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CR 2007/26 (traduction)

CR 2007/26 (translation)

Jeudi 15 novembre 2007 à 10 heures

Thursday 15 November at 10 a.m. - 2 -

12 Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. L’audience est

ouverte et je donne la parole à M. Lauterpacht. Monsieur, vous avez la parole.

M. LAUTERPACHT :

L AG RANDE -BRETAGNE N ’AVAIT PAS L’INTENTION D ’ACQUÉRIR

LA SOUVERAINETÉ SUR PULAU B ATU PUTEH
(suite)

Les critères de la Grande-Bretagne aux fins d’attester ses prétentions territoriales

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , lorsque l’audience a été levée hier, je venais

juste d’entamer mon examen de l’aspect intentionnel de la conduite de la Grande-Bretagne à

l’égard de Pulau Batu Puteh. Je me proposais de le faire à partir des éléments énoncés par

Singapour elle-même de l’aspect intentionnel.

2. La Grande-Bretagne a-t-elle jamais manifesté l’intention d’acquérir la souveraineté sur

Pulau Batu Puteh ?

3. A-t-elle accompli une quelconque action publique visant à mettre cette intention à

exécution ?

4. A-t-elle rendu cette intention manifeste aux autres Etats ?

5. Ma thèse était que la réponse à chacune de ces questions était négative.

6. Permettez-moi, pour commencer, de rappeler les pratiques de la Grande-Bretagne aux fins

d’attester son intention d’acquérir la souveraineté sur des territoires étrangers.

7. J’ai déjà évoqué l’étude de Keller, Lissitzyn et Mann intitulée « The Creation of Rights of

Sovereignty through Symbolic Acts, 1400-1800 » [«Naissance de droits de souveraineté par des

actes symboliques, 1400-1800»]. J’ai également cité le rappt de 1824 dans lequel Crawfurd

relate sa conduite relativement aux trois îles situées dans un rayon de 10 milles autour de Singapour

⎯ à savoir Pulau Ubin ainsi que Rabbit Island et Coney Island.

8. L’importance accordée à la pratique consistant à revendique r explicitement toute

souveraineté perdura et fut confirmée par l’approbation, en 1889, par lLaw Officers de la - 3 -

Couronne, d’un modèle de déclaration d’annexion da ns lequel il était expressément indiqué que la

13 pleine souveraineté sur l’île revendiquée était confér
ée à S. M. la reine. Une telle déclaration était

formulée ⎯ comme vous pouvez le voir à l’écran ⎯ de la manière suivante 1 :

«J’ai reçu ordre de Sa Majesté la Reine Victoria… de faire valoir ses droits
souverains sur… [nom des îles]…, dont Sa Majesté a pris possession avec le
consentement du chef local/des chefs locaux concerné[s]. En conséquence de quoi, je

[suit le nom de la personne e ffectuant la déclaration] proc lame et déclare ici à tous
que, à compter de ce jour, l’entière souve raineté sur l’île… est conférée… à Sa
Majesté la reine Victoria.»

Bien que rédigé en 1889, ce modèle reflète la pratique britannique antérieure.

9. La position de la Grande-Bretagne à cet égard est constante, ainsi que cela ressort d’un

exemple plus récent, à savoir les formalités accomplies par cette dernière lors de l’annexion de

l’île Rockall ⎯ cette formation est appelée île, mais il s’agit en réalité d’un simple rocher ⎯

en 1955. Rockall est une petite formation éloignée, située à 265 milles à l’ouest de l’Irlande. La

2
plaque qui fut alors posée est reproduite dans vos dossiers, sous l’onglet 94 :

«Sous l’autorité de Sa Majesté la Re ine Elizabeth Deux, par la grâce de Dieu…
chef du Commonwealth, défenseur de la foi, et conformément à ses instructions en
date du 14 septembre de l’an mil neuf cent cinquante cinq, nous nous rendîmes ce jour
sur la présente île Rockall à bord du HMS Vidal. Nous hissâmes le drapeau

britannique et prîmes possession de l’île au nom de Sa Majesté. [signé] R. H. Connell,
Capitaine du HMS Vidal, le18 septembre 1955.»

10. A ce stade, il suffira que j’examine plus avant l’incidence juridique du fait que la

Grande-Bretagne ait finalement c hoisi PulauBatuPuteh pour cons truire le phare. Dans quelle

mesure a-t-elle, entre 1847 et 1851 ⎯période que Singapour qu alifie elle-même de cruciale ⎯,

satisfait à ses propres critères et manifesté l’intention d’acquérir la souveraineté sur

Pulau Batu Puteh ou d’annexer cette formation ?

11. La correspondance quelque peu complexe échangée entre le gouverneur de Singapour, le

gouvernement de l’Inde et les autorités de Londres relativement au choix d’un site pour le phare

en1842 et 1844 a été examinée par M.Kohen. C’ est en vain que l’on y cherche un indice de ce

que la Grande-Bretagne aurait eu l’idée d’annexer pour elle-même le site retenu pour le phare, quel

1
Voir le texte tel que reproduit dans International Law Opinions, McNair, vol. I (1956), p. 294-295. Voir dossier
de plaidoiries, onglet 93.
2
Voir dossier de plaidoiries, onglet 94. - 4 -

3
qu’il soit. Même l’extrait de l’annexe 93 au mémoire de Singapour , tiré d’une dépêche adressée

par le gouverneur de Singapour au gouverneur gé néral du Bengale, en date du 28 novembre 1844,

14
dans laquelle il est indiqué que le temenggong a volontairement consenti à céder le site «à titre

gracieux», ne semble pas être la réponse à une quelconque demande de cession de territoire

émanant de la Grande-Bretagne. Cette idée n’a pa r ailleurs jamais été reprise dans les lettres

ultérieures. De toute évidence, aucune importance n’a été accordée à cette laconique mention. En

soi, cet extrait ne saurait attester une quelc onque intention déclarée de la Grande-Bretagne

d’acquérir la souveraineté sur le site en question. Les termes effectivement employés par le

4
temmengong dans sa réponse du 25 novembre 1844 ne sauraient non plus être interprétés comme

une réponse affirmative à une demande de cession de droits souverains, quand bien même une telle

demande aurait été formulée, ce qui, je le répète, n’a pas été démontré.

12. Il en va de même de la correspondan ce que les mêmes parties échangèrent en 1845

et 1846.

13. Il est également significatif que le gouve rneur des Etablissements des détroits ait été

averti juste au moment où les travaux de constr uction du phare allaient commencer de ce que

l’acquisition de territoire dans cette région exigerait de prendre «des mesures en vue de la prise de

possession officielle». C’est ce qui ressort de la lettre datée du 19 octobre 1846 que le secrétaire en

exercice du gouvernement de l’Inde adressa au gouverneur à propos de l’acquisition de l’île de

Lubuan située au large de la côte de Bornéo 5. Trois mois plus tard, pa r un traité d’amitié conclu

avec le sultan de Bornéo, la Grande-Bretagne obtint la cession «en pleine souveraineté et

propriété» de l’île de Labuan, à la suite de quoi les Britanniques hissèrent officiellement leur

6
drapeau . N’est-ce pas là ce à quoi on aurait pu s’attendre si le gouverneur Butterworth avait pensé

que la Grande-Bretagne avait acquis un titre sur Pulau Batu Puteh ?

3MS, vol. 3, annexe 93.
4
MM, vol. 3, annexe 45.
5
CMM, vol. 3, annexe 16.
6CMM, vol. 3, annexe 17. - 5 -

14. Lorsque, le 30 septembre 1846, le gouverneur de Singapour recommanda au directoire de

la Compagnie des Indes orientales de construire le phare Horsburgh sur Pulau Batu Puteh 7, rien de

ce qu’il dit alors ne témoigna de l’intention d’acquérir la souveraineté sur l’île.

15. Dans son mémoire, Singapour fait grand cas du fait que la responsabilité générale du

8
projet fut assumée dès les premiers jours par le gouverneur . Mais cela ne constitue pas un point

en cause en l’espèce. Il ne s’ag it pas de savoir si les Britanniques contrôlaient ou finançaient la

construction du phare, mais si leurs actes révéla ient ouvertement une inte ntion de revendiquer

15 Pulau Batu Puteh. C’est sur cette question que nous devons concentrer notre attention. Singapour

a elle-même correctement posé cette question mais n’y a jamais répondu de manière satisfaisante.

Comme je vais le montrer à présent, une telle in tention ne fut jamais exprimée, que ce soit en

interne ou à l’extérieur ; et l’argument de Singapour selon lequel elle le fut n’est pas défendable.

16. Qu’offre Singapour? La réponse se trouve dans la plaidoi rie de M.Brownlie de la

9
semaine dernière . Il dit, en effet, qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait d’indication précise

d’intention, d’indication évidente, ni qu’une intention précise soit communiquée à un autre Etat. Il

suffit, c’est ce qu’il affirme, de re garder ce que fit en réalité la Gr ande-Bretagne et, à partir de cet

examen, d’extraire ou d’extrapoler ce qui ne peut être qu’une indication théorique suffisante pour

satisfaire les conditions d’intention que Singapour a elle-même posées comme nécessaires.

17. Le sujet apparaît à plusieurs reprises dans la plaidoirie de M. Brownlie et il me suffit de

ne vous en donner qu’un exemple. Faisant référence à l’insistance de la Malaisie sur le fait que la

Couronne britannique n’aurait, pas une seule fois, au cours de la période pertinente, manifesté

l’intention d’acquérir la souveraineté 10, il poursuit ensuite :

«[C]’est là une position extravagante. L’ensemble des décisions et des actes de
la Couronne britannique constitue en soi la preuve d’une intention d’acquérir la

souveraineté. [L’ensemble] L’analyse de la Malaisie repose sur une dichotomie tout à
fait artificielle entre la prise de contrôle d’ un territoire et l’inte ntion d’en acquérir la
souveraineté.

7 MM, vol. 3, annexe 53.
8
MS, vol. 1, p. 65, [par. 5.74].
9
CR 2007/21, p. 34-69.
10Ibid., p. 52. - 6 -

Les éléments de preuve doivent impérativement être appréciés comme un tout.
Les mesures matérielles et administratives des représentants de la Couronne
britannique constituent par conséquent une partie des éléments attestant l’intention.» 11

18. Examinons donc de plus près les prétendus éléments de preuve dans leur totalité.

19. Passons aux années critiques de 1847 à 1851 et examinons chacune d’elles. Nous

verrons que, quelle que soit l’année, il n’y eut aucun acte qui puisse démontrer une intention

d’acquérir la souveraineté sur Pulau Batu Puteh. L’attention fut concentrée exclusivement sur la

construction du phare.

20. Premièrement, 1847: le 24février1847, le directoire de la Compagnie des Indes

orientales informa le gouverneur général des I ndes en conseil qu’il approuvait le choix de

Pulau Batu Puteh comme emplacement pour le phare. Ainsi qu’il ressort du premier paragraphe de

16 12
la lettre , il ne fut fait aucune distinction entre le st atut territorial de Peak Rock et celui de

Pulau Batu Puteh. Manifestement, les deux îl es étaient considérées à cet égard comme ne pouvant

être distinguées l’une de l’autre.

21. Deux mois plus tard, le 24 avril 1847, le secrétaire du gouvernement des Indes écrivit au

13
secrétaire du gouvernement du Bengale pour transmettre les copies de trois dépêches dans

lesquelles il était indiqué que «l’honorable directoire a[vait] avalisé la propos ition» de construire le

phare sur Pulau Batu Puteh et qu’il «s’[était] joint aux autorités locales et au gouvernement des

Indes pour préférer le site de Pedra Branca à celui de Peak Rock…». Notons encore une fois qu’il

n’est fait aucune distinction entre le statut territorial de Peak Rock et celui de Pulau Batu Puteh. Il

n’existe toujours pas de preuve d’une quelconque intention d’acquérir la souveraineté sur le site du

phare.

22. Au cours des mois qui suivirent, Thomson, le géomètre du gouvernement de Singapour,

continua de négocier avec les entrepreneurs chinoi s et une lettre qu’il adressa le 9juillet1847 au

conseiller résident de Singapour contient le premier signe ⎯ le premier ⎯ d’une activité matérielle

relative à PulauBatuPuteh 1. J’utilise à dessein l’expression «activité matérielle». Thomson

11Ibid., p. 53, par. 88-89.
12
MS, vol. 2, annexe 18, p. 149. Voir dossier de plaidoiries, onglet 95.
13
MS, vol. 2, annexe 19, p. 159.
14MS, vol. 2, annexe 21, p. 169. - 7 -

accompagna l’entrepreneur sur le site à bord du vapeur Hooghly. Il proposa de construire des petits

piliers en briques en octobre. La visite de Thomson eut probablement lieu avant juillet 1847. Mais

il n’y a aucune indication quant à l’acquisition d’un titre sur l’île.

23. Le 22 juillet 1847, le gouverneur fit rapport de Penang que les conditions sur

PulauBatuPuteh aboutiraient à des dépenses la rgement supérieures au devis initial et qu’il

comptait visiter les lieux à son retour à Singapour 1. Mais cela ne démontre pas une intention de

revendiquer la souveraineté sur l’île.

24. Comme Thomson l’indiqua da ns son rapport, des piliers de briques furent édifiés en

différents endroits de Pulau Batu Puteh le 1 ernovembre 1847 pour éprouver la force des vagues 16.

Cela nous mène à la fin de 1847 et toujou rs aucun signe d’une in tention quelconque des

Britanniques d’annexer l’île.

25. Passons maintenant à 1848.

17 26. La seule chose qui semble s’être produite alors est que Thomson retourna sur l’île le

er 17
1 mars pour constater que les piliers de briques av aient été emportés. Il décida donc que le

phare devait être construit en granit et prépara les plans en conséquence.

27. Le rapport de Thomson, qui constitue le récit le plus complet des événements qui se

déroulèrent pendant ces années critiques, ne contient rien de plus pour l’année 1848. Et il en va de

même pour 1849, à la seule exception près que Th omson fut informé le 14décembre1849 de ce

18
que ses plans avaient été approuvés par la Compagnie des Indes orientales . Ainsi, comme il le

nota alors, «le début de l’année ⎯nous sommes à présent en 1850 ⎯ fut consacré à préparer la

saison suivante». Le 6mars1850, il se rendit sur Pulau Batu Puteh mais revint rapidement à

er
Singapour car la saison des moussons n’ét ait pas totalement terminée. Le 1 avril, il quitta

Singapour, quelques jours après son principal assistant. Les mauvaises conditions climatiques les

obligèrent toutefois à se replier sur Point Romania, ma is ils furent de retour sur l’île le 11avril.

Thomson exposa tous les détails et les difficultés des travaux de construc tion dans son rapport.

15MS, vol. 2, annexe 22, p. 178.
16
Voir le rapport de Thomson, MS, vol. 4, annexe 61, p. 490-491.
17Ibid., p. 492.

18Ibid., p. 505. - 8 -

C’est une lecture passionnante, mais ces éléments ne sont d’aucune aide pour apprécier ce que les

Britanniques firent, s’ils firent quoi que ce soit à cet égard, pour exprimer une intention d’acquérir

un titre sur l’île. Pendant la construction, le seul rôle joué par le gouvernement se traduisit par la

présence intermittente d’une canonnière britannique qui prit position «comme ravitailleur [des]

opérations» 19. Mais le caractère britannique de cette présence fut contrebalancé par l’arrivée d’une

canonnière néerlandaise en provenance de Rhio et l’offre néerlandaise de laisser deux canonnières

sur place le temps des travaux. L’offre fut ac ceptée et alors mentionnée par Thomson dans son

rapport.

28. Enfin, le 24 mai 1850, date anniversaire de S. M. la reine Victoria, la première pierre fut

20
posée . Il n’est pas besoin d’expo ser encore une fois ici les détails de cet événement.

Legouverneur était présent, ainsi que le maître de la loge Zetland in the East, M.Davidson,

accompagné des personnalités officielles de la loge, qui avait été «prié de conduire la cérémonie de

la pose de la première pierre avec l es honneurs maçonniques». Notons: «les honneurs

maçonniques» ⎯il n’est fait aucune mention d’une quelconque affirmation officielle de

souveraineté britannique. Une plaque de cuivre fut placée dans une ouverture pratiquée dans le

18 rocher. Vous en trouverez une copie sous l’onglet 35 de votre dossier de plaidoiries. Mais, comme

vous pouvez le voir, il n’y figure aucune référence à la possibilité que l’île fût britannique. Parmi

les articles déposés sous le rocher ne figurait p as non plus, comme on aurait pu s’y attendre si la

situation avait été différente, de document affirm ant ou révélant officiellement un titre britannique

sur l’île. Cet événement aurait bien évide mment constitué l’occasion, pour les Britanniques,

d’exprimer leur intention d’acqué rir l’île. Ils ne l’ont pas saisi e. Neuf jours plus tard, le

temenggong se rendit sur le rocher accompagné de trente membres de sa suite. Thomson le

21
décrivit comme «le plus puissant chef indigè ne de ces contrées, allié des Britanniques» .

Singapour ne nous a pas dit pourquoi la visite du temenggong ne peut pas non plus, être interprétée

comme une manifestation de sa part de son titre sur l’île. C’est en théorie parfaitement possible.

19Ibid., p. 526.
20
Ibid., p. 530.
21Ibid., p. 533. - 9 -

29. Les travaux de construction avancèrent rapidement jusqu’à la mi-octobre, date à laquelle

débuta la mousson du nord-est, ce qui entraîna leur suspension.

30. Nous arrivons donc maintenant à 1851 ⎯la dernière des cinq années que Singapour

qualifie de cruciales.

31. Les travaux reprirent à la fin du mois de mars. Singapour affirme dans son mémoire que

l’installation, en mai 1851, de canalisations servant à drainer les eaux de pluie sur Pulau Batu Puteh

fut une opération qui laissait «à l’évidence supposer une utilisation et une possession légales et

22
permanentes de Pedra Branca dans son ensemble» . Considérer des canalisations servant à drainer

les eaux de pluie comme liées d’une quelconque manière à l’intention de prendre possession

légalement de l’île ou comme démontrant une intention de l’annexer demande un certain effort

d’imagination. Mais quoi qu’il en soit, l’opér ation ne signifiait pas en soi une intention de

revendiquer un titre sur l’île. Ce n’était rien de plus qu’un aspect de la construction du phare. Les

ouvriers avaient besoin d’eau pour se laver; c’est ce que dit Thomson. Le 8juillet, le

résidentconseiller arriva avec une équipe; il «ins pecta tous les travaux dans les moindres détails

et, au moment de son départ, à midi, il fut heureux de dire qu’il approuvait la construction et toutes

23
les autres opérations» . Mais il n’y a aucune trace d’un quelconque propos ou acte de sa part qui

indique une intention d’acquérir un titre. Il aurait peut-être au moins dit à Thomson : «Quelle belle

petite annexion, mon vieux !» ⎯ Mais s’il le fit, Thomson ne l’a pas indiqué dans son rapport.

19 32. Le 24septembre, lorsque l’exploitation du phare était sur le point de commencer, le

gouvernement publia un avis aux navigateurs. De celui-ci, Singapour dit, absolument sans le

moindre élément à l’appui: «Ce document se f ondait sur le présupposé selon lequel l’île où se

trouvait le phare était britannique et faisait partie de Singapour. Il émanait du colonel Butterworth,

24
la plus haute autorité britannique basée à Singapour.» Le seul élément exact dans cette

affirmation est le fait que l’avis fut publié pa r le gouverneur de Singapour. Mais cet avis ne

révélait pas que l’île était considérée comme britannique. Ce n’était, et ne pouvait être, rien de plus

qu’une première mesure nécessaire prise dans le cadre de l’exploitation du phare comme l’exigent

les règles de bonne pratique en la matière.

22MS, p. 69, [par. 5.80].
23
MS, vol. 4, annexe 61, p. 551.
24MS, p. 73, [par. 5.88]. - 10 -

33. Le 27septembre 1851, le gouverneur des Etablissements des détroits, accompagné du

Recorder des Etablissements des détroits, du commandant des troupes et des principaux négociants

de Singapour, sont arrivés sur l’île à 13 heures puis ont minutieusement inspecté le phare avant de

rembarquer à 16 heures, «après s’être prononcés en termes extrêmement élogieux sur les travaux et

25
toutes les dispositions concernant le phare» . Il semble pourtant que Thomson n’ait relevé, dans

leurs propos, aucune intention de revendiquer le rocher comme terr itoire britannique. Cette visite

n’a pas donné lieu non plus à une quelconque proclamation ou déclaration, officielle ou autre.

26
34. Thomson a terminé de rédiger son rapport le 15 décembre 1851 . Il y a consigné qu’une

plaque avait été fixée au mur de la salle des visiteurs 27: M. Kohen vous l’a déjà montrée. Rien,

dans l’inscription qui y figure, n’indique que le rocher était un territoire britannique.

35. Me voici arrivé à la fin de la chronol ogie des événements intervenus entre 1847 et 1851,

tels qu’ils sont consignés dans le rapport Thomson. Nous pouvons y ajouter la lettre de compte

rendu du gouverneur en date du 1 enovembre 1851. Cette lettre a été écrite à la fin des

quatreannées au cours desquelles Singapour prét end à présent que la Gr ande-Bretagne aurait

acquis le titre sur Pulau Batu Puteh. Dans sa lettre, le gouverneur parle de «la situation éloignée de

Pedra Branca, ce rocher isolé gisant à 40 milles de Singapour, à l’entrée de la mer de Chine» 28. On

20 se serait attendu à ce que le gouverneur eût saisi cette occasion, unique, pour dire qu’il avait annexé

ce «rocher isolé» au nom de la Couronne britannique. Pourtant, il n’en dit rien ⎯ se contentant

d’insister sur le caractère du rocher «gisant à 40 milles de Singapour». Ces observations valent

également pour les autres documents relatifs à la mise en service du phare que Singapour a annexés

29
à son mémoire ; elles s’appliquent aussi aux pr éambules des deux lois des Indes de 1852 et 1854 .

S’il avait été considéré que l’île était devenue
territoire britannique, on se serait attendu à ce que

cela soit mentionné dans le long libellé de ces lois . Il n’y a tout simplement rien qui donne à

penser ou qui atteste que la Grande-Bretagne av ait l’intention de reve ndiquer un titre de

25Ibid., p. 71.

26MS, vol. 4, annexe 61, p. 557.
27
Voir dossier de plaidoiries, onglet 69.
28MS, vol. 3, annexe 58, p. 454.

29MM, vol. 3, annexes 84-85. - 11 -

souveraineté sur Pulau Batu Puteh. Il est vrai que ce sont les autorités singapouriennes qui se sont

chargées des travaux de construction du phare. Mais, étant donné les circonstances, cela ne

manifestait pas en soi une intention de considérer l’île comme territoire britannique.

36. Nous voici donc arrivés au terme de cette analyse des événements survenus entre1847

et 1851 ⎯période au cours de laquelle Singapour i nvite à présent la Cour à dire que la

Grande-Bretagne a manifesté une in tention de revendiquer l’île. Ce la est, je le dis sans l’ombre

d’un doute, simplement faux. Les éléments que Si ngapour met elle-même en avant et que j’ai lus

au début de mon exposé n’ont pas été démontrés.

n’exlste. aucune preuve d’une intention d’acquérir la souveraineté.

38. Il s’ensuit qu’il n’existe aucune preuve d’une intention permanente de l’acquérir.

39. Il s’ensuit en outre qu’il n’existe aucune preuve de la moindre mesure manifeste visant à

donner suite à cette intention qui, de toute évidence, n’existait pas.

40. Et enfin, il s’ensuit aussi qu’il n’y a aucune preuve que la Gra nde-Bretagne ait fait

connaître à d’autres Etats cette intention qu’elle n’avait pas.

41. La conclusion que Singapour tire, notamment au paragraphe5.91 de son mémoire, est

tout simplement indéfendable. Permettez-moi de vous la lire :

«L’ensemble des opérations comprenant le choix de Pedra Branca comme site
pour le phare, les travaux préliminaires relatif s à sa construction, les visites officielles

régulières, la cérémonie de la pose de la première pierre et, enfin, la mise en service
du phare attestent clairement la volont é de la Couronne br itannique d’annexer
Pedra Branca.»

Cette conclusion ne peut être comprise que comme une pure fiction, un vŒu pieux, une

vision optimiste qui est le fruit d’une très riche imagination. Elle ne peut être acceptée.

21 42. Vers la fin de son exposé, M.Brownlie a introduit une expr ession nouvelle dans les

plaidoiries de la présente affaire ⎯ l’expression «travaux publics». Il l’a répétée plusieurs fois,

comme si elle avait de l’importance. Si j’ai bien compris ce qu’il a dit, l’accumulation de ces

«travaux publics» indiquerait que la Grande-Bretagne avait l’intention d’acquérir le titre sur le

territoire. Vous pouvez, si vous le souhaitez, trouve r la liste de ces «travaux publics», dix au total,

au paragraphe 13 de son exposé : le choix de Pedra Branca comme site du phare, le choix du nom

du phare, la planification des trav aux de construction, le financement de ces travaux, les visites

effectuées par des respon sables au cours de la construction, l’appui logistique des navires du - 12 -

gouvernement, la protection assurée par des canonnières, l’approvisionnement en équipement et

outils nécessaires à la construction du phare, la conc lusion du contrat de construction et, enfin, la

décision relative au cahier des charges et des estimations relatives à la construction.

43. De toute évidence et cela va de soi, ces éléments correspondent aux dispositions qui

devaient être prises en vue de la construction du phare. A l’exception peut-être des deux premiers,

ils décrivent en tous points les dispositions qu’une société privée devait prendre à l’époque si elle

avait été engagée pour planifier et exécuter l’ensemble des travaux. Il n’en reste pas moins que le

fait qu’ils ont été réalisés par le gouvernement ne signifie pas que ces travaux, pris séparément ou

dans leur ensemble, témoignent d’une intention de revendiquer le territoir e sur lequel ils ont été

menés.

44. L’argumentation de Singapour consiste à réunir ces éléments en un processus continu qui

semble montrer que le gouvernement avait l’intent ion d’acquérir un titre sur le territoire. Mais

pareille conclusion constitue une extrapolation exagérée ⎯ voire fictive ⎯ à partir d’une série de

faits qui, examinés de près, correspondent exactement à ce qui devait être fait pour la construction

du phare. La Malaisie ne conteste pas que la Gran de-Bretagne a construit le phare. Mais elle ne

trouve, dans ce processus, aucun élémen t traduisant une intention parallèle ⎯une intention non

déclarée ⎯ de la part de la Grande-Bretagne de revendiquer le titre sur le territoire. Il est à noter

que, dans la documentation de ce tte époque, l’on ne trouve pas le moindre mot indiquant que la

Grande-Bretagne était animée d’une telle intention.

45. On ne peut pas non plus conclure que le document interne néerlandais, qui a été suivi par

l’envoi de deux canonnières néerlandaises près de l’île, équivaut, comme ils le disent, à une

«reconnaissance» du titre britannique, simplement parce qu’il y est mentionné que l’île faisait

partie du «territoire britannique» ⎯ pour reprendre les termes employés ou la traduction qui en est

donnée. Correctement interprétée, l’expression «territoire britannique» doit s’entendre comme

faisant partie de la sphère d’influence britannique.

22 46. Deux observations supplémentaires s’imposent à présent, bien qu’une réponse complète

à la thèse de Singapour en eût imposé beaucoup plus.

47. Premièrement, Singapour a maintes fois mentionné le fait que la construction du phare

avait été «financée» par le Gouvernement britannique . Cela est faux. Dans une note interne du - 13 -

30septembre1846, le gouverneur a indiqué, au sujet d’un phare métallique dont le coût était

estimé à 30000roupies, que 17458 roupies avaient déjà été souscrites. L’initiative du phare

Horsburgh reposait entièrement sur la souscription de négociants et de banquiers de Hong Kong et

d’autres pays. Au début, le gouvernement a fourni le montant complémentaire mais uniquement

jusqu’à une date où le prélèvement de droits de phare lui permettait de rentrer dans ses fonds

⎯une bien meilleure garantie que celle qui a ét é dernièrement demandée par les organismes de

crédit à risques.

48. Deuxièmement, Singapour a cité la décision rendue par la Cour d’appel de

Nouvelle-Zélande en l’affaire de l’Ile Pitcairn afin d’étayer la proposition selon laquelle «[i]l n’est

pas requis d’actes officiels d’acquisition. C’est l’intention de la Couronne, attestée par ses propres

actes et les circonstances contextuelles, qui détermine si un territoire a été acquis au regard du droit

30
anglais.» Les observations formulées par une cour jouissant d’une si haute autorité ne sauraient

être prises à la légère. Mais ce qu’il importe ici de relever, c’ est que les faits de l’affaire de

l’Ile Pitcairn sont très différents de ceux de la présente espèce. L’observation générale de la

Cour d’appel, à savoir que l’intention de la C ouronne doit être attestée par ses propres actes et par

les circonstances entourant l’affaire, reste valide. Mais, lorsque l’on examine les faits que je viens

d’exposer, je pense que l’on peut dire qu’il vous sera difficile d’y voir l’intention que Singapour

cherche à présent à en retirer.

49. Comme je viens de le montrer, mê me pris ensemble, les actes du Gouvernement

britannique et les circonstances dans lesquelles ils ont été accomplis, tels que Singapour les a

présentés, ne prouvent tout simplement pas l’existe nce d’une intention de revendiquer l’île. Il est

impossible d’éluder la question consistant à demander pourquoi la Couronne, en dépit des

nombreuses occasions qu’elle aurait pu raisonnablement saisir, n’a-t-elle jamais dit qu’elle annexait

l’île. La réponse est simple. La Couronne n’a jama is envisagé et n’a donc jamais eu l’intention de

procéder à une telle acquisition.

Monsieur le président, me voici arrivé à la fi n de ce premier exposé de la matinée. Je vous

remercie infiniment.

30
Ibid. p. 47. - 14 -

23 Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Sir Elihu, je vous remercie pour votre

exposé. Avant de donner la parole à l’orateur suivant, j’ai omis de vous informer que le

juge ad hoc Rao, pour des raisons qu’il m’a dûment fait c onnaître, n’est pas en mesure de siéger ce

matin mais qu’il se joindra à nous après la pause. Monsieur Schrijver, vous avez la parole.

M. SCHRIJVER :

M IDDLE R OCKS ET SOUTH L EDGE

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, au nom de Gouvernement de la Malaisie, j’ai

maintenant le privilège de répondre aux prétenti ons de Singapour à la souveraineté sur les deux

autres formations, Middle Rocks et South Ledge.

2. Comme l’a expliqué l’ Attorney-General de la Malaisie, ce n’est qu’en 1993 que

Singapour, pour la première fois, a affirmé s oudain que sa revendication de souveraineté sur

PulauBatu Puteh valait aussi pour Middle Rocks et South Ledge 31. Depuis lors, Singapour a

constamment affirmé que Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge constituent un groupe

distinct de formations maritimes partageant le même sort, y compris du point de vue de la

32
souveraineté . L’objet de mon exposé est de démontre r que ces affirmations sont dépourvues de

fondement et que, au contraire, la souveraineté sur ces deux formations appartient à la Malaisie.

Caractéristiques

3. Monsieur le président, pe rmettez-moi de dire quelques mots des caractéristiques de ces

deux formations. Middle Rocks et South Le dge sont des formations maritimes situées

respectivement à0,6 et2,2 milles marins de Pula u Batu Puteh et à 8 et 7,9 milles marins de

Tanjung Penyusoh, également dénommée Point Romani a dans la présente instance, sur la côte

continentale de la Malaisie. Toutes ces forma tions sont d’un accès f acile pour les pêcheurs

malaisiens du continent. Par contre, la côte la plus proche de Singapour est à 25,6 milles marins de

Middle Rocks et à 25 milles marins de South Ledge . Vous trouverez la carte correspondante sous

l’onglet 96 du dossier de plaidoiries.

31
CR 2007/24, p. 31-32, par. 14.
32MS, p.181-184, par. 9.9-9.17 ; CMS, p. 212-213, par. 8.18-8.20 ; RS, p. 265-272, par. 10.6-10.17. - 15 -

24 4. Middle Rocks est constituée de plusieurs rochers, découverts en permanence, de0,6

à1,2mètre de hauteur. South Ledge est un haut -fond découvrant composé de trois formations.

Celle qui se trouve le plus au nord s’élève à 2,1mètres à marée basse, les deux autres sont

immergées en permanence.

5. Comme je le démontrerai tout à l’heure, Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge

sont séparées par des canaux de navigation, ont des structures différentes et ne sont pas situées sur

la même élévation du fond sous-marin. Ce qu’ elles ont en commun, en revanche, c’est que

chacune est située dans les eaux territoriales de la Malaisie.

Le titre originaire de la Malaisie sur Middle Rocks et South Ledge

6. Pour ce qui est du titre originaire de la Malaisie, MiddleRocks et SouthLedge, qui se

trouvent à proximité de la côte du Johor, font partie de celui-ci depuis toujours. Placées

stratégiquement comme elles le sont dans le détro it de Singapour, elles faisaient partie autrefois de

l’immense Sultanat de Johor, dont nous parlons depuis plusieurs jours et dont les territoires

terrestres s’étendaient de part et d’autre du détroit.

7. La conclusion du traité anglo-néerlandandais de 1824 n’a rien changé au statut de

MiddleRocks et SouthLedge. Celles-ci sont rest ées dans la sphère d’in fluence britannique telle

que le traité l’avait établie. Les deux formations ne furent pas davantage comprises dans la cession

de Singapour par le Johor à la Compagnie britanni que des Indes orientales cette même année.

Dans le traité Crawfurd, cette cession était e xpressément limitée à 10 milles géographiques autour

de l’île principale de Singapour.

8. Il est vrai bien sûr que, MiddleRocks et SouthLedge étant des formations relativement

mineures, il n’y fut guère prêté attention. Mais, Monsieur le président, c’est parce qu’elles étaient

considérées comme faisant partie d’un plus vaste ensemble d’îles dépendant du Johor. Comme le

33 34
démontre l’avis d’expert de M. Andaya ainsi que deux déclarations sous serment , aussi loin que

l’on remontre dans l’histoire les pêcheurs du J ohor ont toujours pêché autour de ces formations.

33
Avis de M. Andaya, RM, app. 1
34CMM, vol. 2, annexes 5-6. - 16 -

35
Contrairement à ce que Singapour peut prétendre , aussi bien avant qu’après l’indépendance, le

Johor puis la Malaisie exerçait aussi sa souvera ineté sur elles, évidemment dans les limites

inhérentes à leur nature. C’est ce que prouvent le fait qu’elles sont figurées dans les limites des

eaux territoriales malaisiennes tracées en 1968 pa r le contre-amiral Thanabalasingam sur la
25

carte2403 de l’Amirauté de1936, ainsi que le fait qu’elles étaient incluses dans la zone pour

laquelle avaient été accordées des concessions pétro lières, et qu’elles étaient comprises dans les

36
eaux malaisiennes selon la loi de 1985 sur la pêche .

9. Le 14 février 1980, lorsque Singapour revendiqua pour la première fois la souveraineté sur

PulauBatuPuteh, il ne fut pas question de Midd leRocks et SouthLedge. Ce n’est que le

6février1993 (treize ans plus tard), au cours de consultations entre la Malaisie et Singapour sur

PulauBatuPuteh, que Singapour, pour la pr emière fois, revendiqua la souveraineté sur

Middle Rocks et South Ledge. Evidemment, cette revendication émise tardivement par Singapour

à l’égard de ces deux formations est motivée avant tout par le désir de renforcer sa revendication

sur Pulau Batu Puteh.

10. Pour appuyer ses prétentions sur MiddleRocks et SouthLedge, Singapour a avancé

l’argument que toutes deux forment avec Pulau Batu Puteh un seul groupe de formations

maritimes : pendant son premier tour de plaidoiries, Singapour a parlé de «groupe indivisible» 37ou

38
d’un «même groupe d’îles» . Et notre confrère M.Pellet est allé jusqu’à dire que «l’«archipel»

que forment Pedra Branca et Middle Rocks constitue une unité et [que], dès lors, South Ledge se

39
trouve dans leur mer territoriale commune» . La difficulté, cependant, c’est que ces trois

formations ne peuvent être décrites comme un groupe, et encore moins comme une unité collective

présentant des caractéristiques communes. En conséquence, je pense que ce serait faire perdre le

temps de la Cour que d’analyser en détail la notion d’eaux archipélagiques telle qu’elle apparaît

dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer et en particulier l’article 46 sur l’emploi

des termes. Attendons le second tour pour voir jusqu’où l’imagination de Singapour l’emportera.

35CR 2007/23, p. 48, par. 2; voir aussi MS, p. 184-190par. 9.18-9.33; CMS, p.209-211, par.8.12-8.17; RS,
p. 271-272, par. 10.16.

36Voir dossier de plaidoiries, onglet 97.
37
CR 2007/20, p. 18, par. 10.
38CR 2007/20, p. 22, par. 31.

39CR 2007/23, p. 52, par. 13. - 17 -

11. Pour déterminer si un ensemble d’îles, de rochers et de hauts-fonds découvrants forment

un groupe unique, les principaux critères sont premièrement leurs rapports spatiaux et

deuxièmement la conviction chez ceux qui les ont découverts ou ceux qui les ont utilisés par la

suite qu’ils constituent un grou pe, conviction attestée, notamment, par le choix d’un nom unique

pour désigner le groupe.

26 12. Au cours de son premier tour de plaidoiries, Singapour a avancé un certain nombre

d’arguments pour appuyer la thèse selon laquelle le sort des trois forma tions est nécessairement

40
lié . A la fin son exposé, M.Pellet a résumé les éléments suivants, censés corroborer sa

conclusion :

⎯ leur proximité ;

⎯ la géomorphologie ;

⎯ la toponymie ;

⎯ la situation des trois formations ;

⎯ la cartographie ;

⎯ le traitement commun dont ces formations font l’objet dans les guides et instructions

nautiques ;

41
⎯ l’impossibilité de distinguer les actes de souveraineté accomplis sur les trois formations .

J’examinerai tout à tour ces arguments.

L’argument de la proximité

13. Singapour soutient que, en raison de leur proximité, Middle Rocks et South Ledge

appartiennent à Pulau Batu Puteh : ce sont des «f ormations maritimes mineures qui se trouvent au

sein des eaux territoriales de Pedra Branca» 42.

14. On se souviendra que des arguments fondés de même sur la proximité avaient été

avancés par l’Erythrée dans la procédure arbitrale qu i l’opposait au Yémen. Partant de la méthode

dite du «saute-mouton» de détermin ation de la ligne de base de la mer territoriale, l’Erythrée

énonça une théorie ingénieuse, à savoir que, puisque la largeur de la mer territoriale peut être

40CR 2007/23, p. 48, par. 2.
41
CR 2007/23, p. 53, par. 16.
42MS, p. 180, par. 9.7. - 18 -

mesurée à partir d’une ligne de base tracée de f açon à englober toutes les îles situées dans la mer

territoriale, la ligne de base peut donc légalement être tracée de façon à comprendre toute une

chaîne ou tout un groupe d’îles quand il n’existe pas entre les îles d’intervalle supérieur à

43
12 milles .

15. En réponse à cette théorie, le tribunal arbitral, dans la sentence rendue dans la première

étape, releva que la difficulté que soulevait en l’espèce la méthode du saute-mouton était qu’elle

27 anticipait la réponse à la question litigieuse préci sément posée au tribunal: Auxquels des deux

Etats côtiers ces îles appartenaient-elles ? Le tribunal déclara qu’il existait une forte présomption

en vertu de laquelle des îles situées à l’intérieur d’une zone de 12 m illes de la côte appartiennent à

l’Etat côtier, à moins que la conclusion contraire ne soit parfaitement établie (par exemple, dans le

cas des îles Anglo-Normandes Minquiers et Ecréhous). Cependant, fit observer le tribunal arbitral

dans cette affaire Erythrée/Yémen,

«il n’existe pas de présomption analogue en dehors de la zone cô tière, où la propriété
des îles devient manifestement litigieuse. La propriété d’îles adjacentes crée

incontestablement un droit à une mer territoriale correspondante, mais le fait d’étendre
simplement la largeur de la mer territoriale au-delà de la zone côtière autorisée ne peut
pas créer un soi le titre de souveraineté su r les îles ainsi englobées. Et quand bien
même, il existerait une présomption en faveur de la souveraineté de l’Etat côtier sur

les îles situées dans la mer territoriale de 12 milles d’une île située elle-même dans la
zone côtière, ce ne serait là guère plus qu’une présomption susceptible d’être
valablement combattue par la preuve de l’existence d’un titre supérieur.» 44

Le même raisonnement, Monsieur le président, do it s’appliquer en l’espèce. Le simple fait de

mesurer la mer territoriale à partir de Pulau Batu Puteh ne peut en soi engendrer la souveraineté sur

Middle Rocks et South Ledge.

16. Il faut aussi rappeler que la Cour, dans l’arrêt qu’elle a rendu r écemment dans l’affaire

Nicaragua c.Honduras , a clairement jugé que «la proximité en tant que telle ne permet pas

nécessairement d’établir un titre juridique» (affaire du Différend territorial et maritime entre le

Nicaragua et le Honduras dans la m er des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras) , arrêt du

8 octobre 2007, par. 161). La Cour a rejeté l’argument du Nicaragua selon lequel les îles en litige

étaient plus proches d’Edinburgh Cay, qui appartient au Nicaragua. Même si elle n’a pas fondé ses

43
Erythrée/Yémen, sentence du tribunal arbitral dans la première étape de la procédure (Souveraineté territoriale
et champ du différend), 9 octobre 1998, Permanent Court of Arbitration Award Series, vol. 1, p. 423, par. 473.
44
Ibid., p. 423, par. 474. - 19 -

conclusions sur l’adjacence, la Cour a observé que, en tout état de cause, les îles en litige étaient en

réalité plus proches de la côte du Honduras que de celle du Nicaragua 4. De même, dans la

présente espèce, Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge sont plus proches de la côte de la

Malaisie que de celle de Singapour.

La géomorphologie

17. Singapour fait aussi valoir que les troi s formations ont les mêmes caractéristiques

géomorphologiques et géologiques 4. Toutefois, elle n’indique pas clairement si ces

caractéristiques sont limitées aux trois formations seulement, ou si elles s’étendent vers le nord

jusqu’aux îles Romania ou vers le sud jusqu’à Pulau Bintan. Dès 1870 ⎯la référence se trouve

28 dans nos écritures ⎯ on savait que ces trois formations étaient séparées par des chenaux de

47
navigation et ne se trouvaient pas sur la même élévation de la plate-forme sous-marine . Et

l’argument de Singapour selon lequel les trois formations sont constituées à peu près du même type

48
de roche , Monsieur le président, n’est pas très convaincant. On retrouve ce même type de roche

sur un certain nombre d’îles entre la côte du Johor et Pulau Bintan en Indonésie, de l’autre côté du

détroit. Une chose est certaine : géologiquement, ces trois formations ne présentent pas les mêmes

caractéristiques que l’île de Singapour. Le Johor, si.

La toponymie, le nom unique

18. En ce qui concerne la toponymie, dans ses arguments, Singapour appelle l’attention sur

la situation géographique des trois formations, entr e le Middle Channel et le South Channel, et sur

le nom qui leur a été donné 49. Mais le fait que South Ledge soit au sud de Pulau Batu Puteh et que

MiddleRocks se situe entre PulauBatuPuteh et SouthLedge, comme vous pouvez le voir

maintenant à l’écran, ne suffit pas à justifier que ces formations soient nécessairement considérées

comme un groupe. Rappelez-vous que M.Koh n’a pas pu les montrer toutes les trois sur une

même carte, parce que, comme il l’a dit, S outhLedge était située hors du cadre de la

45Arrêt du 8 octobre 2007, par. 164.

46MS, p. 183, par. 9.16, p. 195-196, par. 9.46-9.47 ; CMS, p. 203-205, par. 8.6-8.7 ; RS, p. 270, par. 10.13.
47
Voir CMM, p. 78, par. 154.
48MS, p. 183, par. 9.16.

49CR 2007/23, p. 53, par. 16 ; CMS, p. 208, par. 8.9 d). - 20 -

photographie . Et le fait ⎯ gênant pour Singapour ⎯ demeure que ces trois formations, sauf dans

un cas, n’ont jamais été nommées en tant que groupe. Le fait même que ces formations sont

proches l’une de l’autre ne signifie pas qu’elles font partie d’un seul et même groupe.

La situation et l’argument afférent à la dépendance

19. Dans son mémoire, Singapour affirme que MiddleRocks et SouthLedge «ne sont que
51
des dépendances de PedraBranca» . La position de Singapour est que «[q]uiconque détient

PedraBranca détient MiddleRocks et SouthLedge, qui sont des dépendances de l’île de

52
PedraBranca et forment avec cette dernière un seul et même groupe de formations maritimes» .

Pour appuyer sa position, Singapour cite abondamment l’affaire El Salvador/Honduras , dans

laquelle une Chambre de la Cour a considéré la petite île de Meanguerita comme une dépendance

de l’île, plus grande, de Meanguera , en raison de l’exiguïté de la première, de sa proximité par
29

rapport à la plus grande île et du fait qu’elle était inhabitée ( Différend frontalier terrestre, insulaire

et maritime (ElSalvador/Honduras; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J.Recueil1992 , p.570,

par.356). Cette comparaison, cependant, n’a pas lieu d’être. Singapour a oublié un aspect

important de cette affaire —que la Chambre n’ avait pas manqué de mentionner— à savoir que

«Tout au long des débats devant la Chambre, les îles de Meanguera et Meanguerita ont été traitées

par les deux Parties comme constituant une seule un ité insulaire; aucune Partie n’a, dans ses

conclusions finales, demandé que les de ux îles soient traitées séparément.» (Ibid.) Comme il

ressort à l’évidence du libellé du compromis dans la présente affaire, la Cour a été priée de se

prononcer sur la souveraineté sur Pulau Batu Pute h, Middle Rocks et South Ledge respectivement,

et non sur la souveraineté de ces trois formations en tant qu’unité. En cela aussi l’affaire s’oppose

à celle des Minquiers et des Ecréhous, dans laquelle la Cour avait été invitée ⎯ je cite le

compromis— «à dire d’une manière générale à la quelle des Parties appar[ tenait] la souveraineté

sur chaque groupe dans son ensemble, sans déterm iner en détail les faits relatifs à chacun des

éléments constitutifs des groupes» ( Minquiers et Ecréhous (France/Royaume-Uni), arrêt ,

C.I.J. Recueil 1953, p. 53). Monsieur le président, dans la présente espèce, la Cour est invitée par

50CR 2007/20, p. 18, par. 9.
51
MS, p. 180, par. 9.8 et p. 198, par. 9.52 a).
52MS, p. 180, par. 9.7. Voir aussi CR 2007/20, p. 18, par. 10. - 21 -

le compromis à déterminer à qui appartient la souveraineté sur chacune des trois formations

séparément. Et c’est aussi ce qui ressort de l’emploi du singulier «appartient» de préférence au

pluriel «appartiennent».

Navigation

20. En ce qui concerne la navigation, Singapour prétend que Pulau Batu Puteh,

53
MiddleRocks et SouthLedge ne sont pas séparées par des chenaux navigables . Cela est tout

simplement inexact 54.

21. En réalité, PulauBatuPuteh et MiddleRo cks sont deux groupes de rochers distincts,

séparés par un chenal navigable de 970mètres (0,53mille marin) de largeur et d’au moins

10,1 mètres de profondeur. Les navires ayant un tirant d’eau d’environ 7 mètres peuvent naviguer

entre PulauBatuPuteh et MiddleRocks. SouthLe dge et MiddleRocks sont séparées par un bras

de mer d’environ 3000mètres (1,6 mille marin) de largeur, et de plus de 20 mètres de profondeur

30 en général. Il existe une zone où les ea ux sont moins profondes (18,3mètres de fond) à

1000mètres environ au nord de SouthLedge 55. En évitant cette zone, toutefois, les navires d’un

tirant d’eau de 17mètres peuvent aisément naviguer entre MiddleRocks et SouthLedge.

L’affirmation de Singapour selon laquelle le bras de mer qui sépare Pulau Batu Puteh de

Middle Rocks, dont la profondeur maximale est de 32 mètres, et celui qui sépare Middle Rocks de

South Ledge, dont la profondeur maximale est de 36 mètres, sont «extrêmement peu profonds» est

fallacieuse. N’importe quel capitaine expérimenté confirmera que 32 à 36 mètres de fond dans les

eaux côtières constituent une grande profondeur.

22. Et il n’est pas vrai non plus, comme M. Pellet l’a dit, que seuls «de petits bateaux

56
intrépides peuvent s’y aventurer à leurs risques et périls» . M. Pellet a ajouté que c’est pour cette

raison qu’il n’y a «qu’un intérêt pl us que limité pour la navigation» 57. Mais la véritable raison

pour laquelle la navigation entre les deux formations ne présente qu’un intérêt limité est qu’il est

53CR 2007/23, p. 49-50, par. 6-8 ; RS, p. 270, par. 10.13 ; CMS, p. 205-206, par. 8.8.

54Voir le rapport du capitaine Goh Siew Chong, RM, vol. 1, app. III.
55
Voir dossier de plaidoiries, onglet 98.
56CR 200723, p. 50, par. 8.

57Ibid. - 22 -

considérablement plus long de passer par ces chenau x que par le Middle Channel. En outre, le fait

que ces chenaux peuvent être empruntés par des navir es d’un tirant d’eau allant jusqu’à 17 mètres

signifie qu’ils ne sont pas seulement praticables pour les «petits bateaux» de M. Pellet 58.

23. Selon Singapour, que la principale voie de navigation de la région, le MiddleChannel,

soit plus large et plus profonde que les chenaux qui séparent Pula u Batu Puteh, Middle Rocks et

59
SouthLedge confirme d’une certaine manière que ces trois formations ne sont pas distinctes .

Mais cette conclusion n’est pas logique. La prof ondeur et la largeur du MiddleChannel est sans

importance du point de vue du caractère distinct de ces trois formations. Comme le capitaine Goh

le déclare dans son témoignage, ce qui compte, c’est de savoir si les chenaux séparant

Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge sont navigables. Or, ils le sont. Ils peuvent être

empruntés par des navires d’un tirant d’eau important.

Cartographie

24. Comme la documentation historique présen tée dans les écritures de la Malaisie le

montre, on ne trouve dans les instruments juridi ques, les cartes marines ou les documents aucune

indication du fait que les trois formations aura ient jamais été considérées comme un groupe.

31 Jamais non plus elles n’ont reçu un nom collectif du genre «rochers de Pedra Branca» ou «rochers

Horsburgh» —à l’exception d’un cas, et un seul, où PedraBranca et MiddleRocks ont été

appelées en raccourci «groupe Horsburgh» en 1958 60.

25. Le fait que cela n’ait pas été fait dans la présente affaire montre que les navigateurs et

autres ont toujours considéré ces formations comme séparées et distinctes.

Guides et instructions nautiques

26. Les trois formations sont connues depuis longtemps et, à l’époque de la navigation à

voile, elles étaient considérées comme un danger de navigation qu’il fallait contourner en passant

58Ibid.
59
CMS, p. 204, par. 8.9 b).
60Voir CMS, p. 207, par. 8.9 b) ; RS, p. 268, par. 10.11 b). - 23 -

largement au nord ou au sud. A partir du mo ment où des navires à moteur commencèrent à

fréquenter ces eaux, ils purent naviguer entre les fo rmations, qui étaient petites et séparées par des

61
chenaux de profondeur variable, mais suffisante .

27. Singapour soutient que «la Malaisie ne peut … faire état du moindre guide ou de la

moindre instruction nautique signalant l’existe nce d’un chenal navigable à cet emplacement: il

n’existe que dans l’imagination, que lque peu orientée, du capitaine Goh» 62, de Singapour.

Cependant, Monsieur le président, entre autres doc uments, la Malaisie voudrait appeler l’attention

de la Cour sur les instructions aux pilotes pour l’approche nord-est du détroit de Singapour où il est

dit que «le passage entre Middle Rocks et South Ledge est possible à marée basse, à condition que

toutes deux soient bien visibles». Monsieur le président, si le passage est possible à marée basse, il

63
est facile à marée haute . Le document en question figure sous l’onglet 99 de votre dossier.

28. En bref, il est hors de doute que les trois formations sont séparées par des chenaux

navigables. En effet, tous les éléments de preuve disponibles ⎯ géomorphologiques,

hydrographiques, nautiques, historiques ⎯ indiquent que ces formations doivent être considérées

comme des formations maritimes distinctes, et non comme des éléments constitutifs d’un même

groupe d’îles.

29. En dehors de cette liste de M. Pellet, j’ aimerais aussi aborder quelques autres arguments

avancés dans les écritures de Singapour.

32 L’argument tiré de l’absence d’appropriation distincte

30. Le premier de ces arguments est qu’il n’y a pas eu d’appropriation à titre individuel.

Dans ses écritures, Singapour soutient qu’«au cun Etat ne s’est approprié… isolément»

Middle Rocks et South Ledge 64. Cela, cependant, n’est pas conforme aux faits. Middle Rocks et

South Ledge ont toujours été sous la souverainet é d’abord du Johor, puis de la Malaisie. La

Grande-Bretagne n’a jamais émis aucune revendication, ni même aucune demande, à l’égard de ces

61Voir MM, par. 293.
62
CR 2007/23, p. 50, par. 8.
63British Admiralty Sailing Directions, Malacca Strait and West Coast of Sumatra P(NP 44, 6th ed., 1987,

p. 217). Voir dossier de plaidoiries, onglet 99.
64MS, p. 180, par. 9.7. - 24 -

deux formations. Dans toute la correspondance de la période 1844-1851, si méticuleusement

analysée par mes confrères, MM. Kohen et sir El ihu, on ne trouve pas la moindre référence à

MiddleRocks et SouthLedge et pas la moindre manifestation d’intérêt à leur égard. Rien

d’étonnant à ce que Singapour soit muet sur ce point.

31. Monsieur le président , lorsque, dans l’affaire du Canal de Beagle , le tribunal arbitral

examina la question de savoir s’il pouvait être fo ndé à diviser un groupe d’îles, il releva: «Le

mandat du tribunal imposant de trancher selon le droit international, la division devrait être fondée

sur une différence de nature juridique entre la situation d’une des îles par rapport à celle des deux

65
autres.» Dans la présente espèce, il est incontestable que les Britanniques n’avaient à l’esprit que

la situation particulière de Pula u Batu Puteh lorsqu’ils ont demand é l’autorisation de construire et

d’exploiter un phare sur l’île. Le fait que la demande formelle émanant des Britanniques et

l’autorisation donnée par le temenggong concernaient Pulau Batu Puteh ⎯et elle seule ⎯ dénote

manifestement une «différence de nature juridique», pour paraphraser la sentence du Canal de

Beagle, qui fait que la Cour doit traiter séparém ent Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et

South Ledge.

L’argument tiré de la communauté de destin en matière de souveraineté

32. Quant à l’autre argument avancé par Singapo ur, la communauté de destin en matière de

souveraineté, il repose sur l’hypothèse erronée que les trois formations constituent un groupe:

invoquant le principe selon lequel les îles d’un groupe doivent suivre le sort de l’île principale,

Singapour considère que «la souveraineté sur Mi ddleRocks et SouthLedge appartient donc à

66
Singapour en vertu de la souveraineté de Singapour sur Pedra Branca» .

33 33. Monsieur le président, cela pourrait être in terprété comme une invitation à appliquer au

droit international l’adage «l’accessoire suit le pr incipal». On peut douter cependant qu’un tel

principe existe en droit international ( Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar

et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J.Recueil2001 , opinion dissidente commune des

juges Bedjaoui, Ranjeva et Koroma, p. 166, par. 61-62).

65
Arbitrage du canal de Beagle (Argentine c.Chil, sentence, 18 février 1977, 5ILR 97, p.169, par.83
[traduction du Greffe].
66
CR 2007/20, p. 23, par. 31. - 25 -

34. Comme le roi Victor-Emmanuel III, arbitre unique dans l’affaire de la délimitation de la

Guyane britannique entre le Brésil et la Grande-Bretagne, le faisait observer dans sa sentence : «la

possession effective d’une partie d’une région… ne saurait conférer un droit à l’acquisition de

l’ensemble d’une région qui, soit par sa dimension, soit par sa configuration physique, ne peut pas

être considérée comme un même tout organique de facto» 67.

35. Ainsi que l’ont montré les paragraphes qui précèdent, les trois formations ne peuvent pas

être considérées de facto comme un même tout organique, précisément à cause de leur

configuration physique, qui fait qu’elles sont des formations maritimes distinctes.

36. Si néanmoins la Cour inclinait à conclure que les trois îles constituent un groupe, il n’en

résulterait pas nécessairement que, parce que Pula u Batu Puteh pourrait appartenir à Singapour,

Middle Rocks et South Ledge relèveraient aussi ipso facto de la souveraineté de Singapour. La

souveraineté sur les îles doit, en tout état de cause, être examinée de manière distincte. Comme l’a

fait observer le tribunal arbitral de l’affaire Erythrée/Yémen dans la première étape de la procédure,

en 1998 : «Il serait erroné de tenir pour acquis que les îles doivent être attribuées ensemble à l’une

des Partie ou à l’autre. A cet égard, le tribuna l rejette la thèse du Yémen qui plaide que toutes les

îles du groupe doivent en principe, du point de vue de l’exercice de la souveraineté, partager un
68
même destin.»

37. D’ailleurs, les arguments fondés sur la «communauté de destin en matière de

souveraineté» n’ont pas non plus été acceptés par votre Cour dans l’affaire Qatar c. Bahreïn, où la

thèse du Bahreïn qui prétendait avoir la souveraineté su r l’île de Janan en tant que partie intégrante

des îles Hawar a été clairement rejetée (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar

et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 90-91, par. 164-165).

38. S’il fallait vraiment distinguer un groupe de formations maritimes, Monsieur le président,

Messieurs de la Cour, ce serait le groupe constitué par Middle Rocks et South Ledge. South Ledge

34 se trouve à 1,7mille marin de Middle Rocks et à 2, 2milles marins de Pulau Batu Puteh. Cela

signifie que le haut-fond découvrant dénommé South Ledge se rattacherait à Middle Rocks plutôt

67
Arbitrage de S. M. le roi d’Italau sujet de la frontière entre la col onie de la Guyane britannique et les
Etats-Unis du Brésil, Rome, 6 juin 1904 [traduction du Greffe].
68Cour permanente d’arbitrage, Permanent Court of Arbitration Award Series, vol. 1, p. 429. - 26 -

qu’à Pulau Batu Puteh, pour la simple raison qu’il est situé dans la mer territoriale de

MiddleRocks. Comme la Cour l’a observé en 2002 dans l’affaire Qatar c. Bahreïn: «un Etat

côtier exerce sa souveraineté sur les hauts-fonds découvrants situés dans sa mer territoriale,

puisqu’il exerce sa souveraineté sur la mer territoriale elle-même» (ibid., p. 101, par. 204).

Conclusion

39. En conclusion, Monsieur le président, Messieurs de la Cour, nous sommes ici en

présence d’une revendication qui est apparue soud ainement plus de douze ans après la date

critique.

40. Quelle que soit la manière dont on envisage Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et

South Ledge ⎯que ce soit à travers le prisme de la géologie, celui de la géomorphologie, de

l’hydrographie, de la navigation ou du droit international ⎯ elles sont et resteront trois formations

maritimes séparées et distinctes. La toponymie, la proximité de ces formations entre elles, et les

autres aspects examinés par M.Pellet ne peuvent rien changer à cette conclusion. Singapour ne

peut pas affirmer sa souveraineté sur Middle Rock s et South Ledge simplement en accrochant en

passant un additif à sa revendication de souverainet é de1980 sur Pulau Batu Puteh. Elle doit

démontrer sa souveraineté pour chacune des formations individuellement, et il est manifeste qu’elle

ne l’a pas fait.

41. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de l’aimable attention que

vous avez prêtée à l’analyse du statut juridique de ces formations. Je vous prie de bien vouloir

appeler maintenant à la barre mon confrère sir Elihu Lauterpacht pour poursuivre l’exposé de la

Malaisie. Je vous remercie.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Je vous remercie de votre exposé,

Monsieur Schrijver, et je donne à la parole à sir Elihu Lauterpacht.

Sir Elihu LAUTERPACHT: Monsieur le président et Messieurs de la Cour, je suis navré

que les circonstances de cette affaire vous imposent de me supporter une seconde fois aujourd’hui.

Mais vous serez certainement soulagés d’apprendre que vous ne m’entendrez plus cette semaine. - 27 -

35 L A PRATIQUE BRITANNIQUE CONCERNANT PBP

La nature des actes de la Grande-Bretagne en tant qu’exploitante de phare

1. Ma tâche consiste maintenant à répondre aux arguments de Singapour concernant l’effet

de l’administration du phare par la Grande-Bretagne entre la mise en service de l’édifice, en 1851,

et 1965, lorsque Singapour accéda à l’indépendance. Je ne m’y a ttèle qu’avec la plus grande

réticence ⎯ non que je n’aime point m’adresser à vous, mais la Malaisie est fermement convaincue

que, une fois démontré que Pulau Batu Puteh n’était pas terra nullius en 1847 et appartenait au

Johor, la conduite ultérieure de la Grande-Bretagne n’a pas lieu d’être prise en considération. Il ne

devrait donc pas être nécessaire d’examiner cette conduite. Ne me tenez pas rigueur d’avoir répété

si souvent ce point tout à fait fondamental. Cela étant, certains passages de l’exposé de M. Bundy

69
du 8novembre semblent indiquer que celui-c i pourrait ne pas partager ce point de vue . D’un

côté, M.Bundy reconnaît fort justement qu’un «argument… fond[é]… sur la notion de

70
prescription … n’a aucun rôle à jouer en l’espèce» , mais, d’un autre côté, dans un passage voisin,

il s’adonne à une sorte de gymnastique ve rbale peut-être censée donner l’impression que,

nonobstant l’exclusion de la prescription, il deme ure en quelque sorte possible pour la Cour de

passer outre au titre du Johor sur la base de la conduite suivie par la Gr ande-Bretagne après 1851.

Voici comment il s’y prend : il commence par laisser entendre ⎯ c’est le début du paragraphe 67

du compte rendu ⎯ que le titre sur Pulau Batu Puteh pouvait d’une certaine façon n’être pas encore

clairement établi en 1851, avant d’ajouter :

«admettons que ce…soit [le cas]—le titr e continuerait de revenir aujourd’hui à
Singapour en vertu de sa conduite étatique su r l’île dans les années qui suivirent…

«Dans l’éventualité où l’«eff ectivité» ne coexiste avec aucun titre juridique, elle doit
inévitablement être prise en considération.»»

Puis, poursuit-il,

«Dans pareil cas, la Cour serait confrontée au même genre de situation qu’elle a
dû affronter dans les affaires des Minquiers et des Ecréhous, Indonésie/Malaisie et,
récemment, dans l’affaire Nicaragua c.Honduras ⎯et [pu constater] en l’affaire

Erythrée/Yémen ⎯, dans lesquelles la question de la souveraineté a été tranchée en
déterminant quelle était la partie dont le titre était clairement attesté par des actes
accomplis sur le territoire en litige à titre de souverain.»

69
CR 2007/22, p. 28-29.
70
Ibid., p. 29, par. 69. - 28 -

Mais la présente espèce ne relève pas de la même ca tégorie. Dans aucune de ces affaires, en effet,

l’examen de la conduite des parties n’avait pour point de départ une conclusion préalable (qui

s’impose ici, d’après la Malaisie) selon laquelle l’ une d’elles détenait un titre clair sans que l’autre

36 invoque la prescription. L’affaire des Minquiers portait sur un différend classique : il s’agissait de

savoir laquelle des deux Parties avaient acquis le titre, aucun titre antérieur n’ayant été reconnu à

l’une ou à l’autre ; de même pour les autres affaires mentionnées par M. Bundy. Ici, la situation est

radicalement différente; toute analyse des efforts entrepris par Singapour après 1851 présuppose

une reconnaissance du titre antérieur du Johor. Li bre à Singapour d’en disconvenir, mais nous

n’avons assurément pas affaire en l’espèce à des effectivités concurrentes ⎯ pas plus que le titre du

Johor sur l’île, à le supposer avéré en 1847, pourrait n’avoir «pas encore [é té] clairement établi

en 1851». Je répète donc ⎯ veuillez m’en excuser une nouvelle fois ⎯ que le débat dans lequel je

vais à présent m’engager est, à strictement parler, dénué de pertinence.

2. Singapour soutient que, pendant cette période, la Gr ande-Bretagne accomplit sur

Pulau Batu Puteh ou à son égard des actes qui eurent pour effet de confirmer et de maintenir le titre

qu’elle avait déjà établi par ses activités des années 1847 à 1851.

3. Là encore, il convient de préciser en guise d’introduction que rien de ce qui s’est produit

après 1851 n’a pu conférer de titre à la Grande-Bretagne si celle-ci ne l’avait pas déjà acquis à cette

date. Singapour le reconnaît. Il n’est donc pas vraiment nécessaire de revenir une énième fois sur

ce point. Toutefois, étant donné l’insistance répété e de Singapour sur ces faits , la Malaisie estime

devoir en examiner au moins quelques-uns. Les élém ents de preuve que je vais maintenant passer

en revue démontreront que les activités menées pa r la Grande-Bretagne après 1851 à l’égard du

phare Horsburgh et de Pulau Batu Puteh relevaient de l’exploita tion pure et simple; elles ne

traduisaient aucune intention d’acqué rir la souveraineté, pas plus qu’e lles n’ont eu un tel effet. Il

s’agissait simplement de ce que l’on attendrait de la part d’un exploitant de phare responsable.

4. Je m’attacherai à plusieurs éléments particu liers. Le premier sera la pratique britannique

e e
des XIX et XX siècles concernant l’établissement et l’administration des phares d’une manière

générale. Il en ressort que la Grande-Bretagne a établi des aides à la navigation sur le territoire

d’autres Etats sans avoir nullement l’intention par là d’acquérir la souveraineté sur les lieux

concernés. Cela me conduira, dans un deuxième temps, à rappeler brièvement la jurisprudence - 29 -

relative aux phares. En parfait accord avec la pratiq ue des Etats, cette jurisprudence confirme que

l’administration de phares ne détermine pas la souveraineté. J’en viendrai ensuite, dans un

troisième temps, au système de phares des détro its de Singapour et de Ma lacca en tant que nouvel

exemple d’une pratique britannique synonyme uniquement d’administration, et non de

souveraineté. Cela supposera d’ex aminer la conduite suivie par la Grande-Bretagne dans le cas

précis du phare Horsburgh, afin de démontrer que les actes britanniques n’étaient par nature rien

37 d’autre que des actes d’administration ou d’exploitation. Enfin, je reviendrai sur la correspondance

de 1953 en ce qu’elle confirme que la Grande-Bretagne n’estimait pas avoir souveraineté sur Pulau

Batu Puteh.

1. La pratique britannique au XIX esiècle concernant l’administration de phares situés en
territoire étranger 71

e
5. Je commencerai donc par la pratique de la Grande-Bretagne au XIX siècle concernant

l’administration de phares situés hors du territoir e britannique. La pratique étatique démontre

amplement l’existence d’une distin ction entre la souveraineté sur le territoire et l’administration

ordinaire d’un phare. Cette distinction est une car actéristique notable de la pratique britannique du

e e
milieu du XIX au milieu du XX siècles, perdurant même à l’heure actuelle. La pratique suivie par

la Grande-Bretagne dans la cons truction et l’administration de phares de par le monde n’a jamais

constitué une prise de possession légale du territoire sur lequel se trouvait le phare aux fins d’y

établir une souveraineté, et la Grande-Bretagne ne l’a jamais considérée comme telle.

6. A cet égard, il est utile d’apprécier les motivations de la Grande-Bretagne lorsqu’elle

établit des aides à la navigation. L’objectif essentiel était d’assurer la sécurité de la navigation afin

de favoriser les activités commerciales de la Grande-Bretagne et celles liées à sa qualité d’empire.

Celle-ci ne se souciait guère d’ acquérir de minuscules îlots, rochers ou d’autres parcelles de

territoire sur lesquels les phares pouvaient être c onstruits. La Malaisie ayant déjà longuement

analysé la pratique britannique dans son contre -mémoire, je me contenterai aujourd’hui de la

résumer. Des nombreux exemples illustrant la pra tique britannique, je ne mentionnerai que l’un

des plus éloquents : il se rapporte à des faits qui se déroulèrent dans ce que l’on appelle simplement

71Voir, d’une manière générale, CMM, chap. 6. - 30 -

aujourd’hui le Golfe 72. En 1911, la Grande-Bretagne prit le contrôle des aides à la navigation

situées dans le Golfe, et le gouvernement de l’In de se chargea de leur administration. Les

Gouvernements britannique et indien partageaien t les frais d’administration. Ensemble, ils

établirent des phares importants dans le Golfe, par exemple sur les îles de Tunb, de Quoin ou sur

l’île de Didamar, située sur le territoire du sulta n de Mascate (aujourd’hui Oman), ainsi que la

73
balise de Mascate, au large de la côte d’Oman ⎯les voici tous à l’écran devant vous. A la fin

des années quarante, trente et une aides à la navi gation étaient établies, dont certaines avaient été

construites par le Gouvernement britannique ou indien avec l’autorisation des chefs locaux, tandis

que, dans d’autres cas, aucune autorisation de la so rte ne semble avoir été accordée. En 1947, le

38 contrôle de l’administration et du financement des phares du Golfe fut transféré au seul

Gouvernement britannique. En 1950, la responsabilité des phares fut transférée à une société à but

non lucratif constituée selon le droit anglais qui, en 1966, fut rebaptisée le Middle East Navigation

Aids Service (MENAS). Le MENAS continue d’administrer des phares et d’autres aides à la

navigation sur les territoires du Koweït, des Emirats arabes unis et de Qatar. Mais nul ne suggère

que la Grande-Bretagne ait acquis une souveraineté en ces lieux.

7. Lorsque le Gouvernement omanais indiqua qu ’il souhaitait prendre le contrôle des aides à

la navigation situées sur son territoire, il ne fit aucun doute qu’il y était autorisé, même si les phares

concernés avaient été pour la plupart construits, détenus et exploités par le MENAS. La propriété

et le contrôle des phares furent transférés à l’Oman et le MENAS fut dédommagé.

8. En guise d’autre exemple d’administration britannique d’un phare situé sur le territoire

d’un autre Etat, citons le cas du phare Sombrero d’Anguilla dont la Gr ande-Bretagne assura

l’administration et l’entretien de 1984 à 2001 74.

9. La Grande-Bretagne n’est pas le seul Etat ayant administré des phares sans formuler de

revendication de souveraineté. Le phare du cap Sp artel fut établi par un traité de 1865 qui porta

création d’une commission internationale chargée d’ administrer le phare sur le territoire du sultan

72CMM, par. 216-217 ; 221-227.
73
Voir dossier de plaidoiries, onglet 100.
74CMM, par. 219. Voir également CMM, vol. 2, annexe 1, par. 19. Voir la référence à Gibraltar, par. 20-22. - 31 -

du Maroc. De même, la République d’Irlande, agi ssant par l’intermédiaire des Commissioners of

Irish Lights, le service des phares officiel de la République d’Irlande, administre des aides à la

navigation en Irlande du Nord, qui fait toujours partie du Royaume-Uni 75.

10. Singapour a tenté d’opérer une distinc tion entre des exemples tels que ceux-ci et

PulauBatu Puteh, motif pris de l’autorisation acco rdée à l’administrateur par le souverain local.

Ainsi que M.Kohen vous l’a indiqué, le sultan et le temenggong de Johor accordèrent pareille

autorisation dans le cas de Pulau Batu Puteh en 1844. Comme ces exemples l’illustrent, la manière

dont la Grande-Bretagne a agi à l’égard de Pulau Batu Puteh, c’est-à-dire en construisant et en

administrant un phare avec l’autorisation des chef s locaux, s’inscrivait dans le droit fil de sa

39 pratique vis-à-vis d’autres phares. Les Britanniqu es se souciaient de la sécurité maritime et du

commerce, non d’acquérir la souveraineté.

Monsieur le président, si vous le souhaitez, je peux marquer une pause.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je pense en effet que le moment serait

peut-être bien choisi pour faire une courte pause. Nous reprendrons ensuite.

Sir Elihu LAUTERPACHT : Je vous remercie, Monsieur le président.

L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 35.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de prési dent : Veuillez vous asseo ir. Je vous invite

à poursuivre, sir Elihu.

Sir Elihu LAUTERPACHT :

2. La jurisprudence relative à l’administration des aides à la navigation 76

11. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vais à présent passer en revue les

différentes affaires dans lesquelles la Cour s’est penchée sur la question des phares.

75
CMM, par.218. Il s’agit là d’un exemple d’aides à la navigation situées surle territoire d’un Etat et
administrées par l’autorité d’un autre Etat.
76CMM, par. 228 à 237. - 32 -

12. Les arrêts rendus par la Cour permanente dans l’ Affaire franco-hellénique des phares, et

dans celle des Phares en Crète et à Samos , ne peuvent être interprétés que comme affirmant l’idée

selon laquelle l’administration des phares est sans rapport avec la souveraineté sur le territoire où

ils sont situés 7. De même, dans l’affaire des Minquiers et Ecréhous 78, l’opinion de la Cour

reposait sur le principe que la conduite dans l’ad ministration d’un phare ne saurait, à elle seule,

constituer une preuve de souveraineté. Ce principe a de nouveau été affirmé par le tribunal arbitral

79
en l’affaire Erythrée/Yémen .

13. Pour obvier à cette tendance de la jurisprudence, Singapour s’appuie sur l’affaire Qatar

c. Bahreïn, dans laquelle la Cour a fait observer que la construction d’aides à la navigation pouvait

être juridiquement pertinente dans le cas de très pe tites îles. Mais cette conclusion de la Cour ne

contredit pas sa jurisprudence antérieure. La c onstruction d’aides à la navigation peut être à

prendre en considération pour trancher des questi ons de souveraineté lorsqu’il n’existe aucun autre
40

élément de preuve du titre, et que la construction et l’admini stration d’aides à la navigation

témoignent de l’intention de l’Etat d’agir à titre de souverain. Cette conclusion est aussi confirmée

par l’affaire Indonésie/Malaisie. Dans cette affaire, les deux Parties avaient présenté des

effectivités à l’appui de leurs revendications. En ce qui concerne les éléments de conduite alors

invoqués par la Malaisie relativement à l’entretien des phares, la Co ur a rappelé le passage contenu

dans son arrêt rendu en l’affaire Qatar c. Bahreïn, faisant néanmoins observer au préalable que «la

construction et l’exploitation de phares et d’ai des à la navigation ne sont généralement pas

80
considérées comme des manifestations de l’autorité étatique» . La Cour a explicitement renvoyé

aux motifs exposés en l’affaire Minquiers et Ecréhous.

14. Ces observations jurisprudentielles rejoignent la pratique des Etats, notamment la

pratique britannique, que je viens de mentionner. En règle générale, la conduite adoptée en ce qui

concerne l’administration d’un phare ne saurait, à elle seule, établir la souveraineté. Comme je l’ai

déjà indiqué, cette conduite ne sera pertinente qu’à condition de témoigner d’une intention

77 CMM, par. 228.
78
Minquiers et Ecréhous (France/Royaume-Uni), arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 47.
79 Erythrée/Yémen, sentence du 9 octobre 1998, 40 ILM 900 (2001), par. 221, 226, 328, 510.

80 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, par. 147. - 33 -

d’acquérir le titre, non seulement à l’égard du pha re et de ses installations connexes mais aussi,

précisément, à l’égard du territoire sur lequel le phare est situé. Pareille intention ne sera pas en

elle-même suffisante dans les cas où la propriété du territoire est déjà acquise à un autre Etat qui ne

manifeste pas l’intention d’abandonner son titre.

3. Le système de phares des détroits 81

15. Je rappellerai donc à présent que le système de phares des détroits dont faisait partie le

phare Horsburgh montre également que le rôle de Singapour en ce qui concerne le phare Horsburgh

était purement administratif.

16. C’est la Grande-Bretagne qui a établi les phares des détroits qui allaient constituer un

système de phares et d’aides à la navigation dans les détroits de Singapour et Malacca dans la

période comprise entre 1850 et 1946. En 1912, treize phares avaient été construits dans le cadre de

ce système 82, dont le phare Horsburgh. La carte qui est projetée à l’écran est celle qui se trouve à

l’onglet 6 du dossier de plaidoiries, sur laquelle sont indiquées les positions des phares des détroits.

En 1938, les phares, balises lumineuses, bouées lumineuses et bateaux-feux étaient au nombre de

83
soixante-cinq .

17. C’était au gouverneur des Etablissements des détroits de Singapour qu’incombait
41

l’administration du système de phares des détroits . Comme le phare Horsburgh, les autres phares

que comprenait le système des détroits ne se trouvaie nt pas tous sur le territoire des Etablissements

des détroits ou de Singapour. Ainsi du phare du cap Rachado, qui était situé sur le territoire de

Malacca, de celui de Pulau Pisang, qui était s itué sur le territoire du Johor, ou du phare de

Screw Pile, ultérieurement appelé «phare de One Fathom Bank», qui était situé sur un haut-fond du

84
détroit de Malacca, alors en haute mer . Du point de vue administratif, chaque phare du système

de phares des détroits était affecté à une «station» qui en avait la charge. L’ensemble du système

81CMM, chap. 7.
82
CMM, par. 298 et 322.
83CMM, par. 323.

84CMM, par. 320. - 34 -

était dirigé depuis Singapour. Si un certain nom bre de phares dépendaient de Singapour, seuls

certains d’entre eux étaient situés sur le territoire sous souverainet é britannique. Ce n’était pas le

85
cas des autres .

18. Les écritures de la Malaisie contiennent une analyse complète des textes législatifs

86
pertinents relatifs au système de phares des détroits , dont je ne donnerai aujourd’hui qu’un bref

aperçu. Le système de phares des détroits fu t créé par la loi des Indes de 1852 relative au

financement des coûts du phare Horsburgh. Le pr éambule de cette loi dispose qu’«il sera peut-être

jugé opportun, à l’avenir, de mettre en place d’autres phares ou balises dans l[e] détroi[t] de

Malacca, ou ailleurs dans la même zone» 87.

19. La loi de 1852 fut remplacée par celle de 1854 qui contenait des dispositions visant à

couvrir, non seulement les coûts du phare Hors burgh, mais aussi ceux «d’une balise lumineuse

flottante installée dans le détroit de Malacca,… et [de] l’installation et [de] l’entretien d’autres

phares [et balises] jugés utiles». Elle indiquait aussi que ces feux «s’appel[leraient] «les feux des

88
détroits»» .

20. C’est ainsi que fut désigné le système de pha res des détroits dans les textes législatifs ou

autres publiés entre 1854 et 1946. En 1912, une or donnance, qui abrogeait partiellement la loi

de1854, confirma expressément l’existence d’un système de pha res des détroits et abolit le

prélèvement de droits de phare sur les navires entrant dans le port de Singapour 89. L’explication de

ce changement tient au fait que le conseil législa tif des Etablissements des détroits s’inquiétait de

ce que les droits de phare à acquitter risquaient de rendre les ports britanniques de la région moins

42 compétitifs que les ports néerlandais concurrents. Les coûts de fonctionnement du système de

phares des détroits, désormais plus élevés du fait de l’abolition des droits, devaient être partagés

entre la colonie de Singapour et les gouvernements des Etats malais fédérés. La participation de

ces derniers à ces coûts correspondait à un mont ant comparativement disproportionné. Pour

justifier la nécessité de cette contribution, le secrét aire principal du conseil fédéral des Etats malais

85CMM, par. 324.

86CMM, par. 306 à 324.
87
MM, annexe 84. CMM, par. 306.
88MM, annexe85. CMM, par. 307.

89MM, annexe 90. CMM, par. 309 à 312. - 35 -

fédérés déclara que le Gouvernement colonial disposait des compét ences techniques nécessaires

pour administrer et entretenir les phares et qu’il était préférable que la contribution des Etats malais

fédérés au système de phares fût strictement fi nancière, même si ceux-ci relevaient de son

90
territoire . La distinction claire entre souveraineté et administration ⎯ distinction claire ⎯ était

implicitement contenue dans son raisonnement.

21. Une autre ordonnance adoptée en 1915 par l es Etablissements des détroits institua le

prélèvement de droits au titre de phares incontestablement situés hors de leurs territoires 91.

22. En 1946, avec la dissolution des Etablisse ments des détroits et la transformation de

Singapour en une colonie distincte, le système de phares des détroits cessa d’être administré par les

Etablissements des détroits. L’administration de chaque phare continua à être assurée par la station

qui en avait la charge auparavant. A aucun moment, ces dispositions nouvelles et celles qui

suivirent ne modifièrent le statut du territoire sur lequel les phares étai ent situés. Après1946,

Singapour et l’Union malaise réintroduisirent le pr élèvement de droits de phares comme moyen de

financement de l’entretien des phares et instaurèrent ensemble le conseil des droits de phare 92.

23. Il était généralement admis, non seulement par les Etats malais fédérés mais également

par les représentants britanniques, que le fait qu’un phare fût entretenu et administré par la colonie

des Etablissements des détroits était sans rapport av ec la souveraineté du territoire où il était situé.

Cette administration était liée aux compétences techniques de la colonie.

24. Les dispositions prises dans le cadre du sy stème de phares des détroits n’avaient aucun

rapport avec les questions de souveraineté sur le te rritoire où avaient été construits les différents

phares que comprenait le système de phares des détroits. Le fait qu’un phare était administré par le

gouverneur des Etablissements des détroits en ta nt que composante du système de phares des

43
détroits n’avait aucun rapport avec la souveraineté sur le terr itoire où le phare était situé; et ces

phares n’étaient pas non plus administrés comme des entités territoriales de Singapour. La pratique

relative à la création du système de phares des détroits et d’autres phares dans le monde confirme

90CMM, par. 313-314.
91
CMM, par. 318.
92CMM, par. 319. - 36 -

que la construction et l’administ ration de phares n’ont jamais co nstitué une prise de possession du

territoire où le phare en question était situé pour y exercer la souveraineté, ni, à proprement parler,

une manifestation de souveraineté étatique.

93
4. PulauPisang

25. La thèse qui consiste à dissocier l’administration d’un phare de la souveraineté sur le sol

sous-jacent est bien illustrée par la position du ph are de Pulau Pisang, administré par Singapour,

mais incontestablement situé sur le territoire de la Malaisie. Singapour ne conteste pas la

souveraineté de la Malaisie à l’égard de Pulau Pisang.

26. Pulau Pisang est une île située à 7milles mari ns à l’ouest de la côte de Johor dans le

détroit de Malacca. Le système de phares des détroits encadrait les activités de Singapour en tant

qu’administrateur du phare, lequel fut construit dans ce contexte en 1885 sur une parcelle de terrain

concédée par le Johor au gouvernement des Etablissements des détroits. Cette concession fut

confirmée par un contrat synallagmatique ⎯c’est un acte de droit privé ⎯ en date du

6octobre1900 qui devait délimiter la zone de l’île ainsi concédée et la distinguer de la zone

restante. Il n’était pas nécessaire d’établir un te l contrat pour Pulau Batu Puteh car sa petite taille

rendait toute distinction inutile entre la zone réservée au phare et d’autres zones de l’île.

27. Les similitudes entre le phare de Pulau Pisang et le phare Horsburgh sont frappantes :

⎯ tous deux faisaient partie du système de phares des détroits ;

⎯ tous deux étaient administrés par la «station» de Singapour dans le cadre de ce système de

phares, même s’ils n’étaient pas situés sur le territoire de Singapour ;

⎯ tous deux furent construits par les Britanniques su r des terrains qui faisaient partie de Johor en

vertu d’une autorisation délivrée par ce dernier pour la construction du phare.

28. Singapour tente de masquer ces similitudes en affirmant que les antécédents juridiques et

factuels de chaque île étaient différents et que celles-ci étaient soumises à des régimes juridiques

44
totalement différents. La Malais ie ne prétend pas que les situa tions étaient identiques. Mais

Singapour ne peut dissimuler le fait qu’à tous égards pertinents, les situations étaient les mêmes et

93
CMM, par. 304-305. RM, par. 319-323. - 37 -

que l’autorité portuaire de Singapour administrait de ux phares, tous deux situés sur le territoire de

Johor. Cela montre bien la distinction entre la souveraineté sur un espace et l’administration d’un

phare.

29. Il convient de tenir compte des différences physiques entre le phare de Pulau Pisang et le

phare Horsburgh 94. Voyez cette carte de Pulau Pisang à l’écran, sur laquelle se superpose, à la

même échelle, celle de Pulau Batu Puteh : vous pouvez à pe ine la voir, elle se trouve là au milieu.

Comme on le voit immédiatement, il n’y pas de comparaison. Pulau Batu Puteh est à Pulau Pisang

ce que l’ongle d’un petit doigt est à la main tout entière.

30. C’est la raison pour laquelle le déploiement du drapeau sur Pulau Pisang n’avait rien de

commun avec celui sur Pulau Batu Puteh. Le dé ploiement du drapeau sur Pulau Pisang était perçu

par les autochtones comme une revendication d’autor ité sur une partie substantielle du territoire de

Johor, revendication à laquelle ils entendaient s’opposer. Le déploiement du drapeau sur le phare

Horsburgh n’indiquait rien de plus que son exploitation par les Britanniques et, en cela, était

entièrement comparable à celui du drapeau malaisien qui flottait sur la base navale de Woodlands à

Singapour et à celui du drapeau britannique sur le territoire concédé de Hong Kong.

5. Caractère opérationnel des mesures prises par les Britanniques en rapport avec Pulau
Batu Puteh

31. J’en viens maintenant, Monsieur le préside nt, à souligner à nouveau le fait que les actes

entrepris par la Grande-Bretagne à l’égard de Pulau Batu Puteh se rattachent tous à l’administration

du phare et n’attestent aucun droit de souveraineté.

Aucun texte législatif britannique n’a incorporé PulauBatuPuteh dans la colonie des
Etablissements des détroits.

32. Singapour invoque largement l’argument selon lequel elle a promulgué, avec la

Grande-Bretagne, une série de lois relatives à Pula u Batu Puteh, parmi lesquelles des mesures de

financement des coûts d’établissement et d’entre tien du phare Horsburgh, de tels textes législatifs

constituant, selon elle, un acte de souveraineté manifeste accompli à titre de souverain. Je

n’examinerai que la législation adoptée avant 1963. M.Crawford traitera tout à l’heure de la

législation adoptée ultérieurement par Singapour.

94
Voir dossier de plaidoiries, onglet 101. - 38 -

45 33. Je relève tout d’abord qu’aucun texte législatif ne mentionne Pulau Batu Puteh isolément.

La majorité des références concerne le phare Horsburgh ; lorsque Pulau Batu Puteh est mentionnée,

elle est associée au phare Horsburgh ou, subsidiairement, apparaît dans l’expression «le phare situé

sur Pulau Batu Puteh».

34. Singapour invoque les lois de 1852 et 1854 adoptées en conseil par le gouverneur général

de l’Inde et concernant le prélèvement et le recouvrement de droits de phare. La loi de 1852

dispose que :

«Le phare situé sur l’île de Pedra Branca susmentionnée recevra le nom de
«phare Horsburgh»; ledit phare, les dépenda nces qui s’y rapportent ou qui sont
occupées aux fins de signalisation maritime, ainsi que tous les biens immeubles, les

équipements et les biens meubles y afférents deviendront la propriété de la Compag95e
des Indes orientales et de ses successeurs et lui seront entièrement transmis.»

La loi de 1854 contient une dis position presque identique. Le lib ellé de la section est sans

ambiguïté. Il concerne évidemment la proprié té et le contrôle du phare ainsi que de ses

dépendances en droit privé et non la souveraineté sur l’île au regard du droit international.

Singapour prétend que Pulau Batu Pu teh elle-même faisait l’objet d es mesures en question. Cette

île n’est évidemment pas le sujet de la phrase; le sujet de la phrase est clair: «le phare situé sur

l’île de Pedra Branca» 96.

35. Singapour soutient qu’il s’agit là d’un bo n exemple de législation territoriale touchant

expressément Pedra Branca, et que le gouvernement de l’Inde s’arrogeait le pouvoir de légiférer sur

le statut du phare Horsburgh précisément parce qu’il considérait Pulau Batu Puteh comme un

territoire britannique. L’on peut alors se demander : Si le gouvernement de l’Inde se comportait

comme tel, pourquoi cela n’était-il pas claireme nt énoncé? Surtout si, comme l’affirme

Singapour, le gouvernement estimait que cette île, auparavant terra nullius, selon elle, avait été

récemment acquise. En réalité cependant, comme je l’ai expliqué mardi, le fondement juridique de

la loi de1852 n’est pas la souveraineté territori ale, mais le pouvoir d’exercer une juridiction

extraterritoriale dans des lieux étrangers reconnu dans la loi de1843 relative à la juridiction à

l’étranger.

95
MM, annexe 84 ; CMM, par. 348 ; les italiques sont de nous.
96
CMM, par. 348. - 39 -

36. M.Bundy a parlé du système de phares des détroits. Les lois de 1852 et 1854 ne

manifestaient pas une revendication d’autorité législative sur Pulau Batu Puteh en tant que telle.

Elles étaient plutôt essentielles au fonctionnement de s phares des détroits dans leur ensemble. De

plus, il était courant dans la pra tique britannique de ne pas conser ver le titre sur les phares. En

46 effet, la section 1 de la loi de 1852 indiquait si mplement que les gouvernements de Singapour et de

l’Inde ne revendiqueraient pas dans le futur le titre sur le phare. Par ailleurs, comme je l’ai déjà

expliqué, les lois de 1852 et de 1854 furent adoptées dans l’exercice du pouvoir de légiférer à

l’étranger reconnu par le Parlement britannique en 1843.

37. La signification de la loi de 1843 ne saurait être méconnue ou sous -estimée. L’existence

de cette loi fournit une réponse exhaustive à l’a ffirmation de Singapour selon laquelle les lois

ultérieures furent adoptées dans l’exercice de la s ouveraineté territoriale. Dans sa section I, la loi

de 1843 disposait très nettement que

«Sa Majesté est en droit…d’exercer…tout pouvoir ou juridiction qu’elle
possède actuellement ou pourrait, à l’avenir, posséder dans tout pays ou en tout lieu
situé en dehors de ses dominions, de manière identique et aussi large que si Sa Majesté
97
avait acquis ce pouvoir ou cette juridiction par cession ou conquête de territoire.»

En d’autres termes, cette disposition reconnaissait que des lois pouvaient être promulguées par la

Grande-Bretagne, ou sous l’autorité de celle-ci, et prendre effet dans des territoires sur lesquels

celle-ci n’était pas souveraine; elle indiquait par voie de conséquence qu’il ne fallait pas les

considérer comme la manifestation d’une reve ndication de souveraineté à l’égard du territoire

concerné.

98
38. Singapour cite ensuite la législation sur les droits de phare . Il convient de noter que les

termes «aides à la navigation dans les eaux de la colonie» figurant dans la section6 de

l’ordonnance de 1957 ont été remplacés dans la section 4 de l’ordonnance de 1958 par les termes :

«les phares, bouées, balises et aides à la navi gation à Singapour, y compris ceux de Pedra Branca

(Horsburgh) et de Pulau Pisang». Pourquoi cette modification ? Elle doit sûrement indiquer que

Pedra Branca (Horsburgh) et Pulau Pisang, quoique administrés par Singapour, ne relevaient pas

des «eaux de la colonie» de Singapour. Si tel avai t été le cas, et si elles avaient été censées en

99
relever, cet amendement aurait été sans objet .

97Voir dossier de plaidoiries, onglet 37.
98
CMS, par. 6.52-6.58.
99CMM, par. 352. - 40 -

Administration du phare uniquement

39. Bien entendu, la Grande-Bretagne a acco mpli un certain nombre d’activités rattachées à

l’exploitation du phare Horsburgh. Elle assurait l’ entretien du phare, effectuait les améliorations,

publiait des avis aux navigateurs, exerçait sa juridi ction à l’égard du personnel du phare, collectait

47 des données météorologiques et faisait flotter le pa villon de la marine britannique. Singapour dit

que ces actes attestent de «l’exercice … de fonctions étatiques sur Pedra Branca». Pourtant, aucun

d’entre eux ne peut être dûment qualifié de condu ite à titre de souverain. Ces actes visaient le

phare proprement dit et étaient accomplis par la Grande-Bretagne en sa qualité d’exploitant du

phare, en accord avec le rôle qu’e lle occupait dans le système de phares des détroits. Des experts

de Trinity House 100 ⎯qui, comme vous le savez, est une organisation britannique dotée de

101
responsabilités mondiales dans l’administration de phares ⎯ et du MENAS attestent que ces

activités entreprises par la Grande-Bretagne fais aient partie de la conduite ordinaire d’un

administrateur de phare. M.Crawford examinera en détail les actes de Singapour qui, selon elle,

constituent des actes à titre de souverain, et démontrera que ces activités sont essentiellement celles

d’un exploitant de phare, rien de plus.

40. Mais pour démontrer ce point, j’examiner ai plus en détail les deux exemples de conduite

que Singapour invoque à l’appui d’une conduite à titr e de souverain : les avis aux navigateurs ainsi

que les enquêtes concernant les risques pour la navigation et les naufrages.

i) Avis aux navigateurs

41. Commençons par les avis aux navigateurs : le premier d’entre eux fut publié par la

Grande-Bretagne en 1851 et fournissait des indications sur la mise en service du phare

102
Horsburgh ; le deuxième date de 1887 et concernait le nouveau feu dont le phare avait été doté et

la date d’enlèvement d’une épave 103.

42. Des spécialistes en matière de gestion d es phares ont relevé que la publication par les

autorités responsables des phares de tels avis éta it monnaie courante. Ainsi, Trinity House, le

100Rapport Glass-Brewer, CMM, annexe 1.
101
Capitaine de frégate Christmas, CMM, annexe 2.
102
MS, annexe 56.
103MS, annexe 72. - 41 -

MENAS, les Commissioners of Irish Lights ⎯ entre autres ⎯ en publient-ils systématiquement.

Trinity House considère la communication d’av is aux navigateurs comme «indispensable à

104
l’acquittement des obligations légales inhére ntes à sa fonction de service de signalisation» . Du

reste, ainsi que l’indiquent le capitaine Glass et M. Brewer dans leur déclaration sous serment :

«Le chapitre V de la convention SOLAS [la convention internationale pour la

sauvegarde de la vie humaine en mer] fa it implicitement obligation de notifier aux
48 navigateurs l’établissement de nouvelles ma rques ainsi que la modification de la
position ou des caractéristiques de marques ex istantes. La non-communication d’avis

aux navigateurs concernant tout changeme nt apporté aux marques de navigation ou
tout risque pour la navigation dont un e autorité avait connaissance constitue une
négligence et pourrait engager lourdement la responsabilité de l’exploitant de
105
phare.»

ii) Enquêtes sur les dangers pour la navigation et les naufrages

43. J’en viens maintenant aux enquêtes menées sur les dangers pour la navigation et les

naufrages. Singapour prétend aussi avoir exercé son autorité souveraine sur PulauBatuPuteh en

menant des enquêtes et en signalant des accidents maritimes. La Grande-Bretagne procéda à deux

enquêtes, l’une en 1920, la suivante en 1963.

44. En 1920, une juridiction d’instruction fut établie en vue d’enquêter sur l’abordage entre

106
un navire britannique et un navire néerlandais, à 1,5 mille envir on au nord de Pulau Batu Puteh .

Mais le rapport réalisé par la juridiction d’inst ruction ne précise pas su r quelle base celle-ci fut

constituée, indiquant seulement que l’enquête portait sur les circonstances d’une collision en mer

qui impliquait un navire britannique et à propos de laquelle la conduite du capitaine était mise en

cause. L’enquête n’était donc pas conditionnée par la proximité de PBP ou l’application de la

législation la concernant.

45. Singapour invoque ensuite l’échouement, sur PBP, d’un cargo immatriculé au

107
Royaume-Uni, le MV Woodburn, en 1963 . Le Master Attendant de Singapour enquêta sur cet

incident, et de même la juridiction d’instruction 108. Singapour affirme que cette dernière fut

104CMM, annexe 1, par. 26.

105Ibid.
106
MS, annexe 78 ; CMM, par. 457.
107CMM, par. 458.

108MS, annexe 78. - 42 -

constituée parce que l’incident s’était produit «sur la côte de Singapour ou à proximité». Toutefois,

l’ordonnance sur la marine marchande pertinente en l’affaire prévoit d’autres motifs d’ouverture

d’une enquête, sans rapport avec cette proximité. Si ngapour renchérit en citant l’affaire dite du

Fulham 109, soumise à la High Court britannique. Ce lle-ci avait déclaré que l’expression «à

proximité» de la côte ne pouvait être interpré tée comme «visant un lieu situé à 20 milles de

49 celle-ci» 110. Singapour omet toutefois d’informer votre Cour qu’il fut interjeté appel de cette

décision et que la cour d’appel jugea inutile de statuer sur le sens de l’expression «à proximité de la

côte», nonobstant le fait qu’elle eût été «âprement débattue dans le prétoire» 111.

46. Pour démontrer que l’ordonnance sur la marine marchande était invoquée par la

Grande-Bretagne s’agissant de lieux situés à plus de 20milles de ses côtes, il me faut encore

mentionner l’enquête sur l’échouement du vapeur britannique The China , sur l’île de Perim;

l’affaire fut entendue le 24 mars 1823 11. L’île de Perim est située au large de la côte du Yémen, à

plus de 20 milles marins de la côte de ce qui ét ait alors la colonie britannique d’Aden, où fut jugée

l’affaire. Elle ne se trouve en aucun cas «sur la côte» de la Grande-Bre tagne ou de l’une de ses

colonies, ni ⎯pour reprendre, toujours, les termes de l’ordonnance ⎯ «à proximité» d’une telle

113
côte .

47. Les rapports auxquels donnèrent lieu ces deux enquêtes n’indiquent pas sur quelle base

de compétence les juridictions d’instruction furent constituées. Puisque l’ordonnance sur la marine

marchande en prévoit un certain nombre, rien ne nous autorise à postuler ⎯ même si c’est ce que

fait Singapour ⎯ que la compétence serait d’une quelconque façon liée à la proximité de tel ou tel

ensemble de rochers, dont le dossier de l’affa ire ne fait nulle mention. Singapour n’a, en

particulier, produit aucun élément de preuve renvoyant à des inci dents qui n’auraient pu faire

l’objet d’une enquête qu’en raison de leur proximité de PBP, ni relevé la moindre invocation

effective de l’île pour fonder la compétence dans ces affaires ni aucune autre.

109Décision de la High Court d’Angleterre et du pays de Galles, 1898, p. 206.

110RS, par. 4.165.
111
Décision de la cour d’appel, 1899, p. 251 ; 1899 WL 11769 (CA).
112
Voir dossier de plaidoiries, onglet 102.
113Voir dossier de plaidoiries, onglet 103. - 43 -

Les incidents de 1861 montrent qu’il n’y eut pas de changements quant à la compétence après
114
la construction du phare

48. J’examinerai maintenant plusieurs inci dents impliquant des pêcheurs au début des

années1860. Ils montrent sans l’ombre d’un dout e que la Grande-Bretagne ne pensait pas avoir

compétence sur les eaux entourant PulauBatuPute h. Ces incidents concernaient des pêcheurs

chinois résidant à Singapour et des sujets malais du Johor. Certains avai ent trait à l’acquittement

de droits de pêche, d’autres à des voies de fait subies entre les pêcheurs eux-mêmes.

49. Commençons par les droits de pêche. Le temenggong délivrait un «permis du Johore»,

qui conférait «le droit de pêcher dans les eaux du Johore». Il semble que les sujets britanniques

étaient tenus de se munir de ces permis, alors même qu’ils s’éloignaient rarement de plus de

50 10milles de l’île de Singapour. Le secrétaire d’Etat aux affaires indiennes indiqua clairement,

le 9 janvier 1862, «qu’empêcher des personnes de pêcher à moins de 10 milles des rives

britanniques constituait une atteinte directe aux droits du Gouvernement britannique» 115. Il

poursuivait ainsi: «Le colonel Cavenagh a donc été prié de faire connaître au tumongong que

celui-ci ne serait pas autorisé à exiger de t oute personne pêchant dans les limites des eaux

britanniques qu’elle se munisse d’un permis.» Rien dans cette lettre comme dans d’autres de même

nature ne donne à penser que la Grande-Breta gne revendiquait comme sien le moindre espace

maritime situé au-delà du périmètre de 10milles au tour de Singapour, ce qui eût été le cas si la

Grande-Bretagne avait considéré PulauBatuPuteh comme faisant partie de son territoire et

engendrant sa propre ceinture d’eaux territoriales.

50. Que la Grande-Bretagne s’estimait dé pourvue de compétence sur les eaux entourant

PulauBatuPuteh est confirmé par un incident su rvenu en 1861 près de Sungai Ringit, sur la côte

du Johor. M.Bundy en a rendu compte en détail, mais la Malaisie l’ interprète quelque peu

différemment. Des sujets britanniques pêchant «d ans le voisinage du phare de Pedro Branco»

ayant vu leur prise confisquée par un chef de village malais, le 15 mai1861, le gouverneur

Cavenagh écrivit au temenggong à propos de cet incident survenu «dans le territoire de notre ami».

Il évoquait dans sa lettre les «graves agressions dont [ces pêcheurs avaient été] victimes pendant

114
RM, par. 269-277.
115
CMM, par. 117 et annexe 24, p. 15. - 44 -

116
qu’ils pratiquaient leur activité habituelle dans le voisinage du phare de Pedro Branco» . Notez

bien les termes qu’il emploie : «dans le territoire de notre ami». Ces mots, lus en conjonction avec

le membre de phrase «dans le voisinage du phare de Pedro Branco», nous apprennent que le

gouverneur ne revendiquait pas comme britanniques les espaces maritimes situés dans un rayon de

3 milles de l’île. Or, ce sont dans ces eaux que les victimes, selon toute probabilité, étaient en train

117
de pêcher. Nous savons que le poisson abonde autour du rocher .

51. Pour comprendre comment la Grande-Bretagne percevait les limites de sa compétence,

comparons cette lettre du gouverneur à une corr espondance adressée par lui au temenggong moins

de deux semaines auparavant, le 4 mai 1861. Cette dernière concernait un incident survenu «dans

51 les parages de Punjurin, à environ 6milles de Changhie» 118, qui se trouve dans la limite des

10 milles définie par le traité Crawfurd de 1824. Le gouverneur écrivait :

«Il me semble légitime de faire remarquer à mon ami que la mer dans laquelle
les infractions…ont été commises se trouvant à l’intérieur des limites prescrites par
l’article11 du traité du 2août1824, les pêcheurs se trouvaient dans les eaux

britanniques, en conséquence de quoi auc un des sujets de mon ami ne pouvait en
quelque façon que ce soit se trouver légitimé à interférer avec eux.» 119

52. Le contraste entre cette lettre et celle que j’ai citée en premier montre clairement que les

autorités britanniques étaient conscientes des droits qui étaient les leurs dans les eaux qui leur

revenaient en vertu du traité. Si elles avaient considéré Pulau Batu Puteh comme britannique, il ne

fait aucun doute que le gouverneur aurait rédigé sa protestation en des termes plus spécifiques.

53. J’ajouterai encore que, bien que dénigrées pa r la Partie adverse, les déclarations sous

serment de pêcheurs de la région qui sont anne xées aux écritures de la Malaisie confirment que

ceux-ci utilisent régulièrement les eaux entourant PulauBatuPuteh, et ce, depuis des générations.

120
Le fait a déjà été mentionné par S. Exc. Mme Noor Farida .

11CMM, annexe 24, p. 17-20.
117
CMM, vol. 1, par. 526.
118
CMM, annexe 24, p. 17.
11Ibid.

12CMM, par. 516, 532. - 45 -

6. La lettre de 1953

54. Il serait utile, à ce stade, de revenir une fo is de plus sur la célèbre «lettre de 1953», pour

en analyser de nouveau le caractère et les effe ts. Singapour l’a qualifiée d’acte «d’une importance

particulière», de «déclaration offi cielle de non-revendication» et de «cruciale». Ce sont de bien

grands mots pour une si petite lettre.

55. Je commencerai, si vous le voulez bien, par une remarque de base. La Cour doit

comprendre que, avant la lettre de Singapour du 12 juin 1953 121, il n’y avait, en ce qui concerne la

souveraineté de Singapour sur PulauBatuPuteh, que deux possibilités. Soit Singapour détenait

cette souveraineté, l’ayant acquise plus d’un siècle auparavant, soit elle ne la détenait pas. Si elle la

détenait, alors la réponse de la Malaisie en da te du 21septembre1953 est sans pertinence pour la

question du titre. La lettre ne pouvait conférer à Singapour une souveraineté qu’elle possédait déjà.

52 56. Si, en revanche, Singapour ne détenait pas la souverain eté sur Pulau Batu Puteh en

juin1953, alors Singapour traite de fait la lettre de la Malaisie de septembre1953 comme le

fondement de son titre. Cela impliquerait qu’aucun des actes accomplis par la Grande-Bretagne ou

par Singapour au cours du siècle précédent n’avait valeur d’illustration ou de fondement du titre, et

que seule la réponse de septembre 1953 de la Mala isie conféra réellement un titre à Singapour. Et

rappelez-vous les expressions qu’utilise Singapour pour décrire cette lettre: «d’une importance

particulière», «déclaration officielle de non-revendication», «cruciale»...

57. Pour ce qui est de la deuxième hypothèse ⎯que la lettre puisse être traitée comme un

fondement de titre ⎯, elle confine à l’absurde. Qu’il nous suffise de rappeler qu’une cession de

territoire — puisque, selon cette analyse, c’est à cel a que revenait cette lettr e — peut difficilement

intervenir aux termes d’une lettre écrite par un fonctionnaire d’un Etat, fût-il secrétaire par intéri
m,

en réponse à une question posée, fût-ce au nom du secrétaire colonial de Singapour, par un

fonctionnaire subalterne d’un autre Etat.

58. Confrontée à ce dilemme ⎯ soit elle détenait un titre valide avant 1953, auquel cas cette

lettre ne lui est d’aucune utilité, soit elle n’en détenait pas, et c’ est donc sur cette lettre que repose

sa revendication ⎯, Singapour ⎯on le comprend ⎯ choisit un moyen terme: la lettre serait la

121
MM, vol. 3, annexe 67. - 46 -

confirmation d’un titre préexistant. Pour autant , elle n’en demeure pas moins, selon Singapour,

d’une «importance cruciale». Reste à savoir pourq uoi. Penchons-nous donc de plus près sur cet

épisode.

59. Il nous faut remonter tout d’abord à la lettre du 12juin1953 adressée au «conseiller

britannique du Johor» par Singapour. Le «conseiller juridique», notons-le en passant, n’avait pas

l’autorité requise pour répondre à ce type de questions. Il ne fut communiqué qu’une copie de cette

lettre au secrétaire principal à Kuala Lumpur et , lorsqu’une réponse lui fut donnée, ce fut par le

secrétaire d’Etat par intérim.

60. Mais voyons quels sont les termes employés dans la lettre de Singapour, qui figure à

l’onglet 104 de votre dossier, et que vous devriez voir maintenant apparaître à l’écran. Le premier

paragraphe ne mentionne rien de plus qu’une «demand[e de ]renseignements». Du phare, il est

indiqué qu’il «fut construit en 1850 par le gouvernement de la colonie, qui en a toujours assuré

l’entretien depuis lors». Nulle mention d es nombreux actes de souveraineté que Singapour

présente aujourd’hui comme liés à sa présence sur le rocher: il est seulement affirmé que «le

gouvernement de la colonie…en a…assuré l’ entretien depuis lors». Vient ensuite une

observation: «ce qui…confère sans doute à la col onie certains droits et obligations». Notez le

53 choix des termes: «sans doute» plutôt qu’«indubitablement» ⎯une interprétation quelque peu

hésitante et incertaine. Notez aussi qu’il est que stion de «certains droits», et non de «droits

souverains».

61. La lettre fait ensuite allusion au cas de PulauPisang, indiquant qu’il a été possible de

«retrouver … un acte» montrant qu’une «partie» de l’île avait été concédée à la Couronne dans le

122
but d’y construire un phare . Il s’agissait à l’évidence d’un document de droit privé, non d’un

traité. Et la lettre reconnaît qu’il «ne mettait pas fin à la souveraineté de Johore». Le paragraphe se

123
termine par ces mots : «Le statut de Pisang est donc très clair.»

62. Le paragraphe suivant commence ainsi: «Il y a lieu à présent de clarifier le statut de

Pedra Branca.» Quatre hypothèses sont évoquées : qu’elle ait fait l’objet d’un bail, qu’elle ait été

l’objet d’une concession, que l’Etat du Johor l’ait cédée ou qu’il en ait disposé de toute autre

122
Voir dossier de plaidoiries, onglet 104.
123
MS, vol. 6, annexe 93. - 47 -

124
manière . Nulle part il n’est spécifiquement donné à en tendre que Pedra Branca faisait partie de

la colonie de Singapour. Une fois de plus, relevons-le, il n’est fait mention d’aucune revendication

singapourienne de titre existant en ce qui concerne le rocher ⎯tout au plus avons-nous une

allusion à ce qui n’était qu’une possibilité parmi d’autres : qu’il ait fait l’objet d’une concession ou

d’une cession.

63. Examinons maintenant la réponse: la lettre du 21septembre1953 du secrétaire d’Etat

125
par intérim (onglet105). Celui-ci ne fit rien de plus que d’apporter l’ information «que le

Gouvernement du Johor ne revendiqu[ait] pas la propr iété du rocher de Pedra Branca». Là encore,

nous devons relever les mots impor tants : «ne revendique pas la propriété» ⎯ un concept de droit

privé ⎯pas la souveraineté. Ils impliquent qu’un tiers ⎯Singapour sans doute ⎯ pouvait

prétendre à la «propriété» ⎯ un peu comme la Couronne avait obtenu «une concession» du terrain

sur lequel était bâti le phare de Pulau Pisang.

64. Qu’échafaude Singapour à partir de cette correspondance? Elle la présente comme la

confirmation d’un titre souverain qu’elle possédait dé jà. Mais une telle interprétation cadre mal

avec les termes utilisés le 13 octobre 1953 par le secrétaire colonial de Singapour pour commenter

cette réponse: «Sur ce fondement [à savoir la réponse du Johor], l’ Attorney-General [de

Singapour, donc] admet que nous pouvons le [il s’agit du rocher de PedraBranca] revendiquer

126
54 comme territoire de Singapour.» Cette observation est tournée vers le futur. En ce qui concerne

le passé, elle traduit simplement l’incertitude que nourrissait Singapour au sujet de son titre

127
avant 1953. Rien qui permette de conclure à une confirmation si explicite. Singapour argue que

«dans ce contexte particulier», les expressions «propriété» et «souveraineté» «se confondent». Elle

renvoie à l’utilisation fréquente du mot «propriété » comme synonyme de souveraineté dans la

sentence arbitrale Erythrée/Yémen. Il ne fait aucun doute que, dans le contexte de cette affaire, les

notions de «propriété» et de «souveraineté» se recoupaient. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce,

ainsi qu’il ressort clairement de l’examen des réfé rences apparaissant en notes de bas de page dans

124Voir dossier de plaidoiries, onglet 104.
125
MM, vol. 3, annexe 69. Voir dossier de plaidoiries, onglet 105.
126
MS, vol. 6, annexe 97.
127RS, note de bas de page 593. - 48 -

la réplique de Singapour. L’une d’elles peut, toutefois, être citée, car elle revêt une pertinence

particulière pour notre propos. La réplique de Singapour renvoie en effet au paragraphe 510 de la

128
sentence Erythrée/Yémen , ainsi libellé :

«L’histoire des phares de la mer Rouge… montre clairement que bien que les
e e
phares fussent très importants pour la navigation du XIX et du début du XX siècles
ou peut-être même en raison de cette importance, il pouvait être demandé à un
gouvernement de se charger de ces phares, voire de proposer de s’en charger sans

nécessairement paraître revendiquer pour auta nt la souveraineté sur le site ni
l’acquérir.»

65. Si la réponse du Johor avait été destinée à valoir «déclaration officielle de

non-revendication», il est aisé de concevoir en quels termes elle aurait pu être libellée ⎯ mais elle

n’aurait assurément pas pris la forme d’une courte lettre du secrétaire par intérim. Le qualificatif

«officiel», fort prisé de Singapour, n’est utilisé que pour gonfler l’importance de cette lettre.

66. Quant à l’ estoppel qu’aurait engendré cette lettre, il s’agit d’une notion familière à la

Cour. Celle-ci a admis que, pour qu’un fait allégué ait un tel effet juridique, la Partie qui l’invoque

doit prouver qu’elle s’est de quelque façon appuyée dessus ou a agi en conséquence ⎯ ainsi

qu’indiqué dans l’affaire El Salvador/Honduras 129. Rien, ici, ne donne à penser que la Partie

adverse s’est appuyée sur cette lettre. L’examen de la liste que dresse Singapour des actes qu’elle

aurait accomplis à l’égard de PulauBatuPuteh ne révèle aucune modification de sa conduite à

partir de septembre 1953. Point n’est, du reste, besoin de s’y attarder. Singapour l’a admis dans sa

réplique 130. Notant l’argument de la Ma laisie selon lequel elle n’ava it pas modifié sa conduite et

avait continué d’agir comme auparavant, Singapour affirme :

55 «Ceci est assurément exact: Singapour n’avait aucune raison de changer de
comportement ⎯elle avait toujours agi à titre de souverain en ce qui concerne l’île
après en avoir acquis le titre en 1847-1851, et la renonciation du J ohor ne faisait que

renforcer sa position. A fortiori, Singapour a continué d’agir ainsi après la déclaration
de non-revendication de 1953, y compris en entretenant et en administrant
pacifiquement le phare et en utilisant l’île à diverses autres fins.»

128
Cour permanente d’arbitrage, The Erytrea-Yemen Arbitration Awar ds 1998 and 1999, Permanent Court of
Arbitration Series, p. 435-436.
129
C.I.J. Recueil 1990, p. 118, par. 63.
130RS, par. 7.16. - 49 -

Monsieur le président, voilà ce qui clôt mon exposé sur le thème de la lettre de 1953, et sur cette

partie de notre argumentation, et je vous prierai respectueusement de bien vouloir donner

maintenant la parole à mon collègue, M. Crawford.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Je vous remercie, Sir Elihu, pour

votre exposé. J’appelle maintena nt à la barre M.Crawford. Monsieur Crawford, vous avez la

parole.

M. CRAWFORD :

PRATIQUE ULTÉRIEURE DE S INGAPOUR

Introduction

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, sir Elihu vient d’examiner les activités des

Britanniques après 1851 et il a montré qu’elles se rapportaient à l’exploitation du phare ou

comportaient des activités découlant de cette exploitation ⎯ce que feraient normalement les

exploitants d’un phare important situé sur une gran de route de navigation. J’examinerai pour ma

part la conduite de la République de Singapour depuis qu’elle s’est séparée de la Malaisie en 1965,

en réponse à l’exposé donné la semaine dernière par M. Bundy.

2. Mon exposé se divise en trois parties. Pr emièrement, j’examinerai la conduite à l’égard

du phare Horsburgh observée par Singapour, que celle-ci qualifie de conduite à titre de souverain.

Deuxièmement, j’aborderai les él éments de la conduite de Singapour qui ne concernent pas le

phare, dont celle-ci prétend qu’ils sont pertinents au regard de la souveraineté sur PBP.

Troisièmement, j’examinerai les diverses déclarations faites à propos de PBP par Singapour ou ses

représentants dans la période alla nt de 1965 à la date critique. Ceque montrent les éléments de

preuve, c’est qu’avant la date critique, les activités de Singapour à l’égard de PBP étaient les

activités normales d’un exploitant de phare. En ce qui concerne les éléments de la conduite

autres que l’exploitation du phare, ils étai ent peu nombreux, aucun n’était dépourvu

d’ambiguïté et aucun n’appelait une protestation comparable à celle que la Thaïlande aurait

selon la Cour dû élever face à la carte de l’annexe 1 dans l’affaire du Temple (Temple de

Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962 , p. 6). De surcroît, tout au - 50 -

56 long de la période considérée, Singapour n’a cessé de déclarer, dans ses textes de loi et publications

officielles, que PBP n’était pas située dans ses eaux et n’était pas une île singapourienne: étant

donné ces déclarations, la Malaisie n’avait aucune raison de se livrer à un examen soupçonneux de

la conduite de Singapour. D’une ma nière générale, une étude de la conduite de Singapour dans la

période considérée laisse la situation inchangée ⎯rien n’était de nature à déplacer un titre qui

existait déjà. J’aborderai à présent la première partie de mon exposé.

Première partie : La conduite de Singapour en ce qui concerne le phare Horsburgh

3. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, Singapour a systématiquement fait

l’amalgame entre la conduite quotidienne de l’ad ministration du phare et ce qui peut à proprement

parler être qualifié de conduite à titre de souverain. Laissez-moi le démontrer ⎯et je vous prie

d’avance de m’excuser de vous imposer un fastid ieux exposé point par point, surtout après celui

que vous a présenté sir Elihu ⎯ mais je ne peux faire mieux !

i) L’adoption de textes législatifs se rapportant à PBP et au phare Horsburgh

4. Dans un premier argument, Singapour avan ce qu’elle a promulgué une série de lois se

rapportant à PBP. Sir Elihu a examiné les quelques lois promulguées par la Grande-Bretagne qui

se rapportaient à la propriété du phare.

5. Après 1965, Singapour a promulgué deux lo is qui, assure-t-elle, attestent une conduite à

titre de souverain. La première est la loi de 1969 relative aux droits de phare de Singapour, dont le

texte se trouve sous l’onglet 106 du dossier de plaidoiries. Singapour se fonde sur la définition de

«Singapour» suivante: «[S]ont considérées faire partie de la République de Singapour l’île de

Singapour et toutes les îles ou tous les lieux qui, le 2juin1959, étaient administrés en tant que

parties intégrantes de Singapour, ainsi que tout es les eaux territoriales qui leur sont
131
adjacentes.» (Les italiques sont de nous.) La section 7 définit la responsabilité du conseil des

droits de phare de Singapour nouvellement constitué. Elle est ainsi libellée :

«Il incombera au conseil de concourir à la sûreté de la navigation des navires en
mettant en place et en entretenant, selon qu’il le jugera nécessaire, des phares, bouées,

131
MM, vol. 3, annexe 112, sect. 2. Voir dossier de plaidoiries, onglet 106. - 51 -

balises et autres aides à la navigation à Singapour et dans ses abords, à Pedra Branca

(Horsbu132), à PulauPisang ainsi qu’en to ut autre lieu où le conseil le jugerait
utile.»

6. Cela place le phare Horsburgh et celui de Pulau Pisang dans une catégorie à part de celle

des aides à la navigation situées à Singapour. Ces deux phares sont expressément mentionnés parce

qu’autrement, la loi ne les aurait pas couverts. Cette mention spécifique aurait été superflue si le

57 phare de Horsburgh et celui de PulauPisang ét aient situés «à Singapour» telle que celle-ci est

définie par la loi. Cette interprétation est corroborée par les ordonnances précédentes, mentionnées

par sir Elihu, qui opère cette distinction, ainsi que par le fait que le phare Horsburgh est ici associé

à celui de Pulau Pisang, qui lui aussi est en territoire malaisien. Monsieur le président, il coule de

source que PBP, au même titre que PulauPisang, n’était «administr[é] en tant que parti[e]

intégrant[e] de Singapour» ni en 1959 ni en 1969, en vertu de la propre législation de Singapour.

7. Il importe de considérer cette législation dans le cont exte du système des phares des

détroits. La loi de 1969 cons tituait le cadre législatif dans lequel la République de Singapour

nouvellement indépendante allait gérer les cinq phares placés sous sa responsabilité. Ce texte

reflète l’intention de maintenir le statu quo du système des phares des détroits : certains des phares

étaient situés en territoire singapourien alors que d’autres, à savoir le phare Horsburgh et celui de

Pulau Pisang, ne l’étaient pas.

o
8. Le second texte de loi invoqué par Singapour est le décret sur les sites protégés (n 10)

de1991. Monsieur le président, nous sommes là en présence d’un élément de preuve trop tardif,

o
bien trop tardif. Le décret sur les sites protégés (n 10) de 1991 a été pris plus de dix ans après la

date critique. Il n’est digne d’intérêt qu’à un seu l égard : il s’agit du premier, du tout premier texte

de loi depuis 1851 qui situe expressément PBP sur le territoire de Singapour. J’aborderai à présent

le second point de ma liste.

ii) Arguments afférents à l’entretien et à la modernisation du phare

9. Vous avez entendu Singapour énumérer longuement les activités d’entretien et de

modernisation du phare entre1983 et1999, dont elle dit qu’elles représentent des exemples

concrets d’exercice de l’autorité étatique sur PBP.

132
Ibid., sect. 7. - 52 -

10. Chacune des activités décrites par Singapour correspond à ce que ferait normalement tout

exploitant de phare dans le cadre de sa responsabilité administrative. Les spécialistes de la gestion

des phares confirment le caractère administratif des activités de Singapour. Dans le volume2 de

son contre-mémoire, la Ma laisie a présenté de nombreux témoig nages d’experts sur la gestion des

phares. Et une fois encore, Singapour n’a présenté aucun témoignage d’experts dans sa réplique,

choisissant de se contenter d’affirmations. Y a-t- il un seul spécialiste de l’exploitation des phares,

quelqu’un comme le capitaineDuncanGlass de Trinity House par exemple, qui pourrait dire, au

58 nom de Singapour, que le fait de ch anger des ampoules, d’astiquer les ré flecteurs et de vérifier le

pluviomètre renforce la souveraineté de Singapour ? Pour reprendre la formule de Lewis Carroll, à

cette question «il n’eut pas de réponse» ⎯et ce n’est pas parce tous les experts des phares du

monde ont été mangés par la Malaisie, comme cela est arrivé aux huîtres dans le poème du morse

et du charpentier que je viens de citer13.

11. Le capitaine Glass et M.Brewer ont dit clairement que la liste fournie par Singapour

correspondait en tous points aux tâches normales d’un exploitant de phare. Ils ont déclaré :

«Dmesliorations ⎯à savoir l’agrandissement des locaux d’habitation, la
réparation et le renforcement de l’embarcad ère, l’installation d’un radio téléphone, la
remise en peinture, l’installation de bossoirs, de réflecteurs radar dièdre et d’un radio

phare ⎯ relèvent toutes de celles qui sont périodiquement entreprises par n’importe
quel exploitant de phare compétent. La mode rnisation de la station, avec l’installation
d’un bloc optique électrique, de nouveaux systèmes de refroidissement et de panneaux
134
solaires, fait partie intégrante de l’évolution technique de la signalisation maritime.»

Le capitaine Glass et M.Brewer font observer en outre que l’installation d’équipements pour les

services de gestion du trafic maritime et la c onstruction d’une aire d’a tterrissage pour hélicoptère

sont chose banale. Ces conclusions sont confirmées, de manière générale, dans le rapport du

capitaine de frégate Christmas et dans la note du contre-amiral Leclair.

12. Singapour fait valoir que le fait que ces tâches étaient celles ordinairement accomplies

par tout administrateur de phares «n’enlève rien à son caractère souverain dans ce cas». Mais il

s’agit-là d’une logique circulaire, comme beauc oup de ce qui a été dit par Singapour dans cette

affaire. Ainsi par exemple, nous avons entendu M. Brownlie affirmer, je le paraphrase, que

133
Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir , poème du morse et du charpentier. «Mais il n’eut pas de réponse …
bien sot, qui s’en étonnerait car plus une huître ne restait.» L. Carroll, Through the Looking Glass (1872), disponible sur
Internet à l’adresse http://www.jabberwocky.com/carroll/walrus.html.
134
CMM, vol. 2, annexe 1, par. 56. - 53 -

Pedra Branca était terra nullius puisque nous l’avons acquise par voie d’occupation, et nous

l’avons acquise par occupation parce qu’elle était terra nullius. Le raisonnement circulaire de

M.Bundy est légèrement différent: «Nous avons acquis la souveraineté via l’administration du

phare et notre administration du phare était un ac te à titre de souverain puisque nous avions la

souveraineté.» Nous avions déjà les montagn es russes qui descendent toujours et ne remontent

jamais et nous avons maintenant le cercle vicieux perpétuel !

59 13. Les éléments produits par Singapour à l’a ppui de ses prétentions ne font qu’étayer la

thèse de la Malaisie. Les rappor ts annuels du département de la marine des Etablissements des

détroits et de la colonie de Singapour, tout comme la législation, concernent le groupe de phares de

Singapour, que Singapour administrait dans le cadre du système des phares des détroits. Il ressort

clairement de ces documents que les activités entreprises ⎯ avant comme après l’indépendance ⎯

pour administrer et entretenir les phares étaien t les mêmes sur le territoire qui appartenait à

Singapour et sur le territoire qui ne lui appartenait pas: il n’était fait aucune distinction entre les

deux. J’en viens maintenant au troisième point de ma liste.

iii) Les avis aux navigateurs concernant PBP

14. Il n’y eut pendant la période qui nous intéresse qu’une seule occasion au cours de

laquelle Singapour publia un avis aux navigateurs. C’était en 1981, à propos de l’échouage d’un

navire 13. La première remarque que l’on peut faire est que cela se situe après la date critique. Les

deux avis publiés par la Grande-Bretagne en18 51 et 1887 ont été examinés par sir Elihu et son

analyse s’applique également à l’avis de Singapour.

15. Il ressort des rapports fournis par Singapour à l’appui de son argumentation que le

Master Attendant des services portuaires de Singapour publia it des avis concernant des eaux sur

lesquelles Singapour n’avait pas de juridiction territoriale et ce, à juste titre 136. Et je crains bien

que tout ce que j’avais à dire sur ces avis se résumera à cela, à moins que la Cour ne m’en demande

davantage.

135
MS, annexe 150. Voir aussi RS, par. 4.104.
136
MS, annexe 82. - 54 -

iv) Exercice de pouvoirs juridictionnels sur le personnel résidant sur l’île et maintien de

l’ordre

16. Singapour prétend qu’en tant que détenteur de la souveraineté territoriale, elle a exercé sa

juridiction sur le personnel qui résidait sur l’île et a assuré le maintien de l’ordre. Elle s’appuie sur

l’ordonnance de 1928 sur la marine marchande et sur ses révisions ultérieures, ainsi que sur les

éditions successives des règlements et instructions applicables aux phares, qui traitent de la

conduite des gardiens de phare, de l’accès aux phares, du déploiement de pavillons et d’autres

questions. Bien que la plupart de ces faits remontent à la période britann ique, je les traiterai

ensemble pour plus de commodité.

17. J’aimerais faire trois remarques. Pr emièrement, les sections des ordonnances sur la

marine marchande auxquelles Singapour se réfère sont des dispositions générales se rapportant aux

fautes commises par toute personne employée dans un phare. Si l’exploitant du phare de

60 Pulau Pisang s’enivre et jette des bouteilles sur la population locale, il commet un délit au titre de

ces ordonnances ⎯même si, Monsieur le président, je ne pense pas un instant qu’il ferait une

chose pareille. Ces dispositions ne s’appliquent pas spécifiquement au phare Horsburgh qui n’y est

d’ailleurs pas nommé.

18. Deuxièmement, les règlements et instru ctions applicables aux phares sont aussi des

documents d’application générale : ils valent pour tous les phares qui sont sous la responsabilité de

Singapour. L’ensemble des phares administrés par Singapour y sont mentionnés expressément et le

phare Horsburgh figure très naturellement sur la liste en même temps que le phare de Pulau Pisang.

19. Troisièmement, le témoignage du capitaine Glass et de M. Brewer atteste du fait que les

actes en question avaient un caractère purement administratif 137. Le contenu des règlements de

138
service du phare de Trinity House est compar able à celui des règlements de Singapour . Trinité

House n’est pas une entité souveraine. Il ne s’agit pas là d’une conduite à titre de souverain.

v) Collecte d’informations météorologiques

20. Singapour allègue que l’utilisation du phare Horsburgh à des fins météorologiques

constituait une conduite à titre de souverain. Mais la collecte de données météorologiques fait

137
CMM, annexe 1, par. 38-39.
138
CMM, annexe 1 (annexe 4 du rapport). - 55 -

partie des activités habituelles des exploitants de phares et n’a rien à voir avec la souveraineté. Il

s’agit d’une tâche spécifiée dans la convention SOLAS 139. Cela est confirmé dans le Navguide de

l’AISM 140— dont vous trouverez les références dans le texte. Cela est également confirmé par le

141 142
contre-amiral LeClair , par le capitaine Glass, par M.Brewer , et par le capitaine de frégate

Christmas 14. Une foule de témoins, me direz-vous, mais cela s’explique à la fois par

l’emplacement des phares qui sont souvent situés sur des rochers ou des îles ou des points extrêmes

de la côte, et par l’importance d’informations météorologiques fiables pour la sécurité de la

navigation.

21. Compte tenu de tous ces faits ⎯qui sont soulignés dans nos écritures ⎯, Singapour a

modifié son argumentation. Elle attire maintena nt l’attention sur les sommaires des observations

pour les années 1959 et 1966 publiés successivement pa r le service météorologique malais et par

les services météorologiques de Malaisie et de Singapour et dit qu’ils décrivent la station

61 pluviométrique de PBP comme étant située à Singapour 14. Mais ce que disent ces documents,

c’est que le phare Horsburgh est une station pluviomé trique de Singapour. Il l’était effectivement.

Le phare du sultan Shoal et le phare Raffles fi gurent également sur la liste des stations

pluviométriques de Singapour. Singapour attire l’ attention sur la formul e contenue dans la

première phrase du sommaire des observations ⎯précisément là où l’on attendrait une

reconnaissance de souveraineté ⎯ qui dit qu’il y a «vingt-neufstations pluviométriques à

Singapour». Elle fait observer que les stati ons pluviométriques de Singapour ne sont pas

mentionnées dans le sommaire des observations publié en 1967 par le service météorologique de la

Malaisie. Mais il n’y avait pas de raison de ré péter deux fois des observations. Selon Singapour,

ces deux faits pris conjointement constituent une «reconnaissance de la souveraineté sur

145
Pedra Branca» . Monsieur le président, Messieurs de la Cour, condamnés à de longs séjours à

139Art. 5.

140CMM, annexe 53, par. 3.5.1.3.
141
CMM, annexe 3, réponse 4.
142
CMM, annexe 1, par. 27-29.
143CMM, annexe 12, par. 8.8-8.9.

144CR 2007/23, p. 19, par. 42 (Bundy).

145CR 2007/22, p. 22, par. 47 (Bundy). - 56 -

La Haye, vous pensez peut-être que le temps qu’il fait est une chose importante, mais ce n’est pas

si important que cela! Des relevés pluviométri ques sont faits par n’importe qui, et l’idée qu’ils

puissent constituer une reconnaissance de la souve raineté britannique ou de la souveraineté de

quiconque du reste est totalement farfelue.

vi) Déploiement du pavillon de la marine singapourienne

22. Singapour prétend que le déploiement du pavillon de la marine singapourienne était un

acte souverain. Le pavillon de la marine britanni que a flotté sur le phare Horsburgh pendant plus

d’un siècle. Il a été remplacé en 1953 par le pavill on de la marine de la colonie de Singapour puis

plus tard par le pavillon de la marine de Républiq ue de Singapour. Pour autant qu’on le sache ni

l’Union Jack ou le drapeau de l’Union comme on l’appelle parfois ni le drapeau national

singapourien n’a jamais été déployé sur le phare Horsburgh.

23. Le point essentiel en l’espèce, c’est que le déploiement du pavillon de la marine sur un

phare n’est pas un acte à titre de souverain. Le déploiement de drapeaux et l’utilisation

d’emblèmes nationaux par un Etat sur le territoire d’un autre Etat ou sur un territoire ayant un statut

international est chose courante. A fortiori, le déploiement de pavillons par le responsable d’un

phare n’est qu’un acte de routine. Les pavillons ne sont pas des emblèmes de la souveraineté, mais

des marques de la nationalité et sont principale ment arborés par des navires. Trinity House a son

propre pavillon. Le capitaine Glass et M. Brewer indiquent que le déploiement d’un pavillon sur

un phare est une chose de peu d’importance. Dans le milieu des exploitants professionnels de

62 phares qui sont pour la plupart des fonctionnaires de services nationaux, on n’a jamais pensé que le

déploiement d’un pavillon sur un phare avait une quelconque incidence sur la souveraineté.

24. Dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar la situation était différente. La visite du

prince du Siam dans ce temple avait un caractère quasi officiel et il n’y avait pas eu de réaction au

déploiement du drapeau national français. Singapour établit une analogie entre cet événement et la

situation au cours de laquelle le contre-amiral Thanabalasingam s’est rendu sur PBP en 1962. Eh

bien, le contre-amiral Thanabalasingam est certainement un homme distingué mais ce n’est pas un

prince du Siam. Il n’est resté sur l’île que peu de temps et ce n’était de toute façon pas une visite

officielle. Le contre-amiral Thanabalasingam a témoigné du fait que, en tant qu’officier de marine, - 57 -

il estimait que le déploiement du pavillon n’éta it que le signe que Singapour exploitait ce phare,

146
mais que cela n’avait rien à voir avec la souveraineté sur PBP . Cela me paraît être une opinion

raisonnable.

25. Enfin, Singapour fait valoir que la Ma laisie a eu une attitude différente en ce qui

concerne le déploiement du pavillon de la marine singapourienne sur le phare de Pulau Pisang d’un

côté et sur le phare Horsburgh d’un autre côté . Le problème du déploiement du pavillon sur

PulauPisang s’est posé en raison d’une plainte qui avait été déposée par le mouvement de la

jeunesse de l’Organisation nationale des Malais unis en 1968 147. Face à ce problème politique

potentiel, la Malaisie avait demandé à Singapour de retirer son pavillon. La Malaisie ne considérait

pas le déploiement du pavillon sur PulauPisang co mme une marque de souveraineté —pas plus

que Singapour du reste; elle ne réclamait pas la souveraineté sur PulauPisang. C’était plutôt un

problème de sensibilité politique nationale qui a été réglé facilement par les deux Etats. Il ne

s’agissait pas d’une reconnaissance de souverain eté concernant une question qui n’était pas

controversée et qui n’avait rien à voir avec la situation géographique.

vii)Contrôle de l’accès à l’île, visites offi cielles et octroi d’autorisations pour la
réalisation d’études

26. Singapour soutient qu’elle contrôlait et autorisait l’accès à l’île pour le personnel venant

de Singapour et d’autres Etats. Elle affirme aussi qu’elle délivrait des autorisations aux

fonctionnaires malaisiens qui souhaitaient se rendre sur l’île pour y effectuer des études

scientifiques ; qu’elle avait refusé l’accès à PBP à du personnel malaisien et qu’elle avait donné à

la Malaisie et à d’autres Etats l’autorisation de pé nétrer dans les eaux autour de PBP. Singapour

interprète à tort son autorité sur le phare comme une autorité sur l’île. Le capitaine Glass et
63

M.Brewer ont dit très clairement que le fait de contrôler l’accès à un phare et aux eaux

environnantes, y compris pour les besoins d’étude s techniques et scientifiques est de pratique

courante dans le cadre de l’administration d’un pha re et fait partie des responsabilités normales de

146
CMM, annexe 4, par. 35.
147
CMM, annexe 40. - 58 -

tout exploitant 148. De même le capitaine de frégateChristmas déclare: «Tous les administrateurs

de phares sont responsables de la sécurité des phares qu’ils exploitent et de l’accès à ceux-ci, ainsi

que des activités du personnel qui y est stationné.» 149

27. Singapour s’appuie sur les règlements et instructions de 1961 et 1974 qui régissent la

conduite des gardiens de phare. De tels règlements sont pratique courante. Les règlements en

question ne sont pas spécifiques au phare Horsburgh mais ce sont des instructions générales qui

s’appliquent à la conduite du pe rsonnel des phares dans tous les phares qui se trouvent sous la

responsabilité de Singapour.

28. Deuxièmement, Singapour déclare qu’en raison des nombreuses demandes d’autorisation

de visite sur PBP qui lui étaient adressées, le Master Attendant a été obligé d’établir un tour de rôle

en 1946. Elle y voit une preuve du contrôle exer cé par Singapour sur PBP. Les documents fournis

par Singapour à l’appui de cette affirmation sont sans consistance et les demandes d’autorisation de

se rendre sur PBP sont en fait des demandes d’autori sation de visiter le phare. L’affirmation selon

laquelle le Master Attendant a établi des règles «en raison du grand nombre de demandes

d’autorisation de visiter le phare» qu’il recevait est excessive: le document annexé à l’appui de

cette affirmation concerne «les visites aux pha res par le personnel et leur famille à bord

du Berkas» 150et a trait aux visites des phares en général et non à celle du phare Horsburgh en

particulier.

29. En outre, le registre des visites montre que bon nombre d’entre elles étaient en fait des

inspections de routine et des missions d’entretien sur l’île faisant partie de l’exploitation et de

l’entretien normaux du phare et des installations connexes. Singapour insiste beaucoup sur le fait

que des dignitaires singapouriens s’étaient rendus dans le phare, mais il n’y a là rien de surprenant.

Comme cela est consigné dans le rapport Glass-Brewer qui porte sur le phare de Trinity House, il

était courant que des membres du personnel de Trin ity House effectuent des inspections des phares

64 placés sous leur responsabilité et qu’à cette occasion, ils soient «accompagnés par des

dignitaires» 151. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, même un dignitaire a droit à une

petite sortie sur un phare.

148CMM, annexe 1, par. 49-50.
149
CMM, annexe 2, par. 8.7.
150
MS, annexe 104.
151CMM, annexe 1, par. 39. - 59 -

30. Singapour soutient que les étrangers, y compris les fonctionnaires malaisiens qui

souhaitaient se rendre sur l’île, deva ient obtenir des autorisations et elle cite quatre exemples

couvrant cette période.

31. Le premier exemple concerne la visite effectuée en 1974 par une équipe mixte de

recherche hydrographique dans le chenal de Rume nia. Cette équipe était composée de membres

malaisiens, japonais, indonésiens et singapouriens et ses travaux s’étendirent sur une période de

sept à huitsemaines. Il ressort des documents joints en annexe que quelques-uns de ces

152
fonctionnaires ont souhaité «séjourner au phare Horsburgh pour y observer les marées» . Même

si des fonctionnaires malaisiens ont séjourné au ph are, l’autorisation avait été demandée et a été

également accordée pour des membres de l’équipe conjointe et non pas uniquement pour les

membres malaisiens. L’autorisation n’était pa s requise pour accéder à l’île, mais pour pouvoir

loger au phare.

32. Le deuxième exemple porte sur une note du 9 mai 1978 sollicitant l’autorisation, pour un

bâtiment de la marine nationale malaisienne, de pénétrer dans les eaux territoriales de Singapour

153
afin d’y inspecter les marégraphes . La note contient aussi une liste de treize coordonnées

géographiques. Celles-ci se rapportent aussi bi en à la station du phare Horsburgh qu’à celle du

phare de Pulau Pisang. Les lieux mentionnés sur cette liste sont situés tantôt dans les eaux

territoriales de la Malaisie, tantôt dans celles de l’Indonésie et de Singapour. La note ne dit pas que

PBP relève des eaux territoriales singapouriennes.

33. Troisièmement, Singapour affirme qu’elle contrôlait l’accès des intervenants étrangers

aux eaux territoriales autour de PBP et que cela constituait une forme de reconnaissance de la

souveraineté territoriale de Singapour 154. Aucun élément de preuve n’est fourni concernant ces

intervenants étrangers en général, et un seu l exemple est cité concernant un échange de

correspondance avec une société privée, la Regis Lt d, entre mai et juillet 1981 au sujet d’un levé à

effectuer en vue d’un renflouage dans une zone située «à environ 6 à 10 milles au nord-est du phare

152MS, annexe 112-121.
153
MS, annexe 137.
154CR 2007/23, p. 19, par. 41 (Bundy). - 60 -

Horsburgh» 155et par conséquent en dehors des eaux territoriales de Singapour, quel que soit le

point de vue par rapport auquel on se place. La demande de la Regis Ltd concernait les eaux

territoriales autour «de l’îlot sur lequel se trouve le phare Horsburgh», ce qui est une circonlocution

156
évidente . Mais ces arguments appellent de toute façon trois brèves réponses. Premièrement,

tous ces événements se situaient après la date cr itique. Deuxièmement, la Malaisie n’était pas au

65 courant de cette correspondance et n’était donc pas en mesure d’y répondre. Troisièmement, la

reconnaissance de la souveraineté n’est pas quelque chose qui relève d’intervenants privés.

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, vous serez soulagés d’apprendre que cela clôt

ma liste. Malheureusement, cela n’achève pas mon exposé. Je passerai donc au chapitre suivant.

Partie II : activités de Singapour sans lien avec le phare

34. Les activités que je viens d’évoquer avaient toutes trait à l’exploitation du phare, ou des

phares en général. Les activités non liées au phare sur lesquelles se fonde Singapour sont

extrêmement limitées. Bien qu’elle allègue les avoir accomplies à titre de souverain, rien n’atteste

l’existence de liens entre lesdites activités et la souveraineté sur Pulau Batu Puteh.

i)atrouillensavales

35. Singapour soutient que les patrouilles na vales qu’elle a effectuées sont des actes

accomplis à titre de souverain concernant Pulau Batu Puteh.

36. En réalité, la Royal Navy malaisienne n’a jamais cessé, depuis 1957, d’effectuer des

patrouilles dans les eaux entourant Pulau Batu Pute h, y compris après la naissance du différend.

Les patrouilles sporadiquement effectuées par la marine de Singapour, après sa création en

avril 1975, ne peuvent se comparer aux patrouilles auxquelles la marine royale malaisienne procède

systématiquement et de longue date dans cette zone. M. Schriver développera ce point demain.

37. Singapour accorde une très grande importa nce aux instructions opérationnelles publiées

157
en 1975 concernant son périmètre de patrouille appelé «secteur F5» . Vous vous souviendrez, à

cet égard, de la carte projetée à l’écran. En réalité, certaines coordonnées figurant dans ces

155MS, annexe 151.
156
MS, annexe 152.
157MS, annexe 123. - 61 -

instructions auraient conduit les patrouilles à une distance de 1 à 1,5 mille des côtes du Johor et des

îles malaisiennes adjacentes, telles que Pulau Lima et Pulau Pemanggil. Dès lors, si l’on applique

le raisonnement de Singapour, elle possèderait égal ement la souveraineté sur les côtes du Johor.

En fait, les périmètres des patrouilles n’étaient pas limités à une zone située à 3milles de

PulauBatu Puteh. Ces patrouilles étaient destin ées à assurer la sécurité de la navigation et le

contrôle de l’immigration pour Singapour elle-même, à une épo que où circulaient de nombreux

bateaux chargés de réfugiés ; elles étaient sans lien avec la souveraineté sur Pulau Batu Pute
h.

66
ii) Installation de matériel militaire

38. Le second élément est l’installation de matériel militaire. Singapour allègue avoir

installé du matériel de communication militaire en 1977. Ainsi que notre agent l’a indiqué, la

Malaisie n’en avait pas connaissance avant de lire le mémoire de Singapour. A l’évidence, un

radar de navigation peut être utilisé dans un phare à des fins parfa itement normales de contrôle et

d’exploitation du phare. La Malaisie ignorait à l’ époque que le radar était destiné à tout autre

usage, si tant est, toutefois, que tel fut vraiment le cas.

iii) Arguments afférents aux enquêtes concernant les risques pour la navigation et les
naufrages

39. J’en viens maintenant au troisième point — à savoir les enquêtes concernant les risques

pour la navigation et les naufrages. Singapour soutient qu’elle a exercé son autorité souveraine sur

Pulau Batu Puteh en menant des enquêtes et en signalant les dangers pour la navigation et les

épaves présentes dans les eaux territoriales de Pulau Batu Puteh. Sir Elihu a évoqué les enquêtes

menées en 1920 et 1963. Or comme il l’a démontré, les enquêtes effectuées par la

Grande-Bretagne étaient sans aucun lien avec la souveraineté sur Pulau Batu Puteh.

40. En réalité, bien que Singapour s’appuie abondamment sur cet argument, elle n’a mené

qu’une seule enquête avant la cristallisati on du présent différend en février 1980. Celle-ci

concernait l’échouage d’un navire marchand, le Yu Seung Ho, le 16 novembre 1979. En vertu de la

loi sur la marine marchande, un agent fut dési gné début décembre pour enquêter sur cet incident

survenu à Horsburgh 158. Toutefois, la loi sur la marine marchande contient certaines dispositions

158
MS, vol. 6, annexe 139. - 62 -

en vertu desquelles une enquête peut être menée sans que l’incident se soit produit dans les eaux de

159
Singapour . Et effectivement, aux termes de la législation singapourienne, ce sinistre ne s’est pas

produit dans ses eaux. Rien dans le dossier relatif à l’incident, qu’il s’agisse de la demande ou du

rapport y relatifs, n’explique le fondement de cet te enquête. En fait, l’incident s’est produit à

seulement 600mètres à l’est du phare et il ét ait normal que Singapour, en tant qu’autorité

responsable de son exploitation, ait mené l’enquête, comme l’attestent le rapport Glass-Brewer et le

contre-amiral LeClair.

41. Toutes les autres enquêtes citées par Singapour ont eu lieu bien après la date critique. En

outre, chacun des cinq incidents évoqués pour la période allant de 1985 à 1998 était clairement lié à

Singapour et il n’est pas surprenant qu’elle se soit chargée des enquêtes. Dans deux cas, les navires

étaient immatriculés à Singapour. Dans quatre autres, ils y avaient été mis en cale sèche pour subir

67 des réparations. Tous ces navire s venaient juste de quitter Singapour après y avoir chargé leur

cargaison et tous avaient contacté l’autorité portuaire singapourienne, soit pour demander

assistance, soit ⎯dans un cas ⎯ pour indiquer que le bateau rentrerait au port par ses propres

moyens. Aucune de ces enquêtes n’avait un lien quelconque avec la souveraineté sur

Pulau Batu Puteh.

iv) Enquêtes sur les morts accidentelles survenues dans les eaux entourant PBP

42. Le quatrième point concerne les enquêt es relatives à une ou des morts accidentelles

survenues dans les eaux entourant le phare. Singapour allègue que l’enquête menée par son

Coroner d’Etat sur le très regrettable décès de trois membres des forces armées singapouriennes

dont le navire avait chaviré au large de PBP en 1980 était un acte accompli à titre de souverain.

43. Cet incident a eu lieu après la cristallisati on du différend. En tout état de cause, c’est un

principe de droit international bien établi que l es navires de guerre jouissent, à l’égard de l’Etat

étranger dans les eaux duquel ils se trouvent, d’une i mmunité absolue de juridiction. L’immunité

des bâtiments de guerre est expressément affirmée au paragraphe 2 de l’article 22 de la convention

de1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë , ainsi qu’à l’article32 de la CNUDM. Tout ce

que l’Etat riverain est en droit de faire en pareil cas, c’est d’exiger «la sortie du navire hors de [s]a

159
CR 2007/22, p. 26, par. 59 (Bundy). - 63 -

mer territoriale». Par conséquent, le Coroner d’Etat de Singapour avait compétence pour enquêter

sur les morts survenues à bord de ce navire de gue rre, non pour des raisons liées à PBP, mais du

fait du statut de l’équipage. L’enquête devait se dérouler, comme il se doit, à l’endroit où le navire

avait chaviré.

v) Projets de récupération de terres immergées

44. Enfin, j’en viens au cinquième point, à savoir les projets visant à gagner des terres.

Singapour s’appuie sur de prétendus projets de récupération de terres datant de1978 qui

démontreraient, selon elle, qu’elle détenait la souveraineté sur PBP. La Cour sait désormais que,

entre1977 et1980, des choses se passaient, que l es Parties reconsidéraient leur position, et que

c’est à cette époque que le différend éclata. J’en dirai un peu plus dema in sur la conduite des

Parties au cours de cette période cruciale. Le 27janvier1978 fut publiée, dans un journal de

Singapour, une annonce peu précise faisant référence à ce projet, dans laquelle étaient simplement

160
évoqués des travaux de protecti on du rivage au phare Horsburgh . L’avis d’appel d’offre est

68 reproduit sous l’onglet 107 de vos dossiers ⎯ il est très bref, comme vous pouvez le constater. La

mention «Travaux de récupération de terrain et de protection du rivage au phare Horsburgh»

occupe quatre lignes, soit à peu près un dixième de la longueur de cette annonce, parue une seule

fois. Les détails des projets de récupération étai ent confidentiels, comme l’attestent les documents

de Singapour 161. Cette dernière dit avoir également ét udié des projets visant à gagner des terres

autour de PBP en1973, puis en1974. Elle n’a toutefois pas prouvé qu’ils avaient été rendus

publics, et évidement, aucune terre n’a été gagnée, il s’agissait de simples projets. La Malaisie ne

pouvait en avoir et n’en avait pas connaissance, et il ne s’agit pas là d’ac tivités contre lesquelles

elle aurait été amenée à protester.

vi)Autresactivités

45. Une dernière catégorie regroupe les autr es activités. Singapour allègue également avoir

accompli divers autres actes à titre de souverain concernant Pulau Batu Puteh. Elle cite : le fait que

des navires de la marine singapourienne aient transp orté sur l’île des dignitaires de Singapour, ou

160
MS, annexe 135, p. 1065.
161
Ibid., p. 1066 et suiv. - 64 -

que ces navires aient évacué un entrepreneur bl essé et un pêcheur singapourien en détresse; ou

encore le fait qu’un navire de la marine singa pourienne soit venu en aide à un navire singapourien

victime d’un pillage. Cependant, ou bien ces incidents touchaient directement le phare parce qu’ils

concernaient des personnes qui s’y trouvaient, ou bien ils impliquaient des ressortissants

singapouriens. Encore une fois, ils sont sans lien av ec Pulau Batu Puteh en tant qu’île. Comment

des dignitaires auraient-ils pu se rendre au phare et comment des ressortissants singapouriens

auraient-ils pu être secourus si ce n’est de cette manière ?

Monsieur le président, je dois maintenant vous parler de la manière dont Singapour

représentait son propre territoire, mais cette par tie de mon exposé prendra un peu plus de temps

qu’il ne nous en reste et je pense que la Cour , après avoir entendu tous ces détails exposés par le

menu, mérite une pause anticipée.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je pense que nous pouvons continuer.

M. CRAWFORD: Si tel est le souhait de la C our, mais j’aimerais toutefois traiter cette

partie dans son ensemble, ce qui me prendra une dizaine de minutes.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Entendu.

M. CRAWFORD : Merci.

69 Partie III : La manière dont Singapour représentait son territoire

46. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, ce maigre exposé de détails hétéroclites

pour lequel j’ai, pendant trenteminutes, retenu votre attention ⎯si «retenir» n’est pas un terme

trop fort ⎯ contraste avec un fait bien plus significatif. Entre 1965 et 1980, jamais Singapour n’a

représenté Pulau Batu Puteh comme faisant partie de son territoire. Pulau Batu Puteh était

considérée comme située ailleurs, ce qui éta it évidemment le cas. Je mentionnerai ici

cinq éléments.

i) L’appréciation de J. A. L. Pavitt

47. Prenons tout d’abord l’appréciation de Pa vitt. Directeur de la marine de Singapour

pendant de nombreuses années, Pavitt est l’auteur d’un ouvrage intitulé First Pharos of the - 65 -

Eastern Seas : Horsburgh Lighthouse qui fut publié en 1966 par le c onseil des droits de phare de

Singapour. Pour les membres de la Cour qui prisent la littérature consacrée aux phares ⎯ je doute

qu’ils soient légion ⎯, il s’agit d’une lecture fort intér essante. Un passage revêt toutefois un

intérêt particulier. Se référant à la responsab ilité du conseil des droits de phare de Singapour ⎯ il

ne vous est pas nécessaire de lire l’ouvrage, mais lisez ce passage ⎯, Pavitt indique (onglet 108) :

«Le conseil, institué par la loi de1957, est chargé de la fourniture et de
l’entretien de tous types d’aides à la na vigation dans les eaux de Singapour, ainsi que
pour les stations plus éloignées de PedraBranca (Horsburgh) en mer de Chine

méridionale et de Pulau Pisang dans le détroit de Malacca. Dans les ea162de
Singapour, le conseil entretient les phares Raffles, Sultan Shoal et Fullerton.»

De toute évidence, Pavitt pensait que le phare Hors burgh ne faisait pas partie des eaux territoriales

de Singapour. Il fait clairement la distinction en tre les aides à la navigation situées «dans les eaux

de Singapour» et celles implantées sur les «stations plus éloignées» de Horsburgh et de

PulauPisang. Dans la phrase débutant par «Dans le s eaux de Singapour, le conseil entretient», il

énumère les trois phares, mais exclut le phare Horsburgh.

48. Singapour soutient que la référence de Pavitt aux «eaux de Singapour» «désigne

simplement les eaux entourant l’île de Singapour». Elle indique ensuite que, si le phare Horsburgh

et celui de Pulau Pisang étaient mentionnés à part en tant que «stations plus éloignées», c’était

uniquement par commodité. Dans ses plaidoiries, elle s’est bornée à déclarer que Pavitt ne dit rien

qui laisse entendre que PBP n’était pas singapourienne 163⎯ en contradiction avec le sens évident

des termes utilisés par l’intéressé. D’après ce que je sais des directeurs de la marine, ce sont des

hommes directs qui appellent un chat un chat. Quoi qu’il en soit, Pavitt s’est exprimé clairement :

70 «Le conseil … est chargé de la fourniture et de l’entretien de tous types d’aides
à la navigation dans les eaux de Singapour , ainsi que pour les stations plus éloignées
de Pedra Branca (Horsburgh) en mer de Chin e méridionale et de Pulau Pisang dans le

détroit de Malacca. Dans les eaux de Singapour, le conseil entretient les [trois autres]
phares.» (Les italiques sont de nous.)

A mon sens, il ne pensait pas que Pedra Branca ou Pulau Pisang étaient situées dans les eaux de

Singapour. C’est ce qui découle des termes de sa déclaration, me semble-t-il.

49. Singapour invoque une lettre de D.T.Brown de 1967, dans laquelle celui-ci indique:

«On m’a informé que les eaux situées dans un rayon de 3milles du phare Horsburgh… peuvent

162
MM, annexe 74. Voir dossier de plaidoiries, onglet 108.
163
CR 2007/22, p. 35-36, par. 93 (Bundy). - 66 -

être considérées comme des eaux territoriales de Singapour.» 164 Nous ne savons pas qui a informé

Brown, dans quel contexte la lettre a été rédigée, ou si l’intéressé donnait un avis définitif sur le

statut des eaux entourant PBP. De toute façon, la lettre ne fut pas publiée par le conseil des droits

de phare de Singapour, contrairement à l’ouvrage de Pavitt.

50. Pavitt était un spécialiste faisant autor ité pour ce qui est des activités du conseil des

droits de phare de Singapour, dont celles se rapportant au phare Horsburgh ⎯qui mieux que lui

pouvait connaître le statut du phare ? Il est clair : le phare de Pulau Pisa ng et le phare Horsburgh

ne se trouvaient pas dans les eaux de Singapour mais étaient seulement administrés par la «station»

de Singapour.

51. On retrouve exactement la même distincti on dans la législation singapourienne, à savoir

la loi de 1969 relative aux droits de phare, à laquelle je me suis déjà référé.

ii) La pratique de Singapour en matière cartographique et le recensement de ses îles

52. Voici mon second point : il s’agit de la pra tique de Singapour en matière cartographique

et du recensement de ses îles. La manière dont Singapour a représenté sa propre étendue

territoriale ⎯représentation qui est l’Œuvre d’un Etat très petit et très soucieux d’indiquer sa

souveraineté territoriale sur les cartes et autres descriptions de son territoire ⎯ cadre parfaitement

avec la conception de Pavitt selon laquelle PBP n’était pas une île singapourienne. Aucune carte

de Singapour ne lui attribua PBP avant la date critique , je dis bien aucune carte en cent trente ans.

MmeNevill expliquera la prati que de Singapour en matière cart ographique lorsqu’elle fera ses

débuts devant la Cour demain.

53. De même, Singapour n’a jamais inclus PB P dans les listes détaillées d’îles qu’elle a

établies pour le rapport annuel de son bureau chargé des affaires rurales entre 1953 et 1956, pas

plus que dans sa publication gouvernementale, Singapore Facts and Pictures, qui est parue chaque

année ou presque depuis les années soixante. Ch aque édition comprend une carte de Singapour et

71 une liste de ses cinquante-quatre îles, y compris le s îles récifales et de mi nuscules îles inhabitées

encore plus petites que PBP ⎯l’on ne pourrait même pas y jouer au football ⎯ telles que

164
CMS, annexe 42. - 67 -

PulauBiola, Pulau Satumu et Pulau Ular, qui é quivaut aux deux-tiers de PBP; l’on pourrait

probablement y jouer au handball 165! Vous trouverez sous l’onglet 109 un exemple de cette liste,

tiré du Singapore Facts and Pictures de 1972.

54. En résumé, Singapour a toujours pris grand so in de recenser les récifs, îles et rochers

situés dans ses eaux, jusq u’aux plus petits rocher ⎯ chaque minuscule caillou sur lequel elle avait

souveraineté. Mais PBP ne fut jamais incluse da ns la liste de ses îles avant 1992, soit douzeans

166
après la date critique . Où étais-tu donc, liste, quand nous avions besoin de toi ?

55. Singapour répond que la publication du bureau chargé des affaires rurales est dénuée de

pertinence et que la brochure intitulée Singapore Facts and Pictures n’avait rien à voir avec une

définition juridique de PBP. C’était après tout, dit- elle, une publication du ministère de la culture.

Eh bien, un ministère en vaut bien un autre. Et quoi qu’il en soit, pour le ministère de la culture,

c’était une constante. Selon Singapour, il s’ag issait d’une publication pour touristes qui ne

concernait pas PBP, car celle-ci ne disposait d’aucune infrastructure touristique 167. Mais, à notre

connaissance, chacune des quelque cinquante îles recensées ne disposait pas systématiquement

d’infrastructures touristiques. Il est permis de présumer que les îles plus petites que PBP n’en

avaient pas. Surtout, l’argument de Singapour tend à occulter le fait que celle-ci ne peut désigner

aucune liste d’îles publiée avec l’imprimatur du gouvernement qui incluait bien PBP.

iii) La pratique de Singapour en matière d’eaux territoriales

56. La pratique de Singapour en matière d’ea ux territoriales va radicalement à l’encontre de

sa prétention alléguée à la souveraineté sur PBP. Singapour n’a jamais adopté de loi repoussant la

limite de ses eaux territoriales au-delà de 3 milles marins. Elle n’a pas délimité le secteur de PBP

dans l’accord de 1973 relatif aux eaux territoriales qu’elle a conclu avec l’Indonésie, bien que PBP

et Bintang, côté indonésien, soient situées l’une en face de l’autre, ce qui aurait imposé une

délimitation des eaux territoriales si PBP avait ét é singapourienne. Singapour soutient à présent

168
qu’il ne s’agissait que d’une délimitation partielle . Mais ce n’est pas ce qu’indique l’accord, qui

165Singapore Facts and Pictures, 1972 : MM, vol. 3, annexe 79.
166
Singapore Facts and Pictures, 1992 : MM, vol. 3, annexe 83.
167CR 2007/22, p. 35, par. 91 (Bundy).

168Voir, par exemple, le CR 2007/20, p. 32, par. 35 (Chao). - 68 -

ne contient aucune disposition en ce sens. Aucune mention n’est faite d’une quelconque zone

72
restant à délimiter entre les deux parties. Dans le cas d’une délimitation partielle, l’on s’attendrait à

trouver une telle disposition, qui apparaît bien dans le cadre d’autres dé limitations partielles

opérées dans la région.

57. Pareillement, si elle s’estimait souvera ine sur PBP, Singapour aurait logiquement dû

protester contre l’accord relatif au plateau con tinental conclu en 1969 entre l’Indonésie et la

Malaisie, qui aurait porté attein te à la portion de plateau continental à laquelle elle aurait

éventuellement pu prétendre. Singapour n’en a rien fait.

Conclusion

58. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, Singapour est l’administratrice du phare

Horsburgh, et rien de plus. Les activités que la Grande-Bretagne et elle-même ont menées à

l’égard du phare ne traduisaient et ne traduisent pas une conduite à titre de souverain. Vous avez

entendu la conclusion des experts de la pratique relative aux pha res, à savoir que les activités

invoquées par Singapour qui sont antérieures à la cristallisation du diffé rend constituent soit des

actes que l’administrateur d’un phare est tenu d’accomplir, soit des actes qui peuvent être

considérés comme relevant de la pratique ordinaire de l’administration des phares. Cette

conclusion est confortée par l’histoire du système de s phares des détroits et par le cas similaire du

phare de Pulau Pisang, administré par Singapour sur le territoire malaisien. Il est significatif que,

avant la date critique, on ne puisse trouver aucun élément de preuve attestant une intention

manifestée publiquement d’exercer une souveraineté sur PBP, que ce soit de la part de la

Grande-Bretagne ou de celle de Singapour. Cette observation est c onfirmée par la déclaration de

Pavitt et par les autres documents que j’ai cités. Face à tous ces éléments, il s’avère qu’à la date

critique le titre sur PBP revenait à l’Etat qui déte nait la souveraineté sur l’île en 1965, à savoir la

Malaisie, comme nous l’avons démontré, et que tel est toujours le cas à l’heure actuelle.

59. Qui plus est ⎯ eu égard à tous ces éléments ⎯ l’argument de Singapour selon lequel la
169
Malaisie n’a absolument jamais protesté contre sa conduite sur l’île tombe à plat . Il n’existait

aucune conduite menée ouvertement à titre de souvera in contre laquelle il y eut lieu de protester.

169
CR 2007/22, p. 12, par. 2 ; p. 13, par. 3 (Bundy). - 69 -

La conduite de Singapour a toujours été conforme à ce lle d’un administrateur de phare et d’un Etat

côtier, d’un Etat voisin dans le détroit de Singapour. S’agissant de sa conduite en qualité

d’administrateur de phare, le Johor avait consenti à l’établissement et à l’exploitation du phare.

S’agissant de ses activités en tant qu’Etat côtier, elles ne se rapportaient pas de manière générale au

phare proprement dit, mais s’inscrivaient dans le cadre de la régulation ordinaire de la navigation et

73 des propres affaires de Singapour dans le détroit. Dans aucun des deux cas, il n’existait de raison

spécifiquement liée au territoire de PBP pouvant conduire la Malaisie à protester.

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre patience et de votre

attention. Merci également pour les cinq minutes supplémentaires que vous m’avez accordées,

Monsieur le président. Ainsi s’achèvent les exposés de la Malaisie pour la matinée.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Monsieur Crawford, je vous remercie

pour votre plaidoirie, qui conclut l’audience de ce matin. L’audience est ma intenant levée et nous

reprendrons demain à 10 heures.

L’audience est levée à 13 h 10.

___________

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