dans un
premier temps, se trouver dans une situation d'affrontement consistant dans
l'opérationguerrière de reconquëte chrétienne.Puis, dans un deuxièmetemps,
les deux adversaires, Espagne et Portugal, vont tenter de s'entendre. Dans le

traitéde Tordesillas, du 7 juin 1494, le droit de conquête du Royaume du
Maroc est reconnu par l'Espagne au Portugal. L'Espagne, cependant, obtient
une compensation. Li frontière du Maroc est fixée a hauteur de la ville de
Massa, au sud du Sous. Ainsi, la limite sud du Maroc est désignée
arbitrairement par un traité entre I'Espagne et le Portugal. La partie
méridionale du Royaume se trouve détachéepour être iivrée a I'action
concurrente de l'Espagne et du Portugal.
Ainsi découvrons-nous l'origine historique de ce raisonnement essentiel du
Gouvernement espagnol. Quand les autoritésresponsables de ce pays pensent
pouvoir instaurer leur contrôle sur l'ensembledu Maroc, cepays s'étendleplus
loin possible au sud, au XV siècle,jusqu'au cap Juby. En revanche, quand le
Gouvernement espagnol doit se contenter d'une partie du littoral marocain en
raison de la concurrence européenne, portugaise au XV siècle,française au
XXe,la côte du cap d'Aguer au cap Blancest contrôléepar des pouvoirs locaux
indépendantsdu Sultan.
Cette premiére objection ,historique présentée,nous aimerions revenir sur
une deuxieme objection que suscite la lecture du chapitre IIdu livre 1et qui

concerne a la fois la valeur des droits historiques et la nature des actes de
souverainetéinvoquéps ar le Gouvernement espagnol.
Celui-ci prétend étabtir l'existence de droits historiques au profit de
l'Espagne par référencea des actes juridiques ou matériels qui relèvent d'une
époque que l'on pouvait penser appartenir a la préhistoire du droit
international. Le premier texte invoqué est la proclamation d'Isabelle la
Catholique du 19août 1475qui, selon le livre 1, <(réitère,fermement, ses droits
sur l'Afrique >au noni de Lareconquète chrétienne(1,p. 236, par. 3).On peut
évidemmentpenser ce que Ibn veut de l'actualitéde ce document. Le deuxieme
texte fourni est une donation papale, la bulle li~eSfabilisdu pape Alexandre Ier,
accordant aux Rois Catholiques l'investiture des royaumes d'Afrique. Le EXPOSE:ORAL DE M. ISOART 273

Gouvernement espagnol produit d'ailleurs le texte de cette bulle dans
l'appendice 11 à l'annexe 2 (1,p. 355-356). Le lecteur peut ainsi constater la
conformité de cette décision pontificaledu XV siècleaux principes du droit
international actuel:

<<leSiègeapostoliqueaccorde ...aux rois de Leon et de Castille. antérieurs
d'illustre mémoire et présents qui ont toujours entrepris de défaireles
nations barbares par leur puissance ..et de les réduirea la foi chrétienne,
le droit de conquérir l'Afrique et de la soumettre a leur autorité >>.
(Ibid p..355.)

Sans revenir sur l'opportunitéde soumettre des documents de cette nature,
le Gouvernement marocain tient toutefois a repondre a certaines prétentions
espagnoles.
Lesjuristes ont toujours refuséde reconnaître au pape le droit de partager
entre les Etatschrétiens lesterres habitéespar despopulations non chrétiennes.
Fauchille le note dans son Trait6 de droit i~~rerinr~icir~poulblic, tome II,
page 688 :

<<Des religieux contestèrent des le XVle sikle au Saint-Siège ledroit de
disposer des territoires lointains. Grotius dit même qu'enla matière il faut
faire abstraction des décisions de la Cour de Rome car le Pape n'estpas
seigneur du monde entier.
Telle est également l'opinion de Vattel au XVIIle siècle : les papes,
déclare-t-il n'ontnullemenr le droit d'attribution qu'ils se sont arrogé. »

Pour sa part, De Martens estime, dans son Prkis du droit des gc~sinodernr de
l'Europe (2' éd., 1801,par. 371,qu'une donation papale est parfaitement sans
valeur et qu'elle n'établitaucun droit sur un territoire.
En admettant mêmeque le pape ait pu valablement octroyer la souveraineté
sur les terres d'Afrique, l'analyse événementielle tenda prouver que seul le
Portugal pouvait alors revendiquer des droits historiques sur le littoral
marocain. Le 22 octobre 1443, l'infant Henri du Portugal reçoit en effet le
monopole de la navigation au-dela du cap Bojador et, le 25 février 1449, un
acte lui concède desdroits a percevoir sur les marchandises en provenance de
la régionsituéeentre le cap Cantin d'une part et le cap Bojador d'autre part. Le
roi d'Espagne tente de riposter a cette manŒuvre et il octroie, en 1449, au duc
de Medina Sidonia la côte qui s'étend entrele cap d'Aguer et le cap Bojador.
Le roi du Portugal s'adresse alors a la cour de Rome et, par une bulle du
8 janvier 1454, NiColas V déclare que lacôte marocaine depuis 1s cap de
Bojador et de Noun jusqu'a la Guinéeet au-delà appartient a lacouronne du
Portugal.
Après de multiples péripéties, qu'is lerait fastidieux d'exposer devant la

Cour, la reine de Castille accepte cette décision, par le traité de Sintra du
18 septembre 1509. La reine abandonne au profit du Portugal des droits qu'elle
prétend détenirdu territoire de Velez,sur la côte de Méditerranée jusqu'aucap
Bojador, sur l'Atlantique,sauf un petit territoire, sur lequel est installéeune
tour : le territoire de Santa Cruz de Mar Pequeiia. C'est d'ailleurs sur cette
disposition du traité de Sintra qu'a partir de 1860 l'Espagne devait s'appuyer
pour reprendre son expansion coloniale sur le territoire marocain.
Enfin le livre I trouve son dernier antécédent historique dans les
conséquences économiques de l'occupation par la Castille de l'archipel des
Canaries. On peut lire,a la page 236 11),paragraphe 4 :

<(L'immense richesse piscicoledu banc atlantique amènera les pêcheurs274 SAHARA OCCIDENTAL

espagnols de la phinsule Ibériqueet des Canaries a établirune présence
constante sur la cote voisine du Sahara a partir de l'oued Draa jusqu'au
cap Blanc. »

Nous reviendrons sur cette étrangeconception juridique qui voit dans le fait
de *ber dans la nier territoriale d'un Etat la naissance d'un acte de
souverainetésur le territoire. Pour l'instant. contentons-nous de prendre acte
de l'aveu du livre 1 confirmant la thèse développéedans le mémoire du
Gouvernement marocain, savoir que l'occupation du Sahara occidental est
bien la conséquence d'unlong processus d'atteinte a la souverainetémarocaine

qui remonte a la Reconquéte, et de confiscation de l'une de ses principales
richesses naturelles: lapëche.
Ces droits historiques ayant été analysése,fforçons-nous d'approfondir la
notion d'actedesouveraineté, dans la perspective utiliséepar les rédacteursdu
livre 1.
Sur ce point, le Gouvernement marocain ne conteste pas la matérialitede
certains faits. Simplement, il ne partage pas la qualification juridique donnée à
ces faits. II est exact que des sujets de Sa Majestéespagnole aient, au XVCet au
XVIcsiecle tente de s'emparer de terres marocaines. Le vrai problème est de
connaitre les conséquences juridiques que cette intervention a pu produire. Le
livre 1évoquequatre types d'<c action politique>),l'expression es1utiliséea la
page 237 : les déclarations unilatérales des rois de Castille, les tentatives
d'occupation, les expéditions guerrières et enfin des actes de nature
économique.
Essayons de reprendre les quatre actes de souveraineté ainsi évoquéspar le
livre 1.
D'abord les déclarations unilatérales desrois de Castille qui disposent de

territoires qui, manifestement. ne relèvent pasde leur souveraineté. Le Livre1
citea cet égardtrois textes :un brevet du 8juillet 1449par lequel le roi Jean II
accorde a son vassal don Juan de Guzman. duc de Medina Sidonia. toute la
côte de Barbarie entre les caps Aguer et Bojador. Puisensuite. une concession
du fils du précédent. Henri IV. qui octroie le mêmeterritoire, mais à deux
concessionnaires différents. Enfin. le brevet du mêmemonarque du 10 avril
1464 qui prend acte de l'arrangement intervenu entre les différents seigneurs
qui se sont trouvés attributaires des mêmesterres. .
Ces textes ne peuvent en aucune manière établir la souveraineté de
!'Espagnesur les terres mentionnéespuisque, selon le livre 1lui-même.ils n'ont
jusqu'en 1496jamais ed suivis d'application effectiveLe roi Henri IV ignorait
mémele don territorial effectue par son père, puisqu'il a donné les mêmes
terres a deux autres concessionnaires. L'accord intervenu en 1464 reconnais-
sant l'antérioritdu droit de don Juan de Guzman. son petit-fils, selon le livre 1,
n'en fera usage qu'en1496.Mais alors sur ce point l'argumentation espagnole

est prise en défaut.Le livre I aflirme, en effet. a la pag236 (11,paragraphe 5,
que :<<Le territoire...du cap d'Aguer au cap Blanc, n'ajamais étésoumis ...
[au] Sultan...)>et qu'en conséquencela souveraineté de l'Espagne s'établitsur
une terre situéeen dehors de la souverainetémarocaine. De fait, à la page 237.
paragraphe 7, le même document précise les conditions de la prise de
<(possession, en 1496,d'un vaste territoire ..entre tecap d'Aguer et Messa ...)).
Or, six pages plus loin. a la page 243. paragraphe 23, Lelecteur apprend, non
sans surprise que l'autoritédu Sultan s'étendait jusqu'a <<la valléedu ..fleuve
Messa ..n.C'est donc bien sur un territoire marocain. et non pas sur un
territoire sans maitre que les Espagnols tentent de s'installer, d'ailleurs sans
succès. La prise de possession décritea lapage 237 relevant de la légende EXPOSÉ ORAL DE M. ISOART 275

plus que de l'histoire, car aucun historien ne fait mention d'une installation
espagnole sur la côte marocaine à Messa, a la fin du XVe siècle.
Voila, en ce qui concerne le premier acte de souveraineté. Le livre I prétend
déceler l'existenced'un autre acte de souveraineté espagnole sur le territoire
marocain, en 1499.Si l'onen croit le livre 1,a cette date, lescheiks du royaume
de la Butata se seraient soumis a l'Espagne. Le Gouvernement marocain tient a
cornpieter le document espagnol en apportant quelques précisions historiques.
D'abord le <<royaume ))de la Butata, une fois de plus, se situait sur une terre

marocaine, puisque ce « royaume )>de la Butata était en réalitésituédans le
Noun. Assez curieusement, l'acte rédigé par le notaire Gonzalo de Burgos est
publié pour la première fois dans le Bulletin de la Sociétéde géogruphiede
Madrid. en 1880, c'est-à-dire précisémentau moment ou les discussions sur
SantaCruz de Mar Pequeiia et sur la localisation de cette tour, à Ifni,atteignent
en Espagne le maximum d'intensité.Cette publication permettait aux partisans
de la colonisation du Maroc d'orchestrer une campagne politique d'ititerven-
tion et, selon le témoignagede Frédéricde la Chapelle, de se faire <<de grandes
illusions sur l'étendue et la solidité de l'influence espagnole sur la cote
d'Afrique, au XV et au XVIesiecle )>(ouvrage cité,p. 46).

Selon le livre 1,la soumission des cheiks d'un groupe important de tribus qui
peuplaient le <<royaume >) de la Butata s'est effectuée enprésence d'un
gouverneur, le gouverneur Lope Sanchez de Valenquela et ce fut Ic notaire
Gonzalo de Burgos qui prit acte de cet événementsi important. Ce passage
suscite au moins deux remarques. La première remarque est qu'il n'estpas
exact d'écrireque cette soumission eut lieu en présencedu gouverneur de la
Grande Canarie. IIsuffit de se reporter a l'annexe 2,appendice 20 (1,pp. 376-
382),pour relever une erreur de rédaction :seul a étéconsigné,en présence du
gouverneur de la Grande Canarie, le serment de vassalitédu seigneur de laville
deTagaost, qui est actuellement la ville deKsabi de l'ouedNoun. Tous les autres
pretendus serments sont consignés par le seul notaire sans la présence du

gouverneur et il n'est pas sans intéret de savoir que le notaire Gonzalo de
Burgos étaitun spécialistedu faux en écritures.En effeteti.l devait disparaître
dans un naufrage lors deson transfert en Espagne, ou précisémentildevait étre
jugé par un tribunal d'inquisition.
Comme l'écriventles rédacteurs du livre1,Alonso de Lugo fut bien désigné
<<capitaine et gouverneur desterritoires de ladite Berberie qui s'étendent ducap
d'Aguer au cap Bojador »(1,p. 240, par. 14).En revanche, ilne pourra jamais
mettre a exécution les directives contenues dans la convention passée à
Grenade, le 2octobre 1499. Les historiens français de la Chapelle et de Cénival
nous en donnent ainsi la raison : i<lorsqu'il essaya de substituer a une

suzerainetéthéorique une occupation effective, il trouva toute une population
levéecontre lui, cela devait arriver l'année suivante ))(ouvrage cité,p. 40).
Or, des le XVF siècle,le droit des gens a dénietoute valeur à la prise de
possession fictive d'un territoire. Les anciens théoriciens exigent tous, d'un
commun accord, une prise de possession réelle et effective.
Dans son contre-mémoire déposédevant la Cour permanente de Justice
internationale a l'occasion de l'affaire du Statlrrj~~ridiq~iedlr Groët~laiid
arietr~al,le Gouvernement norvégienfaisant référenceau XVIesiecle déclare :

<<IIne suffit pas, d'aprésles théories unanimes de l'époqueindiquée,
qu'un Etat ait l'intention de soumettre un territoire, quand cette intention
eût trouvé une expression nette sur le papier ou par d'autres signes

extérieurs... C'est seulement quand le territoire a été prisen possession
effective, quand 1'Etat intéresséa montré par des faits son intention276 SAHARA OCCIDENTAL

sincère de soumettre le territoire, que I'on a voulu reconnaitre sa
souveraineté. »(P. 380 et 381 .)

Dés le XVlesiècle,une telle occupation effectivepar l'Espagne sur une terre
marocaine est rendue impossible par la résistance du Souverain. ce que
confirme d'ailleurs ladestruction du seul établissementayant eu une retative
permanence :la tour de Santa Cruz de Mar Pequeiia. L'établissementde cette
tour de Santa Cruz est lie à un troisieme acte de souveraineté invoque par le
livre 1,a savoir lese~rfradus,ou « expéditions» guerrières.
Le paragraphe 23 de la page 242 (1)du livre 1relèveen emet l'existencede
nombreuses expéditions.IIs'agit d'actesde souverainetéd'un genre particulier,
puisqu'il s'agit, en fait.de razzias ektuées sur la côte marocaine voisine des
iles Canaries. t'objet de ces razzias est de maintenir l'activitééconomique des
iles Canaries fondéesur le systèmeesclavagiste. Lesesclaves marocains étaient

employés sur les plantations de canne a sucre qui constituaient la richesse
esseniielle de l'archipel des Canaries.
Et l'appendice 37 i l'annexe 2. du livre 11,page 402 (11, apporte une
remarquable illustration de cette situation.
Le roi Philippe II regrette, en 1603, l'époqueOU

(<I'on avait coutume dàller de ladite ile en territoire arabe de Berberie,
pour y faire des incursions et procéder a des rachats, afin d'amener des
esclaves servant A travailler dans les sucreries. les vignes et les terres à
céréales, eqtu'on en tirait grand profit car on ramenait de grande quantité
d'esclaves a des prix modérés, d'ou resultait pour moi un grand
accroissement de revenus ...>t

Un point de la côte marocaine, Puerto Cansado ou Santa Cruz de Mar
Pequena, constituait le principal point de débarquement par lequel les
Canariens avaient accés a la ciite d'Afrique. C'est donc en ce point,
ofiiciellemeni concédé,le 6 avril 1468, par Henri IV au seigneur des Canaries
Diego de Herrera, que devait s'élever unfortin par intermittence de 1478
jusqu'i 1527.

Attaqué a plusieurs reprises par les Marocains, ce point de la côte est
conservépar l'Espagne. lors du traitéde Sintra que nous avons précédemment
cité, maisils'agitbien d'une occupation ponctuelle. comme leconfirme letexte
rnéme du traitéqui vise la tour de Santa Cruz. Cette tour ne peut êtreaccessible
que par un droit de passage vertical, puisque le texte du traité précise :i<les
sujets et naturels des royaumes de Castille,de Leon el de Grenade ne pourront
y avoiracces que par le droit chemin et non pas le long de la côte, d'un côtéou
de l'autreD.C'estdonc dire l'exiguïtéde l'occupation territoriale decettetour de
Santa Cruz de Mar Pequena.
L'Espagne d'ailleurs ne devait pas profiter très longtemps de ce succès
diptomatique, obtenu au détrimentdu Portugal, puisque finalement, au début
de 1527, les partisans de la nouvelle dynastie saadienne qui s'est constituée
dans le sud du Maroc détruisent l'implantation territoriale espagnole.
L'économiedes ÎlesCanaries devait alors connaitre une périodede crise qui

justifie l'autorisation royale qui est accordée le 27 janvier 1579 et que le
Livre 1 releve comme étant un nouveau lien entre la présence espagnole
et le territoire sur lequel, selon la thèse espagnole. ne s'exercerait aucune
souveraineté.
En réalité, si leroi d'Espagne autorise la reprise de ces c~i~ladus,c'est en
raison non pas de l'absencede pouvoir du Sultan sur ces zones méridionales du EXPOSE ORAL DE M. lSOART 277

Maroc, mais pour des raisons beaucoup moins nobles qui sont d'ailleurs
exposées, a la page 420 (1)du livre II (appendice 52 à l'annexe 2) :

« àles faire [cesexpéditions guerrières]iln'en résulteraitpas de dommage
pour eux [pour ceux qui les feraient], mais au contraire un grand bénéfice,
car les Noirs et les Arabes qui habitent sur cette cote sont gens désarméset
non aguerris, qui viennent d'ordinaire sur la côte ...avec leurs troupeaux
qui teur fournissent le lait, seul aliment dont ils vivent, et parce que la
Berbérie estsi proche de ladite île que ses habitants ne possèdent pas de
bateaux, n'en ont jamais possédéet n'y entendent rien, on peut y aller en
grande sécurité,sauter a terre et les capturer, sans qu'ils aient aucun
moyen de se défendre ...

Voila donc un bien étrange acte de souveraineté que celui qui consiste a
s'emparer et à déplacerdes populations marocaines en profitant de leur état
pacifique.

La dernière catégorie d'actede souveraineté évoquépar le livre 1relèvede
l'activitééconomique. II s'agit en effetde deux sériesde brevets :un brevet du
25 aolit f497, par fequel les Rois Catholiques octroient l'extraction et la vente
de l'orseilla des Espagnols, toute une sériede brevets assurant la location des
droits de pèche sur le littoral marocain. De tels actes ne peuvent pas ètre
considéréscomme des actes de souveraineté ; ilss'apparentent davantage aune
confiscation des richesses naturelles de la Berbériearabe.
En résumé,les actes de souveraineté de l'Espagne se ramènent a quelques
grands types d'activités :l'exploitation unilatérale de richesses naturelles,-des
brevets de concessions territoriales qui ne sont suivis d'aucune effectivité,des
opérations visant à la capture d'esclaves pour permettre le développement
économiquedes îles Canaries.
Si,même aucours de cette périodedu XVeet du XVICsiècle, lasouveraineté
espagnole n'ajamais étéeffective, c'estprécisémenten raison de I'effectivitéde

la souveraineténiarocaine. Comme en témoignentles historiens espagnols eux-
mêmes a destruction de la tour de Santa Cruz estun acte qui doit s'apprécier
dans un ensemblede faits historiques, dans un prolongement d'action :la lutte
du peupLemarocain sous la direction des chérifssaadiens contre la présence
étrangèresur la totalité du territoire marocain. Les opérations guerrières qui
ont pour but d'aller razzier les populations cesseront lorsque, sous la direction
des autorités marocaines, le peuple marocain sera a mêmede porter également
des coups sur la terre des îles Canaries. Et alors, les Morisques, c'est-à-direles
descendants des esclaves déportés, apporteront leur aide aux troupes
marocaines, comme en témoigne l'historien espagnol Cazorla, ils ne sont
bons qu'aguider et a conseiller lespiratesà leur découvrirles richesses cachées
et a exciter le chérifpour qu'il envoie sa flotte ravager les îles ». Sur la cote
marocaine même, la résistanceest organisée a partir d'un centre important,
Tagaost, l'actuel Ksabi de l'oued Noun.
L'historien français Ricard, dans l'étudeprécitéeL , es Espagi~ulssur lu ci>tr
d'Afriqlreau XVe el ou XVIC .siicle (deuxième partie), rédigéeapres consul-
tation de documents espagnols aux iles Canaries, relèvela présencei Tagaost.

au XV et au débutdu XVIFsiècle,d'un caïd et d'un cadinommés par lechérif
saadien. Cette résistanceest eficace puisque apres la destruction de la tour de
Santa Cruz, en 1527, il n'y a plus de présenceemectiveespagnole sur la terre
marocaine jusqu'a la fin du XtXesiècle.
Aussi le Gouvernement marocain ne peut que constater que lepanigraphe 1
du chapitre V (1,p. 286) ainsi rédigén'aaucune valeur historique :278 SAHARA OCCIDENTAL

« Comme au cours dëpoques précédentes,la présence espagnolesur le
littoral nord-africain qui, comprenant la zone de transition du Sous et du
Noun, s'étendaitsur le Draa et le Sahara occidental ...devait continuer a
être,pendant le XIXCsiecle, une constante historique. >>
Le Gouvernement espagnol tente donc par cette formule de faire croire a
Iéxistence d'une autorité continue, permanente et effective, espagnole sur le

territoire marocain. alors que précisément la résistance marocaine a
interrompu cette présence épisodiqueet ponctuelle et que, au contraire, cette
résistancemarocaine a établi h présencepermanente, effective et continue du
souverain du Maroc sur cette région.
Cette constatation effectuée,posons une question :quelle présence espagnole
peut-on relever a partir du XVle siecle et jusqu'à la fin du XIXc siecle sur
les chtes marocaines du Sahara ?On découvrealorsaux pages 286 et 287 du
livre 1un nouvel acte de souverainetéaussi curieux que ceux évoqués pourle
XVCet le XVle siecle :la prise d'appâts. les opérationsde salaison, le fait pour
un voilier de chercher refuge dans une baie pour se mettre a l'abri du vent

constitueraient des témoignages de la présencejuridique espagnole au Sahara
occidental.
Etrange théorie qui consiste a revendiquer des droits territoriaux par
l'exercicede droits de pêchea proximité dulittoral ! Tel est le deuxième point
que nous aimerions examiner pour préciser l'importance de la présence
juridique espagnole sur le Sahara occidental du XVICau XIXcsiecle.
IIest vrai qu'au Moyen Age - et Gidel le rappelle dans son ouvrage sur le
droit international public de la mer - la libertéde la pèche estquasi absolue.
En règlegénéralel.a pêcheest libre dans les eaux adjacentes d'un Etat. Mais la
libertéde la pêchedes étrangers dans la mer territoriale d'un Etat peut ètre
valablement restreinte par lesouverain. Assezcurieusement d'ailleurs. la pêche
dans leseaux territoriales du Sud marocain, dans la perspective évoquéetout a
l'heure des donations papales, a étéorganiséeet réglementée. non paspar le
Souverain marocain, mais par lessouverains du Portugal et de l'Espagne. Cela.

jusqu'au moment oh les sultans saadiens ont mis un terme acette situation.
Garcia Figueras, historien espagnol, écritdans son ouvrage sur Santa Cruz
de Mar Pequerïa :
<Après que le chérif saadien se soit empare d'Agadir et qu'il ait
augmenté son pouvoir et son prestige dans les territoires marocains du
sud, il imposa des conditions aux pécheurs : chaque chaloupe devait
payer au chérifun ducat en échangeduquel il lui donnait un sauf-conduit
pour aller et venir en sécurité.débarqueret s'approvisionner en eau et en
bois. » (P.4 1.)

A partir de 1530, les sultans du Maroc interdisent toute sorte de pêche a
proximité des côtes. Les pêcheursespagnols se heurtent alors aux pècheurs
marocains du Sous :aussi, prennent-ils l'habitude d'aller pêcher plusau sud.
sans autorisation du Souverain marocain.
Les Itisrr~tcria~is~ioiitiqirt~sfiu~içuisc~ssles ccifesoccideiiiuleï d'AJriqttc~
deptris Ir cap Sparlel jtisqtr'ati cap Bt!jodoi* - et les instructions françaises
précisent :côtes du Maroc - en portent témoignage :

((La pèche que font .les habitants des Canaries commence au cap
Noun ;lespêcheursse hasardent rarement a aller plus au nord, quoique le
poisson y soit égalementabondant. mais ils redoutent les Maures de cette
partie de la côte qui possèdent des bateaux. Depuis le cap Noun jusqu'au
banc d'Arguin, qui est la limite méridionalede la pkhe. les habitants du
désertn'ont pas un seul bateau. >(P. 261 .) EXPOSE ORAL DE M. ISOART 279

Ainsi s'explique la présencede pêcheurs espagnolssur les côtes sahariennes
du Maroc à partir du XVIeet jiisqu'auXIXe siècle.
Mais, au XIXe siècle,commence une autre phase des relations existant entre
l'Espagne, d'une part, et la partie méridionale de I'Empire'du Maroc d'autre
part.
Par letraitéde Tétouandu 26 avril 1860, leSouverain marocain <<s'engagea

concéder a perpétuitéa Sa MajestéCatholique sur la côte de t'océan,prèsde
Santa Cruz la Pequeiïa, le territoire suffisant pour la formation d'un
établissementde pêcheriescomme celui que l'Espagne y possédait autrefois».
Le retour politique de l'Espagne sur le territoire marocain va donc s'effectuer
dans la perspective évoquée précédemment :il s'agit d'établirune pêcheriesur
le territoire de la ciite méridionaledu Maroc.
Nous ne reviendrons pas sur les développementsconsacrésa ce sujet dans le
mémoiremarocain. Nous voulons simplement préciserl'importance historique
de cet engagement pris par le sultan du Maroc, a l'égardde l'Espagne, au
lendemain d'unedéfaitemilitaire. Ilest a l'originedes débatsactuels car c'estlui
qui va provoquer la création d'un nouvel établissement espagnolsur la côte
marocaine du Sahara. Cette créationest due d'abord a l'apparition de sociétés
commerciales qui vont se constituer sur le territoire espagnol pour faire
pression sur leur gouvernement afin qu'il puisse obtenir satisfaction en ce qui
concerne l'application du traitéde Tétouan.
Mais, en raison du refus systématique du Sultan de localiser Santa Cruz sur
la côte marocaine, les sociétéscommerciales seront amenées aexiger de leur
gouvernement un acte de prise de possession unilatéralesans accord préalable
avec le Sultan, conformément a ce qui normalement aurait dû être en
application du traitéde Tétouan.
A partir de la fin du XIXC siècle, la politique espagnole change alors de
signification et de portée juridique. On se trouve en présence d'un certain
nombre de textesqui sont fournis par lelivre 1et par lesappendicesaux annexes.
Une ,première catégorie ne constitue nullement des traités de cession de
territoire, mais des accords qui sont passes entre particuliers. D'ailleurs,

l'empriseterritoriale, méme unilatérale,n'apas étéfacile en raison de l'hostilité
des autochtones. Les Espagnols le reconnaissent eux-mêmes puisque, dans le
livre1,on lita la page 287 (1)qu'il s'agit de factoreries flottantes ou bien de
pontons amarrés a proximité de la cote ; en d'autres termes, la tentative
d'empiètement territorial de l'Espagne sur la côte marocaine présente un
certain nombre de difficultéspuisque dans un premier temps on ne peut pas
atterrir, on est obligéde rester sur la mer.
Les premiers textesjuridiques vont donc essayer d'assurer la présencesur le
territoire rnème du Sahara occidental. Ces textes ne contiennent aucun
abandon de souveraineté, pas plus qu'une référence a une soumission
quelconque a une autoritépolitique espagnole.
Deux textes sont invoquésà l'appui de cette présence juridique espagnolea
la findu XIXC siécle.
Le premier accord invoqué est celui passé en 1881entre la Sociétédes
pêcheriescanario-africaines et trois membres de la tribu des Ouled Delim. Le
Gouvernement espagnol ne le produit pas, dans les documents fournis, dans
son texte authentique, mais il semble d'après les historiens espagnols qu'il
s'agisse d'unsimple transfertdepropriété deterrains situesa l'extrémitd'une
péninsule,la presqu'île de Dakhla (Rio de Oro).
Cet acte passédevant notaire, selon les historiens espagnols, dans une ile des
Canaries, donc en dehors du territoire marocain, n'ajamais connu le moindre
commencement d'exécution.280 SAHARA OCCIDENTAL

Après avoir racheté les droits, définis par cet accord, une nouvelle
compagnie mercantile hispano-africaine fixe le 14 février1884 un ponton en
face du Rio de Oro. Devant l'hostilitédes populations le ponton est retiré. Le
3 novembre 1884, nouvelle tentative :un agent espagnol, Bonelli, installe un

ponton en face de la presqu'île de Rio de Oro et une baraque sur trois points de
la côte, Rio de Oro, baie de Sintra et cap Blanc. Les deux dernières sont
immédiatement détruites puisqu'elles ne disposent pas de l'appui du ponton
établi facea Rio de Oro.
Le 28 novembre 1884,un accord est passéentre le mème Bonelli et les
membres de la tribu marocaine des Ouled Bou Sba. Ce texte est fourni par
l'appendice 1 a l'annexe 16 (II. p. 89) dans une traduction française du
document original espagnol datéen grégorien. L'authenticité de ce document a
pu êtrecontestéepar cerrains historiens. De toute maniere ce texte intéressela
cession d'un terrain a Uadibee qui est situe en dehors du territoire actuel du
Sahara occidental et ce texte. en fait, n'assure à Bonelli que l'installation sur
une portion de territoire afin de lui permettre «de commercer. de vendre et
d'acheter H.
Le livre 1croit pourtant conclure de l'analyse de ces textes que la.présence
espagnole a été «réaffirmée ertenforcée parles nouveaux établissementset par
les accords souscrits avec les pouvoirs locaux, dans lesquels on exprime la
libre volonté des tribus sahariennes de se soumettre a l'autoritéespagnole >)
(1,p. 151.par. 6).
Hest permis de se demander dans quel texte une telle libre volonté a pu se

manifester. C'est en tout cas, en se fondant sur ces documents, que par
ordonnance du 26 décembre 1884le protectorat espagnol est établisur les
territoires situes entre le cap Blanetle cap Bojador.
Le 31janvier 1885,en application de cette déclarationde protectorat, Bonelli
commence la construction d'un bâtiment en dur a Rio de Oro.
La <(volontéde se soumettre » des populations est si intense que le 9 mars
1885 la première attaque marocaine conduit a la destruction totale de 1:édifice.
Le Gouvernement de Madrid proteste auprès du sultan du Maroc. il Lui
demande par une note diplomatique réparation desdommages et chitirnent des
auteurs. Le fait est relevépar l'historien espagnol Espinosa dans son livre
L'Espugric criAfriqlre. éditéen 1903 (p. 123). Cette note diplomatique de
protestation reconnaît ainsi la souveraineté marocaine au moins sur la
presqu'ile de Dakhla.
Bonelli revient le 8juin 1885accompagnédesoldats espagnols pour assurer
ta protection de la factorerie. Cette date marque en fait le début d'une
occupation ponctuelle militaire étrangèreau Sahara occidental, mais il s'agit
d'un point qui sera coiistarnment attaquéjusqu'en 1895.
Une deuxième categorie de textes est fournie par les documents espagnols.
Ces documents contiennent effectivement des dispositions d'ordre politique.

Le premier document est l'actepassé le 10mars 1886 devant un notaire de
l'île de Lanzarote dans I'ile des Canaries par l'Espagnol Alvarez Pérez et
Mohammed Ben Ali. [)'aprèsce texte, testribus situéesde l'oued Draa jusqu'i
la Sakiet El Hamra se placent sous la protection de la Sociétéespagnole de
géographie commerciale. Ladite société.toujours d'après ce texte, pourra
établirsur la côte et a l'intérieur ducontinent lout port, maison, magasin et
culture que bon lui semblera, moyennant le paiement de soixante-quinze
pesetas par mois. Ce document n'est manifestement pas très sérieux.Alvarez
Pérezétait consul a Mogador et il caressait, comme un certain nombre de ses
coflégues,l'espoirde séparerle Sud marocain pour mieux contrôler au nom de
certains intérêtsle commerce transsaharien. Le document du 10 mars 1886 EXPOSÉ ORAL DE M. ISOART 281

s'inscrit dans cette perspective. Après avoir vainement tentéde comploter avec
l'un des cheiks, Beyrouk, et aprésavoir été de ce fait rappelé enEspagne sur la
demande du Sultan, Alvarez Pérez avait amené avec lui aux Canaries
Mohammed Ben Ali, un jeune homme de dix-sept ans, selon I'historien
espagnol Alcala Galiano hntu Crzrz de Mar Pequeïia, Pesquerias y Cornercio.
Madrid, 1900, p. 190). C'est ce Mohammed Ben Ali qui aurait transféré la
souverainetésur les tribus de l'oued Draa et de la Sakiet El Hamra.
Mêmesi I'onaccepte de se placer dans la thèsedéveloppéedans le livre 1,
mêmesi I'onaccepte le principe des pouvoirs indépendants, un enfant de dix-
sept ansne pouvait pas engager valablement ce que le livre I lui-même appelle
la djemaa, c'est-à-dire l'organe de décisionde la tribu.
Or, le'texte signe par Alvarez Pérezprécisebien que ce jeune Mohammed
Ben Ali n'est habilitépar personne. Et l'historienespagnol AlcalaGaliano, dans
son ouvrage, a la page 191,précise :

Des que le Sultan a eu connaissancede cette tentative, ia envoyédes
troupes a oued Noun et,le 18 mai 1886, le ministre marocain des affaires
étrangères a fait adresser, par l'intermédiaire de son représentant a
Tanger, une note circulaire de protestation, a toutes les puissances
représentéesà Tanger. ))

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement espagnol n'a jamais accepté
d'oficialiser ce document et de placer la région considérée sous son
protectorat. Le deuxième acte qui est censéavoir une portéepolitique est daté
du 12juillet I88G, acte selon lequel un accord est souscrit avec les chefs des

tribus des territoires compris entre la côte depuis lecap Bojador au cap Blancet
la limite occidentale de l'Adrar.
La validitéde cet accord est tout aussi contestable que celledu précéden. et
acte affirme, mais de manière unilatérale, que les territoires précités
appartiennent à l'Espagne. Et cet acte rend compte de l'envoi de couleurs'en
présencede chefs qui sont cites dans I'acteen question. Le texte est signé par
des Espagnols, les trois membres de la mission exploratoire. Mais, au nom des
chefs citésdans I'acte,ce texte est signépar un Marocain, Abdel Kader Akhdar,
qui en réalitéétaitle guide que les Espagnols avaient recruté dans le Rif pour
les conduire a travers le Sahara occidental.
Le deuxième texte, qui est,produit également parle livre I et daté duméme
jour, intéresse l'émiradt e l'Adrar etne concerne pas le <<Sahara occidental »
actuel.
Pour mieux apprécierla portéede la soumission des chefs nommésdans ce
qui n'est finalement qu'un procès-verbal unilatéral, il sufit de se reporter

encore a l'ouvragede Galiano ;aux pages 182et 183, cet auteur signale que la
mission espagnole, ayant été attaquée,n'adû son salut qu'a la fuite,aprèsavoir
perdu ses bagages.
Une lettre du 24 décembre 1886, adresséepar le sultan Moulay Hassan a
Dahman Ben Beyrouk, nous fournit l'explicationde cette attaque de la mission
espagnole :

« Est arrivée ta lettre dont il ressort que, d'une part, les chrétiens
apparus a Dakhla se sont séparésdans de mauvaises conditions avec
Ahmed Ben Aïda, àtel point qu'aucun musulman ne les a contactéset n'a
commerce avec eux, et que d'autre part lorsqu'il t'en a avisé tut'es rendu
dans la régionde Tarfaya et tu as lancécontreeux une cavalerie qui leur a
pille quelques chameaux el lesa dispersésdans tous les sens. Tu t'es attelé
à la tâche avec fermetéet résolutionet tu as empruntéla voie la meilleure282 SAHARA OCCIDENTAL

et la plus solide dans ton attachement et ta fidélitéa D,ux musulmans
et aux dirigeants.>>

Cedocument dkmoiitre que, contrairement al'affirmation contenue dans le
livre 1a la page 291 (1).paragraphe 13.l'émirde l'Adrar étaitbien connu du
Sultan. Pour apprécier la valeur et l'effetjuridique produit par ces textes. il
suffit de rappeler la sentence rendue paS.M. le roi d'Italiele 9 février1931,à
propos de l'îlede Clipperton. L'arbitre rappelle que l'occupation ne peut être
considéréecomme régulière et effectiveque lorsque I'Etatoccupant établitsur
le territoire mémeune organisation capable de faire respecter ses droits.
L'Espagne n'y parviendra pas au Sahara occidental avant le début du
XXt siècle. Ces manŒuvres espagnoles, qui se développaient ainsi dans la
partie méridionale de son Empire. inquiétaient des 1860 le sultan du Maroc.
Les menaces se précisèrentsurtout a la fin du XIXCsiècle, avec la multi-
plication des entreprises européennes, anglaise de Mackenzie, d'une part, fran-
çaises, d'autre part, partir du Sénégal.
Comme le démontre le Gouvernement marocain dans son mémoire écrit,

une menace pèsesur la partie méridionalede l'Empire chérifien.Le sultan du
Maroc va donc l'organiser, pour le mettre en étatde défense.
ie Sahara occidental joue alors un rôle décisifdans l'élaboration de la
statégiedéfensive duSouverain marocain. Les liens juridiques entre le Maroc
et le Sahara occidental n'ont jamais étéaussi forts et aussi nombreux qu'au
t(moment de la colonisation espagnole ». Renforcée par une possession
immémoriale, renforcke également par l'action de Moulay Hassan, jamais la
souverainetémarocaine sur cette régionn'a été aussi incontestable.
Tel est le deuxième point que nous aimerions maintenant aborder :
l'organisation du sud du Maroc au moment de la colonisation espagnole ».
Le chapitre 4 du livre I étudie l'un des épisodes les plus importants et
probablement les plus controversés de l'histoire contemporaine du Sahara
occidental. Ce chapitre évoque le rôle d'une famille prestigieuse, la famillede
Ma el Aïnin (1, p.277-2831.
Nous aimerions d'ahord exposer, en ce qui concerne le rôle de cette famille,
la thèsetelle qu'elleapparait dans le livre 1.Ma el Aïnin va éta-lietje cite le
livre 1- t(un pouvoir indépendant dans le Sahara ».Ce pouvoir indépendant
se voit dotéd'un siège, Smara. Smara devient « le grand centre politique du
monde saharien >>.
Pouvoir indépendant dans le Sahara, donc ne dépendant de personne, donc
ne dépendant pas du Gouvernement espagnol. Le livre 1est alors en pleine
contradiction. Car, ou bien les populations du Sahara occidental ont manifesté
leur volontéde se soumettre à la protection de ['Espagne, ou bien elles sont
indépendantes.

Ainsi apparaît danstoute sa clartéle caractère purement fictifdes prétendus
traitésde soumission de 1884et de 1886, car en dépitd'une lecture attentive, il
est impossible de trouver dans les documents espagnols la moindre trace d'un
traité plaçant ce pouvoir saharien de Ma el Ainin sous la protection de
l'Espagne.
En revanche, la population espagnole du Rio de Oro, seul point occupéetau
bout d'un appendice territorial accrocha la côte africaine, paie depuis 1885un
tribut aux hommes de Ma el Aïnin.
Le pouvoir saharien est donc bien indépendant, mais alors indépendant de
l'Espagne. L'est-ilaussi du sultan du Maroc, comme l'affirme le livre 1?
Sur ce point, les rédacteurs en sont moins sûrs. Nous sommes même
convaincus, nous, du contraire. A la page 279 (11,paragraphe 15,le livre 1 EXPOSE ORAL DE M. ISOART 283

écrit: « C'est pourquoi l'annéesuivante Ma el Aïnin commença a diffuser le
désirdu sultan du Maroc que les tribus achèvent leurs querelles iriternes et
s'unissent pour empécherl'avance française. )>

Ma el Aïnin serait-il alors agent du Sultan ? Mieux, car page 280,
paragraphe 16,toujours du mêmelivre 1,on dit :que le fils de Ma el Aïnin,
cheik Wassana, adresse une lettre au rival de son pére,cheik Sidia, pour « lui
conseiller de se soumettre au Sultan ».
Que conclure sinon logiquement que toute la famille de Ma el Aïnin était,
elle, soumise au Sultan et que, par conséquent, la souveraineté marocaine
s'étendaitaussi sur le territoire que contrôlait la famille de Ma el Aïnin au nom
du sultan du Maroc.
De 1896 a 1912, la partie nord-occidentale de l'Afrique, depuis le détroitde
Gibraltar jusqu'au cap Blanc et a l'Adrar, devient le champ d'affrontement de
deux grands desseins :le dessein français, visant a constituer un bloc africain
homogène, ce dessein que le livre 1baptise «colonialiste » et cette expression,
dans le nombre considérable de volumes fournis par le Gouvernement
espagnol, n'est utiliséequ'une seule fois, pour précisément qualifierle dessein

politique français, qui peut-être avaitun aspect colonialiste, mais avait aussi sa
part de générosité, elte dessein national du Sultan, tendant a résisterau projet
français, en mobilisant toutes les ressources humaines de 1'Etatmarocain. Rien
n'ad'existence réelleentre ces deux forces qui vont s'affrontela souveraineté
espagnole est théorique,elleexiste, mais elle est théorique,le pouvoir saharien
indépendant de Ma el Aïnin n'est qu'une vue de l'esprit, comme l'écritAnge1
Flores Torres Moralez, dans son livre Le Sahura espugtiol paru a hfadrid en
1946 (p. 121) : « Ma el Aïnin est, depuis Moulay Hassan, représentant du
Sultan dans le désert.>>La documentation jointe au mémoire marocain et les
nouveaux documents remis a la Cour comme annexes 149 a 163 [IIIp. 445-
46 1)le démontrent abondamment.
Nous voudrions cependant, pour répondrea certains arguments du livre 1,
revenir sur deux points essentiels de cette période historique,en raison de leur
importance dans la perspective des questions qui ont étéposées a la Cour.
Nous voudrions d'abord revenir de 1900 a 1912 sur le contenu réelde la
souveraineté espagnole sur le Sahara occidental. Nous voudrions ensuite

terminer sur une analyse de la thèse du <<pouvoir saharien indépendant >>.
Il est important de préciser le contenu de la souveraineté espagnole en se
plaçant de deux points de vue juridiques différents.Le point de vue juridique
européenet la situation de l'Espagne résultent des accords secrets négociésde
1900 a 1904. Dans cette perspective, la présence juridique espagnole est bien
établie, mais dans les relations entre le Gouvernement français et le
Gouvernement espagnol. A l'époqueconsidérée,il n'existeaucune occupation
réelledu territoire de la zone d'influence et du Rio de Oro a l'exception d'un
point côtier. Les populations et les autorités marocaines, comme le prouvent
lesdocuments se déplacentlibrement car ce découpage n'existeque sur la carte.
Il n'existe au fond qu'une seule conséquence réelle, l'arméefrançaise,
engageant 1'Etatfrançais, ne doit pas dépasser, conformément aux engage-
ments internationaux, une ligne de délimitation,qui est fictive sur le terrain,
mais qui a une valeur juridique pour lesGouvernements de Madrid et de Paris.

Le Sahara, dit espagnol, devient ainsi une zone refuge pour les adversaires
de la pénétration françaiseoh ils peuvent se déplacer en toute tranquillité
puisqu'ils en sont les maîtres effectifs.
La deuxième situation est marocaine. Le Sultan et son gouvernement
ignorent les délimitations tracées par les Etats européens. Pour eux,
l'établissementespagnol au Rio de Oro est un comptoir commercial sans284 SAHARA OCCIDENTAL

aucune influence politique sur I'liiri~erlarL.e territoire du Sahara occidental
est pour le Sultan el pour son gouvernement un territoire marocain. Ce fait
immémorial est a l'époque.internationalement reconnu par des puissances
intéresséesau maintien du stottr quo marocain depuis l'accord du 13 mars

1895 entre le Maroc et l'Angleterre.
Aux termes de ce traité international, le Gouvernement anglais reconnaît
formellement la souveraineté marocaine sur toutes les terres situéesentre le
Draa et le cap Bojador et son I~interlund.
Le Gouvernement espagnol connaît d'autant mieux le contenu de cet accord
qu'ila, tout au long de la négociationavec la Grande-Bretagne, appuyéla thèse
marocaine. En outre, par un protocole signé à Marrakech le 20 juin 1900,
l'Espagne a même reconnu officiellement la souveraineté du Sultan sur ce
mémesecteur territorial.
Quant au Gouvernement français, ilest parfaitement informé du contenu de
l'accord et de l'interprétationqu'en donne le Gouvernement marocain, ainsi
qu'en témoignent l'annexe 128 et l'annexe 129 (III,p. 422-4231,
Le sultan du Maroc étaitdonc sûr que sa souverainetéétaitdésormais pour
l'Europe incontestable, au moins sur cette partie du Sahara occidental viséepar
l'accord de 1895.

Quant à la présence ponctuelle espagnolea Rio de Oro, il ne pouvait s'agir
que d'une factorerie, c'est-à-dired'un comptoir commercial, d'ailleurs protégé
par les Marocains eux-mêmes, conformément aux dispositions d'un arrange-
ment intervenu en 1895 entre les représentants de Ma el Aïnin et le
représentant de la compagnie commerciale qui s'engageait a payer un tribut.
C'estce qui explique d'ailleurs qu'a partir de 1895 il n'y ait pIus eu d'attaques
contre l'établissementcornmerciai de Rio de Oro.
Aprèsavoir essayéd'analyser du double point de vue européen et marocain
la situation juridique de cette régionde l'Empire du Maroc, il nous reste a
examiner la valeur qu'il convient d'accorder à la thèse du pouvoir saharien
indépendant.
La thèse-du « pouvoir saharien indépendant >>est développée parle livre 1.
Cette thèse est assez complexe, car elle repose en fait sur quelques
contradictions. L'exemple le plus typique d'affirmations contradictoires est

fourni aux pages 279-280 (1) paragraphe 16 :
« Au cours de ces annéesinitiales du XXesiècle,Ma el Aïnin a menéun
jeu habile :il a essayéde se servir du Sultan contre les Français, afin de
garantir sa propre indépendance tant vis-à-vis de l'un que vis-à-vis des
autres. ))

Et a la phrase suivante nous apprenons que : <Le Gouvernement marocain
profita de l'influence religieuse et politique du cheik pour faire échouer les
prétentions des Français dans les régionssahariennes. )>
On peut àjuste titrese poser la question:Qui utilise qui ?Est-ce Ma el Aïnin
qui se sert du Sultan ou le Sultan qui se sert de Ma el A'inin.D'autant qui& la
page.282, paragraphe 21,on apprend que ile cheik de Smara ful victime de la
politique du sultan du Maroc, qui l'abandonna aprèsavoir essayéde l'utiliser
face à la présence française)>.

De même on ne sait plus ou est le centre de ce « pouvoir saharien
indépendant». Est-ce l'émiratde l'Adrar Trnar, page 292 du livre 1, est-ce
Smara, page 278 ? Icila thèse espagnoIe s'enferme dans une contradiction
insurmontable car, page 293, note 1, nous apprenons que <<devant le conflit
entre les partisans de Ma el Ainin et les forces françaises qui avançaient dans
les territoires mauritaniens », les Espagnols restèrent neutres. Et le livre 1 précise: «Cette circonstance permit aux territoires espagnols de rester en
marge de tels événements. »
Comment peut-on sérieusement interprétera ce point l'histoire?
Lesfameux territoires espagnols n'étaient pasen dehors du conflit. Ils étaient
au contraire au cŒur mêmedu conflit. C'esten ces territoires que s'organisait
la résistancecontre la pénétrationfrançaise au point qu'en 1913une expédition
militaire française devait s'emparer et devait détruirela ville de Smara, provo-
quant ainsi une protestation du Gouvernement espagnol dans la perspective
européenne que nous analysioris précédemment.
Le livre 1est en fait construit sur une base fragile, car s'ilest vrai qu'un
pouvoir indépendant se construit dans la Sakiet EI Hamra, alors où est la

souverainetéespagnole ?
Pour tenter de l'étayer,le livre en vienta une interprétation fantaisiste de
l'accord maroco-britannique du 13 mars 1895.
Nous voudrions alors attirer l'attention des membres de la Cour sur ce qui
nous parait un raisonnement paradoxal développea la page 272 (1).
Quand un agent d'une compagnie commerciale espagnole prétend avoir
achetéun morceau de terrain au bout d'une presqu'île al'extérieurde la côte
marocaine, le livre 1en.conclut que l'Espagne établitson protectorat sur un
territoire de mille cinq cents kilomètres de long.
Quand le sultan du Maroc nationalise des installations commerciales
étrangèressur son territoire, qu'il indemnise la compagnie nationalisée,qu'il
obtient du gouvernement dont cette compagnie estressortissante la reconnais-
sance officielle de sa souveraineté du cap Juby au cap Bojador, le livre I en
conclut que le Sultan achète a titre privé unmorceau de terrain a Tarfaya.
Cette dernièreaffirmation n'est passerieuse. En outre elletrouve son origine
dans l'utilisation erronée d'un document français. Nous pensons que l'erreur
commise l'aétéde bonne foiet qu'elle estdue a une mauvaise connaissance des
institutions françaises, mais nous tenons toutefoia la relever.
Remontons la filière.A la page 274 (11,paragraphe 76, on lit un cxtrait de
l'appendice 3 a I'annexe 12 (11,p.62) :

<On peut en conclure que l'enclave du cap Juby est une propriété
privéedu Sultan, une sorte de colonie exterritorialisée, et le fait qu'il a
acheté une masure sur cette partie du rivage n'implique pas que la
frontière méridionale duMaroc se soit transportée de l'oued Draa a la ,
Sakiet El Hamra ..>>
Ce document est attribue dans le livre 1 au délégué général dG uou-
vernement du Maroc a Tanger, qui l'aurait adresséau gouverneur de l'Afrique

occidentale française, le 30 mai1907. En 1907, le déléguégénéraldu Gouver-
nement du Maroc aTanger ne peut êtrequ'un Marocain.
Il est donc grave qu'un Marocain dénonceainsi d'une manière unilatérale
auprès d'une autoritéfrançaise un accord international.
En réaliténous apprenons, ala page 281(11,qu'ilne s'agit pasd'une autorité
marocaine, mais d'une autorité française. On lit en effet: L'enclave du
cap Juby était,selon les autorités françaises, une propriétéprivée du Sultan,
sorte de colonie extra-territoriaM. Et pour déterminer l'originede cette affir-
mation le livre 1renvoie précisément a l'appendice 3a l'annexe 12.Or ce texte
n'émanepas d'une autorité française. Les autorités françaises ont toujours
correctement interprétéI'accord de 1895. Ce texte émane d'un groupe de
pression coloniale qui s'appelle <<Le comité du Maroc ». Et cette lettre est
adresséepar le délégué générd al ce groupe de pression coloniale français
regroupant des intérêtsprivés, qui s'intéressentau Maroc, au gouverneur286 SAHARA OCCIDENTAL

généralde l'Afrique occidentale française, précisément pour que l'armée
française occupe la Sakiet El Hamra.
A vouloir nier l'evidence, on finit par se placer dans des situations
inconfortables.
Aucune puissance n'a interprétéletraitéde 1895autrement que selon ce que
disait ce traitéde1895.
Pour en revenir au rôle de Ma el Aïnin, nous estimons qu'alétédécisifdans
la lutte contre la pénétrationétrangereLa personnalitéde Ma el Aïnin mérite
certainement mieux que de l'imaginer sous les traits d'un personnagque I'on
pouvait manipuler ou que I'on pouvait utiliserEn réalité,il a dü combattre
contre un adversaire qui, progressivement, avançait vers leterritoire sur lequel

il était installéet le Sultan, dans cette perspective. l'autilisé,parce qu'ilétaitun
patriote marocain. Le mot utilisé ne doit pas étre entendu dans un sens
péjoratifmais dansun sens noble et politique;Ma el Aïnin a été,pour leSultan
du Maroc, l'élémentdéterminant de la lutte contre la pénétrationétrangere.
Représentant du Sultan dans les territoires de fa Sakiet El Hamra, installéa
Smara, il a jouéun r81edécisifpour le maintien de la souveraineté marocaine
du Sahara occidental. Ma el AYnina toujours étéfidèleaux suians du Maroc,
auxquels il a prêtlui-mêmeallégeance,conformément à la tradition islamique
que j'evoquai précédemment.A partir de 1900, le Sultan organise progressive-
ment la résistanceà la pénétrationétrangèredans les régions méridionalesde
son Empire, grace a une double action :a une action administrative normale
qui relevait de \'administration traditionnelle de l'Empire chérifien, maisgrace
aussi à l'organisation d'une branche armée.
Dans cette perspective, il est évidentque le makhzen du sultan du Maroc
constituait le centremême de la résistancea la pénétration française.II n'y
avait pas un pouvoir saharien indépendant du Sultan, il y avait en réalitédes
sujeb de Sa Majestéchériliennequi vivaient au Sahara occidental et qui étaient
au service du Souverain chérifien.Les documents qui ont été présented sevant
la Cour démontrent amplement que c'est ainsi que le Gouvernement français
comprenait la situation puisque, en permanence, il présentait des notes de
protestation au sultan du Maroc pour l'actionqui étaitmenéeen son nom dans
le Sahara.
L'organisation de la résistancemarocaine dans le Sahara occidental s'est en
réalitéappuyéesur deux organisations :une organisation d'abord administra-
tive normale, celle qui est géréepar ce que le livre I app<<lescaïds du sud»
(1, p. 282, par. 21), ces ciids du sud nous sont connus par les actes de

nomination que le Gouvernement marocain a produiis devant la Cour:
Dahman Beyrouk, Mohammed Ami Ali, Brahim Ben Barek, Brahim Ben Ali,
Mohammed Larbib, Brahim Kahil, les commandements de l'ensemble de ces
caïds s'étendaient sur une grande partie du Sahara occidental actuel. Une
branche militaire, animéepar cheik Ma el Aïnin et dont le centre esta Smara,
construite précisémentsur l'ordre et avec 1Wde du Sultan, le ravitaillement de
cette dernière branche militaire s'effectue par l'intermédiaire du port de
Tarfaya, comme le prouvent les documents français déposés,notamment les
annexes 149. 15 1.154 et 156(111.p. 445.447. 449 et 450) c.omme le prouve
égalementla lettre que leconsul d'Espagne a Mogador adressa a l'ambassadeur
d'Espagne à Tanger le 16 avril 1907. Ces textes qui établissentlrôleessentiel
de Tarfaya, démentent les interprétations fantaisistes du livre 1,bâti sur des
informations en réalitéde troisième main (1,p. 280 et 281).
II n'ya donc jamais eu de pouvoir saharien indépendant du Souverain
chérifien. Aussi,dans la perspective évoquéepar le livre 1,est-ce sans surprise
que nous lisons dans la lettre du ministre des colonies au ministre des affaires EXPOS~ ORAL DE M. ISOART 287

étrangères de France du 13 mars 1907 (III. annexe 157. p. 45 1) que, seule.
«l'autoritépolitique et religieuse du sultan du Maroc a permis l'orga-
nisation de la résistanca la pénétration française.
Ainsi que je vous l'aidkja fait connaître, l'autoritémorale et le prestige
du sultan du Maroc peuvent seuls, en l'étatactuel,grouper contre nous les
tribus maures. »

Aussi, est-cedonc tout naturellement versce gouvernement du Suttan que le
Gouvernement français devait adresser ses protestations.
Après la mort de Ma el Aïnin, son fils, El Hiba, prend la direction des
combats dans le Sahara occidental, mais deja El Hibajouait un riile essentiel
dans l'actionde son pèreavant la disparition de Ma el Aïnin. De mêmeque Ma
el Aïnin a étéau service du Sultan, de même El Hiba n'a jamais voulu
constituer un pouvoir saharien indépendant. Bien au conlraire, son action s'est
toujours développéepour libérerle makhzen de la tutelle étrangère.[)ans une

lettre du 22octobre 1912, c'est-à-diresept mois aprèsla signature du traitéde
protectorat, le maréchal Lyautey explique le sens réelde l'actiond'El Hiba.Le
maréchal Lyauteyévoquelecoup de main monte par El Hiba sur Marrakech et
le maréchal Lyauteyprécise :
«La soudaineté de ce mouvement et le bond qu'il fit enquelques jours
surprit tout le monde et l'onpeut dire que c'estaujourd'hui seulelnent que
la cause nous apparait avec certitude et, cette cause, il ne faut pas la
chercher ailleurs que dans la complicité de Moulay Hafid [le Sultan].
D'une façon générale,l'attitude qu'ilavait adoptéedans les derniers mois
qui'ont précédé son abdication,se refusant a tout acte de pouvoir, se

mettant en grève - il n'y a pas d'autre expression - ne répondant a
aucune des lettres ni des demandes qui lui étaient adressées par ses
fonctionnaires, avait deja donné, dans tout le pays, l'impression de la
disparition de fait de l'autoritéchérifienne,ce qui avait des cons6quences
plus graves encore au point de vue religieux qu'au point de vue politique.
D'une façonparticulièreen ce qui concerne le sud, son action dissolvante
[a Moulay Hafid] est aujourd'hui nettement caractérisée, ou bien il se
refusait, malgrénos demandes, a y envoyer des lettres pacificatrices, ou
bien, dans les rares occasions air il les envoya, les messagers qui les
portaient étaient chargés d'un message verbal prescrivant de n'en tenir
aucun compte, annonçant son abdication prochaine, sa résolutionde ne
vlus s'occu~erdu DOUVO~~ et laissant carte blancha sescorresuoiidants.)>
kynutcy ~'Àfricuti .1,1912-1913, Plon, Paris, 1953, p. 48.)'

La manoruvre d'El Hiba ne révèle pas l'existence d'unpouvoir saharien
indépendant qui se constituerait a l'encontre du Souverain chérifien. La
manŒuvre d'El Hiba n'étaitqu'une manŒuvre imaginée et soutenue par le
sultan Moulay Hafid. La famille Ma el Ainin est toujours restéefidélea son
allégeanceau trbne alaouite, qu'ellea toujours loyalement servi. A partir de la
fin de 1912, 1'Etatmarocain, place sous protectorat n'est plus responsable de
l'exercice de sa compétence internationale, il ne le reviendra qu'en 1956 et
alors, de nouveau, se posera leproblème du Sahara occidental.
Monsieur le Président. Messieursles membres de la Cour. il reste au conseil
du Gouvernement marocain a vous exprimer sa reconnaissance pour l'atten-
tion bienveillante que vous lui avez accordéeet à vous faire part. une nouvelle
fois, de l'honneur qu'il ressent d'avoir parlé aussi longuementdevant vous.

L 'audience estlevée à 13 heures Prketits :[Voir audience du 25 VI 7 5.]

ICXPOS OERAL DE M. DUPUY

REPRESENTANTDU GOUVERNEMENTMAROCAIN

M. DUPUY :Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour :
O Dans une sociétéou aucun principe n'a présidéa la répartition des terres
entre les hommes. c'est le fait historique qui a décidéde leur attributioa un
groupement detres humains. » Ainsi s'exprime Charles De Visscher dans son
ouvrage Les -iffecfivitFst.,idroit iirrerriatioriul publac,la page 101. Cette
observation éclaire parfaitement la position du Royaume du Maroc face aux
problèmes posés a laCour. Le fait historique n'estautre en ce qui le concerne
que l'existence multiséculaire de I'Etat marocain exerçant une possession
immémoriale au Sahara occidental. Par la même,la démonstration de la
possession immémorialedu Maroc au Sahara occidental écarte toute référence

a la notion de territoirsans maitre. Telle a étéla démarchequa suivi l'exposé
écritdu Gouvernement du Maroc, sefondant sur la liaison entre la notion de
tcrru r~rrlliltset celle d'absence de souveraineté étatique. Liaison qui se trouve
établie par le Dicrioririuire de lu teri?iiiioloyic.dtr droit iiiteriia~ioiial qui fut
rédigesous l'autoritéscientifique du Président Basdevant etqui nous dit a terre
sarrs i?zaitr:« Terme servant a qualifier un territoire sur lequel aucun Etat
n'exerce sa souveraineté et qui, par suite, est considérécomme susceptible
d'acquisition par un Etat quelconque par voie d'occupation. >>Cette définition
fait exactement écho a la définitiond'un auteur ancien, Rivier, qui au début du
siècle s'écriai:(<Sans maitre, en effetpuisqu'il s'agitde souveraineté, signifie
sans Etat :rrs t~ulliliscivitat)>(Pritzcipesdti droit des getis, t. 1,p. 188.)A ce
vieil auteur font égalementéchodes auteurs actuels comme Brierley dans son
ouvrage T11rLaun of irlntioin. 6Cédition,page163 :«Occttporioti is a means of
acquiring territory not already forrning part of the dominions of any State w,

définitionqui est reprise presque mot a mol par le professeur Jennings dans
son livre Tlie Acqlrisirioil of Territory iri Ititer~iatioriolLaw20.age
Sans avoir en cequi nous concerne a nous poser d'autres problèmes sur la
signification de l'expression terra trirlli~is,nous constatons que ces définitions
sont relevantes, sont pertinentes, a l'égarddu Maroc, Etat souverain. Ainsi
l'occupation n'est valable que si elle porte sur une terre sans maitre, elle est
nulle, au contraire, et sans effet si elleporte sur une terre qui se trouve soumise
effectivement à la souveraineté d'un Etat. Des lors, la souveraineté sur un
territoire qui relève déjà de celle d'un Etat ne peut pas êtreacquise par
l'occupation ; elle ne peut l'êtreque par d'autres moyens, la cession ou la
subjugation. Or, nous croyons l'avoir montré, aucune cession territoriale en
souverainetén'aétéconsentie par le Royaume du Maroc al'Espagne. Quant a
la subjugation, c'est la source de la souverainetéque l'Espagne détient,encore
qu'elle ne se soit définitivement établiesur le terrain que longtemps après le
protectorat, au cours du processus qualifié de « pacification espagnole au

Sahara occidental ».
Mais, rappelons-le, le problème ne concerne pas la souveraineté espagnole actuelle, que nous ne mettons pas en question. Le probleme porte sui. les liens

juridiques qui existaient au moment de la colonisation espagnole, c'est-à-dire
durant la périodeoù a la fin du XIXcet au débutdu XXesiècle semanifestent
des tentatives, plus diplomatiques d'ailleurs que matérielles, de pénétration
espagnole au Sahara occidental.
II s'agit donc dans cette affaire, comme nous l'avons relevé,d'un examen
historique qui a déja d'ailleursétéfait et sur lequel nous ne reviendrons pas.
Mais, soulignons qu'il ressort desexposésquiont été présenté asla Courque le
Maroc peut se prévaloirde l'exerciceplusieurs fois séculaire et historiquement
démontréde la souveraineté au Sahara occidental. Exercice public, prolongé,
ininterrompu. Ininterrompu, sauf évidemment par l'action tardive de la
colonisation, laquelle se contentera longtemps d'ailleurs de titres formels et
fictifs si on leur oppose la situation sur le terrain où se prolonge encore
longtemps l'exercice effectifdu pouvoir marocain. II en résultequ'au moment
de la colonisation espagnole le Maroc est considérécomme le possesseur
immémorial par la communauté internationale.
II est important de noter que la question de savoir si un territoire relève,a
une époque déterminée,d'une souveraineté ne se pose pas seulement dans les

rapports bilatéraux desEtats en contestation. Dans l'hypothèseou l'un d'eux
prétend s'installer sur uneterraiiullilis, mais dont précisémentil a aprendre
conscience qu'elle est en défiriitive,en réalité,placéesous la souveraineté
préexistanted'un autre Etat, se trouve évoquéun probleme qui doit s'apprécier
ergo orn~ies. Le possesseur immémorial se prévalant ainsi d'un titreobjectif,
quand la communauté internationale a admis l'exercicede sa souverainetésur
un territoire, telle qu'elle s'induit d'élémesositifs, il doit étreconsidéréque
cette souverainetéest acquise. C'estcet acquiescement de lacommunauté inter-
nationale qui constitue la reconnaissance de cette possession immemoriate.
Ainsi s'opposent la situation juridique de 1'Etatpossesseur immémorialet les
prétentions ducandidat à l'occupation qui, lui, ne peut invoquer que des actes
isolés.Dans l'affairesur lStar~rjliridiqtredirGroë~ilaridorie/i~al,pour la Cour
permanente, l'occupation, en tant qu'acte particulier d'apprehension territo-
riale se situant a un moment donné, est passée al'arriere-plan, derrière la
possession immémoriale.
En l'espèce présente, l'occupation espagnole - cela n'est contesté par
personne - a eu un caractère trèslongtemps ponctuel et cecaractère ponctuel
elle l'aeu en raison de la présencede 1'Etatmarocain au Sahara occidental.
Il a étérelevé,notamment par Max Huber dans son célébre arbitragedeLos
Palmas, que déja.au XVIIICsiècle,I'effectiviteétaitrequise ; or. lesoccupations
espagnoles a l'époquese réduisaient au célèbre pointde Santa Cruz de Mar

PequeÏia, occupation qui a ététerminéepar la destruction de cette installation
en 1527 et il n'y aura pas de nouvelles installations ponctuelies espagnoles
avant 1885 à Villa Cisneros, en attendant qu'en 1916 une troisième instal-
lation, ponctuelle elle aussi, apparaissa cap Juby.
Au contraire, le Maroc croit avoir prouve des actes de souveraineté
séculaire, fondés sur des manifestations multiples et de toute sorte, de la
puissance publique marocaine au Sahara occidental :déplacements duSultan,
nomination de caïds, perception d'impbts, etc. Au XIXC siècle, le droit
international requiert, pour l'acquisition des territoires par occupation, une
effectivitéde plus en plus rigoureuse ;toute l'évolutiondu droit des gens s'est
orientée dans le sens d'exigences de plus en plus strictes, quant a. la notion
d'effectivitéet aux satisfactions concrètes qui devaient lui êtreapportéespar le
candidat acquéreur d'un territoire. A la même époque,on assiste a un
phénomèneparallèle et inverse dans l'affaire qui nous retient, a I'amenuise- 290 SAHARA OCCIDENTAL

ment des titres de I'Espagne qui ne peut matériellement, en raison de la
présencede I'Etat marocain, occuper réellement le territoire convoité, d'où,
pour le Gouvernement espagnol de l'époque,le recours naturel a la notion de
zone d'influence par le biais de conventions internationales auxquelles le

Sultan n'est d'ailleurs pas partie. Ainsi l'Espagne reçoit de ce fait des titres
formels, d'ailleurs condamnés par le droit international de l'époque, puisquela
zone d'influencea toujours étéconsidéréepar l'ensemblede la doctrine comme
un moyen irrégulierde tourner l'exigencede I'effectivit;ifs'agitcependant de
titresformels dont I'eFectivitédu fait de la présence sur le terrain ne se
concrétisera qu'ala veille de la seconde guerre mondiale. C'estici que l'on voit
la différenceentre la situation juridique de l'Espagneet la situation juridique du
Maroc. Celui-ci, en effet, n'a pas besoin de forger des titres fictifs puisqu'il a
l'exercice réelde l'autorité politique etcelle-ci, d'une part, està l'époque,
considéréecomme l'objetde l'acquiescement de la communauté internationale
et, d'autre part, se concrétise dans de multiples actes de souveraineté qui
donnent leur substance a la notion de possesseur immemorial.
Ainsi, se trouvent réalisées leconditions de la possession immémorialequi
supposent donc une assise internationale et une assise inter;cesontcesdeux
assises qu'avec la permission de la Cour, je vais avoir le grand honneur
d'étudier.

Tout d'abord. l'assise inrernotionale de la possession irnrnernorialedu
Moroc.
La possession marocaine séculaireau Sahara occidental peut se prévaloir
d'abord de l'acceptation, de l'acquiescement généralde la communauté
internationalependant plusieurs siècles.Nous n'y reviendrons pas, cela relève
des explications qui ont étéfournies dans l'expose écritet tout spécialement

dans les exposés oraux que le Gouvernement marocain a présentés cette
semaine devant la Cour. Mais, cette possession, de surcroit, peut seprévaloir
aussi de titres conventionnels. Dans la partie nord-occidentale de l'Afrique,
seul l'Empire chérifiena conclu des traitésavec des puissances étrangères dans
ces époques lointaines et seul il a étéinternationalement reconnu. Parmi ces
traites, certains intéressent plus spécialementle Sahara occidental. L'Espagne,
elle-même, a participe ricet acquiescement généralet a égalementdonnéson
acquiescement particulier par sa participation a desconventions conclues avec
le Sultan et dont ce territoire étaitl'objet.Elle ne s'enestécartéequ'aprés1904,
sur un plan formel.
Au XVIIieet au XIXC siècle, l'Espagnea traité avecle Maroc eton peut dire
que ces conventions portent sur des sujets qui ne sont pas négligeables.
Les divers accords concernant le Sahara occidental doivent êtreenvisagés
dans leur ensemble car ils attestenla conviction des Etats contractants de ta
souveraineté marocaine au Sahara occidental. Ces Etats contractants ne se
réduisent évidemment pas à l'Espagne, des accords ont été conclus parle
Maroc avec les Etats-Unis, avec la Grande-Bretagne, il y en a d'autres encore.
Ces accords se situent sur deux plans:au plan commercial, d'une part, au plan
de l'assiseterritoriale de la souveraineté marocaine, d'autre partJe vais tout
d'abord examiner les accords commerciaux.

Pendant longtemps. ces accords commerciaux n'ont soulevé aucun
problème, aucune dificulté; ils ont fait l'objet, cependant, dans la présente affaire, d'interprétationserronées dela part du Gouvernement espagnol dans le
livre 1des Ii~forinatioriset dcicirinaits. Ces erreurs d'interprétation qui nous
amènent a étudier plus spécialement les accords ainsi contestes concernent
deux séries de clauses : les clauses sur les naufragés et les clauses wir la
réglementationportuaire.

1. Examinons tout d'abord les claüses sur les naufragés.Nous lisons. a la
page 259 (1).paragraphe 34, di1livre I des Informationset documents. sous la
plume du Gouvernement espagnol, ceci :

<<Dans les traités signés par l'empereur du Maroc avec diverses
puissances étrangères en 1787, 1791, 1799, 1801, 1825. 1836, 1856 et
1861,le Souverain marocain inclut une stipulation qu'on pourrait appeler
<clause sur les naufrages sur I'ouedNoun n,dont le but est d'éludertoute
responsabilité pour les actes commis par les habitants de cette région

contre les équipagesvictinies d'accidents maritimes sur les côtes.»

Cela est parfaitement exact. mais le Gouvernement espagnol en tire la
conclusion suivante :« De cette façon on reconnait face a d'autres Etats que la
souverainetédu Maroc ne s'étendpas aux territoires compris entre leSous et le
Draa. »(fbid.)
Il est impossible au Gouvernement marocain d'accepter une telle interpréta-
tion. Les stipulations conventionnelles relatives aux captifs, résultant de
naufrages dans la régiondu Noun, prennent leur véritablesignification a partir
de trois observations préalables.
Première observation : l'invocation constante de I'oued Noun s'explique
facilement par des données Iiistoriques et géographiques et n'entraîne a
l'évidenceaucune délimitationde souveraineté.

Deuxième observation : les conventions internationales précitées,de même
que de nombreuses correspondances diplomatiques, y compris des correspon-
dances diplomatiques espagnoles, reconnaissent le Sultan comme protecteur
des naufragésdans la région.
Enfin, troisièmeobservation. les dispositions conventionnelles relatives aux
naufragésde l'ouedNoun setrouvent n'avoir de portéeréelle,de sens réel,que
si l'on admet que le Sultan estsouverain sur la régiondu Noun et d'au-delà.
Faute de quoi, on ne voit vraiment pas pourquoi on conclurait un accord avec
lui. Reprenons ces trois élements qui contredisent totalement la thèse
espagnole.

a) Première observation :l'invocationde I'ouedNoun ne constitue pas une
délimitation.La référence alarigion de l'ouedNoun estfort simple. Elle réside
dans les données géographiques et historiques. et dans des données de deux
ordres.
En premier lieu, l'attention portée par les négociateurs europce ns aux
naufragés à I'ouedNoun provient directement d'une réputation séculairede la
mer a cet endroit, devenue, selon le témoignage des historiens, une légende,
d'ailleurs fort ancienne et profondément ancréedans les mentalités.Quelleétait
cette légende ? Jusqu'au milieu du XV siècle, les navigateurs européens
n'atteignirent pas la côte atlantique marocaine.
La principale cause de cet état de choses résidaitdans la reputation
légendairede l'océanAtlantique qui, pendant des siècles,avait reçu le nom de
iner fLi~reh-e~rsLe. situation évolue cependant avec les Phéniciensd'abord et
les Carthaginois. Et c'est un C:arthaginois, Hannon, qui déplaça leiioirpllis
~rliraau cap Guer, c'est-à-direaux environs d'Agadir.292 SAHARA OCCIDENTAL

Quelques sikles plus tard, les navigateurs européensdéplacèrentla légende
de la non-navigabilitéde l'Atlantique du cap Guer au cap Noun.

Lëminent historien Rumeu explique d'ailleurs parfaitement le fondement de
cette légende lorsqu'il écri:
« Par parallélisme,la mentalitéde l'homme du Moyen Age a associéles
conditions particulières du désertdu Sahara avec celles des eaux baignant
ses côtes. II n'y a pas une seule carte du XIVesièclequi ne signale avec
précision cetaccident géographique,comme il n'y a pas un seul écrivain

de l'époque desgrandes découvertesqui ne parle pas. dans ses écrits,de la
barrière atlantique deja franchie du cap Noun. 0
Autrement dit, ta légendese déplacede la mer a la terre et le caractère
particulièrement inhospitalier de l'océanau Noun se propage sur le Sahara
occidental qui le borde. Les Portugais parvinrent à franchir au XVesiècleles

barrieres du cap Juby et du cap Bojador, mais la légendeautour du cap Noun
devait rester vivacedans l'espritde tous les navigateurs européens, et notam-
ment des Espagnols et des Portugais.
Bien entendu, elle demeure présente dans lésprit des négociateurseuro-
péens.qu'elle influence au XVIIICsiècleet encore au XIXCsiècle. L'endroitest
dificile; climatiquement les conditions météorologiquesy sont considérées
comme dangereuses et les incitent a faire rédigerune clause sur les naufrages
possibles a hauteur de l'oued Noun. Ainsi s'explique logiquement et
historiquement cette fameuse clause relative aux naufrages de I'ouedNoun. On
constate deja à ce premier stade de l'analyse qu'une telle clause ne s'explique
nullement par une quelconque absence de souveraineté du Sultan dans la
région de I'oued Noiin. Ce point particulier de la côte est expressément
mentionne dans les traités en raison de la pérennitéde la mauvaise réputation
de l'endroit pour les navigateurs.

En second lieu, ce mythe relatif a I'oued Noun apparut bien vite comme
reposant sur certains élémentsréels.Céstainsi que de nombreuses instructions
nautiques décriventles parages du cap Noun comme des lieux dangereux, en
raison des forts courants entraînant de sérieusesdificultés a la navigation et
particulièrement au teinps de la marine a voile.
Ces difficultés réellesde navigation complètent ainsi les souvenirs
légendaires et justifient du mêmecoup l'introduction de clauses spéciales
relatives aux naufragésde I'ouedNoun dans les accords. Il faut bien voir que la
prétendue absence de souveraineté marocaine ne saurait découler de
dispositions qui s'expliquent directement par les dangers de la navigation aux
abords de l'oued Noun.
Non seulement ces clauses, comme nous allons le voir, ne consacrent pas

l'abandon de souveraineté, mais au contraire elles constituent des cas de
reconnaissance de cette souveraineté. Nous abordons ainsi le second thème de
cette analyse des clauses sur les naufrages de I'oued Noun.
b) Ce thème est le suivant : le Sultan protecteur des nauJragés. Le
Gouvernement espagnol soutient, a fa page 264 (1).paragraphe 47, du livre 1
de ses Informations et documents :

« Les nombreux cas de captivitédes marins naufragéssur les côtes de
I'oued Noun démontrent aussi clairement que, sur ce territoire, durant
tout le XIXCsiècle, lesultan du Maroc n'exerçait pas d'autoritécontinue. N
Remarquons qu'on ne dit pas, dans ce texte, qu'il néxerçait pas d'autorité,
on dit qu'il n'exerçait pas(<d'autoritécontinue ». Quand on sait ce que Max
Huber a dit dans son célébre arbitragesur les intermittences tolérables de la EXPOS~~ ORAL DE M. DUPUY 293

souverainetédans certaines régionsdificiles, il est permis de faire l'observation
que je viens de faire moi-même.Mais nous reviendrons plus tard sur ce type de
considération,
Le livre 1croit pouvoir tirer de la pratique de la rançon une conclusion
hâtive, sans rapports avec les réalités de l'époqueO . r, selon les coutumes,
coutumes islamiques en vigueur au Maroc au XVIIIe et au XIXe siècle,

coutumes qui existaient aussi dans d'autres pays non islamiques, ne I'oubtions
pas, les captifs, pour se libérer,doivent payer un tribut a ceux qui les ont faits
prisonniers ou qui les ont sauvés.Cela peut nous choquer, à l'heure actuelle,
dans nos mentalitésde la fin du XXcsiècle. C'étailte droit positif d'alors.
De ce fait, les captifs sont débiteursa l'égardde particuliers et le Sultan ne
peut rien contre cette coutume, si ce n'est servir d'intermédiaire direct ou
indirect par l'entremise, tout spécialement,de Beyrouk, son représentant local.
Cette coutume, qui nous est expliquée notamment par un explorateur,
Doulz, dans un article a la Kevl~e d~ lu Soci~+L; de yt'ographit. de 1888,
notamment a la page 467, s'exprimait dans cette formule proféréepar les
habitants du Noun : Ce qui vient par la mer, homme ou chose, est un présent
que Dieu nous fait ;nous prenons ce que Dieu nous envoie. n
Bien entendu, si cette coutume pose des problèmes aux relations inter-
nationales du Sultan avec le reste de la communauté des nations, dans la
mesure ou certains de ses ressortissants viennent naviguer dans ces rbgions, il
est naturel que le Sultan essaie, dans la mesure du possible, de réduire les
conséquences de cette coutume. 11a manifesté beaucoup de bonne volonté
envers les puissances européennes ; le Sultan asouvent remboursé lui-même,

aux puissances européennes, le montant de la rançon, afin de ne pas heurter
tout a la fois les Etats chrétiens, qui ne veulent pas reconnaître une telle
coutume, ni non plus ses sujets sahariens nomades, attachés a cette coutume
ancestrale. 11se trouve face a un problèmedouble :satisfaire les puissances, ne
pas heurter de front sa population saharienne.
Une étude historique démontre d'ailleurs que cette coutume n'a pas été
seulement propre au monde musulman, l'Europe l'aégalementconniie sous le
nom d'une,institution : le droit d'épave.
Le livre 1 des Itfinnutions et docurnt.rtlsde l'exposéespagnol reconnaît
d'ailleurs lui-mêmele Sultan dans son rôle de protecteur des naufragéslorsqu'il
cite,a la page 257 (11,paragraphe 27, un rapport de son consul don Juan
Manuel Salmon du 9 octobre 1789.Celui-ci rapporte a propos du Sultan et de
son action bénéfiqueenvers les captifs :

« 11a encore exercécette vertu vis-à-vis des chrétiens qui ont eu le
malheur de faire naufrage sur cette cote des Maures sauvages, ainsi qu'il
est arrivé plusieurs fois sur le fleuve Noun, a différentesembarcations
européennes ;il racheta de ses deniers les équipageset les reniit par la
suite gratuitement a la nation a laquelle ils appartenaient. L'Espagne en
eut quelquesexemples avec les gens des îles Canaries qui se perdirent sur
ladite cote lorsqu'ils allaie[y] pëcher...))

c)Troisième observation, enfin,aux pages 260 (1) et suivantes de son livre 1,
le Gouvernement espagnol rapproche les clauses de differents trait& instituant
une réglementation portuaire et fermant certains ports au commerce inter-
national des clauses des mêmestraitésrelatifs aux naufragésdans la régiondu
Noun. Et ce gouvernement en déduit, page 261. paragraphe 4Q. le manque
d'autorité du Sltltûn dans cette zone. Selon le Royaume du hlaroc, le
rapprochement des clauses relatives a la fermeture de certains ports du sud,
notamment de l'oued Noun. que nous allons évoquer dans un instant, et les294 SAHARA OCCIDENTAL

clauses relatives aux naufragésdans cette mêmerégiontrouvent leur véritable
signification juridique et historique danle fait que dans cette régionde l'oued
Noun et. au-delà, du Sahara occidental. le Sultan ferme ses ports au commerce
européen.Les diverses positions effectives prisesa cette époque, parle pouvoir
chérifiennous montrent qu'il va utiliser aussi un registre de décisions.D'une
part, sur le plan humanitaire, il va jusqu'a payer lui-même lesrançons pour
sauver et restituer les naufragés, maisd'autre part aussi, étantdonné qu'il a
ferme cette régionau commerce extérieur, une sorte de sanction, contre ceux
qui violeraient son interdiction d'y commercer, tout naturellement pèsesur
eux, du fait des dangers qu'il y a a se diriger, pour tourner les interdictions

chérifiennes,vers ces rives.
Les trois observations que nous venons de faire nous amènent a noter en
conclusion que nous nous trouvons aux antipodesde l'interprétationqui nous
a étéproposéepar le livre 1.
Les conventions des XVllIC et XIXC siècles démontrent que les Etats
étrangerseurent en permanence recours au Sultan pour protégerleurs natio-
naux au Sahara occidental et qu'ils ont reconnu la souveraineté chérifienne
sur les régionssahariennes de l'Empire.
A ce propos, l'article 18du traite de Marrakech du 28 mai 1767 revit une
importance particulière, car le Maroc et l'Espagne sont aujourd'hui en
désaccordsur cette disposition.
Selon le Gouvernement espagnol. cet article 18 disposerait :

« S.M. impériale se réservede délibérersur le comptoir que S. M.
Catholiqueveut ionder au sud du fleuve Noun, car elle ne peut prendre la
responsabilitédes accidents et des malheurs, sa domination ne s'étendant
pas jusque-la...r)(11,appendice 3 a L'annexe7, p.9.)

En revanche, le Royaume du Maroc a présenté a la Cour. dans ses documents
écrits.le texte arabe de ce traité.Que l'on me permette de rappeler que le seul
document officielqui ait été présenté sur cette questiona la Cour l'a étépar le
Royaume du Maroc. II s'agit du texte arabe de ce traite, texte original qui a
reçu le sceau du sultan Moulay Mohammed Ben Abdallah. Or, cet article 18
stipule. dans son texte original:
<Sa Majestéimpérialemet en garde les habitants des Canaries contre
toute initiative d'aller pêchersur les cotes d'oued Noun et au-delà. II
dégage touteresponsabilitéde cequi leur arrivera de la part des Arabes du
paysauxquels ilest difficiled'appliquer les décisions,eux qui n'ont pasde
résidence fixe,qui se déplacentcomme ils veulent et plantent leurs tentes
ou ils l'entendent. Les habitants des ,Canaries sont certains d'èlre

malmenéspar ces Arabes. >>(III,p. 195).
II est incontestable que ce texte n'implique nullement une quelconque
absence de souveraineté. oas davantage une renonciation marocaine a
l'exercice de cette souverainelé. une-interprétation telle que celle du
Gouvernement espagnol est d'ailleurs absolument contraire aux principes
reconnus du droit international. N'oublions pas que c'est une règle du droit
international, rappelée par les auteurs et notamment par le grand juriste
britannique William Edward Hall, qui affirme dans son traite de droit
international de 1917, page 348 : <Any restriction of such rights must be

effected in a clear and distinct manner. » Et de mêmela Cour permanente de
Justice internationale, dans la célèbre affaireMuvruiiti?raris,a observé :<(La
Cour estime que, placéeen présencede deux textes,.investis d'une autorité
égale... »(Dans le cas présent,ils ne sont pas investis d'une autoritéégale,car EXPOSE ORAL DE M. DUPUY 295

seul le texte arabe est un texte officiel. L'autre texte n'est qu'une copie.)
S'agissant de deux textes investis d'une autorité égale,la Cour permanente
poursuit :

« mais dont l'un paraît avoir une portée plusétendueque l'autre, elle a le
devoir d'adopter l'interprétation restreintequi peut se concilier avec les
deux textes et qui, dans cette mesure, .correspond sans doute a la
commune intention des Parties. »(C.P.J.I.sLjriA II"2, 1924, p. 19.)

Cette règled'interprétation est, incontestablement. particulièrement topique
dans le cas présent.
Or, ces traitésont étéconclus dans le but de définir lesrapports entre les
deux pays et d'organiser entre eux des relations commerciales.
De ce fait, l'articl18, tout ce que lesultan du Maroc signale c'esledanger
que représententses sujets nomades, attachés àde rudes coutumes, peu enclins

a des contacts avec des étrangersne professant pas la mêmefoi. On se trouve
dansune régionau sujet de laquelle il a ledevoir d'avertir son cocontractant. Il
en a d'autant plus le devoir que par ailleurs il a interdit qu'on y fassecommerce
et que c'est une manière aussi d'inciter, ce cocontractant, a respecter cette
législationprohibitive. En conséquence,le Sultan inclut, avec l'accord de son
cocontractant, une clause elisive de responsabilité,une clause qui a pour objet
de limiter sa responsabilitédans le cas ou les pêcheurscanariens passeraient
outre a ces interdictions.
Par ailleurs, le texte arabe de cet article 18 dispose qu'il esl difficile
d'appliquer des décisions aux habitants de l'oued Noun et au-delà. Cette
disposition signifieque le Sultari a lepouvoir de prendre des décisions.IIne dit
pas :« ce n'est pas mon pays, il ne relève pasde mon autorité,je ne peux pas y
prendre de décisions» ; il dit qu'il est difficilede les faire appliquer envers ses
sujets de l'oued Noun et du Sahara occidental. Le caractère nomade de ces
habitants,leurs mŒurs plus attachéesaux coutumes, notamment en niatiere de
captifs, que dans d'autres régions du Maroc, rendent plus difficile parfois
l'application des mesures concernant les étrangers. Cela rejoint une observa-
tion qui a étéfaiteà plusieurs occasions devant la Cour, notamment a propos

de l'affaireduDL;rroilde Corfou, a savoir que l'obligation de surveillance varie
selon les conditions.géographo iquautres du pays. II se peut qu'un Etat
surveille certaines régions plus que d'autres suivant ses intérêtsmais, par
ailleurs, cette surveillance dépend aussi des moyens dont il dispose et des
difficultés que la région peul. présenter a cet égard. Cette considération
constitue un des éléments dela mise en Œuvre de la responsabilitéde 1'Etat
riverain.
Au XVIIIe siècle,ces moyens matérielsétaient évidemmentassez faibles. 11
est significatif de noter que l'Espagne a eu recours au Sultan lorsque ses
nationaux étaient ainsi captifs au Sahara occidental.
L'analyse des autres conventions internationales passéespar le Maroc au
XVIIIc et au XIXesiècle estnon moins éclairante.
Le Gouvernement espagnol, non content de s'en prendre aux conventions
conclues par le hilaroc avec lui. s'en prend aussi aux traitésauxquels il n'était
paspartie. IIs'enprend aux traités conclusavec les Etats-Unis ou a ceux passés
avec la Grande-Bretagne. A la page 259 (Il,paragraphe 34, du livre I de ses
b1formariorisef doclrments, le Gouvernement espagnol cite l'articlefO du traité
passépar le Marocet les Etats-1Jnis les 23 et28juin 1887 ;et il cite l'articlequi

stipuleà propos des naufragés :
« and if any Arnerican Vesse1shall be cast on shore on the Coast of296 SAHARA OCCiDENTAL

Wadnoon or any Coast thereabout, the people belonging to her shall be
protected, and assisled until by the help of Cod, they shall be sent to their
Country )p.

Le Gouvernement espagnol traduit l'expression «the people belonging to
her » non pas comme elle doit l'être, c'est-à-direomme concernant I'équipage
appartenant a ce navire, mais comme visant les habitants de I'ouedNoun, ce
qui aboutit a un résultat absolument absurde. Selon cette interprétation
espagnole, s'il y a un naufrage, grâce à cette clause, les habitants de I'oued
Noun vont pouvoir rentrer chez eux, probablement, sur leurs « vaisseaux du
désert »,comme on qualifie habituellement leurs montures, et véritablement
on ne voit pas comment on peut imaginer que « the people belonging to her ,J
concerne d'autres personnes que I'équipagey appartenant. C'est la, évidem-
ment, une erreur substantielle de traduction et je ne pense pas que l'on puisse
s'attarder plus longtenips sur cette observation.

Les traités signesau début du XIXesiècleconsacrent donc expressémentla
souveraineté du Sultan au Sahara occidental, comme le prouve également le
traitéanglo-marocain du 9 décembre 1856. Ce dernier explicite fort bien la
souverainetémarocaine, car il stipuleen son article XXXIlI :

« Si un bateau britannique faisait naufrage a I'oued Noun ou sur une
partie quelconque de ses cotes, le sultan du Maroc usera de son autorité
pour sauver et protégerle capitaine et son équipagejusqu'à leur retour a
leur pays et le consul général britannique, ainsique son représentant,
auront la possibilitéde s'occuper et de s'assurer, desque cecisera possible,
du sort du capitaine et de I'équipagede ce bateau, afin de les retirer de
cette partie du pays. Ils seront aidésdans leurs démarches, conformément
au devoir de l'amitié,par les gouverneurs que le sultan du Maroc a dans
de tels endroits.)>(II, appendice 11a l'annexe 8, p. 21-22.)

Ils seront aidéspar les gouverneurs que le sultan du Maroc a dans de tels
endroits. On se trouve la en présenced'une clause évidente qui autorise les
consuls a faire certaines démarches, enquêteset recherches sur te territoire
mêmedu Souverain qui, naturellement,doit y donner, comme il le fait ici. son
acquiescement.
Ce fait est confirmé par le traité passé entre le Maroc et l'Espagne le

20 novembre 1861. L'article XXXVIII de ce traite dispose en eKet :
<<Au cas ou un bateau espagnol ferait naufrage sur le rivage de I'oued
Noun ou en tout autre point de la côte, le roi du Maroc usera de son
pouvoir pour sauver et protégerle capitaine et I'équipagejusqu'a ce qu'ils
se retrouvent dans leurs pays, et il sera permis au consul général

d'Espagne et au consul, vice-consul, agent consulaire ou son délégué de
prendre toute information ou nouvelles nécessaires sur le capitaine et
I'équipagedudit bateau, afin de pouvoir les sauver. Les gouverneurs du
roi du Maroc apporteront eux rnemes leur aide au consul général
d'Espagne, au consul, au vice-consul, a l'agent consulaire ou a son
déléguédans leurs démarches, conformément aux lois de l'amitié. »
(IIappendice 12 al'annexe 8,p. 22.)

Ainsi, Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, nous
constatons que ce traitéentre le Marocet l'Espagne, en 186 1,reconnaît :
1) l'existenced'autorités marocainesau Noun et au Sahara occidental, en la
personne des gouverneurs du roi du Maroc ; EXPOSEORAL DE Al. DUPUY 297

2) I'efTectivitdes possibilités d'actionde ces gouverneurs. de ces agents du
Sultan ;
3) la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, puisque selon I'ar-

ticle XXXVIII. les autorites espagnoles obtiennent la permission de
s'enquérir du sortdes naufragés,et cette permission, bien entendu, ils ne la
tiennent que du Sultan.
La pratique a d'ailleurs confirmé tous ces actes conventionnels, et specia-

lement ce traitéde 1861.
Nous avons ainsi reproduit aux annexes 30 et 31 de nos documents une
lettre du4 avril 1863 du ministre d'Etat espagnol au sujet de la capture de neuf
pêcheurs espagnolsa plus de cent quatre-vingts milles au sud du cap Noun,
c'est-à-direen plein Sahara occidental.
Or ce ministre espagnol demande a son ambassadeur d'intervenir auprés
du Sultan afin d'obtenir la libération des captifs, en application de I'ar-
ticle XXXVlll du iraitédu 20 novembre 1861. 11est d'ailleursa noter que, sur
ordre du Sultan. les naufragésfurent effectivement restitués.
Voila, Monsieur le Président,Messieurs les membres de la Cour, inises au
clair. mises au net. les questions soulevées par les clauses sur les naufrages.
2. Quant aux cla~ises sur lesports. auxquelles nous arrivons maintenant.
nous sommesamenés a en parler car a la page 261(11,paragraphe 40. de son
livre 1.le Gouvernement espagnol déclare :'

« En temps de paix et de façon genéralele fait de déclarerqu'un port est
fermé. oude l'exclure de ceux qui ont étédéclarésouverts, ne peut être
interprétéque comme une reconnaissance indirecte de l'absence de
l'autorité impérialedans ces lieux.))

Ainsi, le Gouvernement espagnol voudrait faire croire que les réglementa-
tions des régimesd'ouverture et de fermeture des ports. négociées bilatérale-
ment par le hlaroc tout au long du XVIII' et du XIXc çiécle,constitiient une
preuve de I'absence de la souveraineté chérifienne en ces lieux. tout
particuliérement pour la régionau sud du Noun.
Or. tout au contraire. en raison mèmede sa souveraineté.chaque Etat est a
mêmede réglementerI'iitilisationde ses ports et le klaroc l'afait comme tous
les autres. La réglementation portuaire constitue une des manifestations de la
souverainetééconomiquedu Sultan. tout particulièrement en ce qui concerne
la partie saharienne de son Empire ou ila édictecertaines rtiglementations en
matière commerciale.
On ne doit pas perdre de vue que, dans sapolitique économiqueau XVIIIcet
au XIXCsiécle,le Sultan s'attachait a réglementer un double problèmedont les
éléments étaient d'ailleurs complémentairels e plus souvent.
D'une part, dans un souci d'ouverture économique avec l'Europe, dont il

ressentait le besoin. le Maroc a entrouvert ses frontières au commerce
international tout en s'attachantalimiter cette ouverture au niveau compatible
avec son indépendance nationale qui. a cette époque, commençait a être
sérieusement menacée.
D'autre part. le commerce transsaharien, ainsi qu'il a été exposé dans le
mémoire écritmarocain. a toujours revetu une importance considérablepour
le Maroc. tant par le cote commercial proprement dit que par son côte fiscal.
Cependant. les pays européens. fascinéspar le mythe d'un Soudan aux
cent millions de consommateurs, tentèrent rapidement de s'insérerdans le
commercetranssaharien. a partir des cotes sahariennes du Maroc précisément.
II était des lors tout a fait logique que le Sultan défende les intérêts298 SAHARA OCCIDENTAI.

économiques du Maroc en réglementant dans le cadre de sa souveraineté
l'accèsde ses ports, spkcialement au sud.

Si I'on veut se livrea une étudequelque peu sérieuse du régime des ports
maritimes et du régimedu commerce en droit international, on est amené a
observer que le Sultan, en prenant cette réglementation portuaire, a
erîectivement démontresa souveraineté sur ces ports.
IIne faut pas oublier en effet, Monsieur le Président, Messieursles membres
de la Cour, que l'ouverture ou la fermeture des ports est le signe mémede la
souveraineté. C'est le signemémede la souverainetétel qu'il est reconnu par
tout le droit international du XIXCsiècle.Quant au droit international actuel,
on me permettra de rappeler qu'il ne va pas a cet égard dans un sens
diamétralement oppose a celui du siecle précédent, compte tenu des
compétencescroissantes qu'il reconnait a 1'Etatriverain.
Pour nous borner ailXIXesiecle,qui seul nous intéresse ici,nous constatons
que le droit international de cette époquereconnait le pouvoir discrétionnaire
de I'Etatde fermer ses ports, et qu'il lereconnait précisémentsur la base de la
souveraineté de cet Etat. On ne peut donc pas soutenir, comme le fait le
Gouvernement espagnof, que la décisionde fermer un port prouve que I'on
n'estpas souverain. C'estexactement le contraire que dit le droit international;

il est facilede s'y reporter.
Si nousnous adressons i Fauchille. il écritdans le Rectieildes arbilmges
inrernntionaux (de Le Pradelle et Politis. t. 1. p. 5321, en commentant
I'arbitrage du blocus du Porietzdick :
<<A l'époque[de ce blocus, en 18341ou s'élevale conflit qui devait
aboutir au présent arbitrage, il était admis sans difficultéqu'un Etat
pouvait arbitrairement fermer sesports aux navires étrangers.C'estque le
commerce mutuel des Etats étaitalors considéré.non comme un droit
véritable, accompagné d'un devoir corrélatif, mais comme une simple
faculté.Maître absolu de son territoire. tout Etat était libre soit d'entreren

rapport avec les autres nations, soit de refuser toutes communications
avec elles. Cetle doctrine étaitnettement affirmée par tous les auteurs qui
faisaient autoritéau commencement du XIXCsiecle. »
Tel étaitle principe qui a étéégalement reconnu dans l'arbitrage célébresur
la fermeture du port de Buenos-Aires. en 1870. L'arbitre. le président duChili.
avait consulté son jurisconsulte,Cosmo Campillo. qui déclara :« En tout temps.
en temps de guerre comme en temps de paix. il est certainement licite aux
Etatsde fermer leurs ports au commerce étranger : cést un droit inhérenta la
souveraineté. >>(Gidel. Droit inierr~aiionaplubl~ee ln mer, t. II,p.43. note I.)

Si nous avions le temps, nous pourrions étudier comment la doctrine a si
longtemps maintenu tres fermement ce principe, en rappelant simplementque,
en dépitde la pression de l'idéologieéconomique qui, au cours du XIXe siecle,
se dégage dans l'Europe libre-échangiste, dans l'Europe manchestérienne,
fondéesur la libertédu commerce, les auteurs et les institutions scientifiques
internationales sont restés fidèlesau principe de la compétencediscrétionnaire
de fermeture des ports. C'est le cas de l'Institut de droit international qui
reconnait la règle, en 1898, et. lorsqu'en 1910,se tint a Paris la session de
l'institutal'ordre du jour de laquelle cette question étaitinscrite, le professeur
Albert de La Pradelle a proposé d'interdirela fermeture des ports au nom de la
libertédes mers:Or il faut relever que la proposition de M.-d LezrPradellea été
vivement combattue ! Et par des hommes de grande compétence! Par
Westlake, par Pillet,par Louis Renault, et par Charles Dupuis lequel déclarait :
(<la libertéde la route n'ajamais comportéledroit d'entrer al'aubergecontre le EXPOSE ORAL DE hl. DUPUY 299

gréde l'aubergiste ))'duurtla/ dli drvir iri~eniutivtral.Clunet, 1919, p. 604). Le
principe de l'ouverture des ports n'a étéfinalement adopte qu'en 1928 par
I'lnstitut de droit international et Gilbert Gidel, dans son livre qui parait en
1932,nous dit que la pratique est loin d'avoir suivi la norme dégagée ainsi par
l'Institutde droit international.Pour la pratique internationale, Gidelest formel
et il l'inonce ainsi, nous permettant par la m6me de mettre un terme a ce débat
avec le Gouvernement espagnol sur la réglementationportuaire du Sultan au
Sahara occidental : (<La premikre et la plus énergique manifestation de la
souveraineté de 1'Etatriverain sur ses eaux intérieures consiste a en interdire
l'accès >te droil ititcr/iaiio~rprrblicde /O/lier,t. II,p.39).

J'en ai ainsi terminé avec l'examen des accords ou traites commerciaux et
des problémesqu'ils soulevaient.

L'uiidi~,/ice,~rspetrdirrIrIl h 15. LW reprise a / 1 /r40

J'en suis arrivéa l'examen des accords terri~oriorrx.c'est-à-dire des accords
qui tendaient a fixer la substance territoriale du Royaume du Maroc. Je m'y
attarderai moins longtemps que sur les précédents. maijse dois a laCotir de lui
présenter un certain nombre d'observations.
Je rappellerai d'abord letraite du 13mars 1895,traité fortimportant puisque
le Gouvernement anglais y reconnaît expressémentla souveraineté marocaine

sur toutes les terres situéesentre le Draa et le cap Bojador et sur I'lii/it~r/and.
Cette reconnaissance étaitconfirméepar le Gouvernement espagnol puisqu'ii a
tout au long de la négociationappuyéla position marocaine.
Par leprotocole de Marrakech du 20juin 1900, l'Espagnea encore reconnu
a ce moment la souveraineté du Sultan sur cette mémerégion.En dépitdes
interprétations qu'aujourd'hui or1nous donne des clauses que j'ai examinées
tout a l'heure, ilest important de rappeler donc qu'en 1900 encore l'Espagnese
joint a l'acquiescement international de la possession immémoriale du Maroc
au Sahara occidental.
Le Gouvernement français de mémeest parfaitement au courant du contenu
de l'accord puisqu'une lettre de !'ambassadeur de France au ministre français
des affaires étrangères,en date du 22 mars 1895. déclare : Cdes présent,et

tout a l'avantage du Maroc, sous la signature de l'Angleterre, le point le plus
éloignéde l'Empire des chérifs estofficiellement reconnu )).Et l'ambassadeur
de France ajoute : «Ce n'est pas unévénement demédiocre importance. H
IIn'en est que plus piquant de constater que ce traitéde 1895,qui est le seul
accord de la période colonialequi fixe une consistance territoriale du Royaume
du Maroc et auquel le Maroc a participi, soit précisémentle seul que le
Gouvernement espagnol considère aujourd'hui comme sans valeur.
Cet accord comportait a la fois une reconnaissance de souveraineté et une
clause de sauvegarde au profit de 1Empire britannique. Nous sonimes a
l'époquecoloniale et ce type de clause se comprenait dans le contexte général
des relations internationales du temps ;cette clause prévoyait qu'au casou il y

aurait une cession de territoire, elle ne pourrait se faire qu'avec l'accord du
Gouvernement britannique. Et lorsque ce gouvernement a renoncé a se
prévaloirde cette clause Al'égardde la France, le 27 avril 1904, il n'a pas pour
autant - contrairement a ce qu'allègue le mémoire espagnol - remis en
question la souverainetédu Sultan :il s'agitsimplement pour leGouvernement
britannique de renoncer a une faculté d'intervenirsi une cession de territoire
avait lieu.IIseborne a renoncer à une facultéqui Luiest personnelle sans pour300 SAHARA OCCIDENTAL

autant remettre en catise la souveraineté du Sultan qu'ila reconnue en 1895.
C'esten définitivel'accordsecret de 1904qui. dans les rapports de l'Espagne
et de la France, tendra a mettre la Sakiet El Hamra en dehors du territoire
marocain. Je dis bien dans les rapports de l'Espagneet de la Franc: nous nous
trouvons a une époqueoii l'analyse qui explique le traité international dans
tous les ouvrages de droit international du temps, dans tous les enseignements
qui sont donnes sur le droit des traités,est une analyse contractuelle. Il faut
bien reconnaitre que ces traités de l'époquecoloniale étaient essentiellement.
en effet, des contrats entre Etats bilatéralement conclus sur la base de
compensations, de certains avantages réciproques que Ibn s'accordait. Ici.
nous le savons, il s'agitd'une zone d'influenc;nous ne reviendrons pas sur sa
condamnation par l'ensemble de la doctrine, mais c'est cet accord secret de
1904 qui tend a mettre la Sakiet El Hamra en dehors du territoire marocain.
A cet égard on voudra bien nous permettre de montrer comment a l'époque
le Maroc est ainsi traitécomme un objet. Traitésur le Maroc. ainsi étaitqualifie
cet accord. Il est éclairant d'opposer l'objet au sujet. Ce traité aujourd'hui
heurte la conscience internationale et, si étaitconclu, de nos jours. un traitéde
ce genre, il serait incontestablement condamné par référenceau jrts coge/c.iis.

De surcroît ce traité était secret.
On ne saurait donc soutenir, comme le mémoire espagnol croit pouvoir le
faire, que ce traité secretdémontre la non-reconnaissance par la communauté
internationale de la souverainetémarocaine ala Sakiet El Hamra. La preuve en
est précisémentfournie par la lettre explicative de l'accord franco-allemand du
4 novembre 1911a laquelle je me permets de faire référence, lettre explicative
qui inclut en 1911 la Sakiet El Hamra dans le territoire marocain. Les
négociateurs allemands avaient d'ailleurs fait savoir - le Gouvernement
marocain l'aexplicitement rapporte ailleurs - qu'ils considéraientI'accordde
1904 comme leur étant inopposable, selon l'expression mEmequi a etk utilisée
comme une res irireulios acta.
La France tentait en 1911 de reconstituer l'intégritédu Maroc. Ainsi
s'expliquecet accord franco-allemand.
Pour en revenir au traitéde 1904, non seulemeni il n'est pas opposable au
Maroc puisque celui-ci n'y a pas étépartie mais encore, et contrairement a ce
qu'avance le Gouvernement espagnol, qui soutient, dans son mémoire,qu'en

1911 le Maroc étaitdéjàau courant de cet accord alorsqu'en définitivece pays
n'a pu en avoir connaissance qu'au moment du protectorat, le Royaume du
Maroc ne peut se voir opposer un traite dont il n'étaitpas informé. On ne
saurait dès lors lui reprocher son silence a l'kgard de ce traité, comme on
semble vouloir le faire du côté espagnol.
Si nousexaminons, en droit international, lesconséquencesdu silence sur la 1
conservation des droits, on doit se demander si I'Etata l'égardduquel se pose le
problème de l'éventuelle opposabilitédu silence pouvait ou non parler.
Or, un Etat peut en étreempéché,parce qu'il n'a pas connaissance du fait
précisément etles considérations de bonne foi comme d'équitéempkhent
d'induire du silence des conséquences a l'encontre d'un tel Etat. Charles De
Visscher, auquel il faut toujours revenir,compte tenu de l'intérêctonstant qu'il
a montréàces probléines.observe au sujet du silence, dansson livreProblt.i~r~s
d 'iirrerprc;lariotjiudiciaire efi droit ititrniufiot~ul plibli171, que <(des
droits aussi essentiels que ceux qui relèventde la souverainetéterritoriale n'en
seront pas facilement atteints ». Sous-entendu : n'en seront pas facilement
atteints par le recours5 l'argument fondésur le silence.
Et Max Huber fui-même, a la page 23 de son arbitrage. Rrcl~eildeIciColrr

prrr>lartettled'Arbitrage. indique que le silence n'estpas acquiescement. IIfaut EXPOSÉ ORAL DE M. DUPUY 301

noter qu'il le dit alors mêmequ'il visait un traitéde délimitationde frontières

qui semblait disposer du territoire auquel pouvait prétendre un Etat tiers
auquel avait étécommuniqué ce traité.Et Max Huber a refuséde voir dans le
silence, explique Ch. De Visscher. <<une présomption de perte de la sou-
veraineté, parce que cette notification ne s'étaitpas trouvéejustifiée dans le
chef du notifiant par un exercice effectif de la souverainet>>.
Or, ici, en ce qui nous concerne, on relèvera qu'a l'égard duMaroc non
seulement toute notification faisait défaut,puisque précisémentl'objet de ce
traitéest d'être secret, maisde surcroit, ce traitéde 1904 n'est suivi d'aucune
prise de possession effectivede la Sakiet El Hamra par l'Espagne.
En fait donc, ce traité ne pouvait pas êtrerévéfepar des faits qui fussent
venus le concrétiser sur le terrain et alerter le possesseur immémorial. En
définitive, on s'aperçoit, aux termes de cet examen portant sur les assises

internationalesde la possession immémoriale duMaroc au Sahara occidental,
qu'il aura fallu une série d'accordsentre puissances, au début duXIXe siècle,
pour que soit mis fin a l'acquiescement général séculaire que la communauté
internationale avait donnéa la possession immémorialemarocaine au Sahara
occidental.

Ceci nous conduit a examiner, dans une seconde démarche, non plus les
éléments del'assise internationale de la possession immémoriale, mais les
élémentsconstitutifs de la possession immémoriale elle-rnëme, son assise
interne.
A ce niveau de mes explications, Monsieur le Président, Messieurs les
membres de la Cour, je voudrais solliciter de la Cour ['autorisation de me livrer
à une manière de synthèse juridique de l'ensemble des argumentations que les
agents et les conseils du Gouvernement marocain ont eu le grand honneur de
présenter jusqu'icia la Cour, une synthéseet une conclusion, puisque aussi
bien avec moi s'achèvent les interventions raites au nom du Royaume du
Maroc, a cette barre, dans cette première phase de la procédureorale.
La possession immémoriale se fonde non sur un acte isoléd'occupation,
nous l'avons rappelé, maissur scinexercice public, ininterrompu et incontesté,

durant des siécles.Il en résulte que le Maroc n'a pas a invoquer des titres
historiques particuliers. Encore en présente-t-il. parsurcroit, bien entendu. mais
il n'aurait mêmepas besoin d'yrecourir pour établirsa souverainetéau Sahara
occidental. Son droit apour fondement précisémentcet exercice immémorial
de l'autorité.
Je voudrais, a cet égard, faire référence un arbitrage, l'arbitrage de
Mwresartge de 1902, qui se trouve notamment citédans l'ouvrage de hi. Blum
Historic Tit1t.siii Iir~rniu~iolaw, paru en 1965,page 23. Nous lisons dans
cette sentence arbitrale Meeresurige:

La possession immémoriale est une possession qui dure depuis si
fongtemps qu'il est impossible de fournir la preuve d'une situation
différente et qu'aucune personne ne se souvieni d'en avoir cntendu
parler.)>

Notons bien que, comme le niarquait fortement Charles De Visscher dans
son plaidoyer devant la Cour permanente lors de l'affaire sur le Starlit
jiiridiqiiditGi.ut.111a1oirie~rral,invoquer la possession immémoriale n'est pas
invoquer la prescription acquisitive, car celle-ci se fonde sur un délai préfixé302 SAHARA OCCIDENTAL

qui n'existepas en droitinternational, ellesesitue dans des relations bilatérales,

et crée un droitsubjectif au profit de celui qui peut s'en prévaloir,alors qu'au
contraire la possession immémoriale établit undroit objectif.
Des lors, comme le disait aussi cet auteur, il n'y a pas, pour la prouver, a
démontertout un processus temporal précis,il n'y a pas aremonter a une date
précise. Encore que le hlaroc ait démontré que sa présence au Sahara
occidental remonte au moinsau Xc siècleavec les Idrissides;nous n'avons pas,
ici. en tout casa y revenir.
Si nous nous reportons plutôt a l'arbitrage de h4ax Huber déjàcite, nous
lisons que :

<(bien que continue dans son principe, la souveraineté ne peut étre
exercée matériellement a chaque moment et sur chaque parcelle du
territoire. L'intermittence et la discontinuité compatibles avec le maintien
du droit diflerent nécessairementselon qu'il s'agitde régions habitéesou
inhabitées n,

et d'autres caractères particuliers propres au territoire que l'illustre arbitre
envisage.
Le Maroc pourrait aussi se prévaloir des caractéristiquespropres a ce milieu
géographique. Il n'en fait rien, car le Maroc n'a pas besoin d'invoquer ces
considérations lui-même. En revanche l'Espagne ne peut se prévaloir, car la
règle dégagép ear Max Huber concerne I'occupation etdonc un territoire sans
maitre. Or précisémentles événements de l'histoire ont démontré que le
Gouvernement espagnol n'a pu occuper effectivement le Sahara occidental
avant une époque toute récenteet que sa souverainetéa été acquise par d'autres
voies ;il n'a paspu l'acquérirpar l'occupation parce que ce n'étaitpas une tcrru
iilrlliiis.parce qu'il y a été empêchpeendant longtemps par 1'Etatmarocain et
par le peuple marocain. La possession immémorialese fonde à la fois sur une

notion spatiale et sur une notion temporelle. C'est ce double fondement qui
permet d'apprécierl'importance des liensjuridiques qui existaient au moment
de la colonisation espagnole entre le Royaume du Maroc et le Sahara
occidental.

Et tout d'abord. avec l'autorisation de la Cour, je voudrais évoquer la
concrétisation de la notion spatiale de possession immémoriale.Le Sahara
occidental a toujours étéintimement lie au Maroc intérieur par des liens
géographiques, ethniques. culturels que M. le procureur généralBenjelloun a
démontrés devantla Cour - je n:aipoint ay revenir. Je voulais simplement les
rappeler, parce que le droit international attache une importance décisive a ces
éléments.Qu'on me permette une dernière fois de donner la parole a Charles
De Visscher, illustre plaideur dans l'affaire du Groënland oriental. II s'écriait
devant la Cour :

<<Nous parlons tous ici beaucoup de terre sans maître et d'occupation.
Nous ne pouvons pas oublier que derrière ces abstractions il y a des
réalitéshumaines, des hommes avec leurs aspirations et leurs besoins. ))

Cette observation qui souligne l'importance fondamentale de ces relations
humaines nous amène B nous poser le probIeme de la contiguïté.
La contiguïtéest écartéepar l'arbitre Huber comme ne fournissant pas à elle
seule un critère suffisamment précis etsolide. Max Huber avait raison dans le
cas qu'il examinait. Mais ce n'est pas de cette contiguïté-laque nous parlons. EXPOSE ORAL DE M. DUPUY 303

Nous sommes dans un domaine différent,non seulement parce que nous ne
sommes pas dans le domaine de la contiguïté maritimequi étaitcelui qui était
considérédans l'affaire deLas P~zlrnas mais aussi parce que nous n'en sommes
pas,en ce qui concerne le Maroc, à invoquer des droits fondéssur l'occupation
de territoires sans maître. L'exigence qui inspirait l'arbitre Max Huber était
l'exigence d'effectivit: il ne voulait pas que la contiguïté. a elle seule, pût
permettre a travers des espaces maritimes l'acquisition de la souveraineté
territoriale alorsqu'aucune autre relation concrète, réelle.charnelle, historique
et humaine ne pourrait la sous-tendre dans la réalité socialeE . n revanche la
contiguïtéreprendtoute sa valeur lorsqu'au lieu de se situer dans lecadred'une
argumentation éventuellesur la base de l'occupation des territoires sans maître
on la place dans un autre domaine, dans celui du possesseur immémorial, et

donc effectif, pour qui la contiguïté est un élément dusupport humain et
historique qui rassemble des régionset des hommes dans un mêmedestin. On
peut dire,à cet égard, que la contiguïtéest reconnue comme valable, comme
base, comme support de rapports sociaux réels soutenant la possession
immémoriale. La pertinence juridique des notions de proximité ou d'unité
géographiqueest invariablement subordonnée a des comportements humains.
Qu'on me permette de rappeler que cette observation trouve sa confirmation
dans diverses affaires dont a eu a connaitre la jurisprudence internationale,
l'affaire du Luc Lanoux par exemple. Mon éminent collègue l'a fort bien
explicitédans son ouvrage Droitinternationolpublic,éditionde 1968, page 117,
lorsqu'il écri:« la souveraineté territoriale réguliérementétabliesur un terri-
toire entraine au titre de la contiguïtéla souveraineté sur les élémentsacces-
soires de ce territoire qui en sont inséparable».
Or. en ce qui concerne le Sahara occidental, cet élémentaccessoire qui en est
inséparable estconstituépar ces terres de parcours des tribus marocaines.
Le Maroc constituait ainsi avec ses terres sahariennes un tout organique.
Cette notion de tout organique tient une place importante dans diverses

sentences et notamment dans la sentence prononcée en 1904 par le roi d'Italie
dans l'affaire dite du Contestéanglo-brgsilien.
On retrouve la méme idéedans l'affaire du Groënlund oriental ou fut
reconnue l'unitégéographique du Groënland oriental, unité naturelle qui se
double de l'exercice sur le territoire d'une possession efictive a travers le
temps.

Nous abordons ainsi la seconde notion dont nous voudrions exanliner la
concrétisation :la notiontemporellede lapossessionimmémoriale.11résultede
l'arrêtsur le Sfatut juridique du Groënland oriental que le possesseur
immémorial fonde son droit tant sur la volontéd'agir en souverain fanimus
possedendi) que sur les manifestations extérieures ou matérielles de la
souveraineté :c'est l'élément objectifl,ecorpus.
Nous voudrions très rapidement et pour conclure rappeler ces divers
élémentsau niveau des liens juridiques entre le Royaume du Maroc et le
Sahara occidental au moment de la colonisation espagnole.

1. Tout d'abord la volontéd'agiern souverain.
Que l'on nous permette de citer ce qu'écrivait un éminent juriste devant
lequel nous avons l'honneur de plaider aujourd'hui dans TheBritish YeurBook
of Interna~ionaLl aw, en 1948, àla page 334 :«the intention and will to act as
sovereign ...seemsto mean no more than that there must be positive evidence
of the pretensions of the particular State to be the sovereign of the territory ».304 SAHARA OCClDENTAL

Or. en ce qui concerne le Maroc au Sahara occidental, la Cour a pu relever
de multiples marques de cette volonté.
Premièrement, elle se manifeste par les déplacements dessultans dans leurs
territoires sahariens a travers l'histoire. Toutes les dynasties ont eu au moins
un sultan qui a foulé laSakiet El Hamra ;je rappellerai pour mémoire les
voyages si importants du sultan Moulay Hassan en 1882 et en 1886 dans les
provinces du Sous et de l'oued Noun, dont mon collègueet ami le professeur
Paul Isoart aentretenu la'lour hier.
Deuxièmement, la politique commerciale dessouverains et notamment cette
politique destinée a éloigner des cotes sahariennes les agents des sociétés
étrangèresqui intriguaient pour attenter a l'unitéet à l'intégritéde l'Empire
pour tenter de tourner les interdictions de commerce. De ce type de politique
commerciale on trouvait d'autres exemples dans d'autres régions dumonde a
l'époque,ou l'on voyait ainsi se manifester des tentatives de résistance des

Etats. parfois nouvelIement indépendants,commeen Amérique latine, contre
certaines pressions d'entreprises économiques. C'est un problème qui de nos
jours encore est souvent évoque dans les instances internationales et que les
sultans de l'époque s'efforçaientde résoudre avec les moyens dont ils
disposaient. moyens que nous avons étudiesdevant la Cour.
En troisième lieu, les protestations par notes diplomatiques adressées aux
représentants des puissances européennes a Tanger contre notamment les
tentatives d'empiétenients territoriaux au Sahara occidental, notamment la
fameuse circulaire du 15 mai 1886 dont on parlait hier devant la Cour.
2. Tous ces actes qui manifestent la volonté d'agiren souverain trouvent
leur confirmation expresse .dans des manifestationsobjectives de souveraineté
marocaineau Sahara occidental,C'est ledernier point que j'aborde.
"Madame Bastid, dans son cours a l'Académiede droit international de
La Haye publiéau Recueil des cours de l'Académie.tome 107,page 141,cours
portant sur la jurisprudence territoriale de la Cour internationale de Justice.
commente la méthode du juge international ; elle observe que cette méthode
consiste a admettre la souveraineté territoriale de I'Etat qui peut prouver un
long usage établi traduisant un ensemble d'intérêtsou de relations qui
rattachent le territoire a 1'Etat.

Bien entendu. dans le cas présent,la souverainetéque nous plaidons, c'estla
souverainetéau moment de la colonisation espagnole. Il n'estpoint nécessaire
de le souligner.
Le corpus possessionis résulte, a l'évidence,de l'exercice des fonctions
étatiques. Le Maroc, en eîîet, a constamment maintenu sa souveraineté au
Sahara occidental par un exercice ininterrompu, sous réservede ce que nous
disions tout a l'heure avec l'avènementde la colonisation.
Relevons que l'administration marocaine, au Sahara occidental, n'était pas
une administration spéciale, spécifique a ces territoires. Il s'agissait d'une
administration identique a celle établiesur le reste du Maroc. Observons que
dans l'affaire du Croënland oriental le Gouvernement danois a considéré
qu'une administration rudimentaire suffisait pour prouver la possession
immémoriale danoise que la Cour a d'ailleurs reconnue. Mais. dans le cas
présent,au surplus, le Maroc n'a pas a invoquer un argument de ce genre. Le
Maroc a mis en place une administration chérifiennequi, comme dans le nord,
était parfaitement adaptée.aux réalitéshumaines et a la structure tribale du
pays. Pour présenter la synthèse ultime de ces manifestations du pouvoir
marocain au Sahara occidental, nous nous contenterons de les ramasser en
quatre obse.wations.
Premièrement, l'allégeance. L'allégeance des grandes familles de caïds EXPOSE ORAL DE M. DUPUY 305

sahariens. allégeance renouvelke chaque renouvellement de sultan, allé-
geance de grandes familles : Beyrouk, Brahim Ben Ali, Brahim Ben Barek,
Brahim Halil, les grands caïds du sud. Allégeanceaussi, ne l'oublions pas, des
représentantspersonnels du Sultan au Sahara occidental, Ma el Aïnin et ses fils
après lui qui feront, a leur tour, la mêmeallégeance.
Deuxième observation : nominations et destitutions de caïds dont le
Gouvernement marocain a fourni dans ses documents et dans ses divers écrits
de très nombreux exemples, nominations de cadis aussi. Les cadis. nous le
savons, étant desjuges coraniques.
Enfin, troisième observation :perceptions fiscales fondées soitsur le Coran,
qui, ne I'oublionspas, est la loi- etce sont les impôts coraniques - soit des

perceptions fiscales établies par des réglementations douanières ou par les
réglementations portuaires auxquelles nous faisions. tout a l'heure, alIusion.
Et àces trois observations, on pourrait en ajouter une quatrième : Décisions
militaires. tellesqu'ellesse concrétisentdans l'envoidecontingents arméspour
chasser les étrangers débarquant clandestinement sur la ccite, les Mackenzie,
Curtis, Alvarez Pérez, Bonelii, etenfin l'envoi d'armes, notamment a Ma el
Aïnin.
Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, le conseil du
Gouvernement marocain que je suis croit devoir s'arrêterla. Certes, il y aurait
beaucoup d'autres chosesà dire, mais il faut savoir se borner, quelle que soit la
pression intérieureque l'on ressent. a vouloir mettre Ia Cour en possession de
tous les éléments d'undossier si riche. Que du moins il nous soit permis de
rappeler que tous nos développements ont été fondéssur l'effectivitéde la
possession marocaine, qui s'étalaitau Sahara occidental a travers les siècles.
C'estpourquoi le Gouvernement marocain croit avoir démontreque des liens
juridiques unissaient le Royaume du Maroc au Sahara occidental au moment
de la colonisation espagnole et ilcroit avoirdémontréque ces liensétaientalors

des liens de souveraineté.
Je ne saurais quitter cette barre, Monsieur le Président. Messieurs les
membres de la Cour, sans vous exprimer ma vive reconnaissance pour
I'attention bienveillante que la Cour m'a fait l'honneur de m'accorder. EXPOSE ORAL DE XI. MOULAYEEL HASSEN

REPRESENTA~T DU GOUVERNE ME^ ~MAURITANIEN

M. MOULAYE EL HASSEN: Monsieur te Président, Messieurs les
membres de la Cour, le Gouvernement mauritanien est particulierement
honore de pouvoir a nouveau prendre la parole par l'intermédiaire de ses

représentants et conseilsdevantlaCour internationale de Justice.
Cet honneur est d'autant plus vivement ressenti que nous avons l'occasion
d'aborder le fond d'un problème aussi essentiel et aussi vital pour le
Gouvernement mauritanien, car il s'agit tout simplement de notre intégrité
territoriale. de l'unitéde notre peuple.
Nous sommes également particulièrement sensibles, surtout en tant
qu'Arricains,au choix qui a été fait du président Boni. présidentde la Cour
suprême dela Côte d'Ivoire. comme juge ud /!oca la Cour internationale de
Justice. tes hautes vertus et l'intégritémorale du président Boni le destinent
tout naturellement a assumer les responsabilites qui sont aujourd'hui les
siennes. C'est donc avec fierté etune entière confiance que nous exprimerons
devant lui notre point de vue, comme nous le ferons aussi devant cette
respectable instance internationale.
Je voudrais aussi, au nom de mon pays, remercier le Secrétaire général des
Nations Unies. le Gouvernement marocain et le Gouvernement espagnol pour

le grand nombre de documents et pour les exposés écrits qu'ilsont fournis a la
Cour. Nous aurons l'occasion, tout au long de ce débat, de dire ce que nous
pensons des textes et des documents présentéspar le Maroc et par l'Espagel,
surtout, de reprendre ce qui nous a paru de caractére excessif. Je voudrais
auparavant signaler qu'en présentant son expose écrit le Gouvernement
mauritanien avait pour souci exclusif d'informer et d'eclairer la Cour sur les
questions posées.comme cela lui avait étédemandé par la résolution 3292
(XXIX) de L'Assembléegénéralede l30rganisation des Nations Unies. La
lecture parallele des exposés écrits du Gouvernement marocain et du
Gouvernement mauritanien pourrait certes donner l'impression qu'il existait
des discordances entre les points de vue des deux gouvernements.
La déclaration faite par l'ambassadeur Slaoui, mon collègue et frère, le
25 juin 1975, ici mEme, devant la Cour, enlève un grand nombre de
préoccupations que le mémoire marocain avait suscitées de la part du
Gouvernement de la République islamiquede Mauritanie.

En effet. cette déclaration indique clairement : premièrement, que le
Gouvernement du Maroc ne conteste pas que le sud du Sahara occidental
faisait partie de l'ensemble mauritanien ; deuxiememenl, qu'il reconnait
égalementque la forme du pouvoir qui s'yexerçait ne pouvait faire tomber ces
territoires dans la catégorie{erra ~~lrllEnrc.nséquence, le Gouvernement
mauritanien s'abstiendra. dans l'exposeoral qu'il doit fairedevant la Cour en la
présente affaire, de revenir sur un certain nombre de faits. élémentsou
affirmations qui lui paraissaient contraires a ses droits et auxquels il n'aurait
pu, en aucun cas, souscrire. La Cour comprendra que le souci du
Gouvernement de la République islamique de Mauritanie est. ici. de ne pas
allonger davantage lesexposésoraux par des réfutations non indispensables ou
qui pourraient être hors de propos.
De son cote, le Gouvernement de la République islamique de Mauritanie EXPOS~ORAL DE M. MOULAYE EL HASSEN 307

croit de son devoir de rappeler respectueusementa laCour que celle-cin'estpas
appelée.dans la présenteinstance, a statuer sur une quelconque contestation
territoriale.
Ainsi. le Gouvernement de la République islamiquede Mauritanie tient a

apporter certaines clarifications a propos de certains points qui pourraient
paraître obscurs dans son propre exposé écrit du27 mars 1975. C'est ainsi,
d'une part. qu'aux yeux du Gouvernement de la République islamique de
Mauritanie, la référence a l'oued Saguiet el Hamra ne saurait êtreinterprétée
comme une frontière. mais bien comme une limite habituelle des zones de
nomadisation des tribus relevant de l'ensemble mauritanien. Il s'agit la. en
effet, d'une zone de chevauchement des parcours de nomadisation des tribus
venant de la zone nord comme de la zone sud. D'autre part, le Gouvernement
mauritanien tient a souligner que, lorsqu'a la page 54(111)de son exposéécrit
il invoque l'existence de tribus indépendantesdu sultan du Maroc, ilentend
viser, exclusivement les tribus dépendant de l'ensemble chinguittien, comme
l'attestent d'ailleurslesautres passages de son exposéecrit. établissantque la ou
s'arrêtel'ensemble mauritanien commence le Royaume du Maroc.
Nous avons en effet. dans notre exposéécrit,établiles limites géographiques
de Iénsemble mauritanien, telles qu'elles ont existe historiquement. Nous en
avons décrit lesstructures sociales et politiques. nous en avons présentéla
physionomie géographique. Cet ensemble est aujourd'hui divisé en deux
parties: celle qui a accédéà l'indépendance en 1960, sous le nom de
République islamiquede Mauritanie, et celle constituéepar la majeure partie

du Sahara sous administration espagnole. Cette clarification d'ordre geogra-
phique me semble d'autant plus s'imposer qu'il existeune telle confusion qu'on
ne sait plus ou se trouve le Sahara dont il s'agit ici,devant la Cour. On peur
penser tantôt qu'il s'agitdu Sahara marocain, dans les régionsde l'oued Noun
et du Sous, dont l'appartenance au Maroc ne saurait désormais ktre contestée.
On peut penser qu'il s'agit de tout le Sahara occidental qui correspond au
territoire de la Rkpublique islamique de Mauritanie et à celui du Sahara sous
administration espagnole. On peut mêmeconcevoir, et pourquoi pas, que ce
dont il a étéquestion dans certains exposés esttout le Sahara du Sud algérien
jusqu'a I'Azouad du Mali.
IIy a des confusions, a notre sens.qui méritent d'êtelarifiéeset l'une deces
confusions que je cite comme exemple parmi tant d'autres a eu polir auteur
mon autre ami. le procureur Renjelloun. lorsqu'il a parlé, a la page 200 ci-
dessus. d'un ministre marocain d'origine saharienne qui parlait bien le
hassania :je voudrais, ici, confirmer que ce ministre est marocain et qu'il est
effectivement d'origine saharienne. mais ce que le procureur BenjeHoun a
oublié de dire a la Cour. c'est qu'il s'agit d'un Saharien qui était, en fait,
condamné a mort en raison. précisément,de sa présenceau Maroc, parce qu'il

s'agit d'untransfuge mauritanien qui a quittéla ville d'Atar en 1958 et qui se
trouve depuis lors au Maroc. II est évidentque le pardon lui a étéobtenu et
qu'il peut revenir au Sahara quand il le veut. comme il peut rester au Maroc
puisqu'il a maintenant la nationalité marocaine. IIyad'autres erreurs relatives
surtout a la localisation des points mentionnés par certains textes. Lorsqu'un
endroit est mentionné par un texte, lorsqu'il existe unnom similaire quelque
part, bien que le premier mentionné par le texte soit en dehors du territoire
concerné. c'estquelquefois le deuxième qui est considéré Iebon.
Il s'agitla de confusionsqui auraient dû êtreécartéespour la clarté du débat
et pour permettre une appréciationsaine et objective du problèmeportédevant
cette instance internationaleDe méme.je suis persuade que la Cour consi-
dérera certainement comme inapproprié tout argument touchant à la souve-308 SAHARA OCCIDENTAL

rainetéet aux frontières actuelles des Etats représentes ou non devant la Cour
dans la présentedemande d'avis. Pour sa part, la délégationmauritanienne se

fera le devoir de préciser certaines notions se rapportant 5 cette région
saharienne ;ellese ferale devoir de contribuer ainsi a inscrire notre débatdans
son cadre véritable.
Je peux vous assurer, Monsieur le Président, je le dis en toute humilité,que
nous ne sommes pas étrangers a cette région, que nous en connaissons
parfaitement la géographie, que nous en connaissons parfaitement le
peuplement dans toutes ses composantes quelle que soit leur nature.
Lorsqu'on sait qu'il s'agit de terres qui se confondent avec notre existence
mëme ;lorsqu'on sait qu'il s'agitde nous-mêmes,on ne peut pas s'étonner.je
crois, d'une telle allirmation de notre part.
Attachement sentimental.attachement psychologique. cela va de soi, et c'est
surtout attachement charnel qui a façonne une philosophie, une mentalité,
lesquelles ont facilité& leur tour un certain dialogue. Nous aurons l'occasion
donc de précisercertaines notions avec honniteté et objectivité.
En ce qui concerne lesannexes et lesdocuments présentesle 27 mars 1975 a
la Cour par le Gouvernement espagnol. ils ont de notre point de vue
incontestablement étayerencore davantage certains arguments que nous avons
nous-mêmesdéveloppésdans notre exposéécrit. Ils ont dans leur presque
totalitéconfirmél'existenced'un ensemble homogène au triple plan politique.

humain et culturel. Ils en ont établil'indépendancepar rapport aux Etats qui
se sont crées ou qui ont existédans son voisinage immédiat. Ifs'agit de cet
ensemble mêmeque j'ai déjàévoqueau début de cet expose :dont la réalité
a été clairement perçuepar l'Assembléegénéraledans sa résolution 3292.
et qu'ellea qualifie d'ensemble mauritanien.
Dans son exposéezrit, au contraire. le Gouvernement espagnol a essayéde
faire ressortir ce qu'il co;?sidere êtreune contradiction dans la politique du
Gouvernement mauritanien qui, après avoir revendiqué leSahara occidental
sous administration espagnole, s'est rallié,a partir d1966,a l'autodéterrnina-
tion età l'indépendance.
Mais lorsqu'on procède a un examen attentif de la position mauritanienne.
telle qu'elle s'est expriméedevant les divers organes de l'Assembléegénérale
des Nations Unia. on ne peut valablement soutenir l'existenced'une contra-
diction quelconque dans cette position.
LeGouvernement mauritanien a accepté certesle principe de I'autodétermi-
nation, mais il ne séstjamais départipour autant de sa position fondamentale.
àsavoir que le Saharasous administration espagnole fait partie intégrantede la
République islamiquede Mauritanie.

ce n'estpas a une autodétermination préfabriquéeque mon pays a souscrit.
Ce n'est pas à celle qui doit nécessairement.comme le veut le Gouvernement
espagnol: mettre en cause l'intégritde notre pays ou faire de nos compatriotes
du Sahara les pions d'un échiquier politique qui leur est complètement
étranger.
L'autodéterminationa laquelle nous avons souscrit, c'est cellequi suppose la
sincérité,c'est celle qui suppose l'authenticité etla libertéde l'expression. c'est
celle qui ne doit pas êtrepréparéea l'avance avec la bénédictionvolontaire ou
involontaire, et surtout involontaire, des Nations Unies.
Le conseil du Gouvernement mauritanien aura l'occasion dans les
prochaines séances de parler en détail de cette position de la République
islamique de Mauritanie.
Ce sont donc les quelques thèmes que nous allons avoir à développerau
cours de ce débat sui le probléme du Sahara. Nous le ferons sans artifice EXPOSE ORAL DE M. MOULAYE EL HASSEN 309

aucun, nous le feronsavec l'honnêtetéet l'objectivitéque requieit le resdûct
a une instance aussi prestigieuse que celle de la Cour internationalede Justice.
Nous essaierons surtout d'accéderdansla mesure du possible a votre demande,
Monsieur le Président,d'éviterdes répetitionsou des développements inutile;
notre souci constant sera d'êtreclairs, d'être objectifs.
Nos moyens sont certes limités.Nous lesavons. Mais nous avons un moyen
extrëmement important, c'est notre bon droit. C'est la foique nous avons en
cette justicemême, dont vous êtes,Monsieur le Président, Messieurs les
membres de la Cour, le symbole et lapersonnification memes. Nous avons foi
en cette justice qui est égalepotous et devant laquelle la raison du plus fort
n'estpas toujours la meilleure.
Nous partons il est vrai avec un handicap certain par le fait que nous
n'ayons pas pu avoir l'avantage de désigner unjuge adfloca la Cour. Mais la

Cour jouit de notre entière confiance et nous I'assurons de notre loyale
coopération.
Cela met fin. Monsieur le President, aux quelques remarques préliminaires
que j'ai voulu faire. TREiZIÈhIEAUDIENCEPUBLIQUE (4 VI1 75, 10 h)

Pre'serii:[Voir audience du 25 VI 75.1

EXPOSE ORAL DE M. SALMON

REPR~SENTANT DU GOUVERNEMENT MAURITANIEN

M. SALMON :Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, le Gouverne-
ment mauritanien souhaiterait commencer son exposé par ce qui lui parait

normal :une réponse a Iéxposkécrit du Gouvernement espagnol. En effet,
c'est celui qui traite essentiellement d'un certain nombre de questions
préalables, voirede questions relatives a la compétencede cette Cour; il nous
semble donc normal de commencer par cela. 11faut dire que cet expose nous a
posé deux très graves problèmes :d'abord par sa richesse, l'ensemble des
arguments qu'il contenait, et un autre. qui est sans doute un peu plus trivial.
que les pages se décollaient régulièrementpour celui qui, comme moi, y a
travaillépendant de nombreux mois. Ce second problème,j'ai pu le résoudre
plus facilement. Quant au premier, vous verrez par vous-mêmessi le Gou-
vernement mauritanien est de nature a vous apporter certains eIémentsde
conviction.
Comme je te disais. l'exposé écridtu Gouvernement espagnol est riche en
arguments juridiques nombreux et divers. Dans l'exposéoral qui va suivre,
nous allons essayer de répondre a ces arguments, en tout cas aux principaux
d'entre eux et vous nous permettrez de ne pas suivre l'ordre qui avait étésuivi

par le Gouvernement espagnol mais essayer de dégagerce qui nous parait être
les grandes lignes, les lignes de force. de cette argumentation. leur armature,
leur ossature, afin d'y répondre - parce que c'eslà l'essentie- en laissant
tomber certains détails que nous pensons accessoires. Nous pouvons être
persuades, étantdonnéla finesse de la délé-gatioqnue nous avons face à nous,
que si ces détailsne sont pas accessoires elle nous le fera bien savoir.
Réduite a sa plus simple expression, il nous parait que l'argumentation
espagnole consiste a soutenir les deux grands thèmessuivants.
Prinio, que le mode d'autodétermination serait définitivementfixé par
l'Assembléegénérale.En quelques mots, l'argumentation est la suivante :
l'Assembléegénérale a proclaméle droit de la population autochtone du
Sahara occidental a l'autodétermination ;elle a décidéque cedroit s'exercerait
par un référendum ;ceci aété acceptépar la Puissance administrante et par les
principaux Etats intéressés.Il aurait ainsi été créé une situation objective,
fondéenous dit-on dans lejus cogp~is,qui s'impose tant a 1'Assembleequ'aux
Etats intéressés et avous-mimes. Il en découlerait aue les deux auestions

posées par 1'Assemblég eénéralesont sans pertinence, qu'ellesnepouvaient etre
posées.car elles remettaient im~licitemenl en question le statut obiectif du
territoire. J'espérene pas avoir Gop trahi la fondamentale du"Gouver-
nement espagnol.
Le second thème, qui me parait aussi revenir avec beaucoup de régularitéau
fil des pages, c'est que les questions poséesa la Cour soulèvent un conflit
d'attribution de souveraineté territoriale ou. alternativement, que si on ne EXPOSE ORAL DE M. SALMON 311

retient pas cette hypothèse les questions sontpurement académiques. Dansles
deux cas, le Gouvernement espagnol en tire la conclusion qu'un tel conflit est
impropre a la juridiction consultative et que, des lors, la Cour doit ou bien
élargir les. questions en y incluant la question préalable du droit a

l'autodétermination du territoire ou bien se déclarer incompétente. car les
questions qui lui sont posées sont impropres a sa juridiction en matière
consultative.
Nous estimons que tout cet intéressant édificerepose sur deux postulats :
d'une part, une certaine interprétation du principe du droit des peuples a
disposer d'eux-mèrnes, en général,et en particulier dans le cas du Sahara
occidental et, d'autre part, une qualification des questions qui vous ont été
posées envue de tes faire apparaitre soit comme des questions portant sur un
conflit d'attribution de souveraineté soit comme des questions purement
academiques.
A notre sens ces interprétations ne sont pas exactes et il en va ainsi tant du
contenu du principe de l'autodétermination tel que le conçoit l'Espagne que
des qualifications de conflit territorial ou de questions académiques. Aussi
souhaiterions-nous traiter ces deux problèmes en deuxparties : fa premiere qui
examinerait le principe du droit des peuples àdisposer déux-mêmesen matière
coloniale et la seconde qui examinerait la question des arguments spécifiques
sur la compétencede la Cour fondéssur la qualification de conflit territorial.
Si je parviens a me tenir a mon horaire, la première partie serait pour

aujourd'hui et la seconde pour demain.
En ce qui concerne tout d'abord la premiere question, celle du principe du
droit des peuples ldisposer d'eux-mêmesc ,'est une vaste question, une énorme
question, sur laquelle il a déjaété écridte nombreux livres - je dois dire que
moi-mêmej'ai commis un coui-s chez le professeur Rousseau a Paris, il y a
quelques années,sur cette question.
Il n'est pas question ici de prendre tout ce vaste problème ; il faut
absolument le limiter aux questions qui sont celles dont nous sommes saisis,
c'est-à-dire au probléme de la décolonisation. C'est en effetprobablement en
matièrecoloniale que ce principe du droit des peuples a disposer d'eux-mêmes,
qui est prévu par l'article 1,paragraphe 2, de la Charte, a reçu, disons, une
forme relativement solide. Le principe a pu se dégagerpar un certain nombre
de textes importants qui jalonnent l'histoiredes Nations Unies. Ces textes sont
a ce point importants que tait le monde maintenant les connaît par les
numéros des résolutions des Nations Unies : c'est la résolution 1514 (XV) :

déclarationsur l'octroi de l'indépendanceaux pays et aux peuples coloniaux ;
c'est la résolution 1541(XV) qui prévoyaitles principes qui doivent guider les
Etats Membres pour déterminer si l'obligation de communiquer des
renseignements prévue a l'alinéac) de l'article 73 de la Charte leur est
applicable ou non ;et c'est larésolution2625(XXV) sur les relations amicales.
Ces textes, dont la doctrine a parfois discutéla portée,ont étéaccompagnés,
nourris, interprétés parune vaste pratique des organes des Nations Unies et en
particulier de l'Assembléegénérale. Toutefois, cettepratique est complexe. Je
crois que si l'onexamine ala fois cestextes et cette pratique on peut dire que le
principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes enmatière coloniale est
indéniablement un principe juridique, bien établi ; mais il faut reconnaître
aussi que son expression juridique et ses applications n'en reflètent pas moins
fréquemment les contradictions qui existent et qui demeurent dans la société
internationalecontemporaine.
II y a aussi une autre chose qu'ilne faut pas oublier, c'estquce principe du
droit des peuples itdisposer d'eux-mêmesest indissociable des autres principes312 SAHARA OCCIDENTAL

des relations amicales qui se trouvent dans la Charte, parmi lesquels se trouve
le principe du respect de Ia souveraineté et de l'intégritéterritoriales. J'y

reviendrai bien sûr.
Je crois enfin que le principe ne peut pas être envisagédans l'abstrait et
jamais, d'ailleurs, l'Assembléegénéralene l'a envisagéde cette maniere :cela,
c'estbon pour les professeurs dans les facultésde droit. L'Assembléegénérale
examine les questions dans le concret des situations i régir.La différence des
conditions politiques, sociales et économiquespeut justifier des différencesde
traitement qu'une formule abstraite ignore. Leprincipe est des lors un véritable
standard juridique dont le contenu s'adapte aux situations concrètes et qui
évolue, au surplus, dans le temps en fonction des données objectives des
relations internationales et de l'évolutiondes conceptions des Etats qui sont
Membres de cette Assemblée généraleet des nouvelles majorités qui s'y
dessinent.
Au centre du débat, ily a deux problèmes :ladéfinitionde peuple qui a droit
a l'autodétermination etles formes de l'exercicede I'autodétermination.Je ne
m'appesantirai ni sur l'un ni sur l'autre ; faisons simplement quelques

remarques de nature purement généralepour vous montrer la complexité des
choses.
En ce qui concerne la définition du peuple, le point de savoir a partir de
quand une population devient un peuple, au sens du droit de la décolonisation,
demeure une question vivement débattue. Tout groupe humain ne peut être
considéréipso .facto comme un peuple. La plupart des groupes humains sont
eux-mêmesdes sous-groupes. Qans la chaine des groupes et des sous-groupes
qui s'incluent mutuellement, le droit isole certaines situations et les qualifie de
peuples, d'Etats, de provinces, de cantons, d'Etats fédéré smais ceci ne résout
pas le problème. Quand le groupe est-il digne d'une de ces qualifications ?
C'est le phénomèneinverse, celui de la décomposition de I'Etat, qui nous
montre bien la difficulté,le cas de la sécessionpar exemple ;l'on voit que le
droit international n'a pas résolule probleme de la qualification, c'est-à-dire le
probleme de savoir qui peut qualifier. S'il l'a résolu d'une maniere limitée.
rnémesi j'ai prétendu. dans un article au M(i11d~ diplor?rariqrieil y a quelques

mois. que l'Assembléeavait. a cet egard, un rôle très important a jouer, le
problèmede la qualificalion pour savoir qui est un peuple et qui est un Etat ou
qui n'a pas droit a cette qualité suprêmereste certainement une question
difficiledu droit international actuel. En cas de sécession, est-cela population
qui prétend êtreun peuple et qui veut se séparer, est-ce eHe qui va décider
qu'elle estun peuple ou est-ce l'ensembledont elle fait partie qui doit avoir un
mot à dire dans la question ? Vous vous souviendrez certainement tous d'une
célèbre citation du professeur GeorgesScelle.avant-guerre, a ce sujet. A quel
niveau doit s'exercer le droit des peuples a disposer d'eux-mêmes resteun
problème pour lequel le droit est pratiquement impotent ;de fait, c'est une
question d'histoire, c'est une question de politique, c'estune question de force.
Ces réflexions montrent, des l'abord, la complexité du probleme, son
opacité, l'importance des données de fait : culturelles. économiques et
politiques, la primauté du politique. Lejuriste doit faire preuve de discrétionet
d'humilité.

La seconde grande question, c'est celle des formes de I'exercicedu droit a
l'autodétermination. Cette questionest plus simple, car elle est plus technique.
IIy a des textes. Alors, lejuriste sesent revivre ;car, en effet. la déclarationsur
l'octroa l'indépendance,la résolution 1 5 14(XV)proclame plusieurs principes
qui dominent la matière :paragraphe 2, paragraphe 3,paragraphe 5 de cette
résolutionqui vous a étédistribuée.je pense, dans la documentation remise par EXPOSE .RAL DE M. SALMON 313

le Secrétaire généralJ.e ne vais donc pas relire tous ces paragraphes fonda-
mentaux qui disent que les peuples ont le droit a la libre détermination, que
le manque de préparation ne doit pas êtreun motif de retarder I'indépen-
dance, que des mesures immédiates doiventétreprises dans tous les territoires
sous tutelle ou non autonomes pour que les peuples coloniaux accèdent
a l'indépendance.
En revanche, je crois qu'ilest important de souligner qu'une autre résolution
de l'Assembléegénérale,la résolution 1541 (XV), a, elle, prévu, en des termes
précis, les formes de l'exercice du droit a l'autodétermination. Vous vous
souviendrez de la manière un peu particulière dont la résolution 1541(XV)est
apparue dans le droit des Nations Unies. Ce développement estle résultatde
l'habiletéde l'Assembléegénéraledans l'interprétationde t'article 73 e), lequel
prévoit que les empires coloniaux doivent donner des renseignements. La

question qui se posait était de savoir quand il fallait cesser de donner des
renseignements, c'est-à-dire a partir de quel moment le territoire ne tombait
plus dans la catégorie des territoires non autonomes prévue par l'article73e%
C'estainsi que l'Assembléea étéamenée a dresser une liste des situations dans
lesquelles il ne fallait plus donner de renseignement; c'est larésolution 1541:
(XV). Si l'on setrouve dans les cas prévusparcette résolution,le territoire est
censéavoir atteint sa pleine autonomie au sens de la Charte. Ici encore, je
ne vous lirai pas ce texte parce que vous pouvez le trouver dans le docu-
ment no 53 ' du dossier (1, p. 37-60) préparépar le Secrétariat généralde
l'organisation des Nations Unies. Je ne vous lis qu'un passage qui résumela
structure meme de cette déclaration.cést le principe VI :

<On peut dire qu'un territoire non autonome a atteint la pleine
autonomie :
a) quand il est devenu Etat indépendantet souverain ;
h) quand il s'est librement associéa un Etat indépendant ; ou
C) quand il sést intégréa un Etat indépendant.»

Les principes VII, VI11et IX déterminent leç modalités de chacune des
hypothèses.
A ces trois formes, la déclarationsur les relations amicales en a aioutéune
quatrieme qui est, d'ailleurs, un peu plus vague mais qui montre quetoutes les
possibilitéssont ouvertes. La déclarationsur les relations amicales,en effeta
déclare :
<<la création d'un Etat souverain et indépendant, la libre association ou

l'intégration avec un Etatindépendantou l'acquisitionde tout autre statut
politique librement décidépar un peuple constituent pour ce peuple des
moyens d'exercer son droit a disposer de lui-même» (Nations Unies,
Documetits officiels de 1;4ssemblee gfrrhle, vingl-cinqr~ikrnesession.
Sixikmr Coi~tmissior ainnexe, p. 134).
Nous avons donc la un corps de règlesrelativement précis,qui nous montre
les différentes possibilitéspour la décolonisation. Ce qui nous parait aussi

essentiel, c'est que, dans toutes les situations, le fondement de l'exercice du
droit a l'autodétermination est bien la volonté libre et informée des
populations, ce que nous avons fréquemment appeléla volontéauthentique.
L'Organisation des Nations Unies, rappelons-le, s'est souvent attachée a
vérifier l'existencedes conditions nécessaires a ce résultat et s'est même
opposée a certains plébiscites que des Puissances administrantes voulaient

'Non reproduit. 314 SAHARA OCCIDENTAL

exercer sur les territoires non autonomes, dans des conditions inacceptables
pour l'Assembléegénérale.
Comme il arrive fréquemment en droit, l'ordre juridique comporte une
norme complémentaire ou un principe complémentaire, d'autres diront un
principe contraire. Personnellement, je suis plutiit de ceux qui estiment que
c'est de complémentaritéptutot que de contrariétéqu'il s'agitici. C'est dans
l'ordre des choses d'un monde nourrit de contradictions qui doivent ètre
résoluesau fur et a mesure de la vie. Le principe juridique qui, dans une
Certaine mesure, s'oppose au principe du droit des peuples a I'autodétermina-

tion,'ciest le principe de l'unité nationaleet de l'intégritéterritoriale. On voit
ainsi que le droia l'aiitodétermination estun Janus qui n'a que deux faces. Ce
principe de l'uniténationale et de l'intégriterritoriale on le rencontre dans un
.$esgrand nombre de circonstances mais c'est justement dans les résolutions
reîàtives au droit des peuplesa disposer d'eux-mêmesque l'on en a trouvéles
meilleures expressions.
Dans la résolution 1514 (XV), la déclaration sur la décolonisation, vous
trouvez au paragraphe 6 :

<(Toute tentative visant a détruire partiellement ou totalement l'unité
nationale et l'intégriterritoriale d'un pays est incompatible avec les buts
et les principes de la Charte des Nations Unies. >) (Nations Unies,
Doc~ltneiits c~JJcielsde I'Assemhl@ege+iéralr. qtritrzi@inrsession. s~rppK-
tne/i11"16, p. 71.)

La déclaration relative aux relations amicales, la resolution 2625 (XXV),
reprend égalementle mêmeprincipe dans le chapitre qu'elleconsacre au droit
des peuples a disposer d'eux-mêmes :
« Tout Etat doit s'abstenir de toute action visanà rompre partiellement
ou totalement l'uniténationale et l'intégritterritoriale d'un autre Etat ou
d'un autre pays. >>(Nations Unies, Documrrrts oflciels de I'Asse~nhle'e
g@ri&ale.vingt-ciqliièrne sessioii, supplL;meritno28, p. 134.)

II faut dire d'ailleurs que le Gouvernement espagnol n'a absolument pas
caché ce fait. IIdit lui-même,avec beaucoup de clarté,dans son exposé écrit,a
la page 197 (11,paragraphe 324 :

<<Dans le droit de la Charte des Nations Unies le principe de la libre
détermination des peuples constitue, évidemment, la règle générale ; la
décolonisation d'un territoire dépendant, par son intégration dans la
souveraineté territoriale antérieure, est une garantie reconnue par la
résolution 1514 (XV). avec le caractère d'exception, bien que celle-ci
possèdeune importance fondamentale pour le respect de l'uniténationale
et l'intégrit..de tous les EtatsMembres des Nations Unies. >)

Et c'estencoreavec apropos, pensons-nous, que leGouvernement espagnol,
un peu plus avant, parlant de l'applicationconjointede la résolution 15 14 (XV)
et de la résolution 1541(XV), dit que ces résolutionspermettent <<toute une
échellede possibilitésquant a la décolonisation» (p. 153, par. 214).
Dans la pratique, on peut constater que l'Assembléegénérale desNations
Unies a étéamenée à donner le primat a l'intégritéterritoriale, en particulier
dans les situations où les territoires avaient été créés artificiellemenptar le
colonisateur au détriment de I'Eht ou du pays dont le territoire faisait
originairement partie.
Je voudrais vous montrer par quelques exemples que ce n'estpas la du tout
une situation exceptionnelle. EXPOSE ORAL DE M. SALMON 3 15

Vous avez d'abord le retour 21l'ensembleindien des etablissements français,

qui fut effectuépar une cession de facto de l'administration a la suite d'un
accord franco-indien du 21 octobre 1954. Pour Chandernagor, il y eut un
plébiscite,mais dans l'ensemble, leschoses se sont faites plutôt par accords
entre les Etats.
La situation n'a malheureusement pas étéaussi aiséepour les territoires
portugais en Inde (Goa, Damao, Diu), le Portugal refusant de rétrocéderces
territoires acquis, rappelons-le, du XVIesiècleau XVIIle siècleet qu'ilappelait
les provinces de l'Inde. Vous connaissez cette question. La Cour elle-mêmea
étésaisie d'un de sesavatars, pour reprendre un mol indien, lorsqu'ils'étaitagi
de ta question des enclaves. Quoi qu'ilen soiten 1960,l'Assembléegénérale de
l'organisation des Nations Unies a tranche le problème de savoir quel étaitle
statut de ces territoires et a déciqu'ils'agissaitde territoires non autonomes,
et non pas de provinces portugaises et un an plus tard, le 18 décembre 1961,
les troupes indiennes, voyant le refus obstiné du Portugal, libérèrentces

territoiresLe Conseil de sécurités,aisipar le Portugal, fut incapable de prendre
une résolutionsur laquestion, niais iln'estpas inutile de dire quelelendemain,
t'Assembléegénerale, qui devait se prononcer sur la même question, par sa
résolution du 19 décembre 196 1, condamna le Portugal. Dans ce cas, le vaeu
des populations indiennes ne fut pas demandé, mais d'aucuns vous diront :
<(Est-il besoin de demander le vŒu depopulations de rentrer dans leur pays ?
Etait-il besoin de demander aux Alsaciens et aux Lorrains s'ils voulaient
rentrer dans leur pays ? >>
te cas de Gibraltar est aussi intéressant.Je ne vais pas rentrer dans lesdétails
de l'affaire de Gibraltar ; c'est une affaire qui est connue de la Cour. Je
rappellerai toutefois que la Grande-Bretagne possède Gibraltar depuis 17 13,
que la place est devenue une célèbrebase britannique revendiquée par
l'Espagne. Vous savez meme qu'un référendumy a été organise par la Grande-
Bretagne et qu'une majorité écrasante, si mes résultats sont justes - 1200
votes contre 44 - s'est dèclarke en faveur d'une liaison maintenue avec la
Grande-Bretagne par des liens particuliers dans le cadre d'une autonomie

locale. L'Assembléegénéralen'a pas tenu compte de cela et dans sa résolu-
tion 2353 (XXIII) du 15décembre 1967,et dans sa résolution2429 (XXIII)du
18 décembre 1968,elle n'a pas acceptéle point de vue britannique :
« considérant que toute situation coloniale qui détruit partiellement ou
totalement l'unité nationale et l'intégritéterritoriale d'un pays est
incompatible avec les buts et principes de la Charte des Nations Unies et
en particulier avec le paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV) de
l'Assembléegénérale )).

Et l'Assembléea donc invitéla Grande-Bretagne a discuter et a négocier
avec l'Espagne. Elles négocienttoujours !
II est clair que dans une situation de ce genre l'intégrigéographique d'un
Etat est considéréecomme plus importante que ta volonté des habitants. Dans
un cas comme celui-ci, c'estnet. Mais on constatera que ces habitants sont fort
peu nombreux et que l'on peut discuter leurs caractéristiquesde peuple.
A côtéde Gibraltar, vous avez d'autres exemples : Hong Kong et Macao

notamment.
Vous savez que, par une lettre du 8 mars 1972 adresséeau président du
Comitéspécialsur la décolonisationpar le représentantpermanent de la Chine
aux Nations Unies, le Gouvernement de la Chine populaire a demandé queces
deux territoires soient retires de la liste des territoires non autonomes, en
refusant d'ailleurs qubn les traite de territoires coloniaux. II a:dit 316 SAHARA OCCIDENTAI

«Comme chacun sait, les questions de Hong Kong et de Macao
appartiennent a ta catégorie de questions qui résultent d'une sériede
traités iniques léguéspar l'histoire, traités que les impérialistes ont
imposes a la Chine. Hong Kong et Macao sont parties intégrantes du
territoire chinois occupé par les autorités britanniques et portugaiseLe
règlement desquestions de Hong Kong et de Macao relèveintégralement
du droit souverain de la Chine et n'entre pas du tout dans la catégorie
ordinaire des« territoires coloniaux.)>

Le Comité spéciala fait droit a la demande de ka Chine et I'Assemblee
generale a suivi. Ces territoires ne sont plus aujourd'hui dans la liste des
territoires non autonomes. La liste n'est pas close.
On pourrait citer d'autres exemples. II y en a un, Monsieur le Président,
Messieurs de la Cour, concernant - je ne sais pas tres bien comment le dir-
ce que certains appellent les iles Falklands, d'autres les iles Malvinas : je

pourrais évidemment rester neutre en disant les iles Malouines, mais alors on
dirait que c'est de la francophonie, voire. dans mon pays qui est divisé,du
rcfransquillonnisme >)C'est une question sur laquelle je ne voudrais pas me
hasarder a parler, puisque deux juges qui sont actuellement côte a cote ont tous
les deux écritun article sur le sujet et que, bien sûr, ils n'étaientpas a fait
du même avis. Maisil n'en demeure pasmoins qu'encore une fois vous avez la
une question de savoir si une partie de territoire doit ou non réintégrerla mère
patrie, mêmesi sa population, en fait, n'a plus grand-chose a voir avec la
population originaire.
Vous connaissez tous aussi l'affaire de Belize. Un des gouvernements qui
vous a écrit, le Guatemala, a très nettement montre qu'au moment où vous
alliez rendre votreavisil restait profondémentpréoccupé par cette questionde
Belize.
La contradiction est donc certaine entre le droit des populations non
autonomes a la décolonisation et le droit des Etats ou des pays à l'intégrité

territoriale. C'est une situatioj.laquelle l'Assembléedoit faire fréquemment
face. Les prises de position de L'Assembléen'ont rien d'univoque ni
d'automatique. Je vous aicitéune sériede cas qui sont univoques, maisce n'est
pas nécessairement toujours la position de l'Assemblée. Chaque cas est
examinéseton les circonstances qui l'entourent ;les considérations politiques
dominent a l'évidence lesqualificationsjuridiques.
Après avoir vu la question au niveau du principe, je voudrais maintenant
l'examiner au niveau de son application au Sahara occidental. Le Sahara
occidental, el parlaj'entends la colonie espagnole dite Sahara occidental H, se
situe a l'kvidencedans cette categorie de territoires ou le principe du droit des
populations a la décolonisation est a concilier avec le principe de l'unité
nationale et de l'intégritterritoriale.
Depuis qu'elleexerceson autonomie,et surtout depuis son indépendance,la
Mauritanie n'a pas cessé d'affirmer ses droits séculaires sur le Sahara

occidental.
Déjà,dans l'exposé écritn, ous avions fait quelques citations de déclarations
officiellesmauritaniennes, mais l'ample documentation qui nous a étéfournie
par le Secrétaire généranlous a permis de retrouver un tres grand nombre de
déclarationsfaites par le Gouvernement mauritanien et dont j'estime de mon
devoir de VOUS donner quelques extraits ;ceux-ci pour vous permettre de
constater la constance de cette position mauritanienne et les explications qui
ont étédonnées, puisque aussi bien l'Espagne nous reproche de ne pas être
logiques avec nous-mêmes. EXPOSEORAL DE M. SALMON 317

Les documents préparéspar le Secrétaire général établissenjte, dirais, un
véritableflorilège des revendications mauritaniennes.

Je vais choisir quelques citations à titre purement illustratif.
Le 14 octobre 1963, Mc Moktar Ould Daddah, présidentde la République
islamique de Mauritanie, déclare a la dix-huitième session de I'Assembée
généralede l'organisation des Nations Unies :
<(C'estparce quenous avons toujours cru aux vertus du dialogue franc
que nous espérons exercer par la négociation dans l'amitié notre

souverainetésur une vaste partie de notre territoire national non encore
libéré.))(A/PV. 1241, p. 12 ;document no 73 du dossier transmis par le
Secrétairegknéralde l'ONU, p. 13.)
Le 9 décembre 1963,M. Luqman a déclaré a la Quatrième Commission :

<(37. M. Luqi>zart(Mauritanie) tient a déclarer, au sujet du Sahara
espagnol ou Rio de Oro, que le fait que la Puissance administrante
communique des renseignements sur ce territoire ne modifie en rien la
position de sa délégation.L.aMauritanie considèreque leSahara espagnol
fait partie intégrante de son territoire national, comme l'ont déclaréle
ministre des affaires étrangèresde Mauritanie devant le Comitéspécial
chargé d'et~idier la situation en ce qui concerne l'application de la

déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux (214e séance)et le Présidentde la Républiquede Mauritanie
devant l'Assembléegénéralea la présente session. )>(A/C.4/SR. 1506,
par. 37 ; doc. no 70, p.1 .)
A la 29le séance du Comité spéciall,e 15 octobre 1964, M. Miske regrette

que la résolutionne comporte pas une
«recommandation aux pays intéressés,en ce qui concerne le Sahara
actuellement sous administration espagnole - c'est-à-direl'Espagneet la
Mauritanie - recommandation qui aurait pu favoriser l'établissementde
négociations directes entre les deux pays, tendant a la libération du
territoire concerné,dans le cadre de l'unité dupays intéressé, c'est-à-dire
la Mauritanie. /

Cependant, dans la mesure ou elle ne met pas en cause le droit
imprescriptible du peuple et de la nation mauritaniens a l'unité, la
résolution en question donne satisfaction a ma délégation,car notre
premier souci est que la décolonisation se fasse, bien entendu dans le
cadre de l'unitéde chaque pays concerné.» (A/AC. 109/PV.29 1. D. 2 1-
25 ;doc. no 73. p. 50. Voir aussi ibid .,54.)

Positions similaires en 1965 (1550' séancede la Quatrième Commission,
8 novembre 1965. A/C.4/SR. 1550, par. 23 et 24 ;doc. no 81, p. 2 et 6. et
1400e séance de l'Assemblée générale, 17 décembre 1965, A/PV. 1400,
par. 51 ;doc. no 82, p. 8); en 1966 (Comitéspécial, 7 juin 1966, A/AC.109/
SR.436, p. 16, 12octobre 1966, A/AC.l09/SR.472, p. 5, 6 ;13 octobre 1966,
AlPV.144, par. 251 ; doc. no 89, p. 3 ;et 20 décembre 1966,A/PV.1500 ;
doc. no 90, p. 51,M. Abdallah Ould Daddah

(<rappelle que la Mauritanie a élkdivisée en deux parties sous la
colonisation franco-espagriole, et que seule la partie colonisée par la
France a pu accéder à l'indépendance, alors que la partie nord-ouest
du pa s est toujours une colonie espagnole, le Sahara espagnol ...[et il
ajoutey le Sahara dit espagnol fait partie integrante de la Mauritanie D.
(~/AC.109/SR.472, p. 5 ;doc. no 85, p. 24.)318 SAHARA OCCIDENTAL

En 1967. le même représentantM. Abdallah Ould Daddah, en particulier
dans une des citations que je vous fais, mais il y en a d'autres, dont vous aurez

les références, estimeque la résolutionadoptée
« ne fait pas ressortir avec toute la clartévoulue l'un des aspects essentiels
de la question du Sahara dit espagnol. En effet, si les pays voisins de cette
région,en tant que tels, sont intéressés,nous pouvons par contre afTir-
mer que, pour ce qui a trait a l'appartenance du Sahara dit espagnol,
la République islamique de Mauritanie est la partie intéressée. »
(A/PV. 1641 ;doc. no 102, par. 159, p. 7, et Comitéspécial, A/AC. 1091

PV.559, p. 2, 5. 6; doc. no 194. p. 11, 13. 14 :Quatrieme Commission,
16 décembre 1967, A/C.4/SR.L755, par. 25 ;doc. no LOOp ,. 1.6.)
J'aiencore des référencespour 1968(QuatrièmeCommission, 29 novembre,
A/C.4/SR.1800, par. 2 ;doc. no 107, p. 31, 1969 (Comitéspécial,23 avril

1969, A/AC.109/PV.668, p. 57 ;doc. no 111, p. 13 ;Quatrième Commission,
24 novembre 1969. A/C.4/SR. 1855, par. 54 et 55 ;doc. no 114, p. 4) et 1971
(Quatrième Cammissjon, IO décembre 1971, A/C.4/SR. 1966, par. 40 ;doc.
no 129,p. 2).Je me borne a une citation de 1972 - j'espere ne pas le gêner,en
citant, M. El Ilassen qui est a ma gauche qui disait, le 24 novembre 1972,
citant d'ailleurs une intervention faite par le ministre des affaires étrangèresde
son pays le 11octobre 1972 :

«Depuis notre accession a l3indépendadceet depuis notre admission
aux NationU snies, nous n'avons cessé,surtout du haut de cette tribune,
de faire connaitre notre détermination de sauvegarder l'intégrité
territoriale de notre pays et de consolider l'unité de notre peuple. ))
(A/C.4/SR.2004, par. 22 ;doc. no 133, p. 5.)

J'aiencore des citations en 1973(Comitéspécial, 5 juillet 1973, A/ AC.109 1
PV.928, p. 16-17 ;doc. no 138, p. 23-24 ;QuatrièmeCommission, 3 décembre
1973, A/C.4/SR.2073, p. 10 ;doc. no 140, p. +4). En 1974 le ministre des
affaires étrangéres,M. Ould Mouknass, aprèsavoir retrace longuement,devant
l'Assembléegénérale,la position du Gouvernement mauritanien parle encore
de la position de son gouvernement «a l'égard decette partie du territoire
national » (AlPV. 2251 ;doc. no 4, p.76).
L'ensemble deces référenceset citations indique donc une position constante
de la République islamiquede Mauritanie selon laquelle leSahara espagnol fait
partie intégrante du territoire national. Cette position aurait pu conduire la
Mauritanie a une attitude d'intransigeance et de refus de toute solution qui ne

soit pas l'acceptation préliminairede la réintégration duSahara occidental àla
aur ri ta nie.
Ce n'estpas cela qui a été fait,cen'estpas le caractère de la Républiquedont
j'ai aujourd'hui l'honneur d'êtrele conseil.
Elle a tout d'abord placé son espoir dans une négociation directe avec
l'Espagne, et ceci des 1963. Vous trouvez des interventions de S. Exc. Sidi
Mohammed Deyine devant le Comitéspécialdes vingt-quatre :

<(Fidèle a une tradition bien établie, La République islamique de
Mauritanie a, des son indépendance,nourri la conviction que les contacts
établis entre les deux pays [l'Espagne et la République idamique de
Mauritanie] a ce sujet aboutiront a un règlement par la voie des
négociations du problème du Sahara dit espagnol, territoire qui est et
demeure partie intégrante de notre pays. » (A/AC.109/PV.214 ; doc.
no 68,p. 24.) EXPOSE ORAL DE M. SALMON

En 1964, M. Miske déclarait :
«Je précisedonc que la thèse mauritanienne n'a jamais varié, que
depuis son indépendance la Mauritanie a toujours réclamé sonunitépar
la libérationde la partie encore sous administration espagnole ;elle l'afait,
bien sûr, en tenant compte des trèsbonnes relations qu'ellemaintient avec

l'Espagne etqui lui permettent d'espérerque par la voie de négociations
bilatérales et amicales ce probleme pourrait être réglé .r(A/.4C. 1091
PV.29,p.31 ;doc.n073,p.54.)
En 1 965, M. hliske déclarait :

« Au sujet de la résolution adoptée parle Comitéspécialsur Ifni et le
Sahara espagnol (A/5800/Rev.l, chap. IX, par. 1121, la délégation
mauritanienne a déclaréque, tout en ne s'opposant pas a la résolution,elle
aurait préférél'inclusion d'une recommandation encourageant des
négociations directesentre l'Espagne et la Mauritanie en vue de libérerle
Sahara espagnol dans le cadre de l'unité territorialede la Mauritanie. »
(AlC.4JSR.1552, par. 24 ;doc. no 81, p. 2.)

En 1965, M. Miske ajoutait :
<(La délégationmauritanienne ...est en mesure de déclarer que le

Gouvernement de la Mauritanie est prêta engager immédiatement des
négociationsavec l'Espagneen vue de trouver des modalitéspermettant le
retour a la Mauritanie d'une partie de son territoire qui est encore sous
administration espagnole. i>(A/C.4/SR.1583, par. 67 ; doc. no 81,p. 6, et
17 décembre 1965,A/PV. 1400, par. 52 et 53.)

En 1966, le représentant de la Mauritanie expose encore que :
<<le Gouvernement mauritanien a décidéde faire savoir au Gouverne-
ment espagnol qu'il est disposé a négocier sur le probleme du Sahara
espagnol, compte tenu de la résolution 2072 (XX) en date du 16décembre
1965 de l'Assembléegénéraledes Nations Unies ».(AlAC.109lSR.436 ;
doc. no 85, p. 16.)

J'aurai l'occasion, plus tard, de revenir sur cette résolution.
Et, le 12 octobre, il disai:

« Un communique récent du ministére des affaires étrangèresde la
République islamique de Mauritanie a indique qu'il importait d'éviter
toute confusion entre deux questions bien tranchées : d'une part, celle de
Ceuta, Melilla et Ifni, dont le règlement incombe a l'Espagne et au Maroc
et, d'autre part, celle du Sahara espagnol, qui doit faire l'objet de
négociations,non pas entre l'Espagneet le Maroc, dont la souveraineténe
s'est jamais exercée sur cette zone, mais bien entre l'Espagne et la
Mauritanie dont le Sahara dit espagnol fait partie intégrante. » (A/
AC.109/SR.472, p. 6 ;doc. no 85, p. 25, et 13octobre 1966, A/PV.1441,
par. 265 ;doc. no 89, p.4 ;pour 1967, Quatrième Commission, AlC.41
SR. 1746,par. 13 ;doc. no 100,p. I.)

Devant le peu d'empressement, faut-il le dire, du Gouvernement espagnol
pour la voie des négociations directes, EeGouvernement mauritanien a été
acculé a suivre l'orientation que prenait l'organisation des Nations Unies, dès
1966,pour la tenue au Sahara espagnol d'un référendum d'autodétermination.
La Mauritanie n'ya pas fait d'objection,ainsi qu'un certain nombre de citations
que je voudrais vous faire maintenant le met en évidence.320 SAHARA OCCIDENTAL

Ainsi, dèsle 7juin 1966, le représentant de la Mauritanie au Comitéspécial
déclarait :
« la Mauritanie souhaite une solution permettant I'intégrationde cette
régionau territoire national ; néanmoins, si la puissance administrante
décide de faire appliquer le principe de I'autodétermination aux

populations du Sahara espagnol, la Mauritanie ne s'y opposera pas. Mais,
dans ce cas, et en vue de donner a l'apptication du principe de
I'autodétermination sa pleine signilication, il faudra préalablement, avec
le contrble d'observateurs internationaux, rendre la libertéd'expression
aux habitants du Rio de Oro et de Saguia el Ilamra. Dans de telles
conditions, le Gouvernement et le peuple mauritaniens sont certains du
choix que feront les habitants de la partie nord-ouest de la Mauritanie
connuesous le nom de Sahara espagnol. »(Al AC.I09/SR.472, p. 6 ;doc.
no 85, p. 25.)

En 1966,toujours, le représentant de la Mauritanie spécifie :
<<le Sahara espagnol fait partie intégrante de la Mauritanie. Dans le
contexte de la décolonisation mondiale, la Mauritanie est pousséepar le
désirde promouvoir les intérêtsde la population du Sahara espagnol et

son droit inaliénable a l'autodétermination et a l'indépendance ainsique
par la volonté de renforcer l'unité nationale mauritanienne. a (A/C.4/
SR.1660 ;doc. no 88, p. 28.)
Lemême représentantdéclarait,le 8 décembre 1966,que la Mauritanie avait

(<accepté sans réserve l'application loyale du principe de la libre
détermination au peuple du Sahara parce qu'il croit dans les principes de
l'ONU et les respecte, ce qui témoignede sa confiance a l'égardde ses
compatriotes du Sahara dit espagnol ..»

11 demandait cependant que la Mauritanie soit étroitement associée à
l'organisation du référendum prévu ;et il ajoutait:
« La Mauritanie désireque le peuple du Sahara dit espagnol exerce
librement ces droits, sans préjudice de sa conviction selon laquelle le
Sahara fait partie de son territoire. Cette conviction ne pourra être
changée que par l'expression, lors d'un référendum,par le peuple du
Sahara dit espagnol, d'une opinion contraire, opinion que la Mauritanie

respecte a l'avance. )>(AlAC.4.166 1,par. 23 ;doc. no 88, p. 33.)
Le 13 octobre 1 966, le mème représentant déclare :

<<Nous avons souhaité et continuons a souhaiter que, par la
négociation etdans l'amitiéavec le Gouvernement espagnol,une solution
soit trouvée qui permette l'intégrationde cette régionau territoire national
- intégration qui réalisera l'unitéde notre pays. Cependant - et nous
l'avons déjà dit - si la Puissance administrante, en l'occurrence
l'Espagne, décidede faire appliquer le principe de I'autodéterminationaux
populations du Sahara espagnol, mon pays, fortde lajustesse de sa cause,
et profondément attachéaux principes de base de la Charte des Nations
Unies, ne s'opposera pas a une telle décision...» (AlPV.1441, par. 265 ;
doc. no 89, p. 4.)

Cette position de la Mauritanie n'allait pas varier ensuite. On en retrouve,
dés 1966,toutes les composantes. Tout en insistant toujours sur la reinté-
gration du Sahara occidental et regrettant le refus de la Puissance adminis- trante de négocier directement avec la Mauritanie, cette dernière accepte le
référendum d'autodétermination,a condition qu'il soit fait correctement et
que la Mauritanie soit associée a son organisation, ainsi que l'Organisation
des Nations Unies. Elle a confiance dans le vote de cette partie de son peuple
qui est sous domination étrangkre.Pour elle, il ne peut pas y avoir de contra-
diction entre intégrité territorialeet autodétermination. Toutefois, elle ajoute
chaque fois qu'en tout état de cause elle respectera la décision des popu- . .
lations.
Le 12 décembre 1967,devant la QuatrièmeCommission, M. Abdallah Ould
Daddah déclare :

« la délégationmauritanieiine considéreque l'appartenance du Sahara dit
espagnol a la Mauritanie n'est pas en contradiction avec l'application
loyale du principe de l'autodéterminationaux habitants de cette région... ))
(A/AC.4/SR. 1746, par. 13 ;doc. no 100, p. 1 et 2.)

Toujours en 1967, il insiste sur la nécessitde la véracitéet de l'authenticité
du référendum.Et il ajoute :
i<tant que ce résultat[du référendum]n'aura pasétéacquis et compte tenu
du fait que notre conviction de I'appartenance de cette région a la
Mauritanie est importante et fondamentale pour nous, nous maintenons

notre position, a savoir que le Sahara est une partie intégrante de la
Mauritanie i)(A/PV. 1641, par. 140 ; dm. no 102, p. 6.)
Et en 1968, toujours le mkme M. Abdallah Ould Daddah déclare :

« L'élémenc tentral du problème du Sahara dit espagnol résidedans la
présenced'une population mauritanienne dans ce territoire. Par respect
pour cette population et par souci de sa dignité,la Mauritanie a accepte
quélle puisse exercer son droit de libre détermination. )>(AlAC.41
SR.1800, par. 3 ;doc. no 107, p. 3.)

(Déclarationsdans le mêmesens en 1969 :A/AC.f09/PV.668, p. 57, 58 et
61 ;doc. no 111, p. 13, 14 et 16 ; et AIC.4lSR.1855, par. 52 et 58 ; doc.
no 114,p. 4.1
En 1972,je vous cite encore M. El Hassen qui souligne :

« IIva sans dire que, pour te Gouvernement mauritanien, la population
autochtone du Sahara est la seule concernée par l'application du principe
de l'autodétermination. IR Gouvernement mauritanien ne saurait
souscrire a une solution qui serait imposée directement ou indirectement
par l'intervention d'éléments étrangers eu territoire et a sa popiilation. II
ne doit pas être difficile de déterminer a qui s'adresse la consultation
prévue : la population du Sahara n'est pastrèsnombreuse et répond ades
caractéristiques sociales, ethniques et culturelles particulières. »(A/C.4/
SR.2004, par. 26 ;doc. no 133, p. 5.)

Nous y reviendrons.
Le 3 décembre 1973, devant la Quatrième Commission, la délégation
mauritanienne insiste a nouveau sur la nécessitédu caractère libre et
authentique de l'expression de la volonté.
Et enfin, a la dernière session de I7Assemb1ée générale,le ministre des
affaires étrangèresde Mauritanie, M. Ouid Mouknass, aprèsavoir rappelétous
les droits historiques de la Mauritanie sur le Sahara espagnol, ajoutait :

« Je me dois cependant de rappeler, pour la véritéhistorique, que mon
pays a souscrit, dèsle 13décembre 1962,ici même aux Nations Unies, au322 SAHARA OCCIDENTAL

principe de l'autodétermination de la population du Sahara. Car nous
savons avec certitude que nos frères du Sahara, s'ils devaient choisir
d'alleravec quelqu'un, c'estbien avec la Mauritanie qu'ils choisiraient de
faire route commune. Mais, par-delà cette certitude, ily a égalementnotre
adhésion loyale et sincère au droit des peuples a disposer d'eux-mêmes,
conformément a la Charte et a la déclaration1514 (XV) de t'Assemblée
générale sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux. >)(A/PV.2251, p. 82.)

Je ne voudrais pas terminer, Monsieur le Président, Messieursde la Cour,
ces longues citations gui, je m'en rends bien compte, doivent vous paraître
fastidieuses sans citer le tout récent discours du président Moktar Ould
Daddah, le 30 mai 1975, a Nouakchott, a la suite des menaces espagnoles de
retrait précipitédu territoire du Sahara occidentaLe présidentMoktar a dit:
<La Mauritanie prendra toutes les mesures appropriées afin de
préserver ses droits légitimessur le Sahara qu'elle considère comme
faisant partie de son territoire en cas de départ de l'administration
espagnole de ce territoire» (DépëcheAFP.)

Et,au debut du mois de juin, recevant la niission d'enquête des Nations
Unies, le Président a répétéque

<<ce sont les mêmes populationsqui de tout temps ont habitéde part et
d'autre de cette frontière artificielle, tantôt d'un coté,tant& de l'autre,
mais toujours chez eux et aussitôt intégrés... Sahraouis et Mauritaniens
c'est lamême chose ... (LeMottde, 6 juin 1975.)
Sil'onfait à la Cour toutes ces citations, c'estbien pour lui montrer que pour
la Mauritanie l'intégritéterritoriale est une revendication qu'elle n'a jamais
abandonnée. D'autre part, l'acceptation du référendum, dansdes conditions
précises que j'ai citées avec des réserves sur son authenticité, et la façon
correcte de le faire, était faite d'une manière toujours concomitante avec la
réaffirmation de sa position sur l'intégriterritoriale. Autrement dit, il est en

tout cas une chose qu'on ne peut pas reprocher a la Mauritanie, ce serait
d'avoir varie dans son opinion, d'avoirchangé,d'avoirlâchéun cheval pour un
autre. Elle a peut-êtrecouru deux chevaux, mais elle n'ajamais abandonné le
premier.
11resteà voir si cette position implique, comme l'Espagne le prétend, une
contradiction.

Luudierice, suspetidueu Il h 12,esireprise à II I35

Monsieur le Président, Messieursde la Cour, après avoir essaye de retracer
quel était le droit général desNations Unies en rnatiérede décolonisation,
d'une part, et avoir essaye de vous montrer quelle avait étéla position du
Gouvernement mauritanien au cours de ces quinze derniéresannéesdevantles
Nations Unies, je voudrais maintenant essayer d'indiquer en quoi cette position
est conforme à la Charte des Nations Unies et aux résolutionsde l'Assemblée
généralet,ant en ce qui concerne le droit de la décolonisationen généralqu'en
ce qui concerne le droit particulier secrétépar l'Assembléegénéraleen ce qui
concerne le Sahara occidental.
Le Gouvernement espagnol a, dans son exposé écrit,avancé plusieurs
arguments pour dire que la prise de position de l'Assembléegénéralepour le
référendum d'autodétermination et son acceptation par le Gouvernement EXPOSE ORAL DE M. SALMON 323

mauritanien rendaient les questions posées a la Cour sans pertinence juridique
(1,p. 219-220,par. 379).A cet effet, leGouvernement espagnol a fait plusieurs
démonstrations. Tout d'abord, il s'est attaché a démontrer que l'hypothèse
prévue par la résolution 1514 (XV), paragraphe 6, qui pouvait trouver
application a Ifni, n'avait absolument aucune possibilité d'application au
Sahara occidental. Le Gouvernement espagnol a soutenu aussi que I'accepta-
tion par l'Assembléegénéraleet la Mauritanie du référendum rendait la
situation irréversible;c'est un second argument. Un troisieme argument me
parait êtreque les questions mettent en cause, ou plus exactement que le
Gouvernement espagnol met en cause les pouvoirs de l'Assembléeelle-même
de poser a la Cour les questions qu'ellea faites ce qui, selon le Gouvernement
espagnol, serait, de la part de l'Assemblée,revenir sur son propre voie.
Enfin, l'Espagne a évoqué un quatrième argument :c'estle principe que l'on
appelle habituellement de I'LIp I~ssidetis africaine, c'est-à-dire l'intégrité des

frontières africaines.
Je voudrais maintenant dans cette seconde partie examiner l'ensemblede ces
arguments.
Tout d'abord, essayons de voir dans quelle mesure il y a réellement cette
dichotomie alléguéeàpropos d'Ifni et du Sahara occidental.
La position du Gouvernement espagnol est expriméeaux paragraphes 17a
49 de son exposéécrit(1,p. 78-87).Selon le Gouvernement espagnol. les deux
hypothèses sont totalement distinctes. Dans la situation d'Ifni, il s'agissait
d'organiser une rétrocessiondu territoire au Maroc conformément au para-
graphe 6 de la resolution 1514(XV). Au contraire, pour le Sahara occidental,
l'élémend t'intégrité territoriest absent au profit du seul principe de la libre
détermination du peuple saharien.
J'estime que ces affirmations ne sont pas convaincantes et je vais essayer de
vousmontrer qu'a la lumièrede résolutionsprises par l'Assembléegénérale des
Nations Unies a propos de ces deux territoires, on aboutatla conclusion qu'en
tout cas les choses sont beaucoup moins tranchées que ne le prétend le
Gouvernement espagnol.
Sur le plan des textes, les différencesentre les dispositions relatives au cas
d'Ifniet celles relatives au cas du Sahara occidental ne sont pas aussi nettes que
le prétend leGouvernement espagnol.
Tout d'abord, il échetde remarquer que sil'Assembléegénérale n'a pas fait
allusion au paragraphe 6 de la resolution 1514(XV) pour le Sahara occidental,
elle ne l'a jamais fait non plu:; pour Ifni. Dans la résolution 2072 (XX), la
référence 5la résolution 1514(XV)en généralest faitepour lesdeux situations,
elle est commune aux deux situations ;c'est le deuxième considérant. De

même,dans la résolution 2229 (XXI), troisième considérant, et la resolution
2354 (XXII), deuxieme considérant,premier alinéadu point Iqui est relatif a
Ifni. parce qu'a partir de ce moment-la on a, vous vous en souviendrez,
consacréune partie de la résolution a Ifni et l'autre au Sahara occidentalLa
resolution fait réference de manière généraleau point 1 relatif a Ifni et au
point II relatif au sahara espagnol. De mêmeencore, dans la resolution 2428
(XXIII),c'est la mêmesituation.
Deuxième observation : la résolution 2072 (XX) priait instamment le
Gouvernement espagnol :

<<de prendre immédiatement les mesures nécessairespour la libcration de
la domination coloniale des territoires d'Ifni et du Sahara espagnol et
d'engager a cette fin des négociations sur les problèmes relatifs a la
souverainetéque posent ces deux territoires » (p. 64, par. 2).324 SAHARA OCCIDENTAL

Cette résolution acceplait donc qu'il y avait un ou des problèmes de
souveraineté pour le Sahara occidental aussi.
Or, cette résolution a étérappeléedans toutes les résalutions ultérieures
jusqu'en 1974 par l'Assembléegénérale,sauf en 1973. et je me permefi de
souligner que cette répétitionna de sens que si l'ons'attacheau texteque je vous
ai lu :c'est le seul texte qui, dans cette résolution, avait un contenu juridique
permanent. If n'y a donc pas d'autre raison decontinuer a citer cette résolution.

Troisième observation : c'est dans les memes termes que le droit a
l'autodétermination est évoquépour Ifni et pour leSahara espagnol.
En effet, dans la résolution2229(XXI), le paragraphe 1 :
<<RéufJr~nrledroit inaliénable despeuples d'lfni et du Sahara espagnol
à l'autodétermination, conformément a la résolution 1514 (XV) de
l'Assembléegénérale H.

Les deux peuples sont cités.
Je vous aidit tout rii'heure qu'apartir de la resoIution 2354 (XXII) on a
séparéles deux situations ; premiere partie pour Ifni, deuxième partie pour le
Sahara occidental. Alors on voit que dans les résolutions 2354 (XXII) et 2428
(XXIIl) c'est dans les mémestermes que le paragraphe de chaque partie pose te
principe.
Dans la première partie qui est relativea Ifni, on lit (par. :)

«Réaflrine le droit inaliénabledu peuple d'Ifni a l'autodétermination,
conformément a la resolution 1514(XV) de l'Assembléegénérale ».
Et dans le paragraphe I de la deuxieme partie relative au Sahara occidental,
on trouve exactement le mêmetexte :

«RéufJrme le droit inaliénable au peuple du Sahara espagnol a
I'autodétermination, conformément a la résolution 1514 (XV) de
l'Assembléegénérale >>.

Quatrième observation : on notera en particulier que, dans les deux cas.
l'Assembléegénérale parlede peuple, elleparle du peuple d'lfni. Pourtant,dans
lecas d'lfni, la rétrocessiondevait avoir lieu, elle étaitprévue, annoncée,dite;
ceci tend à prouver, nous y reviendrons, que l'utilisation de ce vocable n'a pas
nécessairementpour l'Assembléegénéraleune signification juridique des plus
rigoureuses.
Cinquième observation :dans les résolutions 2229 (XXI), 2354 (XXII) et
2428 (XXIII),lorsque ces résolutions font allusion aux modalitésde transfert
des pouvoirs au Maroc, elles insistent chaque fois sur la nécessitede lesarrêter
« compte tenu des aspirations de la population autochtone )pDonc, vous voyez
que, mêmela où la rétrocessionest prévue,on n'abandonne pas pour autant
cette notion d'autodétermination dupeuple et de la volonté dupeuple.
Enfin, on a soulignéque la résolution2428 (XXIII)contenait le considérant
suivant :

<<Norarrr la différence de nature des statuts juridiques de ces deux
territoires, ainsi que les processus de décolonisation prévus par la
résolution 2354 (XXIO de l'Assemblée générale ...» (Nations Unies,
Docnrnents oflciels de liissernbler g&riémle.vi~igl-rroisiè17rs eessio~i,
suppleineirl,iO18, p. 67.)

Et on entend par la essayer de montrer que l'Assembléegénérale était
d'accord pour qu'il y ait une différencede nature profonde entre les deux
territoires. C'est ne pas avoir suivi avec attention l'historique de ce paragraphe EXPOSEORAL DE M. SALMON 325

qui a étéobtenu. en fait, sur l'insistance du Gouvernement mauritanien dans
des circonstances que je vais vous exposer maintenant. En effet, si on parle de
différencede nature, c'est mciinspour ignorer la revendication territoriale
mauritanienne (et marocaine, d'ailleurs, qui va, au mêmemoment, s'exprimer)
que pour faire un pas dans le sens de la requête et,en particulier, de la requête
mauritanienne, de ne plus confondre dans la même résolutionles deux
situations. La Mauritanie s'est efforcée que I'on divise, que Ibn cesse de
mélanger, Ifni et le Sahara occidental. Eile a luttépendant plusieurs années
pour obtenir cela et la seule chose qu'elle ait réussi, finalement, obtenir, c'est
qubn divise en 1et en 11,mais elle n'a pas réussià ce que, véritablement, on
fasse deux résolutions distinctes. Et cela se voit par toute une série de
déclarationsfaites par la délégationmauritanienne.
En 1965, M. Miske dit que :

« [il]est d'accord avec le représentant de l'Espagne pour estimer que les
territoires d'Ifni et du Sahara espagnol sont tout a fait diffërents et qule
seul lien entre eux est le fait qu'ils relèvent de la même Puissance
adrninistrante. Mais le fait que leur cas est traité dans une même

résolutionne préjugeen rien la nature de leur situation; la Commission a
déjàgroupe, par lepassé,dans une même résolution, desterritoiresqui ne
présentaientmêmepas cettesimilitude »(A/C.4/SR. 1583 ;doc, no 8 1,p. 6).

Voyez pour L965 :Assembléegénérale,17 décembre 1965, AIPV.1400,
par. 54 et 55 ;doc. no 82, p. 8.En 1966,Quatrième Commission, 9 novembre
1966, A/C.4/SR. 1617, par. 4 ; doc no 88, p. 4, et 15 décembre 1966,
A/C.4/SR. 1674, par. 47 ;doc. no 88, p. 46.
En 1966 à l'Assembléegénérale :

<(II importe d'évitertoute confusion entre des questions nettement
distinctes, d'une part celle d'Ifni,dont le règlement incombe àl'Espagneet
au Maroc [c'estce que disait le représentant mauritanien], d'autre part
celle du Sahara espagnol, qui doit faire l'objet de négociations non pas
entre l'Espagne et le Maroc, dont la souveraineté ne s'estjamais exercée
sur cette zone, mais entre l'Espagne et la Mauritanie, dont le Sahara
espagnol constitue une partie intégrante. »(A/PV.1441 ;doc. no 89, p. 4.)

Voyez aussi en 1966 :Assembléegénérale, 20 décembre 1966, AIPV.i500,
p. 23 ; doc., no 90, p. 6, et 1967 : Comité spécial, 13 septembre 1967,

AIAC. 109lPV.559, p. 2; doc. no 941, p. I1 ;QuatrièmeCommission, 12 dé-
cembre 1967, A/C.4/SR.1746, p. 13 ; doc. no 100, p. 1 et aussi p. 6 ;
Assemblée générale,19 décembre 1967, A/PV. 1641, par. 157 et 158 ;doc.
no 102, p. 7.En 1967 notamment, le représentant mauritanien aurait préféré
que I'on traite des deux territoires, non seulement en les distinguant dans le
dispositif de la résolution,mais encore en en faisant l'objetde deux résolutions
distinctes.
En 1968, le représentant muritanien dit :

« De plus, la distinction entre l'enclave d'Ifni etle Sahara dit espagnol
est soulignéeavec encore plus de clartéet de précisiondans le dixiéme
alinéadu préambule du projet de résolutionque dans la resoliition 2354
(XXII) de l'Assembléegénérale. Ils'agit lad'un point auquel la délégation
mauritanienne attache la plus grande importance car cette diffërenciation
entre les deux territoires est, selon elle, une réaliobjective dela situation
et constitue,en tant que telle, un pasen avantimportantdans la recherche326 SAHARA OCCIDENTAL

d'une solution équitable et harmonieuse du probléme que pose la
décolonisation duSahara dit espagnol. »(A/AC,4/SR. 1814 ;doc. no 107,
p. 12.)

On peut donc conclure de tout cecique, sur le plan des principes. c'est-à-dire
l'application du principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes,et le
souci de tenir compte des aspirations de la population, aucune distinction n'est
faite entre ces deux territoires revendiqués. C'est seulement sur le plan des
modalités pratiques d'exécution que la distinction va s'affirmer, puisque la
solution du référendumva êtreretenue pour le Sahara occidental. Mais cette
modalitépratique n'implique pas une renonciation de la part de la Mauritanie a
sa revendication première, celle de la réunificationdu territoire, je vous l'aidit
suffisamment de fois il y a quelques instants.
Si la revendication sur base de la résolutio15 14(XV),paragraphe 6,n'est
pas affirméecomme uii préalable,elle demeure a l'arrière-plan,c'estpourquoi
les hypothèses d'lfni, voire de Gibraltar, ne présententavec le Sahara espagnof
que des différencesde degréet pas des différencesde nature.
Comme le disait b!. El Hassen, le 3 décembre 1973, à la Quatrième
Commission, faisant allusion,a la question de Gibraltar:

<(Pour le Gouvernement mauritanien, le probleme de Gibraltar,
comme celui du Sahara, est un probleme colonial auquel doivent être
appliquées les résolutions de IDrganisation des Nations Unies, et
particulièrement le résolution 1514(XV) de l'Assembléegénéral e..
La Mauritanie ne saurait en aucun cas reprocher a l'Espagne d'être
ferme sur tout ce qui touche a son intégrité territoriale eta sa

souveraineté. Etant attachés à leur intégrité territoriale et à leur
souveraineté, les Mauritaniens peuvent d'autant mieux comprendre le
bien-fondé el la légitimité de cette position de l'Espagne.>>
(A/C.4/SR.2073. p. 13 ;doc. no 140,p. 17.)
Le Gouvernement espagnol a soutenu que, pour que i'élémentd'intégrité
territoriale joue, certaines caractéristiques du territoire devaient êtreréunieset,
si vous lisez l'exposéécrit espagnol, vous voyez qu'il estime que, parmi ces
conditions, il faut l'exiguïtédu territoire en question, la continuité géogra-
phique, une possession préalable clairement établie et, ajoutait-il, une

population autochtone artificielle.
C'est la, je dirai, un habit fait sur mesures ; on s'étonne qu'il n'ait pas
demandéaussi qu'il existesurce territoire un rocher.
Si l'exiguïtédu territoirea joué pour Hong Kong, pour Macao, pour les
établissementsde l'Inde, en revanche, il n'a pas jouépour 1'Erythreequi a été
rattaché, comme vous le savez, à I'Ethiopie, il n'a pas joué pour l'Irian
occidental qui a étérattaché à l'Indonésie.Quant au caractère artificiel de la
population, ce n'est pas une condition que l'onretrouve nécessairementdans
chaque cas ou l'intégritterritoriale est affirméeavec succèset, je dirai même
que c'estplutôt dans le sens inverse, lorsque la population n'estpas artificielle,
mais qu'elle estla mêmeque celle du territoire revendiquant, que la réuniona
le plus de raison d'êtreréclamée.
Ce qui compte finalement pour l'Assembléegénérale, cene sont pas des
distinctions Iegistiques, mais quelque chose de beaucoup plus profond, qui a
été fortbien exposépar M. Bennouna notamment, lorsqu'il a fait son exposé,
c'estcette crainte qu'a l'Assembléegénéralede la balkanisation des territoires,
cette crainte de la créationd'Etats fantoches.
C'esten fonction de l'ensemble des circonstances que l'Assembléedécide,et EXPOS~ ORAL DE M. SALMON 327

pas en fonction d'un petit habitsur mesure que l'on aurait prépare, de façon a
ce que le principe s'applique asoi et pas aux autres.
La seconde question est celle de l'acceptation du référendum.Le fait que le
Gouvernement mauritanien a acceptéla solution du réferendum a-t-elle les
conséquencesque l'Espagne s'attachea en tirer ?C'est-à-direla non-pertinence
de l'élémentde revendication territoriale. A notre avis, il s'agit la d'une
interprétation que les faits ne corroborent point.
L'idée d'unréférendumsous contrôle de l'organisation des Nations Unies a
étéréclaméedepuis 1966. La Mauritanie s'est ralliéeimmédiatement a cette
solution, car elle étaitsûre de la volonté du peuple sahraoui de réintégrerla
mèrepatrie. Les deux démarches ne pourraient êtrecontradictoires que dans la
seule hypothèse ou la population du Sahara consultée sans aucune forme

d'ingérenceet sous un contrôle approprié refusait cette réintégration.Dans
toutes les autres hypothèses, les deux démarches sont conciliables. C'est
uniquement un élémentfutur qui pourrait rendre ces démarchesinconciliables.
Dans le présent et dans l'espoir d'un peuple de se réunir, il n'existe pas de
contradiction.
Cela estd'autant pliis évident,a notre sens, que ledroial'autodétermination
s'exerce, somme nous l'avons dit tout a l'heure, non pas seulement par
l'indépendance,majs aussi par lelibre choix de l'associationou le librechoix de
l'intégration.On voit mal pourquoi le référendumne pourrait pas proposer
d'autre choix au peuple sahraoui que l'indépendance,pourquoi en particulier
ne pourrait-il pas proposer des solutions de rattachement ou de réintégration
avec l'ensemble mauritanien ou le Royaume du Maroc ?
Ce n'est évidemment pas par hasard que, des 1966, les résolutions de
l'Assemblée genérale ont prévu que les modalités de l'organisation du
réferendum devaient être arrêtées (en consultation avec les Gouvernements
marocain et mauritanien et toute autre partie intéressée v. Même sicette

formulation ne fait pas allusiora l'existencede revendications territoriales que
l'Assembléegénéralene pouvsiit cependant ignorer a l'époque,c'est.je pense,
solliciter le silence du texte que de prétendre, comme le fait l'exposéécrit
espagnol, que :
« en reconnaissant aux Etats voisins le caractère de« parties intéressées))
dans les modalités de l'organisation d'un référendum, l'Assemblée
générale aétéguidée par des considérations relatives à la paix et a la
stabilité de la région et non par I'existence de revendicatiotis territo-
riales..» (1,p. 136, par. 173).

Je crois que c'estminimiser la situation. Nous connaissons tout de même la
façon dont travaille habituelletnent l'AssembléegénéraleJ .e crois qu'il estplus
exact de penser que l'Assemblée a,en effet, bien souvent esquivéle problème
par une formule qui était susceptible de multiples interprétations et qui
n'excluait donc pas l'élémend t e revendication territoriale, lequel devait jouer
un rôle fondamental dans les modalitésdu référendum.
11convient, a ce stade, d'insister aussi sur le fait que l'acceptation par la

Mauritanie du réferendum n'implique d'ailleurs pas celle que la population
sahraouie forme un peuple dans le sens d'une entité distincte du peuple
mauritanien. comme on l'a vii plus haut, la Mauritanie a toujours revendiqué
la population sahraouie comme une population mauritanienne et, dans nos
exposes, nous montrerons en détailque cette population ne se distinguait pas
non plus de la population mauritanienne au moment de la colonisation par
l'Espagne. La seule caractéristique propre de ce territoire est d'êtresous
administration espagnole, mais ceci ne confère pas a cette population une328 SAHARA OCCIDENTAL

personnalitépropre, contrairement a ce que prétend - laje dois dire, sans le
prouver, je pense - l'exposé écrit espagno(l1,p. 182, par. 293).
Certes, on pourrait invoquer la résolution 2625 (XXV) de I'Assemblée
générale,qui dit que :<<Le territoire d'une colonie ou d'un autre territoire non
autonome possede, en vertu de la Charte, un statut sépare et distinctde celui du
territoire de 1'Etatqui l'administre.,>Mais ce texte parle du statut séparéet
distinct par rapport au territoire de I'Etatqui l'administ;eil ne signifie pas que
le territoire en cause formé nécessairement une identité distincte de son
environnement.
C'est pourquoi je pense qu'on ne peut en outre tirer aucun argument du
vocabulaire utilisépar I'Assembleegénérale des Nations Unies a propos du
Sahara dit espagnol.
Ainsi que l'a montré trèsscientifiquement d'ailleurs l'exposé écrit espagnol,
les résolutions de l'Assembléeont utilisé sans rigueur aucune les termes de

population, peuple, paplilaiiotr au~ochtorteau singulier ou au pluriel, Iiabitui~fs
ulltocl~~ot~e(1,p. 215, par. 365 et 366).
Et,a cortirario, je soulignais il y a quelques instants que l'Assembléeparlait
de « peuple )pour la population d'Ifni.
Les déléguédse la Mauritanie,eux-memes,qui sont tout de mêmeattentifs a
bien parler de populations ou d'habitants duSahara, et pas de peuple, ont parlé
a plusieurs reprises de « peupleP. Vous en trouverez un exemple, d'ailleurs cité
et relevéavec l'habilitécoutumière de nos amis espagnols, à la page 130 (11,
paragraphe 152, de leur expose. II y en a d'autres d'ailleurs. Connaissant la
position de la Mauritanie, je crois que I'onne peut interprétercela que comme.
hélas,le laxisme assez généralisé qui existe àl'Assembléegénéralea propos de
termes qui devraient etre utilises dans un sens un peu plus rigoureux.
L'Espagne a essayéde donner des explications de ce laxisme, mais elles ne
laissent pas de paraître embarrassées :

«si I'on parle parfois - le moins souvent - de people, populatioris ou
poblacioties, il est possible que t'onpuisse peut-êtreen trouver explication,
a titre d'hypothèse, dans le fait des caractéristiquesspécialesque possede
la population du Sahara...»

Et quelles sont les caractéristiquesspécialesde la population du Sahara que
I'Espagne nous montre ?On trouve cela un peu plus bas :

l'invitation ades consultationsentre I'Espagne etles Gouvernements du
Maroc, de la Mauritanie et de toute autre partie intéresséeportant sur la
déterminationdes modalitésde l'organisation d'un référendum,continuel-
lement répétée par l'Assembléegénéraleentre 1966 et 1973, n'est pas
fondée sur les particularités du territoire [dit I'Espagne] mais dans les
singularitésde la population autochtone du Sahara, car s'ilest vrai qu'elle
est partiellement sédentaire et urbaine, elle est aussi en grande partie
nomade, et en ce sens, elle se déplacele long de l'année a travers des
parties du territoire des pays voisins (1.p. 216,par. 368).

Nous disons a I'Espagnemerci, parce que c'estévidemment un fait essentiel
dans cette affaire.On ne peut pas mieux prouver l'absence d'identitéen tant
que peuple des tribus nomades du Sahara dit espagnol.
Si I'onsuit l'histoirede l'évolutionde l'Assembléegénéraleo , n s'aperçoitque
progressivement l'élémentd'intégrité territorialequi avait été,disons, dilué
dans un texte mou, réapparaît progressivement. Si cet élémentde revendica-
tion territoriale, sans êtrerepoussépar l'Assembléegénérale, n'avaitplus été EXPOSE ORAL DE M. SALMON 329

mis en lumière, un changement s'est opéré,et un changement radical, a la
vingt-neuvième session.
Nous pensons que les tergiversations et les atermoiements du Gouverne-

ment espagnol y sont sans doute pour beaucoup.
Pour le lecteur docile, naïf et confiant des résolutions des Nations Unies
qu'est le professeur de droit international normal de mon genre, l'affaire du
Sahara occidental a, en effet, quelque chose de particulièrement désespérant.
Voila dix ans que l'Assembléegénéralerépète a peu de chose près les mêmes
exhortations a 131:spagne ;voila dix ans que ceHe-ciproteste, de bonne ou de
mauvaise grâce, desa bonne volonté, parfoismêmede son enthousiasme. Mais
rien n'a étéréalisé.
Le réferendum,non seulement n'apas eu lieu, mais aucune consuliation n'a
été faite, en particulier pas avec le Gouvernement mauritanien, ce qui nous
intéresse,pour l'organisation de ce référendum.On n'a mêmepas annoncé
quand auraient lieu ces consultations que l'on demande depuis 1966.

Aucune facilitén'a étédonnéea une mission de l'organisation des Nations
Unies pour participer a l'organisation et au déroulement du réferendum, car,
vous le savez bien, la mission actuellement envoyéepar les Nations Unies n'a
rien a voir avec le référenduni :ce n'est pas cette mission que l'Assemblée
généraledemandait depuis 1966.
Loin d'ailleurs de s'abstenir de toute action de natuaeretarder leprocessus
de décolonisation qui lui était demandé par l'Assembléegénéraledans les
résolutions généraleest dans les résolutions particulièresau Sahara occidental,
le Gouvernement espagnol, il faut bien le dire, n'a fait que cela. Pourtant, les
demandes de l'Assembléesont réitéréed sepuis 1966. Pourtant, depuis 1967,
l'Assemblée prie. le Secrétaire général agissanten consultation avec la
Puissance administrante et le Comitéspécialde nommer immédiatement -

depuis 1967 ! - et elle répètechaque fois:i<de nommer immédiatement >>une
mission spécialequi sera envoyée au Sahara espagnol en vue de recommander
des mesures pratiques touchant l'application intégrale des résolutions
pertinentes de l'Assembléegénéraleet notamment de décider dans quelle
mesure l'organisation des Nations Unies participera a la préparation et a la
surveillance du référendum,
Rien n'a étéfait.
Chaque année, au contraire, des élémentsnouveaux suscitent de I'inquié-
tude. Mais je ne les invente pas: il suffit de lire les résolutionsde l'Assemblée
généralepour s'en rendre compte.
A partir de 1969, l'Assembléegénéraledemande A l'Espagne de

<<Respecter les résolutionsde l'Assembléegénéralesur'les activités des
intérêtsétrangers, économiques et autres, opérant dans les pays et
territoires coloniaux et s'abstenir de toute action de naturea retarder le
processus de décolonisation du Sahara dit espagnol » (résolution 2591
(XXIV), par. 4 c)).

En 1970, l'Assemblée
« Irivitrtous les Etats a s'abstenir de faire des investissements dans le
territoire afin de hâter la rkalisation de l'autodétermination de la
population du Sahara ))(résolution2711(XXV), par. 7).

Elle
<<Dr'clare que la persistance d'une situation coloniale dans le territoire

retarde la stabilité etl'harmonie dans la régionnord-ouest de l'Afrique >>
G'bid. par.41.330 SAHARA OCCIDENTAL

En 1974, l'Assemblée

« Re'i~:irtorn iiivitation a tous les Etats a respecter les résolutionsde
l'Assembléegéneralesur les activitésdes intérêts étrangers, économiques
et financiers, dans le territoire et a s'abstenir d'aider, par des
investissements ou par une politique d'immigration, au maintien d'une
situation coloniale dans le territonr(résolution3292 (XXIX), par. 4).
Tout portea croire que l'Espagne profite des retards apportés a la réalisation

du référendum pour transformer l'économie, le caractère du pays, les
institutions, en vued'y créer une entitéautonome que, dans un vocabulaire
consacre qui choquera peut-être certains,on appelle un Etat fantoche.
Cette évolution expliquecertainement le sursaut de l'Assembléegénéraleen
1974. Et ce sursaut se marque par divers éléments.
Tout d'abord, le retour de l'élémend t e l'intégritéterritoriale. Ce retour se
marque, d'une part, par le fait que le substant<(indépendance >qui avait fait
son apparition à partir de 1972 dans les résolutions de l'Assembléegénérale
disparaît. En effet. darisa résolution 2983 (XXVIi) du 14 décembre 1972,
l'Assembléegéneraleréaffirmaitledroit inaliénablede la population du Sahara
a l'autodétermination et a I'indépendance(par. Il.Elle parlait du libre exercice
du droit a l'autodétermination eta I'indépendance dela population du Sahara
(par.4) et elle estimait que le référendum devait prévoléxercicelibre pour la
population autochtone de son droit aL'autodéterminationet aI'indépendance.
Dans la résolution 3162 [XXVIII) du 14 décembre 1973, il y a déja un
changement :le mot iiidL'peridu~~~vait déjadisparu en trois endroits, il ne
restait plus qu'a un seul alinéa,invitant la Puissance administrant:

<A prendre toutes les mesures nécessairespour que seuls les habitants
autochtones exercent, en vue de la décolonisatjondu territoire, leur droit
à t'autodéterminationet a t'indépendance» (par. 4 h)).

Cela. c'estla formule stéréotypée.
Si vous prenez la résolution du 13 décembre 1974. vous ne trouvez plus de
référence a I'indépendance. Le mot a disparu.
Second élément quime fait croire que la notion d'intégritéterritoriale et
d'uniténationale redevient un élémentauquel l'Assembléeest attentive ce sont
les questions poséesd'une manière historique, certes, àla Cour. Elle considere
qu'il esthautement souhaitable qu'elle
<<obtienne, pour poursuivre l'examen de cette question lors de sa

trentième session, un avis consultatif sur certains aspects juridiques
importants du problème n(dixième considérant).
Or ces aspects juridiques consistent justementa éclairerles titresjuridiques
invoques pour prouver l'élémentd'intégrité nationale ou territoriale au
moment de la colonisation du territoire par l'Espagne. Celaapparaît clairement
au paragraphe 1.
Par ailleurs, I'Assenibléedécidede l'envoi d'une mission de visite dans le
territoire. C'est encore bien pour essayer de voir dans quelle mesure les

populations auraient éventuellement desattirances a l'égardde leur environne-
ment.
Enfin, elle
<Itivite iiistotiiinla Puissance administrante a surseoir au référen-
dum qu'elle a envisagé d'organiser au Sahara occidental tant que
l'Assembléegénéralene se sera pas prononcée sur la politique à suivre EXPOSE ORAL DE hi. SALMON 331

pour accélérerte processus de décolonisation du territoire,conformément
a la résolution 1514 (XV), dans les meilleures conditions, a la lumière de
l'avis consultatif qui sera donné par la Cour internationale de Justice ))
(par. 3).

Je crois que c'est en vain que l'Espagne avance (1,p. 75, par. 8) que I'avis
consultatif est demandé ala Cour <(sans préjudicede l'applicationdesprincipes
contenus dans 1a.résolution1514(XV)de l'Assembléegénérale >)Cela ne veut
rien dire: l'Assembléegénérale parledes principes de la résolution 1514. Elle
utilise le pluriel. Parmi ces principes se trouve aussi - n'en dCplaise à
l'Espagne - celuidu respect de l'unité nationaleet de l'intégritéterritoriale.
Tout ceci indique que l'Assemblée a, cette fois, décidéde prendre en
considération, dans une mesure qui aura a êtrepréciséeultérieurement -
nous ne sommes pas des Cassandre -, l'élémentterritorial et national de la
question.

IIdécoulede tout ce qui précèdequ'en demandant un avis a la Cour sur les
liens du territoire. avis qui doit l'éclairersur certains aspects des revendications
territoriales, et en envoyant une mission sur place, l'Assembléegénérales'est
donné lapossibilitéde réexaminer la question.
Mais I'Assemblee possède-t-elle cette cornpetence ? L'Espagne le nie et
soutient mêmeque l'Assembléen'avait pas le droit au regard du droit de la
décolonisationde poser les questions quéllea soumises a la Cour.
En quelque sorte, selon l'Espagne, qui utilise tous les arguments juridiques
pour le prouver, l'Assembléea atteint un point de non-retour.
Au paragraphe 208, pages 151 -152 (I), le Gouvernement espagnol déclare
que dans son esprit :

« son acceptation des résolutionsde l'Assembléegénérale [pourmémoire,
l'acceptation par l'Espagne des résolutions de l'Assembléegénéraleen
date du 20 août et du 13septembre 19741confèrea ces actes un caractere
d'obligation juridique que ne saurait rnéconnaitre ni l'organisation elle-
mêmeni aucun de ses Etats Membres, car la volontémanifestéepar 1'Etat
destinataire de ces résolutions créeun lienjuridique touchant au contenu

de ces actes, lien qui par son caractere objectif s'impose d'une façon
genérale H.
Et le mémoire espagnolpoursuit :

(<IIest évidentque les résolutions spécifiquementapplicables au Sahara
occidental ont largement dépassé cepremier stade [c'est-à-dire celui
éventuellementde l'intégrité territoriale] et sans doute ont-elles déjàrésolu
la question préalable au début de toute procédure de décolonisation, de
fixer si l'autodétermination ... doit jouer son rôle si important ou si le
territoire doit étre réintégré a une autre sphère de souveraineté. >)
(1,p. 153-154, par. 214.)

Selon le Gouvernement espagnol, le droit du peuple du Sahara occidental a
la libre détermination a un caractere préliminaire par rapport aux questions
poséesa la Cour (1,p. 75, par. 8).Ledroit des peuples a disposer d'eux-mêmes
a au surplus dans ce cas-ci le caractère d'une règlede jtis cogeris (1. p.207,
par. 344).
Et encore :

<<sans entrer dans la question de savoir quelles autres optionsdoivent étre
ofïertes a I'electiondu peuple du Sahara occidental dans le réferendum
prévu,c'est un impératif juridique d'y inclure l'indépendance,comme la
. -332 SAHARA OCCIDENTAL

plus grande réalisationpossible du droit d'autodétermination ))(1,p. 219,
par. 375).
Toute cette argumentation repose sur une vue, je dirais, cristallisée, asens
unique, des choses commesi l'Assemblée,en matiere de décolonisation étaiten
quelque sorte programmée la maniere d'un ordinateur.
Cela esta la foiscontraire au contenu du droit B appliquer et a la compétence

de I'Assembléegénéraleà cet égard.
Sur le contenu du droit, nous n'y reviendrons pas. Le droit à I'auto-
détermination des peuplescoloniaux est un ensemble de règlescomplexes qui
fait une place importante B l'intégrité territoriale,le poids d'un facteur ou d'un
autre dépend de toute une série d'éiémentssociologiques, économiques,
politiques,juridiques, historiques. Ces facteurs ne sont pas morts. Ils vivent et,
comme dans un kaléidoscope, leur mélangepeut ëtre bouleversé a chaque
instant. Faire passer un facteur avant l'autre est finalement une question
d'appréciationde l'organe compétent. Dans ces conditions, la notion de jus
cogensest déjàune notion difficileet délicatea manier, mais il ne faudrait pas
estimer que le prograinme, si j'ose dire, espagnol tombe dans le cadre dujus
cogeils. En tout cas, personnelIement je me garderais bien de toucher a cette
délicatequestion.
Quant a la compétence de L'Assembléegénérale en la matiere, elle est

reconnue par tous comme étant souveraine. Le Gouvernement espagnol lui-
meme d'ailleurs est bien obligé d'enconvenir (1,p. 219,par. 378) :« Il est vrai
que la responsabilité en matière de décolonisation revient a l'Assemblée
général.e..>>Mais oui, la compétencedel'Assembléegénéraleenla matiere est
souveraine. IIs'agitcertes d'une évolutionpar rapport a la Chartequi, vous le
savez, en matière de territoires non autonomes, ne prévoyaita l'originequ'un
contrôle bien tenu (art. 73 e)).Mais l'évolution s'est faiteprogressivement et
d'une maniere implacable et l'Assembléegénérale aconquis en cette matiere les
pouvoirs qu'elleavait en matière de territoires sous tutuelle par l'intermédiaire
de son organe subsidiaire, le Comitéspécialdit Comitédes vingt-quatre.
Comme 1'écritMichel Viral1y :

Considérécomme politiquement secondaire par les fondateurs de la
Charte, le domaine propre de l'Assembléegénérale... les problèmes de
décolonisation, n'a cesséde s'étendreen volume et en importance. La
portée politique de nombre des décisions prises est aujourd'hui
considérable. Or I'Assembléegénéraleest souveraine et seule a décider,
sous réserve des compétences du Conseil économique et social. »
(L'orgui~islitio~~ioridialt.,Armand Colin, 1972, p. 115 ; voir aussi p.238
et 246.)

Marcel Merle, dans son article qui est souvent citéde IAtiiiuaireJrariçais de
droit iiireniaiioiial, 1961,su<(Les plébiscitesorganiséspar les Nations Unies »
(p. 425-4451, écrivaitceci qui n'a fait que se confirmer depuis quinze ans :
« En l'étaactuel des choses, la jurisprudence de I'Assembléegénérale

de l'ONU parait donc bien commandéepar un double souci :consulter les
populations quand le sort de la collectivité entant qu'entitépolitique
distincte se trouve en cause; assurer la libertéd'expression dans tous les
cas ou la situation locale ne permet pas de dégagerclairement la tendance
dominante de I'opinion sur l'avenir du pays. Si tels sont les principes qui
paraissent avoir guidé les choix de I'Assembléegénérale,il convient de
préciser[ajoute hlarcel Merle]que l'organe en question n'est aucunement
lié, pour l'avenir, par les décisions précédentes.Dans la limite des rincipes très générauxposés par la Charte, l'Assembléegéncrale est
Poujours] libre d'appréciersouverainement chaque situation particulière
et de déciderde I'organisation d'un plébiscit»(P. 431.)
Les pouvoirs de l'Assembléesont bien souverains et la pratique l'a montré.
C'est l'Assembléequi décided'inscrire des territoires déterminéssur la liste des
territoires non autonomes. C'esi elle qui décidede les en retirer, c'est elle qui
décideéventuellement de les réinscrire ultérieurementsi la situation, à son

sens, a changé.
Si elle décidede l'organisation d'un plébiscite, eldétermine l'objet de la
consultation, les termes de l'option qui est proposée aux électeurs et le
déroulementdes operaiions dans le temps.
Comme l'histoire l'a montré, dans 'le cas du plébiscite du Togo sous
administration britannique et dans ceux qui ont eu lieu dans les diverses parties
du Cameroun, l'Assembléegénérale a pris desdécisions, fort critiquées
d'ailleurs, qui montraient qu'elle ne s'estimait pasliéepar les résultats duvote.
Comme le dit Merle : « Elle peut faire prévaloir librement sa propre
interprétationjusqu'a remettre en question le bien-fonde du choix qu'elleavait
elle-même suscité.>>
C'est elle aussi qui est seule compétente pour entériner le choix des
populations et transformer celui-ci en une décisionayant autoritésur le plan
international. Souvenez-vousdu cas, lorsque l'Assemblée a approuvé l'union
du Togo sous administration britannique avec la Côte-de-l'Or(résolution 1044
(XI) du 13 décembre 1956) et celle du Cameroun septentrional avec la
Fédération du Nigeria, comme celle du Cameroun méridional avec la
Républiquedu Cameroun.

Dans le cas de I'lrian occidental, le référendum ouplut& (l'acte de libre
option » n'eut lieu que quelques années apres que les populations papoues
du territoire eurent été administréepar l'Indonésiequi revendiquait le terri-
toire.
Dans le cas du Ruanda-Urundi. on se souviendra de même qu'aussi bien
t'Organisation des Nations Unies que la Puissance administrarite poussaienau
maintien de l'unitédes deux territoires (voir ainsi la résolution 1743 (SVI) du
27 février1962, septième considérant). Finalement cettepolitique n'a, comme
vous savez, abouti qu'a un échecdu fait du refus des populations concernées.
L'Assembtee a constatécet échecde ça politique dans sa résolution 1746(XVI)
du 27juin 1962 : Notant que les efforts afin de maintenir l'unitédu Kuanda-
Urundi n'ont pas abouti. »
Ces divers précédents indiquentque l'Assembléegénéralepossède la plus
large libertéde manceuvre, qu'ellejouit de pouvoirs d'action et d'interprétation
souverains qui reposent sur la peséed'éléments divers, maisou le politique
domine. En aucun cas a-t-on vu l'Assembléeprendre une position de principe
selon laquelle apres s'être orientéevers l'unité territorialepar exemple, elle
s'interdirait de se iourner vers I':iutodéterminationou le principe inverse.
Toujours dans la mémeveine, le Gouvernement espagnol a soutenu que la

République islamique de hlauritanie se trouve également liée par le
programme espagnol à sens unique (1,p. 153,par. 212).
On a même invoquéla notion d'esstoppel,qui est difficile pour nous.
continentaux. Mais, a son sujet, le juge Alfaro, dans l'affaire du Trt~zplrde
Prcjul~Vil~r;aavait déclaréceci :
<<la partie qui, par sa reconnaissance, sa représentation, sa déclanition,sa
conduite ou son silence,a maintenu une attitude manifestement contraire
au droit qu'elle prétend revendiquer devant un tribunal international est334 SAHARA OCCIDENTAL

irrecevable a réclamer ce droit (vefiirecolrira Jnc.itli?tyropriutn 11or1
i~alet))>(C.1.J.Recileil1962, p. 40.)
Je ne vois vraiment pas en quoi cet argument pourrait êtreopposé a la
Mauritanie, car en fait de déclaration, de silence, vous pourriez peut étreme

reprocher d'avoir parlé un peu trop, à la première heure, en ce qui concerne
justement les revendications formulées par la Mauritanie entre 1960 et 1974.
La Mauritanie n'a jamais un seul instant renoncé a sa revendication
territoriale. Tout au plus s'est-elle,après l'échecdes tentatives de négociations
bilatéralesavec l'Espagne, rangée à la solution du référendum,mais c'était,
d'ailleurs, à une époqueou la Puissance administrante n'avait pasencore pris
des mesures systématiquesde pressions diverses sur la population, de manière
a la détacher de ses racines mauritaniennes. Le fait que l'Assemblée accepte
aujourd'hui de reprendre en ligne de compte l'élément d'intégritté erritoriale
dans une mesure qui, nous le reconnaissons, reste encore a préciser,ne peut
que satisfaire la Mauritanie. Celle-ci n'ajamais eu, pour reprendre les mots du
juge Alfaro, « l'attitude contraire au droit qu'elle revendique)).
Cést toujours la même argumentation qui revient. présentéeautrement,
comme le Phénix qui renaît de ses cendres, lorsque l'Espagne estime que les
questions poséesà la Cour sont une « question préalable )(1,p. 197,par. 3241,

déjaimplicitement résoluepar la décisiondu référendum :
<<IIest évidentque les résolutions spécifiquement applicablesau Sahara
occidental ont largement dépasséce premier stade et sans doute ont-elles
déja résolu la question préalable au début de toute procédure de
décolonisationde fixer si l'autodétermination de la population doit jouer
son rôle si important ou si le territoire doit étreréintégréB une autre
sphère de souveraineté.» (1,p. 150-1 51,par. 2 14.)

Nous ne pouvons que répéterque ce n'estpas parce que l'Assembléea suivi
quelque temps une voie. une direction en matière de décolonisation pour un
territoire déterminéqu'ellene peut plus ensuite changer d'orientation. Il n'y a
d'ailleurs paschangement de philosophie de la part de l'Assembléegénéralequi

n'a pas, a ce stade, fait savoir qu'elle entendait renoncer au référendum ; ily a
simplement changement d'accent, en voulant s'assurer si son action ne risque
pas de rompre l'uniténationale et l'intégritéde l'un ou l'autre Etat de la région.
Nous ne pensons pas que la Cour puisse substituer son optique politique a
cellede l'Assembléegenéralepour déterminerl'ordre dans lequel lesopérations
intellectuelles de qualification ou des éléments d'information doiventktre
recueillis. La Cour se trouve devant une demande de I'Assembléegénéralenon
équivoque etde parfait bon sens. Aucune raison juridique tenant a la compe-
tence de l'Assembléene s'oppose a ce que la Cour y réponde.
Si l'Espagne tenait vraiment au référendum d'autodétermination,elle aurait
pu le faire depuis dix ans, alors que chacun la suppliait d'y procéder.Je crois
qu'il faut avoir de la mauvaise grâce, dans des conditions de ce genre, pour
refuser d'accepter maintenant que le référendumsoit postposé, voire remisen
cause par I'Assemblécgénérale.

A cet égard,il faut souligner que l'argument qui est relatifal'avisconsultatif
de la Cour permanente de Justice internationale dans l'affairedu Motraslire de
Sailli-Nao~iinest totalement irrelevant parce que,dans ce cas-la, l'avisqui avait
été refusé portaistur une contestation d'une décisiondéja adoptéepar l'organe
considéréqui était la conférence des ambassadeurs. Ici, nous ne sommes
absolument pas dans cette situation, nous sommes dans la situation inverse,
c'est l'organe considfiré,l'Assemblée généraleq ,ui demande l'avis avant de EXPOSE ORAL DE hl.SAI-MON 335

prendre ses décisions.Donc, cet argument du Mairustc;rede Saiiil-Nuo~ri??ne
tient pas.
Enlin, un dernier argument qui. celui-ci. est politiquement explosif, consiste
a faire appel à ce que I'on peut appeler, dans le droit international
d'aujourd'hui, le sacro-saint principe de l'intangibilité des frontières, en

particulier en Afrique (1,p. 142et suiv., par. 190 et suiv.) et du principe général
de la stabilité des frontieres(1,p. 197-200. par. 325, 326 et 327).
LeGouvernement espagnol écrit :
« II est logique alors que ces éventuels et hypothétiques titres
historiques soient également afïectes par le droit des peuples à la libre
détermination, puisque celui-ci ne signifie pas que les Etats ou empires

precoloniaux doivent être reconstruitsni que I'on ne fasse prévaloir les
limites terriloriales, présumées ou certaines, des entitéspolitiques
indépendantes précoloniales. >>(1,p. 21 1-212, par. 356.)
La question n'est pas, ici, de remettre en question le principe de I'lrfi
pos.si&,i.safricaine. qui est une base solideet fondamentale de l'organisation de

de l'unitéafricaine dont le gouvernement que je représenteici est un membre
fidèle.
Nous savons tous très bien que, par sa résolution A.G.H./Rés.6 (1) sur
l'intangibilitédes frontieres africaines, la Conférence des chefs d'Etat et de
gouvernement de l'organisation de l'unité africaine. auCaire. le 21juillet 1964.
après avoir réafirme le paragraphe 3 de l'articleIIIde la charte de l'OUA. a
insistésur le fait suivant: <D~;C/uresolennellement que tous les Etats membres
séngagent a respecter les frontieres existant au moment ou ils ont accédéa
I'indépendance. )(Les coiijlirsdefroirrii.rec.1Afriqrie, Boutros Boutros-Ghali,
p. 137.)
Deux remarques doivent ètrefaites à propos de ce principe de l'intangibilité

des frontieres ou de l'irlipusside/is.
En premier lieu, la Mauritanie ne met pas en cause a proprement parler les
,/rt~iirii.rc>dsu Sahara dit espagnol. Les frontieres internationales de ce territoire
non autonome ont ktéétabliespar des traites internationaux entre la France et
l'Espagne. Pour une large part, ces traitésont en mêmetemps fixéles frontières
de la Mauritanie. La question n'estdonc pas la.
En second lieu, le principe de l'titposside~is africüine ne concerne que les
Etats qui ont ucce'dkà f'itidL;prtrdu~ice.1n'interdit pas les remembrements
avatir cette accession a I'indépendance. Le respect des frontieres ne signifie pas
la reconnaissance nécessairede I'ol/érilcdje lapopulation enferméedans celle-ci
tant que le territoire en question n'apas accédé a l'indépendance. Et laon peut
citer plusieurs exemples de remembrement avant I'independance ;ils ont été
fréquents. Je vous cite :

- le Togo britannique avec la Côte-de-l'Or(le Ghana) ;
- le Cameroun septentrional avec le Nigeria ;
- le Cameroun méridionalavec le Cameroun ;
- l'Irian occidental avec l'Indonésie;
- I'Erythree avec I'Ethiopie.

Certains ont éteenvisages, mêmes'ilsn'ont pas eu lieu :le cas du Ruanda et
du Burundi que je mentionnais tout a l'heure.
En conclusion, on ne peut prétendre, comme le fait l'Espagne, que les
questions posées a fa Cour

<manquent de pertinence juridique dans le droit international contempo-
rain, dont l'exigence véritableest la décolonisation du Sahara occidental336 SAHARA OCCIDENTAL

par l'application du principe de la libre détermination des peuples » (1,
p. 219, par. 379, al1 , et inutatis ~?î~itotldisp,. 223, par. 390).

On ne peut pas non plus accepter l'idéeque <<l'Assembléegénéralea déjà
établi,comme procédure pour l'exercice de ce droit a la libre détermination,
t'organisation d'un référendum» (1,p. 220, par. 379, al. 4).
J'espére,Monsieur le Président, Messieursde la Cour, que nous avons pu
démontrer :

qu'au regard des principes du droit international contemporain, le principe
du droit des peuples a disposer d'eux-mêmesen matière coloniale tient compte
de celui qui stipule que les pays ont droit l'uniténationale et à l'intégrité
territoriale. Les deux idéessont indissociables et,squ'a présent,ont toujours
été indissociées;
qu'au regard du cas particulier du Sahara occidental. l'équilibreentre les
deux notions est demeuréinstable et que l'issueest restéeouverte :
que cette question relèvedu pouvoir souverain de l'Assemblée.

Dans ces circonstances, la pertinence des questions poséesa la Cour est
évidente. Parses réponses,la Cour éclaireral'Assembléesur les relations que la
population du territoire avait avec son environnement et, en particulier,-avec
l'ensemblemauritanien dont la République islamiquede Mauritanie est le seul
successeur indépendant,aussi bienqu'avec le Royaume du Maroc, pour ce qui
ne fait pas partie du pays de Chinguiti ainsi que nous l'avons définidans notre
exposéécrit.
Ces élémentspourront êtreutilises par l'Assembléegénéraledans l'exercice
souverain de ses prérogatives en matiere de décolonisation, Il ne nous
appartient pas d'essayer de deviner ce que fera l'AssembléeCe sera un élément
parmi d'autres, notamment les résultats de la mission des Nations Unies,

l'évolutionde la situation dans cette région et le souci d'y maintenir la paix,
qu'elle aura a apprécier dans I'exercice des prérogatives que lui confère la
Charte de San Francisco.

L'audiericeest levc+à 13 11e1rre.s QUATORZIÈME AUDIENCE PUBLIQUE(7 VI1 75, 10h)

Pr.kseiit:[Voir audience du 25 V1 75.1

M. SALMON :Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, avec votre
permission, je voudrais aborder aujourd'hui la deuxième partie des observa-
tions du Gouvernement de la République islamiquede Mauritanie, celles qui
sont relatives a lacompétencedela Cour internationale de Justice dans l'affaire
du Sul~ara ucc~idrri~al.
Vous vous souviendrez qu'a l'audienceprécédentej'aiaborde devant vous la
première partie de l'exposé écrie tspagnol, ou du moins le premier argument,
celui relatifa l'autodétermination.
Le second grand thème de l'exposéécrit espagnolc'est de soutenir que la
Cour est incompétente ou, de manière plus feutrée,que les questions posées a
la Cour sont impropres à être envisagéep sar elle du fait du caractèrejudiciaire
de la Cour. Schématiquement, le raisonnement de l'Espagne me paraît êtrele

suivant :demander a la Cour qu'elle qualifie les questions qui lui sont posées
par l'Assembléede façon a ce que celles-ciconstituent un conflit territorial ou
bien, si elles ne constituent pas un conflit territorial, qu'elles constituent une
question académique. Et, second temps du raisonnement, demander a la Cour
soit de sedéclarerincompétentesoit de modifier lestermes des questions qui lui
sont posées. Telleme paraît, je pense, étreschématiquement la position du
Gouvernement espagnol et i'espéreencore une fois ne pas m'etretrompe dans
la perception que j'en ai eue.
Voyons d'abord le premier temps du raisonnement qui consiste à faire une
qualification alternative des questions.
L'Espagne propose a la Cour une qualification alternative a la question :ici,
elle dit qu'il s'agit d'un conflitterritorial ;la elle affirme qu'il s'agitd'une

question académique.
Envisageons ces deux hypothèses.
Et tout d'abord la première :que le conflit serait un conflit territorial. Cette
manière de voir est exposéepar leGouvernement espagnol au paragraphe 285,
page 179(I), de son exposé écrit.Je lis :
le Gouvernement espagnol estime que la formulation donnée aux
questions sur lesquelles on demande a la Cour un avis consultatif sont,

étant donne leur objet, des questions relatives a lÙllriblili«li dc la
.\crltiwruirieîerri~orialesur le Sahara occidental D.
Selon le Gouvernement de la République islamique de Mauritanie, cette
allégation n'estpas exacte.
Les deux questions poséesnbnt pas en effet pour objet de faire trancher un
conflit d'attribution de souveraineté territoriale sur le Sahara dit espagnol. La

démarche del'Assembléeest d'un ordre tout a fait différent, son projetest bien
précis :c'estcelui de la decolonisation. Le but des questions, j'aiessaye de vous
le montrer vendredi, est d'établirle rattachement ou l'absence de rattachement
dudit territoire a son environnement au moment de la colonisation espagnole.
Je ne pense pas que le différendqui vous est soumis puisse étrequalifih plus de
territorial que ne le serait un différendqui vous poserait la question suivante :
Hong Kong faisait-il partie de la Chine au moment de la colonisation ? Ou338 SAHARA OCCIDENTAL

bien :est-ce que Gibraltar était espagnolavant 1713 ?Ou bien encore :est-ce
que Goa était membre de l'ensemble indien avant sa colonisation par les
Portugais ?
J'ai le sentiment qiie la Cour peut à la question qui lui est poséerépondre
bien des choses, mais notamment qu'il y avait ou non un souverain territorial
dont ce territoire dépendait ou que ce territoire faisait partie d'une entitéqui
quoique non encore un Etat au sens moderne du terme n'en constituait pas
moins a l'époqueune entitéjuridique formant une unitéet que ce territoire en

fut distrait par le colonisaleur.
Toutes ces réponsespossibles - et ily en a d'autres - ne tranchent en rien
des conflits d'attribution de souveraineté territoriale. Ce ne sont que des
qualifications préjudicielles pour permettre l'application par l'Assemblée
générale desrèglessur la décolonisationdont nous vous parlions la semaine
dernière. Ce sont des indications sur lesaspectsjuridico-hisd teol'irigees
du territoire qui, jointes a d'autres éléments,permettront a l'Assemblée
d'adopter une politique déterminéede décolonisationde ce territoire.
L'absenced'analogie entre la demande d'avis et un conflit territorial nous
paraît amplement prouvée par les exemples que !'Espagne elle-mêmeavance
pour soutenir le contraire. En effet, quelles sont les affaires que l'Espagne
avance ? L'affaire du Srurirr,jlfridiqirc.dit GroCIuridorie~iiul. Mais il est clair
que, dans cette affaire. ce que l'on demandait a la Cour permanente de Justice
internationale c'étaitde dire et juger que les mesures prises étaient illégalesou
non valables. On ne vous demande rien de tel en ce qui concerne l'Espagne :
voyez l'exposé écrietspagnol,paragraphe 288, pages 179-180 (1).

11n'est pas davantage question, comme dans I'affaire des Mirrqui~rs Pr
Ecrc'lio~rs,dont certains d'entre vous se souviennent fort bien, d'attribuer la
souverainetéa l'un ou l'autre. mais bien dedire si leterritoire étaitrcrm itullius
ou non, ce.qui, je me permets de le rappeler. étaitbien exclu dans l'affairedes
Mirtyitier.ci &crc;licitts.et de dire s'il y a des liens juridiques entre le Sahara
occidental et la Mauritanie ou le Maroc a l'époquede la colonisation. Tout cela
n'a donc absolument rien a voir avec le type de demande qui a été faite dans
l'affairedes Mirrylricr.et EL.~c;/~ou.\.
Contrairement à ce que dit l'expose écrit espagnol au paragraphe 290.
page 181(1).1'Assemhleegénéralen'ajamais priéla Cour de « dire etjuger sur
les liens de souverainetéexistants o.C'est une interprétation, abusiveje pense.
de la demande d'avis.
Les questions, telles qu'elles sont posées, ne remettent pas en cause la
souveraineté territoriale de l'actuelle Puissance administrante, comme ii est
prètendu erronément au paragraphe 290, page 181, au paragraphe 294,
page 183 et au paragraphe 319, pages 193-194 (1).En effet,cette souveraineté

ne fait pas l'objetdes questions posées.
Le raisonnement du Gouvernement espagnol procede, quand on le suit de
près,d'une hypothèse défaitiste,j'oserais mème la qualifier de masochiste. en
s'enfermant volontairement dans le raisonnement dichotomjque suivant
(p. 173,par. 271) :si le Sahara occidental n'etaitpastcrru ~irrlliiis,y lit-on, c'est
qu'il était marocain, puisque le Maroc était le seul Etat de la région. la
Mauritanie n'existait pas en tant qu'Etat et, en conséquence, l'Espagne aurait
exercé depuistoujours, d'une manière illiciteet illégitime,sa souverainetésur
ce territoire (p. 174, par. 272).
Nous ne nous attarderons pas, pour le moment, sur.les aspects inexacts en
fait comme en droit, a notre sens. de la notion de tcwu iiirlliiis, nous y
reviendrons plus tard ;ce qui est certain, c'est que le caractère licite ou illicite
de l'occupation par l'Espagne du Sahara occidental n'estpas mise en cause parla Mauritanie pour la détermination du caractere lr~rlli~rosu non du territoire.
La Cour se souviendra que, dans son expose écrit,le Gouvernement de la
Mauritanie a soutenu que le territoire n'était pasres 11~11litrp suisque,
conformément au droit international de l'époque, l'occupations'étaitfaite, au
moins pour le pays de Chinguiti, avec l'accord reçu dans certains cas par des
traites formels des populations intéressées, populations qui ne dépendaient
nullement de la souveraineté marocaine. En dehors du Bilad Chinguiti, la
constatation par la Cour du caractere marocain de certaines terres acquises par
l'Espagne n'a riena voir avec son caractèrelégalou illégal.Ce qui est demande
à la Cour, c'est unjugement de vérité, pasun jugement de valeur. Le caractere
légalou illégald'appropriation par l'Espagne de terres marocaines ou de terres
mauritaniennes n'apas a faire l'objetd'appréciationsdans leprésent avis.Telles
ne sont pas les questions posées à la Cour. On ne peut donc suivre te
raisonnement espagnol, pas plus que les réflexionssimilaires qui apparaissent

au paragraphe 289, pages 180 el 181(1).
De cette prétention a l'existenced'un conflit de souveraineté, le Gouverne-
ment espagnol tire un certain nombre de conséquences. Comme on ne peut
tirer de conséquences exactesde prémissesfausses, on ne peut se rallier aux
conséquencessuivantes que l'Espagne tire du prétendu caractere de conflit de
souverainetéque présenteraientles questions poséesa la Cour. Quellessont ces
conséquences?La première, c'estqu'un conflit de ce genre devrait êtresoumis
ala procédure contentieuse :c'estce que nous dit l'Espagneau paragraphe 228,
page 158(1) :

<<le Gouvernement espagncil ne peut s'empêcher d'observerqu'un conflit
d'attribution de souveraineté territoriale, question que l'Espagne n'a
jamais soulevée, devrait êtresoumis a la procédure contentieuse et non
pas a la procédureconsultative N.

Deuxième conséquence tiréepar le Gouvernement espagnol : la procedure
consultative ne serait pas appropriéepour trancher de tels conflits et cepoint de
vue est exprimé notamment au paragraphe 299, page 185 (1) :<<lajui.idiction
consultative n'a pas étéconsidéréecomme la voie appropriée pour une
déclaration judiciaire de droits en des litiges relatifs a l'attribution de la
souverainetéterritoriale >>.
Auparagraphe 302, pages 186-187 (0 leGouvernement espagnol développe
la mêmeidéedans les termes suivants :

« dans aucun des avis consultatifs émispar la Cour on n'a considéré des
problèmes territoriaux, ni cledelimitation et, encore moins, d'attribution
de la souveraineté territor,iale. Ceci met en évidence, comme on l'a
remarqué auparavant, que les Etats n'ont considéré,ni dans la périodede
la Sociétédes Nations ni dans celle des Nations Unies, que la juridiction
consultative soit lavoie appropriée pour que la Cour déclarel'existencede
droits en rapport avec I'attribution de la souverainetéterritorial)>

Tout ceci est indéniablement habile et intelligent, mais me parait discutable,
car reposant sur des hypothéses que la réaliténe confirme pas.
En fait, la Cour est saisie, dans le cadre de la procédure d'avis, d'une
question préjudicielle pour résoudre un problème de décolonisatioii. Cette
question ne pose pas et ne doit pas poser la question de la souverainetéactuelle
sur le territoire qui, répétons-le,n'est pasportée devant la Cour.
Incidemment. on relèvera que la proposition selon laquelle une question de
frontièren'ajamais étesoumise E la Cour permanente de Justice internationale
ou a laCour internationalede Justice dans lecadrede laprocédureconsultative340 SAHARA OCCIDENTAL

est inexacte. Je me permets de vous citer l'avis consultatif concernant la
délimitation de la frontière polono-tchécoslovaque, la célèbre affaire de
Junlorzitruque la Cour a tranchée le 6 décembre 1923 (C.P.J. .IPripB II"8) :
I'avisconsultatif concernant la délimitationde la frontière serbo-albanaise ou
encore I'affairedu Monu.\fi.rcde Suirif-Nutrutl~d.onné par la Cour en date du
4 septembre 1924 (C.P.J.I. s~;ri~ B ir" 9) ; l'avis consultatif concernant
f'lriterprc;/aiidi I0.rlic.l3, puru,yrup/ie 2.dl1 /raite de Lo~r.suti~iefr,ontière
entre la Tur uie et I'lrak, donne par la Cour le 21 novembre 1925 (C.P.J.I.
s6rie B n0127. Donc. il y a der exemples OU la Cour a tranche dans le cadre
de la procédure consultative des affaires de souveraineté territoriale. Mais ce
n'estpas te cas ici.

Après avoir soutenu que la question est une affaire d'attribution ou de
délimitationde souveraineté territoriale, le Gouvernement espagnol procèdea
deux types de remarques qui montrent que lui-mêmen'estpas convaincu de la
qualification.
Tout d'abord, le Gouvernement espagnol reconnaît :
« dans toutes les affaires...relatives a l'attribution d'un territoire en litige,

ladite attribution a étéposéecomme une question actuelle et pendante
entre deux Etats et non pas comme une question historique sans aucun
effet sur la souveraineté actuelle a Iëgard dudit territoire )>(1. p. 185.
par. 296).
C'est donc reconnailre que ces questions n'ont rien 1 voir avec un conflit
territorial. Puisque le Gouvernement espagnol a lui-mêmemis le doigt sur la
preuve qu'ilne s'agitpas, dans lesquestions posées a laCour. d'unconflit sur la

souveraineté territoriale. on se demande pourquoi il s'ingénie encore a
prétendrel'inverse.
En second lieu, le Gouvernement espagnol soutient que ce sont le Maroc et
la Mauritanie qui transforment un processus de décolonisation en conflit
territorial. En effet. on :it
<(la soumission de la question soulevée par le Maroc et la Mauritanie a la
procédure contentieuse aurait pour effet d'exclure complètement le
probleme de la décolonisation du territoire et elle transformerait en une
controverse purement territoriale ce qui est. en réalité. un processus de

décolonisation >)(1.p. 158. par. 229).
Nous croyons avoir montre ci-dessus que c'est l'inversequi se présente,ce
n'est pas nous qui transformons l'affaire en un connit territorial. mais cést
['Espagnequi souhaite la présenterde cette manière devant la Cour.
La deuxieme hypothèse proposéepar l'Espagne pour que la Cour se déclare
incompétente oumodifie les questions, céstde prétendrequ'a défautde conflit
territorial on se trouve en présenced'une question purement académique. Le

Gouvernement espagnol développe cette argumentation notamment au
paragraphe 267, a la page 172 (l), en disant ceci :
<<En deuxieme lieu, la décision judiciaireque l'ondemande a la Cour.
en ce qui concerne le caractere de tcrru 11til1ilr.su Sahara occidental, se
précisepar rapport au <(moment de sa colonisation par l'Espagne 1).II
n'est donc pas question de résoudre un probleme juridique d'actualité
mais de se jeter dans une investigation purement historique. Par cela
même,une réponsea ladite question exigerait que la question du droit

applicable soit préalablement examinée.c'est-à-dire la question intertem-
porelle qui souligne lecaractere non actuel de la question soumise a I'avis
de la Cour. )> Et au paragraphe 268 le Gouvernement espagnol poursuit :

<(11est hors de doute que le fait historique auquel la premièrede toutes
les questions se rapporte doive êtreestiméjuridiquement en accord avec
les normes en vigueur au moment de sa réalisation ..cette mêmequestion
a deux faces n'est qu'un point historique relatif a la souveraineté
territoriale sur le Sahara occidental...

Même argumentation qui se poursuit, je vous passe la citation, para-
graphe 272,page 174(11,et encore au paragraphe 387.page 222, ou l'onpeut lire :

« Aussi, la détermination de la situation historique du territoire ou celle
des droits éventuels à caractere historique sur le Sahara occidental ne
constitue-t-elle pas une question juridique réelle etexistante, mais une
simple question d'intérêatcadémique. >>
Et la rnérnecritique se trouve aux paragraphes 312. page 190. et 314,
page 191.

L'Espagne reproche donc a la formulation des deux questions son caractere
purement historique.
Au risque de Lasserla Cour par des répétitions,il fautdire à nouveau que s'il
est exact, comme nous avons essayéde le montrer a l'instant. que la question
de souveraineté actuelle de l'Espagne n'est pas portée devant la Cour, en
revanche les questions posées a la Cour sont des questions juridiques qui n'ont
pas un caractere uniquement historique. Elles sont des questions juridiques,
car elles sont susceptibles de recevoir des réponses fondéesen droit. Elles ne
sont pas des questionspurement historiques ou académiques,ou sans lienavec
la réalité,car, comme nous le disions devant vous le 13mai 1975 :

« Les deux questions qui sont posées ala Cour, les deux questions
historiques, sont en fait lespr&?ris.sesles mslatrr/ioi?sob11gk;e cd JI~PS-
suires en vue de déterminer comment le territoire du Sahara occidental
doit être décolonisé, seloqnuelles modalités,avec la participation de quels
Etats, etc. C'est en quelque sorte une qualification préjudiciellequi est
demandéea la Cour. »(Ci-dessus p. 45.)

Quelles sont les conséquences que le Gouvernement espagnol tire du
prétenducaractere académique ?
L'Espagne prétendque la date critique, au moment de la colonisation, est
créée artificiellement,car il s'agit d'un conflit territorial pour lequel, citant
MmeBastid, il faudrait choisir la date « après laquelle le comportement des
parties ne peut plus être priseri considération > 1, p. 192, par. 315).
Et l'Espagne en conclut que la date choisie est artificiellement créée
(par. 3161,car on brise tout lien de continuité entre les actes initiaux d'exercice
effectif de la souveraineté par l'Espagne et les actes postérieurs jusqu'a la
situation actuelle existante (par. 317et 318).
Mais, encore une fois, il ne s'agit pasd'examiner les titres de l'Espagne au
Sahara dans leur continuité, et dans leur actualité,car l'objet de la demande

d'avis n'estpas d'apprécierla validitédestitres espagnols. La seule chose que la
Mauritanie soutient, et c'estune tout autre question, c'estqu'au moment de la
colonisation, le Sahara occidental, au moins dans sa zone sud, faisait partie du
pays de Chinguiti, de l'ensemble mauritanien.
Il n'y a donc pas lieu de tenir compte du développement ultérieurdu droit
international contemporain en relation avec le statut actuel du territoire du
Sahara occidental, qui est hors sujet. Ladate critique nous paraît, au contraire,
parfaitement bien choisie. 1.a période nécessaire pour la qualification342 SAHARA OCCIDENTAL

recherchéepar l'Assemblée,c'est bienle moment de la cotonisation et pas un
autre pour déterminer si le territoire en questiona ce moment étaiten rapport
avec son en\iironnement, et ceci afin que,dans le temps présent, 1'Assemblee
puisse voir si elle doit traiter ce territoire comme une entitépropre ou bien
comme la partie de deux ensembles plus vastes.
Si le conflit étaitvraiment un conflit territorial, il est clair que certaines
remarques espagnoles seraient pertinentes, notamment sur le point que la
souveraineté peut se consolider par le temps et qu'on ne peut bloquer
artificiellementle processus historiquea un moment donné(1, p. 93, par. 318).
Mais, encore une fois, il ne s'agit pas et il ne doit pas s'agir d'un conflit
territorial. C'est pour la meme raison que, dans l'ensemble. la République
islamique de Mauritanie s'estabstenue en principe de faire valoir des faits ou
des actesjuridiques postérieurs aux années 19 12, pour les titres, avec quelques
incursions jusqu'aux années 1930 pour juger de l'occupation effective par
l'Espagne du territoire. C'est pourquoi iln'y a. selon nous. aucun arbitraire,
contrairement a ce que soutient I'Espagne au paragraphe 320, page 195 (11,

a limiter a un moment détermine l'examen des liens juridiques avec le terri-
toire.
Tout ce qui précèdemontre bien que le raisonnement de l'Espagne est. tout
compte fait, une rnanccuvre dont j'admire l'habiletéq .ui consiste aenfermer la
Cour dans une dichotomie :OU bien vous examinez la souverainetéactuelle de
l'Espagne. ou bien vous faites de l'académisme.
Ce dilemme. tel qu'il est posé,a des conséquencessur la compétence.
Sur base de sa qualification principale, que le conflit est territorial, ou sur
base de sa qualificatiori subsidiaire, qu'il estpurement académique. l'Espagne
accule la Cour devant Charybde et Scylla : examiner un conflit territorial ou
faire de l'académisme.Et, dans les deux cas, dans l'esprit de l'Espagne, cela
doit amener la Cour a refuser de traiter de l'affaire. Mais c'estalors que,
magnanime. I'Espagnepropose « la>>solution :élargirles questions poséesa la

Cour, poser les <<vraies>>questions. L'Espagne placedonc la Cour devant un
dilemme :ou bien vous vous déclarezincompétente,ou bien vous élargissezles
questions comme je vous le propose. Je crois que c'estla la démarche.
Alors. examinons, si vous le voulez bien. les deux branches de l'alternative :
soit élargirles questions. soit se déclarer incompétente.
Première branche de l'alternative :élargir lesqueions.
Et ici,je vais encore me permettre de faire un certain nombre de citations de
l'exposéespagnol, qui me paraissent parfaitement illustrantes de cette attitude.
L'Espagne pose la question de savoir si la Cour ne doit pas

<entamer l'étudede la véritable situation juridique se rapportant a ce
territoire.A plus forte raison, la réaffirmaiion du droit a la libre
détermination de la population du Sahara occidental, inséréedans le
troisièmeparagraphe du préambule de la résolution 3292 (XXIX),semble
autoriser cette interprétation,qui s'insèredans l'amplecritèredont laCour
s'est servie a d'autres occasions quand elle s'est vue dans le besoin
d'interpréterl'objetde la demande d'avisconsultatif qui lui étaitsoumis. )>
(1,p. 175 et 176, par. 275.)

Si vous passez au paragraphe 313,page 191 - je dois dire qu'ila dans cet
exposéécritquelque chose qui m'atoujours fait penser au jeu de l'oie ((sautez
I la case 72, et puis vous retournerez a la case 33 )))on est un peu oblige de
passer d'un coin i l'autre de l'exposé écriptour rassembler la pensée - au
paragraphe 313, donc, vous trouvez quelle est, selon I'Espagne. la bonne
question : EXPOSÉ ORAL DE M. SALMON 343

(<Par conséquent, la question de savoir si le territoire di1 Sahara
occidental a le droia l'autodéterminationet al'indépendance,conformé-
ment aux résolutions des organes compétents des Nations Unies,
constitue la véritable question juridique soulevéedevant la Cour. Le
Gouvernement espagnol considère que la libre détermination du peuple
autochtone du Sahara occidental constitue un droit existant et juridique-
ment valable et qu'il correspond a la Cour d'en assurer Laprotection.
Corrélativement, il correspond a la Cour de déterminer les obligations de
la Puissance administrante, conformément a la résolution 1514 (XV?et
aux autres résolutions pertinentes de l'organisation des Nations Unies.>>

Le Gouvernement espagnol déclareencore, cette fois-ci, au paragraphe 306,
page 188 (Il, que la Cour

<<ne peut aucunement se borner aux deux questions contenues dans le
paragraphe Idu dispositif'de la résolutio3292 (XXIX) ...C'estl'avisdu
Gouvernement espagnol que la déterminationpar lesorganes compétents
des Nations Unies du fait que le peuple du Sahara occidental a droit asa
libre détermination et à l'indépendancese pose devant la Cour comme
une question préliminaire dont la Cour doit se saisir, rendant inutile que
celle-ci se prononce sur les questions posées relativeal'attribution de la
souverainet6 territoriale dans un passéhistorique, car lesdites questions
ne constituent pas le véritable problème a résoudre et sont, par
conséquent,sans objet. »

On voit donc bien ou nous conduit tout ce raisonnement. La porte de salut
offerte par l'Espagne, c'est sa conception de l'autodétermination dont nous
avons parléa l'audience précédente,c'estsa vision programméea sens unique
de l'autodétermination,dont nous avons critique longuement les fondements et
les développements.
La question ici n'est évidemment pas de mettre un instant en doute la
compétence de la Cour, qui est incontestable, pour interpréter la demande
d'avis, voire la préciser afin d'assurer un exercice correct de la fonction
judiciaire, pour aider les Nations Unies dans leur travail et dans l'exercicede
leur compétence. Cequi est en cause, c'est l'opportunité de l'exercice par la
Courde cette compétence,dans la présente affaire.
En quelque sorte, le Gouvernement espagnol demande a la Cour de
substituer aux qiiestions que l'Assemblée a posées, cellesque l'Espagne aurait
voulu qu'elle posât.Les demandes de l'Espagne nesont en effet pas nouvelles.
Ce que nous trouvons dans l'exposéécrit, nous l'avons lu dans les procès-
verbaux de l'Assembléegénérale lorsde la vingt-neuvième session.

A la Quatrième Commission, le 4 décembre 1974, le représentant de
I'Espagne, M. de Pinies, avait fait la proposition suivan:e
<<La délégationespagnole partage l'avisdu représentant du hlaroc sur
un aspect du moins, a savoir qu'il importe de trancher en connaissancede
cause et sur la base de tous les élémentspertinents. C'est dans cet esprit
que doit ètre envisagée la requête adresséea la Cour internationale de
Justice pour lui demander de rendre un avis consultatif sur le Sahara qui
ne se limite pas a I'examen des titressur le territoire a la datelaquelle
l'Espagne a commencé d'y exercer sa juridiction mais, comme i'a fait
observer avec raison le représentant du Koweït [cela c'étaitun bon Etat
arabe], qui tendea definir la base stricte sur laquelle le problème doit ètre

étudiéet ses rapports avec la situation actuell;cela suppose que la Cour
devra se prononcer d'une manière généralesur le statut juridique344 SAHARA OCCIDENTAL

international qui est actuellement celui du territoire ...»(A/C.4/SR.2 126,
p. 7; document na 9 du dossier transmis par le Secrétaire genéral de
l'ONU.)
Le 10décembre 1974,M. de Pinies devait regretter que les Etats qui avaient
présentéle projet de résolution n'avaient pas tenucompte de la question que

l'Espagne avait proposéd'ajouter (A/C.4/S.R.2 130, p. 29 du texte anglais).
Le représentant du Venezuela exprimait les mêmesregrets. dans le même
sens (A/C.4/SR.2 131.p. 22 ;doc. no 11).
Ceci prouve donc bien que cette décisionde l'Espagne, que cette façon de
concevoir la manière de poser la question devant la Cour n'a pas ete retenue
par l'Assembléegénérale.
II apparaît, je pense, clairemenl, que l'Assemblée n'a pas voulu élargirles
questions. On le comprend, car l'Assembléen'étaitpas préoccupée parle
souhait de voir clarifier des principes généraux,en particulier du droit de la
décolonisation,droit qu'elle applique chaque jour et qu'elle contribue aussi a
enrichir dans l'exercicedes pouvoirs qui lui sont propres, mais bien par celui de

clarifier une question juridique limitéeet préciseen vue d'appliquer certains
principes du droit de la décolonisation,a la situation du Sahara occidental.
Lechoix par l'Assembléede Ladate critique excluant la situation actuelle du
territoire est bien la preuve de la volontéde l'Assemblée.d'une part, de ne pas
transformer la question en un conflit de souverainetéet, d'autre part, d'exclure
toute discussion du droit a la libre détermination et a l'indépendancede la
population du territoire.
L'application équilibréede tous ces principes relèvede choix politiques.
Or, comme laCour l'adit,dans son arrétsur leDrriif dusilc du 13juin 195 1,
aprèsavoir constatéque les Parties <(entendent que la Cour opère un choix

entre les diverses voies par lesquelles l'asile peutprendre fin )>(C.I.J.Rcctreil
/ 951. p. 79) la Cour a dit qu'il ne luiappartenait pas d'opérerun tel choix. qui :
<<ne pourrait êtrefondésur desconsidérations juridiques, mais seulement
sur les considérationsde nature pratique ou d'opportunitépolitique ;il ne
rentre pas dans la fonction judiciaire de la Cour d'effectuer ce choix )).
Ubid.. p. 79.)

Cette sage position de la Cour s'imposeiciavec d'autant plus de force que les
choix politiques qui concernent l'avenir du territoire relèvent de l'Assemblée,
seule compétente pour déterminer dans le respect des principes les choix
d'opportunitéqui, àson avis, s'imposent.
Je ne pense pas que la Cour voudrait substituer sa propre discrétion a celle

de l'Assembléegénérale.
Je vous ai exposéla première branche de l'alternative :modifier la question.
Voyons maintenani. la deuxième branche de cette alternative : se déclarer
incompétente.
Le Gouvernement espagnol a avancé plusieurs raisons pour lesquelles la
Cour devrait s'abstenir d'exercer sa juridiction consultative dans la présente
affaire. J'espere ne pas en avoir manqué, mais j'en relèveau moins quatre :
d'abord l'absence du consentement de l'Espagne, ensuite I'impossibilitk de
déterminerles faits ; troisième point : lesquestionsne seraient pas propres a un
exercice correct de la fonction judiciaire :quatrième point :l'avisde la Cour ne
pourrait affecter les décisionsde l'Assemblée générale et seraitdonc sans objet.

Avec la permission de la Cour, je vais mepermettre d'examiner maintenant
ces quatre situations.
Tout d'abord, l'absencedu consentement de l'Espagne. Je dois dire que le EXPOSÉ ORAL DE M. SALMON 345

Gouvernement espagnol a posé laquestion, a ce qu'il meparaît, d'une manière
scientifiquement très prudente et a laquelle. a certaines nuances prés,on peut
se rallier. En effet, le Gouvernement espagnol, après avoir recorinu que
l'importance du consentement en cas dejuridiction consultative « reste ouverte
a la controverse de la part de la doctrine... )>(1, p. 201, par. 3291,aborde la
célèbre affairedu Srutirr de la Curc;lic,orie~irul~et reléve que. selon <(de
distinguéscommentateurs de lajurisprudence ...leconsentementest,tant dans

lajuridiction contentieuse que dans la consultation. la base de lajuridiction de
la Cour v. Ce sont de distingués commentateurs. II reconnaît ensuite que la
jurisprudence de la Cour internationale de Justice, a la suite de l'avisrendu a
propos de l'affaire de I'liircrpi-dutio,i des ~ruirc;sde pui.~, prr~niere phuse,
semble fixéedans le sens que :
« l'absence du consentement d'un Etat dans I'hypoihèse d'un avis

consultatif qui « a traita une question juridique actuellement pendante
entre Etats » n'affecte pasde façon absolue la base de la juridiction de la
Cour )>(1, p202, par. 331).
Le Gouvernement espagnol en conclut :

« que l'importance du consentement doit ètreévaluée parla Cour selon les
icirconstances du cas M.tant en ce qui concerne la situation des parties
éventuellementaffectéespar sa décisionqu'en ce qui concerne l'objetdes
questions soumises à son examen ))11.p. 202, par. 332).

Comme circonstances spéciales,le Gouvernement espagnol invoque le fait
que le Maroc voulait poser la mêmequestion par voie contentieuse (ibid.)(voir
aussi le paragraphe 226, page 1 57 (11,et le paragraphe 228, page 1 58) et qu'il
s'agit d'une question relative a l'attribution de la souveraineté territoriale (1,
p. 202, par. 333).
A première vue, on pourrait penser que la Mauritanie nèst pas per-
sonnellement viséepar les arguments espagnols, puisqu'elle n'a pasfait de
proposition de réglerun différendavec l'Espagne par voie contentieuse et que
la Cour a exprimé - certes pour la seule question du juge ud iloc: « que, au
moment de l'adoption de la résolution 3292 (XXIX), il paraissait y avoir un

différendjuridique relatif au territoire du Sahara occidental entre le Maroc et
l'Espagne ...» (C.I.JRrcrr~d /975, p. 7).
Ce n'est cependant qu'une illiision puisque l'acceptation de l'argumentation
espagnole, a propos du Maroc, priverait la Mauritanie, comme d'ailleurs tous
les autres Etats Membres des Nations Unies et comme l'Assembléegénérale,
d'un avis rendu par la Cour. En outre, il est indéniableque la question qui est
soulevée par le Gouvernement espagnol est, sur le plan de la politique
judiciaire, une question dificile, une question délicate. C'estpourquoi la
Mauritanie tient a lui donner les développementsqu'ellemérite.
Ce n'estpas par hasard, pensons-nous, que dans son ouvrageAsprcn récetirs
dlr ci roprocL;d~rra le la Colrr irtierrtario~iol.e Jlisric(Pedone, Paris, 1966)
au chapitre consacré a <Quelques aspects des avis consultatifs >>,Charles
De Visscher s'étaitattardéa cette question. Il écrivait :

« La fonction consultative n'en a pas moins sa physionomie propre. Le
vrai problème qu'ellea soulevédans quelques cas tient a la nécessite d'en
concilier l'exerciceavec les devoirs d'un corps judiciaire ; a la difficulté,
qui peut êtreréelle, a la mettre en oeuvre sans glisser dans la juridiction
contentieuse, au mépris du principe qu'aucun Etat n'est «tenu de
soumettre ses diffkrends avec les autres Etats, soit a la médiation,soit a346 SAHARA OCCIDENTAL

l'arbitrage. soit enfina n'importe quel procédéde solution pacifique sans
son consentement. » (P. 195.)

Plus loin, cet illustre juriste ajouta:t

(<Toute l'évolution des avis consultatifs et, tout particulièrement,
l'assimilation eraduelle de la ~rocédured'avisa la orocédurecontentieuse
dénotent la ~réoccu~ationd'Aclure toute oossibilit'é d'introduire..de.fa7o- --
en quelqu<: soric 'subrepiice. la juridictioii obligatoire par la voie
dCtournCcdc l'aviscoiisiiltatif. d'éviterau'iin disferend cntre Etats soit. en
fait,tranché par laréponsedonnéeà un; question qui s'yrapporte « etqui
peut constituer une question clef du diffërend. >>(P. 197.)

La mime idéeavait déjàétéexprimée en 1962 par sir Humphrey Waldock
dans son Generol Colrrse on Arblic Iri/eniorio~ra/ Law ou il disait sous une
forme ramassée :

<(The use of the advisory procedure raises a delicate question iTone of
the Parties tothe dispute objects to the reference to the Court ;for in that
rase the reqiiest for an advisory opinion begins to look like cornpulsory
jurisdiction introduced by the back door. >> (R~c~reildes rolrrs de
I'Acadéîniedi. droif irt~errta~ioiial1962, t. 106, p. 116.)

M. le juge Gros s'estégalement préoccupé de cette situation dansson article
<<Concerning the Advisory Role of the International Court of Justice »
(Trat~strariotial Law iti o CI~u~~girtg Sucie~j~,Essa-vs il1 Wu110r of Philip
C. Jesslrp,New York. 19721.
Il écri:

{(The mere evocation of a 'situation' by the political organs of the
United Nations cannol automatically and always bring about the
disappearance of the element of dispute between States ifthere exisls such
an element underlying the general situation. It is therefore necessary
every time an advisory opinion is requested to ascertain whether or not

the Court is coiifronted with a dispute between certain States, the
evocation of the matter by political organs being insuflicient to nullify the
dispute element to which the provisions of the Court's Statute and Rules
refer.>)(P. 317-3 18.)

Les inquiétudes de ces illustres juristes ne peuvent laisser la Cour
indifférente, particulièrementdans une période oula communauté internatio-
nale et son droit sont profondément diviséset oii aucun Etat n'esta l'abrid'une
situation de minorisation par rapport aux organes qui ont le pouvoir de
demander un avis consultatif a la Cour, et mème un avis.
Cependant, face a l'attention qu'ilconvient d'avoir a l'égardde l'élémenq tue
je viens de développer,élémentdu consentement de I'Etat - ce qui revient
finalement au principe fondamental de la souverainetédes Etats, qui reste un

principe fondamental du droit international public contemporain - face a ce
principe, se situent d'autres obligations du droit international contemporain, à
la foispour les Etats et pour les organes internationaux crééspar la Charte des
Nations Unies. Je vise en particulier lesobligations qu'a la Cour internationale
de Justice dans son cadre organique, les responsabilitésqui lui ont étéconfiées
par la Charte de l'organisation des Nations Unies, son caractère d'organe
judiciaire principal des Nations Unies (art. 92 de la Charte), le fait que la
réponse donnée a la Cour a des avis qui lui sont demandés constitue une
participation a l'actionde l'ûrganisation des Nations Unies. EXPOSE ORAL DE M. SALMON 347

On se trouve, on le voit, en face de deux valeurs opposées.C'est,encore une
fois, une de ces multiples contradictions de la vie internationale, dont vous
aurez a résoudreles difficultésqu'elles posent.
La question d'ailleurs est de savoir comment jusqu'a présent la Cour
permanente de Justice internationale, puis la Cour internationale de Justice,
ont essaye de résoudrece délicatproblème.
Nous n'allons pas refaire ici l'historique de laquestion en partant de l'affaire
du Star~rrde la Cardie orie~itale.Disons simplement que l'analyseapprofondie
de cet avis et de la question par Kenneth James Keith (The Extelit of the
Advisory J~lrisdicfiofi of rlie I~rler~rutioriulCr~lfof Ji~srice,Sijthoff, Leyde,
19711,sur a peu préstrente pages, nous a convaincus que plusieurs lectures de

cet avis sont possibles et que n'est pas sans méritecelle qui estime que, dans
cette affaire, l'affaire dS~atlrrde la Carklie arietrfalr, la Cour ne s'est pas
prononcéesur sa competence, mais bien sur celle de la Société des Nations et
c'est pourquoi, accessoirement, la Cour a donné d'autres raisons pour
lesquellesilétaitinopportun de traiter la question.
Et je souhaiterais développertrès rapidement ces deux points.
Que la Cour ne se soit pas prononcée sur sa competence résultedu texte
mêmede I'arrët sur le Stufuf de lu Curc;/i~~oriet~/o/e,puisque la Cour y
déclarait:

« Il y a eu des divergences d'opinions sur le point de savoir si des
questions pour avis consultatifs, pour autant qu'elles se réfèrent a des
points de fait actuellement en litige entre deux nations, devraient être
soumises a la Cour sàns le consentement des parties. Il n'est pas besoin,
dans le cas actuel, d'approfondir sur ce point. >>(C.P.J.I. skrit. Bri05,
p. 27.)

Et la Cour, dans les développementsqui suivent, montre que l'article 17du
Pacte de la Sociétédes Nations etait d'application, car l'article 17 prévoyait
justement le cas d'un conflitavec un Etatqui étaittiers a la Société des Nations
et pour lequel le Pacte de la Société des Nations était res ititer alios acta.
Donc la Cour montre que l'article 17 du Pacte étaitd'application etque,
puisque la Russie, Etat non membre de la Sociétédes Nations, avait refuse
l'intervention de cette organisation - on ne dit pas de la Cour, on dit decette
organisation et d'ailleursen particulier du ConseiI - dansson différendavec la
Finlande, l'article 14étaitinapplicable.

Ne se prononçant donc pas sur sa compétence, maisbien sur la cotnpétence
en généralde la Sociétedes Nations, la Cour a examiné la question en
opportunité et les raisons pour lesquelles, dans cette amaire, elle a estiméqu'il
étaitinopportun pour la Cour detraiter la question concernaient l'impossibilité
pour la Cour d'enquêtersur les faits qui sont a la base de l'affaire. La Cour
étant une cour de justice ne peut pas se départir des règles essentiellesqui
régissentson activitéde tribunal, meme lorsqu'elledonne des avis consultatifs.
La Cour internationale de Justice a repris a son tour cette délicatequestion,
notamment dans son avis du 30 mars 1950, à propos de l'affaire de
I'Jn~erpr~tutiondestraifésde paix. premièrephase. Et il fautdire que l'aviss'est
prononcé de manière péremptoire sur l'exception selon laquelie la Cour ne
pouvait se prononcer, sur une question juridique pendante, sans le consen-
tement des Etats concernes. Vous vous souvenez des termes de cet avis, mais
je me crois tout de mêmedans l'obligation de vous les rappeler tellement ils

sont clairs: ,
« Cette objection [relative au consentement des Etats concernes]348 SAHARA OCCIDENTAL

procède d'une confusion entre les principes qui gouvernent la procédure
contentieuse et ceux qui s'appliquent aux avis consultatifs.
te consentement des Etats parties a un différendest le fondement de la
juridiction de la Cour en matière contentieuse. II en est autrement en
matiere d'avis, alors mêmeque la demande d'avis a trait a une question
juridique actuellement pendante entre Etats. >)

On ne peut pas ètre plus net. La Cour poursuit :
La réponsede la Cour n'a qu'un caractere consultatif: comme telle,
elle ne saurait avoir d'effet obligatoire. II en résulte qu'aucun Etat,
Membre ou non membre des Nations Unies. n'a qualitépour empêcher
que soit donné suite a une demande d'avis dont les Nations Unies, pour

s'éclairerdans leur action propre, auraient reconnu l'opportunité. L'avis
est donnépar la Cour non aux Etats. mais a l'organe habilitépour le lui
demander ;la réponse constitue une participation de la Cour. elle-même
organe des Nations Unies >>a .'action de l'organisation et, en principe.
elle ne devrait pas êtrerefusée.)>
La Cour refuse donc d'admettre qu'il y ait dans cette exception un motif

quelconque a ce que la Cour se déclare incompétente.
C'estsur un autre plan que celui de la compétenceque la Cour poursuit ses
réflexions.Je m'excuse de lire encore les deux paragraphes suivants :
<L'obligation de la Cour de répondre a une demande d'avis comporte
toutefois certaines limites. La Cour n'est pas seulement « organe des
Nations-Unies D, elle est aussi essentiellement leur « organe judiciaire
principal >>(art92 de la Charteet art. Idu Statut). C'esten s'attachanta ce
caractère qu'on acontestéle pouvoir de la Cour de repondre a la présente

demande d'avis. »
Et la Cour d'ajouter :

L'article 65 du Statut est permissif. IIdonne a la Cour le pouvoir
d'appréciersi les circonstances de l'espècesont telles qu'elles doivent la
déterminer a ne pas répondre a une demande d'avis. Dans l'opinion de la
Cour, les circonstances de la présente espèce sont profondément
différentes,de celles devant lesquelles la Cour permanente de Justice
internationale s'esttrouvéedans l'affairedu statut de la Carélie orientale
(avis no 5). affaire ou la Cour permanente de Justice internationale a
déclaréqu'il lui était impossible d'exprimer un avis, esiimant que la
question qui lui avait étéposée, d'unepart, concernait directement lepoint
essentiel d'un différend actuellernenc ne entre deux Etats de sorte qu'y
repondre équivaudrait en substance a trancher un différend entre les
parties et, d'autre part, soulevait des points de fait qui ne pouvaient être

éclaircisque contradictoirement. >>(C.I.J.Recrieil1950, p. 71-72.)
Si nous interprétons d'une manièrecorrecte cet avis, la Cour ne situe pas la
question sur le plan de lacor~!pt'retice,ais sur celui de I'opport~rtiid'exercer.
son pouvoir en matiere d'avis consultatif. t'article 65 du Statut donne a la
Cour la possibilitéd'apprécier siles circonstancesde l'espècesont telles qu'elles
doivent la déterminera ne pas repondre a une demande d'avis.

La Cour estime qu'elle devrait s'abstenir si la question posée « concernait
directement le point essentiel d'un différendactuellement néentre deux Etats
de sorte qu'y répondre équivaudraiten substance atrancher un différendentre
les parties» ou «soulevait des points de fait qui ne [pourraient]êtreéclaircis EXPOSE ORAL DE M. SALMON 349

que contradictoirement >>fibid.). Ceci vous montre que c'est sur le plan de
I'opportunitéque la Cour s'est placée.Et elle termine en disant :

« II en résulteque la position juridique des parties a ces diffkrends ne
saurait a aucun degré êtrecompromise par les réponses que la Cour
pourrait faire aux questions qui lui sont posées>>Uhid., p. 72.)
J'en termine enfin, pour cette première partie de mon exposéde ce matin,
avec la position qui a étéprise par la Cour dans I'affairede laNuf~~ibic.
C'estencore sur le plan non de la cornpetence, mais de I'opportunité durôle

judiciaire de la Cour, que cette derniérea examinéla question dans 13:iffairede
la Numihie. Cela résulte du texte mêmedu paragraphe 27 de l'avis (C.1.J.
Reclieil 1971 ,p. 23).
La Cour fait ensuite valoir que l'affaire du Srutur d~ la Curklie orirntalc.
n'étaitpas pertinente car elle différaitde l'espèceexaminéeLa Cour déclarait :
« C'estainsi que l'un des Etats intéressésn'étaitpas a L'kpaquemembre
de la Sociétédes Nations et ne s'étaitpas présentédevant la Cour
permanente. Or l'Afrique du Sud est liée,comme Membre des Nations
Unies, par l'article 96 de la Charte qui autorise le Conseil de sécuritéa
demander un avis consultatif sur toute question juridique. De plus elle
s'estprésentéedevant la Cour, a participétant ala procédureécrite qu'àla

procédure orale et, touten soulevant certaines objections précisescontre
la compétencede la Cour, a traité dufond. »Ohid.,p. 23, par. 31.)
Qu'en est-il dans la presente affaire ?

L'audience, s~ispeiiduea II 120. esr repriseà Il 1135

Monsieur le Président, Messieursde la Cour, j'en étaisdonc a examiner avec
vous l'évolution de la jurisprudence de la Cour permanente de Justice
internationale et de la Cour internationale de Justice dans cette question
difficilequi est celle de l'impact sur la compétence de la Cour ou, plus
exactement. sur I'opportunitéde rendre une décision,dans lecas ou la question

poséeporterait sur un différendentre Etats. J'e.nétaisarrivéa parler de I'affaire
de la Namibie et je posais la question:qu'en est-il dans la presente affaire ?
Certes, les constatations qui ont été faitespar la Cour dans I'affaire de la
Namibiepeuvent être reprises a peu préscivprcljsis verbis dans la prksente
affaire, puisque aussi bien l'Espagne estMembre de l'Organisation des Nations
Unies et qu'elle s'est présentéeevant la Cour. Mêmesi l'exposéécrit espagnol
a évitéd, ansune certaine mesure - jedis dansune certaine mesure - le fond,
les six volumes d'annexes de mars 1975 s'y sont amplement attachés, et les
deux volumes complémentaires que nous venons de recevoir en juin 1975
confirment le souci de 1'Espagriede donner le maximum possible d'informa-
tions a la Cour. Maisje pense qu'il faut aller plus loin que cette simple analogie
des deux cas.
Est-ce que l'on pourrait dire que les questions posées concernent
« directement lepoint essentiel d'un différend actuellementnéentre deux Etats
de sorte qu'y répondre équivaudraiten substance a trancher un différendentre
Lesparties » ? Je reprends ici, comme vous le voyez, l'expression qui avait été
utiliséedans I'affaire de l'lnrrrpréta~iondes traites de paix, première phase
(C.I.J.Recireil1950, p. 72).Noiis ne le croyons pas, car même sila Mauritanie

et le Maroc ont exprimé et continuent a exprimer des revendications
territoriales a l'égarddu Sahara dit espagnol, comme nous l'avonsdit et répété
a de multiples reprises, ce n'est pace différendqui est soumis a la Cour ;les350 SAHARA OCCIDENTAL

questions poséesne portent pas sur un contentieuxterritorial,contrairement a
ce que prétend t'Espagne; la Cour est saisie, dans le cadre de la procédure
d'avis, d'une question préjudicielle envue de l'application ultérieure de règles
spécifiques dudroit de la décolonisationet ce, par un autre organe, l'Assemblée
génerale.
Le poids que l'Assembléedéciderad'accorder finalement dans la procédure
de décolonisationaux constatations juridiques qui seront faites par cette Cour
va dépendre de divers facteurs qui sont des facteurs politiques. Les réponses
donnees par la Cour n'en préjugerontpas. On peut dire, comme dans l'affaire
de I'ln~erpréfationdes traitésde paix, que «la position juridique des Parties à
ces diffërends ne sauraitaaucun degréêtrecompromise parles réponsesque la
Cour pourrait faire aux questions qui lui sont posées » (ihid.).
Le fait que leministre des affaires étrangèresdu Maroc aitsoumis, par une
lettredu 23 septembre 1974, au ministre des affaires étrangères d'Espagnela
proposition de soumettre devant la Cour au contentieux le point de savoir si le

territoire étarcs ril~lli~n'a'paspour effet d'infirmer ce qui precéde.En effet,
en dépitde l'apparence, l'objet n'est pas le même,non seulement parce que la
demande d'avis parle aussi de l'ensemble mauritanien, mais surtout parce que
lecontexte est différent.Il ne s'agitplus ici de trancher entre Etats un litigequi,
d'ailleurs, avec tout le respect que je dois au Gouvernement du Maroc, était
très vaguement libellé, mais bien de donner a l'Assemblée généraledes
élémentsd'appréciationpour qu'elle puisseexercer ses fonctions de decolonisa-
tion en pleine connaissance des élémentshistorico-juridiques du problème au
moment de la colonisation.
Leprécédentde l'avisconsultatif dans l'affairede l'/~~lerprclu~iodreis rruir&s
de paix est encore ici,je crois, entierement concluant et applicable.
La Cour avait remarqué ceci :

«le règlement de ces différendsétant entièrementréservéaux commis-
sions prévuespar les traites de paix, c'esta ces commissions qu'il appar-
tiendra de statuer sur toutes contestations qui, pour chacun de ces dif-
férends, seraient élevéescontre leur propre compétence, contestations
dont teprésentavis ne préjugeaucunement la solution. Il en résulteque la
position juridique des parties a cesdifférendsne sauraitaaucun degréêtre
compromise par les réponsesque la Cour pourrait faire aux questions qui
lui sont posées.» (C./.J.Recueil 1950, p. 72.)
De même,la Cour, dans son avis sur les Reserves à la coiiventioil polir la
pre'vrtitionei la rkpressiodi1crinie de ggnocidr,aindique que l'existenced'une
procédure particulière de règlement des différendsentre parties ne faisait pas

obstacle a ce qu'elle soit saisie parallèlement d'une demande d'avis par
l'Assembléegénérale.Différentesdans leurs conditions d'exercice, les deux
procédures n'ontpas lion plus les mémeseffets, puisque l'avis, a la différence
de l'arrêt,n'a pas, en principe, d'effet obligatoir;c'est ce que disait la Cour
(C.I.J.Recueil 1951 , p. 19-20).
Je crois que la façon d'appréhender la question dans les deux avis que je
viens de vous citer s'applique dans la présente affaire. En effet, de la même
manière, I'avenir du Sahara occidental et de la souveraineté de l'Espagne dans
ce territoire sont entre les seules mains de l'Assemblée.En aucun cas la Cour
ne devrait toucher a ces questions qui ne sont pas poséesdevant elle. Les
réponsesdonnéespar la Cour a la demande d'avis neseront, en outre, qu'un
desélémentsdont I'Assembtées'inspirera pour réglerles problèmes de la fin de
la souveraineté de l'Espagne dans ce territoire et pour déciderde l'avenir du
Sahara occidental. EXPOSÉ ORAL DE M. SALMON 351

En conséquence,je crois quenous pouvons conclure qu'en ces circonstances
il n'y a pas lieu pour la Cour de renoncer a exercer sa juridiction consultative
dans la présente affairepour des raisons d'opportunité.
En exerçant sa juridiction, la Cour ne se détournera pas des responsabilités
particulières qu'elle a en tant qu'organe judiciaire.
J'en viens maintenant au second point, à la seconde exception, qui a été

soulevéepar le Gouvernement espagnol :I'irnpossibilitededéterminerles faits.
La Cour se souviendra en effet que, au paragraphe 334, page 203 (11,le
Gouvernement espagnol a soutenu que :
« lajuridiction consultative n'estpas la voie appropriéepour fèxercicede
la fonction judiciaire en ce qui concerne des questions relatives a

l'attribution de la souverainete territoriale, du fait que la Cour,dans cette
juridiction, ne peut remplir la condition d'une bonne administration de la
justice en ce qui. concerne la détermination des faits relatifs a ces
questions P.

Et l'Espagne de citer l'affaire du Statuf de lu Carr'fir orieliiuleou la Cour
s'étaitexprimée de la manière suivante :
<<La Cour estime qu'il y a encore d'autres raisons péremptoirespour
lesquelles tout effort de la Cour de traiter la question actuelle serait
inopportun. Le point de savoir si la Finlande et la Russie ont passe un
contrat, diapres les termes de la Déclarationconcernant I'autonornie de la

Carélieorientale, est en réalité un point de fait. Y répondreimpliquerait le
devoir de rechercher quelles preuves seraient de nature a éclairerla Cour
sur la force relative des thèses avancéesà ce propos par la Finlande et ka
Russie, et de faire comparaître tel témoin que nécessaire. Ln Russie
refusant de prendre part a une enquêtede ce genre, la Cour serait très
embarrasséepour la mener a bien. Il parait, en effet, douteux que la Cour
puisse obtenir les renseignements matériels nécessaires pour lui permettre
de porter un jugement sur laquestion de fait qui est cellede savoir quel fut
l'objetde l'accord des parties. La Cour ne saurait aller jusqu'i dire qu'en
règlegénéraleune requêtepour avis consultatif ne puisse impliquer une
vérification de faits ; mais, dans des circonstances ordinaires, il serait
certainement utile que les faits sur lesquels l'avisde la Cour est demandé

fussent constants :le soin de les déterminerne devrait pas étrelaisséa la
Cour elle-mime. ))(C.P.J.I.skrie B rz05,p. 28-29.)
Vous voyez donc que la Cour veut étresûre des faits sur lesquels elle va
devoir donner son avis. Elle souhaite que ces faits soient constants et la Cour
ajoute :

<(La Cour se rend compte qu'elle n'est pas invitée a trancher un
différend,mais a donner un avis consultatif. Cependant, cette circons-
tance ne modifie pas essentiellement les considérations ci-dessus. La
question posée a la Cour n'est pas de droit abstrait, mais concerne
directement le point essentiel du conflit entre la Finlande et la Russie, etil

ne peut y 6tre réponduqu'ala suite d'une enquêtesur les faitsqui sont ala
base de l'affaire. Répondre a la question équivaudrait en substance à
trancher un differend entre les parties. LaCour, étantune Cour de Justice,
ne peut pas se départirdes règles essentiellesqui dirigent son activitéde
tribunal, mêmelorsqu'elle donne des avis consultatifs. H(lbid.)

Comme la Cour le sait, l'idéea étéreprise dans l'avis consultatif relatif a
I'l,iterprkîutio~ides rraitks de paix. La Cour recherchait si le différend352 SAHARA OCCIDENTAL

<(soulevait des points de fait qui ne pouvaient êtreéclaircisque contradictoire-
ment )>.
Quelle est la pertinence de cette exception en l'espèce?
Encore une fois, nous répéteronsque la Cour n'estpas saisie d'une question
relative a l'attribution de la souveraineté territoriale. Aurait-ce étéle cas que
cela n'aurait pas empéchéla Cour d'exercer sa fonction consultative, comme
on a montréqu'elle a pu le faire dans le passéa diverses reprises. a propos de
Jaworzina, de Mossoul, etc.

Mais ici, de toute façon, ce n'est pade cela qu'ils'agit.iis'agitde dire si un
territoire étaitou non terra iillllit;sil s'agit de définir, ou mêmepeut-être
simplement dedire qu'ilexistait des liensjuridiques avec lesentitésvoisines ;ce
ne sont pas la des differends sur l'attribution de la souverainetéterritoriale, ou
en tout cas lesquestionspeuvent êtrecomprises et traitéescomme n'impliquant
pas un tel conflit.
Au surplus, l'Espagne a fourni une documentation dont, le moins que l'on
puisse dire, est qu'elle esttrès ample et, jusqu'a présent, elle ne s'estjamais
opposée a coopérerloyalement et emcacement avec la Cour pour l'élucidation
des faits;on peut donc en conclure que l'argument de la difficultéde pouvoir
concevoir, percevoir les faits, cet argument qui consiste a dire que les faits

pourraient ne pas être constants,manque en droit comme en fait.
Incidemment, la République islamique de Mauritanie doit relever une
question soulevée par l'Espagne au paragraphe 337, page 204 (11,de son
exposé écrit.Dans ce paragraphe, l'Espagne ditque l'existence d'un Etat est
essentiellement une question de fait et que (<la Mauritanie devrait prouver
qu'elle <(était un <<Etat >>au moment de la colonisation par l'Espagne au
Sahara occidental N.La Mauritanie na jamais eu de telles prétentions etn'apas
l'intention de les prouver, en tout cas certainement pas sous laforme alléguée
par l'Espagne. Comme nous y reviendrons, la question decontenu juridique de
l'ensemble mauritanien peut certainement être examinée sans qu'il y ait la une

question de fait qui empkhe la Cour de trancher. C'estd'ailleurs probablement
a la fois une question de fait et de droit sur laquelle la Cour aura amplement
des renseignements.
Enfin, l'exposéécrit espagnol a beaucoup insistésur le fait que la Cour ne
serait pas compétente pour des questions de pur fait, et cet exposé cite
sir Francis Vallat et Kenneth James Keith (1,p. 205, par. 339).
Le dernier auteur citéme parait néanmoins l'être a mauvais escient, ou en
tout cas on ne cite pas sa conclusion qui, elte. ne va pas du tout dans le sens
avancé, puisque Kenneth James Keith défendlonguement le sens large qu'il

faut attribuera l'article96 dela Charte par rapport a l'article 14 du Pacte de la
Sociétédes Nations. II écrit. en se référantaux propositions de Durnbarton
Oaks :
<The words Justiciable' and 'legal' appear clearly to be used as
equivalenis. Since deciding questions of fact can obviously be part of the
judicial function of deterrnining 'justiciable disputes' it follows that

deciding the 'legal questions' referred to in the second sentence could
involve deciding factual issues. >>(TheExrenrofrhe Advisory Jurisdiciion
oJ ~heInternational Courtof Justice.1971 , p. 85.)
A un autre endroit de l'exposéécrit,le Gouvernement espagnol soutient que

la Cour ne peut connaître d'une question historique (1,p. 188.par. 308) qui ne
soit pas un differend (par. 309) M.ais il faut bien dire que lajurisprudence qui
est citéedans ces paragraphes par le Gouvernement espagnol se rapporte
uniquement a de la jurisprudence en matière contentieuse, ce qui est EXPOSE ORAL DE hl.SALMON 353

évidemment une tout autre affaire, et ou, la, ce point de vue est indiscutable,
indiscutable et donc irrelevant dans le cas présent.
En l'espèce,les questions posées ne sont évidemment ni de pur fait ni
purement historiques. Elles sont de nature juridique.
Comme l'aécrit CharlesDe Visscher :

(<Le sens des termes qur~tionjitriciiqne est clair ici ;il s'agit de toute
question susceptible de recevoir une réponsefondéeen droit. )(73iiorieet
r&alif&s ee,droit intrrriutioiialp~rblic,4eéd.,Pedone, Paris, 1970. p. 401 .)

Les questions poséesa la Cour, aussi bien le Gouvernement marocain que
nous-mêmesen avons déjàa plusieurs reprises fait la démonstration. sont par
excellence des questions susceptibles de recevoir une réponsefondéeen droit.
Les exposes écritsdéposesdevant la Cour et les exposésoraux le démontrent
amplement. J'enviens maintenant au troisièmeargument visépar l'Espagneet
je serai fort bref.

C'est celui selon lequel les questions ne sont pas propres a un exercice
correct de la fonction judiciaire. Cette allégation, qui apparaît au para-
graphe 294 de l'exposéécritespagnol, aux pages 183et 184(11,recouvre en fait
d'autres arguments auxquels nous avons déjarépondu.C'estl'affirmation d'un
double conflit d'attribution de souveraineté territoriale, c'est la mise en
question de la validité de I'etablissement de la souveraineté territoriale de
l'actuelle Puissance administrante sur ledit territoire non autonome, c'est le
refus soi-disant de prendre en considérationle statut actuel du territoire. Je ne
reviens pas sur ces questions dont nous avons déjatraité a plusieursreprises.

Et je vais terminer avec le quatrième et dernier argument invoqué par le
Gouvernement espagnol. C'estque l'avisde la Cour ne pourrait étredonné,car
il est insusceptible d'affecter les décisions de l'Assembléegénérale :il serait
donc sans objet. C'est biensûr l'affairedu Carnerourr scptenrriotiala laquelle il
est fait allusion ici.
LeGouvernement espagnol expose son point de vue de la manièresuivante :

(<A admettre, mêmea titre de pure hypothèse et aux simples effets de
l'argumentation, que le Royaume du Maroc alirait exerce, ou que
I'«ensemble mauritanien » alirait pu exercer, quelque droit sur le
territoire du Sahara occidental a un moment antérieur a sa colonjsation
par l'Espagne, de tels droits hypothétiques auraient éténécessairement
affectéspar les résolutions de l'Assembléegénérale desNations Unies
lesquelles, deconformitéavec la Charte, ont reconnu ledroit du peuple du
Sahara occidental à sa libre détermination. Ces droits hypothétiques au

moment actuel auraient cessé deproduire les effets que le Maroc et la
Mauritanie entendent leur attribuer. La décisionde la Cour dans l'affaire
du Cai?rerorr~Szeptentrional a mis clairement en relief qu'un Etat ne peut
obtenir une protection judiciaire pour de prétendus droits a l'encontre des
résolutionsdes organes compétents des Nations Unies, touchant au statut
international d'un territoire. ))(1,p. 175, par. 274.)

Et l'exposéespagnol cite ensuite des passages de l'arrêtpar lesquels la Cour
expliquait que l'Assembléeavait pris une position définitiveen acceptant les
résultatsdu référendumdu Cameroun septentrional et que la décisionde la
Cour ne pourrait remettre cette décisionde l'Assembléeen question.
Quant on relit cet arrétdans l'affaireduCamrrouii septrtitrional, on voit que
la Cour avait déclaréceci :

(<La fonction de la Cour est de dire le droit, mais elle nepeut rendre des354 SAHARA OCCIDENTAL

arrkîs qu'a l'occasion de cas concrets dans lesquels ilexiste, au moment du
jugement, un litige réelimpliquant un conflit d'intérêts juridiquesentre les
parties. L'arrët de la Cour doit avoir desconséquences pratiquesen cesens qu'il
doit pouvoir affecter les droits ou obligations juridiques existants des parties,
dissipant ainsi toute iiiertitude dans leurs relations juridiques. En I'espke,
aucun arrétrendu au fond ne pourrait répondre a ces conditions essentielles de
la fonction judiciaire. » (C.I.J.Recuril 1963, 33-34.)

En effet,vous vous souvenez de la situation :au moment ou la Cour aflait
rendre son arrêtpouréventuellement diresi te référendum étaictorrect ou non.
l'Assembléegénéraleavait déjàtranche la question en acceptant la validitéde
ce référendumet les rattachements qu'il impliquait. 11est évidentque la Cour
ne pouvait a ce moment-la venir trancher un diffërend qui étaitpar ailleurs
tranche par quelqu'un d'autrequ'elle.
On voit par cet extrait et par ce rappel de l'affairedu Cat?ieroti~srep~e~itriotial
que cetteaffairese présentaidt'une manière tout a fait differente de la présente
demande d'avis.
D'une part, il s'agissait d'un arrèt. On se trouvait dans le cadre de la
procédure contentieuse, d'un arrétqui devait affecter les droits ou obligations
des Parties, d'un arrêtqui devait trancher un differend. Ici, il s'agit d'unavis.
On est dans le cadre de la procédure consultative et il n'ya pas de différena
proprement parler qui doive étre tranché par la Cour.
D'autre part, loin de ne pouvoir affecter les décisionsde l'Assemblée, la
réponse donnéepar la Cour est susceptible de l'affecter puisque aussi bien la
réponsede la Cour est demandéeet attendue par l'Assembléeavant que celle-ci
ne prenne de décisions irrémédiables sur le statut du Sahara occidental.

On voit donc que l'affairedu Caiiierurr~src.preri~rioa'laveritabtement rien
a faire ici.
On peut conclure de cet exposé. que je m'excuse d'avoir fait si long. en
constatant que toutes les conditions requises pour que la Cour rende un avis
dans le plus profond respect de la Charte, du Statut et de ses responsabilités
comme organe judiciaire sont remplies, et que la Cour doit rejeter les
exceptions présentéespar )'Espagnea cet égard. La Cour, en répondant aux
questions juridiques poséespar l'Assemblée,ne se départirapas du respect de
sa fonction judiciaire; elle permettra au contraire a l'Assembléegénéralede
mettre en euvre des modalitéspolitiques tendant au respect des résolutionsdes
Nations Unies qui veillent à ceque leprocessus de décolonisationne mette pas
en péril l'unitnationale et l'intégritterritoriale des Etats.
Monsieur le Président, Messieurs de la Cour. il reste au conseil de la
République islamique de Mauritanie a vous dire sa gratitude pour la
bienveillante attention que vous avez bien voulu préter aux développernenls
qu'il a faits devant vous. EXPOSE ORAL DE M. OULD MAOULOUD
REPRESENTANTDL'COUVORNEMENT MAURITANIEN

M. OULD MAOULOUD :Monsieur le Président,Messieurs lesmembres de
la Cour,dans son exposéécrit,leGouvernement de la République islamiquede
Mauritanie s'estattachéa éclairerla Cour sur lesaspectssociaux, historiques et
culturels les plus caractéristiques qui donnena l'ensemble mauritanien - ou
Bilad Chinguiti - sa personnalité et la conscience aiguë qu'il en possède. 11
n'étaitquestion, lui semblait-il, que d'informer la Cour en ne retenant que les
faits principaux, les traits dominants. et non de tout dire, de ne rien laisser de
coté. De plus. la nature des matériaux utilisés, il faut le déclarer très
honnétement, l'aconduit à limiier al'essentielle volume du document produit.
Ainsi se justifiea ses yeux, la présentationsobre de son exposé écritd'ousont
absents annexes et compléments divers. Tout en restant dans les limites qu'il
s'est fixées,accédanten méme tempsau désirexprimé par vous, Monsieur te
Président,de réduire a l'essentielet a des élémentsnouveaux les interventions
au cours de cette phase de la procédure,le Gouvernement mauritanien, animé
du souci d'éclairer laCour autant qu'il est en son pouvoir, désireraitapporter
quelques développementscomplémentairesqui lui semblent utiles, notamment
pour répondre aux observations des autres exposéskcrits et oraux. 11n'estpas,
pense-t-il, déplacéde faire état devantla Cour des donnéesde l'histoire ou de
l'anthropologie culturelle. En effet, le role de la Cour comme interprète et

révélateur du droitinternational public, d'agent actifde son élaboration, lui fait
un devoir de se penchersur les réalitéshistoriques et culturelles dont senourrit
le droit. La réalitésaharienne ne peut lui échapper. Elle élargira ainsi les
dimensions de son expérience, déjà vaste, et l'aidera a affiner les concepts
juridiques.
La présente intervention, tout en essayant d'éviter des redites inutiles,
portera essentiellement sur l'ensemble mauritanien vu de l'intérieur.
Le Gouvernement de la République islamique de Mauritanie apportera
successivement des clarifications dans les domaines suivants : les principales
notions géographiques utiliséesdans la procédure en cours ; les sources de
l'histoire du pays chinguittien et les étapesde son peuplement, la langue du
pays chinguittien.
Ensuite, des données complémentaires sur la structure interne de la société
chinguittienne et son organisation économique dans le domaine pastoral.
En troisième lieu. des élémentsd'information sur les usanes relatifs a la
guerre et à la paix r&velateursde la pratique politique en vigueur.
Ensuite. nous exposerons auelaues dévelo~pements sur les aspects
particuliers de la culture du pays de ~hin~uiti. Ils Constituent, pensons-nois, le

fondement de la personnalitéchinguittienne la ou elle manifeste son originalité
sansexemplechez lescommunau& de pasteursde lazonearide de l'ancien mon&.
La conclusion de cet examen permettra de saisir l'idéeque l'ensemble
mauritanien se fait traditionneHement de lui-même,de la place qu'iltient dans
lemonde de l'Islam en generalet,plus particulièrement,al'intérieur dumonde
arabo-musulman.
Des le départ il est utile de jeter quelque clarté sur les termes les plus
fréquemment utilisésdans les exposés écrits etoraux : Sahara, Sous, Sakiet El
Hamra, oued Noun.356 SAHARA OCCIDENTAL

Qu'est-ceen effet que le Sahara, le Sahara occidental en particulier ?
Leterme Soilaru désigne. enarabe, le fauve et le gris. couleurs associées a la
notion de désert.c'est-à-dire a l'absence et a la raretéde la végétationet à la
précaritéet l'irrégularitédes pluies. Pour les Sahariens, le désertcesse des que

se présenteune végétationarbustive assez fournie : on appelle alors le moindre
bosquet ghoba, littéralement « forêt>),ce qui fait sourire souvent l'observateur
venu de l'extérieur.
Dans l'usage des géographes (voir Noinades el rror~tadisi~ie~r Suiruru,
publication de l'Unesco, Paris, 1963), le Sahara se définitpar la présencede
certains facteurs climatiques dominants :le facteur ariditédû a la raretéet a
l'irrégularité depsrécipitations. elles-mémesconditionnées par l'influence des
anticyclones ; d'ou le second trait. l'absence ou la modicité du peuplement
végétal.
Cesconditions sont réuniesdans la bande comprise,grosso i~iodo,entre 17et
18 degrés de latitude nord et s'arrêteaux environs de 30 degrés:avec de
nombreuses variations locales.
Dans ce vaste désert,la partie située a l'ouest du méridiende Tombouctou

constitue le Sahara occidental. On se rend compte tout de suite que ce Sahara
occidental est en particulier malien. en partie algérien, voiremarocain, mais il
est surtout l'assietteterritoriale de l'ensemble mauritanien qui en recouvre la
plus grande partie.
On distingue un Sahara méditerranéen,selon un autre mode de classement,
ou joue l'influence de la Méditerranée,ou prédomine une flore méditerra-
néenne et un type d'érosion méditerranéen,Ses habitants sont proprement
Nord-Africains :Algériensou Marocains.
Ce Sahara méditerranéen esta distinguer d'un Sahara tropical, de part et
d'autre du tropique dtiCancer,qui profite de la mousson du golfe de Guinée
provoquée par l'anticyclonede Sainte-Hélène, maispeut aussi recevoir des
pluies de l'hiver méditerranéen.
Ce Sahara occidental tropical correspond, aux trois quaris de son etendue, a
I'ensemble mauritanien. Quand on parlera du Sahara, c'est de celui-la qu'il
s'agit,car il est le seul concernédans le présentdébat.

Ce classement comporte beaucoup d'autres nuances et de chevauchements
qui sont présents a l'espritde tous.
Tout ce qui précèdeconduit naturellement a rappeler la place qu'occupent
lesdeux parties de l'ensemble mauritanien et la situation de l'unepar rapport a
l'autre. 11est suggéré,en effet, dans les mémoireset documents marocains et
espagnols, ainsi que dans certaines interventions, que le territoire de la
République islamiquede Mauritanie serait situeau sudde lazone espagnole, ce
qui pourrait êtresollicite, dans on ne sait quel but, peut-êtredans celui
d'enlever tout caractère saharien a la partie indépendante de l'ensemble
chinguittien. Mais, il n'en est rien, un simple coup d'Œilsur une carte montre
que la Mauritanie se déploie le long des limites orientales des provinces
administréespar l'Espagne et se trouve donc, en grande partie, situéea l'estet
au nord-est de cette province. Les deux portions de l'ensemble mauritanien,
ceci a été clairementinontré par tous les exposés présentes,couvrent la plus
grande partie du Sahara occidental tropical, participent de la même zonation

climatique, des mêmes structures géologiques,ce qui importe d'ailleurs peu,
des mêmesformes de relief, des mêmestraits géographiques : flore, faune,
ressources hydrauliques,aptitudes agricoles etpastorales ;et, bien entendu. du
mêmepeuplement, ce qui saute aux yeux des qu'on examine les cartes
d'itinérairesde transhumance. tous transfrontieres. Et nous espérons avoir
l'occasionde vous les montrer demain sous forme de projections commentées. EXPOSE ORAL DE M. OULD MAOULOUD 357

On pourrait penser que ce rappel enfonce une porte ouverte, mais nous

pensons, au contraire, qu'il aidera a préciserl'usage parfois abusif qu'on rait
souvent du terme Saliaru et ceci est tres utile.
Il n'est des lors plus légitimede réduire I'espacesaharien occidentala l'une
de ses parties,a partir d'un découpage administratifarbitraire, et on en vient a
ne plus reconnaître comme Sahara occidental tropical qu'une section couvrant
a peine le sixièmede son immense étendue.
II n'est pas non pkusexact d'étendre abusivement la notion de Sahara à des
régions situées à sa périphérie, maisqui s'en distinguent tres nettement, car
elles ne remplissent aucun des critères qui servent a distinguer le Sahara de
cette région. Les connaissances vagues que pouvait avoir le Gouvernement
marocain des régions et du monde sahariens et présahariens expliquent
l'imprécisionet le flottement des documents produits, et sur lesquels nous
aurons l'occasion de revenir, lors d'une future intervention.
Parallelement ril'extension ou à la restriction de la notion de « Sahara », on
peut rappeler l'évolutiondu sens donné,par certains documents, aux noms des

entitésgéographiques telles que :Sous, oued Noun, Saguia el Hamra.
LeSous devrait normalement désigner la plainedrainéepar lecours d'eaude
ce nom, marquant la ligne de séparationentre les plissements du Haut Atlas et
de l'Anti-Atlas. Mais il s'estétendua la régiondu sud-ouest du Maroc ;il n'y a
rien d'anormal jusque-la.
Mais au grédes fantaisies des chroniqueurs et des usages de la chancellerie
royale dépourvue le plus souvent de tout contact avec cette région,le Sous a
fini par signifier quelque chose comme le e<Grand Sud », dont on ignore tout.
IIfaut le limiteri~sa modeste assiette de canton ou de province du Sud-Ouest
marocain.
La mêmerestriction de sens doit s'appliquer aussi à l'oued Noun. C'estune
zone présaharienne au sud de l'Anti-Atlas et qu'arrose un systèmecentrésur
l'oued Assaka. Cette zone est hiibitéeprincipalement par les Tekna marocains,
elle est donc hors du problème débattudevant la Cour.
J'en arrivea la Saguia el Ha~nraqui, elle aussi, subit des étirements de sens
que rien ne justifie. Nous en avons donné la définitiondans l'exposeécritdu
Gouvernement mauritanien (III, index, p. 121). C'est un oued du Sahara

occidental, seion cette définiticin,dont le bassin versant constitue iine vaste
région s'étendant de la Hamada de Tindouf et du massif du Zemmour a
l'Atlantique. Et nous insisterons sur l'expressio:« vaste région )>,qui évitede
n'y voir qu'une ligne marquée par un thalweg.
Si nous parlons d'oued saharien c'est évidemment pour bien rappeler qu'il
n'y coule pas beaucoup d'eau vers la mer.
Et nous nous excusons d'ailleurs d'avoir dû fournir ces éclaircissements.
Notre but étantd'évitertoute confusion de terminologie géographique.Ceciest
un préalablea l'examen du pays chinguittien vu de l'intérieur.
Cet ensemble chinguittien. nous l'avons décrit dans l'exposé écritque le
Gouvernement de la République islamiquede Mauritanie a déjàeu l'honneur
de présentera la Cour. Une longue histoire, un mode de vie, une langue, une
culture, des traditionspropres et des institutions originales l'ont façonneet, en
créant un sentiment d'appartenance tres vif, lui ont imprimé un cachet

caractéristiquequi fonde sa personnalitéet qui le distingue de ses voisins, tant
méridionauxque septentrionaux.
L'histoire donc de ce pays - il n'estpas question dans cette intervention de
la raconter - nous est connue antérieurement a la colonisation européenne
dans ses grandes lignes, grâce justement à sa propre production intellectuelle.
Une abondante tradition écritenous a laisséde nombreuses chroniques, que358 SAHARA OCCIDE~TAL

complète une littérature orale extrêmement importante. La littérature colo-
niale, celle des fonctionnaires, des officiers espagnols, français, des récitsde
voyages et quelques travaux académiques,dont je citerai tout a l'heure deuxau
moins, ont utilisédans le passéces matériauxet ces derniers ouvrages sont les
plus accessibles ;je citerai, pour avoir une idéede ces matériaux, la liste
donnée dansCharles 'ïoupet, «Orientation bibliographiquesur la Mauritanie »,

B~ille/iride l'/FAN,tome XXI, de fasérie B, 1959,et la thèse du docteur Norris,
Sfiiiigifi Folk Lilerattrre utid Sat~g,Oxford University Press, 1968. Ces deux
ouvrages donnent une idéede la richesse et de l'importance des matériaux
locaux pour écrireI'histoirede cet ensemble.
Et je ne procéderaipas évidemmenta l'énumérationde tous les ouvrages de
caractère historique qui ont étéproduits sur place, mais j'aimerais citer au
moins quelques-unes des plus notables chroniques telles que :
- Les chroniques de Walata, qui ont étépartiellement traduites en français
par P. Marty, Reviredes L;llid~islui~tiq~~e~,927, pages 355 a 426 et531 à
575. L'apport de ces chroniques non seulement pour l'histoire de
l'ensemble chinguittien, mais aussi des régions voisines, est extrêmement
important, puisqu'elles relatent des événements notables depuis le
XVlesièclejusqu'i la conquete française et éclairentdes aspects non négli-
geables de I'histoire des pays voisins. C'est ainsi qu'elles ont permis par

exemple de fixer avec précisionla chronologie du royaume Bambara de
Ségouau Mali (voirTauxier, Les Bar~lbaro, Paris, 1942).
J'ajouterai aussi:
- Leschroniques de Tichitt, qui ont été traduitespar Vincent Monteil, dans le
Bulletitide I'IFAN.tome 1, 1939.
- Les chroniques de Wadan, Chinguiti, Tijigja,etc., encore inédites, maisqui

font l'objet actuellement des mémoires de thèses en préparation par des
chercheurs mauritaniens.
D'autres Œuvres historiques et des recueils biographiques de savants du Bilad
Chinguiti offrent des matériaux pour écrireI'histoirede ce pays. Ainsi :
- L'muvre de Mohammed al-Yadali al Daymani (XVIlP siècle),éditéeet

traduite par Ismaël Hamet et RenéBasset, Paris, 19 13 ;celle de Walid Ould
Khaluna, mort en 18 12, édité ettraduit par les mémes.
- Les recueils de biographies de savants par Al-Barattayli, mort en 1805,
inédit.
- Les Œuvres de sidi Abd Allah Ould al-Ha4 Ibrahim, mort en 1833 ;de
Salih Ould Abdal-Wahhab, mort en 1854. Et enfin
- celle de Mohammed Abd Allah Ould al-Boukhari Ould al-Fildli. mort a la
fin du XIXe sikle, ouvrage plus particulièrement consacré au territoire
actuellement administré par l'Espagne.

Un bon exemple de la littérature chinguittienne dans ce domaine. le plus
accessible en mème temps aux non-arabisants. est représentépar le Wasy~
d'Ahmed Ould al-Amin Chinguiti, que caractérise ainsi l'orientaliste français
Colin :
« Peu de régionsd'Afrique du Nord ont étél'objet d'une monographie
aussi précieuseque l'estle Wusyr. qu'Ahmed Ould Al Amine As Shinguiti
a composée.il y a quelque vingt ans, sur son pays d'origine. » (Hespe'ris,
année1930.)

Cet auteur d'El Wasyravait quitte le pays une dizaine d'annéesavant 1 902, EXPOSE ORAL DE M. OULD MAOULOUD 359

débutde la conquêtefrançaise. II a écritson ouvrage pendant son séjour en
Egypte ; il n'avait donc aucun souci de justifier la position d'un gouvernement
ou d'un parti. Son témoignagen'en acquiert que plus de poids. Ainsi, ilentend
par Bilad Chinguiti, pays de Chinguiti, non une région particulière de la
Mauritanie actuelle, mais bien le pays maure tout entier, l'ensemble
mauritanien compris au sens le plus large depuis la Saguia el Hamra jusqu'au
fleuve Senégal.Voici la définitionqu'il en donne :

((Ce pays est limite au nord par la Saguia al Hamra qui en fait partie ;
au sud, par Qa 'Wuld Hayba, [c'est laplaine alluviale sur la rive droite du
fleuve Sénégalaux environs de Kaïdi en Mauritanie] qui en fait partie
aussi; àl'estpar Walata et an Nema qui en font partie aussi ;1 l'ouestpar
le pays du Sénégal,connu par les Mauritaniens sous le nom de N'darr
(Saint-Louis) qui n'en fait lias partie>>'

11convient de préciserque la vision cartographique de notre auteur est peut-
être quelquepeu fausse puisqu'elle metle Sénégal a l'ouest au lieu de mettre
l'Atlantique, mais on comprend ce qu'ilveut dire.
On aura notél'absence dans cette énumération,qui est certes succincte, de
tout apport de I'historiographie marocaine a la connaissance de l'histoire du
pays de Chinguiti. La production historique du Maroc est extrCmement
importante. Elle s'étalesur presque un millénaire, mais n'enregistrela relation,

a notre connaissance - et nous l'avons examinée attentivement - d'aucun
événementsurvenu dans le pays de Chinguiti, ne mentionne la biographie
d'aucun personnage de ce pays; fait exception cependant l'épisode des
Almoravides, dont nous avons expliqué, dans le mémoire écrit,l'origine
mauritanienne. Ceux-ci avaient construit un vaste empire ou le Maroc était
englobé et mème l'Espagne musulmane de l'époque ; et l'historiographie
marocaine effectivement parle des Almoravides ;ceci se passe au XIC siècle.
Paradoxalement, ce sont les témoignages desnavigateurs, des voyageurs,
des marchands européens, depuis qu'ils sont entrésen relations avec le pays,
qui complètent souvent les informations historiques proprement chinguit-
tiennes.
Il n'étaitpeut-êtrepas inutile de rappeler que I'on dispose ou on disposera

au fur et a mesure du développement des recherches futures de grandes
possibilités d'écrire l'histoirde ce pays par l'appel a ses propres ressources
historiques.
La mise en place du peuplement, dans l'étatactuel de nos connaissances,
s'est faite.a partir de la dernière périodehumide qu'a connue le Sahara, par
l'arrivéedes Sanhaja de langue berbèrequi ont trouvésur place un peuplement
noir - et I'onpossèdele témoignage desgravures, peintures et inscriptions en
un alphabet dérivédu punique qu'emploient encore aujourd'hui les Touareg
algériens, malienset nigériens --et ce témoignage,qui couvre lepays depuis la
Saguiet el Hamra jusqu'au neuve Sénégalp , artout ou il yades rochers, et de
l'Atlantiquejusqu'à la frontière de la Mauritanie et du Mali, rend compte de la
diffusion de ce peuplement et de ses étapes historiques.

Les spécialistesdistinguent des périodesou prédomine la représentation du
chevd, suivie d'une autre périodeou domine la présentation du chameau et
tout ceci se passe dans les derniers sièclesdu premier millénaireavant l'ère
chrétienne. Des éléments arabesisoles, venus au moment de l'islamisation du
pays, c'est-à-dire au VIIICet au IXSsiècleaprèsJésus-Christ,et enfin l'arrivée

' Cettcitatioesttiréed'EWasyi.textarabeéditau Caireen1913etrééditen 1961,p.422.
TraductionparAhmed BabaMiske,Paris. 1970.p114.360 SAHARA OCCIDENTAL

massive d'autres Arabes, les Hassanes du groupe Ma'qil, paracheveront
l'arabisation du pays a partir du XIIlc siècle.
Dans cet ensemble, l'unitéde la population réside essentiellementdans la
fusion entre Sanhaja et Hassanes, fusion qui aboutit en particulier a l'adoption
d'un même parler,Iàrabe. et d'institutions sociales communes ou entrèrent les
apports des uns et des autres et d'ou a émergé progressivement le typedu
Saharien de Chinguiti, engagé dans une civilisation du désert façonnéepar
I'lslam.
Tout comme les pasteurs de la zone aride de l'ancien monde. les
Chinguittiens entretiennent avec leur désert un dialogue permanent ou
l'homme, conscient que sa puissance,sa libertésont liéesau désert,en accepte
les conditions implacables, mais entretient avec lui un certain dialogue
permanent.
Cesentiment diffus s'accentue et se précisedans ce que tant de connaisseurs
de cette régionont écrit,dans un « mysticisme étrangeet presque inconscient
qui attache les Sahariens aux solitudes qu'ils parcourent comme s'ilssavaient

qu'ellesdétiennentle secret de leur indépendance»(F. de la Chapelle).
Le sentiment religieux dans le pays chinguittien a conservé t'essentiel de
l'ardeur militante des Almoravides, une foi profonde, un ritualisme aussi, non
dénuéd'étroitesse, une austéritéimposée par la nature du pays, le tout
réconforte parun « mysticisme ou l'homme cherche avaincre la nature âpre
du désertpar la maitrise du miracle>>. QUINZIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (8VI1 75, 10 hl

Prksetrrs:[Voir audience du 25 VI 75.1

M. OULD MAOULOUD :J'en étaishier a examiner les élémentsde l'unité
culturelle de I'ensemblechinguittien etje voudrais continuer en observant que,
s'agissant de langue, la délégationde la Mauritanie voudrait apporter quelques
précisions relatives au point soulevé par l'exposéoral marocain (ci-dessus
p. 194-201) dans sa réponse a l'exposé écritespagnol (1, p. 233-2341. La
délégationmarocaine, à juste titre, nie que Mauritaniens et Marocains

éprouvent des difficultésa se comprendre. La Cour sait en effet que l'arabe se
présente sous deux formes, sous deux aspects : une langue écrite,dite arabe
classique ou arabe littéral,et un grand nombre de dialectes.
L'arabe écritest la langue officielle de tous les pays arabes, utiliséepar les
personnes qui sont passées par l'école,et c'est la mêmelangue sur toute
l'étenduedu monde arabe, de Bagdad a Nouakchott.
Quant aux dialectes, les linguistes les répartissenten dialectes orientaux et
dialectes maghrébinset, a l'intérieurde chacun de ces groupes,on les subdivise
en parlers bédouins et ruraux-citadins. Ils ne présentent entre eux que peu de
difficultés de compréhension malgré de tres grandes variations d'ordre
phonétiqueou lexical ; ceci pei-rnetde comprendre la justesse de l'observation
de la délegation marocaine :entre le parler du pays de Chinguiti et I'arabe
dialectal utiliséau Maroc, il n'y a guère de difficultésd'intercompréhension.
Nous confirmons donc volontiers cette observation. Nous voulons cependant,

pour la clarté del'expose, noter quelques légèresdiffërences a propos des mots
i~i'ull~i~eit zuoliia. qui ont dans I'usage marocain une acception legérernent
différente de I'usage mauritanien. Dans l'usage marocain, le mot in'olle~n
signifie, comme l'avait dit ladéligationmarocaine, <<maitre », <patron »,celui
qui apprend a un autre un savoir ou un métier,alors qu'en Mauritanie, dans
I'ensemble mauritanien, il désignele membre d'une catégorieprofessionnelle
composée principalement d'artisans du cuir, du métalou du bois et attaché
traditionnellement, avant les évolutionsrécentes,comme client aux catégories
sociales de rang plus élevé. Il y a donc là le mêmemot désignant, dans des
contextes sociologiquesdifférentsdescatégories différentesetqui a acquis donc
un sens différent.
Lemot zaoltia aussi qui, au Maroc, comme l'adit la délégationmarocaine, a
partir d'un sens dans l'arabe classique qui est « coin », a fini par désignerun
cloître ou un lieu ou se retirent les hommes pieux et leur cercle d'ascètespour
se livrer a desactivitésd'enseignement par exemple. De telsétablissementssont
souvent. dans l'ensemble de l'Afrique du Nord, fondésautour de tombes de

personnages réputés saints. Mais,dans I'ensemble mauritanien, ce terme n'a
plus que le sens d'une catégoriesociale :celle des tribus maraboutiques.
La Cour observera que l'usage qui est fait de ces deux mots ~iz'alleinet
zuor~ia est le mêmeen République islamiquede Mauritanie et dans leterritoire
administré par l'Espagne (voir 1,p. 233, par. 16).
Ainsi donc, s'agissant de différencesde parlers entre l'ensemblemauritanien
et le Maroc, il faut les ramener a leur juste mesure :il s'agit de variations
courantes dans I'ensembledu monde arabophone.
Je voudrais rappeler aussi que l'introduction et lagénéralisationde I'usagede362 SAHARA KC~DENTAL

l'arabe parléintroduit par les Arabes Hassan ne mirent pas fin immédiatement
a l'emploidu berbère sur toute I'etendue du pays de Chinguiti : il reste encore
un ilot dans la régionde Nouakchatt-Mederdra, au sud-ouest de la Mauritanie
actuelle. Pas plus d'ailleurs qu'ellesne mirent fin àl'emploi de langues noires,
telles que le poular, le ouolof, et une langue mandingue appelée soninké.

Mais l'utilisation de ce nouveau moyen de communication valut a i'en-
semble mauritanien la dénomination deBiIadAl-'Arab. pays des Arabes, de la
part des Touareg. voisins orientaux des habitants de l'ensemble mauritanien.
et cette appellation est parallèle a celle que les habitants du pays de Chin-
guiti eux-mëmes donnent aux Touareg, al-'Ajam. c'est-à-dire les non-arabo-
phones.
Je voudrais signaler aussi que la carte linguistique de l'ensemblemauritanien
coïncide, dans le domaine de la culture matérielle,avec la carte d'un type de
harnachement du chameau, particulier a l'étendue de cet ensemble, le
différenciantd'autres types en usage dans toute la zone aride. Je renvoie aune
étudedu ~rofesseur Monod #dansle Birlletitde I'IFANde 1964. aui a examiné
cet impo;tant problème dont je viens d'évoquer rapidement l'intérêt.
Ainsi donc, cet ensemble - que nous avons continué d'appeler indif-
féremmentensemble mauritanien, pays chinguittien - indépendantpolitique-
ment des constructions étatiquesqui se sont crééesdans son voisinage sud ou

nord au cours des siècles, n'entretenant avec eux que des rapports épiso-
diques, de caractère surtout économique et culturel, a trouvé son propre
équilibre dans une organisation sociale et politique et dans des formes
culturelles et juridiques qui lui étaientpropres.
La composition et la structure interne de la sociétéchinguittienne,
antérieurement aux transformations en cours depuis l'indépendance,ont été
décritesdans l'exposé duGouvernement mauritanien. pages 69-70 (111).On se
contentera de les rappeler brièvement ici.
On notera que l'organisation sociale en vigueur dans les territoires
administrés par l'Espagne est en tout point identique a celle que nous avons
présentée(nous renvoyons a l'expose écritdu Gouvernement espagnol). Cette
partie du document espagnol donc nous dispense de nous étendre davantage
et elle permet de saisir la profonde unité socio-culturelle de l'ensemble
chinguittien, unitéqui est la base même desa personnalité.
La population, nous le rappelons, étaittraditionnellement répartie en ordres

sociaux différenciés, nonpas tant par leur origine ethnique ou leur fortune -
lesclients-vassaux étaientsouvent plus riches que leurs suzerains - que par la
fonction qu'ils ont vocation d'exercer :ilsétaient guerriers,marabouts, clients-
vassaux, diverses catégories professionnelles attachéesaux uns et aux autres,
groupes de statut servile. Cette stratification sociale prend racine, on l'a pensé,
dans les fluctuations de l'histoire du pays de Chinguiti, fluctuations qui en
expliquent l'agencement de détail.
Toutes les composantes sociales sont articulées en unités appelées kubilu,
tribus. Ces tribus peuvent êtretrès vastes, nous l'avons déjàdit, groupant en
leur sein de nombreuses sous-tribus, clans, sous-clans, fractions ;elles peuvent
aussi seréduire àune minuscule collectivitédequelques familles. Lestraditions
locales, tant écrites qu'orales, et les témoignages de sources étrangères,
européennes en particulier, montrent que cette organisation sociale étaitdéjà
en place au XVCsiécle.

Les guerriers et les marabouts constituaient souvent l'élitedirigeante :ils
détenaient le pouvoir politique et possédaient les terrains de parcours et de
culture quand il y en avait. - -
Plus spécialement,lesguerriers détenaientle pouvoir,-organisé souventdans ---- le cadre déntitésdu type émirat. Notre exposé écriten a donné quelques
notions. Les marabouts, quant a eux, étaient généralement détenteursdu
savoir, ou étaient censés l'avoir, etde l'autorité religieu,e qui leur permettait
d'assurer la diffusion de l'enseignement et leur donnait l'occasion de rendre la
justice.
Les autres ordres sociaux constituaient fa clientèle des guerriers et des
marabouts et étaientsoumis a une sujétioncollective ou individuelle. Ils sont,
dit un adage maure. <(sous le livre ou sous l'étrie)>(<Taht el-kitab walla taht
er-rikab )>).Les relations. a l'intérieurde cet ensemble, se présentent sous la
forme d'un enchevêtrementde prestations, de redevances et de services dus par
les uns, la protection par les autres étantassurée en échange.
II est bien certain que nous sommes en présence d'un type de société
hiérarchisée oules rôles sont strictement définiset ou l'équilibresocial pallie

l'absence d'organisation étatiquede grande dimension.
Mais cette organisation qui paraît rigide connait malgré tout une certaine
mobilité sociale ; il étaitfréquent,en effet, de voir des groupes de guerriers se
muer en marabouts, s'adonnant exclusivement a la dévotionet a l'acquisition
du savoir. 11ssont alors appelés iijvlb,littéralementles repentis. Dans l'ordre
inverse, des groupes maraboutiques se sont tranformés en guerriers tout au
long de l'histoire. L'exemple leplus récent est celuides Regueibat - dont le
nom revient souvent au cours des exposés - qui, de paisibles marabouts, sont
devenus, au milieu du XIXC siécle.la tribu guerrière que l'on coniiait. Ce
changement de vocation, de statut social, est valable aussi pour les autres
ordres.
Des traits distinctifs, dans cet ensemble. sont égalementa noter en ce qui
concerne les usages régissant la collation des noms de personnes ou de

coHectivitésl,'habillement, lacoiffure, etc. Mais ine semblepas nécessaired'en
entretenir la Cour.
Mais nous retiendrons quand mëme un trait distinctif de trèsgrande portée
dans la société du pays de Chinguiti, celui de la position particulière de la
femme. Elle a accés a l'éducationscolaire traditionnelle et c'est elle qui en
dispense souvent les rudiments aux enfantsde son groupe. On peut mesurer sa
position dans le pays de Chinguiti en observant que le mariage monogamique
est la règledans tout cet ensemble. Son instabilitémême,au demeurant toute
relative, n'infirme pasla norme. Ce statut a épargnéa la femme chinguittienne
les conditions de réclusion ou vit sa sŒur, au moins jusqu'aux ipoques
récentes,dans tout le reste du monde musulman traditionnel.
Avec la société targuie, I'enseniblemauritanien est le seul groupe musulman
ou prévautcette règle.
Nous ne nous attarderons pas sur la pratique de l'hospitalité qui est
observée, d'ailleurs, partous les pasteurs de la zone aride, mais nous voudrions

noter l'existence de plusieurs formes d'entraide au sein de la sociétéde
l'ensemble mauritanien. La plus originale de ces formes est lan~aail~aou pacte
d'assistance mutuelle dont une des modalités est le prêtde bétes laiteres,
chamelles, vaches, aux contribules nécessiteux, ou comme participation aux
charges assumées par les personnes qui supportent les frais d'instruction et
déntretien d'élèves et étudiants pauvres venus s'instruire auprès d'eux.
Il est fait appel aussi a l'entraide pour le paiement de la d@a ou
compensation versée,aprèsdécisiondu cadi ou juge, aux parents des victimes
d'un meurtre. Je signalerai que l'institution de la diya n'est pas limitée
simplement a l'ensemble mauritanien, mais que cet ensemble a conscience
déxister puisque son paiement ne s'arrête pasaux frontieres actuelles. Il y a
quelques semaines, le paiement d'unedjw a impliquéles membres de la tribu364 SAHARA OCCIDENTAL

des Ouled Delim habitant les uns dans le territoire sous administration
espagnole et les autres en Mauritanie.Lesintéressésont pu collecter la somme
nécessaireauprès des membres de leur tribu sans tenir le moindre compte des
frontièresséparantles deux parties de l'ensemble mauritanien.
On sait, bien entendu. qu'une institution comme celle de ladiyo relève d'un

souci d'équilibre socialet joue souvent le rôle de freia la poursuite indefinie
de règlements de compte ou de vengeances privées.
Je ne voudrais pas m'étendredavantage sur des aspects qui relèveraient
peut-êtrede l'ethnographie et qui ne seraient pas pertinents pour l'intervention
que j'ai l'honneur de faire devant vous, Monsieur le Président, Messieursles
membres de la Cour.
Je voudrais noter. maintenant, un trait de l'organisation économique au
Bilad Chinguiti relatif au probléme fondamental qui est celui des eaux. Nous
avons. dans l'exposédu Gouvernement mauritanien (III. p. 6 1 et suiv.). attiré
l'attention sur certains aspects. Nous nous bornerons donc a ajouter que la
recherche de I'eau et l'aménagement des ressources hydrauliques pour les
besoins de la vie pastorale. abreuvement des troupeaux. ou pour les besoins de
l'agriculture, quand elle est possible, ont toujours étéles tâches vitales des
habitants des régions désertiques. Danst'ensemble mauritanien, eHesétaient
régiespar un droit coutumier inspirépar l'islam, car créer, grâce a I'eau,des
conditions de vie est considérécomme Œuvre pie.
Le droit de forage d'un pointd'eauou de mise en valeur de terrains propresa
la culture appartient i la tribu sur son propre territoire. Elle pouvait, cepen-
dant, autoriser des particuliers ou des collectivitésa réaliser cesopérations,
soit sans contrepartie, soia la suite d'une vente enregistrée par un acte. Mais,
dans tous les cas, l'usagede I'eau,une fois le puits foréet aménagé,était banal.
De plus, n'importe quel usager pouvait assurer l'entretien, effectuer les répara-

tioA propos de ces points d'eau. on remarquera que les puits qui ont été forés

dans la partiedu BiladChinguiti actueJlement sous dorninatjon espagnole i'ont
été,en grande majorité, par des tribus ou personnalités de tribus vivant en
Mauritanie, mais continuant aussi a effectuer leur transhumance dans l'autre
portion de l'ensemble :et on peut citer notamment la tribu des Ahel Barikallah.
partie des Ahel Inchiri. hlessieurs les membres de la Cour pourront en avoir
une idéetout à l'heure. quand on aura commenté les cartes d'itinérairesde
transhumance.
Ces Ahel Barikallah ont fait l'objet de quelques notices écrites qui
fournissent l'historique de ces aménagements et la localisation des lieux ou ils
ont forédes puits, ou ils ont des droits coutumiers anciens. Ainsi Mohammed
Abdallah Ould el Boukhari Ould el Filali,que nous avons déjàsignalécomme
chroniqueur, et aussi Ahmed Miské, dans un article intitulé <<Les Ahel
Barikallah, tribu maraboutique du Sahel » (B~tIIetidu Coilzitc'1ii.sloriqel
scielli~~q~ide I'AOF, 1937. p.282-3061,
Nous ne voudrions pas infliger a la Cour l'énumérationde tous ces puits.
mais nous les tenons éventuellement a la disposition du Greffe. Mais nous
signalons, une fois de plus, que tous sont situes sur le territoire actuellement
administrépar l'Espagne.
Ce rapide rappel d'un aspect particulier de la vieéconomique,commun dans
l'ensemblechinguittien, nous amèneaussi a décrire d'autresusages communs a

cet ensemble. qui, eux, sont relatifa la guerre eta la paix.
Lobservation a montréque l'organisation politique dont les grandes lignes
figurent dans I'exposkécritdu Gouvernement de la Mauritanie. pages 72 (111)
et suivantes. - c'est-à-dire I'organisation politique traditionnelle - avait EXPOSE ORAL DE XI. OULD hlAOULOUD 365

pour fonction d'assurer la paix et la tranquillitédans les territoires di! groupe
concerné.
Elle fonctionnait dans lecadre d'un droit coutumier commun a tous et dont
les normes étaient acceptéespar tous. On voudrait en rappeler ici quelques
traits caractéristiques qui feront, nous l'espérons,ressortir clairemerit l'unité
des règlescoutumières et juridiques a travers l'ensemble.
On rappellera donc. qu'il soit question d'émiratsou detribus non organisées
selon ce type. que tous. par leurs organes (émirsou cheiks et djernaas),devaient
veiller au maintien de l'ordre dans leurs propres territoires et en assurer la
défense encas de besoin.
L'initiative etla conduite desactivitésou desopérationsdeguerre revenaient
a ces organes. En temps de paix, il leur appartenait donc d'assurer l'ordre.
d'entretenir ou de créerdes points d'eau, de faire procédera la mise ericulture

des terrains susceptibles de l'etre et de les répartir entre ceux qui doivent les
travailler.
Ils devaient aussi réglerles litiges internes, soit par arbitrage, soit en les
renvoyant devant un juge ou cadi, lequel se prononce conformément au droit
musulman (cltur'l ou suivant les régies coutumières qui ne lui sont pas
fondamentalement contraires.
Sur les territoires de ces tribus ou émirats les voyageurs, les tribus n'en
faisant pas partie. mais s'ytrouvant pour les nécessitésde la transhumance, les
caravanes enfin. bénéficiaientdes mêmesconditionsde sécurité, ou devaienten
bénéficier,sur le territoire de ces émirats ou collectivités :ils profitaient des
mêmesdroits et facilitesde passage, de pacage et d'usage des points d'eau. Ces
pratiques étaient uniformes, puisque les nécessitésde la vie saharienne en
rendaient l'utilitémanifeste aux yeux de tous.
II pouvait arriver qu'un grand rassemblement de tribus de différentes

provenances s'opère autour d'un point d'eau, quand l'étatdes pàturages le
permettait. Ces concentrations inhabituelles faisaient appel a la mise en place
d'une institution typique dans le pays chinguittien, institution appelée uii
urbauiit ou « collègesdes quarante ))dans certaines regions. Ils'agitd'un corps
de notables influents choisis dans tout= les tribus momentanément rassem-
blées.Ils avaient pour rôle de veiller au maintien de la tranquillité detous, de
réglerles litiges qui pouvaient surgir, de fixer le taux des indemnités a verser
aux victimes éventuelles.
Entre particuliers, les litiges pouvaient recevoir un règlement au scin de la
tribu. comme je l'avaissoulignétout a l'heure. arbitrage ou décisiondu juge :
mais ils pouvaient aussi êtreportés devantune personne étrangèrea la tribu,
réputéepour sa compétence et son poids moral et politique. C'est du même
coup l'indice qu'on reconnaissait au sein de l'ensemble un certain ordre
commun. Cette pratique judiciaire s'étendaitpartout.

Mais les conflits armés, fréquentscertes. obéissaientaussi a un ensemble de
règlesde caractèrejuridique. La tendance habituelle étaitde les éviter,ou en
tout cas, d'en limiterla portéedans toute la mesure du possible. Lesparticuliers
ne pouvaient lesprovoquer de leur propre chef,car tout conflit mettait en jeu la
solidarité dugroupe et celle-ci pouvait être alorsrefusée. Seuldonc le pouvoir
emiral ou tribal, par ses organes habituels, en avait l'initiative. II notifiait la
décision de guerre aux adversaires, généralementpar l'intermédiaire d'un
marabout réputéhomme de paix. et qui pouvait êtreporteur parfois d'un écrit.
Ce pouvoir et ces organes rassemblaient les moyens. concluaient les alliances
nécessaires,négociaient la neutralitéd'autres groupes. Et une fois les hostilités
ouvertes. certaines règlesétaient observéeset y manquer attirait non seulement
des représailles,mais entraînait le déshonneur et condamnait a la déchéance366 SAHARA OCCLDENTAL

sociale les groupes qui violaient les <<lois de la guerre saharienne D. En
particulier, il était interditde molester les femmes, les enfants. les vieillards et

les tribus ou groupes habituellement sans armes. La guerre prenait le plus
souvent la forme d'une incursion @Iiuzzi,de l'arabeclassiquegltazii~.ce qui en
français est devenu resznti),coup de main sur les biens de l'adversaire, ses
troupeaux, etc. On évitaitau maximum les affrontementsgénérateurs depertes
en vies humaines et de poursuite prolongée des hostilités. Les blessés faits
prisonniers devaient, une fois guéris,êtrerenvoyés chezeux ou remis à une
tribu maraboutique qui jouait quelquefois le rôle d'une Croix-Rouge locale.
Mettre a mortun prisonnier constituait une grave entorse et entachait pour
toujours la réputation du coupable et de son groupe, sans parler de la
vengeance qu'il s'attirait.
La coutume de cl-'igul illustre,a notre avis, ces pratiques:en cas d'attaque
victorieuse d'un camp, les femmes du groupe agresséavaient le droit de garder
autant de chameaux qu'elles réussissaienta entraver, d'oh le mot 'igal. corde
pour lier les pattes antérieuresdu chameau. Ces règles.encore une fois. étaient
pratiquéesdans L'ensernblechinguittien.
Mais les conflits ne pouvaient pas durer éternellement. Guerres ou brefs

coups de main aboutissaient finalement a des solutions de compromis que
favorisaient la présenced'un parti de la paix chez l'undes adversaires ou lesort
défavorable desarmes. Desouvertures sont alors faites. soit par l'intermédiaire
de parents que l'on peut avoir dans l'autre camp, soit par l'envoi de
personnalités neutres, généralementencore une fois des marabouts influents.
Les conditions sont débattuesau cours des réunions de sorha, c'est-à-dire des
délégations composéesde membres de djeinaa qui ont pouvoir de conclure
définitivement, L'établissementde la paix prend des formes solennelles ou
sacrificielles, est enregistrépar un acte écritportant signature des déleguésdes
deux parties et celles des personnaliles neutres garantes de I'execuîion de
l'accord, et engageant donc leur responsabilitémorale. La conclusion de la paix
est symbolisée par l'échange,entre les deux chefs des parties en cause, de ce
qu'on pourrait, faute de mieux, traduire en français par « garants-hôtes v et
qu'on appelle, en arabe du pays de Chinguiti, gl~fir.II s'agit de l'envoi par
chaque partie d'un filsou neveu de son chef, qui n'apas encore atteint l'âgede
porter les armes, et qui séjourne comme hôte chez le chef de l'autre partie.
traite sur le mêmepied que les propres enfants de celui-ci. Et, en cas de

rupture, le renvoi du glfir, donc de ce garant-Mte. chez lui doit précédertout
acte de guerre.
Cette tendance a canaliser, à réglerles manifestations de la violence, montre
qu'une règlede jeu, fimdéesur un même systèmede valeurs, étaitsuivie sur
toute l'étendue du paysde Chinguiti.
Un système d'institutions juridiques et politiques, dont il a étéfait mention
dans le mémoire écrit(nous y renvoyons, III,p. 77 et suiv.). système inspiré
par le droit musulman, a contribué a renforcer cette tendance.
Ce droit musulman écrit etcoutumier, adaptéaux nécessités particulièresde
la vie nomade étaitappliqué,et il le demeure d'ailleursencore dans une grande
mesure, sur tout le territoire du BiIadChinguiti, y compris dans sa partie sous
domination espagnole. On y pratiquait une sorte d'<< appel circulaire ))où le
jugement, au gré de la partie non satisfaite, pouvait être invoque devant
plusieurs autres juges.
Nous en citerons deux exemples relativement récents et qui montrent à la
fois l'uniformitéde ces règlesdans l'ensemble chinguittien et en mèmetemps
leur caractère vivant encore malgrél'existencede frontières.
Il ya quelques années, a l'occasion d'un jugement rendu par le cadi d'El EXPOSE ORAL DE M. OULD MAOULOUD 367

Aioun,dans la Sakiet El Hamra, qui décidaitde la séparation de deux époux,le
mari, non satisfait de la décision. ademandéaux autoritésespagnoles, qui l'ont
accepté,la facultéde se pourvoir en cassation devant la juridiction de droit
musulman de Nouakchott.
Arrivé a Nouakchott, il s'est adressé à h4. BoyéOuld Salek, conseiller
rapporteur de droit musulman a la Cour suprêmede Nouakchott, a qui il a
présentéleditjugement en sollicitant unefu/riw, ou consultation juridique sur
un point de droit.

M. BoyéOuld Salek a effectivement entaché lejugement de nullité, du fait
qu'il n'était pasconforme a son avis au cliur'et, en conséquence, il a délivre
une fufri~aau vu de laquelle lesautoritésespagnoles ont annulé la décisionde la
juridiction d'El Aioun et rendu au plaignant son épouse.
Certaines des populations des territoires administrks par l'Espagne, les
Regueibat, sans aucun souci de frontières artificielles imposées,ont adresse
récemment aux autorités mauritaniennes une correspondance dans laquelle
ellesexpliquaient que les fonctions de cadi ont toujours étéconfiées.chez elles,
aux descendantsde la famille Ahl Abdel Hayy et demandaient en conséquence
au Gouvernement mauritanien de leur envoyer une personne instruite en droit
musulman de ladite famille, désignantnommément M. Mohamed Salem OuId
Sidi Mohamed Ould Abdel Hayy, actuellement fonctionnaire en Mauritanie,
dont le frèreet les deux cousins sont cadis a Chinguiti (il s'agitd'une oasis et
non du pays), a Fdayrik et a Bir Oum Grein, en République islamique de
Mauritanie. Un autre membre de cette famille est par ailleurs préfet en
Mauritanie. Ces exemples montrent le peu de cas que ces habitants des deux
portions du pays de Chinguiti font des frontières qui semblent tes séparer.

On verra dans ce qui va suivre que dans ledomaine culturel aussi l'unitédu
BiladChinguiti trouve sa forme peut-êtrela plus achevée.
De cette culture. sous sa forme de production intellectuelle écrite ou dans
ses manifestations orales ou musicales. qu'il me soitpermis de renvoyer aI'ex-
poséécritde notre gouvernement (III. p. 71-72). Certes. par son contenu :
théologie. sciencescoraniques. jiqlr. belles-lettres arabes, la culture chinguit-
tienne fait partie de formes similaires du monde arabo-musulman. Mais ce qui
est significatif. c'estqu'elle est le faitd'un peuplede.pasteurs et leseul peuple de
pasteurs de la zone aride a êtredans ce cas. C'est ce qui lui confère vigueur
interne et rayonnement extérieur.
Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit la-dessus. dans l'exposé
écrit duGouvernement mauritanien.
Nous voudrions cependant ajouter quelques remarques sur la musique
maure. Et je voudrais citer le principal spécialistedans ce domaine. Michel
Guignard, qui a écritrécemmentune thèsenon publiéeencore. dont ia extrait
une contribution a un ouvrage collectif: Musikkrrlruren Asiens,Afrikas und
Ozeutiiens. Regensburg. f973. pages 241-265.
La contributioti de M. Guignard a cet ouvrage collectif porte le titre Les

Moures etleur t~zusiqueuirXIX'siPcle :
Les Maures possèdent une culture originale et leur musique en
particulier mérite d'étre connue et étudié.e.. II s'agit d'une musique
modale. ne comportant pas moins de trente modes. organisésa l'intérieur
d'un systeme très structure de. groupements modaux et de voix...
L'existence d'un tel systeme musical dans cette régionreculéede I'Afri-
que soulève des questions d'un grand intérêtpour la musicologie. »
(P. 241.)

Après avoir décritle système musical et son support social, l'auteur écri:368 SAHARA OCCIDENTAL

« La musique maure ne ressemble pas a cellesd'Afrique du Nord et du
Proche-Orient dont elle n'a pas lecaractère strictement homophonique ...
La musique maure se distingue aussi nettement des musiques soudanaises
[c'est-à-diredu hlali, Sénégal etpays voisins]. Le style vocal surtout est

assez different>)(P.26 1.)
Cette musique constitue le langage le plus authentique, le plus propre aux
habitants du BiladChinguiti, tant dans sa partie sous administration espagnole
qu'en République islamique de Mauritanie. Pour s'en convaincre, il suffirait
d'écouter lesprogrammes donnes par Radio El Aioun de la Saguia ou Radio

Nouakchott, les mêmes exécutants et les mêmes airssontofferts aux auditeurs.
Et pour une personne non prévenue, il est imposssible, souvent, de distinguer
si on a affaire à Nouakchott ou a El Aioun.
Nous ne saurions terminer cet exposé consacré aux caractéristiques
particulières de l'ensemble mauritanien, sans rappeler les passages du livre 1
annexé a l'exposéécritdu Gouvernement espagnol du mois de mars 1975 et
notamment son chapitre 1qui traite des caractéristiques généraledsu territoire
du Sahara occidental (1,p. 230 a 234, par. 12 a 18).
Dans ces passages auxquels nous renvoyons, le Gouvernement espagnol,
après avoir passéen revue les principaux traits particuliers qui caractérisent,
selon lui, le peuplement de cette régionaux plans de l'organisation sociale,
politique, culturelle et du point de vue des traditions qui établissentclairement,
aux yeux de tout observateur averti, l'identitéparfaite entre ces populations et
celles du reste du BilitdChinguiti, a cru cependant devoir tirer la conclusion
selon laquelle le Sahara occidental a une personnalité propre du point de vue

géologique,géographiqueet humain. Nous passons sur la géologieet, dans son
exposé oral, la délégationmarocaine lui a fait une place qui est largement
suffisante.
Mais nous ne pouvons que remarquer qu'une affirmation de ce genre ne
découle nullement des développements qui devraient lui servir de base, ni des
citations d'auteurs reprises pour renforcer cette conclusion. Citations qui
parlent des Mauritaniens en général,de la langue hassa~iiu, de toutes les
traditions et des règles dOrganisation de la sociétéchinguittienne telles que
nous venons de les décrire.
Le Gouvernement espagnol semble, en réalité,malheureusement se refuser
jusqu'ii présenta admettre que ces populations, que la personnalité de ces
populations se fondent dans une personnalité d'ensemble chinguittienqui, lui,
a une identitéparfaite et propre.
Monsieur le PrEsident. Messieurs les membres de la Cour. le Gouvernement
de la Mauritanie pense avoir montrépar son expose écrit etles interventions de

ses porte-parole l'incontestable unile des structures sociales, de Ia tradition
culturelle et des règlesjuridiques suivies dans le pays chinguittien,tant dans la
zone administréepar l'Espagneque dans la partie devenue Etat indépendant.II
lui resterait a vous exposer la place que tient cet ensemble dans le monde
musulman et l'idéequ'il s'en fait. II y a lieu de rappeler que l'ensemble
mauritanien est partie intégrante du Dar el lslan~ (monde ou territoire de
l'Islam)dont voici une définitiondonnéepar le professeur Gardet dans IZncy-
ciopedie de I'lslani.deuxième édition.Leyde. 1973.tome IV. pages 180 B 181 :

<Le monde de l'Islam, Dar al-Islam. est partout ou les prescriptions
islamiques sont communautairement observées, car i'observance de la
Loi, son application externe et pour ainsi dire sociale est le ciment de la
communauté, d'oc éventuellement l'obligation d'émigrer d'unpays
musulman occupé par les non-musulmans. H EXPOSE ORAL. DE M. OULD MAOULOUD 369

Telle était la conception traditionnelle, selon les définitions des canonistes
juristes. et cette conce~tion traditionnelle définissaitles ra~~ortsde I'erisemble
chinguittien avec les abtres pays musulmans voisins. IIavait donc le sentiment
- et c'étaitaussi la réalité- qu'il faisait partie de cet ensemble. Mais la
communauté musulmane, suivant cette conception traditionnelle, devait être
idéalement groupée autour d'un chef, I'oitiir al-M~l'i?iiiiiric ,'est-a-dire le
commandeur des croyants, lecalife. On peut renvoyer B de nombreux travaux,
particulièrement a ceux du professeur Emile Tyan Oirstiiiifiurde droit plrhlic
~~zusulina~ ti,1,Le Cul,$ut,Paris, 1954, spécialementp. 198 et suiv.). Mais on

sait que depuis une époque déjàtres ancienne la communauté a cesse d'être
politiquement unie et cette fitnu, c'est-a-dire dissension, divisiona persisté
jusqu'a nos jours. Aux yeux donc de l'islam, il n'ya plus que des pouvoirs de
fait. Lesjuristes canonistes, tenant compte de l'éclatementde la communauté,
ont élaboréun système assez complexe faisant place a ces pouvoirs de fait.
L'ouvrage du professeur Emile Tyan en traite tres largement. L'indépendance
du pays chinguittien B l'égarddes Etats qui se sont créésdans son voisinage
sud ou nord s'insère donc parfaitement dans ce schéma et n'a rien de
canoniquement scandaleux. Plusieurs canonistes chinguittiens d'ailleurs ont
consacrk des ouvrages importants a la justification de cette situation. Je me
permettrai d'en citer deux parce qu'ils font autoritéen la matièr:le cheik Sidi
al-Mokhtar al-Kounti, mort en 1812,est l'auteur deTurufi nia 1-ralard,ce qui
peut se traduire a peu prèspar <<Les choses acquises et les choses transmises
par héritage ».Malgré ce titreimagé,il s'agit d'un ouvrage principalement de
théologie etde droit. L'autre écrilest celui du cheik Mohammed al-Maini Ould
al-Boukhari, mort en 1866, leKitub al-Budijlu,« Livresur la vie nomade »,qui
lui aussi, malgré son titre, examine le droit coutumier a la lumière du droit
musulman. II retient les solutions du droit coutumier. On remarque avec
interet d'ailleurs que le cheik Mohamed al-Mami étaitdu territoire actuel-

lement administré par t'Espagne.
Ces deux ouvrages, matheureusement encore inédits - je signalerai
cependant, si vous me le permettez, que celui de Mohammed al-Mami est
actuellement l'objetd'une thèsepréparéepar un chercheur mauritanien - ces
deux ouvrages, donc, traitent abondamment de la situation du pays du point de
vue canonique. Ils constatent que tous les pouvoirs en place dans les pays
musulmans voisins sont des pouvoirs de fait, dénuésde tout caractère Iégitime
pour des musulmans autres que leurs propres sujets. Ils appliquent celterègle
au sultan turc de Constantinople et au souverain du Maroc, les deux Etats
musulmans les plus importants, au XIXCsiècleen particulier, durant lequel ils
restent indépendants.
Cette attitude d'indépendance expliqueque les autorités fonctionnant dans le
pays chinguittien s'attribuent parfois letitre éminentde calife(voir Paul Marty,
L'Elniratde.%Trurza, Paris, 1919, dont une annexe est un fac-similéd'un
document où l'émirdes Trarza, vers 1810,s'intitule calife).
Mais l'indépendance n'est pas en contradiction avec le sentinient de
solidarité islamique, sentiment qui convie tout musulman a préter aide et
assistance, sous une forme ou sous une autre, ad'autres musulmans défendant
leur pays contre une attaque. La même obligationde faire appel a l'aide des
coreligionnaires dans de tels cas existe aussi.
Cela explique la nature des rapports que l'ensemble mauritanien pouvait

entretenir avec les voisins musulmans, rapports qui n'exprimaient aucune
allégeance politique. Ainsi le lettréAhmed Ould Beddi, mort vers 1900, est
l'auteur d'unouvrage intitulé :Al-dirawu 1-~niglifurJ.e ne traduirai pas le titre
encore une fois imagé,mais le sujd est ladéfensed'al-Hajj 'Umar,alors engagé370 SAHARA OCCIIIENTAL

au Sénégal eatu Mali actuels dans une lutte contre la conquète française. Et cet
écrit estrévélateur dusentiment généralementrépandu que les devoirs de
solidarité islamique devaient jouer en faveur des autres musulmans voisins
quand ils étaientdans la nécessitede l'invoquer. D'Al-Hajj'Umar. il n'est pas
nécessairede rappeler ce qu'il fut.
Dans la pratique. le seul Etat musulman d'une certaine importance assez

proche du pays maure fut, au cours desderniers siécles,le Royaume du Maroc.
Certes, certains souverains essayèrent de faire reconnaitre leur autoritépar les
entitéspolitiques du pays chinguittien. Mais. faute de moyens. aucun résultat
durable ne fut atteint de cec8té-ci,pas plus qu'en direction de l'Algérie,turque
a l'epoque, ou du Soudan nigkien, le Mali actuel. Le Fm des souverains
marocains ne fut jamais mentionne dans le prône du vendredi. la ou il était
célébré. c'est-a-dia Wadane. Chinguiti. Atar, Tichitt. Tijigia, Walata. Néma
(on sait que la prière coflective du vendredi n'estd'obligation canonique que
pour les sédentaires).
Mais, le moment venu, c'est-a-dire lors de la conquêtefrançaise. l'appelfait
par les habitanls du pays chinguittien a l'aidedu Maroc voisin ne pouvait avoir
lieu qu'au nom de la solidaritémusulmane, telle qu'elle etait comprise par les
uns et les autrea l'&poque.Cet appel n'eut que peu de résultat.le Maroc,vous
vous en souvenez, Monsieur le Président,MM. les membres de la Cour, se
trouvant lui-mémedépourvu a ce moment-la de moyens d'action. Cet appel
était fait donc dans le cadre de la solidarité islamique et nullement comme
reconnaissance d'un pouvoir ou d'une allégeance politique ou signe d'une
allégeancepolitique. Il a été d'ailleurs adresau Sultan turc et la présenceen
Turquie encore des descendants de ces émissaires chinguittiens en est la

preuve. II se trouve dans la régiond'Alexandrette quelques familles encore.

Monsieur le Président,je voudrais vous demander l'autorisation de lire un
temoignage du professeur Vincent Monteil qui, etant actuellement malade, n'a
pu se rendre a La Haye et qui nous a envoyé un témoignage sur les
populations.
Je voudrais présentertrèsbrièvement le professeur Monteil qui fut officier.
puis professeur et qui surtout a autorité deparler sur ces matières parce qu'illes
connait. parce qu'il a vécuau milieu des populations et surtout parce que ses
recherches ont porte sur Ie'Maroc - aussi bien d'ailleurs quesur l'Algérie,la
Tunisie, l'Iran. l'Indonésie. l'Afrique noire - mais principalement sur le
Maroc et les pays du Sahara occidental.
Voici, Monsieur le Président. letemoignage du professeur Monteil, intitulé
« Témoignagesur les populations » :

« 1. Mon expérience personnellesur leterrain remonte à 1939 etse poursuit
jusqu'a cette année (19751, soit [rente-six ans au contact du « vécu ». c'est-
a-dire des réalitéssahariennes. Avant I'independancedu Maroc (1 956), de
l'Algérie (1962) et de la Mauritanie (1960). les populations nomades
sahariennes étaienr urattachées » atelleou telle« mouvance »et soumises au
régimedes <permis de circuler ». Par rapport au Sahara <<espagnol ». on les
considéraitcomme c soumises >(a la France) ounon.
Chef de poste (Assa, Bou-Jreif, en 1939 et 19411,commandant du
méharisted'Assa(1939-19401,puis chef du bureau de Goulimine (1946- 1948).
détaché a Tiznit au territoire d«tdes confins » (algéro-marocains)en 1944 et
1945, chef de poste J'Aqa (1946). en stage à la compagnie saharienne de la
Saoura, a Tindouf (19451,j'ai donc une connaissance directe de la partie nord
du Sahara occidental. Quand au sud, j'ai séjournéprés de vingt fois en EXPOS E RAL DE hl. OULD MAOULOUD 37 1

Mauritanie, entre 1959 et 1975, notamment pendant mon affectation a
l'université de Dakar. 1959-1968, et a la têtede l'Institut fondamental
d'Afrique noire (IFAN), de 1965 à 1968. J'étaisencore en Mauritanie du
11févrierau 5 mars 1975. D'autre part, en 1962, entre les accords d'Evian et
l'indépendance de l'Algérie,j'étais conseiller technique. pour les aflàires
sahariennes, auprèsdu haut-commissairede la Républiquefrançaise. en liaison
directe avec les commissaires FLN de I'<e <xécutifprovisoire >>.Enfin, je suis
allél deux reprises (en 1939 et 1.9711,au Sahara <<espagnol >)J'ai donc pu
connaître personnellement la plupart des tribus concernées et mêmeen
effectuer lecontrôle et le recensement.
II. Ce qu'on appelle encore le Sahara <<espagnol >)est, en fait, un désert

atlantique brumeux, grand conirne la moitié de ta France. a peine peuplé,
surtout de nomades auxquels il faut ajouter quelques milliers de sédentaires
des agglomérations d'El Aioun. Smara. Dakhla (Villa Cisneros) et Cweira
(Güera). Ces nomades étaientmoins de 50 000 âmes au recensement de 1966
(48400 exactement). Mais peut-on dénombrer les tgens du nuage >chargéde
pluie (cliiltcl-iricnio)? Ces gens de la c6te (21 tribus sur 173 tribus maures
sahariennes) sont ici, pour les trois quarts, des Rgueibat, qui sont, en partie, les
seuls vrais grands nomades sahariens. Encore faut-il prendre garde 5 la
symbiose nécessaireentre nomades et sédentaires(pour les échangesde bétail
contre le grain), a l'importance des moutons et chèvres (30 000 contre 40 000
chameaux - pour les seuls Rgueibat), a l'usage,en cas de pluie. de la culture

deszones d'épandages des oueds(Ma 'dl~cr)a,u fait que les Rgueibat Legwasem
sont, en fait, des agriculteurs devenus depuis 1907 « seulement (au combat de
Fousht) de grands nomades, dont les clients » (dus a l'insécuritet a la misère)
font la force (dans la proportion de 8 contre 5)et dont les bergers (iioirs ou
tributaires) sont les véritables éleveurs (situation bouleverséepar l'exploitation
miniQe actuelle).
111.Les zones de parcours des nomades du Sahara occidental sont, bien
entendu. puisqu'elles dépendent de la pluie. a cheval sur le Maroc, la
Mauritanie et l'Algérie.On peut et doit,au vrai, parler ici d<<mouvance )en
tenant compte du fait que certaines tribus ne franchissent pas la Saguiet el
Hamra. que lesTekna entreautres sont marocains. que lesRgueibat reviennent

toujours au Zcmmour. avec sa falaise, sa mare pérenne(la fameuseguelia), ses
3700 oueds qui en font un véritablechàteau d'eau aux pluies annuelles.dont le
tiers. du reste, est en Mauritanie.Au nord de la Sagya (Saguiet el H;imral se
trouvent en permanence quelque 10 000 Tekna (surtout Iggout, lzarguiyne et
leurs <clients »);plus au sud, plus de 2 000 <<gens de la côte >>(Ahc/sSulil):
Oulad Tidrarin et 'Arosiyin,Ouled Delim, Ahel Barik-Allah etOulad Bou-Sba',
plus 1 300 Rgueibat environ (tous ces chiffres s'entendent du nombre des
t(tentes » - 4 personnes en moyenne - et non des hommes).
IV. Si l'on s'en tienta la Saguiet el Hamra comme ligne de démarcation
entre les tribus et les hommes, entre la{<mouvance marocaine » et l'ensemble

mauritanien, on constate que celui-ci, notamment dans sa partie nord (Riode
Oro et sud de la Sagya), constitue une e~tiriic~omogène (alors que le Sahara
espagnol » est un découpage artificiel, délimite par des méridiens et des
parallèles géographiques, qui ne « s'accroche )) nulle part au terrain).
L'ensemble ethnique mauritanien est caractérisé parun milieu humain aux
caractéristiquescommunes: k hommes qui l'habitent ou le parcourent sont
de mêmesouche arabo-berbère (métissée de sang noir) :c'estainsi que les Ahl
Cheik Ma-al-A'ïnin,considéréssouvent comme « espagnols P,sont originaires
du Hawdh mauritanien, ou leur fondateur est né vers 1830 a Walata. Ils
parlent la même langue arabe, la lrassarii~!va,dont les particularités372 SAHARA OCCIDENTAL

grammaticales sont indiscutables (l'étudela plus récente est celle de David
Cohen, parue a Paris en 1963). Ils partagent la même foi musulmane
orthodoxe (sunnite, majoritaire) avec le mêmeculte des saints et de leur
« charisme >)(buruka) - d'ou l'influence des Ahl Cheik Ma-al-Aïnin -, et les
mémescroyances d'origine <<animiste )),par exemple sur le lait, qui, bu, a la
vertu de tout « blanchir »,:ia route qu'on va prendre, les aliments qu'on
absorbe, la bonne nouvelle qu'on reçoit. Les coutumes sont les mêmes,
notamment pour la <<décongestion» des troupeaux par le prêtdes animaux
(c'estle pacte d'assistance mutuelleou riiriil1;pour le prix du sang(diva1 : 100

chamelles, ou le refus d'asileau meurtrier en « faisant tomber la tente )>pour
qu'il netrouve pas de gîte protecteur ; pour certains interdits comme'l'horreur
du sel (surtout chez les Rgueibat Legwasem, qui font bouillir la viande dans du
lait), la prohibition des bijoux d'or ou des tatouages;la défensede « téterune
chamelle » (Cauneille a connu un jeune Rgueibi qui. accuse de ce <<crime D,
s'estsuicidé).Autrefois l'esclavemaltraite choisissait son nouveau maître en lui
fendant l'oreille: il étaitalors pris en« compensation » du sang de la légère
blessure. Les proverbes et dictons (si importants pour l'expression par allusion
de la pensée)sont connus de tous. C'estainsi que chaque fraction des Rgueibat

est connue, non sans malice. par un sobriquet: on dira des Lebbweihat,
dépositairesde la malédictionde l'ancêtreéponyme,qu'ils sont « comme une
peau d'agneau, blanche par-dessus, mais noire par-dessous >)On se moquera
des Tekna, traités de pouilleux, infestésde puces. La culture, savoureuse et
originale, se traduit par une double poésie, en classiqueet en dialecte ;par la
musique des « griots » (comme en Afrique noire); par la connaissance
admirable et traditionnelle des astres et du ciel (indispensable aux nomades),
par la lecture des traces (voir l'étonnant roman maure Suliura, par le général
Diego Brosset. paru a Casablanca en f 935 et rééditépar Vercors en 1946 sous

le titre UrrIioiririiesaris I'Occid~~irl).
L'alimentation est base de lait, de dattes des oasis, d'orge dessédentaires.de
thé trèssucre a la merithe (comme au Maroc et au Sénégal).
Dans un mème <<biotope r>naturel (désert,faune, flore), mémecivilisation
du chameau et même équilibre écologique,réussicontre une nature hostile.
Mêmesfêtesvotives et foires au bétail (alriiuggdr)dans les ports sahariens ou
les oasis. Même habitat : tente de poil. Mêmecostume :pour les hommes,
amples robes de cotonnade blanche et bleue, ou encore d'indigo (la crguinée »)
qui déteintsur la peau des<<hommes bleus ».Mêmestructure sociale étagée en

trois «ordres »(guerriers, clercs et tributaires), et quatre castes(griots,captifs et
affranchis. « haraten >>des oasis et bijoutiers-forgerons). Enfin, mêmestatut
libéralde la femme : monogamie de fait et polygamie successive. II y a donc
bien un ensemble ethnique mauritanien. )>
Tel était le témoignage que le professeur Vincent Monteil a envoyé a la

Cour.
Le PRESIDENT: Ce témoignage que vous avez lu fait partie de votre
exposé.La Cour Letraitera comme tel.

L'airdiericeSIIS~LJI~~IàC II 1115, reprise à II 1155 EXPOSÉ ORALDE M. SALRlON
REPK~SENTANTDL1GOUVERNEMENT MAURITANIEN

M. SALMON :Monsieur le l'résident, Messieursde la Cour, le Gouverne-
ment de la République islamiquede Mauritanie souhaite vous présenteren fait
trois cartes. Nous essayons, comme vous pouvez le voir, de les projeter.
Jusqu'a présent, nous avons cette chance que le temps à La Haye est

heureusement normal, c'est-a-dire qu'il n'estpas trop ensoleillé.Toutefois, si
par hasard des rayons de lumière trop excessifs arrivaient, nous avons pris la
précaution que chaque membre de la Cour ait devant fui les trois cartes en
question.
Si la Cour veut bien, nous souhaiterions commencer par la carte no 2,
annexée au mémoire mauritanien, qui est intitulée Parcours de nomadisation
dans Lenord-ouest de l'ensemblemauritanien »et qui est actuellement projetée
devant vous (voir ci-après p. 37.1-375).
Le premier intérêtde celte carte est de vous montrer les frontières
internationales du Sahara occidental. J'utilise cette dénomination dans le sens
qui luia étédonnépar l'Assembléepénerale,c'est-a-direlacolonie espagnole, le
territoire non autonome du Sahara dit espagnol. Vous voyez sur cette carte les
frontières telles qu'elles ont &téétablies en deux temps par des traités
internationaux, celui de 1900, d'une part, entre la France et l'Espagne, et
ensuite ceux de 1904et de 1912,égalemententre la France et l'Espagne.Je vais

suivre d'un trait cette frontière et je vous donnerai ultérieurement des
explications. C'est donc cette ligne pointilléequi represente les limites actuelles
de la colonie espagnole du Sahara occidental.
Comme je vous le disais il jra un instant, l'opérations'est faite en deux
temps. II y a eu tout d'abord le traité franco-espagnol du 27 juin 1900qui a
établiles frontières suivantes :le tracéa coupé la presqu'ile du cap Blanc -
que vous voyez ici -, il a coupécette presqu'île en deux dans le sens de la
longueur. L'idéeen effet étaitde laisser la baie du Lévrier a la France et de
permettre a l'Espagne de setabfir de l'autre côté, du côtéocéanique, M ou elle
allait établirle port de la Güera. Donc la frontière traverse dans sa longueurle
cap Blanc, puis, a hauteur du pr~rallèle21 20', la ligne frontière se dirige vers
l'estjusqu'au méridien 13Oenviron, a l'ouestde Greenwich (letexte du traitése
réfèreau méridiende Paris, mais je transpose puisque la carte projetéeprend
pour unitéle méridiende Greenwich). De ce point la frontière s'élèvevers le
nord en formant une boucle qui avait un but extrérnernentprécis :c'étaitde
laisser la France ce que l'on appelle la sebkha d'ldjil. c'est-a-direles celebres

salines a l'époque.C'est en ce lieu d'ailleurs, vous vous en souviendrez, que
furent signes les celebres traités de 1886 entre l'expéditionCervera-Quiroga-
Rizzoet l'ensembledes tribus du RiodeOro et l'émirde l'Adrar. C'estd'ailleurs
aussi en cet endroit que se trouvent aujourd'hui de célébresmines de fer.
Donc la France, comme vous le voyez, s'estarrangée pour conserver a son
profit ces célebres salines.
Du méridien 12O ouest de Greenwich il était prévu que la frontière
rejoindrait le tropique du Cancer, puis - disait le trai-é <(se prolongera sur
ce dernier méridien dans la direction du nord ». Ce n'est pas très précis.Ou
est-ce que cette frontière s'arrêt? En fait, ceci est le résultatd'une discussion
diplomatique serrée entre Français et Espagnols.Carte no2

PARCOUR DS NOMADlSATlONDANS
LE NORD-OUEST DE L'ENSEMBLE
MAURITANIEN(CARTE D'ENSEMBLE)

LEGENOE k
!
0 Citt sahariennestplrntrio.ate
Cite saharienne mlridionale.
$; P':mcraic.
i
Froniikreacîuelledu ' I
---- Sahara occidental. ' 1
Limiic mLridionalr dc I'aire de
-.- parcours'des Trkna.
Limjlcsdrl'aidiparcoursde
Ahel-es-SahcIlOuIadTidrarine,

Laroussiyin~iOutad Oleïm). 1
des Rguribatau Sahara occid1-

Lgrands nomades i
. Limites de I'airt de parc,rs
4uv{dai Rpueibit El-Hjaourine
l PL:J:nomades 1. 1

I OAK

i
t

17',.

- 15' 13' 12. II' 10'

'
20'

. $a

15' * , 13. . 12'
II' 10' 9. 18'
8376 SAHARA OCCIDENTAL

Les Espagnols, a Iëpoque. espéraientque la frontière pourrait monter en
continuant jusqu'à la frontiere traditionnelle - ou ce que les Espagnols
appelaient la frontièie traditionnelle du Maroc. c'est-à-dire le Draa. Telles
étaient d'ailleursles instructions qu'avaient reçues les deleguks espagnols a la
négociation. Néanmoins,les Français ne tenaient pas du tout a cette solution
parce qu'a ce moment-la leurs viséesvers la Mauritanie se marquaient d'une
maniere de plus en plus nette. et ils envisageaient la possibilitéd'obtenir un
couloir venant de l'Algériepour rejoindre l'océandans les terres dont, a ce
moment-la, on ne savait pas tres bien a qui elles appartenaient. ou dont on
feignait de ne pas savoir a qui elles appartenaient.
Tout cela fait qu'or1n'a pasvoulu accepter la proposition espagnole de dire
que la frontière monterait jusqu'a la frontièremarocaine et qu'on a simplement
dit qu'ellecontinuerait - elle se prolongera B.dit le traité d27 juin 1900 -
<(sur ce dernier méridiendans la direction du nord ».Et alors. si vous voulez
voir l'adressedes diplomatespour se sortir de cette difficulté.il suffit que vous
preniez le fac-similéde la carte qui fut annexée a ce traitéde 1900, fac-similé '
qui figure dans lelivre V des documents espagnols. a la page 161(11).En ce qui
concerne le Gouvernement de la Mauritanie. il avait donnéun croquis 'que la
Cour a pu trouver dans la farde verte contenant les cartes annexées a l'exposé
ecrit de la Mauritanie. Mais le document tout'a fait authentique, la photocopie

du texte, se trouve dans le document espagnol. livre V (11,p. 157-161).
Sivous regardez ce document, vous verrez qu'ila étéfait tres astucieusement
parce que la marge dti document s'arrêtea, disons, a peu près 20'au-dessus du
cap Bojador. Elle dépasse donc cap Bojador, mais on ne peut pas savoir
jusqu'oii elle va puisque la carte finit. Tout ce que I'onsait c'est qu'elle va un
peu au-dessus du cap Bojador, mais ou ? On ne le sait pas.
Cela. c'est le premier traite. celui du 27juin 1900.
Le second traite. c'estcelui du 30octobre 1904.LeGouvernement marocain
s'estlonguement expliqué a ce sujet.IIvous a dit que c'etait un traite secret-
nous I'avons d'ailleursexplique également dans notre expose ecrit - el ce
traite secret de 1904. qui devait étre confirme ultérieurement par le traité
franco-espagnol du 27 novembre 191 2. a accordé ce qu'il est convenu
d'appelerla Sakiet El Hamra a l'Espagne.C'est l'articleVI du traite de 1904qui
dit :

(<De mème. leGouvernement de la République française reconnait des
maintenant au Gouvernement espagnol pleine liberté d'action sur la
région comprise entre les degrés 26 et 27O40' de latitude nord et le
méridien 1Io ouest de Paris(+ 40' ouest de Greenwich). ))
'
Voila le degré 26 et je vous signale d'ailleurs que, tres curieusement, ce
degré26 est en dessous du cap Bojador.
C'estdire que là encore les Espagnols ont étéhabiles en descendant la ligne.
parce qu'ainsi ils avaient un peu plus de terrain. C'estce semi-rectangle qu'on
appelle la Sakiet El Hamra qui fut accordé ainsi a l'Espagne par. les traitésde
1904et de 1912.
Cette carte a beaucoup d'imperfections ;nous l'avons faitepratiquement en
deux jours. les deux jours qui ont précédé la remise des exposés écritset nous
nous en excusons vivement auprès de la Cour ; ces cartes ont un certain
nombre d'imperfections que je signalerai au passage d'ailleurs. SiI'on veut se
figurer les limites de la zone de protectorat espagnol prévue par le traitéde

'Non reproduit EXPOSÉ ORAL DE M. SALMON 377

1912,il suflït d'imaginer une ligne qui a partir du parallèle 27"40' remonte le
méridien 8O 40' de Greenwich dans la direction du nord jusqu'au moment ou

elle atteint le Draa. Et de laelle suit le Draa, du moins ses amuents - je ne
veux pas entrer dans les détails - jusqu'a l'océan.
Césttoute cette zone que I'on a appeléela zone de protectorat ou encore la
zone de Tarfaya.
La frontière algérienne - nous nous en excusons tres vivement auprès de
nos amis algériens - a malheureusement été oubliée sur cette carte:elle est
restéedans la plume du géographe a qui nous avions demandéde faire cette
carte :cette frontiérealgériennepart du méridien1 l0 ouest de Paris,a peu pres
à la hauteur du paralléle27O30'et descend vers le sud-est.
Tout le reste de cette carte. c'est la Mauritanie, j'entends tout le reste a;sud
tout le resteal'estde cette colonie espagnole, tout cela est la Mauritanie, même
elle descend bien au-delà des limites de la carte qui vous est projetée, jusqu'au
fleuve Sénégal.
Vous voyez ainsi, combien ce Sahara dit espagnol est tres largement enclave

dans la Républiquede Mauritanie.
Le second type de commentaire que je souhaiterais pouvoir faire, avec la
permission de la Cour, c'est de signaler, sur cette carte bien schématique, un
certain nombre d'endroits dont on vousa parlé fréquemment et qui
reviendront sans doute encoredans les exposés,de façon ace qu'iln'y ait pas
d'erreur a cet égard.
Ici la presqu'île de Nouadibou, appeléeaussi cap Blanc, avec la baie du
Lévriersur l'intérieur.hahia de/ Gulgo en espagnol. La Guëra se trouve sur la
cbe océanique.
La seconde presqu'île que vous voy& un peu plus haut, cést Dakhla, OU
VillaCisneros en espagnol. Plus haut, vous avez le fameux cap Bojador,qui se
trouve un peu au-dessus du 26' parallèle.
Un peu plus haut - vous avez sans doute de grandes difficultéspour le voir
- se trouve cet oued Saguia el Harnra, qui, dans les exposésde la Mauritanie,
joue un grand rôle. puisque vous savez que nous lui attribuons un rôle

important comme zone dechevauchement entre lestribus du paysde Chinguiti
et les tribus qui relevaient du Maroc.
Cet oued, il faut d'ailleurs lesignaler a la Cour, ne croyez pas que ce soit un
fleuve du genre Rhin ou Loire, c'estévidemment une espècede sillon tracé
dans le sable et qui, lorsqu'ily a de fortes précipitationsde pluie, setransforme
tout a coup en un torrent mais qui, pendant de longues périodesde l'année,
reste asséché.
Vient ensuite un lieu dont on vous a parlésouvent, qui se trouve dans la
zone situéeau-delàde laSakiet El Hamra. Sur la carte iciil est intituléTarfaya ;
il s'agit du fameux cap Juby, oii l'intrépide Mackenzies'étaitétablidans des
circonstances que I'on vous a expliquées.
Vous avez ensuite le Draa. Quant aux régions du Noun et du Sous
auxquelles il a étéfait fréquemment allusion par le Gouvernement marocain,
elles se trouvent bien au nord qui, en partie, ne se trouve pas sur cette carte.
Je crois aussi intéressant,en prévisionde l'exposéqui va vous êtrefaittout à

l'heureconcernant cheik Ma el Aïnin, de vous dire quelques mots quant a son
itinéraire, de façon que vous puissiez mieux suivre l'itinérairede ce cheik
célébre.
II était nédans les environs de Nema, et la je suis désolé,mais Nema se
trouve en dehors de cette carte :pres du Mali, dans le coin entre le Mali et le
Sénégal ; Nema est vraiment dans le fin fond du Hodh.
C'estla que cheik Ma el Aïnin est né.Puis il s'est diriga,l'âgemûr, vers les378 SAHARA OCClDEhTAL

grandes villes de I'Adrâr et notamment il a vécu aChinguiti (Chinguifi étant
pris cette fois dans le sens de la ville de Chinguiti) et dans la ville d'Amr.
Ensuite, ilest remonté vers le nord, avec l'avance des Français ; on vous

expliquera cela tout a l'heure. Et il a vécua Smara. Smara qui se trouve,
comme vous le voyez. juste en dessous de l'oued Saguia el Hamra et en plein
milieu de ce territoire espagnol que l'on appelle la Sakiet El Hamra.
11a ensuite quitté Smara avec l'avance française et il est parti s'établirau
Maroc et, comme vous le savez, il est mort iiTiznit, en plein Maroc. Tiznit est
trop haut pour se trouver sur cette carte.
Toujours sur la mêmecarte, je souhaiterais pouvoir montrer quelques
régions essentielles au point de vue de la vie nomade dans l'ensemble
mauritanien, dans ce pays de Chinguiti.
La premièrechose qu'il faut vous indiquer, quand on parle du Sahara, c'est
OU se trouvent les sédentaires. Eh bien, les sédentaires.vous en trouvez la au
nord du Draa, c'est-à-dire en plein Maroc, vous en trouvez icidans les villesde
l'Adrar, Atar, Chinguiti, Wadane, et je ne parle pas plus bas de Tijigla, de
Tichit, dans le Tagant. Mais c'est tout. Je ne crois pas que Ibn puisse
véritablement parler de sédentaires a Dakhla, c'est-à-dire a Villa Cisneros. A
moins que je ne me trompe - et nos amis espagnols me détromperont
certainement - je ne pense pas que Villa Cisneros ait été autre chose qu'une
factorerie. comme a cap Juby celle de Mackenzie. et ait entrainéautour d'elle
autre choseque des campements qui allaient etvenaient et disparaissaient.

après avoir fait le commerce qui etait le leur ; il n'y avait pas a proprement
parler, en tout cas au début,création d'uneville, d'un centre de sédentaires,
comme ilexiste aujourd'hui, et a El Aioun et en d'autres lieux. Je parle donc du
débutde la colonisation.
Cela, c'est pour vous situer les skdentaires qui, malgrétout, au point de vue
de ce qu'ils peuvent vendre. au point de vue commercial, comme productions
de certains produits, sont des piiles d'attraction pour tous les nomades. Ces
derniers doivent dans leur cycle de nomadisation passer par les sédentaires, à
moins que lecommerce caravanier ne leur apporteautrement les denréesdont
ils ont besoin.
Pour te reste, ce qui est aussi très important, c'est que, évidemment pour
nous Occidentaux. pour moi, en bon Belge. qui ne connais que les vertes
prairies, il est évidentqueledésert estune chose qui nous parait un désert.
Or, en fait, lorsque vous parlez avec des Sahariens, eux qui sont incapables
de seretrouver a LaHaye ou a Bruxelleset qui se perdent dans les ruestous les

jours, se retrouvent avec une aisance extraordinaire dans ce désert,parce que
la moindre dune, Lemoindre plissement de terrain, la moindre petite plante
qui apparaît, les traces, ils les connaissent parfaitement. Ils ont une culture
entomologiste, ils ont une culture zoologique et botanique absolument
extraordinaires. Ils savent retrouver la petite toulre qui va pouvoir servir a
quelque chose, sans parler des mares. Pour eux, ce déserta autant de varjéie
géographiqueque la France ou que les Etats-Unis pour nous. Cést bien pour
vous montrer que tout cela est une question de point de vue et qu'il faut, a cet
égard, fairetrès attention de ne pas vouloir projeter nos conceptions.
Et, notamment, dans ce désert, ce qui est particulièrement essentiel comme
zones c'est, d'une part, celle du Zemmour, d'autre part, celle du Tiris. Le
Zernmour est une zone qui, grosso tnodo, coupe cet angle, remonte un peu
légèrement, puis redescendici a peu près,pour rejoindre l'ellipse.Son tracéest
représentédans la carte mauritanienne no 1 '.

' Non reproduite(.Voir aussici-p.380-381.) EXPOSE ORAL DE M. SALMON 379

Cette région du Zemmour est une régiontrès riche parce qu'elle reçoit de
nombreuses précipitationsen eau et elle est très importante pour beaucoup de
parcours de nomadisation. La seconde region, qui est fondamentale, est la

régionqui s'étendici,c'estla régiondu Tiris, régionqui, si vous entendez parler
les Mauritaniens, si vous entendez parler les gens du Bilad Chinguiti, a pour
eux une importance extraordinaire dans leur poésie ;on pleure en parlant du
Tiris et de ses beautés. 11y a la quelque chose que nous ne pouvons pas
comprendre car pour nous, quand on le survole en avion, il a l'aird'un désert,
rien qu'un désert, mais qui est profondément ancré dans I'amedes gens du
Bilad Chinguiti.
II y a aussi, bien entendu -- mais malheureusement je ne suis pas un
spécialisteet notre géographe mauritanien qui devait venir à La Haye a été
empêchéi,l vous aurait expiiqub cela beaucoup mieux que moi - toute une
sériede zones sablonneuses ;vous allezpeut-êtretrouver que c'estcurieux que
je dise qu'il y ait du sable dans un désert,mais c'estque justement il n'y apas
que du sable dans un désert etque la ou il y a du sable vous avezjustenient des
possibilitésde pouvoir faire poiisser quelque chose, lorsqu'il y a un peu de
pluie; ce désert, alors, donne certains pâturages, on ne le cultive pas a
proprement parler, mais vous avez des pàturages possibles, alors qu'ailleurs,
dans toute une série d'autres parties, il s'agit simplement de roches sur
lesquelies rien ne pousse. Donc, les zonesOU il y a du sable dans le désertsont
des zones extrëmement importantes et elles se situent un petit peu partout sur
cette carte. Ne me demandez pas de vous les indiquer ;sachez simplement qu'il
y en a un certain nombre dans cette région. Ces zonessont reprèsentéessur la
carte mauritanienne no 4 '.
Je voudrais maintenant, avec votre permission, vous dire certaines choses
sur les limites de parcours de nomadisation, tels qu'ils apparaissent sur cette
première carte.
Tout d'abord, celle de cette tribu célèbreque l'on appelle les Regueibat
Legouacem, c'estla tribu des grands nomades chameliers et leur parcours de

nomadisation est probablement un des plus grandsdu Sahara occidental, pris
dans son sens large. Bien sûr, ce parcours varie selon les années, selon la
sécheresse,selon qu'il a plua tel endroit ou qu'il n'apas plu a tel endroit, mais
nous en avons montré ici le parcours, disons, plus ou moins nor~nal, en
partant, disons, de l'Algérie.Vous voyez que ces parcours peuvent monter et
dépasserle Draa, c'est-à-direen plein Maroc,peuvent descendre dans le Sahara
occidental espagnol, puis arrivent dans la République islamiquede Mauritanie,
traversent l'Adrar et puis remontent dans la direction, encore une fois, de
['Algérie.C'est probablement le plus grand périple de ces grands nomades
chameliers. Toutefois, les Regueibat, nous aurons l'occasionde le voir avec la
cartesuivante, se subdivisent en toute une série debranches.
IIy en a une autre dont je dois vous dire quelques mots: ce sont les
Regueibat el Mjaourine. Les Regueibat el Mjaourine, eux, forment cette petite
ellipseque vous voyez icietqui, en fait, esa cheval sur la Sakiet, le Rio deOro,
la République islamique de Mauritanie, comme si elle tournait autour de ce
point géographiqueillusoire créépar les empires coloniaux en 1904.
Pourquoi est-ce que ces Regueibat el Mjaourine restent, dans cette région?
D'abord, parce que c'estcette riche régiondu Zemmour, dont je vous parlais
tout a l'heure, mais aussi pour des raisons religieuses, parce que c'estla quese
trouve le tombeau de l'ancétreéponymede tous lesRegueibat et leur devoir est
de ne pas s'éloignerde ce tombeiiu afin de pouvoir en assurer le maintien.

' Non reproduiteCarte no 3

PARCOUR DSE NOMADISATIONDANS
LEGENDE :
LE NORD-OUEST DE L'ENSEMBLE O Puit doux perrnanini. Site di pkhrou Maciyid.
MAURlTANIENt~É~~11.s) 8 Puii doux iimporiir*. Ciid sahari4ma lcmIr1 carannii
@ Riil sald. @ Mine d'iiiiirnoi.r

Cirnslikr*. @ Salins rrploitti.
if Paimiraii .

LIMITES DU TERRllOlRE DE PARCOURS DE:

*iiii i Ahrl lnrhir:Tachimcha.Trndgha. Awlid La
-..-m. ~hrf AdrSrr:Yahiyi.MinOuthrnan.ldawili.Lagh
-a-i Rguiibat'hwlad Moussa.

-o.-.. Rguiibpi Ligvasiirn .
>>>a ~guaibl< Awhd Diwid.
---- Ahil-ms-Sihrl: Awlad Tidfarir*Luouniyin.

Awhd Dlüm, Aritad Bissba'.
rr li, fikna:Zirguiyin Ipuliimliidionala dis
lirrainsdi parcours 1.
--r Trkna: Aiiusa

Limitas dis lirriloitdi compllinti
dCI Emiis dr Ildnr au XIX*Y&cli .

Limilis ictutllir du
Sahara occidintal . 382 SAHARA OCCIDENTAL

Je dois aussi vous signaler le parcours de nomadisation des Tekna ;les
Tekna qui sorlt des tribus indéniablement marocaines, descendent, de cette

manière, vraiment sur la Sakiet et ils la dépassent mêmele long de la mer,
descendant normalement - il s'agit d'un parcours normal, habituel -
jusqu'au cap Bojador, donc descendant en dessous de l'ouedSaguia el Hamra,
jusqu'au cap Bojador. C'est surtout la fraction des Izerguines, des Tekna. qui
suit ce parcours.
Je crois que ce dessin peut êtreconsidérécomme relativement objectif en ce
sens que je l'aipris dans l'ouvrage de Trout dont vous avez tous connaissance
sur Morocco'sFroniiers et il est indéniable. pour ceux qui l'ont lu. que cet
ouvrage. d'ailleurs tres scientifique et bien fait. est favorable à une extension
des frontières marocaines. C'est Trout lui-même qui, après un certain nombre
d'études etde recoupements. situe. dans une de ses cartes, les parcours des
Tekna de cette manière.
Je vous signale enfin encore une dernière zone de parcours qui est celle qui
part pratiquement de Tarfaya et qui traverse la Sakiet El Hamra, qui descend
dans le Rio de Oro pour se terminer ici, bien en dessous de Nouadhibou, en
République islamique de Mauritanie ; c'est celle des Oulad Tidrarin, tes
Laroussiyine et les Oulad Delim.

Je serais maintenant reconnaissant a la Cour si elle voulait bien passer a la
carie no 3. 11s'agitde la carte no3 annexéeà l'exposé écrim t auritanien et qui
est intitulée i<Parcours de nomadisation dans le nord-ouest de l'ensemble
mauritanien (détails) ))(voir ci-dessus p. 380-381). C'est une carte qui est
évidemment beaucoup plus complexe. Vous y voyez toute une séried'ellipses,
je vais essayer de vous en donner les éléments principaux. Jene reviendrai pas
sur ce que j'ai dit tout a l'heure sur les frontières, j'espere que vous les avez
visualisées, jene reviendrai pas non plus sur ce que j'aidit sur lesTekna, etc. Je
vais plutôt vous montrer un certain nombre de trajets de parcours d'autres
tribus.
Vous voyez d'abord que ce qui est assez caractéristique c'estque ces trajets
forment toute une séried'ellipses, lesunes apres les autres qui, dans l'ensemble
et habituellement, vont dans le sens nord-sud ou bien dans le sens nord-ouest-
sud-est. Alors, si vous prenez \'ellipsequi est le plus a l'ouest, celle-cc'estle

parcours de nomadisation des gens de 1'Inchiri. Je vous signale, chose tres
importante, que tous les gens de I'inchiri ou a peu près sont, comme on dit
dans le langage administratif mauritanien, enregistrés enMauritanie. Autre-
ment dit, ce sont des gens qui ont la carte d'identitémauritanienne et qui noma-
disent toujours et encore maintenant dans cette région.Je suis persuadé que
nos amis espagnols pourront nous le confirmer.
L'ellipsesuivante est la zone de nomadisation des Adrariens, les gens de
l'Adrar.La suivante, celle des Regueibat Oulad Moussa et la derniere celle des
Regueibat Legouacem qui est plus limitéeque celle que vous avez vue tout a
l'heure, mais, en fait, dans la carte précédent, ous avez vu que les Legouacem
dans un certain nombre de cas pouvaient aller plus loin.
Je pense qu'il faut insister sur trois points lorsque l'on regarde ces parcours.
La première chose dont il faut bien comprendre le caractère capital, c'estque
ces parcours ont un caractère obligatoire pour la survie de ces tribus. Ces
parcours suivent des points d'eau, des zonesde paturage, des terrains cultivésa
certaines périodes de I'année,ils passent aussi aux lieux de pèlerinage, ils
passent aux cimetières familiaux. Autrement dit, ces parcours répondent a une

nécessitéinterne, ce n'est pas de la promenade. Ces parcours répondent aux
exigences des données de cette nature terrible qui est celle du Sahara, des
nécessitéscommerciales, des nécessittés religieuseset culturelles. En fait, la EXPOSE ORAL DE hi. SALMON 383

zone de parcours pour un nomade, c'estson territoire, c'estune question de vie
ou de mort, a la fois sur le plan matériel etsur le plan de la culture.
La seconde conclusion que je voudrais tirer de cette carte, c'est que,
comme vous pouvez le voir, toutes ces ellipses se recoupent. Autrement dit,
elles s'entrecroisent, elles se chevauchent ; le terrain de certaines tribus
se recoupe et se chevauche avec le terrain d'autres tribus. II en découle des
nécessitésj,ustement. d'entente dont vous parlait touta l'heure l'ambassadeur
Mohammed Ould Maouloud. De la toutes ces règles de droit. typiques
du droit saharien, pour pouvoir s'entendre lorsque chacun va au puits de
l'autre ou utilise les terrains de I'autre en fonction des nécessitésde la vie
nomade.

Et enfin, troisième observation, c'est que toutes ces ellipses sont tram-
frontieres. Les frontières coloniales dressées e1900 et en 191: par la France
et l'Espagne nbnt jamais arréti: ce mouvement. Cela tient d'ailleurs. nous y
reviendrons, dans une certaine mesure, certainement au type de colonisation
qui a eu lieu en zone espagnole et qui étaitjustement une colonisation sans
occupation. Ce n'était pas une colonisation particulièrement drastique,
contraignante sur le pays. Ce qui fait que sinon la liberté la pluscomplète,du
moins une tres grande liberté,a étélaisséeaux tribus.
Un très grand nombre de choses n'ont donc pas été affectées par la
colonisation. Notons en particulier que les puits, depuis le Rio de OrOU plus
haut dans le Zemmour ou dans la Sakiet, sont creusés par des tribus
mauritaniennes et entretenus par des familles mauritaniennes. Ainsi on
pourrait parler du puits de Bir Nzaram qui est iaihauteur de Dakhla (de Villa
Cisneros) qui a etécreusépar lesgens d'Inchiri. Maisce ne sont pas simplement
ceux-ci, tous les autres puits de cette régionont étécréés,ont été et restent
entretenus par lesgens d'Inchiri, par les Mauritaniens d'Inchiri qui nomadisent
tout letemps dans le Rio deOro. Tirakline, icidans I'Imricli.a étécreuspar les
gens de l'Adrar, et est entretenu par eux.
II n'y a pas que l'eau. les morts aussi comptent pour les Sahariens et ce qui
m'a le plus frappe, parce que j'ai eu cette chance extraordinaire d'entrer en
contact avec la civilisation du pays de Chinguiti, c'est de me rendre compte
dans quelle mesure ces morts, ces ancêtres avaientpour eux une importance et
de voir combien les frontières, les soi-disant frontieres ne jouent aucun rôae
cet égard, parce que de nombreux Mauritaniens se font enterrer dans les
cimetières familiaux qui ont été creusés par deMs auritaniens dans le Rio de
Oro ou dans le sud de laSakiet El Hamra et vice versa.
Les gens du Rio de Oro ont parfois leurs ancétres enterrés dans la
Republique islamique de Mauritanie et, lorsqu'ils meurent, ils veulent être
enterrésla. Des familles duRio de Oro ou de la Sakiet sont aussi propriétaires
de palmeraies ici dans l'Adrar ou bien ils sont propriétaires de terrains
cultivables. 11 a quelques terrains cultivables dans le désert, pratiquement
dans des lieux divers de la République islamiquede Mauritanie.
VoiH. je crois. les faits principaux que l'on peut dire sur cette carte et je
serais maintenant tres reconnaissant a la Cour.sielle le veut bien, de prendre
la troisième et dernière carte que nous souhaitons commenter devant elle, et
qui est intitulée ((Carte XIV à l'annexe B.2, croquis no 2 » (voir ci-après
p. 384-3851,et qui a été présentéd eans la seconde sériede cartes 'du Gou-
vernement espagtiol. Cette carte, ainsi qu'il est expliqué d'ailleurs dans la

légende,a étéfaite sur base des cartes 2 et 3 que nous avions nous-mimes

' Non reproduites.Carte XIV à I'anrB.?e

CROQUI NO2386 SAHARA OCCIDENTAL

remises a la Cour. Et c'est la que je dois une nouvelle excuse a la Cour en
disant qu'il y a encore une fois une erreur sur une de nos cartes : qu'avec
beaucoup de malice nos amis espagnols ont tout de suite remarquée. En effet,
malheureusement, sur les cinq cartes ' que nous avons remises et qui
représentent le cap Blanc une d'entre elles comporte une erreur. Sur une des
cartes nous avons oublié,ou du moins le géographe qui a dessinéles cartes a
oublie. de mettre la petite lignequi traverse le cap Blanc(ci-dessus p. 380-38 1).
Le Gouvernement espagnol a immédiatement remarqué cette erreur, c'est de
bonne guerre. mais j'espere que la Cour comprendra bien que nous n'avions
pas du tout l'intention de réclamerla partie espagnole du cap Blanc ainsi qu'on
a l'airde le prétendre dans la légendequi apparait avec cette carte. Mca culpo.

mea maxima culpa. parce que. dans le fond, c'est surtout moi qui me suis
occupé deces cartes aBruxelles.
Si je vous présente la carte espagnole noXIV, c'est parce qu'elle met en
doute les limites de l'émiratde, l'Adrar telles que nous les avions citées et
présentéessur nos cartes.
Je vous montre tout d'abord quelles étaientces limites de l'Adrar telles que
nous lesdéfendons.Elles apparaissent par le petit signe <(+ )>etelles forment
le trajetque suit actuelfernentla reglequej'ai entreles mains. En revanche, le
Gouvernement espagnol. partant du texte du traitéd'ldjil,dit que l'Adrar ne se
trouvait pas 1i du tout, mais qu'il se trouve a l'intérieur du tracéformédes
petits ronds. Ces petits cercles, ces petites circonférences que vous voyez
partent ici de Tichit, I'ijigia, puis elles passent ici a côté des grandes villes

d'Atar,suiventétrangement la frontière du Rio de Oroet ellespassent mêmeen
dessous de la sabkha d'ldjil, pour revenir h leur point de départ, du c6téde
Tichit.
Nous ne sommes pas d'accord avec le point de vue espagnol, j'ai le regret de
le dire,car cette carte fixeles limites de l'émiratde l'Adrar de manière inexacte
à plusieurs égards.Je crois que la plus grave erreur, c'esttout d'abord de mettre
dans l'Adrar toute cette partie-ci avec des.villescomme Tijigjaou Tichit qui ont
toujours relevéde l'émirat du Tagant, de l'émiratdes Idouiches. Au surplus,
Julius Perthes sur leqiiel se fondent les Espagnols était peut-êtreun grand
géographe, mais en tout cas, il est clair qu'il s'esttout à fait trompé sur la
situation même deces deux villes. qui sont situéesbien plus bas et bien plus a
l'est.
Le second point sur lequel nous ne pouvons pas êtred'accord avec le

Gouvernement espagnol, c'est qu'il essaie d'éviterque le Tiris soit adrarien.
Cela, faire un tel sacrilégeauprès d'un Adrarien, je ne sais pas, c'estcomme si
vous vouliez enlever la Castillea t'Espagne, ou disons le pays basque.
Je vous l'aidit tout a l'heure, leTiris, c'estla zone habituelle de nomadisation
des tribus de l'Adrar ; c'étaitlà que setrouvait habituellement le campement
émiralde l'Adrar. Vous n'avezqu'a vous référera cet égardau compte rendu
du voyage de Bou El Mogdad en Adrar qui est rapporte par Désiré-Vuillemin.
page 308. Ce texte montre que l'influence de I'émir, sinon son autorité,
s'exerçait en faitjusqu'i Villa Cisneros, jusqu'a Dakhla. VOUSvoyez que, avec
une certaine timidité ou une crainte de paraître excessifs, nous n'avons rnéme
pas indique cela sur notre carte.
Je crois aussi que les auteurs dela carte que nous examinons ont perdu de
vue ce que I'émirlui-mêmeailirmait (ce texte est reproduit par Mahmadou
Ahmadou Ba,L'Einira~de lildrar de 1872 a 1908, p. 9 1i.92).Voici ce que

disait I'émir: <(Mais apprenez que moi, qui descends d'Othman Ould hrdil

ONon reproduites.sacartes no'et3 EXPOSI? ORAL DE hl. SALMON 387

[fondateur du régime des emirs enAdrar], j'assure devant l'univers La
responsabilitéde la sécuritédans le pays qui va du Khatt[c'est-à-direla limite
entre leTagant et 1'~drarIau Rag Lemhouneau nord du Tiris» [c'est-à-dire
cette région-ci,u-dessus de VillaCisneros],et ilajoutait: iJ'entends qu'elley

règnecomplètement. >) SEIZIEME AUDIENCE PUBLIQUE (9 VI1 75, 10h 5)

Prt'seti~:[Voir audience du 25 VI 75. M. Lachs, Prc;sid~t~ta,bsent.]

EXPOSÉ ORAL DE M. OULD MAOULOUD
REPRESENTANT DU COUVERNEblEhTMAURITANIEN

Le VICE-PRÉSIDENT :Le Présidentde la Cour est absent aujourd'hui et le
sera égalementdemain. II m'a demandé deprésideren son absence.
M. OULD MAOULOUD : Monsieur le Vice-Président, Messieurs les

membres de la Cour, la délégationdu Gouvernement de la Mauritanie a
estimé,en raison du r6le joué par le cheik Ma el Aïnin pendant la période
historique évoquée,qu'il étaitde son devoir de fournir a la Cour deséléments
d'éclaircissement complémentaires.
La personnalité ducheik Ma el Aïnin, lesdiverses phases de sa longue vie ne
peuvent apparaître dans leur pleine signification que si on les insère dans le
milieu qui l'avu naitre, la ou il s'estformé,laou ila mené sacarrierede chef de
confrérie, de savant musulman et d'homme politique. C'est dans ce contexte
que le rôle qu'a jouéle cheik Ma el Ainin devient intelligible.Nous exami-
nerons donc sa vie, ne retenant de sa biographie que les faits éclairants et
négligeantdélibérément l'anecdote. On évoquera sa famille,lesétapesde sa
carrièrechinguittienne et, finaiementsa carrière marocaine. Nos sources n'ont
d'autre originalitéque d'êtrede première main : les informations utiliséa ici
sont tiréesdes écrits ducheik lui-mêmeou de ceux de ses proches, notamment
d'un opuscule de son fils al-Ni'ma, mort en 1920. Des copies de cet écritsont
conservées dans la famille en Mauritanie et nous avons consulté aussi le
manuscrit no 1434 de la bibliotheque généralede Rabat.
Le cheik Ma el Aïnin a attiré l'attention des administrations française et
espagnole. Presque toutes les études écrites par les agents de ces pays,

fonctionnaires, officiers, ou par des publicistes traitant d'Islam ou de politique
musulmane depuis les dernières décennies du XIXCsiècle,ont consacré une
place parfois importante au cheik. Mais ilest évidentque tous ces écritsportent
la marque de l'époqueet manquent souvent de sérénitéI.ls contiennent de
nombreuses erreurs, des dates fausses et des appréciations discutables. Nous
signalons, comme exception, l'article sérieux-et bien informé du regretté
professeur Evariste Lévi-Provençaldont on connaît la contribution à l'histoire
des trois pays concernés par laprockdure engagéedevant la Cour. Cet article
figure dans 1'Eizc~~clopc;ddiee I'lslam (1'' ed., t. 111,1936, p. 58-59). Nous
signalons aussi le travail d'un autre arabisant, H. T. Norris : Shuykh Ma'
al-'Aynayn al-Qalqamd ians « Tne Folk Literature of the Spanish Sahara »
@~r//e!inofthe Sc/rw/ cfOrieriru/ und AJricurrStudies, t31, 1968, p.1i 3-136
et 347-3761.Ces deux savants fournissent la liste de la plupart des écritsrelatifs
au cheik Ma el Aïnin et nous dispensent par conséquent de la reproduire.
La famille du cheik Ma el Aïnin, les Ahl Taleb Mokhtar, appartient a la
grande tribu des Cfagrna du Hodh, dans le sud-est de la Mauritanie, tribumaraboutique d'origine chérifienne, c'est-à-dire réputée descendredu Pro-

phète.
Son pere, le cheik Mohamed Fadel Ould Mamin, néen 1797, mort en 1869,
vécutdans la régionde Némadu Hodh. II fut le créateur dela grande confrérie
qui porte son nom, la Fadelia, branche de la Qadiriyya. Cette confrérieconnut
un grand succèset reste encore importante dans l'ensemble mauritanien ainsi
que dans toute l'Afrique de l'Ouest.Parmi ses nombreux fils, trois ont jouéun
rôle important ; les cheiks Sid el Kheïr, Saad Bouh etMa el Aïnin.
Nous mentionnerons rapidement les deux premiers. Le cheik Sid el Kheïr,
héritier spirituel, succèdesur placason pere et restera établau Hodh. Sa mort
est survenue en 1916, après une longue vie, qui a vu son influence religieuse
couvrir le Hodh et les contréesvoisines.
Quant au cheik Saad Bouh, décédé en f917,ilétait allés'installau pays des
Trarza, sud-ouest de la Mauritanie, vers 1865, donc du vivant même deson
pere ;son influence s'étendravers le sud et obtiendra des succès considérables
en Mauritanie et au Sénégal.
Sur le cheik Mohammed Fadel lui-même etsur ses deux fils précités,nous
nous permettons de renvoyer a deux ouvrages de l'officier interprète Paul
Marty. Le premier ouvrage est intituléEfudes sur l'lslarnmaure et fut pu-
blie dans la collection de la Revue du Monde musulman (Paris, 19 16). Le
deuxième est Etrides sur l'/slam el les tribrrs du Soirdan (t. 111,Paris. 1921.
p. 249 a 264).

La matière de ces deux ouvrages a été reprisepar les divers conipilateurs
postérieurs.
Et nous en venons maintenant au cheik Ma el Aïnin. Nous rappellerons
qu'il est ne dans le campement paternel, installéa ce moment-la a Baribafa,
quarante kilomètres au sud-ouest de la ville de Néma, dans le Hodh
mauritanien. Cette naissance eut lieu en février 1831, pour êtreprécis.II était
précédé et a été suivide nombreux frèreset sŒurs.
Il rqut sur place la formation donnée traditionnellement dans les tribus
maraboutiques :apprentissage par cŒur du Coran a partir de l'âgede six ans,
accompagné de l'étudede la grammaire et de la poésiearabes. Vers treize ans,
le programme portait habituellement sur les matières deJqli, c'est-à-dire du
droit musulman ; théologie,logique et mystique suivant apres l'tigede seize
ans. Ses maîtres furent son père et les savants disciples de celui-ci.Le cheik
acquit une profonde science dans les disciplines islamiques traditionnelles,
comme en témoignela longue liste de ses ouvrages énuméréedans l'article
signaléde Levi-Provençal. 11fut remarqué aussi très tôt pour ses penchants
mystiques. Son pere, aux dires de ses biographes, le distingua, l'encouragea et
lui annonça un grand destin.

L'atmosphère dans laquelle le cheik reçut instruction etéducation morale
était marquée par une profonde piété etune solide tradition de culture
islamique. Par-dessus tout, l'enseignement mystique qui était dispensérevêtait
le cachet confrérique, florissant alors dans toute cette partie du monde
musulman : son propre père,comme nous l'avons dit, étaitle chef et créateur
de confrérie.Cette formation ouvrait diverses perspectives. Le cheik allait, lui,
choisir de consacrer sa vie i diffuser les enseignements de la confrérie
paternelle aussi loin que possible;il portera son choix sur le nord et le nord-
ouest du pays de Chinguiti, alorsque son frèreSaad Bouh, déjàévoqué,élirala
régiondu sud-ouest.
L'éducationdu jeune cheik a peine achevée,il partit pour La Mecque en
1857 et accomplit le pèlerinageen juillet 1858. Il passa par le Maroc, l'Algérie,
IEgypte.390 SAHARA OCClDEhTAL

Mais a peine de retour. en 1860,son pérelui conseilla de s'établir enAdrar.
Et a partir de cette date il ne reverra plus sa régionnatate. le Hodh.
L'Adrar. ou arriva le jeune cheik. étaitalors en pleine crise de succession
a I'émirat.crise a laquelle t'avenement. en 1872. de L'émirAhmed Ould
hlharnrnedmettra lin. Lecheik Ma el Aïnin mène lavie de nomade, fréquente
les oasis de Chinguiti et dlAtar, y acquiert des propriétés.Son rayonnement
attire autour de lui des cercles de plus en plus nombreux de disciples venant
d'un peu partout. 11éprouve aussi quelques difficultésquand il tente de jouer

un rôle politique. Ainsi, en 1876, l'attitude hostile de l'émirde l'Adrar et des
Oulad Dleim, tribu de la région,l'amèneun moment a envisager le retour dans
le Hodh. Il finit cependant par renoncer a ce projet, mais il établit sesterrains
de parcours plus a l'ouest, dans la régiondu Tiris, a cheval sur le territoire
administré actuellement par l'Espagne et la République islamiquede Mauri-
tanie. De là, son influence se répandchez les tribus parmi lesquelles il vivait et
mémeau-delà.
La décennie 1877-1886 est la grande époque du cheik. Son influence
s'accroit. les disciples affluent et sa production intellectuelle date, en grande
partie, de ces années-la. C'est dans cette région que t'explorateur français
Camille Douls le rencontra en 1887 (voir CamiHe Douls, « Voyage d'explo-
ration a travers le Sahara occidentaln,Bi~/le!itrde lu Socit'rede géogropliiede
puw, 1888, p.437-4791.
Mais déjà un autre horizon s'ouvre a l'activitédu cheik : le Maroc, Au
départ, jne s'agitpour lui que de créer desliensavec les milieux lettres. Ifavait
en effet manifestéle désirde faire imprimer ses oeuvres dans ce pays OU la
lithographie était entrée en usage dans les années 1860. 11voulait de cette
manière répandre son enseignement. Effectivement, plusieurs de ses écrits
furent lithographiés a Fésgrice au zèlede ses disciples chinguittiens et au
concours de disciples marocains qui commençaient a adhérer a sa confrérie.
Avec le Souverain et son gouvernement, les rapports semblent avoir débuté
vers 1886.
Nous remarquons qu'il y avait un quart de siècleque le cheik habitait et
menait son action religieuse et sociale dans le nord-ouest du pays chinguit-
tien. II y avait acquis renom et influence. Son apostolat est, jusque-là.
essentiellement religieux:répandresa doctrine et en accroître l'influence.C'est

le r6le traditionnel de tout grand marabout chinguittien. Rien ne le distinguait
alors de ses pairs, les autres marabouts.importants de l'époque,ses propres
frèresSaad Bouh au sud et Sidel Kheïr à l'est,par exemple, et bien d'autres. II
est donc erroné de lui attribuer,a ce stade de sa carrière, une influence dans
l'ensemble mauritanien plus grande que celle des autres.
Nous abordons la dernière étapede la vie du cheik, étape quidurera encore
un quart de sikfe ; oii I'y verra glisser progressivement dans ce que l'ona
appelé l'attraction marocaine. Maisles choses n'étantjamais simples, on est
amenéla encore a distinguer un cheminement en trois phases.
Dans une première phase, qui précèdeles débuts dela conquétefrançaise de
la Mauritanie, on verra le cheik, petit a petit, s'intégrer dans le monde
marocain.
Une deuxième phase sera marquée par le déroulement de ta conquête
française en Mauritanie.
Et enfin, dans une phase finale. le cheik, dans le dernier épisodede sa vie,
tente de défendre I'lslam attaqué, puis essaie de se substituer a la dynastie
régnanteau Maroc. en seproclamant sultan.
Commençons donc par la prerniére phase,sans trop insister sur les détails,
puisqu'ils sont dans l'esprit de tous. Antérieurement donc a la conquéte EXPOSE ORAL DE hl.OULD AIAOULOUD 39 1

française en Mauritanie, les années 1890-1900 voient le cheik esquisser un
rapprochement avec le monde ofliciel marocain. Nous avons vu qu'apartir du

moment ou son influence touchait les tribus de mouvance marocaine, Tekna
en particulier, le cheik noue des contacts suivis avec ses disciples dans ce pays.
il rend plusieurs visites au souverain Moulay Abd el Aziz. Ce n'est pas sans
raison que les observateurs étrangers a l'époqueont vu, dans le traitement
réservéau cheik par le Souverain et sa cour, un traitement de haut dignitaire
étranger (voirMme Désiré-VuilleminC , riiitrih~iàiI'hisroirrde lupL',rciirutiofi
frori~uise etMar~rira~lieDakar, 1962,p. 254-2551,
La fondation de Smara et l'installation du cheik dans un centre sédentaire
sont liéesa cette phase. II reçut a cette occasion une importante aide du
Souverain chérifien. Srnara était un établissement d'enseignement,un lieu de
prière. Ce n'étaitni un centre administratif, ni une forteresse. L'expédition
française du colonel Mouret devait leconstater en 1913. L'aidedu Sultan avait
valeur d'actede piété, n peu comme la mosquéede Dakar ouverte au Sénégal
par S.M. le roi Hassan II ou la mosquée et l'institut islamiqueque l'Arabie
saoudite vient de réaliserà Nouakchott.
Le cheik Ma el Ainin, de toute façon. était devenu le directeur spirituel du
Sultan. au sens confrérique.
Nous ne rappellerons pas a la Cour tous les détailsde cette phase, la plupart
figurant dans les annexes a l'exposémarocain ou dans les ouvrages cites.

Cette période est une sorte de préparation a ce qui va suivre. La France
entreprend en effet, dans les dernières semaines de 1902, la conquêtedu pays
de Chinguiti. Le cheik adopte une attitude de resistance résolueau nom des
obligations que lui dicsa foi.Ses fréres,Sid el Kheïr et Saad Bouh, aux deux
autres extrémitésdu pays de Chinguiti, envisagent la situation sous un angle
bien dimerent. A leurs yeux, les conditions d'une lutte efficace ne sont pas
réunieset le parti leplus sage est de se soumettre aux Français. La plupart des
chefs maraboutiques ou guerriers choisissent aussi la mëme ligne de conduite.
Ceux qui essaient d'organiser une certaine resistance se rendent dans les
régions non encore occupéeset certains rejoignent le cheik Ma el Aïnin a
Srnara. Tous font appel au Maroc, seul pays musulman voisin susceptible de
soutenir la lutte contre les Français, et cet appel est conforme aux exigences de
solidarité islamique. Certains, nous l'avons note dans notre précédente
intervention, s'adressenmême a la Turquie, autre pays musulman indépen-
dant alors,auquel on prêtaitpuissance et résolutioadéfendreI'lslammenacé.
On peut considérer que le cheik est devenu marocain.a ce moment la. la
mnquëte française de la Mauritanie se déroulait en même temps que la
pénétrationdes forces de ce pays au Maroc. Les Chinguittiens réfugiés au
Maroc, y compris le cheik, étaienttombéssans le savoir dans un traquenard.
Le Maroc, soumis aux pressions que l'on sait, étaithors d'étatde remplir le

devoir de solidarité qu'on réclamaitde lui. L'assistanceau cheik cessa. Ordre
fut donné de ne plus lui livrer des armes, des fournitures qui lui étaient
destinéesétantassimiléesa un trafic prohibé.Je renvoie auxdocuments qui ont
été produits par les uns et les autres.
Quant aux Chinguittiens, certains revinrent en Mauritanie française.
D'autres restèrent au Maroc et quelques groupes s'en allèrent en Orient, ou
leurs descendants se trouvent encore; l'un d'entre eux par exemple,
M. Mohammed al-Amin el-Chinguiti, ancien ministre jordanien, est actuelle-
ment ambassadeur du Royaume hachémiteen Arabie saoudite.
D'ailleurs le colonel Lawrenceaeu affairea un de ces émigrésmauritaniens
dans le nord du Hedjaz, en 191 7. Ill'aurait tué. VoirLessep! piliersde lu
sagesse.392 SAHARA MJCIDEhTAL

L'actiondu cheik étaitcompromise, n'etait l'attitudedesautoritésespagnoles
car, paradoxalement, pendant toute cette période,ses relations avec l'Espagne
n'avaient rien de belliqueux. Des échangesde présentssont fréquents,le cheik
est mëme décore officiellementpar le roi d'Espagne. Il tenta alors un dernier
effort: il se proclama sultan, mais ne tarda pas a mourir, en octobre 1910.
Nous ne croyons pas utile de suivre la carriere ultérieurede ses fils,revenus,
lesuns en Mauritanie ou devenus sujets espagnols ou français au Maroc.
Au termede cet expose, nous voudrions présenter quelquesobservations qui
viennent tout naturellement a l'esprit.
La carrière du cheik Ma el Aülin s'est déroulée,aux deux tiers de sa

trajectoire, dans le pays chinguittien. Elle en présenteun type particulièrement
accusé,celui de marabout, chef de confrérie, devenu peu a peu, gràce a son
influence religieuse et charismatique, personnalité politique en milieu tribal
chinguittien, sans auciine interférencemarocaine ou autre. a ce moment-la.
De caractère profondément religieux, le cheik a toujours mené ses
difierentes activitésen conformité avec sa conception des exigences de sa
propre foi. Sa résistance a t'occupation européenne était faite au nom de
I'lslam, de tout t'Islam, qu'il s'agissedu pays chinguittien, du Maroc, des
Kounta du Mali chasses par les Français, et venus se joindre a luiLe fait est
tellement clair que lorsque le cheik Ma el Ainin croit a une connivence du
Sultan avec les Français, et, la, je cite l'articledu professeur Lévi-Provenç:l
i(il n'hésitapas a se proclamer sultan ea entreprendre la conquète du Maroc,
qu'iljugeait vendu aux infidèlespar lessouverains ».
Les circonstances de la vie du cheik furent contrastées,son poids religieux
acquit graduellement consistance et toucha diverses régions du pays
chinguittien, bien avant d'étreen rapport avec le Maroc. On ne devrait donc ni
réduire savie a cet épisode final,ni interpréterson attitude, dictéepar sa vision
religieuse, hors de son contexte. EXPOSE ORAL DE M. YEDALI OULD CHEIKH

REPRESENTA NT DU GOUVERNEMENT MAURI'I'ANIEN

M. YEDALl OULD CHEIKH :Monsieur le Vice-Président, Messieurs les
membres de la Cour, aprèsavoir procédé à l'analysede l'ensemblemauritanien
ou pays de Chinguiti vu de l'intérieur,la délégationde la République islamique
de Mauritanie voudrait a présentconsacrer un certain nombre de développe-

ments a l'importante question de l'indépendancedu BiladChinguiti oii pays de
Chinguiti par rapport aux souverainetésétrangères.
Mais auparavant. nous voudrions bien nous arrêterun instant sur quelques
observations de caractère préliminaire et, tout d'abord, faire un bref examen
contradictoire des faits historiques. Le Gouvernement de la République
islamique de Mauritanie considère que l'ensemble des faits et documents
soumis a la Cour internationale de Justice dans la présente demande d'avis
consultatif amène a une vue historique des choses plus correcte car plus
contradictoire.
Cela a coriduit les Gouvernements de la République islamiquede Mauritanie
et du Royaume du Maroc a faire devant laCour des déclarations préliminaires.
respectivement le 25 juin et le3juillet1975 (ci-dessus p.1l8-128 et 306-3091.

déclarationsqui ont pour effet, nous semble-t-il, de clarifier un peu les choses.
On trouve, en effet, dans ces deux déclarations unilatérales. desforniulations
qui se recoupent et que l'on se permettra de rappeler respectueusement a la
Cour :

<(En delinilive. il existe un nord et un sudjuxtaposant dans l'espacedes
liensjuridiques du Sahara occidental avec le Royaume du Maroc et avec
la h4auritanie.>(Maroc. ci-dessus p. 119.)
« Ce rappel des donnéeshistoriques anciennes n'ani pour objet. ni pour
effet de dénierla valeur de la thèse mauritanienne relative aux liens du
Sahara avec l'ensemble chinguittien au moment de la colonisation
espagnole, ni bien évidemment de comporter la moindre réserve ou

contestation quant a la souveraineté de la République islamique de
Mauritanie. » (hlaroc, ci-dessusp. 119.)
(<aux yeux du Gouvernenient de la Républiqueislamique de Mauritanie.
la référencea l'oued Saguiet el Hamra ne saurait êtreinterprétéecomme
une frontiere. mais bien comme une limite habituelle des zones de
nornadisation des tribus relevant de l'ensemblemauritanien. IIs'agila.en
effet. d'une zone de chevauche men^ des parcours de nomadisation des
tribus venant de la zone riord comme de la zone sud. » (hlauritanie. ci-

dessus p.307.)
<<il existe des chevauchements qu'il est sans intérêtde mieux définir N
(Maroc, ci-dessus p.1 19).

<(la Cour n'est pas appeléedans la présente instance a statuer sur une
quelconque contestation territoriale>(Mauritanie. ci-dessus p.307).
((par définition. la mission de la Cour ne concerne aucun problème
politique et n'implique aucune délimitation territoriale )>.(hlaroc. ci-
dessus p. l l9.)394 SAHARA OCCIDENTAL

En résumé,les Gouvernements de la République islamiquede Mauritanie et
du Royaume du Maroc reconnaissent qu'il y a un Nord relevant du Maroc, un
Sud relevant de la Mauritanie et que des chevauchements existent du fait des
parcours de nomadisation du Nord et du Sud qui se croisent. IIen résultedonc,

qu'il n'y a pas de ~io niuri's larzd entre l'influence du Maroc et celle de
l'ensemble mauritanien, comme le disait déjàl'exposé écrid tu Gouvernement
du Royaume du Maroc (III.p.204).
Enfin, les deux gouvernements estiment que les questions posées a la Cour
n'impliquent en rien une quelconque délimitationou contestation territoriale,
cette question étant sans incidence sur les réponses que la Cour peut étre
amenéea donner a l'Assembléegénérate.
Ces précisionsou interprétations données par les deux gouvernements, si
ellesclarifient un peu la situation, n'enexigent pas moins pour la Mauritaniede
faire connaitre avec pricision a la Coursa position.
S'ilest vrai que la déclaration faitepM. l'ambassadeur Slaoui, a l'audience
du 25 juin 1975 (ci-dessus p. 118-128). ftenlevait un grand nombre de
préoccupations que l'exposé écritmarocain avait suscitées de la part de la
République islamiquede Mauritanie >Pil n'en reste pas moins que I'exposéoral
du Royaume du Maroc, que nous avons entendu par la suite, ne nous a
rassurés qu'amoitié.
Si dans cet exposé il est bien fait allusion quelquefois aux droits de la
Mauritanie ça et la, l'équivoquedemeure par ailleurs. Le Maroc, comme il l'a
déjà fait dans son exposé ecrit, continue a affirmer sa souveraineté sur
l'ensemble du Sahara sous administration espagnole, et parfois mêmeau-delà
(III,p. 129. 131, f39. 144. 145. 149.159, 161 et 162. ainsi que les exposés
oraux du 30 juin et des 1'' et3 juillet 1975. ci-dessus p. 189-251et288-305).
Ceci oblige le Gouvernement mauritanien pour des raisons que l'on
comprendra aisément,àapporter a la Cour les precisions qu'iljuge utiletqui
se rapportent aux documents produits et aux faits historiques évoqués.

Mais, avant d'entrer dans cette analyse. il nous parait important de faire
quelques remarques générales, toujours de caractèrepréliminaire.
D'aborden ce qui concerne le problèmede la date ou de la périodecritique a
retenir pour l'examen desquestions poséesa la Cour.
Lesdeux questions posées a la Cour sesituent au moment de la colonisation
par l'Espagne. Pour déterminersi leterritoire étaitres rrullius ou avait des liens
juridiques avec iènsernble mauritanien et avec le Royaume du hlaroc, il faut se
placer au moment de l'acquisitiondes titres par l'Espagne sur ces territoires ou
à la période précoloniale proche.Les titres historiques anciens soulevéspar
l'Espagne, s'ils montrent l'intérêqtue l'Espagne a pu avoir très tôt, vu la
situation des iles Canaries face au littoral saharien, ne permettent en rien de
conclure àune entreprise réellede colonisation avant l'expéditionBonelliet ses
suites.
On peut donc situer la période de colonisation par l'Espagne en ce qui
concerne le Rio de Oro de 1884, date de l'établissementdu protectorat, 1900,
date de la fixation de la frontière sud et est avec les possessions françaises qui
allaient devenir la République islamiquede Mauritanie, et entre 1904 et 1912,
dates auxquelles seront fixéesles frontiéres de la Sakiet El Hamra et qui
coïncidenta peu présavec I'etablissementdu protectorat sur le Maroc.
C'est donc sur cette période qu'il nous parait nécessaire de centrer notre
examen, quoique, attachés a montrer la réalitédes faits au-delà des titres
formels, il ne soit pas illégitimede suivre les moments de la lente occupation
par l'Espagne desdits territoires, car, entre-temps, lavie continuait dans le
Saharacomme si la colonie espagnole n'existait pas. EXPOSE ORAL DE M. YEDALl OULD CHEIKH 395

Ceci nous amène donc a envisager un phénomènesur une périodeassez

étendue.
Deuxièmeremarque de caractère général.Elle concerne celle-la la situation
historique globale.
La situation générale,dans les territoires intéress, endant cette périodeet
les quelques années qui l'ont précédée, esu tne situationa la fois confuse et
mouvante, envisagéesous l'angledes relations entre le Royaume du Maroc et
le Sahara occidental dit espagnol.
L'ensemble des élémentshistoriques rapportés indiquent clairement une
volonté du Sultan de faire reconnaitre, le plus au sud possible, le pouvoir
chérifienet, en particulier, d'y contrÔIer les courants commerciaux. Toutefois,
cette volontéest contrecarréepar trois éléments.
Premièrement, la propre faiblessede L'Empirechérifien,dont de larges parts
au sein mème des frontières reconnues traditionnellement au Maroc par les
Occidentaux, c'est-à-dire le Draa, sont en dissidenceLes expéditionsde 1882
et de 1886 du Sultan permettront de ressaisir les choses sans pour autant y
mettre un terme. Cette difficultépour le Sultan de faire exercer effectivement
son pouvoir se reflète dansladistinction bled makhzen-bled siba, admise par le

Gouvernement du Royaume du Maroc et sur laquelle nous reviendrons plus
loin.
Deuxièmement, l'expansion coloniale européenne :l'Angleterre àcap Juby,
l'Espagnequi cherche sur la côte le meilleur endroit pour refaire Santa Cruz de
Mar Pequetïa, les Allemands qui ont des viséessur Mogador et LéopoldII, roi
des Belges, qui, lui aussi, fait faire des expéditions dans la région. Mais c'est
surtout la France, par ses viséessur l'ensemble du Maghreb et de l'Afrique
occidentale, qui va mener un jeu diplomatique subtil etmettre fina la volonté
d'extension du Maroc vers le Sahara, tout en établissant par le protectorat
l'autoritédu makhzen sur les régions traditionnellement reconnues comme
insoumises.
Enfin, le troisième élément,c'est l'ensemble chinguittien, cet ensemble
d'émiratset de <<tribus féroces>r, ont tous les explorateurs et colonisateurs ont
dit le souci farouche d'indépendance etdont les institutions ont toujours exclu
l'allégeance auSultan.
Autre remarque de caractère général : la distinction du bled siba et de ses
limites géographiques.
Si nous avons bien suivi les explications de l'exposédu Gouvernement du
Royaume du Maroc - et nous nousexcusons a l'avancepour les déformations
possibles - le bled siba, en opposilion au bled makhzen, ne traduit pas une

volontéde contestation de l'existencemémedu pouvoir central chérifienmais
plutôt des conditions d'exercicede ce pouvoir. L'autoritéreligieuse et politique
du Sultan y est reconnue ; les caïds reçoivent du Sultan leur investiture.
L'effectivitéde l'autorité estcependant quelque peu diluée,I'autononiie locale
peut même prendre de grandesproportions, comme cela a été démontrka la fin
du XIXc siècle« dans les régionsles plus éloignéeset mystérieusesdi1Sous et
de l'ouedNoun »,pour reprendre l'expressiondu consul d'Espagne aMogador
en 1885, mais cela ne remet pas vraiment en question l'unitéde l'Empire
chérifien.
Tres illustratifs de cette situation nous paraissent êtrelesdocuments produits
par le Gouvernement espagnol à propos de la famille Beyrouk.
On peut constater que pendant une périodequi s'étendsur presque un siècle
l'oued Noun se comporte comme une autoritéautonome de fait.
Plus d'une fois les Occidentaux pensent exploiter l'autonomie locale ou
essaientd'y fomenter une sécessionpour pouvoir y ouvrir un port, ce qui ne396 SAHARA (KCIDEhTAL

déplairaitpas, semble-t-il, à la population locale, mais ce dont le makhzen ne

veut, bien sûr, aaucuri prix. C'est la politique du Sultan qui,acet égard, finit
par avoir le dernier mot.
Le probleme des naufragés oudesexplorateurs aventureux montre a la fois
les contradictions des puissances occidentales et la faiblesse du makhzen. Ce
dernier rencontre des difficultéa y faire régnerson autoritéeffective, il n'osey
envoyer ses troupes, mais il rachète les prisonniers. Les puissances
occidentales, dans leurs traites avec le Sultan, acceptent que dans l'exercicedu
droit de protection sur leurs ressortissants elles devront tenir compte du fait
que l'autoritédu Sultan ne s'exerce pas OU s'exerce difficilement dans ce qu'il
est convenu d'appeler le bled siba.
Plus le bled siba s'étendait au-delà du Draa, plus la configuration
géographiquechangeait. La nature désertique du lieu,l'absencede sédentarisa-
tion - ce qui fait disparaître le mode traditionnel d'appropriation ou
d'occupation - fait placea un autre mode de vie : celui des nomades, c'est le
monde des tribusTekna marocaines.
Mais plus on s'enfonce dans le désert, pluson se rapproche de l'ensemble
chinguittien et de ces grands pôles d'attraction, tel que l'Adrar, plusl'allégeance
au Sultan se diluait. pour disparaitre totalement au niveau de l'oued Saguiet el
Hamra. -

Dans le BiladChinguiti, pas de caïds, pas d'all-geanceau Sultan, pasd'impôt
royal. pas de prièreen son nom.
Toutefois la question est donc finalement de savoir ou s'arrètait le bled siba
pour faire place au Bilad Chinguiti.
Du fait du nomadisme des tribus relevant de I'un et de l'autre, il est
impossible de dire avec précisionoii commence I'un et ou finit l'autre, et la
notion de chevauchement est sans doute ici plus adéquate.
Les données defait sur ce point sont en effet contradictoires.
On a, en effet, placéou très haut (1, p. 264, et 11,appendices 16 et 20 a
l'annexe 20. p. 128-129 et 132).c'est-a-dire aTarfaya, ou trèsbas (III.p. 201)
c'est-à-dire jusqu'au Tiris. les zones de nomadisation des Tekna relevant du
sullan du Maroc. Pour notre part. la zone de l'oued Saguiet el Hamra nous
parait êtrele lieu de rencontre et de chevauchement des parcours habituels des
nomades Tekna et de ceux qui relèventdu Bilad Chinguiti.
Ces préliminaires étant fixés.et après avoir essayéde montrer a la Cour
durant les séances précédentes l'identitédu pays chinguittien du point de vue
culturel, ethnique, geographique, linguistique et juridique, il nous reste

maintenant à examiner la question de l'indépendancede cet ensemble par
rapport aux souverainetésétrangères,
A cet égard,deux types de développementnous paraissent devoir êtrefaits.
Premierernenl, l'indépendance du Bilad Chinguili par rapport à 1'Etat
musulman le plus proche, c'est-a-dire le Royaume du Maroc.
Deuxièmement, l'indépendance duBilad Chinguiti dans ses relations avec
les autres Etats étrangers,en particulier dans ses relations avec l'Espagne.
Donc première partie - si vous voulez - de ces développements:
I'itidépe~rdaitcdit~Bilad Cliit~glrilipar mppcirr ci I'Erai ~rtirs~rlt~iItrpllrs
procfie.c'est-à-direle Royairtltedri Maroc.
Pour le Gouvernement mauritanien - et sous réservede ceque nous avons
dit a propos des zones de chevauchement - l'ensemble chinguittien était
totalement indépendant du Sultan, et cecidepuistoujours et atous les points de
vue.
Le Gouvernement du Royaume du Maroc, pour les besoins de la
démonstration tendant a prouver sa souveraineté sur tout le Sahara occidenlal EXPOSEORAL DE M. YEDALl OULD CHEIKH 397

sous administration espagnole. ou du moins sur la plus grande partie de celui-
ci,a fait appela divers arguments. Ces argumentssont : la religion, I'histoire,la
protection des naufragés, les cartes géographiques, les revendications ofi-
cielles. l'affirmation d'exerciced'autorité,la défense par leSultan de l'intégrité

territoriale. la résistancedes tribus marocaines a l'occupation espagnole, les
tractations avec l'Espagne a propos d'Ifniet le traite de 1895.
Le Gouvernement mauritanien souhaiterait, en toute objectivité, etsans
souci aucun de la polémique,montrer a laCour que ces arguments n'entament
en aucune façon l'indépendance duBilad Chinguiti.

ARGUMENTRELIGIEUX

Dans l'exposé écrid tu Gouvernement du Royaume du Maroc. introduction.
page 129 (III).nous lisons que leSahara occidental « a toujours étésoumis a la
souveraineté marocaine, laquelle se fonde sur les règlesde la religion et du
droit musulman ». La mime idéea été expriméepar le Gouvernement du
Royaume du Maroc dans son exposéoral du 30 juin 1975 (ci-dessus p. 209).
Cette affirmation nous parüît devoir êtreécartéepour la partie de ce
territoire que le Gouvernement de la République islamique de Mauritanie
considère comme relevant. a l'époquede la colonisation par l'Espagne. de

l'ensemble mauritanien.
En effet. dans le BiladChinguiti. commedans le reste du monde musulman.
deux critèresessentiels déterminentl'allégeanceà un souverain :lepaiement de
I'impot légalou zokar et la mention du nom du souverain dans le prijne de la
prière du vendredi.
A cet égard.dans tout le BiladChinguiti. jamais l'impôt n'aétéprélevéou la
priere faite au nom d'un quelconque souverain du Maroc.
En ce qui concerne le premier de ces critéres,il est de notoriétépublique que
les nomades sahariens du Bilad Chinguiti avaient une répugnance certaine
pour le paiement de l'impôt qui. a leurs yeux. constituait un signe de vassalité
et d'asservissement comparable a l'esclavage.L'impôtlégal.prévupar leCoran

notamment. n'a jamais étéprélevéau nom du sultan du Maroc dans la partie
du Bilad Chinguiti actuellement sous domination espagnole. ainsi que
l'attestent entre autres le document publiéa la page IO (II), appendice 6 a
l'annexe 7. du livre III espagnol et les écritsdes historiens (voir Geneviève
Désire-Vuillemin. Contributionà l'histoiredela Mauritanie. p. 156 et 249).
En ce qui concerne le second critère. il est certes d'usage en Islam.bien que
la loi coranique n'en dise rien, que le prédicateur appelle, le vendredi, les
bénédictionsd'Allah sur le souverain régnant. II s'agit lad'une coutume qui
remonte a la périodedes califes orthodoxes. C'est ainsi que. dans les royautés
du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. l'imam faisaitle vendredi l'invocation
suivante au milieu de son prône :(<O Dieu ! Rends victorieux le roi <(Un tel »
et que l'Islam le chérisse.»

Dans I'ensemblemauritanien par contre, et dans les endroits ou la priere du
vendredi pouvait être dite.on utilisait la formule :G O Dieu ! Rends victorieux
les musulmans et que l'Islamles chérisse H.et aucun imam du BiladChinguiti
n'a jamais cite le nom du sultan du Maroc. notamment dans la priere du
vendredi.
A propos de cette dernière. il convient de préciser du reste que quatre
conditions sont nécessairespour qu'elle soit dite :

1) il doit exister un édificeappelé mosquée du vendredi >) possédant au
moins un minaret et une vaste cour intérieure ;398 SAHARA OCCIDENTAL

2) il faut la présencepermanente de douze personnes adultes, saines de corps
et d'esprit:
3) il faut une sécurité suffisantepour toute la communauté :
41 enfin, il faut qu'il y ait un imam fixe, qui est un véritablefonctionnaire du
culte.

Dans les endroits du BiladChinguili ou ces conditions étaient réunies,et ou,
par cansequent, la priere du vendredi pouvait êtrecélébrée. celle-ci nle'a
jamais été au nom d'un quelconque souverain étranger.proche ou lointain. Ces
endroits ou existaient des i(mosquées du vendredi )).répondantauxconditions
exigées,sont ainsi répartis suivant l'ordre chronologique de création de leur
mosquée.
Les plus anciennes de ces mosquées sontcelles d'Aoudaghost (ruines prèsde
Tamchakett dans l'Est mauritanien) et celle de Koumbi Salah (préfecturesde

Timbedra, toujours en Mauritanie). Azougui près d'Atar. qui datent de
l'époquealmoravide (XIC siècle).Ces mosquées sont contemporaines de la
fameuse épopéede l'émirAbou-bekr-ben-Omar.
Viennent ensuite les mosquées de :Ouadane. crééevers 1142 ; Tichit. vers
1146 ;Oualata. au XIIC siecle : Chinguiti. crééeen 1262 : Tiguernatin, en
1295 ;Atar. en 1674 :Tidjikja. en 1660 :Kaedi. vers 1800.
Quand aux autres niosquées a prône hebdomadaire. elles sont de dates plus
récentes.
II faut ajouter à cela que l'organisation de l'autoritétribale et territoriale

relevait. dans l'ensemble chiguittien, d'une tradition coutumière et ne se
trouvait nullement incluse dans le cadre étatique classiquede l'Islam.Ceci était
d'ailleurs le cas général : l'attitude des nomades vivant sur les marches des
Etats musumans sédentaires fut la mêmejusqu'a la conquêteeuropéenne.
Certes, le sentiment d'appartenance a la communauté musulmane restait vif,
mais il nejustifiait pas, aux yeux de ces nomades. la soumission ou l'allégeance
au souverain. chef de cette communauté dans lepays sédentaireleplus proche.
A ce sujet. on rappellera que l'auteur anglais Hertslet faisait observer en
1881 :

<(que [es musulnians d'Afrique et d'Asie prononcent souvent le nom du
Sultan ottoman (dans la prière) sans pour autant étredes sujets turcs et
sans qu'on puisse les considérercomme tels ».

S'agissant plus particulièrement des tribus du Sahara mauritanien, L'auteur
espagnol Francisco Quiroga notait déjà en 1887. parlant de quelques-unes
d'entre elles rencontrées lors de son expédition au Sahara occidental dit
espagnol :

((Elles vivent dans une indépendancequasi sauvage et opposée a tout
développement moral et matériel. Ellesrespectent le nom du sultan du
Maroc en sa qualitéde descendant du Prophète. mais elles rejettent avec
énergiel'idéed'arriver a étreses sujets. >)(Voir <(El Sahara occidental y
sus moradores >>,Revista de geografia cornercial. l novembre 1886-

31 janvier 1887. na 25 à 30, p. 87.)
Dans le livre intitule Fraicheurdes yeux. Miricles decheik Ma elAinin. écrit
par son fils Mohamed el Moustapha Mirebbi Rebbo. legrand cheik au cours de
son premier pèlerinage qu'il fita La Mecque. en 1275de l'hégire.soit en 1858.

s'entretient avec les pélerinsen ces termes :
<Le clreik: Les habitants de notre pays ne connaissent ni le dinar ni le
dirham. EXPOSEORAL DE M. YEDALI OULD CHEIKH 399

Les pèlerins : Comment alors faites-vous pour établir les échanges
commerciaux ?
Le cheik : Au moyen de moutons. d'étoffes, d'esclaves etautres
choses. H

Et le cheik de commenter :
((Ils furent trèsétonnes :j'ajoutai que notre pays n'avait pas de sultans

et que les gens étaientd'une droiture exemplaire. Chaque tribu obéissait a
son chef qui avait la chargedes affaires publiques. »

ARGUMENTHISTORIQUE

Dans son expose écrit. le Gouvernement du Royaume du Maroc a
longuement insiste sur l'appui que lui apporterait I'histoire.
C'est ainsi qu'à la page 132 1111)de la première partie de l'exposéécritdu
Gouvernement du Royaume du Maroc, on relève :le((Sahara occiderital. dont
toute l'histoire appartient a celle du Maroc n.
Dans la deuxième partie. page 170 :

(<L'histoire intérieure du Royaume du Maroc démontre l'indiscutable
solidaritéde destin entre les hommes qui se répartissent duRifa la région
du cap Blanc et leur acceptation commune d'une mêmesouveraineté.
celle du Sultan. »

Ceci est ensuite longuement développé.
Incidemment, le Gouvernement espagnol, pour sa part. confond assez
facilement son intéréthistorique pour le Sahara occidental et ses droits sur
celle-ci. alors que le seul établissement espagnol sur la cote du Sahara
occidental. avant 1884. était la tour de Santa Cruz de Mar Pequefia,
abandonnée au XVICsiècle, etque I'onsitue habituellement a Puerto Cansado,
sur le 28" parallèle,soit entre cap Juby et le fleuveChebika.
En cequi concerne lesactivitésdu sultan duMaroc au cours des sièclesdans

le pays chinguittien. elles ont toujours ététréslimitées. Si elles ont existé.on
constate qu'ily a eu. de la meme manière.desinvasions sud-nord dont le Bilad
Chinguiti prenait I'initiative.
Ainsi. si I'onprend comme point de départle XICsiècle,nous avons l'épopée
de la dynastie almoravide qui vient du sud et qui prendra fin au XIIc siècle.
Lorsque les Almohades lui succèdent au milieu du XIIe siecle. ils assurent la
protection de leur flanc sud en s'emparant du Tafilalet, de l'Anti-Atlas et du
Draa. Mais ils s'arrëtent la.
Les Mérinidesqui substituent leur autoritéàcelle des Almohades. du milieu
du XllIe siècle au début du XVlc siècle. n'en feront pas davantage. Ils

s'attachent à arréter l'avance des tribus arabes Maaquil qui cherchaient a
s'infiltrer au Maroc ;ces derniers s'orienteront. a partir du XIIle sikle. vers le
BiladChinguiti.
Au second quart du XVIC siècle, l'arrivée aupouvoir des Saadiens,
originaires du Draa, va modifier leschoses. Cette dynastie est attirée versle sud
et tentera d'établirson hégémoniesur le Sahara. En 1591, le sultan Ahmed el
Mansour lança sa célèbre expédition sur Gao et Tombouclou. Cette expédition
du sultan El Mansour a pris I'itirierairesuivant :Tindouf, Taghazza. Taoudeni.
itinérairequi devait contourner. au nord et a l'est,l'ensemble mauritanien.
Cette expéditionne passe donc pas, a fortiori.au Saharasous administration
espagnole.- 400 SAHARA OCCIDENTAL

Cette domination marocaine sur le Songhay (Mali) n'affecteen rien le statut
ses territoires sahariens. Elle prend fin sous sa forme directe avec la mort d'El
Mansour en 1603. En réalité,cette domination n'aura duré que quatre ans.
facea des sièclesd'histoire.
Un regain de puissance du Sultan apparait avec la dynastie alaouite. des
1670. et notamment pendant le régne dusultan Moulay Ismaïl (1672-1727).
C'est ainsi qu'en 1678 Moulay Ismaïl fait une expédition a Chinguiti, dans
l'Adrar, etaTichit, dans le Tagant.a la poursuite de révoltésvenus du nord.
dont son propre frère El Harrane. II revient de cette expédition avec deux
millesesclaves destinésa enrichir son arméeet établirson pouvoir dans leSud
marocain(voir ALlstiqsa de Nassiri.2'éd..t. 5. 1956, p53 et 54et p. 57et 58).
C'es1 a cette période que se situe le fait souvent cité dans les sources
marocaines. L'émirdii Trarza, Ali Chandora, qui régna de 1703 a 1727, se

rendit au Maroc et reçut l'appui de Moulay Ismaïl dans sa lulte contre les
Brakna ;mais ce lien demeura purement personnel et disparut a la mort d'Ali
Chandora.
Les historiens sont d'accord pour reconnaître qu'aux alentours de la seconde
moitié duXVIIICsiècle, laconfédération desTekna, près de l'embouchure du
Draa, échappait elle-même en partie au contrôle du Sultan. Le sud, a son tour,
s'étaitdésagrégé en diverses principautés:oued Noun. Tazeroualt, etc. (voir
Trout, p. 143).
Le Gouvernement espagnol envoya sans suc& au Maroc. en 1765, une
mission dirigée par Ciron et. en 1766, l'ambassadeur Jorge Juan, pour
demander l'aidedu Sultan dans le Sahara face a L'indisciplinedes tribus sur la
clite faisant face aux Canaries(cf. Duro. « Los derechos de Espana en la Costa
del Sahara »,B.S.G.M.. 1886. p. 54). En réponse, le Sultan affirmait n'avoir
aucune autoritésur cette régionet sur les tribus qui l'habitent.

L'audience, suspendue B I 1h 15,est reprise ùIIh 35

Nous n'entrerons pas ici dans la controverse relative a la signification qu'il
convient d'apportera la lettredu sultan Mohamed BenAbdallah Ben Ismaël au
roi d'Espagne Carlos III du28 mai 1767 (II,p. 8-9. appendice2 al'annexe 7),
ni a l'article18 du traitéde paix entre le roi d'EspagneCarlos III et le sultan du
Maroc du 28 mai 1767. ni encore a l'articl22 du traite de paix entre Carlos IX
et Moulay Soliman du IC T ars 1799.
Le Gouvernement mauritanien a. lui aussi, fait vérifierles textes originaux
arabes et aboutit a la conclusion que le texteespagnol n'a pas le mèrnesens que
letexte arabe. Letexte arabe est apparemment plusvague, mais lestextes arabe
etespagnol de 1767 et de 1799 elant égalementauthentiques. on pourrait. bien
sùr. s'engager dans une longue controverse.
A notre sens, cette controverse est inutile, car ces textes, comme ceux qui les
ont suivis, notamment le traitéGrande-Bretagne-Maroc du 9 décembre 1856,
articles 2 et53. le traitéentre l'Espagneetle Maroc du 20 novembre 1 861 .
article 38. tout en admettant que l'oued Noun tombait sous la souverainetédu
Sultan, limitaient l'engagement du souverain a user de son autorité dans la
mesure du possible, ce qui revenait a dire qu'ily avait la une simple obligation

de moyens et non pas de résultatauprès des tribus locales. dont il n'étaitpas
sûr. du reste, qu'ellesseraient consentantes.
Conclure de tousces traitésqui parlent decôtesde l'ouedNoun (III. p. 194
et suiv.) que lesEtats cocontractants du Maroc admettaient la souveraineté
marocaine sur tout le Sahara occidental. constitue, à notre avis. une trop EXPOSEORAL DE M. YEDALIOULD CHEIKH 401

grande sollicitation des textes et dénote une connaissance incomplète de la
région. Lescôtes de l'oued Noun ne constituent pas. en effet, les cbtes du
Sahara occidental. encore moins la totalitédu territoire sous administration
espagnole.

Lorsque le ministre d'Etat espagnol écrit,le 4 avril 1863. a l'ambassade de
Tanger. il ne dit pas. comme cela est rapporté dans l'exposé écritdu
Gouvernement du Royaume du Maroc, que neuf matelots <ont étécapturés
sur le littoral marocain a plus de 180 milles au sud du cap Noun », mais il
signale que les matelots ont étéfaits prisonniers ou, pour mieux dire, sont
captifs par les Maures de la cote frontière ». II n'est pas question, donc. de
reconnaitre qu'il s'agitdu littoral marocain !
La même observationpeut s'appliquer a i'interprétationtiréede I'article 18
du traitédu 28 mai 1767.
L'exposé&rit du Gouvernementdu Royaume du Maroc(II1. p. 195)déclare
que :

<<l'article 18 de ce traitéporte sur l'oued Noun et au-delà, ce qui indique
bien l'applicationde cet article au Riode Oro, d'autant plus que la seconde
partie de I'article 18précis: «En ce qui concerne la &te d'Agadirjusqu'a
la régionou résident lesArabes nomades, elle est sous l'autoritéde Sa
Majestéimpérialequi autorise les habitants des Canaries a y pêcher. n

La traduction exacte de la seconde partie de I'articleest, en fait. la suiva:te
« Par contre, ce qui se trouve depuis la c~te d'Agadir jusqu'au Gharb
est sous notre autorité et Sa Majesté(que Dieu la fortifie) autorise les

habitants des Canaries a pêchersur la côte d'Agadir et les exempte de
droits.>b
Or, la régionde Gharb est situéeau nord et non pas au sud d'Agadir.
L'exposé écrid tu Gouvernement du Royaume du Maroc a cru devoir tirer

de cet article la conclusion suivante:
<<L'Espagne savait de longue date que le sultan du Maroc étaitle seul
maître authentique de la terre saharienne comme le montre notamment le
traitéqu'elleavait conclu avec lui le 28 mai 1767 ! )>

Cette conclusiori nous semble difficilement acceptable, car l'expression«au-
delà >>en question n'est pasausud de Noun, mais au nord. comme le démontre
la traduction que nousavons donnée. Même s'ils'agissaitd'unezone s'étendant
vers le sud. I'article 18 ne saurait viser tout le Sahara occidental dit espagnol,
tout d'abord parce qu'au sud de I'oued Noun on n'est pas encore dans ce
Sahara a proprement parler, mais dans lepréSahara géographique. Dans cette
région. certes, des autonomies locales ont su se créer. des cheiks ont pu se
comporter avec une certaine indépendance, maisl'influencemarocaine s'yest

toujours exercéepar l'intermédiaire destribus Tekna. Cependant, ce1état de
fait ne concerne qu'une zone liniitee dans l'espace etqui correspond a ce que
nous avons déjàétudiésous le nom de bled siba marocain. Ensuite, dire que
I'article 18établitla preuve de la souverainetédu sultan du Maroc sur tout le
Sahara nous semble êtrecontredit par un certain nombre d'éléments :
1) l'effortconstant sous forme d'expéditionsmultiples. notamment en 1864,
1882 et 1886. expéditions entreprises par les diffërents sultans du Maroc pour

asseoir leur autorité dans ces régions.IIconvient de noter a cet égardque les
plus réussiesde ces expéditions n'ontpas dépasséle parallèled'Agadir ;
2) latraduction de I'article18donnée parleGouvernement du Royaumedu
Maroc, a supposer qu'elle soit la bonne, dit de manière expresse :« ce qui est402 SAHARA OCCIDENTAL

sous l'autoritédu Sultan est de la c6ted'Agadirjusqu'à la régionou résidentles
Arabes nomades ».autrement dit. l'autoritédu Sultan s'exerceseulement dans
une régioncomprise entre la cote d'Agadir etla régionou résidentles Arabes
nomades. ce qui exclut. par conséquent. la partiedu Sahara occidental dit
espagnol relevantde l'ensemblechinguittien. Enfin, le récitdes voyageurs, des
géographesde l'époque limitait déjala souverainetémarocaine a une étendue

qui est sensiblement ptus réduite (vosur ce point Camille Douls,<<El Sahara
occidental )>B.S.G.M., XXIII, nB 3et 6, 1887. p. 145et 157.et voir encore ce
qu'écrit Ceneviéve Désiré-Vuillemindans Contribution a l'hisroire de la
Mau ritanie).
Comme on le voit, ni le traité de1767. ni les résultats des expéditions des
sultans du Maroc. ni les récitsdes voyageurs et des géographesde l'époquene
permettaient. a notre avis. d'affirmer que le<(Sultan du Maroc étaitle seul
maître authentique de toute la terre saharienne >>. Des lors. possesseur
immémorial,le Maroc peut. certes, l'être.mais dans une régionrelativement
bien défjniequi s'éteiidcomme nous l'avons déjidit dans notre expose écrit.
jusqu'a la zone de I'ouedSaguiet el Hamra.

ARGUMENT DE LA PROTEflION DES NAUFRAGES

Selon l'exposé écrditu Gouvernement du Maroc. des traitéspassésentre le

Sultan et les pays étrangers concernant les naufragés confirment « la
souveraineté ,du Sultan au Sahara occidental, l'institue[nt] protecteur de
naufrages ...échouessur les rivages de I'ouedNoun et au-delà )>(III,p.14 1).
Toujours selon le gouvernement frère du Royaume du Maroc, la pratique
des chancelleriesconfirmerait ce fait.
De notre point de vue, plusieurs remarques peuvent êtrefaitesa cet égard.
Premièrement. nous nous trouvons une fois de plus devant une certaine
confusion géographiqueque nous avons déjarelevée.En fait.aucun des traités
passes au cours des XVIlt-XIXCsiècles ne descendau-dela des environs de
I'oued Noun. Si cela avait étéla volonté duSultan. conforme a l'intérêt des
étrangers.on aurait mentionné deslieux bien connus a l'époque, plusau sud.
comme Tarfaya par exemple. Le fait que cela n'a pas étéfait nous semble
symptomatique.
Céstainsi que le traitéMaroc-Etats-Unis des 23 et 28 juin 1876 (111,an-
nexe 25, p: 225) parle des « côtes de I'ouedNoun ou des côtes voisines ». de

mêmeque le traitéEspagne-Maroc du ICrmars 1799. article 22 (annexe 26.
p. 228).Le traitéEtats-Unis-Maroc du 17 octobre 1836 (annexe 27. p. 230)
parle du « rivage de I'ouedNoun ou sur les côtes voisines)>L'accordGrande-
Bretagne-Maroc du 9 décembre 1856 se réfère a (l'oued Noun ou sur une
partie quelconque des côtes » (annexe 28, p. 239). Le traité du 10 novembre
1861.article 38, utilise l'expression« sur le rivoueen tout autre point desa
côte P.
La portée de ces traités ne peut donc, en aucun cas. de l'avis du
Gouvernement mauritanien. êtreconsidérée comme une reconnaissance de la
souverainetédu Sultan sur tout le Sahara occidental dit espagnol.
L'annexe 9fournie par leGouvernement du Royaume du Maroc. datéedu
6 juin 1886 et par laquelle il est stipuléque « tout ressortissant espagnol qui
atterrit dans lescôtes du Sous est seul responsable du danger qu'ilcou>>(III.
p. 210)reste dans les mêmeslimites géographiques.

Deuxièmement.danstous ces traités,leSultan seborne a fairetoutce qui est
en son pouvoir ou tout ce qu'il luisera possible de faire. pour sauver les EXPOSEORAL DE M. YEDALl OULD CHEIKH 403

naufrages dans ces parages. Voir les traités entre le Maroc et la Grande-
Bretagne du 8 avril 1791 et du 14 juin 1801 ; le traitéentre le Maroc et les
Etats-Unis du 16 septembre 1836 ; le traité entre le Maroc et la Grande-
Bretagne du 9 décembre 1856 et le traite entre le Maroc et l'Espagne du
20 novembre 1861.
Les exemples rapportés par leGouvernement du Maroc concernent. dans la
plupart des cas, l'oued Noun. Ainsi la réclamation de l'ambassadeur Salinas,
citéeau mémoire, premiere partie, page 141(III).ne se rapportait pasa tout le
Sahara dit espagnol mais aux parages de l'oued Noun.
L'affairede laEsmeralda.le4 avril 1863. est leseul cas qui soit en dehors du

Noun, a 180 milles au sud du Noun, soit a El Cabiiio entre lecapJuby et lecap
Bojador.
Il ne faut cependant pas oublier que les demandes faites au sultan du Maroc
d'aider à retrouver les naufragés n'impliquent pas nécessairementla recon-
naissance de sa souverainetésur tout le Sahara occidental dit espagnol. IIs'agit
plutôt d'uneaide. d'une coopérationamicale ornertepar le voisin le plus proche
du Bilad Chinguiti.
Lorsque les naufragés étaientàl'autrebout du Sahara. au nord du cap Blanc.
c'est aux autorités françaises que l'on faisait appel. avant l'implantation espa-
gnole. Voir la note du 6 avril 1885 de l'ambassade de la République française
en Espagne au ministre d'Etat qui dit :
« Le cabinet de Madrid lui-mêmea réclamé.en 1878. le concours des

autorités de Saint-Louis pour faire rechercher, dans les mêmes parages.
des matelots espagnols tombés entre les mains des indigènes. » (II,
appendice 2 al'annexe C.1, p.3 17.)

ARGUMEN TARTOGRAPHIQUE

L'exposéécrit du Gouvernement du Royaume du Maroc. dans sa premiere
partie, page 133(III),déclareque la carte de P. Vuillot de juillet 1<<fixe les
limites méridionalesdu Maroc iila hauteur du cap Blanc ». L'argument du
Gouvernement du Maroc tient au fait qu'a hauteur du cap Blanc apparaissent
cinq petites croix indicatives de frontieres d'Etat et,commen'y a pas d'autres
croix entre le Maroc et le cap Blanc, tout le territoire serait marocain.
Diverses remarques nous paraissent devoir étre faites a ce propos :
M. Vuillot, de la Sociétéde géographiede Paris, n'ajamais étéau Sahara et
s'est contenté de faire une compilation des travaux des explorateurs Panel.
Soleillet et Léon Fabert qui. pourtant. ne mentionnent pas dans leurs écrits
l'existence d'une quelconque autorité marocaine dans la zone du Sahara dit

espagnol qui fait partie de l'ensemble chinguittien.
En deuxième lieu. la carte en question donne peu de frontieres:le début de
la frontière algéro-marocaine. la frontiere algéro-tunisienne jusqu'a Berrosof.
la frontiéreentre la Tunisie et la Tripolitaine n'est, quaatelle. dessinéeque
jusqu'a Gadames.
Si l'on devait suivre le raisonnement de l'exposéécritdu Gouvernement du
Royaume du Maroc. les frontieres du Royaume du Maroc ne s'arrétsnt. des
lors, que la ou ily a des signes frontieres sur la carte de Vuillot. force serait de
considérercomme marocaines, en 1894,de vastes régionsafricaines.
Troisièmement, en fait lestrois petites croix en question correspondent, ainsi
que chacun le sait, au début des négociations françaises sur'les limites des
possessions françaiseset espagnoles prèsdu cap Blanc. Toutes les autres cartes404 SAHARA OCCIDENTAL

de l'époquele confirment qui. habituellement, indiquent au cap Bianc la limite
franco-espagnole et lesrontiéresdu Royaume du Maroc bien plus au nord.

ARGUMEN TES REVENDICATIONSOFFICIELLES DE SOUVERAINETE DU SULTAN
SUR LE SUD DU SAHAR A CCIDENTAL ET EN PARTICULIER SUR LE Rio DE ORO
Dans son exposéécrit,le Gouvernement du Royaume du Maroc affirme, a
plusieurs reprises. que la souverainedu Royaume du Maroc sëtendait en

particulier au Rio de Oro. Quoique depuis le Gouvernement du Royaume du
Maroc ait,a plusieurs reprises, limité laportéegéographiquede ses arguments
a la partie nord du Sahara occidental sous administration espagnole, toute
ambiguïténe nous parait pas avoirtélevéepour autant, puisqu'ia encore été
fait allusioa Villa Cisneros. Dakhla. voire le cap Blanc, dans les exposés
oraux du Gouvernement frèredu Royaume du Maroc.
Force est donc de se pencher sur l'argumentation avancée. Cetteargumen-
tation a pris en fait deux formes :affirmations généralesde souveraineté
sur toutelarégionet contestations du titre espagnol sur le Rio de Oro.
Examinons tout d'abord le premier point. lesaffirmations généralesrelatives
a la souveraineté (111.annexes 9-9 bis. p. 210-2 11).A une question de
l'ambassadeur d'Espagnesur les frontièresdu Maroc du côtédu Sous ou du
Draa - l'Espagnepossédantdéjàle pays dit Wadi Ed Dahab. en arabe. Rio de
Oro. en espagnol. et souhaitant qu'aucun étranger ne vienne s'installerentre les
deux nations -.leSultan répond,le 6juin t886.que les frontières du territoire
sur lequel il exerce sa souverainetésontL'Egypted'un chté.le Soudan d'un
autre et Maghnia d'autre part»Cette premiéreréponsenous semble se passer
de commentaires.
Il ajout:

« Pour ce qui est de Wadi Ed Dahab, cette question a étéposéeaux
habitants de cette région.II en ressort que territoire se situe dans la
régiondes Ouled Delim et de la tribu Arroussiyine qui sont nos sujets.
installésdans les régionsde Marrakech et deFès. Ils le dénommentEd
Dakhla. » (lbid.et p. 145.)
Cette seconde réponseesttrès intéressante,car elle révèleen ftatmême
méconnaissancedéjàsignaléede la régionconsidéréed , e la part du makhzen.

En effet. d'une part, le Sultan doit se renseignerès des tribus installéesa
Marrakech pour savoir de quoi il s'agit. Il faut remarquer d'ailleurs qu'ils'agit
d'une fractiondes Ouled Delim, installéedepuis longtemps au Marocet qui se
souvient du nom de son pays d'origine Ed Dakhla. Villa Cisneros.
D'autre part, Wadi Ed Dahab est un terme qui n'existe pas dans la
toponymie locale de l'ensemblechinguittien:c'estune traduction en arabe de
Rio de Oro.
On remarquera enfinque la réponsedu Sultan ne conteste pas la présence
espagnole a Rio de Oro.
Annexe64, documm!du 4juillet 1886 (III.p. 331-332).11s'agitd'une lettre
adresséea sir J. D. Hay par le vizir Sid Emfadl Garneet. Le premier avait
interrogéle Sultan au sujet de la destruction, par des troupes répondant aux
ordres chérifiens. des entrepôts britanniques de Tarfaya(a cap Juby), en
souligant que Tarfaya étaithors des possessions du Gouvernement marocain.
Le vizir réponditque les Ait Jamel de Tekna. de Tarfaya. et d'autres tribus
avaient fait allégeanceau Sultan pendant son voyage dans le Sous.
LeSultan, danssa réponse.préciseque ceux qui résidenten d'autres endroits
sur la côte qu'a Dakhla. Shawia et Gharb pour y commercer sont des EXPOSE ORAL DE M. YEDALI OULD CHEIKH 405

contrebandiers. IIest important de noter que ces trois lieux sont situes au nord
de Tarfaya :Dakhla ou pays des Dekkala est dans la région de hlogador.
Shawia dans celle de Casablanca et Gharb dans celle de Rabat.
Ces régionssont incontestablement marocaines et n'ont rien a voir avec La
partie di Sahara sous administration espagnole qui fait partie du Bilad
Chinguiti.
Annexe 65. document du 26 février 1889(111, p.333-3251. 11s'agitencore
d'une lettre du grand vizir a Kirly Green au sujet des événemena~arfaya. Le
grand vizir affirme que cette région estmarocaine puisqu'elle est occupéepar
les Ait Jamal de Tekna qui firent allégeanceau mar r o ci.les Anglais
reprochent au Sultan de ne pas avoir signifiéaux puissances l'extension de son
Royaume au sud du Draa. Le Sultan répond qu'il possèdedes lettres de
félicitations(probablement consécutives a l'expédition de1886) et qu'il a

délivré des Allemandsau sud du Draa.
Tout ceci parait limité,a notre avis, a la partie Tekna du Sahara occidental
dit espagnol ou s'exerce.comme nous l'avonsdéjàdit. l'influence dusultan du
Maroc.
Annexe 63. document du 2 mai 1889 (III, p. 329-330. et exposé écrit.
première partie. page 146).
IIs'agit d'une lettre du grand vizir au représentant britannique Herbert
White qui mentionne notamment ce qui suit:
O En ce qui concerne le Rio de Oro. le Gouvernement marocain ne
reste pas silencieux a ce propos avec le Gouvernement espagnol. Les
Espagnols avaient ouvert certaines négociationssur la question et avaient
demandé une délimitationde la frontière et une réponsefut donnée. Les
tribus vivant la-bas sont connues publiquement comme donnant

allégeance au Gouvernement marocain et sont soumises a leur
gouverneur. Le Gouvernement avait l'intention de leur envoyer l'aidede
sa garde «Gaish )pour les protéger.»
II n'y a jamais eua notre avis. de gouverneur du Maroc au Rio de Oro. ni
allégeancequelconque. Quant aux intentions du Gouvernement du Royaume
du Maroc. elles ne furent apparemment pas suivies, dans ce cas,de réalisation.
La même lettre fait allusion au fait que le Gouvernement marocain
revendique la souveraineté au Rio de Oro et y a envoyédes troupes pour en
chasser les Espagnols. Encore une fois. aucune preuve de ce fait n'estrapportée
par l'histoire de la région.
Annexes 10 et 12, documents du 24 janvier 1908 et du II mars 1909 (111,

p. 211et 21 3)et exposé écrit.première partie, p. 145.
II s'agit de réponses faites par le Sultandes questions de l'ambassadeur
d'Espagne a propos de l'établissementdes limites entre le Maroc et le Rio de
Oro. que l'exposéécritdu Gouvernement du Royaume de Maroc intitule « le
point qu'a l'Espagne a Wadi Ed Dahab. a l'extrémitédu Sahara du Sous »(en
1908) et « la colonie relevant de l'Espagne. sise a proximitéde Tarfa>).
Dans lesdeux cas, LeSultann'apas répondu a ces queslions mais les intitules
mêmes choisis a ce propos sont indicatifs de la méconnaissancepale rnakhzen
du lieu ou se trouve leRio de Oro puisqu'ilest situe tantôt àl'extrédu Sous
tantôt près de Tarfaya.

Contesta~ion des traif6s signk enfre /'Espagne et les tribus rekvant de
l'ctisenrblenrauritatlietr
Rappelonstout d'abord ici que la validitédes titres fondéssur ces traites n'est
pas poséeen droit devant la Cour et n'a pas a étre tranchéepar elle. Si nous406 SAHARA OCCIDENTAL

abordons la question, c'est parce que, par des arguments y faisant allusion, le
Gouvernement du Royaume du Maroc entendait prouver sa propre souve-
rainetésur Iénsemble du Sahara occidental dit espagnol. Nous devons donc
examiner ces arguments.
Pour démontrer la non-validitéde cestraites, leGouvernement du Royaume
du Maroc invoque plusieurs motifs :

Les Espagnols auraient demandél'autorisation du Sultan pour s'installer au
Sahara occidental dit espagnol pour y obtenir cession d'un point fort (III,
p. 140).Cette affirmation n'estnullement documentéeet l'histoirediplomatique
n'en a jamais faiétat.
En ce qui concerne le traitéBonelli du 28 novembre 1884, il est considéré
comme ne répondant pas aux conditions de validitérequises. Ce point de vue.
déjàexprimé dans l'expose écritdu Gouvernement du Royaume du Maroc
(111.p. 1441,a étéréailïrméet developpe dans l'exposeoral (ci-dessus p. 280).
Cette afirmation du Gouvernement du Royaume du Maroc repose sur un
certain nombre d'arguments que nous voudrions reprendre :

1) Le texte de ce traité estrédigé enespagnol et datéen grégorien.
A ce qu'on sache, le droit international n'a jamais interdit de rédigerdes
traites en espagnol et de les dater en grégorien,et sientendait par laque les
tribus signataires ne savaient pas ce qu'elles signaient. il aurait falnotre
avis. le prouver d'une autre façon, plus adéquate.

2) Le traitéBoneHiest définicomme tendant a « l'autorisation deconstruire un
bâtiment pour y exercer son commerce D, alors qu'il s'agit d'un traité
elablissant le protectorat qui a été reconnupar les puissances coloniales de
l'époque.
3) L'absenced'occupation par l'Espagne faisaitque 1e traitene répondait pas
aux exigences posées par l'acte généralde la conférence de Berlin du
26 février1885.

On peut facilement répondre a cela que les Etats tiers garants de
l'interprétationdudit acte généraln'ont fait aucune objection a l'occupation
espagnole dont les conditions précaires étaient connues. L'occupation
correspondait aux techniques coloniales de l'époque etau droit créepar les
puissances coloniales elles-mkmes. La nature du terrain rend d'ailleurs ici
particulièrement applicable la règle de la Cour permanente de Justice
internationale dégagéedans I'alTairedu Croënlund oriental.

41 Le fait que te traitéBonelli ne toucherait que le point appeléNouadhibou.
situé actuellementen territoire de la République islamiquede Mauritanie 'et
pas au Sahara occidental dit espagnol (expose oral marocain. ci-dessus
p. 280).
IIconvient tout d'abord de relever le caractère géographiquement assez peu
ertinent de cet argument. En effet. le traite parle de Uadibee au cap Blanc
Pcf.Nouadhibou, dans l'indexde l'exposeécritdu Gouvernement mauritanien,
III,p. 120). Les Oulad Bou Sba avaient une influence qui dépassait large-
ment Nouadhibou (III,exposékrit mauritanien. p.80-8 ).En outre et de toute

façon. Nouadhibou n'était,avant l'arrivée deBonelli. ni français ni espagnol.
maisune régiondu pays chinguiti.Ce n'estque par le traite de 1900que la pénin-
sule de Nouadhibou (presqu'île du cap Blanc) sera diviséedans le sens de
talongueur entre l'Espagne et la France. Dire que Nouadhibou est en dehors EXPOSE RA1 DE M. YEDALI OULD CHEIKH 407

du Rio de Oro au moment de la signature du traitéde Bonelli en 1884 est a la
fois. selon nous. un anachronisme et une erreur historique évidente.
Quant a I'aflirniation selon laquelle lesOulad Bou Sba. qui ont signéle traite
Bonelli (comme ils ont d'ailleurs signécelui d'ldjil). seraient marocains. nous

avons explique dans notre exposé écritque les Oulad Bou Sba. du moins que
les Oulad Bou Sba dont il s'agit ici,sont une communauté tout à fait distincte
de celle qui se trouve établie au Maroc entre le Hawz de Marrakech et
Mogador et dont le caractère n'est nullement nomade puisqu'il s'agit de
paysans sédentaires.
Les deux traités d'ldjil sont a leur tour exécutésde la manière lapidaire
suivante dans l'exposé écrit du Gouvernement du Royaume du Maroc :

<<L'accord passépar trois explorateurs espagnols avec des représen-
tants de l'émirde l'Adrar te 12juillet 1886 et qui concernait l'hinterland
ne pouvait rien changer ala situation de fait n'ayant de toute façonjamais
étésuivi d'effectivite» (III, p. 144. Voir aussi l'exposeoral marocain, ci-
dessus p. 281 .)
Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit dans notre propre exposé

écritsur ces traites (III, 54-56).
S'il est contestable que ces traités aient étésuffisants comine titre
d'acquisition de souveraineté. car ils ne furent ni ratifies par l'Espagne ni
communiqués aux puissances. ils conservent pour nous tout leur intérêp tour
montrer que la partie du territoire en question qui relève de l'ensemble
mauritanien n'étaitpas resrtulliuset que lesouverain de ces terres n'étaitpas le
sultan du Marac mais les tribus mauritaniennes. Elles seules pouvaient en
disposer. A cet égard.la compétence destribus mauritaniennes ne fut jamais
contestéeet nous renvoyons a l'annexe XI de notre propre exposé écrit(III,
p. 114-116).
Le protectorat établipar I'Espagnesur le Rio deOro séstfait aussi bien dans
les relations avec les tribus quedans les relationsavec les puissances. sans la
moindre intervention du Royaume du Maroc. Cette idée n'étaitvenue a
personne. Le Royaume du Maroc aurait proteste contre l'installation de

l'Espagne au Rio de Oro et l'exposeécritdit textuellement (III,p. 159) : Des
que le Sultan a étéinformé del'installation d'Espagnols sur un point de la c8te
de Dakhla. il adresse une protestation au Gouvernement de Madrid. ))
II aurait été utile,à notre avis. qu'un document de cette nature soit
communique àlaCour et que l'onne secontente pas a son propos d'une simple
note en bas de page avec l'indication sommaire suivante :« 29 février 1884,
Doc. Oficiales del Ejercito, Possessions espagnoles de lwrique occidentale.
Madrid. 1900. p. 68 >>.Ceci ne peut en tout cas concerner l'expéditionde
Bonelli qui se situe en novembre de la même année.
L'exposé écridtu Gouvernement du Royaume du Maroc fait allusion dans le
mêmecontextea une protestation du Sultan du 18 mai 1886contre les menées
de certaines puissances européennes et en particulier de l'Espagne au Sahara.
En fait.ce document est une protestation faisant suite au débarquement d'un
bateau allemand dans l'oued Noun : la protestation est datéedu 16 niai 1886
(III, annexe 119, p. 409) etse réfèrespécifiquementaux côtes de l'oued Noun

sans faire la moindre mention de I'Espagne etrapporte une citation :
«,Sa Majestéa été informée que certains navires de certaines nations
sont venus ces temps derniers sur Lescôtes de I'«oued Noun n.chargés de
diverses marchandises, avec l'intention d'opérer des transactionscommer-
ciales avec les habitants de ces régions»408 SAHARA OCCIDENTAL

Ceci n'a rien a voir. selon nous, avecune protestation contre l'établissement
du protectorat espagnol sur leRio deOro, que I'exposéespagnol nie en tout cas

formellement (1,p. 288,par. 6).
Enfin. l'exposéécrit du Gouvernement du Royaume du Maroc. première
partie, page 146(111).estime que « le voyage effectue[en 18861par leSouverain
dans le sud. est égalementdirigécontre les convoitises espagnoles sur la cote
marocaine du cap Blanc >).n se bornera a rappeler a cesujet que leSultan'a
pas dépasséGoulimine et que le but essentiel étaitde ramener le Sous et
Tazeroualt sous son autorité. voire d'essayer de supprimer l'établissementde
Mackenzie a Tarfaya (cf. Miège.livre 3. p. 353-354).

ARGUMENT DE L'EXERCICE DE L'AUTORITÉ DU SULTAN
DANS TOUT LE SAHARA OCCIDENTAL DIT ESPAGNOL

A propos de cet argument l'exposéécrit duGouvernement du Royaume du
Maroc fait état.d'une maniére généraled .'un exercice continu d'autoritédans
l'ensemble du Sahara occidental dit espagnol (cf. IIIp. 130) :« ce territoire
était placé ... sous une autorité effective et celle-ci était la souveraineté
marocaine. n
Plus précisément.l'exposeécrit duGouvernement du Royaume du Maroc
invoque un certain nombre d'arguments. des affirmations d'autorité de
gouverneurs. la nomination de caïds par dahirs. des actes législatifs ou

exécutifs sous forme de dahirs, des actes d'allégeance et l'exercice de la
police.
Encore une fois. ces affirmations posent a la République islamique de
Mauritanie des problèmes par leur caractère non limitégéographiquement et
par le fait qu'il en résulteque cette autorités'etendait a l'ensemble du Sahara
occidental dit espagnol. c'est-à-direausaune partie du BiladChinguiti. alors
que la seule zone Tekiia. incontestablement d'obédiencemarocaine. nous parait
être concernée.
Examinons donc successivement ces arguments en ce qu'ils intéressent la
partie du BiladChinguiti correspondanta la zone sud du territoire actuellement
sous administration espagnole.

Affimations d'atlrori~degouvernetirs (III. p. 182:

Le gouverneur [de Marrakech] exerce son commandement, par I'intermé-
diaire des tribus de la Saguiet el Hamra, jusqu'a la hauteur du cap BlaOc.
La justification donnée A cette affirmation est une citation de A. C. P.
Martin. disant que la Saguiet el Hamra joue un rOlede pédonculepolitique.
rattachant a l'Islam maghrébin les musulmans de tout le Sahara sud-
occidental >).
L'exposeécritdu Gouvernement du Royaume du Maroc ajoute que le même
auteur insistea propos de la Saguiet sur sa profonde «communauté de vie
politique avec l'Empire chérifie>>.
Le Gouvernement mauritanien. qui a reconnu dans son exposé écrit et
jusqu'à présentdans sesexposésoraux qu'en effet. au nord de l'ouedSaguietet

Hamra. commence une régionou l'influence marocaine se fait sentir. n'en est
que plus a l'aise pour dire que c'est là une curieuse manière de prouver
l'existence d'un gouverneur marocain au cap Blanc. dont il est inutile de
souligner du reste queA. C. P. Martin ne dit mot.
Les gouverneurs, dans la meilleure hypothèse, concernaient le Noun ou le
cap Juby (Ili,annexe 105, p.389). EXPOSE ORAL DE hl. YEDALl OULD CHEIKH

Nominations de caïds par dahirs

A la page 184 (III).deuxième partie, de son exposéécrit,le Gouvernement
du Royaume du Maroc affirme la souveraineté du Sultan sur l'ensemble du
Sahara occidental dit espagnol du fait de divers dahirs nommant des caïds.
Les documents présentés (III,p. 206-2091 ne nous retiendront pas trop
longtemps. Les annexes 7 et 8 mentionnent spécifiquementl'oued Noun :les
annexes 2. 3, 4. 6 et7 concernent toutes expressément les tribus Tekna ou les
membres de cette confédération dont nous avons reconnu le caractére
marocain. L'annexe 5 est relative aux Izerguines et I'annexe 4 concerne les
Tidrarins et visent toutes deux les branches de ces tribus dans la zone des
Tekna. L'annexe l nous parait relativement vague pour qu'on ait pu en tirer
une conclusion et il en est de mémede I'annexe 185(p. 485).

A la suite de ces campagnesde 1882 et 1886, dans les régionsd'Agadir etde
Goulimine, le sultan Moulay Hassan donne l'investiture a des caïds locaux, et
notamment a Dahman Beyrouk, caïd de l'oued Noun. et a celui de Tazeroualt
et des Ait Oussa. Rien de tout ceci ne concerne donc l'ensemble mauritanien.
En ce qui concerne lesactes législatifsou exécrctfisousforme de dahirs (III.
p. 358-3631,et notamment l'annexe 84 du 3 juin 1931, il s'agit de la nomi-
nation d'uncaïd de la hrigade des forcesde garde au Sahara, sansautre précision.
Le fait que la solde soit en pesetas ne nous semble pas avoir une signification
précise.Le terme Sahara utilisénous paraît encore moins précis.
Annexe 85 du 18 avril 1934 : il s'agit d'un crédit en pesetas pour
l'acquisition de chameaux pour les troupes de police du Sahara, sans autre
précision.
Les annexes 86 et 87 de 1934 du haut-commissaire d'Espagne au Maroc
concernant Villa Cisneros et la Güera. Ces documents ne sont pas sous forme
de dahirs.
Annexe 88 du 12 février 1941 :elle porte un dahir réglementant In pêche
dans la régionmaritime de l'oued Draa.

L'annexe 89A est un dahir du IOdécembre1934 :il s'agitd'un dahir fixant
le régimespécialde certaines marchandises destinéesa étreconsomméesdans
diverses régiondu sud du Maroc et qui détaxentles marchandises venant de la
zone franche d'lfni, jusqu'a la limite du Rio de Oro au sud. Cela n'implique
aucun exercice de compétenceterritoriale en territoire étranger.
Quant aux premiers exemples cites. ils paraissent étre le résultat des
modalités de l'organisation administrative par l'Espagne, qui possédait au
Maroc Ifni et une zone de protectorat et en dessous sa colonie de Rio deOro, au
sens large. Ceci devait évidemment poser des problèmes d'organisation.
Parmi les élémentsde sa démonstration, tendant a prouver l'appartenance
au Royaume du Maroc de tout le territoire du Sahara occidental. le
Gouvernement du Royaume du Maroc semble. dans son exposé écrit du
27 mars (III,p. 165-168). tirer argument de I'organisaiionadminisrrative mise
en place dans ce ierriroire par ['Espagne.
C'est ainsi qu'il est soutenua la page 167. que le Gouvernement espagnol
était si peu convaincu de la non-appartenance du Rio de Oro et de la Sakiet El
Hamra au Maroc. qu'il a laissé le califedu roi du Maroc a Tétouan légiférer
pour ses régionset assurer leur administration. A la page 167, aprèsle rappel
du décret du29 août 1934conférantau haut-commissaire d'Espagne au Maroc
les attributions de gouverneur généraldes territoires d'lfni. du Sahara
occidental et du Rio de Oro. on lit:« La raison principale de ce regroupement
unitaire tient précisémenta la forte unitéethnique, géographique, climatiqueet

économique de l'ensemble marocain. >>
Tout en admettant et en soutenant l'unitéet l'intégritéterritoriale de I'Etat4 10 SAHARA OCCIDENTAL

marocain frére,le Gouvernement mauritanien estimecependant que I'argu-
ment tiré de la forme d'organisation administrativemise en place par ta
puissance colonialene saurait étrevalablementinvoqué pour mettreen cause
l'appartenancea l'ensemblemauritanien de la partiedu Sahara occidental dit
espagnol situéeau sud de l'ouedSaguietel Hamra.
Cette pratique desunions administrativesdu type colonialest du restetrop
généralisép eour pouvoir revêtirune signification particulière. La France
notamment avait choisi cette forme d'organisation administrative pour ses
possessions enAfrique. en créantl'Afriqueoccidentalefrançaiseet l'Afrique
équatorialefrançaiseavec chacune une capitaleet un gouverneur général.
D'autre Dart. la collaboration des deux nuissances coloniales francaiseet
espagnole.'fait fréquentdans l'Afriquecoloniale. nepeul en aucun cas étre
intervrétee,selon nous. comme une acceutation im~licitede la souveraineté
marocaine sur tout le territoire daha ara ditagnol.
Argument de 1'exercicde la police

Lesannexes58.58 bis.59.59 bis.101. 103.119 et 130(111p. . 322-327384,
387-388,409 et 424-4251concernent toutesdes situations desEuropéensfaits
prisonniers pour violation de réglementations chérifiennesrelatives à
l'interdictiondu commerce endehors deslieuxpermis.Tous cesdocumentsse
rapportent a l'ouedNoun ou a Tarfaya. Ils ne concernent donc pas tout le
Sahara occidentaldit espagnol.
Mentionnons en particulier l'annexe184(p. 484)qui parle d'uneenquête à
El Aioun, qui ne semble pasêtreEl Aioun du territoire sous administration
espagnole. mais l'endroitqui porte le mêmenom dans la régiondu Sous.

ARGUMEN TE LA DEFENS DEE LTNTÉGRITÉ DU TERRITOIREMAROCAIN
CONTRE L~TRANGER

nous parait devoir s'imposer. L'ensembledes documents présentés parleique
Gouvernementdu Royaumedu Maroc attesteindéniablementque leRoyaume
du Maroc. ce que nous soutenons, a luttécontre lesinterventions étrangères,
mais ils ne se situenpas d'une manièreindistincteau Sahara occidental dit
espagnol. maisbien dans l'ouedNoun, leSous,le Draa ou le nord de laSakiet.
Nous feronsdonc un bref examen deces documents.
Annexe75 du 18janvier 1877(III,p. 349): leSultan répondau filsdu cheik
Beyroukqu'iln'ajamais cédé aux EspagnolsMesa. l'ouedNoun et le Sahara.
Dans l'espritdu Sultan. is'agissaitd'affirmerson autoritsur les régionsde
l'oued Noun que l'occident voulait luiarracher. L.emot Sahara doit être
compris dans le contexte que nous avons déjàsignalé,c'est-à-direle pre-
Sahara, zone d'influence desTekna. quisont incontestablement marocains.
Annexe 62 du 28janvier 1879 (p.328) :le représentant duSultan écrivant
au représentant espagnolfaitétatdu débarquementéventuel deCanariens sur
lescôtes de Sous; il attire l'attentionsur le manque d'autodutSultan dans
cette région.Celui-ci nepeut etre rendu responsable des incidents.
Annexes60 et 119 du 16 mai 1886 (p.327 et 409) :fa date de la traduction
françaiseest exacte. Le Sultan faisait savoir aux représentants de Francea
Tanger. a propos d'un débarquementd'Allemandsdans l'ouedNoun pour y
faire ducommerce,que tout navire étranger qui viendraitcommercersur cette
côteou toute autre localitéautre que lesports reconnus ouverts au commerce,
le ferait a ses risques etpérils.Le document ne concerne donc pas l'ensemble
mauritanien. EXPOSEORAL DE M. YEDALI OULD CHEIKH 411

Annexe 76 du 25 mai 1886 (p. 350) :le dahir du 25 mai 1886 charge un

certain Brahim Ben Ali Ben Mohammed Tekni. de la tribu des Ait Lahssen des
Tekna. de la cote du Noun, de surveiller la côte contre les débarquements des
étrangers et de faire rapport au caïd de Goulimine, chef-lieu d'oued Noun.
Comme nous l'avons dit, les Tekna relèventde l'influencedu Maroc.
Annexe 77. document du 31 août 1887 (p. 351) :en 1887. le 31 août, le
Sultan s'adresseau mêmecaïd deGoulimine auquel il reproche de ne pas avoir
pris les mesures nécessairespour éviterque les Izerguines du Nord ne nouent
des tractations avec les étrangersau mouillage d'El Beida. dans l'oued Noun.
Ceci donc ne concerne pas égalementla partie du territoire sous administration
espagnole. qui fait partie de l'ensemble mauritanien.
Annexe 66. document du 29 mai 1889 (p. 336): le ministre de France a
Tanger écritau ministérefrançais des affaires étrangèreset lui fait savoir que
les Allemands ont demandéau Sultan la cession de la baie d'Adjeroud (sur la
Méditerranée) ou« d'un petit territoire du Sous situéprèsde I'ouedDraau.
Prévenu a ce sujet, le sultan Moulay Hassan aurait répondu CCqu'il ne

consentirait jamais de son plein gré a aliéner la moindre parcelle de son
territoir». ce qui est parfaitement compréhensibleLe lieu en questiori était.il
est vrai, en plein territoire marocain.
Annexes 21 et 22 du 20 avril 190 1(p. 221) :le 20 avril 1901, le Sultan
charge le caïd tekna de la surveillance descbtes de Tarfaya a Ras Bojador
concernant la zone de Tarfaya.
L'annexe22 porte a la connaissanced'un autre caïd le document annexe 2 1.
Le toponyme « cap Mogador »est mentionné aussidans les annexes 58.66
et 70 (p. 322. 336 et 342).
L'examen du texte arabe de ces documents montre qu'il esttoujours donné
dans une orthographe arabe dérivéed'une langue européenne, (<Bojador ))ou
« Bogador ».Le mot arabe de cet toponyme, celui que lui donnent les habitants
de la région.connu comme tel dans l'ensemblechinguittien, est Bejdour.c'est-
a-dire le lieu aux souches.
Le fait que la forme européenne plutôt que la forme arabe est utilisécpar les
documents produits par leGouvernement du Royaume du Maroc nous semble

significatif. Par contre. Tarfaya, appelédans les documents européens <<cap
Juby )>apparait dans le texte marocain dans sa forme arabe« Tarfaya n.
En conclusion donc, la plupart de ces documents concernent des régions
marocaines et, en tout cas, ne visent pas la partie du territoire sous adrni-
nistration espagnole, qui fait partie de l'ensemblechinguittien.
Les trois d'entre eux qui sont relatifa la côte de Bojador soulèvent le
problème toponymique exposé ci-dessus, l'imprécisiongéographique, et le
problémede la valeur aattacher a des protestations non suivies d'effet.

ARGUMENT DE LA RÉSISTANCE DES TRIBUS MAROCAINES
A L'OCCUPATION ESPAGNOLE

Cet argument, fut longuement exposépendant les plaidoiries du Gouverne-

ment du Royaume du Maroc et reprend d'ailleurs simplement le developpe-
ment de l'exposé écridtu Gouvernement du Royaume du Maroc (IIIp. 130,
132, 139. 140, 145 et 156)en faisant étatde manière persistante d'actesde la
résistance marocaine qui entravaient l'occupation effectivepar l'Espagne de
tout le Sahara occidental.
Nous ne relèverons pas ici les documents et arguments du Royaume du
Maroc qui tendent a démontrer une résistance,que nous comprenons, dans le412 SAHARA OCCIDEWAL
Sous. le Draa. ni mêmeau nord de l'oued Saguiel el Hamra ou Tarfaya. les

Tekna. comme nous l'avons déjàdit. étantincontestablement de notre point de
vue, dans la mouvance marocaine.
A la page 145 (111)de l'exposéécrit du Gouvernement du Royaume du
Maroc. en revanche, on trouve le passage suivant :
«Jusqu'en 1934 l'Espagne n'aoccupéque trois points c6tiers du Rio de
Oro. précisément en raison de l'opposition armée des populations
marocaines qu'elle étaitcensée protéger.Ces populations ont pris les
armes pour répondre à l'appelde leur souverain légitime,le Sultan. »

Une telle interprétation ne saurait ètre acceptéepar le Gouvernement de la
République islamiquede Mauritanie en ce qui concerne les régionsdu sud de
l'oued Saguiet el Hamra, régionsqui font partie, comme nous l'avons dit, de
l'ensemblechinguittien. Cette interprétation ne repose en effet sur aucune base
historique pour ce qui est de l'ensemblechinguittien. II s'agitd'une aflirmation
qui consiste a attribueau Maroc ou a qualifier de marocaine toute résistance
dans i'ensemblechinguittien au moment de la colonisation.
La destruction, eii mars 1885, à Villa Cisneros, des constructions

espagnoles, est présentéecomme un acte de la résistance marocaine (III,
p. 159).Or elle fut le fait des nomades Ba Amar de fa tribu des Oulad Delim
(III,annexe 80, p. 354) qui sont des tribus de l'ensemble chinguittien n'ayant
rien a voir avec le Koyaume du Maroc. En outre. le Gouvernement du
Royaume du Maroc affirme que les Espagnols auraient adressé, après ces
incidents, une protestation au Sultan qui impliquerait aux yeux des autorités
marocaines une « reconnaissance impiicite mais significative du véritable
maître de la terre)>.
Vu l'intérêdte cette pike, on aurait pu s'attendre légitimementa ce qu'elle
soit produite. Tout ce que L'onsait, c'est que la factorerie ayant été rétaenie
juin. Bonelli, nommécommissaireroyal en juillet. reprit contact avec les tribus
de la régionet obtint de ces tribus l'indemnisation des victimes des incidents de
mars 1885.
Dans les années qui suivirent. les Espagnols furent victimes d'autres
attaques de nomades des tribus Oulad Delim. Oulad Bou Sba et Arroussiyine

6bid.f.Ce type degf~azou que I'onappelle encoredansuneautre terminologie le
rezzou. était tout a fait familier dans la région et n'a en rien lecaractère
politique que I'onsemble vouloir lui attribuer.
Continuantdans cette analyse. I'exposé écridtuGouvernementdu Royaume
du Maroc (IIIp. 159 déclare :
«Cette résistance tenace oblige l'Espagne a conclure le 2 mars 1895
avec les agents du cheik Ma el Aïnin,...un accord l'engageant a payer un
tribut en échange dela libertéd'exercer le commerce. ))

Nous avions déjà relevé dans l'exposé écridtu Gouvernement mauritanien
l'existencede cet accord que nous avions trouve dans la Revista de geografio
cornerciald'avril-mai 1895. page 175, qui rapportait qu'il avaiétéconclu :

<(un traitéde paix et d'amitiéentre le gouverneur politico-militaire de la
colonie et le cheik de la tribu Oulad Delim, en son nom et en celui de
toutes les tribus de l'intérien.
Selon ce traité, dont le texte complet a été obligeamment produit aux
pages 371et 372(11)du livre 1desDocuments complémentairesprésentéspar le
Gouvernement espagnol en juin 1975,Hemeyyine Ould Larouss ciheik de la
tribu Oulad Delim se soumet au protectorat de l'Espagne, reconnaît l'autorité EXPOSE ORAL DE M. YEDALl OULD CHEIKH 413

du gouverneur. protège les relations commerciales, indemnise des dommages
causes par ses sujets. Le document. dont l'arabe et l'espagnolsont les langues
originales spécifiques,porte notamment le « nom des Musulmans des tribus
musulmanes alliéesaux Oulad Delim » :Oulad Bou Sba et Laroussiyine, Oulad
Tidrarin. Un texte arabe accompagne letexte espagnol et porte que lecheik des

Oulad Delim s'engage a ne pas s'opposer augouvernement des chrétienset a
livrer ceux qui lui feraient !a guerre.
Les documents sont signéspar le cheik et son interprète, ainsi que par le
gouverneur espagnol.
D'un autre côte taRevista de geografia citéeaffirme que le cheik des Oulad
Delim aurait obtenu l'autorisation de commerceravec la factorerie en tant que
représentant commercialde la compagnie a l'intérieurde t'Afrique, acondition
de drainer le commerce du Sahara ; il recevrait IOpour cent de la valeur des
transactions commerciales.
Voila les faits telsqu'itssont connus et rapportés.Fautaipartir de ces faits.
retenir l'interprétation de ce traité de 1895, telle qu'elle est donnée dans
l'exposé écritdu Gouvernement du Royaume du Maroc ? Nous posons la
question.
Le Gouvernement de la République islamiquede Mauritanie estime que le
Gouvernement frère du Royaume du Maroc fait une confusion regrettable
entre les mouvements de résistance politique organisés, d'une part, et les
réactionsde caractère xénophobedes tribus a l'égarddes occupants chrétiens,

d'autre part.
Dans le Bilad Chinguiti, il rie pouvait en aucun cas s'agir de résistance
marocaine puisque les tribus chinguittiennes étaient complètement indepen-
dantes du Sultan.
L'affirmation d'une résistance marocaine dans l'Adrar relève aussi d'une
méconnaissance des lieux et des relations de l'Adrar avec l'Espagne. iln'ya
donc pas lieu. selon nous, de s'yattarder.
L'occupationespagnole étantdu reste limitéea quelques points de la côte. on
pouvait dificilement parler de résistancecontre une telle occupation. Ce qui
est, en revanche, la réalitéhistorique. c'est la résistance de l'Adrar a la
pénétrationfrançaise dans la région. Les durs combats avec la France pour
« pacifier».comme on disait alors, la Mauritanie, devaient en effetdurer trente
ans.
Les tentatives de Ma el Aïnin pour entraîner le Trarzaala guerre sainteau
nom du Sultan n'ont pas eu d'effet. Si les exposés marocains font état de
l'invitation du Sultan adresséeail cheik Siddaasejoindre a la guerre sainte. ils
ne donnent pas la réponse du cheik qui disait : <Le Sultan ne s'est jamais
occupé de nous et ne nous a jamais protégés >>(voir Désiré-Vuillemin,
Contributionà l'histoiredela Mauritanie, p.155 et suiv.).
Un chef de la régionde Kayes au Mali répondit a la mêmeinvitation du

Sultan faite en décembre 1905 :
<<Si vous pouviez venir jusqu'a notre pays. nous ne manquerions pas
de nous allier a vous. Dans le cas contraire,vous fais connaître qu'ilne
nous est pas possible de nous mettre en guerre avec les Français. »
(Toujours le mêmeouvrage de MmGeneviève Désiré-Vuilleminp.. 157 .)

Et même desappels ala guerre sainte par leSultan, qui n'impliquent encore
une fois en pays musulman aucun lien de souveraineté, mais seulement une
communauté religieuse mêmetransfrontière, ne sont pas acceptés.Comment
parler, dansce cas, d'une résistance marocaineen Adrar ?
Si l'exposéoral du Gouvernement du Royaume du Maroc a démontre des414 SAHARA OCCIDENTAL

actes de résistancedans leSous et dans le Draa, ilse limiteades aflirmations en
ce qui concerne l'ensemble mauritanien.
En relevant le peu de présencede la colonisation espagnole au Rio de Oro.

l'exposé écridtu Gouvernement du Royaume du Maroc (III, p. 144, 157, 158.
163, 164, 166 et 167) attribue cette raretéa fa résistancedu peuple marocain.
On prend ainsi. selon nous, .l'effetpour la cause, car malgré cetterare présence
espagnole, te Sultan n'a jamais pu asseoir son autorité dans l'ensemble
chinguittien.
II faut rappeler d'autre part qu'il n'y avait a Villa Cisneros a ce moment que
trente hommes et uneombre de garnison.
En réalité, lestribus mauritaniennes. quant à elles, s'accommodèrent fort
bien de cette absence de colonisation effective qui atteignait peu leur
souveraineté. Le livre 11des Documentscornplémenraires espagnols montre
bien ce fait (II, p. 393-4681,
Un exemple pris dans le livre 1complémentaire. pages 358 (II)et suivantes.
illustre bien le fait que la colonisation espagnole a longtemps laisséintactes la
libertéet l'indépendancedes tribus chinguittiennes. C'estainsi que deux pilotes
de l'aéropostalefrancaise avaient étécapturés par les Regueibat :ils ont été

réclamés parle gouverneur de l'Afrique occidentale française au gouverneur
de Villa Cisneros ; celui-ci fit savoir que les Regueibat voulaient échangerles
deux prisonniers contre vingt et un prisonniers mauritaniens deleur tribu ainsi
que des Oulad Delim et Tidrarin qui nomadisent en zone espagnole et qui
étaient prisonniers des Francais pour avoir résistéa la pénétrationfrançaise.
Les Espagnols transmirent les réclamations des Regueibat qui n'acceptaient
aucune transaction et qui se limitaient a conseiller mêmeaux Français d'ad-
mettre l'échange.
Le Sultan n'est intervenu en rien dans cette affaire.
L'exposé écritdu Gouvernement du Royaume du Maroc a raison, à cet
égard, de citer Albert Lebrun qui, en 1928. qualifiait bien l'occupation
espagnole :

« Trois postes espagnols y sont installés:au capJuby. a VillaCisneros.
a la Güera. Mais. ils n'ont aucune action sur les territoires de l'intéri:ur
interdiction est faite d'en sorti;ils sont, en quelque sorte, prisonniers

derrière leurs murailles et leurs réseaux de fil de fer. L'Espagne vit a
I'egard des Maures en voisine et non en maître. Elle se refuse a toute
action extérieure qui pourrait, en cas d'accident, l'amener à des
représailles et plus loin encore. )> («La question du Rio de Oro »,
Ljlfrique fron~aise, 1929, p. 13-15 ;III, p. 157-158.)

ARGUMENT DE LA LOCALISATIOND'IFNI

La question de la localisation d'Ifni n'a en principe, selon nous, que peu de
liens avec la questioii du Sahara occidental dit espagnol et, par conséquent,
nous n'en dirons que quelques mots pour éclairerun peu plus cette question.
Premièrement, il est indubitable qu'il y a eu volontéde l'Espagne, méme au
moment de la colonisation, de se servir du titre de l'articl8 du traitéde 1860

pour se faire reconnaître par le Sultan, très réticent,un établissementcomme
elle en avait un a SantaCruz de Mar Pequena.
Delixiémement ,eGouvernement du Royaume du Marocsemble, dans son
exposé écrit, vouloir établirque l'Espagne se prévalait du traitéde 1860, ar-
ticle8,pour obtenir une cession territoriale entre cap Bojador et cap BLanc. EXPOSEORAL DE M. YEDALl OULD CHEIKH 415

Cette affirmation n'est fondée sur aucun document. L'Espagne n'a jamais
réclamé cette côte sur base du traité de 1860, puisque, selon elle, la
souverainetédu makhzen ne s'étendait pas a ce territoire.
Troisièmement, c'est ainsi que le mémoiredu Gouvernement du Royaume
du Maroc (III,p. 142) déclareque les africanistes espagnols voulaient situer

Santa Cruz entre le cap Noun et le cap Blanc. En particulier, le secrétairede la
Sociétéespagnole de géographie commerciale, M. Ricart, aurait affirmé<<la
nécessite d'installerSanta Cruz entre le cap Bojador et le cap Blanc, de
préférencedans la presqu'ile de Rio de Oro » !
II nous parait improbable que M. Ricart ait pu faire une telle confusion,
alors que les résolutionsdela Sociétéde géographiede Madrid. dès rnai-juin
1863, demandent au gouvernement d'établirdes <<établissementsde civilisa-
tiona Ifni ou Ouina, Rio de Oro, Camarone », etc., et des établissements
militaires ou naval« dans la mer Rouge ou au golfe d'Aden, a Ifni, au Rio de
Oro et au cap Blanc, a Camarone, etc. »(Boletinde la Sociedad de geografi de
Madrid, vol. XVIXI8 , 85p. 358.1 ,e qui montre que nulle confusion n'est faite
entre Rio de Oro et Ifni.
De plus, la résolution du31 janvier 1884, adresséepar la Sociétéespagnole
des africanistes demandant au Gouvernement espagnol de faire une occupation
officiellede la wte africaine correspondant aux bancs de poissons exploitéspar
lesCanariens entre cap Bojador et l'îled'Arguin. ne cite nulle part Ifni ou Santa
Cruz de Mar Pequeïia, pas plus qu'elle ne seréfère a la convention de 1860.
Le Sultan. pour sa part, a toujours essayéde ne pas exécuterl'article8 de la
convention de 1860. Une première difficulté devaitétrerésolue : I'emplace-
ment de la forteresse construiten 1476est définitivementabandonné:en 1524.
Sa trace estdiMicile a retrouver et la confusion la plus grande règne a ce
propos.
Des commissions mixtes vont travailler a délimiterl'endroit.

En janvier 1878, la commission qui inspecte la côte ne peut se mettre
d'accord sur l'endroit, mais, selon les Espagnols, la rade d'Ifni correspond
exactement à Santa Cruz de Mar Pequena (voir Miège,Le Maroc et l'Europe.
t. III, p326).
En 1882. la Compaiiia de pesquerias canario-africanas prétend que la tour
de Santa Cruz de Mar Pequeiïa se trouvait dans la régionde Puerto Cansado,
plus ou moins 2gc parallèle(Miege, op. cil., p. 329).
En 1883,une nouvelle commission de délimitation (IIIannexe 110,p. 396-
397) n'aboutit pas davantage. Mais le Maroc offrit Puerto Cansado. Les
Espagnols trouvent ce mouillage tout a fait inabordable et. selon une source
britannique (annexe 65, p. 333-3351,contestent que Puerto Cansado soit en
territoire marocain. Ils insistent par conséquentpour obtenir Ifni.
Dans une note du 19 octobre 1900, émanant, semble-t-il, du ministère des
affaires étrangères duRoyaume de Belgique(annexe 37 bis, p. 274-2751,il est
fait état d'une note de la légation d'Espagne a Bruxelles,non datée, selon
laquelle:

<<Le Gouvernement chérifienayant reconnu les droits de l'Espagne sur
Ifni et étant disposé a nous mettre en possession de ce port. le
Gouvernement espagnol vient de donner des instructions a son
représentant a Tanger pour négocierl'échangeentre le port dlfni et un
autre port situéentre Ifnet le cap Bojador ainsi que la cession de la côte
de Tarfaya entre le Draa et lecap Bojador, moyennant des compensations
équitablesque FEspagne est prêtea discuter.»
Par ailleurs, l'exposéécrit duGouvernement du Royaume du Maroc fait état416 SAHARA OCCIDENTAL

d'un ouvrage de Rafaël Mitjana. En elMaghreb el Aksa - Viaje de la
Ernbajada espuïiola u la Carte del Sultcin de Marruecos, en el ano 1900
(Madrid. p.225). qui ferait étatd'un protocole maroco-espagnol sur SantaCruz

en date du 20juin 1900 et selon lequel il aurait été pque les deux parties:
<<auront la facultéde procéder a des négociations relativesa l'échange,
dans des circonstances analogues, desdits territoires avec d'autres se
trouvant dans la partie de la côte qui est située entre le fleuve Draa et le
cap Bojador ».

Le Gouvernement de la République islamique de Mauritanie ne croit pas
avoir vu, ni dans les annexes espagnoles, ni dans celles rapportées par le
Gouvernement du Royaume du Maroc, le protocole en question et s'étonne
qu'un traite aussi important, s'il existe. ait pu échapper a l'attention des
Gouvernements du Marocet de l'Espagne. En l'absencede preuve directe,face
a des référencesde seconde main. dont le caractere géographique estvague et
général,il est diflicile de se prononcer sur la question et. en particulier. d'en
tirer des conclusions sur des reconnaissances de caractère territorial par le
Gouvernement espagnol.
Quoi qu'il en soit d:ailleurs. le traite franco-espagnol du 3 octobre 1904
devait consacrer définitivementl'assimilation de Santa Cruz de Mar Pequeiia à
Ifni et la convention franco-espagnole de 1912 en fixer les limites bien loin du
Sahara occidental sous administration espagnole, au nord du 2Xe parallèle.

L'audience es1Ievk a 12 h55 DIX-SEPTIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (IOVI1 75, 10 h 5)

Prt;setrf:[Voir audience du 25 VI 75.MM. Lachs. Presidetrr. et Gros, juge,
absents.]

Le VICE-PRÉSIDENT :Je dois signaler quM. Gros, retenu par uri rendez-
vous médical.ne pourra pas prendre part a l'audience d'aujourd'hui.

M. YEDALI OULD CHEIKH :Monsieur le Vice-président, Messieursde la
Cour, je reprends aujourd'hui l'exposéque j'avais eu l'honneur de coinmencer
devant vous hier et qui porte, je lerappelle, sur la question de l'indépendance
du pays de Chinguiti ou ensemble mauritanien, au moment de la col(3nisation
du Sahara occidental dit espagnol.
Dans les développements consacrés a la première partie de cet expose
relativea l'indépendance vis-à-visde 1'Etatmusulman le plus proche, c'est-
a-dire du Royaume du Maroc, et notamment dans l'analyse des arguments
de souveraineté du Royaume du Maroc sur le nord-ouest chinguittien,
actuellement sous domination espagnole. je m'étaisarrêté a largunrent tiréde

l'accord du 13 mars 1895 concernant l'achatdes biens de la North West Africa
Company. sise a Tarfaya.
Dans son exposéoral du ICjuillet 1975, le Gouvernement du Royaume du
Maroc a déclaréque le traitéde 1895prouvait l'appartenance au Royaume du
Maroc de toute la cote du Sahara sous administration espagnole. Le
Gouvernement mauritanien aimerait revenir sur cette interprétation qui lui
parait quelque peu excessive.
Nous rappellerons tout d'abord quelques faits relatifs a la création de
l'établissementanglais qui fit l'objetde l'accord de 1895.
Mackenzie, directeur de la North West African Expedition. par un accord
conclu avec «Ali », le chef de la régionde cap Juby, obtint l'autorisation de
<(former une colonie britannique a cap Juby et ouvrir le port de Tarfaya)au
commerce (Il, appendice 3 a l'annexe 20, p. 119).
En 1879,le 4juin, Mackenzie obtient du cheik Mohamed Beyrouk la chane
d'une concession et la cession Tarfaya d'une partie du littoral pour un
établisse men ^e commerce (II, appendice 12 a l'annexe 20. p. 126).11fallait
baptiser ce dernier Port-Victoria, qui correspond a Tarfayou cap Juby.
Devant les protestations du Sultan du Maroc, Mackenzie a atteste et la
Grande-Bretagne a toujours soutenu que cette région n'était pae sn territoire
marocain.
Le sultan du Maroc eut connaissance des relations commerciales qui se
nouaient entre les tribus et Mackenzie (1884). Lors de son voyage dans leSous

et l'oued Noun en 1886, le Sultan tenta d'y mettre bon ordre. C'estainsi qu'en
1888 les troupes du Sultan détruisirent la factorerie de cap Juby.
A la suite de cette destruction, la réparationexigéepar Londres est obtenue
en 1889 (voir au ministèrebelge des affaires étrangèresau dossierMar+uc,pièce
no 7895 du 2 1mars 1889, une note du chef de la légationa Tanger au ministre
des affaire étrangères].
Le cabinet de Londressoutenait que sa demande d'indemnitése basait sur le
fait que les agresseurs étaient sujets du Maroc, bien que l'agression eût lieu,
selon lui, hors du territoire marocain (voir Revue gt;~ieralc droir
i~iirrtrarioitolpubl1896, p. 255).418 SAHARA OCClDEhTAL

Londres entreprit alors des démarches pour obtenir du Sultan une
reconnaissance orricielle de la factorerie de cap Juby comme possession
anglaise (voir documents produits par le Royaume du hlaroc. III,annexe 67,
p. 337).Selon une note du ministre de France a Tanger au ministre des affaires
étrangères en date du 28 juin 1892.le Sultan <(a tout refusé ))et étaitbien
décidé a ne pas revenir sur son refus (ibid).
On en arriva ainsi a l'accord anglo-marocain du 13 mars 1895, reproduit
dans l'annexe marocaine 68 (III. p338-339).
Dans cet accord conclu entre le vizir et le ministre Satow. six clauses sont

contenues concernant <<l'achat parleGouvernement marocain a la compagnie
anglaise connue sous le nom de North West Africa, des immeubles sis au lieu
dit Tarfaya. dans le pays de la tribu des Tekna >P.Ils'agit donc d'un contrat
d'achat d'immeubles.
La clause 1 stipule, selon la traduction du Greffe dla Cour :
<<Si le gouvernement achète a la compagnie susnomméeles immeubles
sis au lieu indiqué, nul ne pourra émettre de prétentions sur les terres
comprises entre l'oued Draa et lecap Bojador, appelées Tarfayacomme il

est dit plus haut, ainsi que celles qui constituent leur arrière-pays f011d
t11elat~dshp11i/ldif),car elles font toutes partie du territoire du Mar»c.
En compensation, La compagnie recevait 50000 livres, en vertu de la
clause 3, et le Gouvernement du Royaume du Maroc s'engageait vis-à-visdu
Gouvernement anglais <<a ne céderaucune parcelle des terres susdesignées a

personne sans l'accord du Gouvernement anglais >)(clause 2).
Rarement un traitéfitlbbjet d'autantd'interprétation dsivergentesetceci dès
sa signature.
Les différencesd'interprétation nous paraissent concerner plusieurs points
de la clause 1.
Tout d,'abord,il semble que I'onn'apas toujours distingué cequi nous parait
pourtant deuxopérationsjuridiques distinctes,d'une pan. la vente d'immeubles
et, d'autre part, la reconnaissance par la Grande-Bretagne du caractère maro-
cain d'une certaine partie du territoire.
En effet, il ne fautpas confondre la cession d'immeubles de la compagnie
situésa l'endroit susincliqué, c'est-à-da Tarfaya « dans le pays des Tekna >>,

avec la reconnaissance comme territoire marocain d'une certaine région.
En second lieu, on s'est demandecomment il fallait traduire le mot anglais
brhirid dans le membre de phrase ut~dal1flic latids behiridif.
Le mot anglais hC/1illiietst traduit dans le texte arabe original par <<au-
dessus >)ce qui, pour un lecteur ordinaire d'unecarte, implique vers le nord. Il
s'agirait donc du territoire au-dessuau nord de Tarfaya.
Cette acception a étécontestée par le ministre français a Fès après un
entretien avec le grand vizir (lettre du IOjuillet 18a5Hanotaux) :

«On a vouh désignernon pas les territoires qui s'étendentde l'oued
Draa vers cap Spartel au nord, mais bien ceux qui se trouvent au sud du
cap Bojador. Les mots « au-dessus » auraient pour signification en arabe
la côte africaine au Sud marocain d'une façon illimitée.pour poser en
principe de ce cotéla domination du Sultan. )(III, annexe 127. p. 421 .)

Que I'ondise que le mot beliitrd a ététraduit en arabe par au-dessus >>ou
que sa signification anglaise soit « derrière», cela peut secomprendre. Mais le
sens de <<en dessous » ne parait pouvoir être confirméni par le mot arabe'ni
par le mot anglais.
Dans une note du 4 aoùt 1895 adressée par M. Herbert White a lord EXPOSE ORAL DE M. YEDALI OULD CHEIKH 419

Salisbury, les choses sont remises au point (II, appendice 30 a l'annexe 20.
p. 139),en affirmant que l'article ne peut etnous citons :

« se référerau territoire au-delàdecap Bojador dans ladirection du Rio de
Oro, puisque ce territoire n'ajamais étérevendique par la compagnie qui
revendiquait la ligne cotiere d'oued Noun au cap Bojador et un peu deson
hin/rr/und, etde plus un accord entre l'Angleterre et le hlaroc ne pouvait
se référerau territoire sis au sud de cap Bojador qui est revendiqué par
l'Espagne ».

En troisième lieu, la question se pose de savoir ce que signifie le membre de
phrase <<nul ne pourra émettre de prétentions sur les terres comprises entre
l'oued Draa et le cap Bojador. appeléesTarfaya, comme il est dit plus haut,
ainsi que celles qui constituent leur arrière-pays. car elles font toutes parties du
territoire du Maroc >>.
Certains ont affirmé qu'ils'agissaitd'une reconnaissance portant sur tout le
territoire s'étendant entre le cap Juby et mêmeI'oued Draa jusqii'au cap
Bojador. Ainsi de la hlartiniére, charge d'affaires a Tanger. dans sa note a
Delcassé,ministre des affaires etrangéresde France. le 9 avril1900 (Docirt~tr~~ts
diplomatiquesfran~ais, premièresérie.vol. 16.no 115,111,annexe 131.p. 426,
et expose écrit du Gouvernement du Royaume du Maroc, p. 150). 'Toutefois
cette interprétation parait quelque peu manquer de bon sens.
Comment une factorerie privée avait-elle pu. tout d'un coup, devenir un

territoire britannique ?De plus, la factorerie n'avaitjamais dépasséun point a
Tarfaya et ne s'étenditjamais de cap Juby au cap Bojador.
II faut ajouter que cette interprétation est en complète contradiction avec la
position britannique traditionnelle sur lasouverainetédu Sultan dans la région.
Le ministre de France a Fèsécrivaitau ministre Hanotaux. le 7juillet 1785 :
« L'Angleterres'estainsi. en se dépouillant.octroyéun droit imaginaire
sur une partie de la côte qu'elle ne possédait pa;de mêmeelle aconcédé
au Sultan des droits fictifs sur des territoires non définis,..>)(III. an-
nexe 128. p. 422.)

Une première explication consistait a penser que c'était(<uniquement pour
faire allouer des indemnitésa ses nationaux du capJuby que leGouvernement
britannique avait reconnu la souverainetédu makhzen sur cette côte ».(Voir
note de l'ambassadeur de France en Grande-Bretagne du 8 avril 1904 au
ministre des affaires étrangères, Archives, Paris, dossier Muroc, Politiqire
Jrtrtrçuisr, 11,1904, avril. juin, p. 13.)
la seconde explication, plus souvent retenue, étaitque cet acte de la Grande-

Bretagne avait surtout pour but d'empècher la France de rejoindre l'océan
depuis ses possessions en Algérie,ou l'Espagne de prolonger la colonie du Rio
de Oro. (Voir Don Martin Ferreiro, B.S.C.M., XXXVII, 1895. p. 267 :voir
aussi la note de Hanotaux, ministre des affaires étrangèresde France aux
ambassadeurs de France a Londres et a Madrid. du 1 1 avril 1895,Docii~,te~tts
diploinutiqrtes fru~rçuis, lrCsérie, voXI, na 446.)
La position britannique était au demeurant res Nrrrr olios ucra pour la
France et l'Espagne.
Dans sa note précitée du 8 avril1904, l'ambassadeur de France a Londres
écrivait a Hanotaux que l'Espagne avait toujours considéréla ciite s'élevant
jusqu'a cap Juby comme lui appartenant et les cartes anglaises la lui
attribuaient. (Voir la note Hanotaux précitéequi désireobtenir pour la France
le même droit depréférence.)
L'interprétationde la clause de l'article 1pouvait cependant êtretout à fait420 SAHARA OCCIDENTAL

différente.L'interprétationdu ministre français a Tanger, 22 mars 1895(voir
le document produit par le Royaume du Maroc. annexe 129.p. 423)est la plus
proche des termes de l'accord et du bon sens :

« le point le plus éloignéde l'Empire des chérifs est ofliciellement
reconnu. et tous les territoires dont la domination restait incertaine,
depuis l'ouedSous jusqu'au capJuby, se trouvent aujourd'hui definitive-
ment garantis a la dynastie Hassani par le fait de la stipulation nouv)>.e
De mêmele ministre français a Fès, le17 juillet1895, déclareque :

<<il importe de constater que la convention ne touche pas a l'Empire des
chérifsdont Saguiet el Hamra, avant la convention britannique, étaitla
limite conventionnetle généralementadmise par les géographes )r.(III,
annexe 128. p.422.)

Dans ce document, Tarfaya est donc pris au sens large, c'est-à-dire de cap
Juby a I'ouedSaguiet el Hamra.
Cette interprétation restrictive de I'accord de 1895 parait fondée sur
plusieursarguments.
Tout d'abord, le texte de I'accordlui-même parlede « terres comprisesentre
l'oued Draa et le cap Bojador, appeléesTarfaya M. La première partie du
membre de phrase situe entre des repèrestoponymiques la régionde Tarfaya.
sans dire que cette régionde Tarfaya s'étendd'un point a l'autre,ce qui serait
contraire a toute réalité.
Cette interprétation est confirmée par le traité du 27 juin t900 entre la
France et l'Espagne. II étaitclair que ce traité ne paraissait pas être compris
comme touchantcap Bojador, puisque la convention prévoitque le méridiense
prolonge dans la direction du nord sans fixer de limite et que la carte anneIl
a la convention (fac-similécarte no 5' annexéà l'exposéécritmauritanien ou
appendice 10 a l'annexe 21. exposé écrit espagnol. II,p. 157-161) dépasse
largement le cap Bojador (voir aussi page 156 pour l'interprétationespagnole).
Mais c'est surtout le mémorandum franco-anglais du 27 avril1904 qui est
décisifa cet égard.On y parle du traité du 13 mars 1895 en ces termes : « in
which His Majesty's Government have recognized the territory in the
neighbourhood of Cape Juby as belonging to Morocco » (arrangement par
lequel le Gouvernement de Sa Majesté a reconnu le territoire situé dans le
voisinage de cap Jubycomme appartenant au Maroc) (document produit par le

Royaume du Maroc,III, annexe 136, p. 434). Telle est bien la définition cor-
recte de Tarfaya qui apparaît dans toutes lescartesde géographiede l'époque.
On peut donc conclure de tout ceci que I'accordde 1895 est un accord dont
le texte doit êtremanié avec beaucoup de prudence et dont il serait, nous
semble-t-il, excessif de conclure définitivement que la souveraineté du
Royaume du Maroc s'étendaitjusquV cap Bojador.
Ainsi que nous croyons l'avoir montré, le Bilad Chinguiti étaittotalement
indépendant du sultan du Maroc. 11se caractérisait également,comme nous
l'avons déjàsignalédansnotre exposéécrit,par son independancevis-à-vis des
outra Etais voisins, ainsique des souverainetés étrangères dan lsurensemble.
bien qu'ayant entretenu avec elles, au cours des sièclesdes relations d'amitié
et des rapports suivis s,rtout dans le domaine des échanges commerciaux.
C'est notamment par la pratique des traités internationaux passésavec les
souverainetésétrangèresque les diversesentitésde l'ensemblemauritanien ont
prouve, et ce depuis le XVIlc siècle,leur indépendance.

'Nonreproduit. EXPOSE ORAL DE M. YEDALIOULD CHEIKH 42 1

C'esten effet cette forme traditionnelle des relations internationales que les
puissances européennes, notaniment la France et l'Espagne, qui sont entrées

en relations avec les émirats et les confédérations tribalesde l'ensemble
mauritanien, ont utilisépour sceller les engagements respectifs, ce qui montre
bien l'indépendance et la représentativité des diversémirs et chefs de ces
entités.
Ces traitéstouchaient les domaines les plus divers:alliance et amitié,paix.
non-intervention dans les affaires intérieures et dans les pays voisins.
établissement. échangescommerciaux, etc.
Nous ne reviendrons pas en détailsur tout ce qui a etédit à propos de ces
traitésdans l'exposé écriqtue le Gouvernement de la République islamiquede
Mauritanie a déjàeu l'honneur de présentera Ia Cour (voir notamment III,
p. 84 et 85).
Concernant les rapports entre la France et les émirs de l'ensemble
mauritanien, la Cour aura cerrainernent relevédans les documents soumis a
elle par le Secrétairegénéraldes Nations Unies dans la présente instance la
déclaration suivante du représentant permanent de la France, M. Armand
Bérard, faitele 15novembre 1960 aux Nations Unies :

<Au XIXesiècle,lorsque les Français sont arrives en Mauritanie par le
Sénégali,lsont pénétré dans des territoires sur lesquels, en fait comme en
droit, n'existait aucune souveraineté ni autorité marocaine. Des 1821et
1829,des conventions ou traites ont été conclus avec les chefs maures au
nord du Sénégal,I'érnirdes Brakna et l'émirdes Trarza. Ces traités
prouvent la souveraineté pleine et entière des ces chefs. Aucun d'eux ne
comporte la ratification des sultans marocains ou la simple mention de
leurs noms. » (110P séance de la Première Commission, Al4445 et
Add. 1 ;document na 43 du dossier transmis par le Secrétaire générad le
l'ONU, p. 143.)

Ces observations faitesa propos des tribus du Bilad Chinguiti qiii allaient
tomber sous la domination française sont confirmées a propos des tribus du
même ensemble situées dans le territoire actuellement sous domination
espagnole.
En ce qui concerne les relations avec l'Espagne. nous rappellerons le traite
de protectoratde 1884entre Bonelliet les Oulad Bou Sba et les traités d'ldjilde
1886, signésenrre la mission Cervera-Quiroga et plusieurs chefs de tribus
mauritaniennes du Rio de Oro ainsi qu'avec l'émirde l'Adrar mauritanien.
On se souviendra en effet que c'est la convention du 28 novembre 1884
passéeentre Bonelli et des représentantsde la tribu Oulad Bou Sba qui permia
l'Espagne d'établirson protectorat sur le Rio de Oro.
Quant aux traitésd'Idjil, le premier. signe l12juillet 1886 entre la même

mission Cervera-Quiroga et des représentants des tribus mauritaniennes
accompagnées de l'émir de l'Adrar, permettait a I'Espagne d'obtenir
l'engagement de la part de ces tribus de reconnaitre que tous leurs territoires
compris entre le cap Bojador et le cap Blanc appartiendraient, a partir de ta
signature de ce traité,a l'Espagne.
Le second traité d'Idjil, signé le mêmejour au mêmeendroit. entre la
mission Cervera-Quiroga et l'émirde l'Adrar Ahmed Ould M'Harned Ould
Aïda accompagné des principaux digniîaires de sa Cour, reconnaissait la
souveraineté de I'Espagnesur le territoire de l'Adrar.
Mêmesi ces traités d'ldjil n'ont pas étératifiéespar l'Espagne pour des
motifs de négligence etde passivité sur lesquels nous n'avons pas a nous
pencher, leur validitén'ajamais étémise en cause par l'Espagneet ilsprouvent422 SAHARA OCCIDENTAL

bien la reconnaissance par celle-cide la personnalitédes tribus mauritaniennes
comme de celles de l'émirde l'Adrar.
Plus récemmentencore, le 23 mars 1895,un nouvel accord était signeentre
le représentant de l'Espagne au Rio de Oro et le chef de la tribu chinguittienne
Oulad Delirn, chef qui s'appelle Hemeyyine Ould Laroussi, par lequel cette
tribu se soumettait au protectorat de L'Espagne.
Par cet accord, le chef des Oulad Delim s'engageaiten outre a reconnaitre
l'autorité du Gouvernement espagnol et promettait de se présenter ou
d'envoyer un délégué lorsqu'il recevrait ordre de le faire.
Par cet accord, le chef des Oulad Delim promettait égalementde :

« protéger les transactions et de ne pas interdire les rapports de toute
espèceentre les indigèneset les Espagnols et d'indemniser des dommages
que pourrait causer l'un quelconque de ses sujets N.(Art. 3 de l'accord.)

A propos de tous ces traités,on se rappellera que nous avons insistédans
l'exposé écrit du Gauvernement mauritanien sur le fait qu'en matière
d'acquisition de territoires les puissances coloniales européennes se sont
toujours montrées très soucieuses de i'autoritéet de la représentativitédes
personnes avec lesquelles elles signaient des traités.
Que l'Espagne ait entièrement partagé ce point de vue découlede divers
éléments.
Premièrement, la reconnaissance par l'Espagne des pouvoirs locaux
chinguittiens au Sahara occidental nous parait bien mise en évidencedans ce
passage du livre 1espagnol (1,p. 275, par.I) :

Si l'on examine l'histoire de ladite région jusqu'au XXe siècle,on
relève le fait constant ...de pouvoirs sahariens. Ces pouvoirs locaux,
tribus ou unions de tribus, existent au Sahara occidental dans la périodea
laquelle I'Espagneétablitsa souveraineté. ))

A la page 290, paragraphe 12, de ce même document, on lit: <(Dans
l'ensemble, lestrois accords mentionnés [1884 plus les deux traitésde 18861
exprimaient la soumission volontaire des autoritéslocales. >)
Deuxièmement, dans ces négociations avec la France a propos des limites
respectives de leurs possessions dans l'ensemble mauritanien, l'Espagne a plus
d'une fois fondé sestitres de possession sur ces traitéset accords (ratifiésou
non ratifiés)reconnaissant par la mêmel'importance qu'elle y attachait et
s'appuyant du mème fait sur la personnalité destribus. Cela apparait dans de
nombreux documents transmis par l'Espagne a la Cour (voir II,p. 150, 151,

153, etc.).
La France elle-mêmen'étaitpas insensible a l'argument. C'est ainsi que
l'ambassadeur de France a Madrid écrivait a son ministre des affaires
étrangèresdans une lettre du 2 juin 1885 (II, appendice 3 a l'annexe C.1,
p. 319):
« Le Gouvernement de Sa Majestéqui pourrait présenterpour sa part
des titres non dé[iourvusde valeur à la possession du cap Blanc, entre
autres le contrat passérécemmententre M. Bonelliet les chefs de la tribu

d'Oued-Sba, maîtres de ce territoire..)>
Monsieur le Président,Messieurs les membres de la Cour, la conclusion qui
se dégagede cet exposéque,j'ai eu l'honneur de faire devant vous peut être
résuméeen deux points essentiels :

Premièrement, I'indkpendance du pays de Chinguiti ou ensemble maurita- EXPOSE ORAL DE'M. YEDALl OULD CHEIKH 423

nien par rapport a 1'Etatmusulman le plus proche (le Royaume du hlaroc) et

par rapport aux puissances européennes.
Deuxièmement, la diflicultéde déterminer dans le territoire actuellement
administré parI'ISspagneoù s'arrêtele Royaume du Marocet OU commence le
pays de Chinguiti ou ensemble mauritanien.

En ce qui concerne le premier point, l'indépendancedu pays de Chinguiti
nous semble ressortir des faits historiques, des documents écrits et des
témoignages d'explorateurs, de voyageurs et de marchands européens. Elle
ressort également tant de ses institutions que du comportement des entités
publiques qui le composent, notamment de leurs rapports avec les puissances
coloniales. Celles-ci ont eu poiir souci constant de traiter avec les chefs et les
émirs mauritaniens les plus représentatifs, lesquels a leur tour n'ont jamais
mentionné qu'ils s'engageaientau nom d'un souverain étranger quelconque.
En ce qui concerne le deuxième point, les situations que constatent les
historiens, les géographes, les ethnologues, les sociologues et politologues et
qui se traduisent dans les termes de bled siba et Bilad Chinguiti sont

certainement difficiles à appréhender pour le juriste qui est habitue a des
notions tranchéescomme celles d'Etat, de frontière, etc.
Pour ce qui est du bled siba, nous rappelons qu'aux yeux du Gouvernement
de la République islamiquede Mauritanie il a toujours fait partie du Royaume
du Maroc, quelle que soit son attitude momentanée par rapport aii pouvoir
central chérifien. Quant a l'extension du bled siba dans le Sahara occidental
sous administration espagnole. le Gouvernement de la Républiqueislamique
de Mauritanie a de mêmesouligné,a plusieurs reprises, qu'a partir de l'oued
Saguiet el Hamra commence une zone de chevauchements entre le Royaume
du Maroc et le BiladChinguiti.
Dans leszones de chevauchementsplutôt qu'ades notions tranchéescomme
celle de frontiére,il convient de faire appea des notions plus fluides comme
celles de confins, de contiguïté,de proximité, qu'a si bien examinées Charles
De Visscher dans son ouvrage intituléProblèmesde corfilseii drriiinter-
nafionalpublic (Pedone, Paris, 1969).
Certes, ces notions ne jouent qu'un rôle modeste en matière de délimitation
ou d'acquisition de territoire (cf. notamment la sentence de l'!lede Palnra.~,
Nations Unies, Rectreildeh senfeircwarbiîrult-;, volII,p. 854).

Mais ellessont ici susceptibles de jouer un rôle important, comme la notion
de prolongement naturel en niatiere de plateau continental, car il s'agit non
de déterminer ou de tracer une frontière mais de dégager quels étaient.
au moment de la colonisation. les liens réels des populations habitant le
Sahara occidental dit espagnol avec le Royaume du Maroc et I'enseniblemau-
ritanien.
Si l'on accepte que la préoccupation essentielle de l'Assembléegénérale des
Nations Unies est la décolonisation du territoire et le choix des modes les plus
adaptés, il en découle que ce que l'Assemblée généralesouhaite voir
déterminer, c'est la situation au moment de la colonisation du territoire par
l'Espagne. Quel étaitle statut de ce territoire et des tribus qui s'y trouvaient ?
Relevaient-elles par un lien politique quelconque - et par conséquent
juridique - de I'Etat marocai11et de l'ensemble mauritanien ? S'agissait-ilde
« barbares arriérés » sans structure politique aucune ? S'agissait-il d'un
groupement formant une unitéautonome et indépendante de ses voisins ?
Voila, croyons-nous, ce que I'Assembleeveut apprendre de la hauteautorité
juridique, scientifique et morale qu'est la Cour. Elle souhaite obtenir un avis
prenant objectivement en ligne de compte tous les élémentsde fait et de droit424 SAMARA OCCIDE~TAL

pour déterminercomment le Sahara sous administration espagnole s'inscrivait
dans son environnement.
Si on admet que tel est l'objectif de l'Assemblée,on peut en tirer la
conclusion suivante :

Ce que la Cour doit rechercher, Lëlement qui estessentiel pour L'Assemblée,
cést ici non lant l'endroit OUbled sibaet Bilad Chinguiti se rencontrent et se
chevauchent, mais bien la constatation de leur caractère limitrophe et l'absence
de contestation territoriale entre le Royaume du Maroc et la République
islamique de Mauritanie.
IIn'y a, dans ces conditions, aucune impropriétéa constater que le nord du
territoire relevait du bled siba marocain et le sud de l'ensemble mauritanien,
sans préjudice des chevauchements dus à la vie nomade dans la zone des
confins. EXPOSÉ ORAL DE M. SALMON
REPRESEKTANT DU GOUVERNEMENT MAURITANIEN

M. SALMON :Monsieur le Vice-Président,Messieurs de la Cour.au terme
de ce premier tour des exposésoraux. il convient de conclure.
Nous ne reviendrons pas sur nos positions relatives a la cornpetence de la
Cour en réponseaux exceptions et objections soulevéespar fe Gouvernement
espagnol. Nous croyons nous être exprimésamplement a ce sujet aux deux
audiences des vendredi 4 et lundi 7 juillet 1975(ci-dessus p. 310-336 et 337-
360);
Nos observationsseront donc centréessur les deux questionsqui sont posées
a la Cour par l'Assembléegénérale.
La première question. c'est lecaractère de ferra nullius ou non du Sahara

occidental. c'est-à-dire du territoire non autonome sous administration
espagnole.
« Le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) était-il,au moment
de la colonisation par I'Espagiie, un territoire sans maître(terra nrillius)»
Telle est la question qui vous est posée parl'Assemblée.
Le Gouvernenrent mauritanien - en tout cas à ce jour, car nous n'avons
pas encore eu le plaisir d'entendre lesexposésoraux du Zaïre, de l'Algérieet de
l'Espagne - pense êtrecelui qui s'est le plus étendu sur cette notion dferra
iiullirrsen généralet sur son application au Sahara occidental en particulier,
puisque aussi bien cinquante pages de son exposéécrity furent consacrées.
Aussi le Gouvernement mauritanien n'a pas l'intention de revenir sur la
question sinon pour rksumer en quelques mots sa thèseet pour montrer que les

exposésmarocains et espagnols n'ont pas étéde nature a l'entamer.
Je rappellerai donc, si vous le voulez bien. tout d'abord la thèse
mauritanienne.
La thèsemauritanienne distingue la partie nord du Sahara occidental de sa
partie sud. Le Nord relèvedu bled siba marocain. c'est le domaine de mou-
vance des Tekna marocains. le Sud fait partie intégrante du pays de Chinguiti.
Pour la partie relevant du Royaume du Maroc, il n'y a pas de problerne de
res nulliaispuisque ce Royaume étaitune entité étatiquereconnue a l'époque.
Pour la partie relevant du pays de Chinguiti ou vivaient les tribus
mauritaniennes. ta Cour a pu constater que ces dernières étaientdotéesd'une
autorité et d'une organisation politique suffisamment développéespour que.
conformément a la pratique gérieraliséa l'époque. leGouvernement espagnol
ait sollicitéleur accord pour entrer avec elles dans des relations de protectorat
qui ne devaient prendre qu'au fildes temps le caractere de subordination qui
est le propre de la domination coloniale.

Faisant application d'une règle élémentairedu droit intertemporel. nous
espérons que la Cour voudra bien reconnaitre que le droit et la pratique de
t'époque - en dépitd'un flottement dans la doctrine - étaientfixésdans le
sens de la reconnaissance de la personnalité juridique des tribus etdonc de
l'absence de caractérede ferra rl~I/iusdesterritoirequ'ellesoccupaient.
La célèbreconsultation du rirofesseur Arntz. a l'époque vice-présidend te
l'Institut de droit international, qui étaitintituléeDe la cession dedroits de
sotiverainetépar des chefsde tribussauvages(Bruxelles. Weissenbruck. 1884).
fait a cet égard autorité.426 SAHARA OCCIDENTAL

Apres avoir fustige les pratiques du Moyen Age et de la Renaissance, il
s'exclamaitdans un lyrisme qui peut paraitre un peu désuet, maisque I'onsent
sincère :

{(Tous ceux qui portent une face humaine tournée vers le ciel sont
considéréscomme membres de la mêmegrande famille humaine, enfants
d'un perecommun animésd'un mémesouMe divin, ayant i accomplir la
mêmedestinéeet méritantle respect dÙ a la dignitéhumaine. )>

Et il ajoutait:

« Les tribus sauvages, quoique vivant dans des communautés très
imparfaites, ainsi que leurs territoires ne sont plus aujourd'hui considérés
comme des choses sans maitres et appartenant au premier occupant, c'est-
a-dire au premier venu plus fort qu'elles.Le défautde civilisation ne peut
plus servir de prétexte a une nation civiliséepour se les soumettre. pour
les asservir par la violence.)>(P. 7.)

Selon lui et les auteurs sur lesquels il s'appuie, les tribus dites(<sauvages >)
possèdent la souveraineté.
IIcite Klüber qui déclare :

<< La souveraineté, dans le sens étendu, consiste dans l'ensemble des
droits appartenant a un Etat indépendant par rapport à son but. Elle
comprend : 1)l'entièreindépendancede I'Etat vis-à-vis des nations étran-
gères ; 2) le pouvoir légitimedu gouvernement, ou l'autoritéqu'exige
le but de I'Etat.>>Ohid., p. 7et 8.)

Et l'illustre jurisconsulte belge poursuit :

<<Les tribus habitant un territoire déterminé,représentées parleurs
chefs, forment donc des Etats indépendants.

De là,une première conséquence :les territoires qu'elles occupent ne
sont pas choses sans maitres(res IIII~~~IIe, ne peuvent pas êtreoccupés
'par d'autres Etats. II n'y a que les territoiressti~isinuirrc.cést-a-dire sur
lesquels aucun pouvoir souverain n'est encore établi, qui puissent étre
l'objetd'une occupation. >>Ohid., p.8.)

En écrivant ces mots l'auteur ne nie pas bien entendu la possibilité,comme
la Cour le verra ensuite, que ces territoires, qui ne sont pasTL.;11i1llil.uissent
ëtre occupés légalementpar des puissances étrangères,mais ce sera, selon lui,
par l'intermédiaired'une cession volontaire faite par les tribus souveraines.
Apres avoir souligiik que les ((communautés des tribus non civilisées
forment, d'aprèsle droit des gens admis aujourd'hui, des Etats indépendants >>,
il insistasur lefaitque :

{{ces Etats, ou leurs chefs, peuvent faire des1rai16 isternationaux de
toute espéce, traités qui ont une force obligatoire pour les parties
contractantes et qui doivent êtrerespectéspar torrslesautres Etats. s'ilsne

portent pas atteinte a leurs droits acquis.
Faisons remarquer ici, en passant, avec Calvo, que I'onpeut conclure
des traités internationaux mêmeavec des peuples nomades n'ayant ni
territoire propre, ni domicile fixe, lorsqu'ils jouissent d'une organisation
politique et expriment, par l'intermédiaire de leurs chefs ou de leurs
assemblées,une volontécommune. )>Obid.,p. 10-11 .)

Je dirai tout a l'heure a la Cour la critique que I'onpeut faire a Calvo en ce EXPOSE ORAL DE M. SALMON 427

qui concerne la conception de l'inexistence d'un territoire pour un peuple
nomade. mais je continue entre-temps la citation d'Arntz :
«On peut classer dans cette catégorie - ajoute le mémeauteur [c'est-
a-dire Calvo] - lesBe'douinsrepandus dans les désertsde l'Arabie. de la
Syrie, de I'Egypte et de l'Afrique barbaresque, et les Turcomans, qui
parcourent le plateau central de l'Asie.

II y a là des populations agglomérées quine composent point
d'Etat...Mais les nomades et les sauvages ont, soit entre eux, soit avec
lespeuplescivilisés.un droit desgens qui est observéau meme titre que le
droit des gensdes nations civilisées»,disent Funck-Brentano etSorel.

A plus forte raison, les tribus composant des Etats. habitant un
territoire déterminé. peuvent-ellesfaire des traitésinternationaux. »(De la
cessiondes droits de souverainefépardes chefsde tribussauvages, p. 1I.)
Et Arntz terminait ce long extrait que je viens de lire a la Cour en disant :

Les tribus sauvages africaines possèdent des territoires déterminés.
Pouvant fairetoute espècede traités,leurs chefçpeuvent doncvalubiement
céderleirrterritoireen roufou eripartie.. .» (Zbidj.

II n'échapperapas i la Cour que ce magnifique plaidoyer n'était sarisdoute
pas dépourvu d'arrière-pensées.car il s'agissait. a défaut de justifier I'oc-
cupation, au moins de légaliserla cession de territoires par leurs chefs. Quoi
qu'il ensoit, cet auteur. que nous n'avions pas citédans notre exposéécrit.il
nous a paru utile de le citer aujourd'hui. car il est véritablement illustratif. en
particulier en vertu de la date (18841,du droit international public de l'&poque.
Au fond. on assiste a quelqut: chose de trèscurieux au point de vue de la
théoriedes sujets de droit international. Nous venons, disons,de 1900 3 1960.
de vivre une périodeoh \'Ela\tronait comme le sujetde droit principal, et ce

dans sa conception occidentale. Lesentitésnon étatiques,quoique admises de
manière parcimonieuse par la pratique quand elles servaient des intérêts
pragmatiques des Etats, étaientrefoulées.cachées parla doctrine du faitde leur
imperfection quasi ontologique. Or ce point de vue disparaît aujourd'hui ou le
droit international contemporain s'ouvre a des concepts plus diversifiésen
matière de sujet de droit. Comme l'a dit la Cour dans son avis sur tes
R.eparafior~d ses dommages subis au service desNafionsUnies ::(Les sujets de
droit. dans un systèmejuridique ne sont pas nécessairementidentiques quant a
leur nature et à l'étenduede leurs droits. >)(C.I.J. Reciieil1949, p. 178.)
A coté d'eux-niémes. les Etats font place aux organisations internatio-
nales en particulier et à des concepts comme celui de peuple, retrouvant

ainsi l'ouverture libéralequi caractérisaitles débuts de la penséejuridique du
XIXesiècle.
Ce n'est. en effet.qu'au début du XXCsiècle. etmémeje dirai a partir des
années 1920. que devait triompher dans la doctrine. voire dans la pratique
internationale, la conception que. dans notre exposé écrit.nous avons appelée
« la conception réaliste». pour ne pas dire cynique ou « conception-fiction )>,
c'est-à-dire celle qui considérait comme res nuliius, comme territoire non
étatique,tout territoire non encore occupéparun Etat europken ou par un Etat
que les Européens acceptaient d'assimiler a eux-mêmes.parce que cet Etat
avait acceptéfondamentalement la philosophie européenne de 1'Etat.
Cette vision fiction.cette vision cynique,a notre sens. nous parait devoir être
écartéepar la Cour. et ceci. pour les trois motifs suivants :

Tout d'abord le but de cette théorieétait bienlimité :il s'agissaitde justifier428 SAHARA OCCIDENTAL

l'occupariot~par les puissances européennes, ou d'arbitrer les conflits entre

elles,apropos de problèmes d'occupation. Cette théorien'avait pas pour raison
d'ëtre de nier en tant que telle la personnalité oula souverainetédu cédant.
Deuxième motif: en vertu des règles de droit intertemporel, cette vision
récentenous parait inapplicable a la périodeconcernéesur laquelle porte l'avis.
Troisième raison : si cette vision devait êtreretenue par la Cour, elle
n'aiderait en rien l'Assembléegénérale,eu égard a la situation quia justifiéla
demande d'avis. En effet, le probleme qui se pose n'est pas de savoir si
l'Espagne pouvait ou non occuper ce territoire en le qualifiant de res ii~tllius,
mais bien de situer ce territoire par rapport a son environnement mauritanien
et marocain, en vue de sa décolonisation. sans préjudicede l'application des
principes de l'autodétermination et du respect de l'intégrité territorialeet de
l'uniténationale.
Voila, je pense, comment on peut résumer très brièvementla position du
Gouvernement mauritanien sur la question de la res iillllitts.

Voyons maintenant l'impact sur cette thèse des exposés marocains et
espagnols.
Pour ce qui est du point de vue marocain, l'exposéécritde ce gouvernement
a évidemment soutenu, en ce qui le concerne, le caracfkre etatique de la
présence marocaine au Sahara occidental et donc L'absencede probleme de
ferra nullius(III, p. 129 et suiv.. p. 132 et p. 203-204 :el voir aussi l'expose
oral marocain du jeudi 3 juillet 1975. ci-dessus p. 288-3051.
Dans son exposé introductif, M. l'ambassadeur Slaoui, qui représente ici
officiellement leGouvernement du Maroc et qui est le chef de la délégation, a
cependant, au nom du Gouvernement marocain. admis l'existenced'aun nord
et un sud juxtaposant dans l'espace des liens juridiques du Sahara occidental
avec le Maroc et avec la Mauritanie >>(ci-dessu3-p. 119). Il a ensuite lancé
l'appelsuivant a la Cour :

<(Celle-ci constatera que le Sahara n'étaitpas, au moment de la
colonisation es~--nole. u'e rerru ~ilrllitiset au'il était.sans aucun vide
géographique, un ensemble de terres marocaines et mauritaniennes ou
Marocains et hlauritaniens. en des formes et des lieux différents.
exerçaient une autoritépolitique. >t'lhid.1

C'estbien la,je pense, reconnaître que la forme du pouvoir qui s'exerçaitau
sud du Sahara occidental ne pouvait faire tomber ce territoire dans la catégorie
de Ierro ~~t~tli~ts.
Pour ce qui est du Gouvevnement espagnol. il ne s'est guère étendusur la
question. Le paragraphe 261 de son exposé écrit(1, p. 170) signale que la
notion est généralementutilisée à propos de l'acquisition, par occupation, de
territoire.
Les autoritéscitéespar le Gouvernement espagnol sont toutes trèsrécentes :

Oppenheim-Lauterpacht, 1968, au paragraphe 262 de l'exposéécrit espagnol
(1, p. 170) :sir Gerald Fitzrnaurice, 1957, ceci au paragraphe 263 (1, p. 170-
171).ces auteursadoptant la théorieréalistecontemporaine de la re.~~iillili. t
l'Espagne en conclut que :
« l'absence de l'exercice d'un pouvoir souverain de la part d'un Etat ...
produit un effetjuridique concret, a savoir, celui qui consisteaconsidérer
licite l'occupation du territoire par un sujet de l'ordre jiiridiqlie inter-
national » (1,p. 17 1,par. 264).

On voit donc que l'Espagne, dans ce passage, reste dans la conception de
l'occupation du territoire. Elle adopte par le même fait lathéorieréalisteou laconception fiction relevéeci-dessus : est frrru ~iii//iusle territoire sur lequel

aucun Etat n'exerce, a un moment détermine.la souverainetéterritoriale (voir
par. 265). L'Espagne en lire la conclusion qu'a part elle-mêmeseul le Maroc
pouvait s'approprier le Sahara occidental en qualité de souverain et pas
« l'ensemble mauritanien »puisque
<<cette mêmeappellation démontre clairement qu'il ne s'agit point d'un
Etat titulaire d'une souverainetéterritoriale, mais d'une réalitédifférente,
de caractère géographique ou ethnique, sans pertinence pour le droit

international )>(1,p. 171.par. 266).
C'est a la Cour qu'il appartiendra de juger a quel moment il faut se placer
pour apprécierle droit international relatif a larfi ~ti~llits'unepart, et quelle a
été,irt tenrpore 17orislisprclo, a l'époquede la décolonisation, l'attitude de
l'Espagne.

Pour notre part, nous croyons avoir montré que le droit international de
l'époquene tenait pas les tribus pour rc.irilillit~set que telle ne fut pas t'attitude
de l'Espagne qui, dans le sud du territoire en particulier. a passé de très
nombreux traites avec les tribus maures : en 1884,Bonelli avec les Oiilad Bou
Sba ; en 1886, Cervera-Quiroga-Rizzo avec les Oulad Bou Sba, les Oulad
Xuich, les Oulad Moussa, Regueibat, Oulad Delim,l'émirde l'Adrar, qui tous
ensemble contrdaient I'ensemble du Rio de Oro ;et l'autre traité d'ldjil, en
1886.avec l'émirde l'Adrar ;en 1895, c'esttoujours l'Espagne, le gouverneur
de l'Espagne au Rio de Oro, qui a passélin traité aveclechef des Oulad Delim
en son nom propre et au nom des Oulad Bou Sba, Aroussiyine et Oulad
Tidrarin, dont nous parlait tout a l'heure M. Yedali Ould Cheikh. Dans son

exposé écrit, le Gouvernemeni espagnol a cru utile de soulever la notion
d'esfoppel,peut-être pourrait-ilréfléchirsi la notion dk.siopprl ne pourrait pas
ici aussi jouer un certain rôle. L'Espagne a tire des droits souverains de ces
traitéset lesa invoques contre les tiers, en particulier les Français. pour justifier
sa présencesur te territoire.
II faut savoir choisir. On n'est pas toujours aussi heureux que la chauve-
souris de la fable : <<Je suis oiseau, voyez mes ailes ! Je suis souris, vivent les
rats !n
J'aborde maintenant lasecondequestion. Celle-citouche aux liensjuridiques
du Sahara occidental avec I'ensemblemauritanien ou pays de Chinguiti.
Cette seconde question est a la foissimple en faitet délicateen droit.
Etifuir d'abord.
Nous avons essayéde démontrer a la Cour l'unitédu pays chinguittien de

I'ensemblechinguittien.
Rappelons, pour bien fixer les idées,que pour nous. le pays de Chinguiti,
I'ensemblechinguittien ou encore I'ensemblemauritanien s'étend duSénégal a
l'ouedSaguia el Hamra sous la réserve.souvent répétée q.u'au sud de cet oued
commence une zone de chevauchement avec les nomades Tekna du bled siba
marocain.
Cette unité de I'ensemble chinguittien. nous avons essayéde la prouver
avant el même pendantla périodede colonisation. Elle se caractérise parune
communauté religieuse, linguistique, culturelle. artistique. économique.
politique et juridique. Nous ne reviendrons pas sur les exposésqui ont été
consacrés a ces points.
Cette unitéde I'ensemblechinguittien,nous avons essayéde montrer qu'elle

n'existait passeulement de l'intérieur, maisqu'elle étaitressentie comme telle
de l'extérieur, dans tout le monde arabe. jusqu'au Moyen-Orient, ou l'on
distinguait parfaitement un hlarocain d'un homme du Bilad Chinguiti. Nous430 SAHARA OCCIDENTAL

avons aussi montré que cette unitéavait été vécud eans l'indépendancela plus
totale par rapport aux Etats voisins.

L'appartenance &cet ensemble des tribus maures du sud de l'ouedSaguia el
Hamra est un fait qu'ont prouvétant nos exposés précédentq sue l'exposéécrit
espagnol. L'absenced'identite de la colonie espagnole du Sahara occiden ta1et
du Rio de Oro, en particulier, par rapport a l'ensemblemauritanien, s'exprime
politiquement par de niultiples faits qui ont été e pense, mis en évidencetout
au long de cette procédure.
Je souhaiterais vous en rappeler quelques-uns.
Tout d'abord, l'identitédes tribus, dans leurs structures sociales, politiques,
juridiques et économiqueset cecides le XVCsiècle ;identité destribus depart et
d'autre de la frontiere qui a eté tracéeartificiellement, simplement en fonction
du rapport de force Espagne-France et non en vertu de Larépartition oude la
volonté des populations. Si l'Espagne avait été plus forte, elle aurait eu l'Adrar.
L'absenced'occupation réellepar I'Espagnede cette colonie, ce qui, je crois,
n'est discutéepar personne, ni par les Espagnols, ni par les Marocains, ni par

nous, a fait que la vie y a continuécommeauparavant, sans que soient entames
les liens traditionnels des populations avec leur ensemble naturel. La libre
circulation des hommes, des bêtes etdes marchandises, essentielle pour la vie
nomade, ne fut pas affectée par la colonisation espagnole. L'Espagne et la
France, en 1934,se sont mèmeentendues pour la maintenir. Rappelons tout ce
que nous avons dit sur les puits. les cimetières, les propriétés transfrontieres.
Desjugements. des opérations de paiement de ladiya, de nomination de cadi,
ne tiennent pas compte de ces lignes abstraites et superficielles.
Cette mème absence d'occupation par I'Espagnea fait du Sahara occidental
ce que Ibn appelle aujourd'hui dans un anglicisme discutable <i un sanc-
tuaire )),c'est-à-dire une zone de refuge ou de repli par excellence pour les
Mauritaniensqui résistaientà ce que les Français appelaient <<la pacification».
Ceci provoqua, vous avez pu le voir dans les documents, quelques incursions
des Français : voyez notamment I'afîaire de la colonne Mouret (II, p. 328 et

suiv.) et. en tout cas, de constantes plaintes de I'Espagnecontre ces incursions
qui n'avaient d'égalesque les plaintes de la France apropos de la passivitéde
I'Espagne.
t'affaire des deux pilotes français captures en 1928 au Rio de Oro par les
Regueibat et que ceux-ci ne voulaient rendre qu'en échangede membres de
leur tribu,qui étaient prisonniersdes Français de l'autre cote de la frontière,me
parait une remarquable illustration de cette situation (voir II, appendice 2 1 a
l'annexe C.5, p. 360-362).
Tout ceci prouve en fait qu'il s'agit du mêmepeuple, de la même nation,
faisant partie du méniepays chinguittien ;son existence et ses particularités
trouvent leur source dans la dureté mêmede la vie nomade et dans ses
exigences.

L'audicrlai,strspeiiducù~ / 1Ii15, csireprise ù Il /i35

Monsieur le Vice-l'résident, Messieurs de la Cour, j'ai donc tenté, avant

l'interruption, de vous montrer comment cfr faitla notion d'ensemble
mauritanien ne posait guèrede problèmeet combien ellepouvait êtreappréciée
et conçue comme un fait culturel. historique, ethnologique.
J'en viens maintenant a la reponseor droit et,je le répète,c'est une question
délicate.
La question poséepar l'Assembléepose en effet des problèmes trèsdiIliciles
et ceci aussi bien quanta la définitionjuridique de l'ensemble mauritanien que EXPOSE ORAL DE hl.SALMON 431

quant ala détermination desliensjuridiques du sud du Sahara occidental avec
cet ensemble.
Voyons d'abord la notion dértsembkc riiauriraiii~~ti.
Certes, on pourrait avancer que l'Assembléegenerale a elle-même reconnu
l'ensemblemauritanien puisqu'elles'yestexpressément référé deans le corpsde
la question qu'elle vous a posée. Cette voiea certainement ses mérites maisla
Cour me permettra de penser qu'elle est intellectuellement frustrante et qu'il
faut tenter de faire un effort pour essayer de definir la nature de cet ensemble.
Une premièreévidence a cet égardmeparait ètreque I'ensemblechinguittien

n'était pasun Etat au sens ou le concevaient a l'époqueles gouvernements
occidentaux, au moment de la colonisation, et ceci pour les deux raisons
suivantes : d'une part la majeure partie de I'ensemble, c'est-a-dire la Mauri-
tanie, n'a été constituéeen colonie d'abord par la France que progressive-
ment de 1902a 1934et n'est devenue un Etat qu'a partir de son indépendance
en 1960. La Mauritanie est la seule partie du pays chinguittien qui ait accédé
à laforme d'Etat indépendant. Elle a certes une vocation et un droit a la
réunification avec la partie qui est toujours sous occupation espagnole,
mais sa qualitéd'Etat actuel ne rétroagit pas. Sa structure étatique,I'unifica-
tion administrative française ayant fourni l'ossature de son émergenceen tant
qu'Etat de type occidental, n'existait pas en 1880.
La deuxième raison pour laquelle on peut difficilement prétendre que
I'ensemblechinguittien aurait étéun Etat a l'époque,c'estqu'aucun Etai tiers
n'a alors reconnu cet ensemble comme un Etat.
II ne s'agit pas de prétendre ici que la reconnaissance crke l'Etat, mais
lorsqu'iln'yen a vraiment aucune, c'esttout de mêmeun faitjuridique quidoit
être prisen considération.
Certes, on peut admettre qu'en cette période les parties composantes de
l'ensemble chinguittien étaient indépendantes et souveraines, sans faire
violence ni à la vérité historique nau droit de l'époque.Nous croyons l'avoir

montre ci-avant. Mais en revanche I'ensemblelui-mêmen'étaitpas uni par des
structures institutionneIles suffisamment centralisées pour que 1'011puisse
parler d'Etat ou même defédération.
Nous pensons aussi que les liaisons permanentes qui existaient entre les
élémentsde I'ensembleétaientinsuffisantes, sur le plan institutionnel toujours,
pour que ['onpuisse parler de confédération.Nous estimons que nous devons
éviterla démarche intellectuelle artificielle inspirée pla volonté de trouver
coûte que coûte une bonne notion juridique commode et rassurante, issue du
droit public moderne, pour I'alipliquer a une situation ancienne. C'est une
démarcheque nous estimons scientifiquement inacceptable. La notion de ligue,
telle que la Grèceancienne l'aconnue (eton peut voir a cet égardles multiples
travaux de Georges Ténékidèsc ,'est un grand spécialiste, ainsique la Cour le
sait,de la question), est sans doute un modèle plusproche de la réalitédu pays
chinguittien comme le prouvent les institutions dont le fonctionnement a été
exposéhier et avant-hier devant la Cour. telles que Iùïorbaiil,c'est-a-dire ces
conferences ad hoc qui avaient lieu en cas de grands rassemblements des
tribus, ou le fameux échange de sorba (délégations)et les échanges. disons,
quasi diplomatiques qui pouvaient exister entre certaines de ces régions.

La deuxième évidence, c'est que. en dépit de sa faiblesse de structures
institutionnelles, en ayant en tete le seul modèle étatique.l'ensemble chin-
guittien n'en étaitpas moins une réalité.a l'époque.avec des caractéristiques
propres. l'indépendance et l'unité de droit, l'application du droit saharien.
Tout cela consacrait l'individualité dupays chinguittien.
L'importance de ce droit saharien, auquel on a fait allusion a plusieurs432 SAHARA OCCIDENTAL

reprises, ne doit pas, je pense, ëtre sous-estimée. Que I'on se souvienne de
toutes les règlesdont nous avons parléconcernant l'usagedes points d'eau, des
zones de pâturages et des terrains de culture, l'ensemble des prescriptions
relatives au droit de la paix, au droit de la guerre, les modes de règlement
pacifique des différends.Toutes ces règless'appliquaient a toutes lestribus dans
leurs relations entre elles.
Troisième évidence,en vertu des principes du droit intertemporel, ce sont les
règles de droit de l'époque'qu'ilfaut appliquer pour qualifier les situations.

Mais il faut bien dire que ceci ne résoutpas du tout la question. Quel droit
faut41 appliquer? CeIui des puissances coIoniales européennes attachées a
leurs concepts et convaincues de la supériorité du modèle de sociétéfondésur
la notion d'Etat, ou bien est-ce un droit diffus, relativisé, singularisé des
ensembles précoloniauxqui couvraient les trois quarts de la surface du globe et
auquel Arntz, que je citais touta l'heure, disait que I'onne pouvait pas refuser
la qualification du droit des gens. Ne faut-il pas êtreattentif au fait que la
situation que nous rencontrons ici est propre, a peu près, i 1:ensemble de
l'Afrique eta une graiide partie de l'Asieau stade précolonial?
Etje cite encore Arntz - c'estune bonne trouvaille, je doisdire,de cesjours
derniers :

« Les Francs, les Wisighots, les Ostrogoths, les Burgondes et autres
n'étaientque des peuplades nomades composéesde chefs qui, aux yeux
du droit des gens, n'étaientque des particuliers et qui ont fonde des Etats.
Les républiques italiennes du Moyen Age n'étaientque des municipes
sans souverainetéinternationale, et sont devenues des Etats souverains. »

(Delu ct.ssiutldes druils de soirverair~e~t'padrecheJs de îribtrssurivages.
p. 16.)

S'ilsle sont devenus, c'est parce qu'ils formaient des ensembles culturels et
sociaux qui se sont progressivement solidifiés ettransformésen Etats. Ce n'est
pas autrement que se sont formés l'ensemble indien, i'ensemble philippin,
l'ensemble indonésien,les plus grands Etats africains.
IIy a en outre un phénomeneparticulier iciqui est celui du nomadisme dans
cette zone, le désertou, comme dans la mer, on ne fait que passer mais ou,
contrairement a la mer, chaque tribu se réserve un territoire bien a elle.
Quelques réflexions complémentairessur le nomadisme nous paraissent, pour
cette raison, indiquées a ce stade de notre exposé,et nous pensons devoir y
donner une certaine extension car c'estprobablement pour la premièrefois que
la Cour a l'occasion d'envisagerce phénomeneparticulier.
Si l'ethnologue s'est penché depuis longtemps sur le phénomene du

nomadisme, si le juriste spécialisedans l'étudedes droits coutumiers n'a pas
tardéa le suivre, 1'int.ernationalistea longtemps négligéce problème. Ce peu
d'intérêt tiens tans conteste aux origines du droit international qui pendant
longtemps est resté européocentriste.Dans ce système - comme nous l'avons
vu - le seul sujetde droit digne de considération estI'Etat, les autres formes
d'organisation sociale étant méprisées,qualifiéesde barbares ou de sauvages,
voire complètement ignorées.Parmi ces collectivitéspréétatiques ouparaéta-
tiques,les groupemerits nomades ont connu le sort le plus défavorable - et
cela n'a rien d'étonnant. En effet, on peut dire sans exagérer que I'Etat est
l'ennemi héréditaire cles nomades. Si le nomade vit a l'intérieur desa fron-
tières, il est considéré parI'Etat comme un élémentde trouble ;il échappe
a son contrôle administratif, a sa justice, a ses collecteurs d'impôts ...Pour
s'en convaincre, que l'on voie avec quelle suspicion les Etats européens EXPOSE ORAL DE M. SALMON 433

d'aujourd'hui les plus sincèrement attaches au respect des droits de l'homme
traitent leurs derniers tziganes ou gitans. au point que I'Assembleedu Conseil
de l'Europe s'en est émue. Si, au contraire. le nomade vit en dehors de son
territoire - en dehors du territoire de 1'Etat - il représente souvent pour
I'Etat un danger d'incursion ou de razzia. En outre. l'Europe a vécupendant
plusieurs siècles dans une sorte de nostalgie d'un Etat idéalreprésente par
l'Empire romain. Le Saint Empire romain de la nation germanique. le tsar ou
le kaiser. par leur appellation méme,prétendaient ressusciter leCésar antique.

Souvenons-nous du décorum pseudo-romain dont aimait s'entourer Napo-
léonle'. Or nul n'oubliait que ce modèle - ces grands empires - avait été
détruit par les nomades, par les coups répétéd ses populations qui, du IIICau
VIe siècle,déferlèrentd'est en ouest :la destruction de I'Etat se confondant
alors avec la disparition de la civilisation.
Tous ces facteurs historiques expliquent, je pense, que I'idéoiogieclassique,
longtemps dominante, a engendré des représentations déforméesdu noma-
disme et a tendu a nier ce phénomèneen tant que réalité juridique. Comment,
en effet, considérer comme un systeme de droit un groupement humain que
l'on présentait volontiers comme anarchique et éphémèrec ,ommeJa négation
du modèle idéal,a savoir 1'Etatfortement structuréet centralise.
Animés par une véritable objectivité scientifique, les ethnologues ont
contribué a rétablir la véritéet a prouver que les collectivitésnomades ont pu
créer desstructures sociales extrêmementperfectionnées,efîicaces et raffinées.
Celles-ci se sont répartiessur tous les continents et se sont présentéessous les
formes lesplus diverses. Citons, en Asie,lespeuples Semangde Thaïlande et de

Malaisie, Sakai de Malaisie, Andamanais de Birmanie, et en Sihérie les
Kirghizes, les Mongols, les Ostyaks, les Voguls, les Altaïs, les Tartares, les
Zukaghirs, les Yakouts ;lespeuples Aëta des Philippines ;les fameux Bédouins
en Arabie, qui ont forme 1'Etatsaoudien ;les Kubu de Sumatra, Toula des
Célèbes ;en Afrique, les Boshimans en Afrique du Sud et au Bechuanaland, les
Masaï d'Afriqueorientale ;en Amérique,les Paiutes du Nevada et de l'Oregon,
les Yokuts de Californie et les célèbresCheyennes, Kiowas, Comanches ou
Pieds-noirs de l'ouest des Etats-Unis actuels. Et cette liste est bien loin d'être
complète.C'estdire si ce phénomènea connu de l'importance jusqu'a l'aubedu
XXe siècleet il subsiste d'ailleurs enmaints endroits.
Nous allons essayer de nous borner a souligner quelques-uns des caractères
communs a ces différentescivilisations nomades. Tous ces peuples, en effet,
ont conscience d'appartenir a un groupe humain bien identifié, tous ont
développéau plus haut point la notion de territoire, tous ont élaboré des
institutions et un systeme juridique parfois fort complexe.
Reprenons ces points.

Mêmelorsque ces peuples vivent en petites cellules tres dispersées,leur
sentiment d'appartenance a un groupe bien identifié setraduit par des réunions
périodiques en des endroits déterminés.Ces réunions se justifient par des
raisons diverses : on hiverne ensemble. par exemple. c'estle cas des Patutes ou
des Pieds-noirs ; ou bien aussi on se livrea des cérémoniesreligieuses, comme
chez les Masaï. Dans le Sahara méridional, selon l'ouvrage de l'Unesco déjà
cité,de grands rassemblements ont lieu a l'époquede la récoltedes dattes ou
pour les grands échanges intercarltvaniers. Le sentiment d'appartenance au
groupe s'exprime aussi par une relative coexistence pacifique entre groupes.
tres différentede I'hostikitemanifestéea l'égardde tout cequi n'appartient pas a
la communauté. Il est renforcb par des caractères ethniques, linguistiques,
culturels, religieux semblables. Par-dessus tout, l'identitéde peuple se traduit
par la revendication quasi forcenée du territoire. Laissons ici parler les434 SAHARA OCCIDENTAL

ethonologues. Hommes de science,soucieux de découvrir etdiffuser des vérités
humaines, ils sont peu suspects de servir des intérêts nationalisteségoïstes. Ils
nous montrent que pour les cornmuanu~és les moins élaborées,les plus

dépendantes de ressciurces naturelles precaires, les plus éloignéesde 1'Etat
moderne. le territoire constitue une notion essetitielle.
Ainsi en est-il déjà,comme l'ecritC. Daryll Ford, des Semang de Thailande
ou des Boshimans d'Afrique du Sud hhiîu~, Eco~ioi??yu~id So~iel.~,A
GrugfaplricufI~l~rod~~ï-tiI~Eiliiialogv,Londres, Methuen and CO.,Ltd., New
York, E.P. Dutton and Co., Inc., 1957, p. 12et 25-27).
Ce qui est vrai de ces groupes simples l'est, a plus forte raison, des
populations au système économique et social plus complexe. Ainsi, le même
auteur nous montre que les différents groupes constituant le peuple des
(<Pieds-noirs d'Amériquedu Nord » revendiquent un territoire généralement
délimitépar les accidents naturels (rivières, colIines, vallées)(ihid., p. 50).Il en
va de même pour les Masaï d'Afrique orientale (ihid ..,292). Cette
revendication du territoire n'est pas de naturA étonner. En effet, étantdonné
le mode d'existence de ces populations, leur survie est subordonnée au libre
accès a ces surfaces plus ou moins vastes, dont ils doivent êtreles seuls et
principaux bénéficiaires.
Nous ne reviendrons pas sur cet aspect des choses que nous avons essaye de

vous démontrer dans le pays de Chinguiti, lorsque nous vous avons montre la
nécessité desparcours de nomadisation, ces points avaient déjàétésoulignés,
d'ailleurs, dans l'exposéécritmauritanien.
Remarquons en effet que les déplacements des populations nomades a
travers leurs zones propres ne sont pas l'effetdu hasard ou de l'improvisation.
Ils sont dictéspar les cycles naturel: éclosionde certaines espèces végétales,
comme chez les Seniang ou les Boshirnans, quêtede nourriture pour les
animaux domestiques chez les Bédouins d'Arabie ou les Masaï d'Afrique
orientale, ou poursuite des troupeaux sauvages dans leur transhumance
comme pour tes Pieds-noirs d'Amérique duNord. Leurs déplacements n'ont
rien d'anarchique ; ils obéissenta une série de lois naturelles, auxquelles
s'ajoutent souvent des prescriptions nées de préoccupations religieuses ou
d'usagesancestraux.
On peut donc considérercomme organisé eteffectifce type d'occupation de
territoires qui sont ainsi tout entiers destinésa assurer l'existence du groupe

social. Cette effectivitéest beaucoup plus réelleque celle invoquée par certains
conquérants pour revendiquer d'immenses territoires après avoir planté un
drapeau sur une cote ou laisséde maigres garnisons dans quelques fortins sans
J~i~~fer/u~~d.
Quant au lien juridique existant entre les populations nomades et leur
territoire, il est à la fois le plus simple et le plus essentiel. Qu'arrive-t-il lorsque
ces communautés sont privéesde leurs terres ou sont paralyséesdans leurs
déplacements? Elles s'anémient d'abord,elles disparaissent ensuite.
Faut-il rappeler la lente dégénérescence des Boshimans, prisen tenailles
entre les populations aîrjcaines se déplaçant du nord vers le sud et le colo-
nisateur blanc effectuant le mouvement inverse? Faut-il évoquer le pitoyable
dénouement de cette épopée glorieusequ'ont vécu les tribus indiennes
d'Amérique du Nord?Le droit au territoire se confond donc tout simplement
avec ce droit de chaque individu dont sont issus tous les autres droits de
l'homme c'est-bdire le droit a la vie.
Ces peuples nomades, collectivement conscients de posséderune identité et

des caractéristiquespropres, assuresde la possession effective d'unterritoire, se
sont, en outre, dotés d'institutions propres. Très variables d'un continent à ESPOSE ORAL DE: M. SALhlON 435

l'autre, trésdissemblables selon qu'elles affectentdes chasseurs, despasteurs ou
des cueilleurs; mais ces institutions ont pour trait commun I'eficacité.
Lk non plus, rien d'étonnant.On n'ajamais vu dans l'histoire du monde un
groupe humain croitre et prospérersans s'appuyer sur une armature juridique.
Ainsi, les Pieds-noirs étaient divisésen trois tribus entretenant des relations
amicales et elles-mimesstructurées en groupes plus ou moins importarits selon
les saisons, les chefs de groupes constituant une sorte de conseil limitant les
pouvoirs de celui d'entre eux qui, par ses qualitéset son énergie,accédaitau
rang de chef detribu. Rappelez-vous, dansun certain sens, ce rôle éminentqu'a
joue, dans le cas du pays de Chinguiti a certains moments, l'émirde l'Adrar.

(Pour la référenceaux tribus américaines, voir C. D. Ford. op. ci/.pp. 51-52.)
Chez les hlasaï, ou on rencontre une division en tribus et en clans
extrêmementcomplexe, c'estle Laibon, personnage politico-religieux qui joue
un rôle unificateur.
Des structures sociales particulièrement raflinéesont vu le jour parmi les
peuples nomades de Sibérie. Celles-cisont bien connues, car le droit de ce
peuple a ététrèstôt codifié.Dèsla fin du XVIle siècle,le Khan Tiavka codifiait
les lois des Kirghizes. qui constituent le peuple nomade le plus inlportant
d'Asie.Ubid. p. 30 1.)
Des systèmes sociaux semblables furent élaboréspw la plupart des autres
peuples nomades de Sibérie : citons les Ostyaks, Vogouls. Samoyades,
Tartares, Toungouses, Yakoutes, dont les lois furent aussi tr;:.stôt codifiées.
Remarquons que, par leur mode de vie et leurs structures juridiques, ces
nomades sont trèsproches des membres de l'ensemblemauritanien. dont nous
avons longuement expose les institutions, et qui, eux aussi, vivaient au
voisinage de deux poles sédentaires,le Maroc au nord, les villes de l'Adrar et
du Tagant au sud.
Ceci nous montre que les peuples nomades, a l'instar de tous lesautres. ont
élaborédes systèmesde droit infiniment perfectionnes et. en tout cas. entière-
ment adaptésa un mode de vie difficile.
II faut donc rejeter, en cette matière. tout systeme de valeur ethnocentrique

qui consacrerait la prétenduesupérioritéd'un type d'organisation politique par
rapport a d'autres.
L'Etat fortement structuré des populations~sédentairesn'est pasnecessaire-
ment meilleur que le système social fluide des nomades. Les Etats, d'ailleurs,
ont a maintes reprises reconnu l'importance des peuples nomades en traitant
sur un pied d'égalitéavec eux. Que I'onse souvienne des relations noliéespar
l'Empire romain ou la Russie des tsars avec Lespopulations se déplaçant a
proximitéde leurs frontières,voire sur leurs territoires. Que I'onse rappelle les
traitéssignésentre les Etats-Unis d'Amériqueet les tribus indiennes. Nous ne
reviendrons pas, pour notre part, sur les éléments identiques qui ont
accompagnéla conquêtefranco-espagnole du BiladChinguiti.
Les communautés nomades constituent donc des réalitéssociologiques,
politiques, économiquesetjuridiques aussi dignes d'attention et de respect que
toute autre collectivitéhumaine.
Animéespar un sentiment communautaire indéniable,se déplaçantde façon
ordonnée sur un territoire défini souvent avec précision, douées d'une
organisation politique et juridique efficace, ces populations possèdent tous les
caractères constitutifs des nations. Elles présentent parfoisplus de cohérence
que certains Etats.11y a plus d'unitéparmi lestribus sibériennes,bédouinesou
indiennes, et lepouvoir s'y exerçaitplus efficacement quedans les royaumes de
l'Europe féodale oudans la Pologne du XVIlP siècle.
Les collectivitésnomades ne peuvent donc plus être ignorées parle droit436 SAHARA OCCIIIE~TTTAL

international. Refuser aujourd'hui pareille conclusion reviendrait a justifier a
posteriori tous les génocidesque les siècles passesont perpétrésau nom de la
prétenduesupérioritéd'une civilisation ou d'un systèmesocial.
Comment d'ailleurs ignorer ces collecdvités a une époque ou le droit
international se fait et se veut universel et reconnaît une personnalité a des
sujets autres que les Etats ? Comment les ignorer quand, de plus en plus, on
reconnait que la fin dernièredu droit international est deservir l'homme et non
pas des entités abstraites.
N'oublions pas la leçon que l'ethnologue donne au juriste, c'est-à-dire une
leçon de modestie. II nous apprend que seuls valent les systèmes juridiques

auxquels adhèrent les individus. Et, a cet égard, I'ensemble mauritanien est
irréprochable. II adhére aux valeurs essentielles de la civilisation islamique
dont il partage la religion, la langueet la culture, et iy joint un mode de vie
propre qui lui est impose par les défisde l'environnement. Dans son héritage,
comme dans son originalité,cet ensemble mauritanien doit êtrereconnu dans
sa spécificitéet son intégralité. - -
Ainsi, finalement, ce sont les concepts de tiuiio~iet de per~pl~ qui nous
paraissent le plus adéquats pour expliquer la situation du peuple chinguittien
au moment de la colonisation. En effet, de tels concepts ne supposent pas la
centralisation administrative qu'impliquela notion d'Etat. Lesnotions de nation
et de peuple sont compatiblesa la fois avec la diversité da individualismes
de l'ensemble chinguittien et cette volonté de vivre ensemble. de vivre en
commun. sont compatibles avec cette communauté de tradition, de culture, de

religion. de droit, d'attitudes psychologiques. qui faisait que ce pays étaitconçu
comme une entitéproprepar I'ensembledu monde arabo-musulman.
Qu'on me permette de citer ici Charles Chaumont. Dans son article
(<Recherche du contenu irréductible de la souveraineté». dans HOIII~IJU~L'
d'lrtiegL;iic;rarideij,~risr~sair Pri;sidc~fBusd~i~or~i (Pedone, Paris, 1960). il
écrit ;
<tCe qui fait la singularité irréductible d'une nation. notamment par

rapport à la notion matériellede population. c'est la conjonction de deux
données exprimees. l'une dans I'espace et l'autre dans le temps; dans
I'espace, si l'on observe une nation dans son cadre géographique et
linguistique monientané : dans le temps. si l'onconstate la succession des
générations humaines animéesd'un mime vouloir vivre collectif, c'est-
a-dire, comme tout êtrevivant, de la tendance de l'être a persévérerdans
I'étreH (P.132.)

Lesnotions de nation et de peuple ne sont pas des concepts contemporains
que l'on appliquerait artiliciellement a une situation ancienne. Ces notions ont
étélargement diffuséeset utiliséessans difliculte. au moins des le XVIIIesiècle.
a des situations européenneset extra-européennes.
Sàgissant de la nation. tous les manuels vous parlent de la reconnaissance de
la nation polonaise et de la nation tchécoslovaqueen 1917.
Quant à la notion de peuple, il faut reconnaitre qu'ellea étéoccultée parle
droit international classique des années 1900- 1960 qui préféraitla notion plus
formelle d'Etat.
Mais aujourd'hui cette notion a laquelle plusieurs articles de la Charte font
allusion reprend, retrouve dans le droit international contemporain la place

qu'elle n'aurait jamais dû perdre. La notion de peuple apparait. on le voit
très clairement, en droit international contemporain chaque fois que s'efface
I'Etat.
Ainsi, lorsque I'Elat n'estpas ou plus considere comme le representant d'unpeuple déterminé ;c'estainsi que le droit international contemporain a fait une
place importante a la notion de droit des peuples a disposer d'eux-mêmes en
matière de décolonisation notamment. Rappelons tout ce droit sur les terri-
toires sous mandat, sous tutelle et les territoires non autonomes.
Ainsi encore, lorsque l'appareil d'Etat est paralysé par l'occupationétran-
gère, les peuples occupéssont titulaires de droits collectifs distincts de ceux des
personnes qui font partie de la population civile. IIy a de nombreux exemples
dans le droit de la guerre,dans lejlrs iri bellodans le droit de l'occupation, etc.
Ainsi encore, lorsque c'estau peuple que l'onveut accorder ledroit plus qu'a
la forme juridique étatique ;c'estle cas du droit des peuples a disposer de leurs
richesses naturelles - songez aux multiples résolutions desNations Unies a ce

sujet, a l'article 1, paragraphe 2,des pactes internationaux sur les droits de
l'homme, etc.
Cést le cas encore du droit des peuples a la non-intervention dans leurs
affaires intérieures : l'article premier, paragraphe 1. des pactes relatifs aux
droits de l'homme ne dit-il pas que :

(<Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vcrtu de ce
droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement
leur développement économique et social et culturel. » (Nations Unies.
Dociit,iei~rsoffi7cic.l~de I'Asscri~hl&cg~~;ric;r~i/~v,ifQI1 ot~ikt~?s~')ssiott,
s~tpp/c+t~er 11t1'6.p. 52.)

Pour nous, l'existence d'unpays chinguittien. d'une nation, d'un peuplede
Chinguiti est assurée. Ses structures complexes n'ont certes pas atteint ce stade
de centralisation qui est celui que retient habituellement la sociétésédentaire,
mais, en ces matières, tout est question de degré,pas de nature. Les structures
de pouvoir parallèles,mais néanmoinsunies par un tissu d'obligations diverses
mises a jour dans le droit de l'ensemble chinguittien, apparaissent comme un

mode nécessaired'organisation du pouvoir dansune société en grande majorité
nomade. Appartient-il au juriste de coller sur ce contenu juridique une
étiquette ?Laquestion se pose. S'ilfaut le Faire,céstcelle de cosouveraineté des
éléments du pays chinguittien qui, probablement. est celle qui apparaîtra
comme la moins mauvaise, cosouveraineté des élémentsdu pays chiiiguittien.
La notion de souveraineté est-elle osée? Nous ne le croyons pas. Qui dit
indépendanced'une nation, d'un peuple. dit souveraineté. Ledroit des Nations
Unies aujourd'hui n'hésitepas. a juste titre. a proclamer la souveraineté des
peuples. Ainsi, dans sa dédaration 1514 (XVI sur l'octroi de l'indépendance
aux peuples coloniaux. l'Assembléegénérale desNations Unies se déclare
<<Corri~niiicttque tous les peuples ont un droit inaliénable a la pleine liberté.a

l'exercicede leur souveraineté et à l'intégritd ée leur territoirnations! ».
Charles Chaumont, dans son article précité,souligne aussi :

<le lien qui existe entre leconcept de souverainetéet leconcept de nation,
en ce sens que la souverainetéest l'expressionde l'existencenationale. La
souveraineté apparaît alors, non comme un pouvoir tout fait, achevéet
complet, mais comme un efîot-t, une recherche, une revendication, une
conquêteet au besoin une résistanceet une révolte. Ce n'est pas, au
premier abord. une notio~ijuridique : cést une notion sociologique qui a
des conséquences juridiques, variables selon le dynamisme de la
souveraineté, c'est-à-dire la force sociale de la nation en cause. Ces
conséquences juridiques consistent dans les diverses compétences qui
traduisent, dans la vie internationale, I'existencede I'Etat. )>~foirirliag~.
d'iliie g&irc;ru/ioi ejirri.sfsa Prc%idc~rB iiosdei~at?!p. 142.)438 SAHARA OCCIDENTAL

LaCour,nous l'espérons. accepterade reconnaître dans lepaysde Chinguiti,
au moment de la colonisation, un ensemble qui présentaitles caractères d'une
nation indépendanteen dépitde sa diversité politique, justifipar les données
objectives de la vie saharienne et nomade, d'un peuple formé de tribus,
confedérationsde tribiis, émirats, etc., qui, conjointement. exerçaient une co-
souverainetésur le pays de Chinguiti ou ensemble mauritanien.
La seconde question, c'estde savoir quels sont les liensjuridiques du sud du
Sahara occidental avcui le pays chinguittien ou ensemble mauritanien au
moment de la colonisation ? Ici,nous serons trésbrefs.
Une fois cernéela notion de pays chinguittien ou ensemble mauritanien, et
sans revenir sur ses limites géographiques que nous avons évoquéestrès
fréquemment, il est simple de répondre a la question posée sur ses liens
juridiques avec le Sahara occidental.

Les tribus quiy vivaient chevauchaient, pour la plupart. le territoire de la
colonie espagnole et celui de la future République islamiquede Mauritanie.
Elles étaient donc des parties constitutives, des membres de l'ensemble
chinguittien, tout comme les autres tribus. confedérations de tribus ou émirats
localisésexclusivement sur le territoire de la future République islamiquede
Mauritanie.
Le caractère peu centralise d'une commmuté ne diminue pas la nature
juridique de la relation qui l'unit a ses membres. des que cette relation
comporte des droits et des obligations.
Or, les membres de l'ensemble chinguittien étaientlies. nous l'avons vu. par
un tissu serré d'institutions, de droits et d'obligations découlant du droit
saharien.
Tout comme leurs frères sous l'occupation française, les Sahraouis sous
occupation espagnole, fils du pays de Chinguiti, étaient membresde la meme
nation, du mêmepeuple, partageant avec lui la cosouverainete sur le territoire
commun. Seule la colonisation étrangère a empêchéce peuple d'exercer son
droit a l'autodéterminationet al'indépendancedans l'unité.
C'est le maintien de cette nation. de ce peuple. que le Gouvernement de la
République islamiquede Mauritaniepoursuit dansson action aujourd'hui aux
Nations Unies pour assurer le respect de son intégritéterritoriale. DIX-HuITIEME AUDIENCE PUBLIQUE (14 VI1 75, 10hl

Présents :[Voir audience du 25 VI 75.1

EXPOSÉ ORAL DE M. BAYONA-BA-MEYA
REPRÉSE~TA~T DU GoUVERNEXIE~T ZAÏRIEN

M. BAYONA-BA-MEYA :Monsieur le Président.hlessieurs les membres
de la Cour, le conseil exécutif de la Republique du Zaïre voudrait d'abord
exprimer sa gratitude a l'endroit de la Cour internationale de Justice pour lui
avoir, conformément aux dispositions de l'article 66 du Statut. donné
l'occasion d'exprimer publiquement par le présent expose son point de vue
dans l'affairedu Suhura occidetrfol.
L'exposéque j'ai l'honneur de présenter sera bref; après avoir, cians une
introduction, justifié les raisons qui ont incité la Republique du Zaïre a
intervenir a cette phase-ci de la procédure devant la Cour internationale de
Justice. l'exposés'attache a proposer une nouvelle vision du concept de terru
trirlliirs,vision conforme a I'authenticitédes peuple:cette nouvelle vision du
concept de ierru 11i1l1iire.ssde nature. de l'avis du conseil exécutif de la
République du Zaïre, a servir d'élémentde réponse tant ala première qu'a la
seconde question posée a la Cour internationale de Justice par l'Assemblée

générale desNations Unies. Une brèveconclusion s'ensuivra.
D'aucuns s'interrogent sur lesraisons fondamentales qui justifient I'interven-
tion de la République du Zaïrea cette phase ultime de la procedure (levant la
Cour internationale de Justice.
Je viens. dans la présentation duplan expose. de déclarerque la Republique
du Zaïre entend proposer a la Cour internationale une vision nouvelle du
concept de tcv-rrriilrllitrs. vision confoaml'authenticité des peuples africains.
L'opinion mondiale sait que la République du Zaïre,sous l'inspiration de son
guide. le citoyen Mobutu Sese Seko, président fondateur du mouvement
populaire de ta Révolutionet présidentde la République, a fait du recours a
l'authenticitésa philosophie politique; en sus, il échetde noter que l'opinion
internationale a étémise au courant de la démarche entreprise par la
Republique islamique de R4auritanieauprésde la Republique du Zaïre pour la
désignation d'un juge ad flocen la présente cause. Mon pays, qui entretient
avec la République islamiquede Mauritanie des relations sincères d'amitié et
de fraternité. a pris acŒur cette nouvelle marque de confiance que ce pays frère
et ami a bien voulu lui témoigner : il croit de son devoir. en dépitdu refus de
la Cour d'autoriser la ~aurzanie à désigner un-juge ad hoc; d'apporter sa

modeste contribution a ledification d'un droit international nouveau. Enfin. la
République duZaïre, plus que beaucoupd'autres pays africains, connah ie p;ix
de la lutte pour lerecouvrement de l'intégritterritoriale. L'onsait qu'en effet le
Zaïre. alors République duCongo, a connu ta sécessionde trois régionsdont
cellede l'ex-Katanga, actuellement Shaba :rien d'étonnantdes lors quéllesoit
d'emblée acquise à toute cause africaine en laquelle se débat l'intégrité
territoriale.
Je tiensa remercier vivement le représentant du Royaume du Maroc qui,440 SAHARA OCCIDENTAL

d'entréedejeu, a déclaréle 25juin dernier (ci-dessus p. 118)devant cette Cour
qu'en la présente cause les points de vue du Gouvernement marocain et du
Gouvernement mauritanien doivent être considéréscomme complemenlaires
et non comme opposés :cette prise de position, confirméepar ailleurs devant
cette mêmeCour par lereprésentantde la République islamiquede Mauritanie,
me met fort a l'aise pour exposer.le point de vue du conseil exécutifde la

République du Zaïrequi croit soutenir les intérêts respectifs deces deux pays
frères.
L'amitiésincere qui lie la République du Zaïre a 1'Etat d'Espagne est
concrétisée par l'envoi régulier au Zaïre des missions économiques et
commerciales de tout genre et tout laisse présager que ces relations vont se
dével0DDerdavantaee : néanmoins. la Réuubliaue du Zaire ne DeUts'emoê-
cher. devant la vérig historique relative a; terriioire du Sahara occidental..de
dire. fort gentiment du reste, a un ami qu'il se trompe et qu'il devrait, dans
l'intérêdu maintien et de la sauvegarde de la paix entre les Etats. se rendre à
l'évidencehistorique :ce faisant. la République du Zaïre croit apporter au
Gouvernement espagnol la preuve d'uneamitiésincère. car c'est trahir l'amitié
que de dissimuler a un ami sonopinion divergente, voire opposée, face a une
situation fondamentale.
Enfin. l'histoiredoit rendre hommage a la République algérienne.mUriepar
de dures et longues épreuvesenduréesau nom de la libert;la République du
Zaïre est convaincue que la RépubliquesŒur d'Algérie.au nom de cette liberté
sacrée pour laquelle elle s'est farouchement battue et continue a se battre,
apportera a la présente causesa contribution dans le sens mêmede l'histoire
qui a été sienne jusqu'ici.

En ce moment oii j'aborde ce chapitre.de mon exposé, j'aimerais au
préalablesolliciter l'indulgence de la Cour. Le message que mon pays. mon
peuple, m'a chargéde transmettre a la Cour estd'une telle importance que je
me sens sincèrement devant une responsabilité d'ordre historique. Vous
daignerez. Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour,
m'accorder donc votre indulgence devant certaines affirmations. de nature
parfois péremptoire, que je serai amené à faire. Vous savez combien la
jeunesse, bien que pleine de bonne volonté. peut se montrer intransigeante
dans la défensedes idéessacrées auxquelles elle adhére. J'aurai en tout cas
l'excusede la quêtesincere de ta vérité.
J'en arrive donc a la proposition pour une vision nouvelle du concept de
{erra 11i1i1ici.nforme à l'authenticitédes peuples africains.
Jusqu'i un passé récent, l'Europe a cru étre le centre du monde : et
aujourd'hui encore subsistent des séquelles vivacesde cet européocentrisme.
Ce n'estque peu a peu que l'Europe se rend compte qu'il existed'autres formes
de civilisation. parfois supérieures. dont elle admire et tente d'imiter la force
morale et spirituelle. Dans l'entre-temps, des concepts juridiques et moraux
traduisant I'europeocentrisme du XIXCsièclecontinuent d'avoir cours et droit
de cité. leur remise en question nécessitant au préalable une véritable
conversion morale et mentale qui ne semble pas étrepour aujourd'hui. Tel est
lecas du concept deterru ~iiilliirsI.Iest évidentque l'Afriqueconsciente ne peul

plus se rallier au concept de rprru ii~~lliitel qu'élabork par les juristes
occidentaux. (Quatre théories principales discutent en doctrine le problème
d'établissementdes compétences étatiquessur un territoire. IIs'agitde théories
de la découverte.de l'occupation fictive,de l'occupation effectiveainsi que de
théoriede la reconnaissance. On peut consulter a ce sujet tes ouvrages et récits
ci-aprés :Jean Touscoz (,Le principe de lkffectiviiedans [ordre internatio-
nal ». LGDI. Paris. 1964, p. 144 et suiv.: Pasquale Fiore. Notrveaudroir EXPOSE ORAL DE M. BAYONA-BA-MEYA 44 1

iiiterrtutianal s~rivoiitIPSbh~.soind.se la civilisatio~tmoderite, 2c éd., Pedone,
Paris, 1885 ;Charles Rousseau, Le rkgirnejriridiq~rrdesespaces palaircs, cours
polycopiéde I'IWEC,Paris, 1957 ; R.-J. Dupuy, Le statut de l'Antarctique )),
Aiiiiuairc.fruriçuis de droit ititrr/io~io~~al1, 959, p. 209 ; Hackworth, Digest,
vol. 1,p. 393-598 ;C. Jeze,Etiide tlik.wiqt~eel pruiique stlr I'ucrtiputiortcuinmr
mode d'ucq~rkir les territoires et1droit iiiteriiatio/~al, 1896, p. 293-295 ; G.

Fitzmaurice, N The Law and Procedure, General Principles and Sources of
Law », British Yrnr Book of l/itertia~io/ralLaw. 1950, p. 31, note 1 ; Janine
Griache, La ihgorie de I'occupatio/ides territoires suii.smaiire darts I'uJ~aird etr
Ha~ii-Nil et d~i Bahr-el-Gazal, Raclot, Clermont-Ferrand, 1945 ; Charles
Salomon, De 1'0cctipati011des territoires sa/is />tuilre, Paris, 1889, no 78 ;
Joseph Jooris, «De l'occupation des territoires sans maitre sur les cbtes
d'Afrique >),Revlie de droii i~iiernuiioriulet de Ir'gislu~iorompurkc. 1886,
p. 236-243 ; M. F. Lindley, The Acqtiisiiiurr artd Goveri~/fzerit of Backivard
Terri~oryto Co1011iuE l xpatisirjrt, Longmans, Green and Co., Ltd., Londres,
1926, p. 6 et suiv.)

Deux raisons majeures le justifient. D'abord, une simple raison de logique
politique : au moment ou les dignes fils de l'Afrique cherchent à voir leur
continent totalement libéré du joug colonial et néo-colonialce serait faire injure
a la mémoire descombattants africains tombes au champ d'honneur pour la
dignitéde l'Afrique que de continuer a cautionner le concept de terra /ruIlius
qui a servi dejustification au dépeçagede l'Afriqueentre puissances coloniales,
spécialement lorsde la conférencede Berlin en 1885 ; les juristes occidentaux
du XIXc siècleont du élaborer ce concept en vue de trouver un fondement
juridique a l'occupation coloniale ; il fallait bien défendre les acquis de leur
civilisation en permettant aux nations, européennespour la plupart, deprendre

possession, de s'installer sur des territoires d'outre-mer, d'y exploiter des
matières premièresqui leur faisaient défautet d'avoir de nouveaux débouchés
pour les besoins de leur commerce ;ces impératifs d'ordre économique ont
secrétéles théorieset la pratique suivie par les Etats en fait d'occupation de
territoires situéshors des frontières nationales ; a cet égard,il sied de noter le
titre combien évocateurd'un ouvrage, dù a la plume de M. Pasquale Fiore, de
nationalité italienne :Nollveuu droit iritrrnutiortalp~iblics~iivatitles b~~.soi/re
la civilisat miooerne (2C éd..Pedone, Paris, 1885). C'est ainsi qu'ils ont
considérécomme territoires sans maître :<<des territoires inhabités ou habités
par des populations dont la civilisation est peu avancéeet dont l'organisation
politique n'était pasconçue selon les normes juridiques occidentales ».

Il parait inutile d'épiloguer outre mesure sur ces considérations non
seulement discriminatoires mais aussi dépourvues de toute pertinence et
objectivité.Quand peut-on dire d'une personne qu'elleest civiliséeet d'un pays
qu'ilest politiquement organisé ?Emettons quelques considérations :le paysan
de l'Afrique n'a pas l'eau courante dans sa case ou chaumière ; il n'a ni
électriciténi téléphone ; peut-être même ne sait-il ni lire ni écrire; mais en
revanche, il ne souffre guèred'hypertension ni d'insomniechronique ; ilne fait
pas de crise cardiaque ou de crise de foie, il ne connait pas de problémesde
pollution de tous genres ;lorsqu'il sent un peu de malaise, il va dans la forêt
toute proche cueillir la plante qu'il faut, que la nature a dotéede pouvoirs qui
ne se révèlentqu'a l'homme vivant en contact conscient avecelle. Le travail de

la terre auquel se livrece paysan, les effluves des arbres de la forêt qu'il respire
a longueur de journée, les irradiations émanant du sous-sol plein de minerais
de tous genres ont façonnéson âme qui se sent participer a la vie mème de
l'univers ;aussi a-t-il de la vie le sens communautaire ;il sent que c'estune loi
fondamentale selon laquelle l'homme ne peut se réaliser pleinement qu'en44 2 SAHARA OCCIDEhTAL

allant vers les autres et en rendant les autres heureux; aussi te paysan est-il
généreux,plein de sagesse et de santé ;ses sens. toujours en éveilparce qu'en
accord avec le rythme de I'univers, l'aident a capter avec fidélitéles divers
messages que la nature émet a travers le cosmos ; il a un don étonnant de
télépathieet, nous dirions même,de prescience.
Alors, posons la question : qui, de ce paysan africain et du président-
directeur génerald'une grande entreprise occidentale en pleine expansion, est
plus homme ? En d'autres termes, qu'est-ce qui fait la valeur de l'homme
supérieur? La réponsese laisse deviner d'elle-même.
Mais la seconde raison qui justifie une remise en question du concept de
terra ii~i//iirstel qu'il a étéélaborépar les juristes occidentaux et pratiqué
jusqu'ici parait encore plus péremptoire. II s'agit de la raison fondéesur la
vision du monde en inatiere foncière propre a I'homme africain. L'Africain.
demeure non acculture, est, nous venons de le voir, un ëtre dëquilibre qui
communie avec la nature de son milieu. En effet. l'Africain partage la
conviction profonde que l'homme ne naît jamais par hasard dans telle ou telle

partie de I'univers;la naissance d'un etre.dans un territoire donnéde la terre
constitue une directive péremptoire de la nature qui oblige I'homme a forger
son destin a partir des composantes de son milieu ambiant ; d'oUl'obligation
vitale pour I'homme de chercher a se situer par rapport a ce milieu ;d'où
égalementla nécessitétoujours vitale d'établirle contact avec son environne-
ment et plus particulièrement avec la terre. L'authenticitén'estrien d'autre que
cela. C'estaussi simple et naturel;c'est une loi fondamentale de I'univers qui
s'impose a tous les ëtres. La loi de I'authenticitéa étévérifiéescientifiquement
en partant de la constatation selon laquelle I'homme est un résumé de
I'univers; en lui. il porte les mêmes atomes que l'on retrouve dans tout
I'univers, a savoir la molécule ADN composée de carbone, d'hydrogène,
d'oxygène,d'azote et de phosphore. Des savants comme le célèbremédecin
Alexis Carrel dans sonouvrage devenu classique, L'/~o~?îtnc ee,~IICOIIII(éd.
Plon, 1935, p. 125, 126, 134, 136,367 1es penseurs modernes comme Martin
Gray, qui vient de publier un livre qui fait sensation et qui s'intiLesforces
de la vie (éd.Robert Laffont, Paris, 1975, p. 79)l'ont démontré a suffisance
d'arguments. Nous trouvons encore une confirmation scientifique de la loi de
I'authenticité chezle docteur Jean-Marie Habib qui, dans son ouvrage, au

relent sans doute colonialiste, qui s'intituleIiiiliaài12frigue, déclare :
« La relation qui unit le peuple localson berceau n'est pasune simple
spéculation mentale. L'homme s'habitue aux conditions biologiques de
son sol natal au point que celles-cilui sont nécessaires,au mème titre que
lesaliments. Celui qui le quitte a le mal du pays et lesartistesretournent le
plus souvent dans leur berceau pour y chercher les sources vives de leur
inspiration. Un arbuste transplanté sur une terre étrangère dépérit
facilement. IIrenaît s'ilest ramena sa terre d'origine. Cette liaison au sol,
cette incarnation a la terre, nous échappea nous rationalistes.>>(Edition

universelle S.A., Bruxelles, t. Il, 1948, 25-26.)
Ainsi donc, il est d'une nécessité vitale, biologiqueet psychologique pour
I'homme d'établirle contact avec l'univers ambiant qui est son aller go car
c'estde cette relation, dece dialogue commande par la nature elle-mémeque
dépendentpour l'homme son équilibreet ses atouts pour la maîtrise de la vie.
Lbn comprend des lors que c'estconformément a cette loi de I'authenticité
que chaque pays met sur pied des structures politiques, juridiques, socio-
économiques, adaptées aux contingences de sa philosophie de vie et à son

environnement spatio-temporel. EXPOSE ORAL DE M. BAYONA-BA-MEYA 443

Lecontact avec la terre est pour l'Africainde nature métaphysique. Cen'est
pas par hasard que nos ancêtresont toujours fait cuire leur nourriture dans des
marmites faites d'argilequi est de la terr;ce n'estpas non plus par hasard que
les Africains gardent leur eau a boire dans des cruches fabriquéesavec de
l'argile et le caractère supérieur d'une eau de ce genre du point de vue de la
santéest actuellement prouvé scientifiquement Bpartir de la découverte des
proprié-léisrradiantes de l'argil; de même les pipes que fument nos paysans
sont faites de terre;les maisons ou dort la majorité desvillageoisafricains sont
faites en piséet, croyez-moi, il y fait bon vivre ! Mieux, il y fait plus sain que
dans des chambres climatisées.Cést ce contact avec la terre que nos paysans
maintiennent lors des cérémonies initiatiqueset religieuses. Les mernbres de
famille qui soufîrent d'une maladie devant laquelle la médecineofticielleparait

impuissante se feront oindre le corps avec de la terre puiséeaux tornbes des
grands disparus de la famille et bien souvent, les malades, conime par
enchantement, recouvrent la santé. Dans le mêmeordre d'idées, la femme
africaine qui attend famiHecherchera déjà,a ce moment-la, a relier son enfant
a la terre qui le verra naitre et grandir; pour ce réaliser, elleabsorbera
régulièrementde l'argileséchée,réduiteen poussière, que I'ontrouve exposée
sur les rayons de nos marchéspopulaires en Afrique, sous forme de petits blocs
de forme rectangulaire. Au-delà de la préoccupation utilitaire visant a faire
consolider les os de l'enfant en formation, la mere veut mettre son enfant sous
la protection et la bénédictiondes forces telluriques. C'est ce mêmesouci de
communion avec la terre qui explique que nos ancêtres,au moment de la
méditationet des invocations, se tiennent debout, les plantes des pieds nues

servant de relai de contact avec les forces de la terre. Nous retrouvons la même
préoccupation lors de la prestation de serment soit devant la justice
coutumière, soit lors des assemblées claniques ou se débattent de grands
problèmes, quand la personne mise en cause, jure sur la têtede sa mere ou de
son pèredéfunts,en tracant par terre un signe decroix, au moyen de l'indexde
la main qui est ensuite dirigéevers le ciel.
Bien souvent I'on ne saisit pas la portéeprofonde du congéque beaucoup
d'Africains nésau village et travaillant en ville demandent a passer au village ;
et pourtant, il s'agitlatout simplement d'un retour aux sources, afin de renouer
contact avec les forces cosmiques de son milieu de naissance ;et croyez-moi,ce
bain dans son milieu d'origine régénèreentièrement et fondamentalement
l'Africain, qui voit résoluscomme par enchantement tous ses problèmes de
santé,ou des difficultésde foyer ou de service. Le paysan africain qui veut

voyager loin, surtout pour aller en ville, prendra soin d'amener aveclui un peu
de la terre de son milieu naturel, qu'il mélangera avecla nourriture ou a l'eau
qu'il va prendre lors de son arrivée a l'étranger, questionencore une fois de
garder contact avec les forces de la vie du milieu qui l'a vu naitre el qui est
chargé de te protéger. Le Zaïre, mon pays, a innové, en cas de cérémonie
orricielle,dans la manière de porter un toast : avant de boire le vin de palme.
qui est le vin initiatique de tout temps, l'onen verse quelques gouttes par terr;
cette libation traduit la volontéd'établirle contact avec la terre, spécialement
avec les mhnes des ancêtres ;celte coutume se retrouve dans beaucoup de pays
africains, moyennant quelques variantes près.Un dernierexemple du souci de
contact avec la terre : une coutume fort répandueen Afrique exige que toute
personne ayant atteint un certain âgesoit ensevelie, au moment de sa mort, sur
la terre même de sesancêtres ; I'on considéreen effet que le défunt ne peut
jouer son rOlede médiateurprivilégiéd , e protecteur attitré des hommes de la

famille encore en vie sur la terre, qu'en reposant sur le sol qui l'a vu naitre,
grandir et mourir, car la tombe de ce défunt devient alors un haut lieu444 SAHARA OCCIDENTAL

énergétiqueconsidérécomme le cordon ombilical du corps éthéré du défunt
dans le monde invisible des ancêtres.

Ainsi donc, l'Africain, dèsavant sa naissance, établitle contact avec la terre
et, sa vie durant, dans des circonstances du vécuquotidien, il cherchera a
garder ce contact ou a le renouveler.
Bref, le souci const;int de garder contact avec la terre est la seule cléqui
permette de comprendre la philosophie propre a l'Afriqueau sujet de la tenure
fonciere. Partout en Afrique authentique la terre n'a jamais fait l'objet
d'appropriation individuelle.La propriétéfoncièreétaittoujours et est toujours
collective et jamais la terre ne pouvait faire l'objetd'aliénationcar. vendre la
terre équivaudrait a vendre son âme, ses forces propres, ses forces cosmiques.
C'estce que certains Etats africains conscients. dont la Républiquedu Zaïre,
ont compris en décrétantque la propriétédu sol et du sous-sol revient a l'Etat,
ce dernier se substituant en quelque sorte aux familles traditionnelles. Je cite ici
l'article 53 de la loi no 73/02 1 du 20 juillet 1973 portant régimegénéral des
biens, régime foncieret immobilier et régimedes sûretés.
L'oncomprend, des lors, que pour l'Africaince n'estpas le critèrepurement
matérialiste de I'effectivite de l'occupation de la terre qui crée le droit de
propriétéfonciere. 11importe peu que la terre ne soit pas momentanément
habitée ou cultivée.En effet, il peut arriver que des populations africaines, sous
l'effetde certaines contingences sociales ou climatiques, mènent une existence
de transhumance ou se trouvent dans l'obligation de déplacerleurs villagesou
de ne plus cultiver telle portion de leurs territoires et ce, pendant un laps de
temps plus ou moins long ; mais néanmoins,jamais en ce cas, il ne peut-être
question pour ces popiilations de renoncer a leur droit de propriété foncieresur
le sol, la prescription du droide propriétéfonciere étantinconcevable dans la
mentalité traditionnelle de l'Afrique. Désl'instant ou l'onest nésurune terre et

surtout quand cette terre a recueilli en son sein les dépouillesdes parents, il se
créeentre les vivants et les morts une communauté de vie a telle enseigne qu'en
dépitde l'absencedes signes extérieurs,signes visibles d'occupation de la terre.
celle-ci ne peut jamais êtreconsidéréecomme terra iirilli~rs.
Telle est la conception fonciere fondamentale de L'Afrique.Elle s'opposeen
tous points a la conception fonciere de l'homme occidental. La conception
fonciere de l'homme occidental est purement utilitariste en ce sens que la mise
en valeur économique est considéréecomme le signe effectif d'occupation et
d'utilisation du sol, la non-occupation de la terre pendant un certain temps
étantsanctionnée par la perte de son droit de propriétéfonciere. Chez nous, en
Afrique, dans notre mentalité traditionnelle authentique, la terre n'est pasun
bien qui répond exclusivement à une fonction économique, a savoir fournir à
l'homme ce dont il a besoin pour sa subsistance ;la terre, ainsi que nous
croyons l'avoir démontré ci-avant, estune des composantes de la mère nature,
elle constitue un cadre médiateur et protecteur, en raison de la communion
spirituelle qui existe entre les vivanetles morts, tant il est vrai que les morts
ne sont pas morts, car ils sont le soume de la vie, invisibles mais toujours
présents,pour assumer leur rôle de médiationet de protection. Ainsi donc, les
ancétres sont pour nous, Africains, un facteur d'enracinement, de rattache-
ment au sol oh ilsreposent. Nous lesavons :la théseque nous soutenons parait
remettre en question des théoriesgénéralementadmises en droit international.
Mais le conseil exécutifde la Républiquedu Zaïre estime que le monde est
parvenu a un tournant décisifde son histoire et qu'il doit pouvoir se livrer a
une autocritique créatrice. Le président fondateur du mouvement popu-

laire de la Révolution,le généralde corps d'armée Mobutu Sese Seko, n'a pas
hésitél,e4 octobre 1973,devant latribune de l'Assembléegénérale des Nations EXPOSE ORAL DE M. BAYONA-BA-MEYA 445

Unies, a inviter ces dernières un efîort de remise en question de certains
principes gouvernant cette Organisation mondiale ; de même, le général
Mobutu a convie le monde a une réflexioncritique portant sur la revision du
système de coopération internationale (voir le texte du discours publié par le

département de l'orientation nationale, p. 21).C'est ce mêmeeffort de remise
en question de la notion de teriau~~ulliusqu'en maqualitéde représentant du
Zaïre devant cette haute Cour je me permets de solliciter.
L'on ne peut se permettre d'ignorer, ou chose plus grave, de mépriser
l'ensemble des valeurs traditionnelles de l'Afrique, notamment la conception
foncièretelle que développéeci-avant ;mêmesi d'autres cultures, notamment
celles de l'Europe, ne partagent pas les mêmes pointsde vue que les Africains,
elles se doivent de les respecter. C'est dans cet ordre d'idéeque, dans son
discours rappelé ci-dessus devant la tribune des Nations Unies, le citoyen
présidentde la Rkpublique du Zaïre a déclaréque l'authenticitéest la condition
d'une coopération véritable etdurable Gbid., p. 5, al.2). Car, en effet, s'ily a
contacts entre differents peuples, il s'établitun enrichissement réciproque ;ilen
résultera de l'estime et de la considération mutuelles qui faciliteront les
rapports harmonieux entre ces peuples. Mais, au contraire, s'ils'établitentre ces
peuples un rapport de domination, celui des deux qui se croit supérieur

cherchera a imposer a l'autre ses valeurs sans se demander s'il pourra les
assimiler ;il créera ainsichez l'autre un état de rejet générateur deconflit. La
Cour internationale de Justice ne doit donc pas interpréter et envisager la
notion de terra ~îtrlliusselon l'authenticité etla conception occidentiles ; elle
devra plutôt l'adapter, l'abordercompte tenu des réalitésafricaines, d'autant
que deux des trois parties concernées par le présent litige sont des Etats du
continent africain. Certes, un revirement de jurisprudence, spécialementau
niveau de votre Cour, doit pouvoir se faire avec beaucoup de circonspection,
tant vos décisionset avis peuvent peser moralement sur l'équilibrede la paix
entre les Etats.
Néanmoins,j'üvoue professer une foi profonde dans le rôle créateur de la
jurisprudence; en effet, cette dernière a le grand avantage de servir de
thermomètre sociologique et d'étreainsi conforme a la loi du mouvement qui
est a la base même dela vie ;dans leur recherche de la vérité judiciaire, les
juges soumettent leur esprit au principe de la mobilité ;ainsi rien d'étonnant

qu'ils puissent, par leurs sentences et avis, adapter des textes légauxfigéset
écritspour une époque déterminéea ,ux donnéessociologiques de l'heure ;or
l'heure est précisémentau dialogue interplanétaire,au respect des cultures des
autres peuples ;bref, L'heureest au respect de l'authenticitéde chaque race, de
chaquepeuple, dechaque pays. Un revirement dejurisprudence de la part de la
Cour internationale au sujet de la manière d'entendre le concept de terru
~iullius,revirement qui s'appuierait sur les donnéesobjectives de I'au~henticité
des peuples africains en matiere de conception foncière, peut, de l'avis du
conseil exécutifde la République duZaire, s'opérersans crainte de se livrer a
une quelconque aventure. Et ia Cour sera d'autant plus incitée a opérercette
révolution que, par son ordonnance du 22 mai 1975, elle a, après bien des
années de refus, autorisé un Etat, en l'occurrence le Royaume du Maroc, a
désignerun juge ad hoc en matière consultative. Ce qui constitue une première
révolution.
Ainsi donc, de l'avisdu conseil exécutifde la République du Zaïre,le Sahara

occidental n'était pas,au moment de la colonisation espagnole, un territoire
sans maître, puisque de par l'histoire nous savons que les ancétresdes peuples
marocains et mauritaniens y sont nés,y ont fondédes civilisations propres et y
ont étéenterres, créant ainsi entre les vivants et les morts une communauté446 SAHARA OCCIDENTAL

spirituelle immémorable et inaliénable, qui a donné naissance 1 une
implantation vitale foncière conforme a l'authenticité de ces deux peuples
fréresconcernés. C'est cette conclusion tout a fait logique que votre Cour
voudra bien tirer des élémentsde réflexion sur l'authenticité africaine en
matière d'occupation foncière.
Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour, dans la seconde

question, l'Assembléegénérale des Nations Uniesvous demande de faire la
preuve des liens juridiques existant a l'époquede la colonisation espagnole,
d'un côtéentre le Sahara occidental et le Maroc et de l'autre entre le Sahara
occidental et l'ensemble mauritanien.
L'on doit d'abord se mettre d'accord sur le fait qu'en dépitde son aspect
technique le droit se présente dans chaque pays comme étant une vision du
monde propre a ce pays. L'on peut certainement dire en parlant d'un pays :
« Dis-moi quel est ton droit et je te dirai quelle est ta philosophie de».itant il
est vrai et véritableque la fonction dévolueau droit est d'exprimer les valeurs
de chaque peuple. Ainsi chaque peuple a une vision du monde conforme a la
rnaniere dont il entend appréhender les phénomènessocio-culturels. D'oii le
caractère national plus marque qui s'attache au droit interne. II ne peut exister
a travers le monde une conception juridique qui doive s'imposer a tous les
peuples. Ce serait allera l'encontre de la loi fondamentale de I'authenticité.En
Afrique authentique, ilest permis d'aflirrner que tout est droit ;les simples
règlesde conduite sociale et les règlesde droit sont tres proches les unes des
autres. Je cite ici le professeur Gonidec, dans son ouvrage intituléLes droits

aJricaifis,&vo/trriotiset sotrrces (Par1968, p. 9).L'on peutégalement affirmer
qu'en Afrique authentique le droit d'une collectivitédonnéeest l'ensembledes
règles que ses membres reconnaissent comme obligatoires ;cette reconnais-
sance doit être conforme aux principes de l'impératifsocial. Cette notion
de droit ne suppose pas une organisation politique d'un type déterminéni
une doctrine sociale particulière. Elle vise uniquement a s'appliquer a tous les
types connus de groupements humains. quels que soient la structure de
leurs agencements internes ou leur degré de civilisation. Je cite encore ici
M. Olawale Elias. dans son ouvrage tres connu. L4 llatirre du droit coutumier
aficairt, préseiiceafricaine (Paris, 1967. p. 70).
Cette consideralion est capitale si l'on veut donner une réponse adéquate
a la seconde question posée a la Cour internationale. Nous nous devons
de rappeler. ainsi que nous l'avons développé ci-avant.que l'homme afri-
cain garde un contact spirituel constant avec la terre ;le mode de vie juri-
dique. politique et socio-culturel qu'il imprime a sa societé estconditionne de
rnaniere profonde par cette philosophie particuliere de I'implantation vitale au
sol.
En ce qui concerne l'ensemble mauritanien, c'esta partir des élémentssocio-
culturels que l'onpeut établirles liensjuridiques entre cet ensemble et leSahara
occidental. L'on note d'abord que les tribus habitant le Sahara occidental et

celleshabitant l'ensemble mauritanien étaientorganiséesde la meme manière :
par ailleurs, la langue parlée,la musique et la culture étaient,de part et d'autre,
identiques, sans compter que l'organisation politique en émirats était aussi
identique.
Enfin, l'on a toujours observé un mouvement incessant de fluxet de reflux
des peuples habitant de pari de d'autre des frontières. Des parents se
déplaçaientet se déplacentencore aujourd'hui de part et d'autre des frontières
pour participer a la vie familiale traditionnelle: deuil, mariage, rites initia-
tiques, etc. Cette communauté, liant la vivants et les morls de part et d'autre
des frontieres, est la inanifestation la plus éclatante de l'existence des liens ExPOSR ORAL DE M. BEDJAOUI

M. BEDJAOUI: Monsieur lePrésident, Messieursles membres de la Cour, je
mesure pleinement leprivilègeque vous miaccordezen me prêtant pour quelques
instants votre haute et bienveillante attention. Au nom de mon gouvernement,
je vous en exprime toute ma gratitude.
incarnant la sagesse desnations, vous êtes, Messieurs, les prestigieux déposi-
taires de leur sens innéde la justice qui se restitue d'embléechaque fois que,
comme d présent,il vous est demande, dans l'exercicede votre haute charge,
d'aplanir desdifficultésjuridiques.
Ce m'est un agréable devoirde saluer ici le président Bonique votre sens de
l'équitéa inévitablement placdanscette affairj.vos cotés.Nous faisons tous
confiance au juristeAl'homme, a l'enfant de l'Afrique authentique, pour nous
aider arésoudrele problémeposé.
Pour ma part, je senma tache bien lourde. Et c'estseulementenme nourris-
sant de votre science, de votre belte expérience etde vos travaux savants, que
j'ai eu le plaisir d'apprécieren diversesoccasions, que je pourrai m'acquitter de
ma mission avec moins d'appréhension.J'ai eu au surplus, et j'ai la faiblessede
Ie rappeler, le plaisir de travailler de nombreuses annéescôtecôte avec un

grand nombre d'entre vous au sein de la Commission du droit international
de l'organisation des Nations Unies, conseyant de cette collaboration amicale
au service du droit des souvenirs impérissables.
Je dois avouer aussi, Monsieur le Président,que je subis devant vous un
second examen depassage,une secondeépreuve, ma premièrel'ayant été,uand
je vous ai succédéd, e façon si périlleusepour moà,la Commission du droit
international en qualitéde rapporteur spécialpour lasuccessiond'Etats dans les
rnatiéresautres que les traités.
Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour, par I'intermé-
diaire du présidentde la Cour suprêmedu Zaïre, une voix africaine autorisée
s'estfait entendre ce matin, celle d'un pays qui a connu pendant de longues et
douloureuses decenniesles affres de la colonisation, qui a fait les frais de vives
rivalitésde puissances européennes. La conférencede Berlin ne s'est-elle pas
réunie en1884 pour déterminer précisémentles règlesde partage à partir de
I'expériencefaite sur le Zaïre?
J'éprouve quelques dificultés à prendre cette enceinte pour un prétoire,
car, à la vérit,e sont d'une part des amis de toujours et d'autre part des
frèresquelles que soient les circonstances, qui s'adressent aujourd'hVOUS.
Aussi ai-je la faiblessede considérer votre prestigieuse Cour comme une sorte
de solennel et exceptionnel conseil de famille. Plaideurs. nous le sommes peu,

grâce A notre qualitéde membres d'une même famille,convenus de se réunir
autour de vous pour exposer des arguments diffkrents, et dont nous espérons
que tous concourront en fin de compte A l'arrangement général.
C'est dans cet esprit de fraternitéet d'amitiéque je vous ferai part de la
position demon pays sur la question qui nous occupe. La communautédesang,
de Iangue, de culture, de civilisation, de religion, la pretla mitoyenneté EXPOSÉ ORAL DE M. BEDJAOUl 449

géographique nous lient indissolublement et nous commandent de réussiren
maîtrisant les difficultéspassageres. Tôt ou tard, toute la régionest appelée,
par une communauté de destin naturelle, a former cet ensemble dont nous
rêvonstous pour le bonheur et la paix du Maghreb. Cette communauté de
destin, cette fraternité séculaire,qui ont toujours caractérisénos rapports,
les affinitésde toutes sortes qui nous rapprochent au point de nous fondre,
tout cela constitue pour nous un capital et un patrimoine d'une exceptionnelle

richesse qui ne peuvent que faciliter notre tâche tendue vers la maitrise des
difficultésprésentespour assurer ensemble le bonheur et la prospéritéde nos
peuples.
Monsieur le Président,Messieurslesmembres de la Cour, je ne sais quetrop
aujourd'hui quel lourd tribut réclamela vériquand elle imposede contredire,
aussi peu que ce soit, I'ami ou le frère. Qu'à Dieu ne plaise cependant, mon
cher Driss, que quelque chose vienneàternir uneestimeréciproquequi a grandi
et s'est fortifiéedepuis plus d'un quart de sièclesur les bancs de l'université,
dans les convictions généreusesd'une jeunesse fraternelle! Hier, dans notre
universdevingtans, animéspar ilnecommunautédesentimentset d'aspirations,
nous entrevoyions déjà la libérationde nos peuples A laquelle nous avions
apporté, touset chacun,notre contribution aveccette ardeur, cette foi, propres
àla pétulancede la jeunesse et qui n'avaient d'égaleque notre déterminationA
construire un avenir indissolublement commun à nos peuples.
Aujourd'hui, nous travaillons sur une réalitédu temps et de l'espacequi, en
fin de compte et selon des cheminements plus concertants que ne le montre
l'apparence, nous rapprochera clenos objectifs qui demeurent en tout état de
cause communs.
Comme les Parques de la mythologie ancienne, vous avez aujourd'hui,
Messieursde la Cour, a nouer ou a dénouerles fils du destin d'une population

saharienne millénaire,attachée aux espaces infinis d'un terroir qui invite 3.
l'évocationdes plus belles descriptions bibliques. La nature et le climat ont
forgé l'hommesahraoui, hiératique,fier, généreuxc ,omme seuls savent l'être
les hommes de sa condition nomade, un homme qui voit venir de loin et qui
sait regarder en face aussi bien I'ami que l'ennemi, un homme qui chMt
d'instinctla liberté,autant par lelegsdessièclesque par le conditionnement de
sa nature.
Vous jugez, Messieurs, des hommes a travers des pièces. La froideur et
l'impersonnalitédu document empêchent fatalementde restituer à tour instant
la dimension humaine du problème évoqué,au moment où l'aurore de la
dkcolonisation se lèvesur cette population familièredes vastes horizons sans
frontiéres. Mais je sais que, dans votre esprit, elle ne peut êtrela grande
absente de ce débat.
La Cour a eu à traiter etA trancher des problèmes trèsdirectement liésa la
décolonisation.Et, au débouchéde chaque avis ou de chaque arrêt,le rapport
de dépendanceentre les communautéshumaines a été débusqup éar vous avec
une profondeur et une véritéqui honorent la Cour. Mais cette affaire esthnuIle
autre pareille. De votre avis dépendront le cours du destin d'une population,
l'entente de plusieurs peuples, la stabilitéd'une région,l'avenird'un territoire,
le bonheur d'un ensemble maghrébin.Lourde et prestigieuse responsabilité

en véritéque celle dont vousa irivestisl'Assembléegénérale!
Par ailleurs, la proximité géographique,une histoire séculairecommune
ont tissédes liens étroitsd'une rire qualitéentre lespeuples espagnol et arabes
en même tempsqu'ellesont facilitéen terre d'Andalousie la fécondationde deux
civilisations, qui est a l'origine clesgrandes découvertesdes temps modernes.
Berceau de la civilisation hispano-mauresque où se rencontraient et s'epa-450 SAHARA OCCIDENTAL

nouissaient les plus grandes valeurs humaines, l'Espagne moderne demeure
le pays d'électionde l'amitié entrele monde chrétien et lemonde musulman,
le partenaire privilégiéqui puisera dans l'héritagecommun la sagesse et la
fidélitéa l'histoire pour aider la Cour dans l'accomplissement de sa mission
présente. C'estpourquoi nous, Maghrébins, sommes en droit d'être particu-
lièrement exigeantsh l'égardde l'Espagne pour la décolonisation du Sahara

occidental. Et nous espéronsne pas l'être evain.
J'aurai, en essayant de cerner lescontours fuyants du concept deterranullius,
Aporter des jugements de valeur devant vous sur les impérialismesde tous les
temps. Qu'il mesoit toutefois permis de déclarerurbi et orbi que la sévérité de
mon jugement Al'kgard de tel ou tel pays ne doit pas nous faire oublier que
l'impérialisme,qui fait historiquement partie de l'aventure humaine, n'est
propre ni à un seul pays, nà une seule race, niune seuleépoque. Cequi s'est
accompli dans l'histoire de tous les temps doit êtreavant tout considerécomme
le fait de l'homme avec sesgrandeurs, et hélas!, sesinfirmités naturelles, et
que nous devons tous assumer dans notre condition d'homme. Le passé estIe
passé! Par-delà sa sévérité, mon propos ne devra etre pris ni comme une
condamnation, ni comme une absolution, mais comme une évocationédifiante,
je l'espère,de I'aventure humaine dont il importe de tirer la leçon pour le
présentet pour l'avenir.
Monsieur le Président, Messieurs les membres de la Cour, votre haute
juridiction est actuellement saisiepar la résolution3292(XXIX) de l'Assemblée
généraled'une demande d'avis consultatif relative au Sahara occidental,
dont la teneur a étérappeléepar M. le Greffierde la Cour A I'ouverlure des
présentsdébats sur le fond et la compktence.

La Cour est priéede rkpondre aux deux questions suivantes:
«1. Le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) était-il, au
moment de la colonisation par l'Espagne, un territoire sans maître
(terra nullius)?

Si la réponseà la premiérequestion est négative,
II. Quels étaientles liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du
Maroc et l'ensemblemauritien? »

L'Algérie,dont le territoire présente 150 kilométres defrontière commune
avec celui du Sahara occidental en cause dans la présente affaire, neform-le
cela a été ditofficiellementplusieurs fo-s aucune prétentionde souveraineté
sur la moindre parcelle dudit Sahara occidental et ne fait appel en conséquence
A aucun droit, historique ou autre, reliant ce territoire et sa population aux
siens propres, en dépitdes conditions de la vie nomade et des liens ethniques
existant entre les populations de part de d'autre de la frontiére.Elle est cepen-
dant partie intbresskeAl'affaireet appeléA ce titreàprésenter à la Cour son
point de vue sur la question exarninke.
Je ne reviendrai pas, Monsieur le Président,sur ce que j'ai eu l'honneude

déclarera laCour le 14mai dernier quant Alaconstanceavec laquellelesNations
Unies, c'est-h-dire l'ensemblede la communauté internationale, ont considéré
l'Algériecomme partie intéresséeau règlement de cette affaire. Je voudrais
simplement ajouter que les autres parties concernées,les pays fréresdu Maroc
et de Mauritanie, ont elles-mêmesestime que l'Algérieavait cette qualité
particuliére et se sont concertées avec ene pour poser A l'Espagne et A la
communauté internationale le problème de la dkcolonisation du Sahara
occidental.
L'Algérieentend apporter sa modeste contribution, comme elle l'a fait aux EXPOS OERAL DE M. BEDJAOUI

Nations Unies en d'autres circonstances, afind'aider lacommunautéinternatio-
naledans sa tâche, qui consiste à trouver un règlement justeau problèmeposé,
enconformitéavec les principes de la Charte et lesspécificise la région.
Nul doute que tous les pays de la régioncontinueront à se hisser au niveau

desgrands objectifsde sécurité,destabilitéetedévetoppement,comme ils l'ont
fait par le passéet qu'ils surmonteront tous les obstacles sur leur chemin afin
d'offrirdavantage de bonheur aux peuples de toute la région.
Outre les pays frontaliers, l'affaire concerne d'ailleurs tous les Etats du
continent africain et, par-delà ce continent, l'ensemble de la communautk
internationale.
Pour la société africaine,pour les peuples africains, le passage des formes
d'organisation sociale dites tribaleA la forme étatique utiliséeaujourd'hui
s'est fait douloureusement à travers la décolonisation. La colonisation avait
morcelélecontinent africain en fonction des intérêses puissanceseuropéennes
et des rapports de forces entre celles-ciau mCprisde l'organisation politique et
sociale prkexistante des peuples enracinésdans la terre d'Afrique.
La décolonisation a mis à nu le difficile probleme de la recherche d'une
nouvelle adéquation, pourtant nécessaire,entre le peuple, la nation et I'Etat,
en raison de la brisure crééepar la pkriode coloniale dans la lignede l'histoire.
Le contraste apparaît saisissant entre le caractéreurgent, moderne, actuel,
du probleme débattu aux Nations Unies, celui de la procédure3 utiliser pour

opérer la décolonisation d'un territoire,c'est-à-dire pour atteindrenfin les
objectifs formuléspar la Charte il y a maintenant trente ans. et le caractère
apparemment passéistede la question poséeà la Cour, question qui renvoie à
une trésancienne théoriedu droit international et au procéde l'occupation de
territoires sans maître qui a seàfonder en droit tous lesimpérialismes,com-
me je me propose de le démontrerplus loin.
La longue histoire de l'esclavage,en tant qu'instrument de droit privé,et
de la colonisation, en tant qu'instrument de droit public, semble sur le point
de s'achever, marquant alors un réelprogrèsde l'humanitésur le chemin des
droits de l'hommeet des droits des peuples.
L'appareil juridique mis au point h travers les sièclespar les impérialismes
successifs constituait un ensernble cohérent dénommédroit international
classique ou traditionnel. Mais le renouveau nécessairedans la périodecon-
temporaine a conduit, surtout depuis l'émergencedes Etats nouveaux, à la
construction d'un droit international sans doute encore inachevépour porter le
nom de droit international nouveau, mais qu'il est permis a coup sûr de
désignersous le nom de droit international transitionnel (voir Charles Chau-

mont, «Cours généralde droit international public », Recueil des cours de
1'Acadthiiede droit inrernatiotial, 1970,t. 129, p. 367).
La période actuelleest donc caractériséepar la recherche et la miau point
d'un droit adapté à la société nouvelle.
11est assurément dommageable,dans ces conditions, de répondre a une
question relative A une théorie ancienne avec des instruments eux-mêmes
désuets, cequi donnerait au travail de la Cour un caractère inactuel.
La question poséeest historique, mais ellea pour objectif d'éclairerun pro-
blémeactuel et ce but ne peut-être atteint qu'àl'aided'uneméthodescientifique
satisfaisante.
Mais avant d'évoquercelle-ci, il convient d'abord de définirla notion de
territoire sans maître, d'esquisser la fonction historique remplie par cette
notion dans le droit international colonial ancien, d'en retracer l'évolution;il
convient aussi de préciser,par rapportcette notion, la situation du Sahara au
moment de lacolonisation espagnole; ilconvient enfind'indiquersietcomment,452 SAHARA OCCIDENTAL

de l'avisdu Gouvernement algérien, laCour peut ou ne peut pas répondreaux
deux questions à elleposées.Des problèmes délicats de droit intertemporel,
d'effectivitéet de méthode scientifique du droit international contemporain
apparaîtront alors.
Et si vous le voulez bien, Monsieur le Président,je voudrais commencer par
retracer la fonction historique de la théorie de la res niillii~sou de la terra
nullius. C'est mon premier point.

1. La fonctianhistoriquedela théorie de la terranullius»

Sous le mot res niilliirs,nous pouvons lire dans le Dicrioiiitairede la terniinolo-
gie du droit inierriatiotial, page 5:5
«Terme emprunté au droit romain qui, transporté (sic)dans le droit
international etappliquea un territoire, exprime l'idéeque celui-ciéchappe
à toute souverainetéterritoriale mais est susceptible de passer sous celle
de I'Etat qui en effectuera l'occupation. »

Et nous lisons sous Ic terme territoriutn tiullilrs:

«Terme servant rlqualifier un territoire sur lequel aucun Etat n'exercesa
souverainetéet qui par suiteest considéré comme susceptible d'acquisition
par un Etat quelconque par voie d'occupation. >)

Le concept juridique de terra nrtlliuset de res nulliirsparait de prime abord
ressortir a ces notions apparemment claires et sans surprise que les juristes
manient en toute quibtude. II est cependant loin de correspondre en fait à cettz
imagesireposante et il seraitdangereux de le mal entendre. ((Presque toutes les
contestations internationales », écrit Charles Salomon (L'occripafior~de terri-
foires saiis niaitre. Efirdede droit inrcrnational, PariA. Girard, 1889,p. 192),
(<auxquelles a donnélieu l'exercicedu droit d'occupation sont néesde la façon
différentedont deux Etats comprenaient ce qu'était lares arillitis.»
Encore l'auteur. qui écrivaitau XIX' siècle, n'envisageait-il,on le voit dans
la citation du reste, que l'antinomie d'intérêts qui pouvait naître, entre deux

Etats colonisateurs, dans lamise en oeuvredu concept de terra nuIlius, alors
que, éclairéedans sa fonction historique, la notion considérée a couvert aussi
une autre opposition d'intéretsentre, d'une part, les puissances impérialeset,
d'autre part, les peuples opprimés.On verra en effet qu'h l'instar de la plupart
des sytèmesjuridiques de droit privé et de la plupart des codes civils. qui
disposent que les biens qui n'ont pas de maître appartiennent iiI'Etat, l'on a
procédépar l'application séculaire de la théoriede la terra tiulliusA une réi-
fication, A une (chosification >>des peuples de la planète, comme si le déter-
minisme géographique quiles avait placéshors d'Europe devait leur valoir de
basculer douloureusement dans le néant pourdes siècles.
La notion de territariidniiiiillirasrempli, ai-je dit, une fonction historique
régulatricedans tes relations internationales dans la mesure oii elle a permis

une extension pacifiquede la souverainetéde I'Etat à des territoires réellement
inhabités:régionspolaires, par exemple, ou dkserts n'appartenant a personne
et découverts ouoccupéspar cet Etat, et n'ayant donc pas étedejà appropriés
par d'autres Etats. L'hypothèse laplus simple est celle de l'isla iiasciia, île qui
surgit brusquement des flots, qui, de ce fait, est encore inhabitée, donc sans
maître, et qui devrait normalement appartenirà I'Etat qui le premier l'a décou-
verte et occupée.
L'on citedans la doctrine le cas de cette île apparue soudain en juillet 1831, EXPOSE ORAL DE M. BEDJAOUI 453

Srproximitéde la Sicile. et dont l'Angleterre prit aussitôt possession sous le
nom d'îleSaint-Ferdinand. avant qu'elle ne disparût, l'annéeà peine écoulée,
en sombrant dans les fonds marins. L'on cite aussi les îles Pontines, dans !a
merTyrrhénienne,quejadis la Républiqueromaine avait annexées.
Madère, les Açores, Sainte-Hélène,îles désertes découverteset occupees
par les Portugais, lespremièresau XVcsiècleet la dernièreen 1502;la Réunion,

les îles Kerguelen, l'île de Clipperton, les îles Glorieuses et Roches-Vertes
occupéespar les Français respectivement en 1642, 1774, 1858et 1892; les îles
d'Aldara et de Cosmoledo occupéesau nord-ouest de Madagascar par les
Anglais, etc., constituent autant d'exemplesanciens (voir en particulier M. F.
Lindley,TIrcAcquisifiorraiid Govertinlentof Buckwurd Territory in lnternatiotial
Law, Beirig a Treatise oti rlie Law, Practice relati~ig ro Colonial Exportsion,
Longmans, Green and Co. Ltd, Londres, 1962,p. 6 et suiv.). On trouve encore
des exemplescontemporains: I'ileJan-Morjen, occupéepar la Norvègele 8 mai
1928,et. trèsprèsde nousalors, la prise de possession par l'Espagne le 23 fé-
vrier 1968de I'iled'Alboran, situéeen Méditerranée(voir Charles Rousseau.
« Chronique n, Revue gitiéralede droit internariorialpliblic, 1968,p. 1063).
De mêmela théoriede la terra nrilliusa reçu desapplications dans les régions
polaires qui, en raison de la rigueur du climat, étaient pratiquement inhabitées,
encore que l'on ait vite préférau droit du premier occupant d'autres titres
plus pertinents. Lecas de l'Arctique,qui est du resteune meret non un territoire,
et celui de l'Antarctique ont montré l'inadéquationdéjàde ce vieux concept
de terra nullirrsauquel furent préféra théoriedes secteurset celledes cadrans

et surtout le principe conventionnel. On se souvient du traité de ['Antarctique
de 1959(Nations Unies. Recueil des rrairés,vol. 402, p. 71).
Donc, tant qu'il s'est agi de territoires réellementinhabités, le probléme
s'étaitposéen droit international en termes relativement simples et In théorie
de la terra nulliusa pu trouver son application sans grandes difficultés.Mais fe
probltme a pris des dimensions complexes lorsque les Etats européensrevendi-
quèrent et prirent possession de territoires habités.
A ce niveau, se noue une triple contradiction, que le concept de terra nullius,
élaboré àcette fin.a partiellement résolue selonles périodesde l'histoire et qui
a fini par périmer le concept même en épuisant sa fonction historique. La
notion juridique de terra nullius posait d'abord un problème de légitimitéde
la colonisation entrevu avec un rare sens moral au XVT'siéclepar Vitoria et
exprime en termes d'antinomie entre Etats colonisateurs et peuples opprimés.
Ce problème a étkmis sous le boisseau au XIXc siècleau moment de l'aventure
coloniale européenne.II étaiteii effet étrangeA ce que je pourrais appeler la
«fonction endogéne»de la notionjuridique de terra tiulliusquiétaitconcue, on
le verra, pour réioudreexclusivementlasecondecontradiction, cellequi oppose,
cette fois, les Etats colonisateurs entre eux, dans leurs intérêts matériss-e

pectifs. Le troisième couple antinomique au niveau duquel s'étaitnouéela
théorie de la terra nrilliusapparaît dans la confusion faite au fildes siècles entre
les droits de souverainetéet les droits de propriété sur unterritoire déclare
unilatéralementres riulliuspar la puissance colonisatrice.
Ce qu'il faut montrer d'une façon claire, c'est que cette doctrine de I'occupa-
tion des territoires sans maître, dans ses différentsavaàatravers les époques
de l'histoire de notre civilisation, dans lesnuances de sesformulations diverses,
a servi a fonder tous les impérialismeset tous les phénomènes d'oppression.
La théoriedu droit internationa- maisce n'estque la théorie-établit une
soigneuse distinction entre les dinérents modes d'acquisition du territoire.
Pour les territoires relevant déjàd'une souveraineté, trois modesd'acquisition
étaient employés: lacession, la conquête,la prescription acquisitive,jusqu'au454 SAHARA OCCIDENTAL

jour oh le droit international prohiba la conquête commeforme d'acquisition;
et pour les autres territoires, non soumis a une souveraineté,lterraen!~IIius,
l'acquisition, par contre, se réalisaitpar la découverteet I'occupation.
Distinctions simples et claires. Mais c'étaitcompter sans l'extraordinaire
opacitéde la conduite séculaire desEtats. En véritéune ambiguïté permanente,
et je voudrais insister là-dessus, avec votre permission, Messieurs,a noyéde
brouillard leursentreprises et singulièrement leursexpéditionscoloniales. Ceux
qui prisent les certitudes faciles ne reconnaîtront pas peut-être aisémentue
les Etats ont souvent maquille la conquêtede territoires à souveraineté en
occupation de territoires sans souverain; et pourtant l'ambiguïtéapparaissait
d'emblée, lourdement, dés lorsque le premier probléme iitrancher était de
savoir précisémenc tomment distinguer le territoire à souverainetédéjàttablie
de ceIui non encore soumis à une quelconque souveraineté.Or au moment où,
par exemple, la notion d'Etat s'imposait enOccident, on en vint à considérer

que toute société humainedevait êtreorganisée selonles critères occidentaux
du pouvoir et sous une forme étatiquedu type occidental. Cette distinction a
permis de faire déclarer unilatéralementpar les Etats européenscandidats aux
conquêtes colonialesquels territoires étaient sans maitre et quels autres ne
l'étaient pas. Celacondamnait toute différenciationet destinait h ce que je
pourrais appeler I'«occupation-conquête» tout territoire organisé différem-
ment par rapport aux canons des Etats dominants.
Qui ne voit d'ailleurs au surplus que la distinction théoriqueentre les caté-
gories de territoires, les uns propres a la conquête,dit-on, les autres proàres
I'occupation, ne pouvait être quefragile dans le concret, du fait que «la
constitution d'empires coloniaux apparaissait comme naturelle dans une
sociétéinternationale reposant essentiellement sur des données de force »?
(C. A. Colliard, Iristifirtides relntio~isinteniaiiorialParis, Dalloz, 6"éd.,

1974,par. 320.) Et il faut rappeler égalementque l'on a confondu <(occupa-
tion » d'un c6té et «protectorat » de l'autre, au congrès de Berlin de 1884-
1885,sous une mémedénomination appelée«occupations nouvelles >>.
Lorsqu'it y avait eu conquêtà l'origine, il arrivait parfois que 1'Etatcoloni-
sateur prétendeavoiroccupé un territoire sans maitr(Depuis que lemonde est
monde, l'Algérien'ajamais constituéun Etat >>,evait s'écrier jour lechefde
L'Etatfrançais durant la guerre de libération nationale.
L'évolutionde la sociétécontemporaine a mis fin A cela par le passage
aujourd'hui unanimement admis a la forme étatique, mais la mission des Na-
tions Unies est de servir aujourd'hui de contrôle h la Façondont s'effectue ce
passage. Il faut donc examiner la théorie de la terra tiulliusdepuis ses
origines.
Disons tout de suite pour ne plus y revenir que le seul aspect de la question
à débattreici est celui de la qualification de tenulliuaccordée àdes terri-

toires peuplés.Le développementde la théorie à propos des territoires déserts,
des iles surgissant de l'océan, commeje l'ai dit toua l'heure, des territoires
provenant du déplacementdu lit d'un fleuveou de ceux qui ont étéabandon-
nés, n'engendre pas,comme on l'a souligné,les mêmes difficultés S.i un seul
Etat souverain prétend A I'occupation, il l'obtient dans ce cas. Si deux Etats
souverains sont concurrents dans cette prétention, il ya intérêtscontradic-
toires, mais la contradiction s'épuiseratôt ou tard par un accord formel ou
tacite. II n'y a donc pas de problème.
Mais ce que je vais examiner avec votre permission, Messieurs, dans les
développementsqui suivent,c'est la prétentiond'un Etatsouverain ou de deux
Etats souverains concurrents sur un territoire peuplé etla mise entre paren-
thèses,tout au long des siècles,de l'antinomie Fondamentale« Etat souverain- peuple dominé »,au profitd'uneautre antinomie ((rivalitésentreEtats colonisa-
teurs ».
C'estainsi que la théoriede la terranulliusa étéinventée comme unesolution
aux rivalités entre groupes humains. Mais quels que soient les arguments
juridiques, quelles que soient lesjustifications morales qui ont étéapportées,il
faut constater que cette théorie a toujours servi A conforter le droit du plus
fort. Pour cela un certain nombre de ([justifications)>ou de «Iégitimationsn
ont étéformulees au cours de l'histoire, qui ont correspondu pour chaque
moment au camouflage du rapport de forces par les argutiesjuridiques,

Ces diverses «légitimations )>correspondent à des étapesdifférentesde la
théorie de la ferra nulliuset aux avatars de son cheminement dans un droit
international de plus en plus complexe. A chaqueépoqued'ailleurs, la doctrine
se trouve partagée,et les partisans de l'extension de la théoriede la res nuIlius
aux territoires dits sans maître, bien qu'occupéspar des peuples, ont trouvé
devant eux des adversairescapables de développeravec véhémence le point de
vue contraire. C'était A leur honneur; et l'échode leur sainte indignation
parvient aujourd'hui jusqu'à vous,dans cette enceinte.
L'histoire du droit international et des relations internationales livre donc
un fil d'Ariane dans l'évolution mêmdee la notion de terra nuIlius.
Ce concept juridique trouve son origine et son explication interne dans une

figuration, j'alIais dire, dichotomique du monde: il y a moi et iy a les autres.
Plus exactement, il n'y a que nioi et j'entends le montrer aux autres, en leur
niant tout droit, voire toute existence. Dans cette esquisse de I'anomiedu pou-
voir, ou de l'anarchie du pouvoir international, 1'Etatpossède unesouverainete
sans aucune limite que celle qu'il veut bienlibrement s'imposer. 11détient
toutes les compétences,et la compétencede la compétence,die Komperenz-
kompetenz, comme on dira plus tard, dans un autre contexte, dans la doctrine
juridique allemande. IIest en mesure de nierjusqu'à l'existencede tout pouvoir
extérieur,de toute autoritédont les actes viendraient à lui êtreopposés.
Mais, dans cesystémeanarchique du droit international dejadis, cette même
<<ivresse de souveraineté »manifestée partel Etat peut l'êtrepar 1'Etatvoisin,

ce qui noue le premier type de confiit que la théoriede la ferra riulliusdevait
résoudre.Elle a été élaborépeour servir et discipliner des appétitsd'expansion
mis en danger, au niveau de chaque Etat, par la concurrence d'un autre Etat.
C'est une théorie, autrement dit,pour puissances colonialeset entre puissances
coloniales. En ce sens-18,elle remplissait une«fonction endogéne » en quelque
sorte, c'est-à-dire qu'elle régissates rapports inter se. Et hors du cercle des
puissances coloniales, elle ne remplissait pas, en somme, une <<fonction
exogène »,c'est-à-dire qu'ellene s'attachait pas à résoudre le conflit qu'elle
faisait elle-mémenaitre entre, d'une part, les Etats coloniaux et, d'autre part,
les peuples que son application a permis d'asservir.
Ainsi, d'unepart, la thtoride la ferranulliusa rempli une fonction endogéne,

et, d'autre part, elle n'a rempliqltecette fonction endogène. Examinons suc-
cessivement, si vous le voulez bien, Monsieur le Président,ces deux points.
Et d'abord la <<fonction endogène » de la théorie dela ferranullius.

Dans ses incarnations successives,cette théoriepourrait se résumer en trois
propositions :
- Dans I'Antiquitk romaine, est nullius tout territoire qui n'est pas ro-
main.456 SAHARA OCCIDENTAL

- A l'époquedes grandes découvertesdes XV' et XVIesiécles, estnullius
tout territoire qui n'appartient pas h un souverain chrétien.
- Au XIX' siècle,est nulliustout territoire qui n'appartient pas à un Etat
civilisé.

Abordons-les successivement.

A. Est nullius tout territoirequi n'eslpas romain

Dans une premiére phase, lesinstitutions publiques de Rome constituaient
l'exemplefrappant de ce que j'avais appelé cetteivressede souverainete qui ne

s'accomplissait pleinementque par la négationtotale de celle des autres pays.
La premiére loifondamentale, ta premiéreéquationdes institutions romaines,
se rksurnait dans un théorème,dont la proposition directe autant que la réci-
proque, comme on dit en mathématiques,devaient êtretenues pour rigoureuse-
ment vraies: <<Tout Romain est citoyen et tout citoyen est Romain. ))
La conséquencede cette premiéreéquationest qu'elle créait unmonde ro-
main fermé, seultitulaire de droits et hors duquel il ne pouvait exister aucun
pouvoir susceptible de lui opposer d'autres droits.
Le corollaire de la première équation est que par conséquenttout ce qui
n'est pasromain n'est pas titulaire de droits, de souveraineté ouautre, en tout
cas n'est pas titulaire de droits susceptiblesd'être oppoaéla puissance poten-
tiellement sans limitede Rome. <(Tout individu qui n'eslpas Romain est étran-
ger et tout individu qui est étrangern'est pas Romain. » Or, comme la condi-

tion d'étranger est la pirequi se puisse concevoir puisqu'il n'y a aucun droit
dans la construction juridique romaine pour un étranger, iI s'ensuivait le
troisiémethéorémelogique selon lequel: « Tout étrangerest un esclave et tout
esclave estun étranger », proposition directe et proposition réciproque devant
êtretenues 19aussi pour rigoureusement vraies.
On disait alors que le droit romain, la ratio scripta, avait conquis son titre
d'universalité. Maisce n'ktait le droit universel que dans l'exacte mesureoii
il niait les autres droits. Seul son droit, ssalrègledu jeu, conçue par lui et
pour lui, seule sa propre vision du monde, représentaient le modede référence,
l'étalonunique, réduisantles autres et irréductibleaux autres.
Déslors le droit universel romain se transcrivait dans les relations interna-
tionales de l'époque commeun droit national impérialiste,construit rigoureu-
sement sur sa propre logique négatricedu droit des autres jusqu'h l'absolu, et

doue d'une cohérencesans faille dans ce systémequi ne pouvait s'affirmerque
dans et par la négationdes autres.
La logique d'airain de cette Weltanschaungromaine est que tout ce qui est
en dehors de Rome est res nuliius,susceptible A tout moment d'appropriation
et de souveraineté par Rome. L'équation desrelations internationales de
I'kpoqueest que le monde antique est égal A Rome plus les terraenuIlius.Et en
simplifiant l'kquation, j'allais dire, au sens algébriquede l'expression, on pou-
vait mêmela ramener A rrRome égale lemonde », puisque le reste, les rerrae
nullius, ne devaient pas compter et etaient égalesBzéro.
Ecoutons, si vous le voulez, Horace dans Corneille, identifiant Rome au
monde entier surla based'une prophétiedivine:

((Un jour, un jour viendra oùpar toute la terre
Rome se fera craindre h l'égaldu tonnerre!
Les Dieux à notre Enéeont promis cette gloire! )>

Or, nous savons tous la puissance des dieux. Ovide nous la rappelle: «Immensa est finemque potentia Caeli non habet
Et quidquid Superi voluere peractum est. »
(Ovide, Les méfamovphoses,poème Philémonet Baucis ».)
Dans ma traduction libre: La puissance du ciel est immense etn'a pas de
limite et tout ce que les dieux ont voulu s'accomplit à la lettre. >>
Voila donc, simple et d'une grande rigueur logique dans son impérialisme,

la <cosmogonie )) des relations internationales vue par les Romains. La
compétencede guerre sans limite, les conquêtes, laréduction A l'esclavagede
tous les peuples ont reçu les applications grandioses et sanglantes, prestigieuses
et cruelles, si puissantes matériellementet si fragileséthiquement,que l'histoire
de l'humanité aenregistréespour l'éternité et qu'elle ne peut d'ailleurs qu'assu-
mer comme l'expressiond'une époquede l'homme dans la puissance égarée et
la vanité dérisoirede ses entreprises.
Le principe de base étaitdonc celui d'une société inégalitaire. Et les sociétés
antiques l'étaient,y compris la cité grecque:

«Aristote enseignequ'il y a des esclavespar nature: «IIleur vaut mieux
servir que commander. ))Ils sont de ceux, dit-il,àqui la raison ne suffitpas
pour régner,mêmesur eux-mêmes,ilssont faits seulement pour recevoir
des ordres, et leur force est plus dans leurcorpsque dans leur 5me. il existe,
en effet, des hommes tels que ceux-la, les barbares rentrent dans cette
catégorie, eux qui paraissent peu diHerents des animaux, et qui sont
entièrementincapables de se conduire. 11vaut mieux pour eux qu'ils soient
régisparles autres plutôt que de se régir eux-mêmesA .ristote a bien dit
qu'il étaitjuste et de droit naturel de voir que de tels hommes soient
esclaves,car il leur vaut mieux,vu leur etat, qu'ils soient dans l'obligation

de servir plutôt que dans cellede commander. »(J. Baumel, Les problèmes
de lacolorrisatiotretde la girerre duitsl'Œuvrede F.de Vitoria, Montpellier,
1936,p. 149.)
Tel est bien le fond de la question. Derrière le partage des territoires, se pose
le problèmede l'égalité des hommes entre eux et des groupes d'hommes entre

eux.
La question territoriale est accessoire. Le Digeste (De stipulafione servorum
3, 36, 685) prévoitle cas d'un esclave abandonné p-arson maître: quiconque
peut s'en emparer.
Les conquérants peuvent donc s'emparer de ceux qui sont des esclaves par
nature et qui n'ont point encore trouvéde maître. II en va de mêmepour les
territoires. Sol et personne ttaient intimement liés.La théoriedes territoires
sans niaiire n'émitpas une théorie des territoires sans esclaves.
Cette théorievise aussi les biens des ennemis, des barbari, de ceux avec les-
quels Rome n'entretient pas de relations diplomatiques, de ceuxdont Aristote
disait déjà qu'ils étaient peu diffërents des animaux! Rome ne recorinait ni
propriété,ni souveraineté, endehors des siennes propres. Le caractére de
res ~zulliuss'attache donca tout ce qui est en dehors de la sphère romaine, et
surtout au bien de l'ennemi,res hosiium, dit bien des barbares.

La doctrine de l'occupation des territoires dits sans maître avait donc permis
la soumission des peuplesdits barbares a l'impérialismede Rome. On observera
l'intimitéque la théoriede laterra nulli~isavait déscette époqueavec le procédé
de la conquête.
Le concept de territoire sans maître, appliquéaux territoires peupléspar des
non-Romains, donc des barbari, s'est transmis historiquement de périodesen
périodesavec les impérialismes successifs.Aux bases juridiques et aux argu-458 SAHARA OCCIDENTAL

ments développésBl'époquede Rome se sont non pas succkdé,mais ajoutésde

nouveaux fondements propres àjustifier ces imperialismes.
Voyons ce qui s'est passé plus tard aux XVc et XVlt siécles.lorsqu'on
considérait commerzulliustout territoire qui n'appartenait pasAun souverain
chrétien.

B. Est nuIliusfoutterrifoirqui n'appartie pat ci un souverain cirretien

Le passage de la premiéreproposition à la deuxiémese fait avec une parfaite
continuitt: des justifications romaines d'une thkorie de la rcs nuIlius aux
justifications chrétiennes,le chemin est tout tracépuisque l'Empire romain est
devenu chrétien.Il.devient la forme salutaire de la civilisation du monde. C'est
la Pax ronranaaux yeux des phes de I'Eglise.
L'empereur, dont le symbole apparaît en la personne de Charlemagne en

l'an 800, a droit au respect de la chrétienté, étantdonné la nature divine de
son pouvoir; mais il apparaît en même temps commele successeur des Césars.
Toutela terre doif sous~orautorité formeruneseule monarchie.
C'est au XVc siècleque le problème va se poser avec une nouvelle acuité.
Le progrésdes découvertes géographiques, la puissance concurrente des gran-
des nation européennes: Espagne, Portugal, Pays-Bas, France, Angleterre,
ouvrent une nouvelle ére d'impérialismeL . a rivalitése fait forte, surtout entre
les deux puissances ibériques. L'impérialismede l'époquegarde la forme d'un
appétitde territoires. C'estun impérialismede conquête.
La définitiondu territoire nulliusreprend unimportance qui est fonction de
l'immensesurface des terres, ou plutôt des continents, découverts.
Aux XVcet XVI' siéclesI'Europe se transforme. Ses voiles se gonflent au
vent de l'aventure et la conduisent au grand large. Mais l'équatiodu monde

ne se modifie pas fondamentalement. Le relais de Rome est assuré par les
puissances chrétiennes.Le monde est égalaux puissance-chretiennes plus les
terrae nullius,découvertesou Bdécouvrir.Si jadis Rome était ou avaitdecidé
d'êtreleseul point remarquable dela planisphére,dans laconstruction juridique
qui lui était propre, la seule différenceau XV' et auXVI' siécle,c'est que ce
point a grossi pour constituer un cercle plus vaste, une calotte plus exactement.
couvrant dans la sphére terrestre les puissances européennes chrétiennesqui
avaient seules, par une vocation qu'elfes sesont donnée unilatéralement,le
pouvoir de reduire lesautres peuple?il'esclavagepar l'occupation.
Mais un petit progrésde l'histoire estdésormaisenregistré.dans la mesure
où le pouvoir, jadis concentré sur Rome exclusivement, s'élargitb plusieurs
puissances européennes.A la compktence discrétionnaireunique de Rome se
substitue le pouvoir oligarchique de quelques pays chrétiens.Le reste, c'est-

à-dire lesautres pays du monde, demeure dans une condition juridique voulue
par ces puissances chretiennes comme étantcelle de terrae nullius.Le change-
ment provient de ce que les progrésteciiniques ont permis de dépassergéo-
graphiquement l'espace méditerranéen auquel s'étaitconfinéeRome dans ses
aventures impériales. En même temps que le point romain grossissait pour
devenir un cercle de puissances chrétiennes, laMéditerranée,champ relative-
ment clos des expériencesromaines de terrae nullius,laissait la place à la
((mer océane», à laquelle Portugais et Espagnols s'étaient mesurés. L'aire
géographique d'application du concept de terra nltlliuss'est élargiedans le
même tempsque le nombre des Etats artisans de la politique impkriale, fondée
sur ce concept, augmentait en Europe occidentale.
Plaçons-nous donc % cette époque dite «des grandes découvertes » des
XVCet XVIt siécles.C'étaitle temps de l'humanisme en Europe, celui OUla EXPOSE ORAL DE M. BEDJAOUl 459

notion de ferrariullirr,onçue pour réduirelesdivergencesd'intérête sntre puis-
sanc-s impériales,a eudes résonancestelles dans lesesprits des canonistes, des
jésuiteset des philosophes que le problèmede la légifintitdu fait colonial a été

posé.Autrement dit, la notion de terra nulliiis, qui remplissait jusque-là une
fonction endogéne.commej'ai dit tout à l'heure, a uii instant, mais un instant
seulement, comporté aussi une fonction exogéne, destinée 1iréduire l'autre
contradiction, celle qui se situe entre Etats dominants et peuples asservis. Mais
une telle fonction n'a servi qu'au niveau d'une faible partie de la doctrine et
n'a pas sensiblement modifie le comportement des Etats.
Néanmoins,le problème del'occupation des territoires sans maître a soulevé
des problèmes dont l'écho aretenti du fait qu'ils étaienthabités.II étaiten
effet impossible d'imaginer que les Européens s'attendaient a découvrir au

XVe siècledes territoires qui fussent inhabitésct sans maître, justiciables de
l'application sans réservede la théoriede la terra rnrlliiBienau contraire, tout
laissait croire Al'évidence qu'ilns'allaient pas découvrirdes terres inhabitées.
Et pourtant, ils y appliquèrent la théorie,par une première,mais non la der-
nière, perversionde celle-ci.
Tout laissait penser en effet qu'ils désiraient aller versla découvertede con-
trées habitées,ricltes,orgaiiis6es,d'où ilsespéraienttirer puissance et prospéri-
té.Lorsque, au XVI' siécle,lesPortugais débarquèrent en Afrique,Ilspensèrent
avoit atteint l'une des terres mythiques qu'ils rhprrh;rttrr+ Lexroyaume du

prêtreJean 1)(Raimondo Luraghi, Hisroire chicolorrialisnie,Paris, coll. Mara-
bout Université,1967,p. 173).
La fièvrede I'or montait en Europe. «Tout ce continent rêvaitd'or les yeux
ouverts »,disait un auteur;et il ajoutait: « Haletante, l'Europe feuilieiait et
refeuilletait le « Livre de la division du Monde et des merveillesd'iceluy» de
Marco Polo, où elle lisait que dans le légendaire Cipangules maisons avaient
des toits d'or ((massif B.Dans l'imageriede l'époque,I'or étaitparéde toutes
les vertus, de toutes les propriétés etde tous lespouvoirs1.

Observons au passage que la prosente affaire devani la Cour est relative au
Rio de Oro, c'est-h-direh la Rivière de l'Or.
Et lorsque l'Europeignoraitceque le continent africain recelait, il est évident
qu'on ne pouvait avancer dans ce cas l'hypothèseque l'Europe songeait à y
trouver un continent inhabité, sans maitre et inorganisésur le plan politique.
L'Afrique restait une tache blanche dans les atlas et les planisphères euro-
péens.Tcrrae incogltitae,écrivaientles anciens géographespour l'Afrique. Le
ceur du continent recelait pour les Européensun mystère. On ne pouvait
donc considkrer par avance comme des territoires sans maitre des territoires

inconnus, mystérieux,sur le compte desquels on n'avait aucune donnée.
Les dignes héritiers desempires desAztèqueset des Incas, qui eurent affaire
aux conquistadores espagnols au XVle siècle, possédaient une organisation
politique avancée,et a certains égards plus avancéeque celle de leurs envahis-
seurs.
Mais ceux-ci avaient besoin d'une justification pour leur « occupation-
conquête». Ils la trouvèrent dans la dépossessionde souverainetépour cause
d'infidélité.

1« L'Europe apprenai t1répétearvec BernalDiaz que ((l'or apaise tout i),avec
Vargas Machuca«qu'il rend l'homme subtil, aimé, révéré: s'il co dmemcertimes,
I'or lelibére..;avec la richesseilpeuttout conquérir et dominer »,ou encoreavec
LeonBattistaAlberti que I'orestpropre à «acquérir amitiéetslouanges..Aconnaitre
réputation etautorité» (Luraghi,op. ci!., p. 22-23, «fièvredeI'or 1)).460 SAHARA OCCIDENTAL

a) La dépossessionpour caused'infidélité

Contrairement aux Romains, les Européens des XV' et XVIesiècles,sous
l'impulsion desjésuiteset des théologiens, s'étaient poe problèmede la Iégi-
timitéde la colonisation et du caractère juste ou injuste des guerres qu'ils
faisaient aux «indigénes >> comme on disait, pour les depouiller de leur
souverainetésur leurs territoires et de leur propriétésur leurs biens.
La fonction endogPne de la thkorie de la terranullius,destinéeavant toutii
la régulationdes rivalitésintereuropéennes, fut pendant un temps complétée
par une fonction exogéne destinéea résoudre l'opposition d'intérêtsentre
Etats européens et peuples opprimes. De toute évidence,la théoriedu terri-
toire sans maître n'étaitpas conçue pour supporter une telle charge supplé-

mentaire. Elle subitalors desavatars dans sa definition pour voiler cette nou-
velle contradiction.
Etait res nullius tout qui n'uppurtenai tas ri unsouverainclirétien.
Les terroe nulliusévoquaientlesterritoires vacants, offerts inhabitasceux
qui allaient lesdecouvrir. Mais pour I'applicabilitédecette théorieau continent
américainpar les Espagnols, il fallait ou quel'hornme de ces contréesfût nié
dans son essenceet son existence, ou que l'on trouvât des subterfuges, tirésde
son altérité,de son caractére autre, de sa couleur, subterfuges propres à
justifier l'application déforméede la théorie.
On sait que pendant des décenniesen Espagne, au Portugal et ailleurs, une
gigantesque controverse, dont les siéclesont gardél'écho,entre théologienset
juristes, avait kpuisélesesprits sans épuiser le sujet:

<<L'hypothése de l'existence problématique de l'homme dans ces
territoires, que certains visionnaires et certains illuminésavaient deviné
endormi sous la brume des mers, avait dPji excitél'intransigeance du
sentiment religieux, puisédans la tradition bibli...Christophe Colomb
affirmait que la découvertedes terres nouvelles fournirait a la domination
du peuple conquérant un formidable contingent de nouveaux sujets. On
accueillit cette affirmation comme une hérésie. Ele'opposaità la pater-

nitéexclusiveque l'on attribuait officiellemeAtAdam. Si les fils de Noé,
ses descendants, disait-on, les seuls exemplaires du genre humain qui
avaient échappéau Déluge, n'avaient peuplé que des terres connues. on
ne pouvait admettre qu'il existât des hommes dans des régionsqui ne
présentaient aveccelles-laaucun rapport ... Mais comme ces êtres,à cause
de leurscaractéresphysiques,ne pouvaient etre regardésquecomme faisant
partie du genre humain, I'Eglise, devant ce fait indiscutable, changea
d'attitude. C'était desfils d'Adam, a n'en pas douter. II fallait seulement
que cette ascendance qu'ils ignoraient leur fût solennellement révéléeet,
imposée.» (Rodrigo Octavio, <<Lessauvagesaméricains devantle droit »,
Recueil des coursde I'Acudémie de droit internationul,La Haye, 1930, 1,
t.31,p. 184-18s).

On vit alors affichéeen 1509,dans une île antillaise que les Portugais venaient
d'occuper, cette proclamation ktonnante:

(4Moi, Alphonse de Ojeda, serviteur des très hauts et très puissants
rois de Leon, conquérant des nations barbares, je vous notifie et vous dé-
clare de la façon la plusformelle,que Dieu notre Seigneur,qui est unique et
éternel,a créete ciel et la terre, et une femme et un homme, dont vous et
moi, et tous les peuples qui ont existéet qui existeront sur la terre, nous
descendons. » (ibid.p. 186.) C'était moinsen véritépour convaincre l'Indien de son ascendance et de

son appartenance au même genrehumain, que pour essayerd'entamer I'incrédu-
lité des Européens qui avaientpeine à prendre les habitants de ces territoires
pour des êtres humains commeles autres.
La notion prerniérede terra nullius,inhabitéeet sans maître, allait se pervertir
donc comme au temps des Romains. L'instantd'hésitation étaiv t ite passé: plus
de fonction exogénecommeje l'ai dit, seulement la fonction endogéne,et c'est
A peine si la reconnaissance de l'essencehumaine dont procédaientles popula-
tions d'Amérique estvenue de façon fugaceet éphémére ressaislie rsconsciences
des peuples colonisateurs.
Sont donc terrae nullius, non pas seulement les territoires inhabités et
découverts,mais mêmeceux peupléset organisés,dts lors que leur maître n'est
pas un prince chrétien.
Voila deshommes, voilades peuplesdont il a fallu,Atravers lestraumatismes
d'une discussion autour de la foi et de l'identitédu genre humain, reconnaître
leur appartenance I'espécem, ais qu'ila falluencore plus vitegommer commo-
dément sur le plan politique pour mieux libérer les appétits matériels des

conquérants. Certes, il s'agit de territoires habités, maisils le 'sont par des
barbares et non par des chrétiens. Le manichéisme romain et médikvalqui
divisait la terre entre soi et lesautres, entre soi qui a tous les droits et lesautres
qui n'en ont aucun, trouvait ici son prolongement naturel. Estlerm nulliustout
tekxitoiren'appartenant pas Aun prince chrétien:et voila la négationde sou-
veraineté et la spoliation de propriété pour caused'infidélité! L'intégrisme
religieux, simplificateur et dévastateurà la fois, pétrifiaitle temps, frappait
d'hérésietoute diversité, rendait intolérable toute croyance qui ne fût pas
chrétienne.Des peuples devenaient ainsicaptifs de la formidable parenthéseoù
Iesenfermait dorénavantla théoried'une terra nulliussiopportunémentiidaptée
aux circonstances pour libérerlesappétitsmatérielsdescouronnes européennes
et es conquistadores!
Le maquillage religieux,laspoliation pour cause d'infidélité, étaient devenus
pour l'époque lacondition de sauvetage de la thPorie de la terra nullius, mais
la motivation essentielle et originaire des expéditions ultra-marinesdemeurait

matérielle.« Le principe de I'occupation ..apparait comme un moyen possible
de fournir une solution au problèmede la répartitiondes terres nouvellesentre
les peuples qui sentent monter en eux la fiévrecolonisatrice. »(A. Decenciére-
Ferrandière, «Essai historique et critique sur I'occupation comme mode
d'acquérirles territoires en droit international Revue de droit international et
de Iégislntioncomparée,1937,p. 364.) L'Européen s'embarquapour conquérir,
dominer, s'enrichir; bien qu'il trouviit ces terres occupées,il les considéra,
aussitôt découvertes,comme lui appartenant. Et, en plus de l'or, la personne
autochtone fut la première richessequi s'offrit à la convoitise de l'envahisseur.
Les exigencesdes sentiments intéresses poussérent irrésistiblement A traiter en
esclave ce frèrereconnu comme tel, maisvite oublié comme tel, pourle vendre
sur les marchésde Lisbonne <(franc de tout impôt ». selon les termes d'une
lettre royale de 1532 adresséeA Martin Alfonso de Souza, donataire de la
capitainerie de Saint-Vincent.
L'identitéde religion avait donc établide bonne heure. indépendamnientde

toute relation conventionnelle, un rapport de communauté entre les sociétés
politiques partageant la foi catholique. Dans l'organisation de cet ensemble,
la papauté avait réalisé, semble-t-il, ne espécede confédération à caractére
théocratique dont le pape tentait d'êtreA la fois lelégislateur etl'arbitre,
cherchant à discipliner les relations de sessujets et Brégler pacifiquement leurs
différends.La conception unitaire du Moyen Age faisait du pape le souverain462 SAHARA OCCIDENTAL

de la chrétienté,mais aussi celui du monde temporel, par suite de fa vocation
universellede la religion chretienne. Déjh,au Moyen Age, le pape GrégoireVI1
s'exprimait ainsi:
« En donnant h Saint-Pierre le droit souverain de lier et de délier,dans
le ciel et la terre, Dieu n'a exceptpersonne,n'a riensoustrait A sa puis-

sance. II lui a soumis toutes les principautés, toutes les dominations de
l'univers. II l'a établi Seigneur des royaumesde ce monde. n
C'est donc sur cette base religieusequ'intervint la justification nouvellede la
dépossessiondes peuples d'outre-mer. Uneautoritéreligieusecatholique, dont
le pouvoir par éclipsesétait contestéen Europe même,et ne s'étendaitpas en
tout cas au-deth, quand il pouvait s'exercer,s'arrogeait ainsi le droit de régen-

ter sur le papier le devenir dla planèteen disposant de la souverainetéet des
territoires du monde entier au profit d'un, de deux ou de trois souverains
catholiques européens.
Parmi les bulles pontificales d'attribution des rerrae nullius pour cause
d'infidélité religieuse figurenctelles bien connues de Martin V accordant aux
Portugais tous tes pays du cap Bojador et du cap Noun jusqu'aux Indes, celles
de ClémentVf relatives aux Canaries accordées le13 novembre 1344 à l'Es-
pagne. puissance que l'on retrouve ainsi au large descôtesafricaines, et celles
d'EugèneIV de 1438et de Nicolas V de 1452et dejanvier 1454concernant la
côte de Guinéeet accordant au Portugal une espècede monopole de l'Afriqueet
des Indes.
Mais la plus celébrcest bien entendu la bulleItirercoetera du 4 mai 1493par
laquelle Alexandre Vr arbitra un differend entre l'Espagneet le Portugal.
Toutes les bulles en question possédaient un pouvoirattributif et non pas
simplement confirmatif de souveraineté(Camilo Barcia Trelles, << Francisco de

Vitoria et l'écolemoderne de droit international >i,Recueildescofrrsde I'Aca-
démiededroit irirertiarional,La Haye, 1927, II, t. 17, p.150 et suiv.). C'était
l'acte pontifical, et l'acte pontificalseul, qui etait générateurde souveraineté
sur la terra trrclliusdont était dépossédé le peuple autochtone. Cette fiction
reposait sur l'idéeque, du point de vue du droit international de l'époque.la
norme fondamentale des rapports internationaux de I'époqueétait la régle
d'obéissanceau Saint-Siège. L'article6 de la butle Inter coererase lit ainsi:

<<De Notre propre mouvement, non sur votre demande et votre ins-
tance, ni sur cellesque d'autres Nous auraient adressées acet égard pour
vous, mais de Notre pure litkralité, de Notre science certaine, et de la
plénitudede la puissance apostolique, Nous vous donnons ... toutes les
îles et tous les continents trouvésetà trouver, découverts et h découvrir,
a l'est et A l'ouest de tadite ligne, qui n'auront pas étéeffectivement
possédéspar quelque roi ou prince chrétien,>> (A. Gourd, Les cliories
coloniales et les cor~sritnlionsdes Erars-Utlis d'ilniérique du Nord, et
Dumont, Corprrsdiploniatigue,t. TII.)

Mais la justification religieuse de <<l'occupation-conquête» de territoires
baptiséssans maître n'allait pastarder a rencontrer ses propres limites.

b) Les limites de la/il~ictiottjirstificarricede l'argumentreligieux

Lesterritoires n'appartenant pas à un princecatholique étaientdonc considé-
réscomme sans maitre et, de ce fait, attribués par le Saint-Siège en pleine
souverainetéaux princes catholiques européens. Mais, qui ne se rend compte
que, bâtie de nouveau de la sorte et justifiant la spoliation pour caused'infi-délité,la théoriede la terra nulliurecèleet nourrit ses propres contradictions
qui la dévorentou, en tout cas, la rendent si dkrisoirement peu explicative?
La promptitude Aignorer des peuples pour les asservir. l'étrange logiquequi
consiste A enfoncer des peuplesdans les ténèbresde l'esclavagesous prétexte
de les hisser vers la lumi&rede la foi,enferment dans des replisensanglantésune
seule vérité, celle de l'exploitatides peuples.
Et la régled'obéissanceau Saint-Siège,norme fondamentale des rapports
internationaux de l'époque, s'estalors vite effacéedevant une autre norme
plus impérieuse, cellede l'obéissanceaux intérêtsmatériels des différentes

puissances européennes.La fonction partiellement justificatrice de l'argument
religieuxa donc trts vite atteint ses limites.
L'attribution par le pape de la souveraineté sur des territoires décrétéssans
maître du seul fair qu'ils nesont pas sous le pouvoir d'un prince chrétiea été
acceptéepar les Etats europPens bénéficiairesdans l'exacte mesure où elle
satisfaisait leurs intérêts. Commel'écrivait un auteur, «l'intervention des
papes n'étaitqu'un procédé de répartition despays nouveaux »(A. Decenciére-
Ferrandiere, op. cir.p. 366). Elle n'était solliciear le pouvoir temporel qu'Si
cette fin précise.Et c'est ainsi que la théorie de lares nullius,la théoriedu
territoire sans maître chrétien, accouchait de sa premiére contradiction et
étalaitau grand jour ses difficultésinternes.
Le Saint-Siéges'était investie l'autoritéd'adjugeraux seulsEtatscarholiques
romains, ill'exclusion desautres Etats chrétiens d'Europe, la souveraineté sur
les territoires d'outre-mer. Les Etats séparésde 1'Egliseromaine, comme
l'Angleterre, furent exclusde la donation pontificale.
La reine Elisabeth répondit à l'ambassadeur d'Espagne qui lui reprochait

I'expkditionde Drake en Amérique:
«qu'elle ne comprenait pas pourquoi ses sujets ou ceux de toute.autre
puissance de l'Europe seraient privésde faire le commerce aux Indes;
qu'elle ne reconnaissait aux Espagnols aucun titre en vertu de la donation
de l'évêqud ee Rome, ni aucun droit sur d'autres lieux que ceux dont ils
avaient actuellement la possession; le fait d'avoir seulement touché A
divers points sur la côte et donné desnoms a quelques capsétaitchose trop
insignifiante pour pouvoir créer un droit quelconque à la propriétéde

plus de pays que les régionsoù ils s'étaient réellemené t tabliet conti-
nuaient d'habiter » (Camden, Annales, 1580,citépar Gaston Jèze: « Essai
théorique et pratique sur l'occupation comme moded'acquérirtes terri-
toires en droit international », thèse, Paris,1896,p. 13).
Nous verrons plus loin que, ce faisant,la reine d'Angleterre protestaitcontre
la curie romaine, mais qu'en mëme temps elle indiquait sa préférencepour
l'occupation effectiveet non pas pour la simple découverte.

Mais la conception pontificale de la ferra nulliusn'a pasété ruinéesous les
seuls coups de boutoir de l'Angleterre. C'estdans la sphérerelativement plus
homogènedes Etats catholiques romains eux-mêmesque la théorie butesur les
limites et lescontradictions de l'argument de la foi qui avait sarla légitimer.
En effet, la justification religieusede l'appropriation étrangérede la souverai-
netédes peuples d'outre-mer a voléen éclatsdés lors quele roi François 1" A
son tour, lui-mêmecatholique, a montréqu'il n'entendait pas resterhors de la
compétition.Recevant un ambassadeur de Charles Quint, il devait marquer en
ces termes l'inopposabilita la France de la bulle Inter coeierade 1493: «Le
soleilluit pour moi comme pour tous les autres. Je voudrais bien voir ta clause
du testament d'Adam quim'exclutdu partage! »Et, en octobre 1533,ilobtenait
à Marseille du pape ClémentVI1 une interprétation d'aprèslaquelle la bulle464 SAHARA OCCIDENTAL

d'Alexandre VT, qui partageait le monde entre Portugais et Espagnols, ne
concernait que les continents connus, à I'exclusion des terres ultérieurement
découvertespar les autres couronnes européennes».
Et mêmelosque les couronnes d'Espagne etdu Portugal finirent par se sentir
léséesl'une par rapport à l'autre, elles soutinrent qu'elles possédaient une
compétenceautonomeet non pas déléguépear le Saint-Siége, al'effetd'étendre
leur souveraineté sur les terroe nullius. Les deux couronnes n'allaient plus
invoquer l'unit6 de la foi catholique maisse rbférerà la solidaritéd'intérêts.

C'est ce qu'elles réalisérentpar le traité de Tordesillas du 16 juin 1494 qui
déplaça lalignedeséparationfixéepar la bulleInter coetera de façoà permettre
au Portugal de conserver leBrésil:
L'engagement fut pris sur tes Ecritures par les plénipotentiairesau

nom de leurs souverains de ne demander ni au pape ni à l'un quelconque
de ses légatsou des prélatsde sa maison, un relâchement des promesses
contenues au traité,de n'accepter d'euxaucune dispense de ses stipula-
tions. rr(Louis Deherpe, Essai sur le ciéveloppementde I'ocrupario~ren
droit internotional. et ab lisset^déJormarionde I'ceuvrde la Conférence
de Berlin de1885, thèse, Paris, 1903p. 13.)

En somme, l'Espagne et le Portugal se servirent du Saint-Siègecontre leurs
rivaux européens, maisrefusèrent de se laisser lier eux-mêmespar les bulles
pontificales.
Ainsi les bréchesdans le systèmese sont multipliées.Et, manifestement, la
dépossessiondes territoires ultra-marins pour cause d'infidélité, aéclaration
de vacance desterres n'appartenant pasa des princeschrétiens n'ontpas résisté
en tant qu'argument explicatif et ont ététrès vitedébordéespar la logique in-
ternede la terra nulliusqui a étéconçueet appliquéepourréaliserladépossession
pure et simple par des pays européensde populations autres qu'européennes.
Le Saint-Siège n'avait pas réussi A maintenir longiemps la crédibilitéde la
motivation religieuse ou, plus exactement, celle-ci n'a pas su voiler lesmotiva-
tions réellesde la notion de terra nulliirs, fi savoir les appétitsterritoriaux et

commerciaux, concurrents et rivaux, des principales puissanceseuropéennes
de l'époque.L:argument religieux sur la base duquel la théorie a reçu son
application avaitau surplus ruinépar avance la portéeréellede cette théorie
puisqu'il contenait par ses limites la contestation des pays européens non
catholiques, comme l'Angleterre, et même despays catholiques entre eux.
Au surplus, la théorie accumulaitlesfictionsgui allaient la miner davantage.
Voyons ces fictionsen cascades:

c) LesJiciionserrcascades

Ce qui est étrange et nouveau, c'est qu'a cette époque l'aliénationde la
souverainetédes peuples ultra-marins ne se réalisaitpas in concreio, mais sur
un simple parchemin. La souverainetésur un territoire ne s'acquéraitpas par
I'occupation, mais sur le papier. L'onprocédaita la répartition des territoires,
même inconnusou non encore découverts. C'était 18 l'objectif des bulles
pontificales.
Et même lorsquel'on cherchait prendre matériellement possession du
territoire, la fertile imagination des hommes a multiplié les fictions.L'Angle-
terre prétendit longtempsêtresouveraine d'une immense partie de l'Amérique
du Nord sous le prétextequ'un navigateur à son service, Caboto, en avait
longéles côtes sans mérne y débarquer(voir Fauchille, Traitéde droit interna-
tiortal, t1,1925, p. 688). La simple trace d'écumeéphémère laisséepar une EXPOSÉ ORAL DE M. BEDJAOUI 465

embarcation étaiten somme invoquée,alors mémequ'en d'autres temps - et
pour s'opposer aux bulles pontificales - l'Angleterre souhaitait reconnaître
plus de validitB I'occupation réellequ'rila simple découverte.
C'est pourquoi Voltaire ne semble pas avoir trop méditde ces navigateurs
européenssur la <<mer océane»en les comparant aux

« boucaniers qui n'avaient d'autre loi que celledu partage des dépouilles,
point d'autre religion que la naturelle, de laquelle encore ils s'écartaient
monstrueusement )).(Essai surles ntlpurset l'esprit des nations.)

Et un juriste pouvait écrire
« Et quoique ces éloges puissent semblergrotesques Apremièrevue, il n'est

pas certain que l'arrangement du pape Alexandre VI fut plus absurde en
principe que la règlede droit public qui donnait un demi-continent au
monarque dont les serviteurs avaient accompli les conditions exigéespar
le droit romain pour acquérir la propriétéd'un objet que l'on pourrait
couvrir avec la main. » (Summer-Maine. L'Ancien droit, trad.Courcelle-
Seneuil, Paris, 1874,p. 235.)

Jean-Jacques Rousseau tournait en dérision lacouronne d'Espagne dont
<<le Roi Catholique n'avait tout d'un coup qu'à prendre de son cabinet posses-
sion de tout l'univer)p.(Contrat social, livre premier, chap. IX, «Du domaine
réel11.)
Les terraenulliiudu Nouveau-Monde. Cellesdu continent africain. Leur his-
toire fut. de l'avis de nombre d'auteurs, une longue énumération d'actesde
barbarie et de cruauté, au nom de la civilisation et au nom de l'intégrisme
religieux (voir Rodrigo Octavio, << Les sauvages américainsdevant le droit »,
Recueil des cours de l'Académiede droit iriternariorial,La Haye, 1930, 1, t. 31,
p. 177-292,passirn et spécialementp. 186et suiv. Voir aussi sa bibliographie.)
Quelques poétes ont kvoque ces malheurs et l'histoire tragique de millions
d'hommes.

JoséBasilio da Gama, poète brésilien,écrivaiten 1769 son poème intitulé
((Uruguay », oii on lisait:
Plût au ciel, gens d'Espagne,que jamais la mer et le vent
Ne vous eussent conduit jusqu'à nous. Ce n'est pas en vain pourtant
Que la nature, entre nous, a répandu
Tout l'espace immensede la plaine des eaux! »

Un autre poétebrksilien, Olavo Bilac, écrivaitdans son poéme (<La mort du
tapir »:

« .. Jamais plus! Les rites sauvages,
Les guerres, les festins, tout efiniEt.finie
La race des tiens!..»
Le rejet de I'autoritk pontificale. Monsieur le Président, Messieurs,avait

pour conséquencede faire tomber la justification religieusede la théoriede la
terra nullius.Il etait alors devenu clair que 1'Etateuropéenne pouvait êtrelie
juridiquement que de son propre consentement. Sur les territoires appartenant
d'autres qu'h des princes chrétiens,c'est-&-direhors d'Europe et dans toute
la planéte,il y avait une compktence concurrente de tous les Etats chrétiens;
en l'absenced'un accord (pacra suntservondo) établissant directementles zones
de compétenceexclusive, « tout Etat chrétienétait libre de faire n'importeoh
n'importe quoi » (A. Decencière-Ferrandiére, « Essai historique et critique sur
l'occupation comme mode d'acquérir les territoires en droit international »,466 SAHARA OCCIDENTAL

Revue de droit infernn!iotia1937,t. 18(p. 362 à 390 etp. 624 à 663),p. 371).

Telle étaitbien la conception de la terra nulliusà l'égarddes peuples asservisou
asservir. Un peu plus tard, le traitéde Vervins de 1598 entre la France et
l'Espagne portait que dans tous les pays situésau-deld'une ligne tiréede l'Île
de Fer et rejoignanttes deux pôles, dite «ligne des amitiés», tout appartien-
drait h la force.
Monsieur le Prksident, avec votre permission, je voudrais m'arrêterI(pour
envisager demain la maniére dont l'idéede terra nullius a étéconçue au
XIXc siécle,qui est plus proche de nous.

L'audience estlevée à 12h 55. DIX-NEUVIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (15 VI175, 10 h)

Présents:[Voiraudiencedu 25VI 75.1

M. BEDJAOUI: Monsieur le Président,Messieursles membres de la Cour,
lorsque nous nous sommes séparésh , ier, j'en étaisarrivéau XIXcsiècleoù l'on
considéraitcomme territoire sans maître tout territoire qui n'appartenait pas a
un Etat civilisé.

Avec l'impérialismeeuropéendu XIXc siécle,on maintient plus que'jamais,
bien entendu, le type relationnel inégalitaireentre les nations. La théoriedes
terrae nulliirs,appliquéeavec plus d'impatience quejamais, trouve de l'aliment
dans l'appétitde <conquête-occupation» - je couple Adessein les deux ex-
pressions - dans le mêmetemps ou cet appétit se nourrit de la mêmethéorie,
dans un jeu incessant d'interréactions.C'est fondamentalement la même
équation du monde, avec quelques changements toutefois dans les aires
géographiquesou, si vous voulez, pour maintenir l'image algébrique,avec des
changements dans les inconnues ou les paramètres de l'équation.
D'un côté,les sujets opérateursde la terra ~iulliusaugmentent. Ce n'est ni la
Rome antique, ni les trois ou quatre Etats chrétienscolonisateursdu XVcet du
XVI' siècle,mais l'ensembledes puissanceseuropéennes retranchéesdans leur
club fermécomme dans une forteresse inexpugnable,dont ellesgardent l'accès

par le jeu de la non-reconnaissance des autres Etats. Elles sont régiespar le
«droit international de l'Europe O,pour reprendre le titre des manuels et des
traites de l'époque,comme ceux de Heffter ou de F. de Martens. Entre ces
sujets opérateurs apparaissent, plus violentes que jamais, des contradictions
d'intérêtsC.elles-cise manifestent aussientre, d'unepart, lesEtats europkenset.
d'autre part, les Etats-Unis d'Amériquequi, aprésavoir pratiquélapolitique de
la terra tiullirrsh l'égarddes Indiens, ont appliqué la doctrineMonroe de t823
pour faire exclure par avance le nouveau continent d'une appropriation
européennerenouveléesur la base de la même théorie de la terra nullius. Les
Etats-Unis poseront au Congrèsde Berlinde 1884-1885,on leverra, leprobléme
de la reconnaissance de la souverainetéde la population autochtone.
Vu du côté despeuples effacéspar cette histoire coloniale du XIXc siècle,

on notera d'abord l'ampleur géographiquede « l'occupation-conquête».C'est
la périodedu colonialisme débridé,dans le cadre d'un droit européenoligar-
chique. Ce phénomènea pris des proportions considérablesen dépitde la li-
bérationdu continent latino-américain etde sa protection contre la recolonisa-
tion européennegrâce a la doctrine Monroe qui, cependant, ne faisait en verite
que créerune sphtre d'influence exclusivepour les Etats-Unis.
Quelles furent, au regard de 13thkorie de la terranullius, etla pratique des
Etats et la position de la doctrine au XIX' siècleet au débutdu XX' siécle?
On peut les résumer ainsi:est territoire nu/lius tout territoire qui n'appartient
pas à un Etat civilisé.

C. Est nullius roufterritoirequin'appartientpas Ù un Etat civilisé

Evoquons d'abord, si vous tevoulez bien, Monsieur le Président,la pratique
des Etats.468 SAHARAOCCIDENTAL

1) La pratiquedes Etuts
Les Etats colonisateurs ont pris consciencedu danger de I'occupation fictive,
telle qu'elle étaitrealisbeau XVIc siècle,pour leurs projets expansionnistes en
raison des conflits d'intérêtesntre eux. D'ou la proclamation de:

a) L'insuffisancede la prioritéde ladécouverte et la nécessitée I'occupa!ion
effective

L'exacerbation des rivalitésentre les puissances coloniales, spécialementdans
ledernier quart du XIX' siècleet au début duXXe, a entraîne ce queje pourrais
appeler une «surchauffe » de l'institution de laterra nirlliusSon mécanisme,
primitivement destiné à réglerles oppositions d'intkrêtsentre colonisateurs. a
subi des bchauffemenis qui l'ont fausséau point qu'une nouvelle adaptation
de la théorie étaitdevenue nkcessaire.
Les fictions en cascades que j'avais Cvoquéeshier avaient ruinéla théorie de
la terranulliuset, par conséquent,le principe de I'anterioritéde la découverte.

Le roi d'Espagne avait prisjadis possessionde tout l'universà partir de son ca-
binet et, comme en cette nouvelle èredu capitalisme naissant la compétition
entre Etats européens étaitviveet que s'étaient multipliéséographiquementles
points d'expansion coloniale, il fallut fonder les droits souverains sur autre
chose que la prise de possession dans l'atmosphère ouatée d'un cabinet royal.
Autrement dit, ce qui faisait problème au XIXesièclec'étaitla priorite de la
découverte non suivie d'occupation effective. L'existence de compétences
étatiquesconcurrentes,rivales, faisait manifestementcraindre lesaffrontements.
Letitrejuridique opposable aux Etats tiers fut alors recherchédans I'occupa-
tion et non plus simplement dans la découverte seule.Cette nouvelle pratique
des Etats, qui avait été formuléeune première fois déjàpar la reine Elisabeth
d'Angleterre dnns l'affaireDrake que j'avais citée hier, s'était afferiela fin
du XVIIIcsiècleet au début du XIXc et avait reçu sa consécrationdans l'affaire

bien connue des ilesFalkland ou Malouineq sui avait oppose L'Espagne,la
France et l'Angleterredans le détroitde Magellan.
En cas de conflit, la prioritéde la découverte devaitdonc s'effacer devant
l'occupation, critère quisemblait mieuxadapté ?ila vie internationale de l'épo-
que pour régler lesrapports concurrentstrès vifsentre les nations européennes
de l'époque.
Les participants à la conférencede Berlin vont donc poser la règlede I'effec-
Livité,qui ne s'appliquera cependant qu'aux occupations nouvelles sur les
cates d'Afrique. « Les. Puissances signataires du présent Acte >>,lit-on dans
l'article 35 de l'acte généradle la conférencede Berlin,

«reconnaissent l'obligation d'assurer,dans les territoires occupéspar elles,
sur les côtes du continent africain, l'existence d'une autorité suffisante
pour faire respecter les droits acquis et, le cas échéant,la liberté ducom-
merce et du transit dans les conditions où elle serait stipulée».

Les participants A la conférence, notamment la France et l'Allemagne,
défendrontsans relâche cette notion de I'effectivité. ans sa lettre du 8 novem-
bre 1884adressée au baron de Courcel, ambassadeur de la Républiquefran-
çaise A Berlin,qui reprksentera la France?icette conférence, le ministrefrançais
desaffaires étrangkres écritnotamment en précisantses instructions:

<<Reste donc à determiner les principes qui. selon nous, doivent préva-
loir en cette matiére. D'aprésla doctrine communément admise par les
auteurs, un Etat peut acquérir par la seule prise de possession la suze-
rainetéde territoires, soit inoccupés, soitappartenant a des tribus sauvages, EXPOSE ORAL DE M. BEDJAOUl 469

pourvu quecette prisedepossessionsoit effective,c'est-h-direaccornpagnke
ou suivie de certains actes équivalantBun commencement d'organisation.
Le simple fait de planter un drapeau, des poteaux ou des emblèmesne
suffit pas à créerou àsoutenirun titre Ala possessionexclusived'un pays
placé dans de telles conditions. )) (Archives du ministère français des
affaires étrangères,Ménroires et documents, Afiique, t. 109,cote 87.)

De son côté. Bismarck déclaraitau cours de la séance d'ouverturede la
conférencede Berlin :

« Pour qu'une occupatiorisoit considéréecomme effective,il est, de plus.
a désirerqui: I'acqukreur manifeste. dans un délai raisonnable, par des
institutions positives. la volonté etle pouvoir d'y exercer ses droits et de
remplirlesdevoirsqui en résultent.» (Protocole no 1 du 15novembre 1884,
Archives du ministère français des affaires étrangères, Mémoires et
docuntettts, Afiiqiit. 108.)

Les motivations qui ont poussé certainesnations européennes,comme la
France ou l'Allemagne,a insistersur l'importancede I'effectivité, taientclaires.
L'une et l'autre de ces puissancessouhaitaient étendreau maximum le nombre
de territoires considéréscomme n'appartenant B personne et susceptibles par
conséquentd'êtreacquis par ellespar l'occupation. La condition de I'effectivité
avait, en quelque sorte, pour résultat de réduirele nombre des occupations
valables des autres nations concurrentes. L'Allemagne,sur ce plan, étaitmême

plus fortement motivéecar elle étaittard venue à l'entreprise colonialeet elle
n'acceptait de se falre opposer par les Etats rivaux que lesdroits desouveraineté
soutenus par une possession réelleet effective. Mais après la conférencede
Berlin, et une fois nantie, l'Allemagne trouvera bien lourdes les charges de
l'occupation effectivedont elle cherchera à se soustraire.
Mais l'ontombait de Charybde en Scylla,car lacondition de I'effectivitéa été
en fait la source d'une surmultiplication des conflits entre les puissances
européennes.Rien n'est plus ambigu en cette périodeque cette notioii d'effet-
tivitéqui sera contournée par l'institution du protectorat, lequel dispense de
la condition d'effectivitéselon le congrèsde Berlin. Au surplus leslimites de la
théoriede la {erra r~rrllisont ainsi montrées par l'exacerbation des rivalités

qui amènent à faire greffer sur cette théorie de la terra nitlli~tsdes especes
d'excroissancestellesque la théoriede l'indépendance, la théorie du voisinage,
la théorie de la continuité, la théoriede la zone hydrographique ou oro-
graphique pour asseoir par exemple les prétentionsdu Portugal sur l'ensemble
du bassin du Congo, la théoriedes limitesnaturelles de I'occupation, la théorie
de la zone indéfinieou de mer a mer, etc. (voir Fauchille, Traitéde droit inter-
national, t.1,deuxièmepartie, p. 722 et suiv.).
Toutes ces théoriesavaient pour objet dejustifier la pratique incohérentedes
Etats qui n'ont pu muselerleurs rivalitéset de couvrir teou tel interet déterrni-
nésur le plan politique, donc fiiialementde bafouer mêmel'idée d'effectivite ét
bien entendu d'ignorer les peuples et de ruiner la théoride la terra nullius.
Et puis on est venu au problème de la procédure de la notification; et 1A

aussi il faut envisager ce problkme de la notification Atravers la concurrence
entre les différentesnations(<civilisées» du XIX' siécle.
b) La conciirrence enrrelesd~rérentesiiationscitropéerine du XIXt siicleet la

procédure (le la ~totificatiorr
Au point où en était la théoriedes territoires sans maître au XIXQiècle, tout
territoire n'appartenant pas à une nation «civilisée )>etaitnulJius; la vraie470 SAHARA OCCIDENTAL

question de l'époque n'était plus qu'une questio dne répartition des territoires
entre les puissances occiden$les. C'est bien ainsi qu'elle s'est posée e, algré
les discours tenus à leur égard lorsdes travaux de la Conférence africainede
Berlin de 1885, lesgrands absents étaientles peuples d'Afrique, non sujets du
droit international de l'époque,les seuls sujets dece droit international étant
ceux du club des Etats reconnus.
La conférencede Berlin a &ténecessaire et elle s'est réunie pour régler les

prétentions rivalesdes grandes puissances. Ainsi s'explique l'innovation de
la conférenceavec l'établissement d'une notificationobligatoire des occupa-
tions prCvuepar l'article 34 de l'acte généradle Berlin. L'Etat occupant devait
faire officiellement savoir aux autres Etats membres de la conférence, soit
qu'il a pris possession de tel ou tel territoire considérépar lui comme sans
maître, soit qu'ia assuméa l'égardde tel pays lerôle d'Etat protecteur.
La procédurede la notification pouvait entraîner - et c'étaisa raison d'être
- des réclamations.Celles-cipouvaient naître des prétentionsd'un autre Etat
eyropéen.Donc la aussi, la notification étaitinspiréepar les conflits d'interêts.
Chaque occupation nouvelle, notifiée, devait nécessairementfaire apparaître
soit un accord tacite soit un conflit ouvert entre deux ou plusieurs puis-
sances européennes. La notification, limitéetoutefois aux occupations des
seules côtes africaines et pour l'avenir, avait donc pour but de provoquer le
consentement des Etats:

«Faute d'accord, pas de compétenceexclusive; il n'y a plus que des
compétences concurrentes et rivales, que des espacesoù te droit interna-
tional n'interdità aucun Etat d'accomplir tous les actes qui lui convient,
mais ne fait pas de cette faculté un pouvoir juridique, protégécontre
l'immixtion des autres. » (A. Decencière-Ferrandière, Revue de droit
internationalet de ligislatiocomparée, 1937,p. 661-662.)

A la question de savoir si des contestations pouvaient naître dela violation
des droits d'autrui, en se plaçant du point de vuedu droit des peuples occupés,
question pourtant soulevée,la réponsefut négative.II fallait décidémentque,
pendant toute cette période, ces peuples fussentabsents de l'histoire.
Le fameux messagedu présidentMonroe du 2décembre1823, par lequel les
Etats-Unis avaient refuse de reconnaître la validitéde nouvelles occupations
des Européensdans le nouveau continent, avait eu pour effet pratique d'empê-
cher que nejoue, en Amériquelatine notamment, la théoriede la terranulliuset
donc d'empêcher que la coutume de l'acquisition des territoires par occupation
ne devienne une coutume internationale généraleet universelle. En fait d'ail-
leurs, au XIXe siècle, lecongrésde Berlin avait limité sa réglementationspé-
cifique au cas des côtes africaines. Néanmoins la pratique des Etats européens
s'étaitétendue a l'Asie; et, en tout etat de cause, c'&ait en véritétout le droit
((international» de l'époque,droit européenpar excellence,et non pas seule-
ment une de ses coutumes, qui n'avait aucun caractère généralet universel.
Voyons quellesétaientles positions de Ia doctrine
l'époque.
2) Lespositions de lu doctrine

La doctrine a tenté de justifier, en partie, la pratique des Etats au XIX*
siéclequi consistait A considérercomme terrae nulliustous les territoires qui
n'appartenaient pas à un Etat civilisé.
Tout Etat «civilisé», et seul 1'Etat «civilisév,pouvait faire partie de la
<(communauté internationale des Etats », organide et reconnue par les Etats
europkens. En conséquencetout Etat qui ne fait pas partie de ce club fermé

n'est pasun Etat civiliséet son territoire peut tomber sous le coup de I'occupa- EXPOSE ORAL DE M. BEDJAOUI 471

tion, du protectorat ou de la zone d'influence d'unautre Etat du club, c'est-
à-dire en fait d'un Etat européen. Autrementdit, lesautres ensembles politiques
du monde, du fait qu'ils ne sont pas organisésselon les canons du XIXe siècle
et selon Iesmodèlesde l'Europe, notamment sur le plan de liEtat, ne sont donc

que des Etats barbares ou des entitésnon étatiques auxquelles la théoriede la
rerra nullius pouvait s'appliquer.
La théorieen question, remplissant la fonction endogène dont j'ai parléet
pour laquelle elle a été conçuepar les Etats européens,livrait donc le critère
de !a déterminationdes terrae nullius. La reconnaissance de l'existence d'un
Etat hors de l'Europe et de son caractèred'Etat civiliséétait lefait exclusifde
l'Europe et relevait de la compétence souverainede celle-ci,sans rapport avec
une quelconque réalitépropre au territoire ultra-marin.
Bienentendu cela ne résultait d'aucuneenquêtesur le terrain. Etait considé-
récomme terra nullirrs,était décrétomme teltout territoire qui ne relevait pas
de l'autorité d'unEtat civilisé,c'est-à-dire en fait, itt concreto, pratiquement.
qui ne relevait pas delasouverainetéd'un Etat européen.Le critère étaitdonc
lui-mêmeendoghne, c'est-l-dire interne au club européen etpropre à la con-
ception européenne,donc sans aucun contrôle et sans aucune prise sur Iui par
d'autre qu'un Etat européen.

Notons que la doctrine au XIX' siéclen'a pas réussiAdéfinir, d'ailleurs,le
ferriiorium nullius dont l'expansion coloniale de l'époquefaisait pourtant une
très grande vedette. L'Institut de droit international, par exemple, avait Iui-
même renoncé à le définir. Unprojet sur les <<occupations des territoires »,
présentéen 188spar de Martitz h la session de Lausanne de l'Institut, contenait
la définition suivante:
«Article Ir- Est considérée comme territorium nuIliustoute régionqui
ne se trouve pas effectivementsous la souverainetéou sous le protectorat
d'un des Etats qui forment la communautédu droit des gens, peu importe
que cette région soitou non habitée. »

Engelhardt devait réagirainsi à cette définition:
« Qu'est-ceau juste que la<<communautédu droit desgens O? Dans quelles
conditions un Etat sera-t-il considérécomme faisant partie ou non de la

communauté du droit des gens? Quelleest la situation d'un Etat qui se
soumet à la plupart des règlesdu droit des gens, et qui en repousse quel-
ques-unes? Ainsi, prenons le Maroc, qui n'interdit pas l'esclavage. [Je
laissea l'auteur, qui parlait au XIX' siècle, la responsabilité de son
affirmation particulièrementspécieuse.;Or, le Maroc fait-il partie de la
communautédu droit des gens?La situation de l'Abyssinie,du sultanat de
Zanzibar, est analogue 3 celle du Maroc.
D'autres sociétéssont de fait en dehors de la communautédu droit des
gens, et constituent pourtant desEtats dignes d'être respecté;lle était la
situation des Etats de l'Amériquelors de la conquêteespagnole. 11en est
même qui sont certains points de vue des peuples sauvages, qui sont
O absolument en dehors de la communauté du droit des gens, et dont il
serait pourtant exorbitant de considérerle territoire comme un territorium
nullius. La situation des Egbas, peuple de deux millions d'âmes établientre
le Dahomey et un affluent du Niger est intéressanteAconnaitre A ce point

de vue. »(Anmiairedei'ltlstitut dedroit international, 1888-1889,p. 177-178.)
Au terme d'une discussion d'ailleurs assezvive,l'Institut adopta le prosur
l'occupation des territoires, mais en renonçaàttoute définitionde la terra nul-
lius, c'est-à-dire de l'objet mêmede l'occupation.472 SAHARA OCCIDENTAL

Le professeur de Martens, déjhcité, s'indigne,dans un article paru en i885
dans la Revue de droit international, contre les usages de la colonisation et

mentionne que les occupations se sont faites le plus souvent par la force et la
fraude. Il ne s'étaitpas faitfaute toutefois d'écrirequ'«on ne peut occuper que
des terres n'appartenant A personne et habitées par des tribus barbares »
(F. de Martens, Traitéde droit international, Paris, 1886,1,p.464). Autrement
dit, les habitants sont ainsi desnon-personnes »!
Engelhardt, dans la mêmerevue un an plus tard, s'&taitfait lyrique et
véhémentpour condamner les procédésinhumains des occupations de terri-
toires.
Tel étaitaussi le cas de Paul Fauchille qui, après avoir condamnéles sub-
tilitkssoi-disant juridiques »recouvrant l'emploibrutal de la force dont ont usé
les Américainsdu Nord contre les Peaux-Rouges et plusieurs nations euro-
péennescontre les habitants de l'Afrique, ajoute que «c'est à l'aide de conven-
tions pacifiquesque l'Europe doit chercher Itpénétrerdes régions habitées non
encore soumises à son influence».

Le professeur Le Fur n'envisageait pasles choses autrement: pour lui, la
colonisation est une euvre de civilisation dont dépendle bien commun de
l'humanité,mais il ajoute: (<l'existencede territoires sans maître, c'est-à-dire
nonorganisés,telleest la premièrecondition d'une occupationrégulière»(Précis
de droit ititertiatiortalpublic, Paris, Dalloz, p. 37).
Citons encore, et je voudrais que nous la conservions en mdmoire, pour la
suite, l'argumentation de Castonnet des Fosséspour s'efforcer de démontrer
la souveraineté française sur Madagascar: il conteste au régimedes Hovas,
pourtant fortement organisé,lecaractère d'unEtat (Revue de droit ititeniatiotial
et de Iégislatioticotripnrée,t. XVII, p. 413), selon les canons du XIX' sièclede
l'Europe. Le procédéde I'occupation, autrement dit, volait ainsi au secours du
procédéde la conquete!
Mais lesauteurs, preoccupésderésoudre,sur leplan théorique,lesoppositions

d'intérêtest les conflits entre nations européennes surgisde l'application dela
notion de terra rtlrllitis,ont fini par aftirmer que l'occupation enéctivefaisait
acquérirla souveraineté à titre originaire, en la faisant remonter au droit du
«premier occupant » qui serait un principe de droit naturel de portée univer-
selle.
On introduisait ainsi le droit romain par le canal du droit naturel dans la
théorie du droit international de l'époque.Et I'onréglale problèmedes posses-
sions ultra-marines en mobilisant Justinien et Gaius, les Itistirirtes,le Digeste et
les Patidectes! Et dans une fantaisie débridéede la spéculation pure,I'on se
référaaux notions d'~inini~rdsoniirii, d'itsia, defriictur et d'obrrstis,etc.
J'emprunterai ici une première synthèsede tout cela à Gaston Jéze:

«Comme conclusion, nous pouvons résumer en deuxpropositions la
jurisprudence internatiohale du X[Xc sièclesur Ies droits des peuplades
barbares.

i'. La théorie desPuissances civilisées, progressantavec la doctrine de:
auteurs, a affirméson respect absolu des souverainetésindigénes.
II. La pratique est restée,ou Iipeu prés,celledessiéclespassés, avecette
double circonstance aggravante qu'elle se déguise hypocritementsous les
apparences les plus généreuses et qu'elle n'a plus pour elle l'excusede la

bonne foi et du fanatisme religieux. n (Etude théoriq~reet pratique sur
I'occuparion conrinemode d'acqirérirles territoires en droit ititertjafiotial,
p. 160.) EXPOSÉ ORAL DE M. BEDJAOUI 473

Mais l'optimismede Gaston Jézesur le premier point, celui de la reconnais-
sance de la souverainetédes peuplades ditesbarbares, doit êtrefortement nuan-
cé,d'abord en fonction des remarques sur l'ambiguïtéde la doctrine qui ont
étéexposéesil y un instant, et ensuite parce que la théoriede la rcrra ttl~llil~s
n'avait pas pour fonction exogènede résoudre l'antinomie qui existaitentre
les peuples dominants et les peuples asservis, mais simplement de régler des

rapports de forces inrer se, des rapports de forces intereuropéens. C'est sur
l'existence de cette fonction exogèneque je voudrais, avec votre permission,
Monsieur le Président. rapidement m'interroger.

Quand j'afiirme que la théoriede la terra iirrllirrsne remplissait,comme je l'ai
dit hier, qu'une fonction endogène,je veux entendre par la que ses auteurs ne

se sont pas préoccupés d'intégred rans son profil généralle problème de la
Iégirimiréde la colonisation. Crééeà l'intérieur du sytèmeuropéen,par etpour
les besoins des Européens, elle avait pour seule vocation de discipliner les
rapports des colonisateurs entre eux par une rkglementation positive de leur
droit international de l'époque.Lathéoriede la terra ii~rlliusposait et résolvait
des problèmes de compétencesconcurrentes entre Etats européens ct créait
essentiellement un rapport de droit entre Etats colonisateurs. Elle ne posait, ni
encore moins nerésolvait, I'antinomie<< peuplesdominateurs-peuples asservis )>.
Cette observation est importante, Monsieur le Prksident, Messieursde la Cour,
car nous sommes, avec l'affaire du Saitara occidet~tal,devant un problème de
décolonisationet la théoriede la ferratilrllirrs,qui n'a pas de fonction exogène.

comme je lemontrerai, et qui ne règlepas l'antinomie, ne peut nous aider bien
évidemmenta résoudreun tel problèmede décolonisation.Ou plus exactement
elle ne peut nous aiderà le résoudrequ'en nous référanatu droit intertemporel,
comme on le verra plus loin, et aussi en recherchant le meilleur effet utile 1i
donner aux questions poséesa la Cour, et rl l'avis consultatif que celle-ci
pourrait rendre.
La notion de terra titdlius n'a donc pas rempli de fonction exogène: c'est
ainsi que Francisco de Vitoria, témoin indignéde la réification des peuples,a
vainement élevé sa voix solitaire, etouffke par les clameurs des marchands et
des boucaniers du grand large; c'estainsi aussi que, dans la même traditiondu
XVIc siècle,le XIXe avait mis les peuplesentre parenthèses.mêmelorsque l'on

feignait de passer avec eux des traitésde « verroterie» et de « pacotille »au
moment mêmeoù l'on escamotait leur souveraineté au congrès de Berlin.
Autrement dit, l'existence de traitésdits «de cession ))n'est pas explicative,
comme je le démontrerai tout à l'heure.
Examinons ces deux points rapidement.

A. Fra~icisco~feVizoria lénioiiii~~pt~issaiit
de la r~ificatides pcirples

Comme je l'avais déjhsouligné,une grande différenceéthique marquait de
son sceau les projets hégémoniques du monde européenau XVI' et au XZXc
siècle.Le probleme de la légitimitéde la colonisation elle-même,c'est-à-direle
probleme du devenir des peuples autochtones, de leur souverainetésur leur
territoire, s'&ait effectivementrioséau XVItsiécledans un débatprodigieux qui

opposa pendant plusieurs décennies juristes et théologiens entre eux, et qui
immortalisa lavigoureuse penséedu grandjuriste espagnol Francisco de Vitoria. SAHARA OCCIDENTAL

Au XTXc siécle,au contraire, les peuples européensrefusent d'entrer en rapport
avec les autochtones sur un pied d'égalité, ne veulenp tas reconnaitre leur
souverainetéet entendent la confisquer Sileur profit.
Il ne faudrait donc pas croire que la doctrine de l'époquefut unanime 21
conforter par son argumentation et l'autoritépontificale en matiérede réparti-
tion des territoireet les méthodesemployéesau nom de la nécessaire évangéli-
sation des « peuples barbares ».
Je n'entrerai pasici, Monsieur le PrPsident, dans le détailde cette doctrine.
Qu'il sufise de dire qu'elle étaitpartagke et que si le systémedu droit positif

que j'ai décritavait trouvéassez dejuristes pour l'appuyer sur une argumenta-
tion juridique, il n'avait pasmanquépour autant A la mêmeépoqued'esprits
honnêtes pour dénoncerles réglesjuridiques ainsi élaboréessur la force.
Je citerai seulement lestravaux du célèbredominicain de Vitoria et ses efforts
pour affirmer:
- qu'il n'y a pas de droit du Saint Empire;
- qu'il n'y a pas de droit du pape;

- qu'il n'y a pas de raison de châtier ceux qui refusent de se convertir au
christianisme;
- qu'il n'y a pas de raison de spolier de leurs terres les peuples infidéles en
châtiment de leurs prétenduesmauvaises mŒurs;
- que les Espagnols n'&aient pas les messagers de Dieu;
- que la propriété commela souverainetéexistaient chez les Indiens et que
les territoires par eux occupés ne pouvaient êtreconsidérkscomme rerrae
nullius;
- enfin, proposition particulièrement hardie pour I'époqueet apparaissant
même commeune irrkvérence,que si le fait d'avoir découvert unmonde habité
nous donne la facultéde l'acquérir, les Zndiens auraient tout aussi bien le
droit d'étendre leursouveraineté sur les terres espagnoles ou européennes, a
supposer qu'elles fussent découvertespar eux;

- qu'en somme, on ne saurait. par l'occupation, acquérir des territoires
soumis ii des souverainetéspréexistantes, mêmreudimentaires;
- que la cessionde souverainetéeffectuéepar un souverain autochtone dans
une convention ratifiéeensuite par les mandataires ne saurait constituer un
titre inattaquable. L'ignorance du cédant,la disproportion psychologique des
contractants, la peur qui vicieleconsentement, tout cela faitde cesconventions,
aux yeux de Francisco de Vitoria, qui parlait au XVI' siècle,ce que I'on
appellerait aujourd'hui, à juste titre, des traités inégaux, auxquels il a eu
le courage de refuser toute validité.

C'est ainsique Vitoria conclut au caractère illégitimedes titres d'acquisition
de la domination sur l'Amérique.Mais un esprit éclairé,si pénktrantet con-
vaincant qu'il soit, si auCacieux mêmepour son époque,ne change pas à lui
seul les données dudroit positif de I'époque.L'appétitde richesseset de terri-
toires et l'intégrisme religieuxdes princes chrétiensde I'époquene pouvaient
céderdevant la voix courageuse d'un dominicain, aux idéeshumanitaires et aux
analyses juridiques aussi fortement en avance sur son temps. L'histoire de la
colonisation espagnole et portugaise aux XVe et XVle siècles restedonc celle
d'une magistrale ignorancedes peuples, d'une brutale mise entre parenthèses
de leur réalitehumaine, politique et juridique.
Le droit international existe
àce moment-!Si,il vient de naitre. Les rapports
entreEtats sortent lentement de l'autorité pontificale, u de cellede l'empereur.
Mais cette époque de la naissance du droit international est aussi celle de la
formulation de toutes les thésesclassiques, c'est-à-dire celle du formalisme EXPOSÉ ORAL DE M. BEDJAOUI 475

juridique le plus grand, recouvrant encore la force la plus brutale. Les peuples,
que les puissances de l'époque rencontrent sousleurs pas, sont niésdans leur
existence même;pas de fonction exogénede la théorie; les territoires habités
par eux, leurs territoires, sont déclaréspar le droit de l'époqueterraet~irlliuse,t
il n'en va pas mieux au XIX' siècleoù les peuples sont égalementniis entre
parenthéses - c'estce à quoi j'en viens maintenant.

B. Les peuples mis eiitreparenthésesau XIXcsiècle

Chaque époque, Monsieur le Président. Messieurs les membres de laCour.
produit ses alibis et sesinstruments de camouflage. C'est ainsique I'on a colo-
nisépour lutter contre les infidèleset pour les évangéliser,alors que ce fut
pour les réduireen esclavageet exploiter leurs richesses. On colonisa plus tard
pour apporter les lumièresde la civilisation et dispenser ses bienfaits.
Dans cette perspective, on est toujours le « sauvage ))d'un autre, déslors
que I'on ne partage pas avec lui sessytémesde références éthiques,politiques,
philosophiques ou religieux. Si I'ondécdte que le territoire doit revenirh la

puissance coloniale candidate, il faut bien, de quelque maniére, en rendre
incapables de possessionou de souverainetéses propres habitants. II faut bien
les décréter inhabiles a sa gestioSuprerne raffinement,si les «sauvagcs »sont
inaptes A la gestion souveraine de leurs affaires publiques. c'est parce qu'ils
sont mêmeincapables de discerner leur propre bien et leur propre salut. Ils
sont réduitsh la condition de mineurs qu'heureusement la puissance coloniale
portera un jour lil'figede raison et a la qualitéde responsables.

a) Les « ~raitPde verroteri))

On a bien sûr conclu des traités avec ces « sauvages»! Est-ce qu'ils nous
prouvent que la fonction historique de la terra nulliusavait un profil exogène?
Est-cequ'elleréglaitleproblème desrapportsentre l'indigèneet 1'Etatcolonisa-
teur?
En dépitde l'existencede ces «traités )),la réponse est négativeA . u XIXc
siécle, tout spécialement, un grand nombre d'accords furent conclus entre
Européenset autochtones. Mais ce serait s'abusersur leur véritablenature que
de leur reconnaître une fonction de régulation des rapports entre les parties
contractantes, c'est-à-dire une fonction de résolution de l'antinomie « Etats
colonisateurs-peuplesopprimés ». Contrairement aux apparences, ils n'avaient

pas pour objet de régler lesrapports entre les contractants!
Le seuleffetdes cctraités)étaitleur opposabilité tout Etat européen,quine
pouvait plus désormaisrevendiquer le territoire comme une terra nullil~sC . 'est
dans leurs relations concurrentes que les Erals européensse servaient entre eux
de ces traités commemoyens de preuve de leur occupation. Contrairement aux
apparences, lesinstruments conclus relevaient la aussi de la fonction eridogéne
de la théorie de la ferra nullius, et nullement d'une fonction exogZne que
remplirait celle-ci.
En dépitdes efforts de la doctrine, qui estimait que ces accords exprimaient
valablement un consentement de la population subjuguée, celle-ci ne pouvait
êtreregardée en vérité comme ayant aliéné la souveraineté sur son territoire ou
la propriétt de son sol. C'est d'ailleurs lh l'une des contradictions les plus
apparentes de toute la théoriede l'occupation desterritoires sans maître, car,

d'une part, tout reposait sur le postulat selon lequel les peuples occupant ces
territoires n'&tant pas souverains, leurs territoires étaient terrae nulliusce
postulat devait entrainer naturellement pour conséquenceque lesdits peuples476 SAHARA OCCIDENTAL

et leursreprésentantsn'étaientpas sujets du droit international et ne pouvaient
pas passer de traités internationaux. Mais, d'autre part, lorsque cela est utile
pour les besoins de la cause, les Etats occidentaux s'opposent les uns aux
autres des actes passésavec les chefsautochtones et qualifiésalors, lorsque cela
est nécessaire,de «traites de cession », encore que l'on puisse lesappeler plutôt

des <(traitésde verroterie ». Et pour cela, la confusion, pourtant dépasséea
l'époque, estsavamment entretenue entre souverainetéet propriété.
On notera aussi, une fois de plus, la confusion faite entre le procédéde la
«cession )) de territoire et celui de l'«occupation », qui devraient pourtant
s'app-iq-er à deux catégories différentesde territoires: les terrae riiilliet les
autres.
Les exemplesde ces traités ditsde «cession » abondent et je n'en donneque
quelques échantillons :

- cession que le Portugal invoqua ainsi en 1890 - etqui lui aurait étéfaite
au XVIIt sièclepar un certain empereur Monomatapa;
- traitéspasséspar la France avecles tribus sakalaves de la côte malgache et,
en 1835,traitésavec lessouverains hovas, en particulier avec le roi Radama, et
que la France invoqua contre l'Angleterre;
- traitésqueI'Assciciationinternationale africaine conclut avec quatre cent
quatre-vingts chefs dc tribus, lui cédant en toute propriété des territoires

immenses et qu'elle invoqua en 1877 (voir. sur les procédures contestables
selon lesquellesces actes sont passés,G. Jèze,op. rit.,p. 146 et suiv.);
- traitéconclu le 1I décembre1886 à Grand Bouboury entre la République
franqaiseet lereprésentantdu chefdu paysde Bouboury faisant partie du r rand
Bassam (voir Archivesdu ministère françai- des affairesétrangères, Mémoires et
docunienk, Afrique, t. 83, cote 275);
- traitéconclu le 1"avril 1884entre Henry Stanley, agissant pour lecompte
de l'Association internationale africaine, et les rois et chefs de Ngombi et
Mafela, dans le bassin du Congo, et par lequel ces derniers

<(cédentdonc h ladite Association, librement, de leur propre mouvement,
pour toujours, en leur propre nom et au nom de leurs héritierset succes-
seurs, la souverainete et tout droit de souverainetéet de gouvernement sur
tous leurs territoires, te tout moyennant une pièce d'étoffepar mois à
chacun des chefs soussignés,outre le présent d'étoffes offeratujourd'hui;

et lesdits chefs déclarentaccepter ce présent etce subside mensuel à titre
de paiement intégraldes droits cédés à ladite Association » (Stanley, Cinq
années au Congo, p. 623et 624);
- traitéconclu le25 mars 1884entre la Républiquefrançaise et Nooboh, roi

d'Akapless, qui cèdela souverainetésur son territoire moyennant une somme
annuelle de cinq cents francs appelée dans le traité ((coutume annuelle »,
payable sur les fonds-cadeaux de la colonie (voir Archives du ministére fran-
çais des affaires étrangéres,Mémoires et docitniertts,Afrique, t.80, cotes 13
ët16);
- dkclaration du 1" décembre1885 par laquelle les chefs du territoire de
Sekkom, dépendant du roi d'Agoué,reconnaissent le protectorat de la France
sur leur territoire (voir Archives du ministérefrançais des affaires étrangéres,
Mémoires efdocunients, Afiq~re, t. 83, cote 53).

Et je pourrais citer des centaines voire des milliers de ce que i'on a appelé
des <(traités» passés par diverses puissanceseuropéennes.
Il est piquant de constater comment les chancelleries se sont souvenues tout
A coup, A la veille de la conference de Berlin, de certains de ces titres qu'elles EXPOSE ORAL DE M. BEDJAOUI 477

paraissaient avoir complétementoubliés,et comment certains Etats européens

se sont empressésde les <<ratifier à la veillede cette conférence.
Il arrivait parfois que I'onpassait des traités parce qu'onavait perdu la trace
des traités précédents .insi, un traité conclà Grand Bouboury, le 11 décem-
bre 1886,disposait dans son article premier que:
« Les chefs de Bouboury déclarant avoir étéliésantérieurement à la
France par des traites dont ils ont perdu le titrela présenteconvention

servira seulealors pour réglerlesrapports des Français et des habitants du
pays. »(Archives du ministèrefrançais des affairesétrangéres,Mémoireset
documents,Afrique, t.83, cote 275.)
On avait parfois recours à des traités supplémentairespour prétendument
expliciter les termes de traitésprécédents. Ainsiu, n traité conclu le 19 avril
1884 entre Stanley, chef principal de l'Association internationale africaine, et

leschefs des districts de Pallabola, stipulait en son article premier cequi suit:
«IIest convenu entre lesparties que les mots «cession de territoire »ne
signifientpas acquisition du sol par l'Associationmais bien acquisition de
la suzerainetépar les chefs soussignés.))(Stanley,Cirrqaniiées aliCotigo,
p. 625.)

Quelle validitéaccorder à ces traités?
N'avait-on pas pourtant,à la même période. conclq uue ces peuples n'avaient
pas la personnalité juridique internationale? La question était embarrassante
A ce point que le droit de l'époquepréféraitsoutenir que l'acquisition de la
souveraineté était la conséquence de l'occupation, et non pas du traité.Ainsi
les embarras de la doctrine de l'époqueétaienta leur comble:

« On ne saurait [écrivait de façon très justement critique. Charles
Salomon, au XIX' siéclejconcevoir icila conclusion d'un traité, puisqu'on
ne voit pas avec qui il pourrait être faitet quel pourraiten êtrel'objet; on
ne saurait comprendre, en effet, une cession de droits souverains effectuée
par un groupe d'individus, qui, par hypothèse, n'en possèdent aucun. »
(Op. cil.p. 233.)

II faut observer enfinque, fa plupart du temps, la partie contractante euro-
péennen'avait aucune qualitéde plénipotentiaire et qu'il s'agissait souvent
d'un particulier, d'un explorateur, d'un marchand, d'un représentantd'une
compagnie commercialeprivée.Et de surcroit à tous les vicesdu consentement,
la partie autochtone se voyait obligéede céderdes droits, dont apparemment
elle n'avait aucune idée. C'estainsi que lescompagnies allemandesde l'Afrique

orientale faisaient insérerla clause portant que le Sultan de Zanzibar<cédait
tous lesdroits qui constituent la notion de souverainetételque la conpretid le
droitallemand )).
Ainsi les artifices se multiplient et I'on croit ou I'on feint de croire que les
traitésconclusavec leschefsindiginesexpriment une volontéfibreetconsciente:

« Cette pratique, écritun auteur qui avait participéà la conférencede
Berlin, consacrejusqu'a un certain point un principe que les nations chré-
tiennes ont presque constamment méconnuau XVC et au XVIIlc siècle,
principe en vertu duquel les tribus autochtones en tant qu'Etats indépen-
dants (sic)auraient en généralle droit de signer des traités,de consentAr
l'abandon total ou partiel de leur souveraine..Ainsi s'estaccusépar une
suite de faits et d'actes concordants, ce sentiment de solidaritéhumaine
qui condamne la violence a l'égarddes peuples inférieurs, lorsmarne
qu'elle s'exerceau nom de la civilisation. » (Rapport présentépar M. E.478 SAHARA OCCIDENTAL

Engelhardt sur lesdélibérationsde la conférence africainede Berlin, 7 mars
1885,Archives du ministère français des affaires étrangères,Mémoireset

documents, Afriqrre. t109, cote 163.)
Cette souveraineté des peuples autochtones, en vérité, uninstant utile
pour reconnaitre quelque valeur aux traitks de cession au moment oh ils sont
signés, estpromptement écartée parlecongrèsde Berlin lui-même.

b) Le problème de Io souverainetéaurochionedevant Ie congrèsde Berlin
Sir Edward Malet, représentant de la Grande-Bretagne à la conférencede
Berlin disait:

<Je me dois de rappeler que les indigènes nesont pas représentésdans
notre sein et que, cependant, les décisionsde la Conférenceauront pour
eux leur gravitéextrême.» (Congrèsde Berlin, protocole no 1, séancedu
15 novembre 1884,Archives du ministèrefrançais des affaires étrangères,
Mémoires et documents, Afrique, t.108.)

Mais celui qui posa sans détouret avec insistance le problème de lasouverai-
neté de cespeuples indigènes fut le représentantdes Etats-Unis, John A. Kas-
son, ministre plénipotentiaire,qui a déclaré ce quisuit:
«En approuvant les deux paragraphes de cette déclaration, comme une
premièredémarche,courte rnaisbien rédigéec ,'estmon devoir de consigner
deux observations au protocole:

1) Le droit international moderne suit fermement une voie qui méne h
la reconnaissance du droit des races autochtones A disposer librement
d'elles-mêmes etde leur sol héréditaire.Conformément à ces principes,
mon gouvernement se rallierait volontiers à une règle plus étendue et
baséesur un principe qui viserait leconsentement volontaire des indigénes,
dont le pays est pris en possession, dans tous les cas ou ils n'auraient pas
provoquél'acte agressif...»

Mais la conférencede Berlin a pris une attitude négative;son présidenta
fait remarquer:
« que la première partie de la déclaration de M. Kasson touche h des

questions délicatessur lesquelles la ConTérencene saurait guère exprimer
d'opinion; ilsuffirade reproduire au protocole lesconsidérationsexposées
par le plénipotentiaire desEtats-Unis d'Amérique. >>(Congrès de Berlin,
protocole na 8, 31 janvier 1885,Archives du ministèrefrançais des affaires
étrangéres,Mkmoires et documents, Afrique, t.108.)
Et donc, l'on a occupéet conquis, c'est 1'«occupationconquête )>,au nom
de la mission civilisatrice: étaitterritoire rrirlliustout Etat qui n'appartenait pas

A un Etat civilisé.

Ce contenu de la mission civilisatricen'est rien d'autre en réalitéque d'impo-
serA certains peuples la domination de certains autres et de déguiser ladépos-
session dont ils sont victimes. L'objectif religieuxdu XVlC siècle,de faire le
salut des peuples malgréeux et aux dépensde leur bien temporel, était,semble-
t-il plus cohérentque le but avancépour justifier les entreprises coloniales du
XIX' siècle. Un auteur, Charles Salomon, s'exprimait ainsi au XIX' siécle:

« Si l'idée religieuseestpar essence absolue, l'idéede civilisation est au
contraire variable et relative: personne ne soutiendra sérieusementquyil EXPOSE ORAL DE M. BEDJAOUl 479

a une seule civilisation et qu'il est nécessaireque tous les hommes partici-
pent ilses bienfaits; mais beaucoup ont pu penser sincèrement qu'il n'y
avait qu'une seule foi religieuseet qu'ylavait un si grand intérétà la
faire partagerA tous les hommes, que tous les moyens étaientbons pour
arriver h ce résultat» (op. cit., p. 194).
IIest important de noter que. lorsdes débatsh la conférencede Berlin, cette
idéede mission civilisatrice ne fut d'ailleurs sérieusementabordéeque sous la

pression dejAmentionnée deKasson, représentantdes Etats-Unis d'Amérique.
Et c'estainsi, Monsieur le President, Messieursles membresde la Cour, que
ICs peuples du tiers monde furent les souffre-douleur d'une humanitécruelle.
En vérité,il serait superflu de placer ledébatau niveau du problèmede civilisa-
tion, car chacun sait, chacun savait, que c'étaitun alibi pour lesconquêtes.On
a subordonné simplement la libertédes Noirs aux besoins commerciaux des
Blancs. L'Afrique « occupée-conquise» ne participait pas au destin du monde
et faisait partie de cescontinents de I'histoireimmobile. Elleétait.selon l'image
de Hegel, «ce pays de l'enfant gisant au-deli de la lumièrede I'histoire».
L'argument de la civilisation n'avait biensûr aucune pertinence au surplus,
car il n'est pas de groupement humain sans civilisation. Une civilisationn'est
nullement tenue de ressembler àcelle du conquérant,dont elle s'éloignmême
beaucoup:

<(Où prendrait-on ledroit d'affirmer,écritun auteur qui est orfèvre en
la matière, que les possibilitésde tel groupement sont fatalemebc~nées
aux réalitésdu présent?Il faudrait tout ignorer de I'histoire du monde
pour Eire sür de l'avenir.» (Georges Hardy, La politique coloniale et le
partage de la terre aux XiXCet XXc sièclcs, Paris, AIbin Michel, 1937,
p.123.)

L'audience,suspettciuàII h 10, est reprisà 11Ir35

Je voudrais, avec la permission de la Cour, continuer mon exposéen abor-
dant une seconde partie de celui-ci relative I'histoire du Sahara occidental.
Je ne m'y attarderai pas trés longuement.

II. Le Sahara occidentalet L'histoiredesa colonisation

On peut seposer la question desavoir commentet par rapport hquelscritéres
on doit procéder al'examendela question du Sahara occidental pour détermi-
ner si, au moment deson occupationpar l'Espagne,il étaitou non ferra nullius.
Cette question n'est pas d'un examenaisésur le plan théorique,car il faut,
A la lumitre des conclusions auxquelles nous venons d'aboutir au terme de la
première partie de notre exposé, la situer en tenant compte d'un contexte
historique et politique particulier, doubléd'un environnement international, ce

qui est de nature à accroitre la complexitéde la tâche.
Le Maroc et la Mauritanie, dans l'ordre logiquedes choses, ont soutenu que
le Sahara occidental n'étaitpas une terra nullius, mais une partie intégrantede
leur territoire respectif. L'Espagnequant à elle, ne semble pdu mêmeavis
et, de l'imposante masse de documents qu'elle a produits devant la Cour, il
ressort qu'elle fonde sa conviction sur trois sériesd'arguments qui, de son
point de vue, soulignent le caractère de rerra nullius du Sahara occidental:
d'une part, des affirmations de traitésqui déclaraient.selon son interprétation,
que ces territoires n'étaientpar marocains ou mauritaniens; d'autre part, la
constante notori&téde leur indépendancepar rapport a la monarchie maro-480 SAHARA OCCIDENTAL

caine, à l'ensemble mauritanien et, enfin, troisiémeargument espagnol, les
actes divers et, notamment, des actes de disposition passéspar différentschefs
locaux, sans que soit consultéou aviséle makhzen.
Le Gouvernement espagnol, outre qu'il soutient que le Sahara occidental
étaitune entité indépendantequi ne relevait de la souverainetéd'aucune des
parties susvisées,tsansqu'ilseprononce d'une manièreformellesur lecaractére
de terra nullius de ce territoire. présente néanmoins des arguments et des
documents qui tendent précisément Acette conslusion - I moins que je ne me
trompe:
Dans son exposé écrit,on peut lire à ce sujet:

«Le concept de terra niillius ne doit pas étrecompris, h la lumiéredu
développementdu phénoménecolonial dans le passé,comme le refus pur
etsimple de l'existencede tout pouvoir local dans les territoires qui sont
l'objet de colonisation par les puissances européennes, mais comme
l'expression d'une rtalite juridique, d'accord avecle droit international en
vigueur a cette époque-la et, dans l'actualité,le manque de souveraineté

étatique,permanente et effective.Pour cela mérne,le caractèrenuliil~sd'un
territoire n'estpas affirméen termes absolus, àtout effet,sur tous lespoints
de vue possibles, mais exclusivement en ce qui concerne la souveraineté
étatique.C'est plutôt l'absencede l'exerciced'un pouvoir souverain de la
part d'un Etat sujet de droit international, ce qui caractériseun certain
statut juridique du territoire et qui produit un effet juridique concret, A
savoir celui qui consiste a considérerlicite l'occupation du territoire par
un sujet de l'ordre juridique international qui exerce effectivement son
pouvoir souverain et assume la responsabilitécorrespondante. » (1,p. 171,
par. 264.)

Parmi les nombreux documents que le Gouvernement espagnol soumet à la
Cour et qui serapportent aux premiéresoccupations du Sahara occidental qui
ont eu lieu au XVt siécle,on relèvenotamment:

Premièrement,la bulle Ineflabilis du pape Alexandre VI, du 13février1495,
accordant aux RoisCatholiques d'Espagnel'investituredesroyaumes d'Afrique
et mentionnant notamment qu'il convient: « de travailler h l'accroissement de
la religion chrétienne etau salut des âmes et a abaisser les- ru~l's barbares
afin qu'ils puissent êtreconvertisA la foi par la suit,)(1,appendice 11 à i'an-
nexe2, p. 355).

~euxi'érneient,le traité conclu A Tordesillas, le 17juin 1494,entre l'Espagne
et le Portugal, précisantlesdroits de pecheet de navigation reconnus à chacun
d'entreeux sur la côte africainede l'Atlantique, notamment entre lecap Bojador
et leRio de Oro (1 ,appendice 10 $l'annexe2, p. 345-354).
La doctrine dégagée (icette époque-làpour procéder au partage du monde,
et qui ressort de ces documents, va donc permettre àcertains pays européens,
notamment l'Espagne, d'entamer désleXV' siècle leprocessus d'occupationdu
Sahara occidental,justifieau débutpar desconsidérationsreligieuseset commer-
ciales.
Ce processus va se poursuivre pendant le début du XVIc sièclepour per-

mettre l'implantation de comptoirs commerciaux et d'btablissementsde pèche,
mais il revêtiraun caractére plusaffirméet plus solennel au XIXc sièclepar
l'intermédiaired'explorateurs ou de sociétés commerciales.
Nous nous abstiendrons volontairement de procéder à l'énumérationet
encore plus à l'analyse des<(traitésH accordant (il'Espagnede nouvelles con-
cessions territoriales sur le Sahara occidental à la faveur d'une extension de EXPOSE ORAL DE M. BEDJAOUI
481

son occupation territoriale ou d'une délimitation de ses «possessions O,ou
lui reconnaissant une liberté rl'action dans ce qu'on appelait les sphères
d'influenceeuropeennes. Ces traités, qui couvrent notamment le début du
XXt siècleont étélargement analysés parlesparties, chacunàsa manière,dans
leurs exposésPcrits ou oraux.
II faudrait plus de science et plus de prudence que je n'en ai pour analyser
ces traités sans être emportépar le maelstrom périlleux desinterprétations
historiques oii les certitudes peuvent paraiàcertains si rares.
Les occupations successivesdu Sahara occidental par l'Espagne, notamment
au XV1' siècleet au XIXt siècle,ont obéi iides préoccupations politiques,
économiqueset religieuses.
Le Gouvernement espagnol, bien que dans son exposé écritil ne se soit pas
expriméexplicitement sur le caractère du Sahara occidental au moment de son
occupation. considére,semble-t-il, que ce territoire était aterranuIliusdu
fait qu'il ne relevait d'aucune souverainetéétatique.

Mais il faut reconnaître que le Gouvernement espagnol fonde cette théorie
dans son exposésur l'absencede souverainetéétatique au Sahara occidental et
non sur d'autres principesqui avaient été établsar le droit colonial, notam-
ment celui qui consistaàtconsidérercomme terra nulliustout territoire peuplé
de sauvages ou de non-civilisés.
Comment aurait-il pu prétendre, que c'&aient des territoires peuplésde
sauvages ou de non-civilisés, s'agissantd'une régionoù avaient pris naissance
des dynasties qui avaient tréslargement contribué à la civilisation hispano-
mauresque?
Toutefois, on peut se demander si l'attachement a cette conception de la
part du Gouvernement espagnol ne contredit pas la conclusion à laquelle il
aboutit lorsqu'il essaie de justifier la validitédes traitéspassésavec les chefs
locaux, en faisant valoir notamment qu'il avait comme partenaires des chefs
agissant pour le compte de tribus indépendantes etorganisées,constituant un
ensemble structuréet homogéne,détenant une autoritépolitique sur iin terri-
toire défini.

11est évidentque le systéme politico-socialdu Sahara, Rio de Oro et Sakiet
El Hamra, au moment de l'occupation de ce territoire par l'Espagne, sedis-
tinguait par son originalité, compte tenu de l'étenduedu territoire et du mode
de vie particulier de ses habitants, dont la grande majorité était constituéede
nomades.
Les colonnes militaires espagnoles, en depit de leur pénétrationd'ailleurs
précaire à l'intirieur du Sahara, ne sont pas parvenues assujettir certaines
tribus telles que celle des Regueibat dont le courage et la vaillance sont Iégen-
daires.
La résistancede la population du Sahara occidental, qui s'est manifestéA
travers des siécles,a pris plus d'ampleur ii la fXIXe siécle,sous I'iiifluence
de chefs religieux.
Par sa situation géographique privilégiée,le Sahara occidental constituait,
avant le développementdes moyens de transport modernes, un lieu de passage
idéalentre le Nord et le Sud, la côte et L'intérieurde I'Afrique occidentale,
notamment pour les commerçants.
11s'est constitué une communauté d'intérêts qus i.'ajoutantà d'autres con-

sidérations,ont favorise l'établissementde liens solides et privilegiésencee
territoire et les pays voisins.
Sur le plan religieux, la communautéde croyance ne pouvait pas ne pas se
manifester dans toute la région,quand on sait que les musulmans, où qu'ils se
trouvent, appartiennent tous à cette grande communauté musulniane, a 482 SAHARA OCCIDENTAL

fortiorilorsqu'il s'agit d'habitants de territoires voisins ayant embrassél'Islam

dans les mêmesconditions historiques et ayant une communauté culturelle et
linguistique réelle.C'est pour cela que j'ai écouté avecinfiniment d'intéles
exposésmauritaniens et marocains dans cette affaire.
Les rapports entre les pays de cette régiondépassaientle cadre religieux. En
raison des dangers que présentaitpour eux la pénétration européennei,l était
évident qu'ils devaientse prêterassistance mutuelle, ce qui impliquait des
déplacementsdu nord au sud et vice versa, non seulement de troupes mais
égalementde souverains et de chefs locaux.
Les relations économiques étaientégalementtrésdéveloppéeset cela peut
aisément s'expliquer,pour cette région, par l'interdépendancedes communi-
cations er la complémentarité des économies respectives.
Tous ces rapports privilégiés découlenett decoulaient d'un voisinage paisi-
ble et fructueux et avaient un caractère particulier.
Voilh, Monsieur le Président,ce que je voulais dire à se sujet.

III. Droitintertemporelt interprétationesquestionssoumisesAla Cour

La définitionde laterranulliusayant étéexaminée etson application histori-
que au cas du Sahara occidental ayant été abordée, il me reste a présent à
tenter d'esquisser desrkponses aux questions poséespar l'Assembléegénérale
Ala Cour. Au centre de cette recherche. on bute inévitablementsur un délicat
problkme de droit intertemporel, auquel nous allons maintenant, si vous le
voulez bien, nous attacher.
Il y a lieu de voir, en somme, comment le droit peut interpréterl'histoire du
Sahara occidental, comment on peut interpréter les questions soumises à la
Cour et comment se pose ce problémed'intertemporalite du droit.
Avant d'étudierle problème de méthodeet celui corrélatif du droit inter-
temporel qui seposent, il importe de s'interroger d'abord sur l'objet de fa re-
quêtepour avis.

C'estdans un espritde recherche d'un effet utiàedonner A l'avisde la Cour
que nous voudrions, 1 notre tour, envisager ce que n'est pas I'objet de cette
requête,puis ce qu'il doit êtrea nos yeux, et enfin les prkcautiona prendre
pour y parvenir.
Mais voyons d'abord les problèmesétrangersà l'objet de la requête.

A. Probièmes étrangersd l'objetde larequéte

Après les positions contradictoires qui ont étédéveloppéedevant laCour,
il nous parait possible d'opérer,dans l'esprit que je viens d'indiquer, un tri
parmi les arguments dont beaucoup, en s'affrontant, se sont en quelque sorte
annulés. Etc'est ainsi qu'il me parait possible de suggéque:

a) larequête pour avisne doit pas, a l'évidence,ouvrir un contentieux d'attri-
bution territoriale;
b) l'avis ne peut pasconstituer un jugement sur la démarche politique que
pourrait prendre l'Assembléegénérate;
c) la requêtene doit, en aucun cas, se réduiIeun débatdenature académique.

Examinons ces trois points tour ii tour. EXPOSE ORAL DE M. BEDJAOUI 483

a) Il ne s'agit pas d'ouvrir uncontentieux d'ottributiott territoriale

Tout d'abord, il conviendrait de ne pas perdre de vue une évidence,un
truisme, ?isavoir que la Cour internationale de Justice reste une Cour, bien
qu'il s'agissede sa fonction constultative et comme cela a été rappelpour la
Cour permanente de Justice internationale dans l'affairdu Statut de Iu Carélie
orientale(23juillet 1923,C.P.J.I. sérieB no5, p. 29). On ne saurait confondre
Ia présente procédure avec celle'une affaire contentieuse; et si le rappel d'une
telle évidence est nécessairec,'est parce qu'au depart du processus sesitue une
tentative qui n'a pas eu de suite et qui avait pour objet d'engagerune procédure

contentieuse dont la finalitéauraitété différente.II convient d'exorciser tous
ces souvenirs que cette tentative contentieuse peut laisser planer sur les travaux
de la Cour. En particulier, il n'est pas question,A notre sens, au travers de
réponses historiques, de trancher un contentieux d'attribution territoriale
aboutissant rl l'indépendance, au partage ou au rattachement du territoire
saharien. Cela iraitA l'encontre des statuts de la Cour en matière de fonction
consultative, violerait le principe fondamental du consentement des parties à
une procédure contentieuse et, surtout, contredirait la politique suivie par
l'Assembléegénkralesur ce problème.

b) Incompétence de la Cour pour dicter à I'Assenibléeggnérale sa ddmarche
politique ,

En rendant un avis consultatif, la Cour ne saurait s'ériger enorgane de
contrôle de la politique suivie en matière de décolonisation par l'Assemblée
généraledes Nations Unies. Le terrain sur lequel se place la Cour est celui du
droit, alors que le plan auquel se situe I'AssemblCegénérale est celuide la
politique et de l'opportunité.Ils'agIade deux domaines qui doivent demeurer
distincts.

c) La requêtene doit pas entrainer un débatacadémiqire

Compte tenu de [a nature historique des questions posées.il ne faudrait
pourtant pas réduirel'objet de la requêteà un simple débat historique. Car la
Cour a mieux à.faire qu'a éclairer,pour la seule satisfaction des spécialistes,
une controverse historique. La Cour montre d'ailleurs, par la grande prudence
dont elle a toujours fait preuve dans de tels domaines, qu'elle ne s'estime ni
habilitéeni outilléepour se livrer elle-même de telles investigations et qu'elle
ne recourt aux avis souvent contradictoires des experts que lorsqu'elle ne peut
s'en passer. II sufit de rappeler ti ce propos les rkticencesde la Cour devant les
aspects historiques du débat quia portésur l'affairedes Minquiers et Ecréhous.
Il est donc clair qu'il n'est pas dans les habitudes de la Cour d'accepter de
répondrepar simple satisfaction académique A une question historique. L'avis
de l,aCour sera donc utile ou ne sera pas. L'Assemblée généralaettend un
éclairage utileà un problème actuel. Sur le meilleur effet utile de l'avis, je
reviendrai, avec votre permission, tout a l'heure.

Quels sontA présentles problkmes propres A l'objet de la requête?

B. Problèmespropres ùl'objet de lreqrtête

Comme le rappelle l'un des considérants de la résolution 3292 (XXIX),
l'Assembléegénéralea estiméqu'a une difficultéjuridique a surgi au cours des
débats au sujet du statut dudit territoire au moment de sa colonisation par
l'Espagne n.484 SAHARA OCCIDENTAL

La juridiction de la Cour nous parait ici, contrairement aux allégationses-

pagnoles. une voie appropriéedans la mesure où, cessant de confondre la voie
consultative et la voie contentieuse1,p. 189, par. 309), il n'est aucunement be-
soin de l'existence d'undifferendpour que la Cour seprononce.
S'ilest vrai que le procésjudiciaire est une voie pour la satisfaction desdroits
des parties, en revanche la fonction consultative peut certainement apparaître
comme une voie pour lasimpledéclarationjudiciaire du droit. Dans l'hypothèse
contentieuse, parce qu'existe un différend,le fait de dire le droit résout ce
différendlui-même.Et, dans l'hypothèseconsultative, le droit est précisé sur le
point soumis,maissansqu'un différendsoit tranché, puisqueprécisémentil n'y
a pas de differend; sinon la distinction entre fonction contentieuse et fonction
consultative serait bien difficileà établir.
En vertu de l'article 92 de la Charte, la Cour, en tant qu'organe judiciaire
principal des Nations Unies, va coopérerdans le cadre de ses fonctions judi-

ciairesà l'Œuvrede décolonisationmenéepar l'Assemblée générale. L'interven-
tion de la Cour dans teprocessusde décolonisationest donc parfaitement située.
Elle intervient dans une longue suite de recommandations homogènes, re-
marquablement univoques dans leur finalitéet constantes dans la procedure
préconisée.
II n'est pas dans les attributions de la Cour, nous l'avons dit, de porter un
jugement sur cette finalité politiqueet sur l'opportunitédela stratégiede décolo-
nisation préconiséepar l'AssembléegénéraleL . a Cour donne son avis sur une
question juridique; cela implique qu'en restant dans son domaine elle statue
dans le cadre du droit &laboré en la matière, c'est-à-dire ici du droit de la
décolonisationtel qu'il apparaît maintenant solidement établi parde nombreux
textes et notamment par la résolution1514(XV) de I'Assembléegénérale.
L'intervention de 1ziCour se situe donc ici dans le processus précisd'une
opérationde décolonisation d'un territoirenon autonome, laquelle passe inévi-

tablement,en vertu du droit fixépar lesNations Unieset en vertu desrésolutions
spécifiques prisesen l'occurrence,par l'autodéterminationsous une forme qu'il
revient à l'Assembléegénérale de préciser.

C. Précautions ù prendre porrrlie pas dénaturer
l'objetde la requêre

Pour rester fidèleaux régleset 'à l'esprit de la fonction consultative de la
Cour, celle-ci ne saurait en premier lieu interpréterles questions qui lui sont
poséescomme portant en elles-mêmesleur réponse. Dans la rigueur de ses
analyses, la Cour n'a pas l'habitude d'aller au-delà des questions qui lui sont
posées,pas plus qu'elle ne se sent autoriséetimodifier la nature de celles-ci.En

vertu de sa jurisprudence, réaffirméedans son avis consultatif sur Ceriaines
dépensesdes Nations Unies (C.I.J. Reciieil 1962, p. 155), la Cour ne donne
d'ailleurs sesavisquesur lesquestionsjuridiques et serefusà selaisserentrainer
dans un domaine qui reléve a l'évidencede la négociationpolitique entre les
parties.
Enfin et parce que la Cour, dans son avis, entend rester sur le plan des
questions juridiques et y rkpondre en s'appuyant sur le droit international en
vigueur, elle ne saurriit oublier l'environnement juridique, le cadre juridique
dans lequel doit êtresituéle problèmesoulevéqui relèvedu droit de la déco-
Ionisation, droit fonclésur le grand principe de l'autodéterminationcontenu
dans la résolution1514 (XV), comme on le verra plus loin. EXPOSE ORAL DE M. BEDJAOUI

2. NATURE ET INTERPR~ATION DES QUESTIONS
L'on a vu longuement ce qu'était historiquement la conception de la {erra

nullius. De cet examen, nous tirerons, dans quelques instants, quelques con-
clusions. Mais ce n'est pasuniquement a cause de la référenceii la thtorie de
la terra nulliusque la premièrequestion pose des problèmes délicatsd'interprt-
talion.
Donner comme date critique lemoment de lacolonisation par l'Espagne, c'est,
eu égardau processus lent et progressif de l'implantation espagnole, placer la
Cour devant un choix de date.
La rédaction de la seconde question est égalementambiguë. Que faut-il
entendre par liens juridiques, s'agissant de rapports entre un territoire et
d'autres autorités politiques: la notion est vague et peut se comprendre, soit
par référenceau droit internationa- un traitéest un lienjuridiqu- soit par
rapport aux systèmes dedroit interne en présenceet notamment par rapport

aux conceptions en cours pour l'organisation politique despeuples musulmans
h un moment donné(voir Maurice Flory, « La notion de territoire arabe »,
Amrirairejranrais de droit interna!ional, 1957,p. 73).
Le terme ((ensemble mauritanien » n'est certainement pas usuel dans la
terminologie du droit international. Sans doute les débAtl'Assembléegéné-
rale des Nations Unies doivent-ils permettre d'éclairerla portéeet d'indiquer
quelle réalité sociologiqet quelle structure politique ce terme recouvre.
Quant àl'expressionterranullius, nous croyons avoir assez minutieusement
montré, au terme de notre longue analyse, que la théorieviséepar cette ex-
pression a rempli une fonction historique de régulationdans la répartitiondes
territoires entre les puiçsan~esimpériales.
Nous avons observé, enparticulier, que le concept de terra nulliusa connu
l'apogéede sa carrière lors de L'expansioneuropéennedu XIXcsiécleet qu'il

s'agissait de dégageralors le plus possible de territoires sans maître pour laisser
le maximum de champ libre k I'imp&rialismeeuropéen. En conséquenceet
comme nous l'avons dés le début souligné, les distinctions soigneusement
etablies par la doctrine entre le procédéde l'a occupation » réservéaux terri-
toires sans maître et les procédésde la «conquête», de la «cession », ou de la
(<prescription scquisitive », réservésaux autres territoires, ont étébousculées
sans ménagementspar la pratique des Etats et sont apparues dérisoirement
irréelles.De la sorte, des territoires soumàsune souverainetélocale ont été
dbctarésterritoires sans maître, pun eclatement du concept de la terra nullirrs
qui n'a plus rien signifié.Dans la pratiqon,a étonnammentconfondu, d'une
part, la technique de l'occupation que I'on n'a plus réservéeaux seuls terri-
toires sans maitreet,d'autre part, le procédéde la conquêteou de la cession
que I'on n'a plusréservéaux seuls autres territoires. Pis encore, au congrésde
Berlin, on a confondu les protectorats avec les territoires sans maître, puisque

aussi bien ilsfiguraient côte 5icbte dans une même espèeénommée «occupa-
tions nouvelles >et qui n'auraidG comprendre que le cas des territoires sans
maitre. Finalement, on peut affirmer, et c'esma conclusion sur la premikre
partie, qu'était territoiresans rntiître ioul territoircommelutel, contraire-
ment aux fictions éthéréed se la doctrine du XIX' siécle,qui continuait ses
distinguos inopérants. Cette conclusion est importante en ce qu'elle éclaire
sous son jour véritable la premiérequestion de la terra nullius posée à la
Cour.
Les puissances coloniales ont tenuà sauver lesapparences en reconnaissant
aux peuples autochtones, avec lesquels ils odQ traiter, des capacitks pour ce
faire. En ce siéclefinissant,autdébut duXX', la théoriede la terra riulliusse 486 SAHARA OCCIDENTAL

recharge lourdement, une fois de plus, de certaines ambiguités dont on ne
parvient pas a la purger cornpiétement.
Les contraintes imposées parlescompétencesconcurrentes des Etats coloni-
sateurs et par leurs rivalités aiguisées otmené chacund'eux à rechercher un
moyen de preuve de son occupation à opposer l'autre. Ce moyen. ils l'ont
trouvédans l'institution de l'accord avecle prince autochtone, accord qui en
vient àruiner l'essencemêmede la terranullius,fondéeprécisémens tur l'absence
de toute souverainetéet de tout pouvoir dans le territoire considéré.Pour
justifier la validitédesaccords passés avecleschefs indigènes,Engelhardt, queje
cite à nouveau, dans le rapport précitéau ministre des affaires étrangéres,

pouvait allerjusqu'hconsidtrer lestribus indigénescomme organiséesen«Efats
indépendants)){sic.). il devait écrirepar ailleurs que, selon lui, le congrès de
Berlin n'avait pas considéréles peuples autochtones comme formant rrdes
associatiorrspuremerttoccidentelles sanspersonnaliréjuridiq ueendehorsde la
coninturiautédu droit desgerir»(« Etude sur la déclarationde la conférencede
Berlin», Revuede droit internationalet de législationcomparée,1886,t. XVIII,
no'5 et 6 (second article, p. 572-582)).
Mais ildevait, dans la mêmeétude,écrireque <<lesIndienset lesNoirs diAfri-
que, dans leurs groupements variables, n'offraient pour la plupart aucun des
caractéresconstitutifsde la personnalité juridique)>.
11ajoute:

« N'eût-il point paru dérisoirede les traiter selon l'équité justice ...
eux qui n'avaient auiun droit que celui de la force physique? Devait-on
voir un semblant d'Etat dans des associations plus ou moins accidentelles,
sans frontières définies,sans pouvoir stable, guerroyant le plus souvent
entre elles et passant alternativement de l'indépendanceà l'esclavage? ))
(Ibid.p. 577.)

On voit donc, Monsieur le Président, Messieurs, laconfusion et le malaise A
leur comble. L'ambiguïté est plus épaisseet plus lourde que jamais. Ainsi c'est
la théoriede «l'occupation des territoires sans maitre » ou réputéstels qui va
justifier ~(I'occupation de territoires reconnus comme possédant un maitre
autochtone »!
Et ces ambiguïtés. ces subtilité,es artifices, sont contenus dans le point de
vueespagnol présenté8la Cour dans la présente affaire,lorsque ce point de vue
définit,commeje l'airappelétout àl'heure, leconcept de terra~iullius.

A. La réfircnceau droit infernationalde l'époque

Dans ces conditions, comment répondre Ala premiérequestion posée Lila
Cour? II faut seréférerd'abord au droit international de I'kpoque, bien sbr.
Max Huber, dans la sentence arbitrale qu'il a rendue dans l'affaire de I'lle de
Palmas,avait poséun problème fondamental de méthode.Une normejuridique
ne saurait êtreappréciéeque selon les conditions de I'époque etdans le cadre
des circonstances de son temps: <(Un fait juridique, écrivait-il,doit êtreap-
précié A la lumièredu droit qui lui est contemporain et non h celle du droit en
vigueur au moment où le différends'élève ou est réglé.>>
Si cette méthodedoit nous inspirer, et dés lorsque dans une premiére con-
ception chére5rla doctrine du XIXc sièclela terra nulliusest le territoire non
organiséen Etat et non civilisé,on pourrait répondre a la premiérequestion
posée B la Cour que le Sahara avait étéconsidéré parses occupants espagnols
comme une terra nullius.Dés lorsque le territoire ne relèved'aucune autorité

constituéeen Etat selon lescanons strictement imposéspar le droit européen,il
est terra nulliur. EXPOSÉ ORAL DE M. BEDJAOUI 487

On peut mêmedire que la réponseest contenue dansla question elle-même.

Etant donné que la régleapplicable est conçue et énoncée arbitrairement par
celui-1iimêmequi veut l'appliquer ii son profit, lesjeux sont faits et il suffitde
constater que l'occupation du Sahara par les Espagnols s'est rbalisée,pour
considérer du mêmecoup que le territoire était nullius,selon les canons de
l'Europe du XIX' siècle.Autrement dit, il y a 18 un type de raisonnement
fermé, uneespècede logique circulaire propre h la nature mêmedu systéme
instituépar l'Europe quant aux territoires sans maitre. L'Etat colonial qui a
voulu conquérir un territoire a, préalablementpour ce faire, inventélibrement,
arbitrairement, l'instrument juridique approprié. C'était tout l'objet de ma
démonstration d'hieret de ce matin. Du fait mêmeque l'occupation a eu lieu,
c'est-à-dire du seul fait que l'objectif assianétéatteint, on peut en déduire
que le territoire étaitconsidécomme terranulliuspar IesEuropéensselon Ieur

droit de I'époque.
Prise dans son contexte du XIXc siècle,la conception de la terra nulliusa fait
fides maîtres du territoire et l'a occupé.La question posée laCour est de
cellesqui auraient pu êtreposéesopportunémentau congrèsde Berlinlui-même
qui avait procédé au dépeçagdee l'Afrique: elle aurait eu pour objet de savoir
quelle autoritéaurait dû apprécierle fait qu'un territoire était réellementsans
maitre, et quelle instance, politique ou autre, auraiteu compétencepour se
prononcer sur les critéresde la terra nulliuset pour apprécier larectitude de
leur applicationh un territoire donné.La réponse Zila question poséeAla Cour
a étémalheureusement donnéepar avance par le congrèsde Berlin et par la
pratique des Etats colonisateurs: étaitterritoire sans maître, donc susceptible
d'étreoccupépar tout Etat colonisateur européen,tout territoire que ce méme

Etat décidaitde considérer commetel, et ce, avec l'accord des autres Etats du
club européen.
Autrement dit, la réponse est,hélas!,contenue dans la question elle-mêmed,és
lors que l'on doit interpréterla notion deterra nulliusconformkment au droit
de l'époque. Cela merappelle que de mon temps les enfants des petites
classes maternelles s'amusaient à se poser des questions qui contenaient leur
propre réponse,du genre de celle-ci: «Quelle est la couleur du cheval blanc
d'Henri IV?» Sauf pour ceux qui trouvaient que la question était trop facile
pour ne pas cacher quelque piège,lecheval ne pouvait êtrequeblanc.
II faut donc prendre nettement conscience de ce fait-lii. J'ai beaucoup in-
sistésurla fonction exclusivementendogéne, et nullement exogène, de la théorie
de la resnullius,ce qui'signifieque lesmaîtresdu jeu pour la déterminationde la
régle,pour l'appréciation des critères et pour leur applicationB un territoire,

étaientexclusivement les Etats colonisateurs, sans recours et sans appel d'au-
cune sorte. II suffit que le Sahara occidental ait étécolonisépour qu'on soit
obligé,dans cette perspective, d'en inférerimmanquablement que l'Espagne et
l'Europe l'avaient considerécomme terra nulliusen faisant fi des maîtres de ce
territoire.
Que l'Europe et singulièrenient la Puissance administrante aient I tort
considéré ce territoire comme une terranulliusalors qu'il était dotéd'une
organisation politico-juridique dont il a &fourni de nombreuses preuves, aussi
bien par la Mauritanie que par le Maroc, est une tout autre question qui n'est
en véritépas poske,malheureusement, hla Cour. Laquestion poséeAla Cour est
de savoir si au moment de la colonisation, et donc dans le contexte du droit
colonialiste de l'époque,le Sahara était nuIliuset non pas si les puissances

coloniales ont commis, ce qui est patent, une erreur et mêmeun crime de le
considérer commetel.
Il convient donc de prendre nettement conscience d'une telle situation.488 SAHARA OCCIDEMAL

Lorsque la grande dynastie hova -je l'ai rappelétout Al'heure - a succombé
sous les coups du colonialisme à la fin du XIXcsiécle.alors qu'elleavait donné
de trèslongue date à Madagascar un Etat aux plus solides traditions politiques,
juridiques et administratives, la doctrine, comme je l'ai rappelé,avait considéré
quand mêmece grand pays comme terra nullius.Cette iniquitt, inspirée
manifestement par le souci de la conquéte,provient du fait que la monarchie
hova n'étaitni reconnue, ni parrainée, niintégréepar le club fermédes Etats
européensqui avaient réduit lacommunauté internationale du droit des gens

A leur seul membership.Cette «cornmunaut& des Etats civilisésn avait étk
unilatéralement définie pareux, pour les besoins de Ieurs relations, fa fois
entre eux et A l'égarddes autres, j'allais dire contre les autres.
Le professeur Dudley Field écrivaitnaguéreque
«l'idéesimple qu'aucune communautén'a le droit d'exclure, voire d'exter-

miner les autres,a mis du temps icheminer:
Nous ne sommes pas assez pénétrés de cette idéeque ce que nous
appelons le droit des nations n'est apréstout qu'un assemblagede règles
juridiques que le christianisme a faites...pour les peuples chrktiens, et h
l'autoriédesquelleséchappela majeure partie du monde. )>(Revue de droit
ittrernationalet de 1t;gislutioncomparée,1875,p. 659.)

D'ailleurs, comme la doctrine du XIXc siécle leprécisait:
«le droit international coutumier européen n'est pas applicable aux

relations des Etats civilisésetdes barbares. Ce droit est en effet un produit
de la civilisation et de la communautédenotions morales et politiques. Or,
les barbares n'ont aucune idéedes devoirs qu'implique la civilisation.
Dorrcils ne sauraient être aubénéficd ees droits qui en sont la contrepartie.
Au fond, ils ne croient qu'Ala force. ))(F. de Martens, << La Russie et
l'Angleterredans l'Asiecentrale »,Revue de droit infernafional,t. XI, 1879,
p. 227-301 .)

Et voilBtous lespeules non européens proprementexécutés par un syllogisme
aussi rigoureux que dérisoire.Et plus loin, le mêmeauteur ajoute:

((C'est tout au rlu---i - - - A recevoir dans la communauté du droit
international les grands Etats asiatiques, et encore faut-il prendre des
précautions contre eux, au moyen de l'exterritorialité des colonies hu-
maines européennes. )>(Ibid.)

Dans un tel contexte - et comment changer de contexte puisqu'on seplace
au moment de la colonisation et qu'on seréfèreau droit international colonial
dominant de l'époque? - on ne peut rien tirer de la première questionposée à
IaCour. Dans une telle situation, il faut bien se rendre compte qu'fiIYgard du
concept dévastateurde laferra nuliius, tel qu'il ttait entendu au moment de la
colonisation du Sahara, la Mauritanie elle-mêmeq ,ui allait subir la colonisation,
était considéréecomme une terra nuIliuset le Maroc lui-méme setrouvait la
veilled'un démembrement. C'étaitcela le droit européendu congrésde Berlin
et des accords secrets, c'était cela ledroit des marchandages et des luttes

sourdes.
On voit bien ainsi ceque peut avoir d'artificiel,de dérisoire, d'unepart, une
question entendue ainsi et, d.'autrepart, une rkponse aussi stérile, mais la seule
que puisse malheureusement appeler cette question, dans ce contexte et dans
ce droit européen du XIX' siécle.
Alors que faire? EXPOS ERAL DE M. BEDIAOUI

II est clair que ce n'est pàcette solution choquante que les pays concernés
souhaitent aboutir. L'Assemblée généran le'a pas portécette affaire devant la
Cour pour recevoir une telle réponsequi fut longtemps celle des puissances
coloniales. Puisque cette façon de raisonner est inacceptable, il faut chercher
une autre voie et il nous semble que deux autres façons d'aborder le ~>roblèrne
doivent êtreexaminées. La première consisteà récuserle droit colonialiste eà
faire référencau systémejuridique propre qui existaià l'époquedans ces terri-
toires, mais qui s'est trouvésubmergé par l'impérialismjeuridique europken.
La seconde consiste a recourir aux principes dégagéspar le droit international.
Examinons successivement ces deux voies possibles; et d'abord le conflit de
systèmesjuridiques.

B. Le coiiflde systéniejuridiques

L'analyseque font lesjuristes européens du territoire sans maîtreet I'applica-
tion qui en est faite au Sahara ont toujours étérécuséepar les gouvernements
maghrébinset elle l'estsûrement aujourd'hui par la plupart des Etats. Pour tout
juriste attentif et respectueux des sociétés localesl,'introduction du droit euro-
péenen Afrique du Nord et au Sahara ne s'est pas faitesur un terrain vierge.
II existait alors une organisation politiqet administrative de l'espace arabe
selon des règlesparfaitement préciseset connues; la dimension de droit public
de l'islam était avant la colonisation tout aussi développéeque sa dimension
de droit prive et I'on sait que la construction de la citémusulmane (Dar el

Islam) a atteint, au mêmetitre que celle de I'Etat occidental et du monde
«civiliséN,un degréde quasi-perfection.
La colonisation a court-circuitétout cet aspect de la civilisation arabo-isla-
mique; elle a cantonnéle droit inusulman dans le domaine du droit privé eta
substitué son propre droit public ainsi que le droit international élaborépar
l'Europe au système socio-juridique préexistant qui était systématiquement
ignoré ou méconnu. Mais,là ou le colonisateur n'a rien voulu trouver, il y
avait toute une organisation qui permet d'atlirmer avec beaucoutp de force que
le territoire saharien n'était passans maitre.
Il est donc possible sur une telle base de raisonnement de répondre B la
première questionqui vous est posée etde le faire selon une logique irréfutable
et en invoquant des données historiques et sociales irrécusables.
On peut formuler donc la réponse ainsi: « Non le Sahara n'était pas un
territoire sans maître parce qu'il appartenait a Dar el Isl))En utilisant une
telleapproche, non seutement votre haute juridiction accepterait de reconnaitre

qu'elle estla haute Cour de toutes les nations et de tous lessystèmesjuridiques
qui doivent coexister en bonneentente sur cette terre, mais ellerendrait justice
Btoutes les sociétés bafouéep sar la colonisation.
Mais le peut-elle vraiment alors qu'auXIX' sièclecequi prévalaitpour les
Etats européens colonisateurs c'était leurdroit international et non pas celui
de la cité musulmane?
Cette approche, qui conduit facilement pour la premiérequestion a une ré-
ponse historiquement justeet équitable, conduitaussi par lemême cheminement
a une réponseàlasecondequestion, car si I'onseplacedans lalogiquedu système
arabo-musulman pour récuserla qualification de territoire sans maître, il est
dificile en restant dans le mêmesysthme, à cette mêmeépoque, defaire appel
pour ces territoiresau concept d'Etat; il s'agit la d'un concept d'importation
européenneet qui alors n'avait aucunement Nnétrbau Sahara. Dar el Islam est
en effet un espace géographique organisé, non pasnécessairement d'une façon
homogéne;il peut fort bienexister en son sein-et c'étaitlecas -a tel endroit

une cite musulmane dotéed'une organisation administrative et même délimitée490 SAHARA OCCIDENTAL

par des frontiéres,qui peut fairepenàeun Etat detypeeuropéen- je songe au
Maroc; mais il peut tout aussi bien exister, A côté, un territoire organisé
différemment, dépourvu de pouvoir central, un territoire entretenant des
relations extérieures,laisant référenciides autorités religieuses extérieures,
et indiscutablement intégrà ceDar el Tslam.Nous sommes I1Ien présencede
notions juridiques diffkrentes, irréductiblAsceltes des droits européenset
souvent incomprises d'ailleurset mal interprétées.
Mais, comme je l'ai indique plus haut, le problémeposé,au moins pour la

premiérequestion, sinon pour les deux soumises A la Cour, n'est pas un pro-
blèmede confiit entre systèmes juridiques différentsà même époque,c'est-
à-dire deconflitentre tedroit international européenet le droit international isla-
mique. Si l'on se place du côtédes Etats européens colonisateur- et on ne
peut éviterde le faire puisquce sonteux qui ont appliquéle concept de terra
nulliusau XIX' siècle,selon lescanons qui lesrégissai-nton ne peut que tenir
pour un postulat la prévalence, en cesépoques, du droit international des
nations européennes ditesavancéessur tout autre systèmede droit. C'étaitle
XLXcsiécle!
Reste alors une seule autre voie pour répondre de façon satisfaisantaux
deux questions soumises àla Cour: c'est lerecours au droit intertemporel.

C. Le recoursau droit interternporel
En dépit du caractére de la question posee par l'Assembléegénéraleet
interprétéedans le contexte de l'époque, laCour pourrait cependant, dans le
cadre de sa fonction judiciaire, cherchArdonner le meilleur efïet utile autant
A laquestion poséequ'Al'avisqu'ellepourrait rendre. II est certes parfaitement
établi,et de jurisprudence constante, que la Cour ne peut modifier le libellé

d'une question à elle poséedans une requêtepour avis. Il n'entre pas dans les
compétencesnormales de la Cour, et encore moins dans les possiblitésd'un
Eiat partie I'instance,e modifier le contenu d'une question par le biais,
par exemple, d'une demande reconventionnelle.
Mais, par contre, il nous parait impératifet évidentque, pour s'acquitter
correctement de sa mission et accomplir pleinement sa fonction judiciaire, la
Cour doit entendre une question en lui donnant le meilleureffet utileet rendre
son avis consultatif avec le meilleur souci d'aider l'organe des Nations Unies
qui l'apriéede lelui donner. La Cour me parait en conséquence,àmon humble
avis, devoirêtrepleinement fondéeà selivrerQune interprétationde la question
illa lumiPre des préoccupationsprésentesde l'Assembléegénérale.CeHe-ci,au
moment oii elle a saisi la Cour de sa requêtepour avis, s'étaitengagkedans la
mise enceuvredu processus de décolonisation du territoire par le recouàsla
consultation de la population du Sahara occidental.
Ces observations conduisentA la conclusion que les questionsposéesAla
Cour doivent nécessairementêtreconsidéréesnon pas isolément, maisdans
leur contexte, c'est-A-direenfonction des morijs exprimésdans la résolution
3292 (XXIX) par l'AssembléegénéraleL . 'importancedes motifs exprimés dans
l'é.bborationdes actes juridiques internationauxest considéretla étésouli-

gnéepar plusieurs auteurs, comme vous le savez, dans des travaux récents.
II est clair dans l'espticeque si liAssemblt5egéna eu la préoccupationde
recueillir un avis consultatif sur la difficultéjuridique qui a surgi au cours des
débatsau sujet du statut du territoire au moment de la colonisation espagnole
et simême elle a manifestéson désird'obtenir cet avis sur certains aspects
juridiques de ce probléme,la Cour est en présencenon pas d'une affaireportant
sur des titres ancienset sur l'appréciationde leur validité,maissur un prabléme issu de fa mise en cieuvrede la résolution 1514(XV) portant «déclarationsur
l'octroi de I'indépendanceaux pays et aux peuples coloniaux ». La rPsolution
3292 (XXIX) indique explicitenient que «la persistance d'une situation colo-

niale au Sahara occidental compromet la stabilitéet l'harmonie dans la région
du nord-ouest de l'Afrique>>D. ans le dispositif même, lademande d'avis est
formulée «sans préjudice de l'application des principes contenus dans la
résolution 1514(XV)».II faut aussi noter que l'Assemblée ajugé nécessairede
reaffirmer «le droià l'autodétermination des populations duSahara espagnol
conformément à la résolution 1514(XV) >).
II apparaît donc que, si l'on considère toàtla fois les motifs et le dispositif
de la rPsolution 3292(XXIX), que la demande d'avis estintervenue àl'occasion
de I'applicationà un cas concret des règlessur la décolonisationénonceesil ya
quinze ans par l'Assembléegénérale. Maisil faut relever que, suivant leurs
termes mêmes,les questions posées a la Cour n'ont de signification que par
rapport 1iun systèmede droit relatif à l'occupation des territoires, qui s'est

affirme A l'occasion de l'expansion coloniale des pays européens. Ainsi, la
succession desrèglesde droit dans letemps,qui apparaît dans lestermes mêmes
de la résolution3292 (XXZX), est l'expressionjuridique d'une transformation
politique et sociale fondamentale. Dans ces conditions, il ne parait pas conce-
vable que la réponsedonnée par la Cour aux questions qui lui sont posées
négligele problème intertemporel que révèlentles motifs de la demande d'avis.
La polifique de décolonisation de l'organisation des Nations Unies a
conduit à des principes qui tendent a t'établissementdu statut politique sur la
base de l'autodétermination despeuples. La résolution1514(XV).qui cst a cet
égard le document fondamental et à laquelle la résolution 3292 (XXIX)
renvoie h trois reprises, établit les principes de la mutation territoriale. Cette
résolution1514parle d'obligatioii Bla charge de la puissancecoloniale d'opérer
le transfert, du devoir de respecter la volonté etles vŒuxdu peuple du terri-

toire librement exprimés,du droit A I'indépendance complète (résolution1514)
et du droit àl'intégritédu territoire.
Ce texte proprement révolutionnaire par rapport aux principes juridiques
traditionnels du XiXe sièclesur les transferts de territoires ne comporte pas
d'autre limite que « la volonté et les vŒux du peuple H. On doit souligner,
comme on le fera plus tard, le paragraphe 3 de cette résolution 1514(XV) qui
dispose que :

(<le manque de préparation dans les domaines politique, économiqueou
social,ou dans celui de l'enseignement, nedoit jamais êtrepris comme pré-
texte pour retarder l'indépendance».
Par II se manifeste le souci de laisser la volonté populaire produire tous les
effets qu'ellesouhaite, sans en exclure aucun.
Dans le droit contemporain, le droit Al'autodéterminationremplit ainsi une

fonction exactement inversede celle de la théoriede la terra riulliirs.
II faut biense souveniren effetdelafonction historique -je reviens pour un
instant la-dessus- jouéepar leconcept deferranullius.11a méconnuledroit des
peuples, dont il a permis l'asservissement,en les enfermant dans une lourde
parenthèseséculaire. Unethéoriesiobsolètene saurait êtretellequelle invoquée
utilement en 1975,au surplus dans le cadre de la décolonisation des temps
présents,OU chaque peuple cherche «hramasser son ciel et sa terre », selon la
belle formulede l'orientalisteJacques Berque.Lespeuples selibèrentmaintenant
de la parenthèse où les a rendus captifs la théoriede la terra nullius.C'est un
fait. Pour passer de la servitudeB la liberté, il faut passer de la théoriedu
territoire sans maîtreàune autre théorie, produisant des effets inverses de la492 SAHARA OCCIDENTAL

premiére,qui est frappéeirrémédiablementd'obsolescence.Cette autre théorie
a étéforgéepar la communauté internationale: c'est le droit des peuples h

disposer d'eux-mêmesc ,'est I'autodétermination authentique.La théoriede la
terra nulli~tsreprésentaitpour les époquesantérieureset jusqu'au XIXt siècle
exactement ccque ledroitdes peuples adisposerd'eux-mêmer seprésentepour le
droit interna..onal. .ritemnorain et les relations internationales actuelles.
Si la théoriede la terranrtllius a gomméles peuples, l'une des conditions
fondamentales que devrait nécessairement remplirtoute autre théorieinverse
pour assurer le relais de la première et jouer une fonction neuve, conforme aux
donnéeséthico-socialesactuellesd, evrait êtrelalibérationdes peuplessubjugués.
La théoriedela terra iiullius,maintes fois réadapetjamais entièrementpurgée
de ses lourdes ambiguïtés, représentait lanégationla plus évidenteet la plus
formelle des peupleset, dans ces conditions, seule l'autodétermination peut
apparaître comme la règleexactement inverse de la première. La Cour doit
d'autant moins ignorer le droit des peuples a disposer d'eux-mêmesque
l'Assembléegénéralel'a saisie pour avis précisémentdans ce cadre et qu'au

surplus ce droit reléve,comme on le verra plus loin,dujlls cogens.
Une telle approche du problémeme parait amplement justifiéesi l'on se
référeau droit intertemporel. Dans la sentence rendue dans l'affairede l'llde
Pnlmas, Max Huber, quej'ai citétout a l'heure, aprèsavoir apprécié unenorme
juridique dans le contexte de l'époque A laquelle elle s'appliquait, avait trés
justement fait observer qu'une telle norme ne pouvait êtretransposée dans
l'actualitéaue movennant une adaotation oréalableou wlus exactement «un
droit, hcrivait-il, ne peut ëtre maintenu dans un systèmejuridique nouveau 11
moins qu'il ne seconforme aux exigencesde ce dernier ».
C'est dans le mêmecontexte et dans le même espritque la Cour a tranché
dans son avis consultatif rendu dans l'affairede Naniibie:

«Sans oublier la nécessitéprimordiale d'interpréter un instrument
donné conformément aux intentions qu'ont eues les parties lors de sa
conclusion, la Cour doit tenir compte de ce que les notions consacrées
par l'article22 du Pacte- <<les conditions particulièrement difficiles du

monde moderne >>et «le bien-êtreet te développement » des peuples in-
téressés- n'étaientpas statiques mais par définitionévolutiveset qu'il en
allait de mêmepar suite de la notion de «mission sacréede civilisation ».
On doit donc admettre que les parties au Pacte les ont acceptéescomme
telles. C'est pourquoi, quand elle envisage les institutions de 1919, la Cour
doit prendre en considérationles transformations survenues dans le demi-
siéclequi a suivi et son interprétation ne peut manquer de tenir compte
de l'évolutionque le droit a ultérieurementconnue grâce à la Charte des
Nations Unieset a la coutume. De plus, tout instrument international doit
être interprétét appliquédans lecadre de l'ensembledu systèmejuridique
en vigueur au moment où l'interprétationa lieu.Dans ledomaine auquel se
rattache la présenteprocédure,lescinquante derniéresannéesont marqué.
comme il est dit plus haut, une évolution importante. Du fait de cette
évolutionil n'y aguèrede doute que la «mission sacréede civilisation ))
avait pour objectifultimeI'autodétermination etl'indépendancd eespeuples

en cause. Dans ce domaine comme dans les autres, le corpus jurisgentiurn
s'est beaucoup enrichi et, pour pouvoir s'acquitter fidèlementde ses
fonctions, la Cour ne peut l'ignorer.» (Cotiséqueticesjuridiques pour les
Etats de la prhsetrce co~ititiirede I'AfridicSud en Namibie (Sud-Ouest
africaiti) ~iotrobs&atilta résolution276 (1970) du Cariseil de sécurité,avis
consul fa^$C.I.J. Recuei[ 1971, p. 31-32.) EXPOSEORAL DE M. BEDJAOUl
493

Mais dans le cas présent,il s'agit moins d'une adaptation quede la substitu-
tion d'une norme exactement inverse. Cette substitution est plus que légitime;
elle est imperative déslors que le droit des peuples a disposer d'eux-mêmes
relèvedu jirs cogenset se situe par conséquent au-dessusde toute autre norme
juridique d'une part et traduit d'autre part une irréductibilitéde principe au
systèmed'occupation de territoires peuplés, c'est-à-direexprime une incompati-
bilitéradicale avec la théoriede la ferra nullius.
La phase historique que nous vivonsaujourd'hui est représentéepar la remise
en cause douloureusedecet univers séculairementscindéentre quelques parties
prenantes et une multitude de parties prises. La théoriedu territoire sans maitre
qui ignorait si commodémentles peuplesen lesenfermant dans une formidable

parenthèse-prison, cette théoriequi était fondéesur leur négationopportune
pendant qu'ils affirmaient leur existenceentêtée, cette théoriqeui a imaginé
pour ce faire un faisceau de légitimitspparentes mais factices, subit de rudes
coups de boutoir. Les mêmespeuples, naguère captifsdans les mailles du sys-
tèmede la terranullius.se libèrenten disposant d'eux-mêmesU . ne démocratisa-
tion progressivedes relationsinternationales sedessine.Un<<droit international
de fa participation )),selon l'expression de Richard Falk, est en gestation.
Après son puissant flux, c'est le refluxdéfinitifde la théoriede la ferra nullius.
Ainsi donc, c'est dans le coiitexte du droit de la population du Sahara
occidental h s'autodkterminer authentiquement que les questions poséesà la
Cour doivent recevoir l'interprétation la plus correcteet la plus utile pour
1'Assembfég eénéraleT . oute autre démarcheviendrait, Bcoup sûr, a l'encontre

dujus cogenset d'un droit qui représenteaujourd'hui une espécede préalable,
c'est-A-direune régleprimaire ou une norme originaire du droit interriational
contemporain, d'où découle laconstruction de tout l'édificede la communauté
internationale de notre temps, c'est-à-dire d'une socitté désormais ouverte.
Sur la base du droit des peuples a disposer d'eux-mêmes,la communauté
s'esten effet considCrablementélargieet enrichie.John Westlakea notéque la
décolonisationa transformé etélargi«la géographiedu droit international ».
L'autodetermination est devenue une règle primaire qui commande toutes
les autres; elle est devenue, en somme, un point de départ partir duquel s'est
constituéeune communauté des nations plus ouverte et plus universelledont
les règlesde conduite découlentde la règleprimaire de libre disposition et ne
sauraient y contrevenir.
En ce sens, notre temps tranche radicalement sur celui où la théoriede la

terra niilliiis triomphante justifiait l'asservissement des peuples et servaàt
l'inversepar conséquentde rtgle primaire pour créerune communautéfermée
dirigéepar le club européen.Les Etats ne naissaient que par la volonté etaux
conditions imposéespar leconcert européen.Ainsi Bismarck déclaraiten 1878
après le congrésde Berlin que « l'Europe a seule le droit de sanctionner l'in-
dépendance;elle doit donc se demander sous quelles conditions elle prendra
cette importante décision». En somme, l'acte de naissance de tout Etat était
ainsi délivrépar l'Europe exclusivement.
Pendant toute l'époqueou le club européen menales affaires du monde, les
dépendances colonialesn'étaient nullement protégép easr le droit international.
J'entends par droit international, Monsieur le Président,vous l'avez senti h
travers tous mes développements,le complexe de normes coutumières euro-

péennesqui, pendant quatre siécles,a dominéle monde et a éclipséd'autres
systèmes. Aux Indes. le droit international, ou Deslta rlliarnraen langue sans-
crite, remontait A quatre mille ans avant Jésus-Christ, à l'époquedes Veda.
Droit impérialet inégalitaire,correspondantà un type donnéd'organisation du
monde, le droit international classique européen n'avait par ailleurs d'inter-494 SAHARA OCCIDENTAL

national quelenom. Elaboré progressivemendtepuisquatresiecles paret pour
l'Europe, applicableseulementaux pays européensà l'exclusiondes colonies,
protectoratset pays ditsnon civilisés,c'étaitun ddeila famille européenne,
inspirépardes valeurseuropéennes, expressiod'uneépoque,d'unehégémonie
et d'uncomplexe d'intérêé tsconomiqueset autres.

L'audienceest levéà 12h 55 VINGTIÈME AUDIENCE PUBLIQUE (16 VI175, IOh)

Présents:[Voir audience du 25 VI 75.1

M. BEDJAOUI: Monsieur le Président, Messieursles membres de la Cour,
lorsque nous nous sommes séparéshier, j'en étaisencore au problèmc dit du
droit intertemporel. Je voudrais poursuivre mon exposé sur ce point avec
votre permission. Mais avant, et pour justifier la Iégitimitkdu recours riI'auto-

déterminationen l'espèce, jesouhaiterais revenir un intant sur les «traitésde
cession » passésentre différentsEtats colonisateurs et les peuples autochtones
au XIXc siécle.
Comme on Iesait, la pratique des Etats au XIXe siécleavait favorise la
conclusion de ces «traites » par lesquelsles puissances coloniales feignaientde
croire ou de faire croire, sans abuser personne,qu'ellesavaient obtenu I'acquies-
cernent des peuples à se placer, j'allais dire en condition d'esclavage! On sait
aussi, je l'avais signalé,que c'est par cette technique que les puissances colo-
niates ont discipliné leurs rivalités enopposant les uns aux autres leurs titres,
c'est-A-direces fameux accords qui servaient de moyens de preuve de I'acquisi-
tion de territoires dits sans maître.
Sans ignorer cette motivation profonde qui a inspiré la conclusionde ces
accords pour trancher entre prétentions européennes concurrentes, ilconvien-
drait aujourd'hui de ne retenir qu'un faià,savoir que l'on a tentéd'obtenir le
consentement des peuples des territoires concernés.Bien sGr, comme j'ai eu
l'honneur de Ie dire, la démarche était,auXIX' siècle, inspirée par des motifs
tout autres; bien sûr le consentement étaitun simulacre. Mais le formalisme
hypocrite du droit de l'époque enregistrait l'opération comun acquiescement
de la population. On ne saurait donc moins faire aujourd'hui qu'au XIXc.

siécle!Pour ne pas rester en deçh de la pratiquedu XIXc siécle,il faudraiii
tout le moins consulter aujourd'hui la population. Donner la parolea celle-ci
parait un impératifd'autant plus pressant aujourd'hui que le droit des peuples
Bdisposer d'eux-mêmee sst devenu la nouvelle religiondes relations internatio-
nales contemporaines. Ni la Cour, ni l'Assembléegénéraledes Nations Unies
ne peuvent moins faire que recommander la consultation de la population, et
celaplus loyalementque ne I'avajentfait lespuissancescolonialesdu XIX* siècle.
C'est de cette manièreque s'éclaire,dans la présente espéce, probltme de
i'intertemporalité du droit. Le professeur Max Ssrensen, dans son rapport
provisoire A l'Institut de droit international, préciseque le problémeintertem-
porel consisteà déterminer,entre plusieurs règlesde droit qui se sont succédé
dans le temps, cellequi doit être appliquéa un cas donné(Leproblèmedit du
droit i~rterternporedlans l'ordre international,rapport provisoire prksentéen
1972et rapport définitif présenté en974 l'Institut dedroit international),
J'avais eul'honneur de dire hier que lescontestations territoriales ont pu, dans
le passé, donner matière à des problémes intertemporels bien connus. Et
j'avais citéle cas de l'une des plus célébresd'entre elles, considéréepar Max
Nuber dans l'affairede I'llede Palmas.Max Huber a distinguéentre la création

d'un titre territorial, qui doit étrc apprAcla lumièredu droit de l'époque,
et son existence, ou sa manifestation continue, qui doit suivre les conditions
requises par I'évolutiondu droit. Le titre, autrement dit, selon Max Huber,
doit être«mis à jour » au fur et?imesure que le droit se transforme (Revue496 SAHARA OCCIDENTAL

générale de droi internaiional public, 1935,p. 272; Nations Unies, Recueil des
sentencesarbirrales, Ir, p. 845).
Bien que ce précédentn'ait pas toujours étésuivi ultérieurement enjurispru-
denceet ait étédiscutépar certains auteurs (Tavernier, Recherchessur l'applica-
tion dans le temps des règleser des actes de droit international plrblic, p. 276),
son autorité reste considérable (voir Sorensen, op. cit.exposé préliminaire,
par. 8et 9). Et la référence faidans son exposé préliminairepar le professeur
Ssrensen a étéacceptke par tous ses confrèresde I'lnstitut, si bien qu'il a repris
sa position dans te paragraphe 44 de son rapport provisoire.
Si l'on entend s'en inspirerdans la présente affaire,il faut souligner que dès
lors que l'Assembl&egénéralea acceptéle systémede la résolution 1514(XV),
le titre de l'Espagne, de la sorte, a cesséd'etre valable internationalement, ou

tout au moins a étéfrappéde précarité,et seul un titre conforme au nouveau
systémede droit, c'est-A-direrésultant du principe d'autodétermination, sera
internationalement valable. Suivant les termes mêmesde la sentence dans
l'affaire de l'lie de Palmas:
« En ce qui concerne la question de savoir lequel des diffkrentssystèmes
juridiques en vigueur a des époquessuccessivesdoitêtreappliquédans un
cas déterminé- question du droit dit intertempore...- il faut distinguer
entre la créationdu droit en question et le maintien&-ce droit. Le même
principe qui soumet un actecréateurde droits au droit en vigueur au mo-
ment ou nait le droit exige que l'existencede ce droit. en d'autres termes

sa manifestation continue, suive les conditions requises par l'évolution
du droit. »
Il importe de bien souligner qu'il s'agit d'appliquer un nouveau systémdee
droit. Comme l'écritle professeur Ssrensen :

<(L'exigencedu progrès peut s'opposer1i la survie du droit ancien et
favoriser l'effetimmédiatde nouvelles règles,aussi par rapport aux phé-
nomènesantérieurs.
Cette exigence peut revétirun caractère particulièrement contraignant
dans la mesure où les règlesnouvelless'inspirent d'idéeset de conceptions
morales ou politiques qui récusentle passé.» (Op. cil.,rapport définitif,
par.4.)

En conclusion, la Cour ne peut méconnaître,en répondant aux questions
dont elle est saisie pal'Assembléegénérale,que celle-ci a affirmésa volonté
d'appliquer la rksolution 1514(XV), c'est-à-dire un systémede décolonisation
fondésur l'autodétermination de la population du Sahara dit espagnol. En
présence d'un nouveausystèrnzde droit pour fonder la souverainététerritoriale,
les principes knoncéspar Max Huber dans l'affaireprécitéede I'lle de Palmas
doivent conduire A une interprétation ou à une application intégrale de ce
nouveau systtme.
Nous en arrivons, Monsieur le Président, A ce nouveau systémeet à cette
fonction neuvede l'autodétermination despeuplesdans lemonde contemporain.

IV. Lafonctionneuve deI'autodétemiind aespeunples
dansle monde contemporain

Lemondea évolué et lasociétinternationaleaconnude profondes mutations

qui ont permis progressivement la libérationdes peuples. Celle-ci s'est réalisée
sur la base du principe fondamental du droit des peuples AI'autodétermination. Ce droit avait été, selonl'expression du Vice-PrésidentAmmoun, «écrit
douloureusement, avec lesang des peuples, dans la conscience enfinréveillédee

l'humanité )(Conséquencesjuridiquespour les Durs de laprésence continuede
I*Afriquedli Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résoli~tion276
(1970) dri Cotiseil de sécurité,avis cortsultatr~ C.I.J. Recueil 1971, opinion
individuelle de M. Ammoun, p. 74). Figurant solennellement dans diverses
chartes et documents internationaux, il s'imposeaujourd'hui impérativement 1i
tous les Etats, sans que ceux-ci puissent y dérogerde quelque manitre.
Le principede l'autodéterminationremplit unefonction interne tout d'abord.
ence sensqu'il permet d'excluretoute forme d'ingérencedans les affaires inte-
rieures des nations. II en possède uneautre sous les aspects de laquelle il repre-
sente le moyen d'atteindre l'égalitentre Etats avec la reconnaissance de droits
égaux 1itous les peuples età toutes les nations. Enfin, une troisièmefonction
permet au principe de l'autodéterminationde réaliser!a libérationdes peuples
encore subjugués.
C'est Bcette derniére fonction, etseulement iicelle-ci,dont certains aspects
sont neufs, quenousallons nousattacher ici,en montrant, iciet Ih, l'opposition

entre la théorie anciennede la terra riiilfiusqui efface le peuple et le principe
nouveau de I'autodéterminationqui le rkhabilite.
Mais avant de procéder a cette comparaison, interrogeons-nous rapidement
sur la valeur juridique du principe, encore qu'il soit possible de considérerque
son acceptation formelle par l'Espagne pour son application au Sahara occi-
dental puisse nous dispenser de cette recherche. Quelle est cknc la valeur du
droit iiI'autodétermination?Elle ne saurait êtrequ'impérative.

Et d'abord la valeur des articles pertinents de la Charte relatifsI'autodk-
termination.
A. Valeurdes articles perrirrentsde la Charte

C'est incontestablement un principe majeur du droit international contem-
porain:

« Si la reconnaissance de ce droit. écM.t Ammoun,en tant que norme
juridique n'est pas encore admise dans la pratique de certains Etats,
rares il est vrai, pas plus que dans lesécritsde certains juristes encore plus
rares. l'attitude des premiers s'explique par le souci de leurs intérêts
traditionnels. et celle des seconds par une sorte de respect extrêmepour
des postulats implantésde longue date dans le droit international classi-
que. » (C.I.J. Recueil 1971p. 75.)

La Charte des Nations Unies qui contient en ses articles 1 et 55 ce droitil
l'autodéterminationest le texte majeur de notre temps, conçu pour libérerles
peuples de toutes les formes de domination et pour instaurer la paix entre eux.
«Tel étaitbien [comme vous l'avezécrit, Monsieurle Président, vous-même]
le sens des dkclarations solennellement inscritesdans la Charte des Nations

Unies. La paix dont l'aurore se levait sur l'humanitéen 1945 était l'Œuvre
d'hommes » qui ((croyaient ...que l'égalitkde droits et le droit des peupleA
disposer d'eux-mêmes devaientcesserd'êtredesmots videsde sens »(M. Lachs.
«Quelques réflexionssur le probltme du droit des peuples à disposer d'eux-
mémes»,Le droit au service de la paix, revue de l'Association internationale
desjuristes dkmocrates,4' année,no2,décembre1957,p. 64).498 SAHARA OCCIDENTAL

On a cependant longtemps tenu ce droit prévupar les articles 1et 55 de la

Charte pour un principe moral sans portée juridique, motif pris de ce qu'il
serait imprécis. C'est18 une opinion assez singuliéredans la mesure où on
n'aperçoit pas quel critère peut pousser les juristes a dénier toute valeur a
certains articles eteri reconnaitre une autreà d'autres moinsprécisencore et
inscrits dans la même charte.Les Etats ont adhkrélibrement a ce traitémulti-
latéralque constitue la Charte et qui représenteleur loi commune. Celle-ci a
établiun lien précisentre droits et obligations qu'ellea couplésde tellemaniére
qu'il n'est pas possibl?iun Etat de les dissocier pour rejeter selon ses intérêts
du moment l'une des composantes du couple qui ne le satisfait pas.
Au surplus l'absence de précision alléguée est tombéedepuis quinze ans
puisque l'Assembléegénérale,par ses résolutions 1514(XV) et 1541(XV), a
livré,à traits précis,le profil de ce droit des peuples 8 disposer d'eux-mêmes.
On pouvait donc penser le problèmedu coup résolu. Maisc'étaitcompter sans

d'autres objections soulevéesau fil des années,depuis 1960,sur un autre ter-
rain, depuis l'adoption des résolutions1514(XV) et 1541(XV). Le probléme
de la portéejuridiquedu droit des peuples à disposer d'eux-mêmes é atédépla-
cépar sesdétracteursdu domaine de la Charte dceluide la valeurjuridique des
résolutionsprises par l'Assembléegénérale.

B. Z'alerruridique de larjéclarotiode 1960

Avant d'examiner rapidement ce problème, f?isons, entre parenthéses,une
petite comparaison entre l'acte généradl e Berlinde 1885et ce que j'appellerais
volontiers « l'acte de New York » qui est cette célèbredéclaration 1514(XV)
sur l'octroide L'indépendance aux peuples coloniaux. Les deux actes situent le
flux et le reflux du phénomènecolonial. L'acte généralde Berlin ne s'appli-

quait pas d'une maniére générale il;concernait seulement lescotes africaineset
seulement les occupations i venir. La doctrine Monroe avait par avance
compromis toute possibilitéde faire de l'occupation des terrae rririlirtsune
coutume internationalement valide. ((L'acte de New York», quant a lui.
relatifà l'inverse à la libération des peuples coloniaux, est d'une portée
exactement opposée etautrement plus considérable,plus génhraleet plus impé-
rative.
II a étéobjectéque la dtclaration 1514(XV) de 1960ne représentequ'une
recommandation, sans force obligatoire, aux Etats Membres des Nations
Unies,conformémeni . l'articleIode la Charte, le principe d'autodétermination
porté parlesarticles 1et 55 ne constituant qu'un principe moral sans mise en
Œuvre impérativeet contraignante.
Une telle objection de certains juristes. depuis un grand nombre d'annkes,

qui méconnaît étonnamment les transformations et les impératifs de notre
temps, autant que le processus élémentairede formation de la norme de droit
coutumière,aurait pour effet paradoxal de reconnaitre et d'attribuer des effets
créateurs de droit une simple attitude négatived'un Etat qui viendrait A
refuser l'applicationd'une regle exprimant le consensus généradl 'une commu-
nautéinternationale en devenir permanent.
Le principe de l'autodétermination, idée-forcepolitique et juridique pro-
gressivement mûrie dans les replis de la conscience universelle, est confirmé
chaquejour. signedu consensus permanent de la société internationale, par une
série impressionnante de déclarations gouvernementales multilatérales et
bilatérales.
Le caractèresimplement déclaratifde la rksolution 15 14 (XV), prisea I'una-
nimitépar 1'AssemblBe généralea,joute sa force impérative,car elle se borne EXPOSE ORAL DE M. BEDJAOUl 499

à consacrer juridiquement un Stat de fait progressivement obtenu par une
pratique prolongée, une prise de conscience affirmée et unconsensus non
équivoquede la communauté internationale. Cette déclaration confère toute
sa portéeLiun principe déjhproclamédans un traitt institutionnel comme la
Charte des Nations Unies. A ce titre elle constitue une étape dansle processus
de transformation des normes obligatoires dés lors qu'elle consacre, par un
accord de volontéconcordante des Etats Membres, une rhgle coutumière en
voie de formation.
En tout état decause les stérileset dérisoiresdiscussions autour de la valeur
juridique et du caractéreimpératifde la déclarationde 1960et d'autres résolu-
tions de l'Assemblée généras lur le droit d'autodétermination doivent cesser.

Sachant parfaitement que l'organisation des Nations Unies n'est ni un organe
universel légiférantni un super-Etat, on ne peut toutefois ignorer que dans le
processus de formation des nouvelles règlesdu droit international l'intégration
d'un principe enétatde formation, dans une résolutionadoptéea l'unanimité
et sans objection juridiquement valable,constitue la phase desédimentationde
la règlepar sa consécrationdéfinitive.
On pourrait aller plus loin. C'euxqui ne voient dans le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmesqu'un principe moral sans portéejuridique opposent a
leur avantage ledroit positif qui seul devrait s'appliquer etledroit naturel laiszé
aux doux rêveurs impénitents. Maid sans ces batailles feutréesentre le droit
positif et le droit naturel. qui ne voit que si Créon ajusqu'ici triomphe d'Anti-
gone, c'est parce que le droit positif avait partie liCeavec l'impérialisme etle
colonialisme ou plus exactement traduisait ces phénomènesalors dominants?
Aujourd'hui le déclin deces phénomènes.jugés intrinsèquement illégaux par

l'Assembléegénérale, exprime une nouvelle réalité ce,lle du triomphe d'Anti-
gone sur Créonet celle de la naissance d'une nouveau droit positif. René-Jean
Dupuy, dans une communication au colloque de Toulouse de la Société
française de droit international(!Droit déclaratoireet droit programmatoire:
de la coutume à la sofi blaw», L'tilobomrioclrrlroii/iteniaiiorialp~rblic,Paris,
Pedone, 1975, p. 132-148)devait souligner parfaitement cela.
On devrait aller plus loin encore. On pourrait dire que le droatI'autodéter-
mination est devenu leprincipe<< essentiel»de la sociétéinternationale. Celle-ci
a subi des mutations gigantesques en quelques décennies.Le club fermé des
Etats s'est progressivement élargi au pointque la sociétéinternationale s'est
ouverte et s'est modifiéequalitativement. Or cet élargissementn'a pu se réaliser
que parce que ledroit àI'autodétermination apermis l'émergencede nouveaux

Etats sur la scéneinternationale. Autrement dit. le droit des peuplesa disposer
d'eux-mêmesétait l'instrument, la clé et l'outild'une sociétéouverte et Œcu-
ménique, d'une sociétkuniverselle. Il avait constituéun préalableLil'existence
de cette nouvelle communauté internationale. II en était devenu la coiidiiiotr
première, car c'est lui qui a permisà la sociétéinternationale d'être cequ'elle
est. Dèslors, ce principe ne peut êtrequ'essentiel, c'est-à-direqu'il commande
l'essence même de la société nouvelle. Pasd'autodétermination, pas de société
actuelle. On voit où risquerait de mener pour les détracteurs du droit a l'auto-
détermination la négationde sa valeur juridique: ce serait la négationde la
sociétéinternationale présente,tout simplement.
Le droit A l'autodétermination estdonc dans la hiérarchie desnormes un
principejuridique essentielet pritnaired'où découlentles autres principes qui
régissent lacommunauté internationale. Ignorer cette réalité serait voir l'arbre
sans apercevoir la forêt,

Ce droit relèvedonc du jirscogms. Cela est si vrai qu'il n'est pas laisséA
I'Etat seul la faculte de le mettre en Œuvre et que l'organisation internationale500 SAHARA OCCIDENTAL

exerce un contrôle de plus en pluserrésur l'application que doit lui donner

impérativement la Puissance administrante. C'est ce que nous allons aborder
avec l'examendes critères de contrôle.

2. LE CONTRÔLE DE L'ORGANISAT IITERNATIONALE

Le monde a tiréla leçon du passé.Jadis, la théoriede la terra nuIliusn'offrait

pas de critère de contrble par un organe extérieur à 1'Etat occupant pour
déterminer si le territoire, compte tenu de sa situation politique interne et
compte tenu de sa situation sociale, étaitbien un territoire sans maitre, suscep-
tibled'uneoccupation. L'Etat colonisateurjouissait d'unecompétencequin'était
limitke que par celle d'un autre Etat colonisateur rival.
Le caractéreinverse des fonctions respectives remplies par la théorilae
terranulliuet par le droitiiI'autodéterminationapparaît aussi au niveau du
problémedu contrôle. A l'inverse des temps passés,1'Etatcolonial n'est plus
libre de choisiA sa convenance le moment pour accorder I'indépendance et
d'en reculer A son grél'échéance.Le phénomène colonial jadis autorisé est
aujourd'hui déclaréillégalde telle sorte que, si jadis I'Etat colonial etait seul

juge de la prétenduevacance du pouvoir étatique dans un territoire pour en
justifier I'occupation, il n'est plus aujourd'hui laissémaitre pour juger du mo-
ment auquel il doit accorder I'indépendance.
La résolution 1514(XV) proclame le droit «immédiat » des peuples cdo-
niauxilI'indépendance, la prétendue insuffisteaturitépolitique ne pouvant
en aucun cas légitimer, dit la résolution, «le retard apporté l'octroi de
l'indépendance».
Par toute une sériede mécanismes qu'iln'ya pas lieu d'évoquerici. I'Organi-
sation internationale possède un droit de contrôle sur le déclenchement et
I'aboutissement du processus de I'autodétermination.L'Etat colonial ne pos-
sède pas, comme au XIXt siècle, une compétence exclusivesur le territoire
occupé. L'interprétation que l'Assemblée généralae trés tôt dégagéepour
conclure il'inapplicabilitéaux colonies du fameux article 2, paragraphe 7, de la

Charte. relatifa la compétencedomestique, fut unedes manifestations premiéres
de ce droit de contrôle de la communautéinternationale.
II faut reconnaître toutefois que les mécanismesde la mise en oeuvreet du
contrôle de l'application du principe de l'autodétermination tels que prévus
dans la déclaration 151(XV) demeuraient assez sommaires. Ces mécanismes
offraient malheureusement aux gouvernements réfractairesnombre de possi-
biIit&sde se déroberaux obtigations internationales qui pèsentsur eux.
II ne faut pas que la Puissance administrante, au Sahara occidental comme
ailleurs, organise un référenduminauthentique, sans quoi I'autodétermination
ne serait en fait qu'un simulacre et ne serait pas endroit ce principe exactement
inverse de la théoriede ferratiullius.
Mais la résolutio2625 (XXV) du 4 novembre 1970portant déclarationrela-

tive aux sept principes de droit international touchant aux relations amicales
et hla coopérationentre Etats apporte sur ce point une nouvelle pierre de taille
1l'édifice.Son quatrième principe dit «de l'égades peuples et de leur droit
Adisposer d'eux-mêmes » impose. aux Etats pris individuellement autant que
collectivement, le devoir de contribuer Bla décolonisation devenue une affaire
de tous et non pas seulement celle de la Puissance administrante. Pour la
communautéinternationale c'estlà un réseaude contrôles divers tisséautour de
I'Etat colonisateur en même tempsqu'une trame de solidariténouéeautour du
peuple opprimé.«Tout Etat H,déclarele quatrième principe, EXPOSÉ ORAL DE M. BEDJAOUI 50 1

« a ledevoir de favoriser,conjointement avec d'autres Etats ou séparément,
la réalisationdu principe de l'égalité eroits des peuples et de leur droit
h disposer d'eux-memes, conformément aux dispositions de la Charte,
et d'aider l'Organisation desNations Uniesa s'acquitterdesresponsabilités
que lui a conférées laCharte en cequiconcerne l'application de ce principe
afin de ...6) Mettre rapidement fin au colonialisme en tenant dQment
compte de la volontélibrement expriméedes peuples intéressés .)

Et lorsque l'affairede la Namibie s'esiinouveau poséerlla Cour A la suite
du refus persistant de l'Afrique du Sud de se conformer aux décisionsdu

Conseil de sécuritél,a Cour a très nettementmisA la charge des Etats Membres,
et mêmedes Etats non membres de l'ONU, des obligations très préciseset a
rappeléles pouvoirs et les responsabilitésdu Conseil de sécurité faceAcette
situation.
Une forme extr8me de contrôle sur la Puissance administrante est représen-
tée par le droit d'intervention des Etats. La communauté internationale a
reconnu en effet la lbgitimitédes guerres de libération nationale avec les
importantes conséquences politiques et juridiquesqu'une telle reconnaissance
implique. Depuis 1965 - voir la résolution2105(XX) - l'Assemblée générale
des Nations Unies, exprimant la conscience des peuples, s'est prononcée
réguliérementpour <la IégitimitSde la lutte que les peuples sous domination
coloniale ménent pour t'exercice de leurs droits B l'autodétermination et B
l'indépendance» et a réitéré deasppels pressants pour une « aide matérielle et
morale » aux mouvements de lit~érationnationale.
Cette légitimita étégrosse de conséquences.On note dans le droit interna-
tional contemporain l'existence d'un théorèmedont la proposition directe
autant que la réciproquesont vraies: il s'agit de l'intervention.
La ticéitde l'intervention en faveurdes peuples en lutte est une conséquence
directe de la reconnaissance de la légadu combat pour lalibération nationale.
Le fait de porter aide et assistance a ces peuples non seulement ne constitue
pas une intervention prohibée par le droit international, mais représenteun
devoir international. Les principes de non-intervention et d'interdiction du

recours à la force ont reçu une formulation nouvelle qui tient compte de cette
situation (voir résolutionsA/2131 (XX) et A12160 (XXI)).
A l'inverse, toute forme d'appui apporté à la puissance coloniale est con-
traire au droit international et constiune forme d'intervention illicite. Dans
son avis consultatif du 21juin 1971relatif a l'affairede la Namibie, la Cour est
parvenue Srla conclusion que

« les Etats Membres des Nations Unies ont l'obligation de reconnaître
l'illégalide la présencede l'Afrique du Sud en Namibie et le défautde
validitédes mesures prises par elleau nom de la Namibie ou en ce qui la
concerne, et de s'abstenir de tous actes, et en particulier de toutes relations
avec le Gouvernement sud-africain,qui impliqueraient la reconnaissance
de la légalitde cette présence etde cette administration, ou qui constitue-
raient une aide ou une assistanceàcet égard;

iincombe aux Etats qui ne sont pas membres des Nations Unies de prêter
leur assistance ... il'action entreprise par les Nations Unies en ce qui

concerne la Namibie ».
On pourrait prolonger la comparaison entre les deux théories de la terra

nulliuset de l'autodétermination,I'uneservant d'épouvantailh l'autre, l'une se 502 SAHARA OCCIDENTAL

plaçant dans une perspective Iiistorique auxantipodes de l'autre. C'est ainsique
le droit des peuples A l'exercicede la souveraineté, qui était ignorédans le
concept de terrati~îllia, étéprivilégipar essence dans le droit à l'autodéter-
mination.

3. LE DROIT DES PEUPLESÀ L'EXERCICE DE LEUR SOUVERAINETE

On se souvient des questions embarrassantes poséesau congrès de Berlin
de 1885 par le ministre plénipotentiaire américain qui avait souhaité voir
proclamer le droit des peuples autochtones à leur souverainété. Onsait aussi
que lesjuristes du XIXc siècle,mis en présencedes accords dits de «cession »

passésavec des tribus locales, s'étaient enfermésans le dilemme qui consistait
à nier la souverainetédesautochtones pour justifier l'occupation, dans le même
temps où ils souhaitaient la reconnaitre pour valider ces accords de cession.
Une partie de la doctrine du XIXCsiècle,fermant les yeux sur l'amalgame
surprenant de la <cession » et de I'«occupation », procédésqui devraient
s'exclurel'un l'autre dans une applicationa un mêmeterritoire, a reconnu un
instant la souveraineté des autochtones, juste le temps nécessairepour per-
mettre l'a~rlo-aliiiraiioii,et non I'aiitodéterminatiori.Cette souveraineté fut
reconnue pour la fraction detemps nécessaire a la production de ses effets au
bénéfice de I'Etat occupant.
Aujourd'hui, au contraire, iest acquis que la souverainetédans la colonie
n'appartient en aucun cas à la métropole, mais bien au peuple dépendant.
Lorsque ce peuple accède à l'indépendance - s'ilveut accéderà I'indépendance
- il exerce sur son territoire sa propre souveraineté et non pas celle de 1'Etat

administrant qui la lui aurait transmise. La souveraineté, produit historique des
rapports d'interdépendance au sein d'un groupe humain, est une catégorie
primaire et originaire non susceptible d'êtretransféréed'un Etat a un autre.
Elleconfèreau peuple subjuguéen voie de former un Etat la possibilitéque le
droit international contemporain lui reconnaît aujourd'hui d'acquérirun statut
de sujet du droit international.
En conformitéavec la déclaration1514(XV), tout peuple, même s'in l'est pas
politiquement independant B un certain stade de son histoire, possède les
attributs de la souveraineté nationale inhérenaesonexistence depeuple, qualité
et attributs qui ne peuvent disparaître qu'avec ladestruction mêmede ce peuple.
L'autorité souverainede 1'Etatne peut ëtre que la résultantede l'énergie poli-
tique diffuse dansl'ensembledu corps social.
Le droit international contemporain exprime chaque jour cette réalitéque
lespeuples en lutte sont titulaires de droit et obligationssur leplan international.

L'horizon du droit international s'élargit ainsiaux aspirations des peuples. Le
droit international ne connaît pas seulement que les Etats.
C'est bienla Charte des Nations Unies qui, sur ce problème, marque nette-
ment le passage au droit transitionnel. C'estla Charte qui parle des~PII~IPS.
C'est elte qui évoqueles droits de l'homme. Lestravaux qu'elle a suscitéssur
ces problèmes marquent un progrès considérable.L'idée s'est développé que
le droit international. comme tout droit, doit renvoyer en dernière instancei
l'individu et aux groupes sociaux, mêmesi c'est par le truchement d'une
institution.
Mais c'est là que, précisément, laCharte bute sur une difficulté et qu'une
ambiguïté demeure.
La Charte de San Francisco parle des peuples et affiche leur différentsdroits.
mais elle fonde elle-mêmeune société d'Etars et si les peuples sont reconnus par
elle c'est précisémend t ans leur devenir d'Etats. II est vrai que les peuples EXPOS ORAL DE M. BEDJAOUl 503

d'aujourd'hui, lorsqu'ils se trouvent libérésdes tutelles, n'ont pas d'autre choix
que de renoncer définitivement leursformes d'organisation spécifiquespour
se couler dans ie moule universel et uniforme de 1'Etatcontemporain, appareil
inévitabled'une sociétéinternationale homogéne.

4. LA RECONNAISSANCE DU DROIT 1L'AUTOD~TERMINATION POUR LA POPULATION
DU SAHARA

La reconnaissancedel'autodéterminationàlapopulation du Sahara occidental
a étéfaite sous diverses formes et dans différentscadres, et d'abord dans celui
des Nations Unies.
a) Dans l'opinionconstantede l'organisation internationale, seul lerecours A
l'autodétermination permettrade dégagerune solution satisfaisante, conforme
au vŒuprofond de la population du Sahara. Je ne vous rappellerai pas, Mon-
sieur le Président, Messieursles membres de la Cour, la masse des résolutions
que l'Assembléegénérale a prises pour recommander une consultation de Ia

population en vuedu règlementde cette affaire. Au surplus, j'ai eu l'honneur de
les kvoquer une prerniére fois devant vouslorsque, dans le débat qui s'est ins-
tauré autour de la désignationéventuellede juges ad hoc, j'avais préciskla
qualité que ces mêmesrésolutionsreconnaissaient A l'Algérie.Respectueux du
temps de la Cour, je voudraisdonc la prier de se réféAela masse des résolu-
tions pertinentes adoptéespar l'Assembléegénkraleet communiquées tila Cour
par Ie Secretaire généraldes Nations Unies, avec son commentaire approprie
auquel je me permets de la renvoyer également(1,p. 11-60). Votre hautejuridic-
tion constatera alors àl'évidenceque la religiondesNations Unies avait Ctéfaite
depuis une décenniesur cette affaire et que la doctrine de l'organisation étaitet
demeure le recours à l'autodétermination dans le cadre du processus normal
élaborepar I'Orgaiiisationdes Nations Unies.

b) D'un autre côté,la reconnaissance de ce droit par l'Espagne s'étaitfait
longtemps attendre. L'acceptation tardive de fournir des renseignements A
1'Assemblée générales'est effectuéedans des formes moins concrètesque ne le
prkvoit la Charte. Mais depuis quelques années,et soulapression des kvéne-
ments dans le territoire d'abord, dans la régionensuite et enfin aux Nations
Unies, l'Espagne a reconnu, par sesreprésentantsofficielsaux Nations Unies
et parses dirigeants de Madrid, le droit de la population du Sahara occidental
Al'autodétermination. Mais toute la communauté internationale attend l'Es-
pagne dans les efforts réelsqu'elle devra deployer pour contribuer, sous la
responsabilitédes Nations Unies et avec le concours des Etats concernésde la
région,à la totale sincéritéde l'acte de libre option de cette population saha-
rienne.

c) Les institutions régionalou conférence internationalene furent pas en
reste par rapport aux Nations Unies en la présente affaire.L'Organisation de
l'unité africaine,trés directement motivéepour des raisans évidentespar Ia
décolonisationdu territoire, a préconisésans hésitationni défaillance,désle
début etjusqu'hce jour, la consultation de la population du Sahara occidental.
Dans lesouci de ménager letemps de la Cour, je ne rappellerai pas latotalité des
résolutionsde l'organe du continent africain. Certaines d'entre elles rappellent
expressément lesrésolutions pertinentes des Nations Unies. Chacune de ces
résolutionsde l'OUA se réfèreen particulier?ila dernière rksolution en date
priseà la sessiondes Nations Unies qui précéla rbunion de I'organede I'OUA
(voir par exemple la résolution du Conseil des ministres de I'OUA tenu A
Addis-Abeba du 27 aoat au 6 septembre 1969,résolution CM1206 (XIII) qui504 SAHARA OCCIDENTAL

vise la résolution2428(XXIII)de l'Assembléegénbraledes Nations Unies; la
résolution CM1209(XV) du Conseil des ministres de I'OUA tenu à Addis-
Abeba du 27 févrierau 6 mars 1970, et la résolution CM1234(XV) d'août

1970)D .'autres résolutionsde I'OUA désignene txpressémentI'autodétermina-
tion comme seule solution possible.
Evoquons seulement les résolutions de I'OUA des trois dernières années.
Et d'abord la résolutionCM1272(XIX) de juin 1972,adoptéeà l'occasion du
sommet de I'OUA à Rabat mEme.Le paragraphe 3de son dispositif se lit ainsi:
«Le Conseif des ministres demande aux Etats membres directement

intéressésd'intensifier leurs efforts auprès du Gouvernement espagnol
pour l'amenerà mettre en euvre la résolution2711de l'Assembléegénérale
des Nations Unies et notamment ses dispositions relativesi I'organisation
le plus tôt possible d'il11référetzdin vue de permettre aux populations
du Sahara sous domination espagnole d'exercer librement leur droit à
I'autodéternzinatioriconformément au principe de ta Charte des Nations
Uniessouslesauspiceset aveclagarantie de l'organisation internationale>)

L'année suivante,le Conseil des ministres de l'OUA. réuni A Addis-Abeba,
du 17au 24 mai 1973, a adopté une résolution CM1301 (XXI), dont le cin-
quiéme paragraphedu dispositif:
«demande aux Iztats liinitrophes directement intéressésde poursuivre
leurs consultations, de conjuguer et d'intensifierleur efforts par la mise en

Œuvre de la résolution 2983 (XXVII) et notamment ses dispositions
relativesa l'orgaiiisarihtis les plus brefs délad'une référendum en vue
de permettre aux populations autochtones d'expritner librement leur
volonté,conformément aux principes de la Charte des Nations Unies,
sous la responsabilitéet avec les garanties de l'organisation internatio-
nale. ))

Enfin,l'annéedernière,leConseildesministresde I'OUA,réunia Mogadiscio
du 6 au Il juin 1974,adoptait une nouvelle résolutiondont le paragraphe 5 du
dispositif reprend mot pour mot le paragraphe correspondant de la résoIu-
tion 301 (XXI) de 1973que je viens de citer.
L'échode ces résoliitionsafricaines s'estélargidans le cadre des conférences
des pays non-alignes.

d) La conférenceau sommet des pays non-alignéstenue àLusaka du 8 au 10
septembre 1970 a, de son côté,adoptéune résolutiondont un passage relatif
aux territoires encore sous domination française et espagnole se lit ainsi:
«Lance un appel pressorrià la France et à l'Espagne pour qu'elles per-
mettent dans les plus brefs délaisaux peuples de leurs colonies d'exercer
librement et sous lecontrôle de l'ONU et de l'OUA ledroià i'autodéterrni-

nation.)>
Par ailleursà la conference des ministres des affaires étrangèresdes pays
non-alignés,réunis àGeorgetown du 8 au 11août 1972,une résolutionadoptée
comporte le paragraphe 3 suivant:

« La Conférence...
3) Demande aux Etats Membres directement intéressésd'intensifier
leurs efforts auprèsdu Gouvernement espagnol pour l'amener a mettre en
Œuvre la résolution2711 de l'Assembléegénéraledes Nations Unies et
notamment ses dispositions relativesa l'organisation, le pltôtpossible,
d'ut1 réferendunren vue de permettre aux populations du Sahara sous domination espagnole d'exercer librementleur droit ù I'autodérermina~ion,
conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, sous les
auspices et avec les garanties de l'organisation internationafi.

A Alger, la quatrième conférenceau sommet des pays non-alignésa, dans
une résolutionna 6, marquésonattachement indéfectiblede principe à I'auto-
détermination, avant d'en recommander- vivement l'application au Sahara
occidental. Le paragraphe 3de la résolution6 dispose que la confkrence:

«réaffirmeson attachement indkfectible au principe de I'arciodiiermino-
tion et son souci de voir appliquce principe dans un cadre qui garantisse
aux habitants du Sahara sous domination espagnole l'expression libre et
authentique de leur volonté,conformément aux résolutions pertinentesdes
Nations Unies relatives Ace territoire))

e) L'Organisation des Nations Unies, l'organisation de l'unité africaine,les
sommets des pays non-alignésont affirméla constance de leur choix et la per-
sistance de leur position. Mais if n'est pas sans intérêt d'obsrue les pays
de la région eux-mêmesc,oncernésou intéresséso , nt eux aussi et jusqu'à l'an
dernier, lutté pourla prévakncede l'autodéterminationdans la recherche d'une
solution au Sahara occidental. En particulier, le Maroc, la Mauritanie et
l'Algérieont, de concert, soutenu le recoursà I'autodétermination, nonseule-
ment aux Nations Unies, A l'OUA et dans diverses conférencesinternationales,
mais aussi,je veux dire surtout,dans leurs rencontres tripartites ou bipartites.
Au sommet tripartite qui s'est tenu le 14 septembre 1970BNouadhibou, en
terre mauritanienne, et qui a réuniS.M. leroi Hassan II, le prksident Mokhtar

Ould Daddah et le président Boumediene,lestrois chefsd'Etat ont déclarédans
leurcommuniqué communque:
((Après une étude approfondie de la situation qui prévaut au Sahara
sous domination espagnole, ils ont décidé d'intensifielreur collaboration
étroite pour hâter la décolonisation de cette régionet ce, conformément
aux rksolutions pertinentes de l'organisation des Nations Unies. »

Le Maroc et la Mauritanie convinrent avec l'Algérie.au cours de ce sommet
de Nouadhibou de créerun « comitétripartitie de coordination chargé, comme
I'indique le communiqué commun, de suivre en permaiietzcetant sur le plan
politique que diplomatique le processus de décolonisationdu Territoire ». Le
comitétripartite s'estréuni3Alger le5 janvier 1972au niveau des ministres des
affaires étrangèreset a publik un communiquéoh l'on peut lirece qui suit:

«Les trois ministres ont consacré une attention toute particulière A
l'examen des problèmes d'intérêc tomnzun,notamment ceux ayarit trait à
la dkcolonisation du Sahara encore sous domination espagnole. Ils ont
souligné la nécessitede renforcer leur front, de coordonner et de pour-
suivre en commun leur action, en vue de hater la libération de ce terri-
toire. »

S'étant retrouvés A Nouakchott le 9 mai 1973, dans le cadre de ce même
cornite tripartite, les ministres des affaires etrangèresdes trois pays ont publié,
A cette occasion,un communiquécommun qui préciseque:

<Ils réaffirment leur détermination d'agir avec énergie auprés de
l'organisation desNations Unies pour que celle-ciassume ses responsabi-
lités, clairementexprimkes dans de nombreuses rksolutions pertinentes et
appuyéespar I'Organisatioilde l'unitéafricaine et lesconférences despays
non-alignés.506 SAHARA OCCIDENTAL

Ils réaffirment également la volontéde leurs gouvernements de conju-
guer et d'intensifier leurs effortspour déjouerles manŒuvresdu Gouver-
nement espagnol, hâter la décolonisationauthentique de ce territoire et

concrétiser les directivesde leurs chefs d'Etat dans l'esprit de leur ren-
contre de Nouadhibou de septembre 1970et de leurs entretiens de Rabat
de juin 1972.
Ils ont décidéà cet effet de maintenir entre eux un contact permanent
pour suivre l'évolutionde la situation et adopter les mesures qu'elle
exige...))

Et ils ajoutent, pour bien marquer leur unitéde vue quant Bla solution que
leurs pays avaient préconiséepour la décolonisation duSahara par la voie de
l'autodétermination:

<<Ilsse sont félicitésu dimat de franchise qui a permis de clarifierleurs
positions et de dissiper toutes les interprétations malveillantes diffuséesA
dessein par certains milieux sur les attitudes respectives des trois pays sur
le Sahara occidental. ))

Et par quelles voiesplus autoristes que celles des trois chefs d'Etat rappeler
cette unitk de vue au sujet du recours a l'autodétermination? C'est ce qu'ifs
font, le 24juillet 1973a Agadir, au sommet qui s'achèvesur un cornmuniquk
commun, dans lequel on lit que

«les trois chefs d'Etat ont consacre une a~teritionparticulièreà l'évolu-
tion de la question du Sahara encore sous domination du colonialisme
espagnol. Ils ont réaffirméleur attachemerit indéjecrible au princip e e
I'autodérerniirrationetleur souci de veillera l'application de ce principe
dans un cadre qui garantit aux habitants du Sahara l'expressionlibre et

authenrique de leur volonté,conformémentaux décisionsde l'organisation
des Nations Unies en ce domaine. )>

Je ne voudrais pas prolonger cette analyse, Monsieur le Président, Messieurs
de la Cour. en me référantloneuement encore aux nombreux communiaués
communs, bilatéraux cette fois,&i ont abordédans lemême espritce probléme
du Sahara occidental. Je prie la Cour de bien vouloir se reporter aux communi-
quéscommuns maroco-mauritaniens, mauritano-algérienset algéro-marocains.
Terminons par un passage que l'onretrouve cette fois dans une déclaration
quadripartite algéro-nigéro-mauritano-malienne publiéeIi El-Goléa, dans le
Sud algkrien, le 26 avril 1973.Ce passage se lit comme suit:

<<De concert avec lesautres pays africains, ellescontinueront [les diver-
ses parties]B conjuguer leprs efforts afin de hâter la dkcolonisation de ce
territoire et d'y faire prévaloirle libre exercicedu droià I'autodetermina-
tion.)>

f) II conviendrait de souligner que la Mauritanie a étéet demeure, pour sa
part jusqu'8 cejour, prète Saccepter lerecours A I'autodktermination du Sahara
occidental. Elle a toujours souscrit sans réserveau principe de I'uti pussidetir
juris et de l'acceptation des frontieres héritéesde la périodecoloniale. Elle a
accepté sesfrontières telles qu'établies en1960, iila suite du reflux de I'Etat
colonisateur, et n'a exprime aucune réserveaux dispositions pertinentes de la

charte de l'OUA.
Elle a, de multiples maniéres,rappelé dans les forums internationaux ou
dans les rencontres bilatéralescette position constante. A titre d'exemple,je EXPOSÉ ORAL DE M. BEDJAOUI 507

rappellerai ici le communiquécommun qui a sanctionné la rencontre d'Alger
des présidentsould Daddah et Boumediene,le 27 mars 1967,et qui préciseque:

<Les deux Présidents,préoccupkspar la diversitédes facteurs de tension
entre les diffërents pays du tiers monde, et plus particuliérement entre
certains membres de l'OUA, réafirment leur indéfectibleattachement &
tous lesprincipes de laCharte d'Addis-Abeba, ainsi qu'Aceux définisdans
la Dkclaration finale de la Conférence desnon-alignésdu Caire, et notam-
ment le respect de I'intégritterritorialeet de l'intangibides jrontières
tellesqu'elles existaientaumomentde leuraccession 1 l'indépendanc ).

Dans une lettre du 20 aoQt dernier, adresséepar le Gouvernement maurita-
nien au Secrétairegénéraldes Nations Unies (doc. Al9715 du 21 aoOt 1974),
on lit que «le Gouvernement mauritanien réitèreson attachement sincèreau
respect fidélede la volonté librementexpriméedes populations concernées ».
(II parlait des populations dSahara.)
C'est dans ce sens que le ministre des affaires étrangéres,son excellence
Hamdi Ould Mouknass, est i~itervenu A la dernière session de l'Assemblée
généraledes Nations Unies :

((Je me dois cependant de rappeler, pour la véritkhistorique, a-t-il
déclare,que mon pays a souscrit, désle 13décembre1962,ici même aux
Nations Unies, au principe de I'autodétermination de la population du
Sahara. Car nous savons avec certitude que nos fréresdu Sahara, s'ils
devaient choisir d'alleravec quelqu'un, c'est bien avec la Mauritanie qu'ils
choisiraient de faire route commune. Mais, par-deli cette certitude, il y a
égalementnotre adhésion loyale et sincèreau droit des peupleadisposer

d'eux-mêmesc ,onformémentà la Charteet 5ila déclaration1514(XV) de
l'Assembléegénkralesur 1'o:troide I'indépendanceaux pays etaux peuples
coloniaux.
Les Nations Unies elles-mêmes,ajoute-t-il, s'appuyant sur une décision
priie le 9 septembre 1966par laConférencedeschefs dlEtat et de gouverne-
ment de l'Organisation de l'unité africaine,ont reconnu, en 1966, A la
population du Sahara son droit imprescriptible I'autodétermination. Ce
droit a étépar lasuiteréaffirmdans toutes lesrésolutionset décisionsprises
par les pays non alignés,l'organisation de l'unitéafricaine et IesNations
Unies. Je n'en voudrais pour preuve que les résolutions adoptéesle 9 sep-
tembre 1973 par la quatrieme conférence au sommet des pays non-
alignés,le 14 décembre 1973 par l'Assembléegénéraleet le 11juin 1974
par la conférenceau sommet de l'organisation de l'unitéafricaine. Est-il
besoin de rappeler que toutes ces résolutionsont été élaborés,rksentées
et appuyées par mon pays et par ceux qu'intéresse directementce pro-
bléme?» (Dm. A/PV.2251.)

II devait ajouter plus loin:

«Quel que soit cependant I'avis de la Cour internationale de Justice,
le droià l'autodéterminationde Inpopulariondu Saharane saurait faire
l'objet d'une entrave quelconque.Cette population a le droit de choisir
librementson destin ef aucuneorganisation ou institutioninternationnee
saurait le lui enlever. Monpays s'engagesolennellementdevant vousici ri
respecter loyalement lavolontklibrementexpriméede cettepopulation.Cela
m'amènefout naturellementri parler du référendum au cours duquel la
populationduSaharadevra déciderde sonavenir.Ce référendumne saurait
&treorganiséetsedéroulersurdes basesentiérementlibres,démocratiqueset 508 SAHARA OCCIDENTAL

impartialesquesi la puissance administrante respectait scrupuleusement le
processus, maintes fois préconisé par lsations Unies. IIs'agit avant tout

de l'envoiau Sahara dit espagnol d'une mission spécialede l'organisation
qui, seule, devra recommander aux Nations Unies les mesures pratiques
pour l'organisation etledCroulementde ce référendum. Nouscomprenons,
pour notre part, que ces mesures auront trait non seulement à la prépara-
tion et la surveillance du référendum parl'Organisation mais, également,
aux modalités pratiqueset précisesqui doivent permettre aux Sahraouis
authentiques, à l'intérieuet A l'extérieurdu territoire. de participer àcette
consultation. » (Ibid.)

Et la Mauritanie, par la voix autoriséede l'ambassadeur El Hassen, avait
rappelédevant la Cour, le 3juillet dernier, qu'elleest pour l'autodétermination,
à condition qu'ellesoit sincère. libre etouverte, en un mot absolument authen-
tique.
Mais les peuplesn'ont pas droit seulementà ieur souverainetéjadismisesous
le boisseau par laterrattirlliet aujourd'hui si bien misea l'honneur par I'auto-
détermination. Ils ont droit i l'intégride leur territoire.

5. LE PROI~L~MEDU DROIT AL'INTÉGRITB TERRITORIALE

Pour certains, le droit hl'autodéterminationet celui h l'intégrdu territoire
sont conlradictoires. Pour d'autres, ilssont dans un rapport de complémentarité.

II faut bien pour cela çompreiidre ce problème auquelje consacrerai quelques
très brèvesexplications, Monsieur le Président,pour terminer.
a) L'intégritédu territoire colonial par rapport celui de la Puissance
administrante: l'intégritéterritoriale s'entend d'abord d'un droit à défendre
contre la Puissance administrante. Là aussi l'inversion desdonnées, ouI'oppo-
sition, se prolongent et se poursuivent entre la théoriede terranulliuset celle

de l'autodétermination. La seconde restitue ce qu'a confisqué la premièreI.I
fallait donc prononcer l'altérité,le caractère autre du territoire colonial pour
préserverson intégrité, menacéd e'abord par son rattachement à celui de la
Puissance administrante.
L'effortconjuguédes forces de progrèsdans le monde a permis de mettre un
terme à la fiction juridico-politique d'unicitédes territoires dits métropolitain
et colonial, grâce à laquelle13 puissance coloniale, interprétant abusivement
l'article 2 du paragraphe 7 de la Charte, s'autorisaitagir discrétionriairement
dans la colonie comme dans son territoire propre, dans le cadre de sa compé-
tence interne exclusive. Désormais, selon ladéclarationde 1970relative aux
sept principes de droit international touchant aux relations amicales et h la

coopérationentre Etats, qui vient couronner sur ce point une longue évolution:
«le territoire d'une colonie ou d'un autre territoire non autonome pos-
sèdeen vertu de la Charte un statut séparé etdistinct de celui du territoire
de I'Etat qui l'administre; cestatut séparéetdistinct en vertu de la Charte

existe aussi longtemps que le peuple de la colonie ou du territoire non
autonome n'excercepas son droit B disposer de lui-méme».

Ifest clair que ce principe Iondamental est riche de conséquences qu'il im-
porte de tirer pour situer en pleine lumière,d'un part, les responsabilitésde la
communautéinternationale vis-à-visdes populations sousdomination coloniale
et, d'autre part, les limites infrünchissables de la compétencede I'Etat colonial
sur la base de l'article 2, paragraphe 7, de la Charte. EXPOSEORAL DE M. BEDIAOUI 509

IIne fait pas de doute que l'Assembléegénérale desNations Unies sera appe-
lkeà définirces responsabilitésdans le déroulementdu rkférendumde la popu-

lation du Sahara occidental, en tenant largement compte de ce que le territoire
sahraoui doit être dorénavantconsidéréselon cette déclaration2625 de 1970
comme juridiquement distinct du territoire espagnol, et de ce que [a souverai-
neté espagnolesur ce territoire s'esteffacée.De ce fait, les responsabilitéspre-
niièresdes Nations Unies dans la préparationet le déroulementdu référendum
seront largement détermineespar ces considérations.

bJ Enfin, pour terminer. Monsieur le Président, Messieurslesmembres de la
Cour, je dirai volontiers que les revendicationsterritoriales n'ojamais afecté
le droitd l'au~odé.tern~itrntion.e droit est en effet un principe supérieur.
Comme nous l'avons montré, c'est un droit impératif qui relève du jus
cogetis. Par rapport auxautres normes du droit international, ilapparaît comme
une régleprimaire, commandant le reste.
C'est ainsique, dans la pratique des Nations Unies, la supérioritédu droit à
l'autodétermination a éténettement marquée par.rapport à la règleque j'ai
citéede l'article2, paragraphe 7.de la Charte, selon laquelfe lesquestions rele-
vant de la compétence nationale ne sauraient êtrejusticiables de la comp6-
tence des Nations Unies.
Alors que ledroit actuel repose essentiellementsur leconsentement de I'Etat,
c'est-a-diresur l'accord, on sait que l'article 53de la Convention de Vienne sur
le droit des traites invalide tout accord conclu en violation d'une norme du

jus cogetrs,c'est-a-dired'unerégleimpérativea laquelle aucune dérogationn'est
permiseet qui ne peut êtremodifiéeque par une nouvellenorme du droit inter-
national généralayant le mêmecaractère.
En conséquencede tout ce qui précède,la Cour nous parait devoir tenir
compte, dans son avis, de la nécessitéde réaffirmerleprincipe de I'autodétermi-
nation. Elle ne saurait se déjuger parrapport à la position si juste qu'elleavait
prise dans son avis consultatif de 1971sur la Namibie, dans lequel ellea affirmé
que:

<Il'évolutionultérieuredu droit international a l'égarddes territoires non
autonomes, tel qu'il estconsacrépar la Charte des Nations Unies, a fair
de l'autodéternritiarioriivr principe applicariefous ces rerriroir...Une
autre étape importante de cette évolutiona étéla déclarationsur l'octroi
de l'indépendanceaux payset aux peuplescoloniaux (résolution1514(XV)
de l'Assemblée généraele n date du 14décembre1960)a, pplicable à rous
les peuples età torrsles territoire«qui n'ont pas encore accédé tiI'indé-
pendance » (C.I.J. Recueil 1971, p.31).

En se prononçant ainsi, elle demeure fidèle à sa double mission, qui est
d'aider lesorganes des Nations Unies 1iexercer normalement leurs fonctions et
de contribuer au maintien de la paix.
La Cour, organejudiciaire principaldes Nations Unies, apour rôle de coopé-
reraveclesautres organespour permettrela réalisationdesbutsque s'estassignés
l'organisation, et de leséclaireren l'espècesur la portée et lavaleur du principe
d'autodétermination dans le cadre de la décolonisation.Ce faisant, la Cour
contribuera au maintien de la paix dans la régionet dans le continent,

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PRlNTED IN THE NETHERLANDS

Document Long Title

Minutes of the Public Sittings held at the Peace Palace, The Hague, from 12 to 16 May 1975, President Lachs presiding

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