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090-20030221-ORA-01-01-BI
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CR 2003/9 (traduction)
CR 2003/9 (translation)
vendredi 21 février 2003 à 10 heures
Friday 21 February 2003 at 10 a.m.
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Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit
aujourd’hui pour entendre le premier tour de plaidoiries des Etats-Unis d’Amérique. Les
Etats-Unis prendront la parole ce matin, puis le lundi 24 février à 15 heures; le mardi 25 février à
10 heures et le mercredi 26 février à 10 heures et 15 heures. Je donne donc la parole à
M. William Taft, l’agent des Etats-Unis d’Amérique.
M. TAFT :
1. EXPOSE INTRODUCTIF
1.1. Merci, Monsieur le président. C’est pour moi un honneur que de me présenter devant la
Cour en qualité d’agent des Etats-Unis d’Amérique. Monsieur le président, je vous félicite de votre
réélection au sein de la Cour et aussi d’avoir récemment été élu président. Je tiens également à
féliciter de sa réélection M. le juge Koroma et de leur élection MM. les juges Owada, Simma et
Tomka; je tiens aussi à féliciter le juge Ranjeva de son élection aux fonctions de vice-président de
la Cour. Je tiens à exprimer à l’Iran toute ma sympathie à la suite de l’accident d’avion qui a eu
lieu au début de la semaine. Nous adressons nos condoléances aux familles et à l’Iran.
1.2. La Cour, en sa qualité d’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies,
jouit d’une position unique sur la scène internationale. Les Etats ont une telle confiance en la Cour
qu’ils prévoient souvent d’un commun accord de soumettre à sa décision certains types de litiges
qu’ils n’auront pas été en mesure de résoudre eux-mêmes. La Cour, à son tour, grâce à l’intégrité
de ses procédures, se montre digne de la confiance des Etats qui s’en sont remis à sa compétence.
A cet égard, la Cour est investie d’une responsabilité particulière pour garantir que les Etats
n’abusent pas de cette tribune en produisant des arguments factuels et juridiques minutieusement
élaborés mais dénués de fondement pour lui faire cautionner un comportement manifestement
illicite ou pour faire condamner une conduite clairement indispensable qui est en fait de nature à
mettre efficacement fin aux comportements illicites.
1.3. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, l’Iran entend se servir de la
Cour dans cette procédure pour produire un effet pervers. L’Iran demande à la Cour de dire qu’en
vertu d’un traité conçu pour encourager les relations commerciales entre l’Iran et les Etats-Unis,
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ces derniers devaient rester totalement passifs pendant plus de trois ans tandis que l’Iran menait une
campagne d’attaques illicites contre les navires neutres, notamment américains, qui se livraient fort
légalement au commerce dans des eaux internationales. La Cour ne doit pas se laisser entraîner sur
une voie conduisant à une conclusion aussi scandaleuse. Cela n’est pas non plus nécessaire.
Comme nous le démontrerons au cours des prochains jours, les positions adoptées par l’Iran dans la
présente espèce sont dénuées de tout fondement factuel ou juridique et, de fait, sont dans certains
cas si manifestement erronées qu’elles en deviennent totalement malhonnêtes. Elles doivent être
rejetées.
1.4. Au cours des exposés qu’ils vous présenteront aujourd’hui et la semaine prochaine les
Etats-Unis passeront peut-être plus de temps qu’il n’est d’usage à exposer à la Cour les faits qui
sont à l’origine de la présente affaire et sont produits à titre de preuves. Cela est nécessaire non pas
parce que les questions qui se posent sont compliquées, mais plutôt parce que la version des faits
présentée à la Cour par l’Iran est terriblement incomplète et, sur de nombreux points concrets,
fausse.
1.5. Le récit des faits que présente l’Iran comporte d’importantes lacunes.
1.6. L’Iran ne vous a pas dit que durant les trois années précédant l’action des Etats-Unis qui
fait l’objet de sa requête, il avait lancé des attaques systématiques contre les navires neutres dans le
Golfe, tuant ainsi au moins soixante-trois marins, en blessant de nombreux autres et provoquant des
centaines de millions de dollars de dégâts. Il a agi de la sorte, c’est un fait incontestable.
1.7. L’Iran ne vous a pas dit que ces attaques avaient été condamnées par le Conseil de
sécurité des Nations Unies, par la Ligue arabe, par le Conseil de coopération du Golfe et par des
gouvernements du monde entier. Le dossier de l’affaire abonde en condamnations de la sorte, dont
certaines figurent notamment parmi les éléments de preuve produits par l’Iran lui-même.
1.8. L’Iran ne vous a pas parlé non plus des multiples tentatives diplomatiques par lesquelles
les Etats-Unis et d’autres gouvernements ont cherché à persuader l’Iran de cesser ses attaques.
Mais de nombreuses preuves de ces efforts figurent dans le dossier, tout comme leur rejet répété
par l’Iran.
1.9. Outre ces lacunes, le récit de l’Iran contient un certain nombre de déclarations erronées
qui sont inquiétantes.
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1.10. L’Iran nie avoir subrepticement procédé au mouillage de mines gênant la navigation
commerciale dans le Golfe. En réalité, les milieux de la navigation internationale n’ignoraient pas
que l’Iran se livrait à ce mouillage de mines à grande échelle dans les voies de navigation
internationale du Golfe, et cette activité a été observée par des témoins oculaires. Les Etats-Unis
ont même capturé un navire iranien ¾ le Iran Ajr ¾ et son équipage, lequel était en train de
mouiller des mines.
1.11. L’Iran vous a dit qu’il n’avait pas la capacité de lancer les missiles qui ont frappé deux
navires battant pavillon des Etats-Unis lorsqu’ils se trouvaient dans le port de Koweït. En réalité,
les récits de témoins oculaires et des preuves photographiques établissent clairement que l’Iran a
bien lancé ces missiles.
1.12. L’Iran vous a dit que ses plates-formes pétrolières offshore n’étaient que des
installations commerciales anodines qui ne participaient à aucune activité militaire offensive. En
réalité, les récits de témoins oculaires et des documents émanant de l’Iran lui-même établissent que
ces plates-formes faisaient partie de la structure militaire opérationnelle iranienne et que l’Iran les
utilisait pour lancer et coordonner ses attaques contre des navires neutres des Etats-Unis et d’autres
pays.
1.13. Monsieur le président, au cours de l’argumentation des Etats-Unis, nous comblerons
les lacunes et nous corrigerons les déclarations erronées qui entachent la version des faits que l’Iran
a présentée à la Cour. Et en définitive, la Cour constatera que la présente affaire peut être résumée
très simplement : les attaques incessantes de l’Iran contre les navires neutres des Etats-Unis et
d’autres pays ont porté atteinte aux intérêts vitaux des Etats-Unis en matière de sécurité et ont
rendu indispensables les mesures américaines contre les plates-formes pétrolières iraniennes ¾ des
mesures qui en soi n’ont eu aucun effet sur le commerce entre l’Iran et les Etats-Unis. Ces
questions de fait sont importantes car elles portent en elles les conclusions juridiques auxquelles on
ne peut manquer de parvenir, à savoir que les actes des Etats-Unis n’ont en aucune manière violé
les obligations qui leur incombaient en vertu du traité de 1955 sur lequel l’Iran fonde ses demandes
en l’espèce.
1.14. Permettez-moi de vous résumer la position des Etats-Unis et la façon dont nous
l’exposerons.
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1.15. Nous dirons pour commencer que le golfe Persique constituait l’un des centres
économiques mondiaux absolument essentiels pendant la période 1984-1988. La région du Golfe
fournissait 25 % du pétrole mondial et renfermait près des deux tiers des réserves pétrolières de la
planète. Il y avait bien un petit nombre d’oléoducs qui allaient jusqu’à la mer Méditerranée ou la
mer Rouge, mais le Golfe en revanche constituait à lui seul l’artère vitale par laquelle ce pétrole
alimentait toute l’économie mondiale. Par conséquent, la stabilité économique et la sécurité de la
quasi-totalité des Etats du monde se ressentaient de la moindre perturbation des expéditions de
pétrole brut transitant par le Golfe.
1.16. C’est ce que les pays du G7 ¾ l’Allemagne, le Canada, les Etats-Unis, la France,
l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni ¾ ne manquent pas de faire valoir en juin 1987. Ils adoptent
une déclaration par laquelle ils «réaffirm[ent] que la liberté de navigation dans le Golfe revêt pour
[eux] comme pour d’autres pays une importance cruciale, et que ce principe doit être respecté»
(annexe 232). En attaquant des navires présents dans le Golfe, l’Iran menaçait la sécurité
économique des pays du monde entier. Naturellement, l’Iran entendait également exercer des
pressions sur les pays tiers, notamment le Koweït et l’Arabie saoudite, pour que ces derniers
s’abstiennent d’entretenir des relations économiques licites avec l’Iraq, contre lequel l’Iran était en
guerre.
1.17. C’est à la lumière de ce contexte qu’il convient d’examiner les attaques illicites menées
par l’Iran contre les navires neutres croisant dans les eaux internationales du Golfe pendant la
période considérée. S’il était en guerre contre l’Iraq à cette époque, l’Iran ne l’était pas contre ses
voisins ni contre les nombreux pays dont les navires transitaient par le Golfe. En particulier, et
c’est ce qui est le plus important, l’Iran n’était pas en guerre contre les Etats-Unis. Et les
Etats-Unis n’étaient pas non plus en guerre contre l’Iran.
1.18. En citant diverses déclarations émanant de fonctionnaires américains, l’Iran a donné à
entendre que, puisque les Etats-Unis avaient parfois jugé (avec de nombreux autres Etats) que les
attaques de l’Iran contre des navires neutres pendant la guerre Iran-Iraq étaient plus dangereuses
que celles de l’Iraq, les opérations menées contre les plates-formes devaient être considérées
comme la marque d’une politique générale d’hostilité des Etats-Unis à l’égard de l’Iran plutôt que
ce qu’elles étaient en réalité, c’est-à-dire des mesures particulières visant à protéger certains
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intérêts vitaux des Etats-Unis sur le plan de la sécurité. En réalité, cependant, il ressort clairement
du dossier que, quels qu’aient pu être leurs objectifs de politique générale à l’égard du conflit, à
aucun moment les Etats-Unis n’ont eu recours à la force pour les mener à bien. Au contraire, les
Etats-Unis se sont conduits de façon rigoureusement conforme à leur statut de non-belligérant
neutre à l’égard de l’Iran pendant toute la guerre. C’est pourquoi, par exemple, les Etats-Unis
organisèrent le retour en Iran des membres de l’équipage de l’Iran Ajr après les avoir d’abord mis
en détention.
1.19. S’il faut dire quelle était réellement la politique des Etats-Unis vis-à-vis de la guerre,
celle-ci tient en peu de mots et nul ne l’ignorait. Les Etats-Unis ont toujours soutenu la position du
Conseil de sécurité des Nations Unies, notamment en 1980, lorsque ce dernier demande à l’Iran et à
l’Iraq de s’abstenir de tout recours à la force au moment de la première invasion de l’Iran par l’Iraq
(résolution 479 du Conseil de sécurité des Nations Unies (1980)); une nouvelle fois, en 1984,
lorsque le Conseil de sécurité condamne les attaques iraniennes contre les navires croisant dans le
Golfe (résolution 552 du Conseil de sécurité des Nations Unies (1984)); et à nouveau, en 1987,
lorsque le Conseil de sécurité en appelle au cessez-le-feu, demande le retrait des forces des deux
parties des territoires occupés et un règlement pacifique (résolution 598 du Conseil de sécurité des
Nations Unies (1987)). Après avoir soutenu en 1980 la première résolution du Conseil de sécurité
des Nations Unies que j’ai évoquée, l’Iran rejette la deuxième et la troisième. En ce sens, la
politique de l’Iran et celle des Etats-Unis à l’égard de la guerre divergeaient certainement. Mais les
Etats-Unis n’ont pas fait usage de la force contre l’Iran pour soutenir leurs objectifs politiques
pendant les huit longues années que dura la guerre Iran-Iraq.
1.20. Les Etats-Unis, en revanche, ont bien eu recours à la force lors des deux opérations
contre les plates-formes pétrolières iraniennes en 1987 et en 1988, et à une autre reprise, lorsqu’ils
ont arraisonné l’Iran Ajr, après l’avoir surpris en train de mouiller des mines dans des voies de
navigation internationales. Pourquoi cette autre attitude ? L’explication s’impose d’elle-même.
Lors de ces trois opérations distinctes, les Etats-Unis ne se préoccupent pas de politique générale ni
du sort de l’Iran et de l’Iraq dans le conflit qui leur est propre. Ils protégeaient contre les attaques
iraniennes leurs propres intérêts essentiels en matière de sécurité. Les opérations visant les
plates-formes n’ont eu en particulier rien à voir avec la guerre que menait l’Iran contre l’Iraq, elles
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s’expliquent uniquement par les attaques de l’Iran contre les navires neutres croisant dans le Golfe
et très précisément par les attaques dirigées contre les navires battant pavillon des Etats-Unis qui
les ont précédées.
1.21. Un Etat belligérant peut naturellement prendre un certain nombre de dispositions licites
et adaptées à l’égard des navires neutres pour s’assurer, par exemple, que son ennemi ne va pas
bénéficier de cargaisons de matériel militaire. L’Iran a évoqué le droit qu’il avait de prendre ces
mesures, mais a oublié de dire que, dans la plupart des cas, il ne l’avait pas fait. A la place, l’Iran a
mené ce qui n’était rien d’autre qu’une guerre illicite contre les navires neutres qui faisaient route
dans les eaux internationales du Golfe, une guerre qu’il pouvait mener grâce aux renseignements et
au soutien logistique fournis par ses plates-formes pétrolières, à l’aide d’avions, d’hélicoptères et
de canonnières, de mines et de missiles. Au total, on a dénombré deux cents attaques iraniennes
entre 1984 et 1988, au rythme d’une par semaine en moyenne. Ces attaques ont fait au moins
soixante-trois victimes et un nombre plus grand encore de blessés, avant de prendre fin, peu de
temps après la seconde opération menée par les Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières
iraniennes. De nombreux pays ont été touchés par ces pertes humaines et financières. Des sources
appartenant aux milieux du transport maritime ont conclu que l’Iran avait attaqué des navires en
vue de causer un maximum de blessés et de morts parmi l’équipage de ces navires, qui étaient pour
la plupart des navires marchands.
1.22. Monsieur le président, la communauté internationale n’a pas accepté cette guerre
menée par l’Iran contre les navires neutres dans le Golfe. Il a été pris beaucoup d’initiatives
diplomatiques multilatérales et bilatérales pour mettre fin aux attaques iraniennes. Le Conseil de
sécurité, la Ligue arabe et le Conseil de coopération du Golfe ont condamné unanimement les
attaques de l’Iran et de nombreux Etats ont formulé des protestations vis-à-vis de ces attaques par
la voie diplomatique. En outre, des Etats également nombreux ont pris des mesures directes contre
les attaques de l’Iran, en utilisant leurs forces militaires sous une forme défensive pour protéger la
navigation commerciale. L’Allemagne, la Belgique, les Etats-Unis, la France, l’Italie, les
Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Union soviétique ont envoyé des navires de guerre et de déminage
dans le Golfe. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont réimmatriculé des pétroliers koweïtiens et
l’Union soviétique a affrété des pétroliers destinés au Koweït pour tenter de protéger davantage le
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commerce du pétrole avec le Koweït contre les attaques iraniennes. Mais aucune de ces mesures
n’a mis fin aux attaques illicites menées par l’Iran dans les eaux internationales du Golfe. En
réalité, pendant la période dont je parle, ces attaques illicites se sont intensifiées avec le temps.
1.23. Avant même que l’Iran ne commence à prendre pour cible de ses attaques des navires
battant pavillon des Etats-Unis, en juillet 1987, les actions iraniennes menaçaient les intérêts vitaux
des Etats-Unis sur le plan de la sécurité. A l’époque, de hauts fonctionnaires américains ont
exprimé clairement leurs préoccupations à ce sujet. En mai 1987, le président Reagan évoque les
«intérêts vitaux du peuple américain … en jeu dans la région du golfe Persique». Rappelant que la
crise du Moyen-Orient au milieu des années soixante-dix a provoqué un «bouleversement terrible
qui [a] secoué [l]’économie [américaine] dans ses fondements mêmes», le président Reagan fait
observer que cette situation peut se reproduire si on laisse «l’Iran bloquer le libre passage de
navires neutres» dans le Golfe (annexe 230). A peu près à la même époque, le secrétaire des
Etats-Unis à la défense, Caspar Weinberger, publie un rapport dans lequel il souligne que les
intérêts «vitaux» des Etats-Unis en matière de liberté de la navigation et de libre circulation du
pétrole en provenance du Golfe sont également des intérêts vitaux sur le plan de la sécurité
(annexe 231).
1.24. Or, les atteintes portées par l’Iran aux intérêts américains s’amplifient à partir de
juillet 1987, date à laquelle l’Iran commence à prendre avec précision pour cible des navires de la
marine américaine et des navires de commerce battant pavillon des Etats-Unis dans le Golfe. Les
attaques de l’Iran blessent gravement un certain nombre de marins américains, causent des
dommages très importants aux navires américains et à leurs cargaisons et obligent les compagnies
de navigation américaines à prendre des mesures coûteuses pour éviter de nouvelles attaques. Par
voie de notes diplomatiques, les Etats-Unis ont maintes fois cherché à persuader l’Iran de mettre fin
à ces attaques. Cinq notes très exactement ont été envoyées entre mai et septembre 1987. Or l’Iran
est purement et simplement resté insensible à ces démarches tout comme il était resté insensible
aux nombreuses demandes similaires formulées par d’autres pays.
1.25. Ayant épuisé tous les autres moyens à sa disposition pour dissuader l’Iran de
poursuivre ses attaques, les Etats-Unis ont fini par prendre des mesures militaires nécessaires et
proportionnées à l’encontre des plates-formes pétrolières iraniennes dans le Golfe, plates-formes
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que l’Iran utilisait pour cibler et attaquer les navires neutres. Dans chaque cas, le personnel présent
sur les plates-formes a été averti au préalable de l’attaque, de façon à réduire au minimum le
nombre de blessés ou de victimes. Une fois l’alerte donnée, l’armée américaine a pris des mesures
pour s’assurer que les militaires iraniens ne continueraient pas à utiliser les plates-formes afin de
prendre pour cible les navires neutres et les attaquer. Les Etats-Unis ont rapidement porté ces
mesures à la connaissance du Conseil de sécurité des Nations Unies, conformément aux
dispositions de la Charte des Nations Unies.
1.26. A la suite de la seconde action menée par les Etats-Unis en avril 1988, les attaques de
l’Iran contre les navires neutres ont considérablement ralenti avant de prendre rapidement fin. Le
dossier permet de penser que les mesures prises par les Etats-Unis à l’encontre des plates-formes
iraniennes ont une part importante dans ce résultat. L’action américaine permet alors à la
navigation internationale de reprendre dans le Golfe sans que plane la menace d’une attaque
iranienne. Les intérêts des Etats-Unis sont donc protégés tout comme ceux des nombreux autres
Etats dont la sécurité dépend d’un approvisionnement en pétrole sûr et accessible en provenance du
Golfe.
1.27. Il faut relever que, contrairement à l’attitude adoptée lors des attaques illicites de l’Iran
contre des navires neutres dans le Golfe, le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a pas émis de
condamnation de l’action américaine et aucune autre instance multilatérale ne l’a condamnée non
plus.
1.28. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le traité de 1955 entre l’Iran et
les Etats-Unis ne saurait être interprété comme établissant l’illicéité des mesures limitées mais
efficaces prises par les Etats-Unis pour mettre fin au programme d’attaques illicites de l’Iran contre
les navires neutres croisant dans les eaux internationales du Golfe. Le droit international n’autorise
pas non plus l’Iran à invoquer le traité pour se tourner vers la Cour afin d’obtenir réparation des
conséquences de son propre comportement illicite qui fut si largement condamné par la
communauté internationale.
1.29. Les Etats-Unis estiment que, en droit, l’Iran ne peut prétendre à la décision qu’il
demande. Nous affirmons, en premier lieu, que, conformément aux principes fondamentaux du
droit international inscrits dans sa propre jurisprudence, la Cour ne doit pas accorder à l’Iran la
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réparation qu’il réclame puisque c’est sa propre conduite ¾ et notamment la violation des
obligations lui incombant en vertu de l’article X du traité de 1955 ¾ qui a imposé l’adoption par
les Etats-Unis du comportement qui fait l’objet de la présente affaire.
1.30. En deuxième lieu, nous affirmons qu’il faut rejeter la demande de l’Iran parce que
celui-ci n’a pas démontré que l’action des Etats-Unis avait en fait eu le moindre effet sur la liberté
de commerce entre les territoires de l’Iran et des Etats-Unis ¾ autrement dit, ces derniers n’ont pas
violé le paragraphe 1 de l’article X du traité. En revanche, les Etats-Unis montreront que les
mesures prises par l’Iran, lorsqu’il a attaqué des navires neutres, violaient bien le paragraphe 1 de
l’article X, ce qui est, naturellement, le fondement de notre demande reconventionnelle.
1.31. En troisième lieu, nous affirmons que les mesures prises par les Etats-Unis contre les
plates-formes pétrolières iraniennes ne violaient pas le traité, car le paragraphe 1 de l’article XX du
traité dispose précisément et expressément que celui-ci ne saurait faire obstacle à l’application de
mesures nécessaires à la protection des intérêts vitaux d’une des parties sur le plan de la sécurité.
Les opérations menées contre les plates-formes étaient des mesures de cette sorte.
1.32. Nous reviendrons en détail sur cette disposition relative aux «intérêts vitaux sur le plan
de la sécurité». Nous montrerons notamment que les intérêts vitaux des Etats-Unis en matière de
sécurité étaient menacés par les attaques menées par l’Iran contre les navires neutres des Etats-Unis
et d’autres pays qui naviguaient dans le golfe Persique. Nous montrerons également que les
mesures prises par les Etats-Unis contre les plates-formes pétrolières iraniennes étaient tout
particulièrement nécessaires pour protéger leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité puisque
l’Iran se servait de ces plates-formes aux fins de ses attaques militaires.
1.33. Les conseils de l’Iran ont évoqué un certain nombre de raisons pour lesquelles
l’article XX ne s’appliquerait pas aux actions menées par les Etats-Unis contre les plates-formes
pétrolières. Nous répondrons en temps utile à tous ces arguments, mais il importe d’en traiter un
d’emblée car il est intimement lié à la façon dont la Cour examinera la présente affaire ¾ il s’agit
de la nature limitée de sa compétence à examiner et juger des litiges entre les Parties. Selon l’Iran,
qui voudrait intégrer à l’article XX les dispositions du droit international général relatives au
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recours à la force et au droit de légitime défense, la Cour ne peut pas dire que les mesures prises
par les Etats-Unis contre les plates-formes sont conformes aux dispositions du traité sauf à juger au
préalable qu’elles sont conformes au droit international général.
1.34. Cette interprétation du paragraphe 1 de l’article XX est erronée. Il ne fait aucun doute
que le paragraphe 1 de l’article XX autorise à prendre certaines mesures. Si des mesures sont
prises alors que la situation les rend nécessaires à la protection des intérêts vitaux d’une des Parties
sur le plan de la sécurité, on ne va pas plus loin. Ces mesures sont licites en vertu du traité et il n’y
a pas lieu de faire appel au droit international général. Le droit du traité et le droit international
général appartiennent à deux sphères totalement distinctes.
1.35. Selon l’interprétation que l’Iran en donne, l’article XX exigerait que l’on examine
d’abord si les mesures susceptibles d’entrer dans son champ d’application respectent bien des
obligations ne figurant pas dans le traité. Une telle interprétation revient à lire à l’envers le
principe même de cet article, puisqu’elle prévoit non pas que le comportement en cause sera
soustrait à l’examen mais qu’il fera l’objet d’un examen encore plus approfondi.
1.36. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, si les Etats-Unis insistent sur
ce point, ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas sûrs d’avoir agi conformément au droit international
général. Notre action était conforme aux obligations qui nous incombent en vertu du droit
international et correspondait à l’exercice justifié de notre droit de légitime défense. Si nous
insistons sur ce point, c’est parce que les Parties s’en sont remises à la compétence de la Cour
uniquement aux fins de questions bien précises, relatives à la portée des obligations leur incombant
en vertu du traité. Ce point a une influence directe sur la relation entre les Etats-Unis et l’Iran,
d’une part, et sur la Cour, d’autre part. Aux termes du paragraphe 2 de l’article XXI du traité, les
Etats-Unis et l’Iran ont accepté la compétence de la Cour pour tout différend portant sur
l’interprétation ou l’application dudit traité. Ils n’ont pas accepté ¾ ni dans le traité, ni
ailleurs ¾ la compétence de la Cour pour des différends s’élevant entre eux sur des questions de
droit international général. Si la Cour s’estimait compétente de la façon dont l’entend l’Iran, cela
ne répondrait pas à la condition imposée qui est que sa compétence doit être fondée sur le
consentement des deux Parties à l’instance et non uniquement sur celui d’une seule Partie.
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1.37. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les plaidoiries des Etats-Unis
suivront l’ordre ci-après. Pendant le reste de l’audience de ce matin et lors de la prochaine
audience, lundi après-midi, le conseil et les avocats des Etats-Unis examineront les faits. La Cour
entendra tout d’abord M. Paul Beaver, qui examinera les éléments du dossier décrivant la portée et
l’étendue de la campagne d’attaques menée par l’Iran, les moyens utilisés par l’Iran pour mener
cette campagne à bien et le fait qu’il était parfaitement clair pour les milieux maritimes
internationaux que l’Iran était responsable de ces attaques. Nous nous pencherons ensuite sur les
événements qui se sont produits avant le 19 octobre 1987, date de la première action américaine
contre les plates-formes pétrolières iraniennes. M. Stephen Mathias du département d’Etat
américain montrera que l’Iran est responsable d’une série d’attaques à la mine dirigées contre des
navires battant pavillon américain à partir du milieu de l’année 1987. Après M. Mathias, la Cour
entendra M. Ronald Neubauer, du département de la défense des Etats-Unis, puis M. John Moore.
Tous deux expliqueront à la Cour quels éléments de preuve établissent que l’Iran est responsable
des attaques au missile dirigées contre deux navires des Etats-Unis en octobre 1987. Pour ma part,
je clôturerai les exposés de cette première journée.
1.38. Lors de la prochaine audience de la Cour, lundi après-midi, nous commencerons par un
exposé de M. Michael Mattler, du département d’Etat américain, qui portera sur les multiples
tentatives diplomatiques par lesquelles les Etats-Unis ont voulu persuader l’Iran de mettre fin à ses
attaques, et sur la poursuite des attaques iraniennes malgré ces tentatives. La Cour entendra à
nouveau M. Beaver, qui décrira quel effet les attaques iraniennes ont eu sur les milieux du transport
maritime international et quelle action considérable et coûteuse les affréteurs ont menée pour éviter
les attaques de l’Iran. M. Ronald Bettauer du département d’Etat américain, qui est le coagent des
Etats-Unis dans la présente instance, vous présentera ensuite les éléments de preuve attestant que
l’Iran utilisait ses plates-formes pétrolières pour attaquer les navires et vous parleront de la décision
prise par les Etats-Unis de prendre pour cible les plates-formes en vue d’empêcher l’Iran de lancer
de nouvelles attaques. Pour finir, il incombera à M. Michael Matheson de clore l’audience de lundi
par un résumé de notre exposé des faits et de ses liens avec notre thèse juridique.
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1.39. Lors des audiences de mardi et mercredi matin, les Etats-Unis présenteront leur
argumentation juridique relative à la demande de l’Iran. Monsieur le président, nous vous
présenterons tout d’abord une introduction de l’argumentation juridique des Etats-Unis, ainsi que le
conseil qui sera chargé de l’exposer. Mercredi après-midi, nous présenterons les faits et
l’argumentation juridique à l’appui de la demande reconventionnelle des Etats-Unis. Après cela, je
conclurai ce premier tour de plaidoiries des Etats-Unis.
1.40. Avant de conclure pour aujourd’hui, je formulerai une dernière observation. Nous
examinerons naturellement en détail les éléments de fait et les questions juridiques particulières
que soulèvent les demandes de l’Iran. Mais, Monsieur le président, les incidences de la présente
affaire ¾ tant pour la communauté internationale que pour la Cour ¾ vont bien au-delà des
allégations particulières des Parties. Les attaques de l’Iran ont fait peser de graves menaces sur les
intérêts vitaux des pays du monde entier et il fallait y mettre un terme. L’Organisation des
Nations Unies, les Etats-Unis et de nombreux autres Etats ont multiplié les initiatives
diplomatiques pour mettre fin aux attaques illicites de l’Iran, mais ce dernier n’a pas été dissuadé
par tous ces efforts et il a continué ses attaques. Est-il possible que, dans ces conditions, aucun Etat
n’ait eu le droit de prendre les mesures voulues pour faire cesser les attaques de l’Iran ? Ou que
seuls des Etats qui n’avaient pas essayé de développer leurs relations commerciales avec l’Iran par
voie de traité pouvaient exercer un tel droit ? Une telle conclusion ne servirait qu’à encourager le
type même d’agression que l’action menée en l’occurrence par les Etats-Unis a contribué à faire
cesser.
1.41. De surcroît, aboutir à une telle conclusion associerait la Cour à la protection de l’Iran
alors que ce sont les propres agressions armées que l’Iran commet dans l’illégalité qui sont l’unique
cause de l’action dont il se plaint. Cela signifierait pour d’autres agresseurs potentiels que la Cour
pourrait être disposée à les protéger contre les conséquences de leur comportement illicite et à
soutenir leur cause en déclarant coupables ceux qui ont cherché à faire cesser leur agression. La
Cour ne doit pas permettre qu’il soit ainsi abusé de ses procédures.
1.42. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre
patience et de l’attention que vous avez bien voulu m’accorder. Je vous prie, Monsieur le
président, de bien vouloir maintenant appeler à la barre M. Beaver.
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Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Taft. Je donne maintenant la parole à
M. Beaver.
M. BEAVER :
2. L’IRAN EST RESPONSABLE DES ATTAQUES CONTRE LE TRAFIC MARITIME
2.1. Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, Madame et
Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi de représenter les Etats-Unis devant vous. Je vais
analyser les documents et les éléments de preuve produits dans leurs écritures par les Etats-Unis
qui démontrent que les milieux du transport maritime international tenaient généralement l’Iran
pour responsable des attaques dirigées contre le trafic maritime de pays neutres.
2.2. Monsieur le président, comme M. Taft l’a brièvement indiqué, l’Iran a organisé une
campagne d’attaques systématiques et opiniâtres contre les navires neutres, notamment américains,
dans le Golfe au cours de la guerre qui l’opposait à l’Iraq. Que l’Iran fût responsable des attaques
au missile et à la mine, notamment, contre le trafic maritime ne faisait aucun doute pour les milieux
du transport maritime international. Pourtant, au cours de la présente instance, l’Iran a refusé de
reconnaître qu’il avait mené ces attaques, et a parfois semblé insinuer que l’Iraq en était l’auteur.
Monsieur le président, que cela soit parfaitement clair : toute insinuation iranienne de la sorte n’a
absolument aucun sens et contredit radicalement le dossier historique. Les gens raisonnables n’ont
pas matière à désaccord ici. C’est un fait incontestable qu’entre 1984 et 1988, l’Iran a mené des
attaques systématiques et dévastatrices non seulement contre les navires qui soutenaient l’effort de
guerre iraquien mais aussi contre les navires de commerce neutres qui croisaient dans le Golfe.
2.3. Ces attaques contre le trafic maritime neutre étaient sans précédent et l’on n’en avait vu
de pareilles nulle part dans le monde depuis la seconde guerre mondiale.
2.4. Au cours de cette période, l’Iran a attaqué plus de deux cents navires marchands neutres
dans le Golfe : et le terme «neutre» est important ici. L’Iran ne s’est nullement borné à attaquer des
navires qui commerçaient avec l’Iraq; ses attaques visaient le commerce de pays ¾ le Koweït et
l’Arabie saoudite en particulier ¾ qui n’étaient pas en guerre contre l’Iran. L’Iran n’a revendiqué
aucun fondement juridique pour justifier ces attaques. Il a souvent invoqué le droit qu’il avait, en
- 15 -
tant qu’Etat belligérant, d’arraisonner des navires et d’y opérer des fouilles afin de s’assurer que
ces navires ne faisaient pas de contrebande, mais cette raison ne tient pas dans la grande majorité
des attaques. Aux termes du service d’information maritime du Lloyd’s :
«[l]es nombreux rapports reçus par le service Sinistres à propos des attaques
iraniennes ne faisaient pas état d’une sélection de cibles chargées d’un matériel de
guerre destiné à l’Iraq. Il était clair que la plupart des navires marchands ne
transportaient pas de cargaison de ce type. Les rapports n’indiquaient pas non plus
que Téhéran limitait ses attaques aux seuls navires ayant refusé de se laisser
arraisonner ou fouiller : en fait, il semble que rares aient été les bâtiments subissant
une attaque pour cette raison.» (Annexe 10.)
(Sauf indication contraire toutes les références à des annexes renvoient aux annexes numérotées qui
ont été jointes au contre-mémoire et à la demande reconventionnelle ainsi qu’à la duplique des
Etats-Unis,). En fait, l’Iran a attaqué les navires marchands neutres en général et sans préavis.
2.5. Les principaux services d’information des milieux du transport maritime international
ont largement rendu compte de ces attaques que l’Iran a menées contre les navires neutres. Parmi
ces services il y a lieu de citer notamment le Jane’s Defence Weekly, la Lloyd’s List, le Lloyd’s
Weekly Casualty Reporting Service, l’International Association of Independent Tanker Owners, le
General Council of British Shipping, la Norwegian Shipowners’ Association. Les Etats-Unis ont
annexé à leurs écritures des extraits de rapports de ces services sur les attaques iraniennes contre le
trafic maritime.
2.6. Dans ces rapports, les services en question interrogent toute une gamme de sources
dignes de foi, notamment des rapports émanant de capitaines de navires, de correspondants en
poste le long des voies de navigation et dans les ports, de propriétaires de navires, d’assureurs,
d’agences de presse. Ces services font autorité en tant que sources d’information sur les conditions
du trafic maritime et ce sont sur leurs informations que se fondent quotidiennement les milieux du
transport maritime international pour prendre des décisions touchant la sécurité de leur personnel,
de leurs navires et de leurs cargaisons, qui valent des milliards de dollars. Et leurs rapports rendent
bien d’une opinion partagée par l’ensemble des acteurs du transport maritime international, à savoir
que l’Iran attaquait systématiquement les navires neutres dans le Golfe.
- 16 -
2.7. Les attaques de l’Iran ont causé de nombreux dégâts, des pertes considérables et porté
atteinte aux intérêts de pays du monde entier. Comme l’indique la carte actuellement à l’écran,
l’Iran a attaqué les navires d’au moins trente et un différents pays neutres. Vous voyez sur cette
carte que ce sont des pays appartenant à toutes les régions du monde qui ont été touchés ¾ par
exemple des pays des Amériques comme les Etats-Unis, le Panama et les Bahamas; des pays
d’Europe comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et la Russie; des pays du Moyen-Orient
comme l’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar; et enfin des pays d’Asie comme la Chine, le Japon
et Singapour (annexe 9).
2.8. Le bilan humain de ces attaques de l’Iran est très lourd. L’Iran a tué au moins
soixante-trois personnes dans ses attaques et en a blessé au bas mot quatre-vingt-dix-neuf autres
(annexe 9). Nombre d’Américains figurent parmi les victimes. Dix marins des Etats-Unis ont subi
des dommages corporels lors du minage du Samuel B. Roberts par l’Iran. Six membres de
l’équipage du Sea Isle City ont été grièvement blessés lors de l’attaque iranienne au missile contre
ce navire. Le capitaine du navire, M. John Joseph Hunt, est depuis frappé de cécité permanente et a
souffert de multiples fractures, du crâne notamment. Un membre d’équipage embarqué sur le
Sea Isle City a lui aussi perdu la vue (annexes 88 et 89).
2.9 Les attaques de l’Iran ont également très fortement perturbé le trafic maritime dans le
Golfe qui en a beaucoup souffert. Elles ont gravement endommagé les navires tout comme les
cargaisons. Elles ont contraint les entreprises de transport maritime à adopter des mesures de
précaution onéreuses pour mettre leurs navires à l’abri du danger et, le cas échéant, minimiser les
conséquences des attaques quand les navires étaient néanmoins touchés. C’est ainsi que les navires
transitant par le Golfe ont vu monter en flèche les taux des primes d’assurance et des primes
versées à l’équipage au titre des missions à risque. J’exposerai lundi à la Cour plus en détail les
effets que les attaques de l’Iran ont ainsi eus sur le trafic maritime.
- 17 -
Les méthodes adoptées par l’Iran pour attaquer les navires neutres
2.10. Monsieur le président, je vais à présent décrire à la Cour les méthodes que l’Iran a
employées pour attaquer le trafic maritime. L’Iran a consacré des ressources considérables à sa
campagne d’attaques et a utilisé dans ce cadre toutes les armes que son arsenal militaire lui offrait.
Ce faisant, l’Iran a démontré combien il était résolu à dissuader les navires neutres de s’aventurer
dans le Golfe en y semant la terreur.
2.11. L’Iran pouvait attaquer les navires neutres d’autant plus facilement qu’il avait
proclamé en 1980 la création d’une zone d’exclusion pour raison de guerre, ce qui a eu pour effet
de rétrécir le chenal par lequel les navires pouvaient transiter par le Golfe. Suite à cette
proclamation, les navires de commerce qui ne se dirigeaient pas vers les ports iraniens étaient
obligés de rester en dehors d’une zone bien définie, qui s’étalait sur 12 à 60 milles marins à partir
du littoral iranien. Les navires de commerce ne pouvaient plus emprunter les itinéraires qu’ils
suivaient dans le Golfe avant la guerre, ceux-ci empiétant de fait sur la zone d’exclusion.
2.12. De toute façon, les eaux méridionales du Golfe étaient pour une bonne part trop peu
profondes pour autoriser la sortie des navires, les pétroliers chargés risquant de s’échouer.
C’est-à-dire que la zone d’exclusion iranienne servait à obliger les navires marchands neutres à ne
plus emprunter qu’un chenal étroit, ce qui en faisait des cibles plus faciles à localiser et à attaquer.
2.13. La zone d’exclusion iranienne a également imposé aux navires de passer à proximité
des plates-formes pétrolières offshore de l’Iran. L’Iran a tiré parti de cette circonstance pour
intégrer ces plates-formes à son système d’opérations militaires et les a utilisées comme support de
ses attaques contre le trafic maritime.
2.14. Lorsqu’il commence à attaquer les navires neutres en 1984, l’Iran utilise des missiles
air-sol et des roquettes tirés par des chasseurs bombardiers Phantom, du type de celui que vous
pouvez voir ici (onglet no
3). Ces appareils sont basés sur l’île de Lavan, dans le centre du Golfe
(annexes 1, 2 et 4). Les attaques ont alors le soutien d’un avion d’observation qui vole à proximité
des cibles et relaie les informations ainsi recueillies aux Phantom en vue du ciblage.
- 18 -
2.15. A la fin de 1985, l’Iran commence à diversifier les méthodes qu’il applique aux
attaques de navires en utilisant des hélicoptères comme l’Agusta-Bell qui est illustré ici (annexes 1,
2 et 4; onglet no
4). Ces hélicoptères décollent des installations offshore de l’Iran situées sur l’île
de Rostam ainsi que de l’île d’Abou Musa, et ils tirent sur les navires des roquettes, des missiles et
des coups de canon (annexe 4).
2.16. En décollant des installations offshore iraniennes et non plus à partir du continent
iranien, les hélicoptères armés peuvent couvrir un secteur plus large du Golfe. L’utilisation par
l’Iran de ses plates-formes pétrolières offshore pour lancer des attaques par hélicoptère contre les
navires conduit les entreprises de transport maritime à imaginer d’autres itinéraires de navigation à
travers le Golfe aux fins d’éviter de passer à proximité des plates-formes et de réduire ainsi le
risque d’attaque contre leurs navires.
2.17. En 1987, l’Iran élargit à nouveau la gamme de ses méthodes d’attaque lorsqu’il
commence à mouiller des mines sous-marines offensives et à lancer des attaques «coup-de-main» à
la grenade à tube en se servant de canonnières rapides (annexes 1, 2 et 4). Pendant cette période,
l’Iran mouille des mines sous-marines dans tout le Golfe, notamment aux abords du port koweïtien
de Mina al-Ahmadi, aux environs de l’île de Farsi dans le nord du Golfe, au large de la côte de
Bahreïn, à proximité de l’installation pétrolière offshore de Rostam au centre du Golfe, et près de
Khor Fakkan au large de la côte des Emirats arabes unis, à l’entrée du Golfe (annexe 4). Les
canonnières rapides iraniennes, généralement connues sous le nom de Boghammers, lancent leurs
attaques depuis les installations offshore des îles de Farsi, de Sirri et d’Abou Musa : elles utilisent
des armes automatiques et des grenades à tube pour attaquer les navires (annexe 4).
2.18. A en juger par ses méthodes d’attaque, on a l’impression que l’Iran cherchait à faire le
plus grand nombre de victimes. M. Ted Hooton, rédacteur en chef du Jane’s Naval Weapons
Systems Yearbook, relève que les canonnières passant à l’attaque «s’approchaient à faible distance
de leurs victimes avant d’ouvrir le feu avec des armes automatiques en utilisant généralement des
balles perforantes avant d’administrer le coup de grâce avec une roquette» (annexe 4).
- 19 -
2.19. Quand il attaque un navire, l’Iran a pour habitude de tirer à la mitrailleuse, de lancer
des grenades à tube et des missiles sur le quartier où loge l’équipage plutôt que sur d’autres parties
du navire où l’équipage ne se trouve pas. Cette pratique lui vaut les critiques du Gouvernement
norvégien en particulier qui adresse en février 1988 une protestation au vice-ministre iranien des
affaires étrangères (annexe 198).
2.20. Et dans son étude consacrée aux attaques iraniennes contre les navires, l’International
Association of Independent Tanker Owners [association internationale des armateurs indépendants
de pétroliers] observe que «les méthodes d’attaque [utilisées quand l’Iran attaque avec des
canonnières] révèlent que l’objectif principal des attaques était de commettre un acte de terrorisme
en tuant des marins» (annexe 1).
Les attaques de l’Iran se sont multipliées au fil du temps
2.21. Alors même qu’elles prennent des formes plus variées, les attaques de l’Iran contre le
trafic maritime se multiplient et deviennent plus meurtrières.
2.22. L’Iran lance sa première attaque contre un navire neutre le 13 mai 1984, lorsqu’il tire
un missile qui touche le pétrolier koweïtien appelé Umm Casbah (annexe 9). Le lendemain, l’Iran
attaque deux autres pétroliers, l’un du Koweït et l’autre d’Arabie saoudite. Bien que le Conseil de
sécurité des Nations Unies condamne ces attaques iraniennes et qu’il exige leur arrêt immédiat,
celles-ci se multiplient et s’intensifient (annexe 27).
2.23. Voyons à l’écran quelle a été l’évolution des attaques de l’Iran.
2.24. En 1984, l’Iran lance au total dix-huit attaques contre des navires neutres.
2.25. En 1985, l’Iran lance seize nouvelles attaques contre les navires neutres.
2.26. En 1986, l’Iran lance quarante-deux nouvelles attaques contre des navires neutres, plus
que le total des attaques des années 1984 et 1985. Ces attaques de l’Iran deviennent également plus
meutrières : selon les informations recueillies par le service d’information maritime du Lloyd’s, au
cours de l’année 1986, trente-trois personnes au moins sont tuées et trente-huit autres blessées lors
de ces attaques de l’Iran contre les navires (annexe 9).
2.27. Cette intensification des attaques iraniennes conduit la communauté internationale à
intensifier de son côté l’action menée pour protéger les navires neutres.
- 20 -
2.28. Je vais maintenant montrer à l’écran quels sont les pays qui ont ainsi pris diverses
mesures de protection contre les attaques de l’Iran. L’Union soviétique, le Royaume-Uni, les
Etats-Unis sont convenus soit de changer le pavillon de pétroliers koweïtiens, soit d’autoriser la
Koweit Oil Tanker Company à affréter des pétroliers battant leur pavillon comme le Koweït en
avait fait la demande (annexe 4). Contrairement à ce que l’Iran laisse entendre, à savoir que ces
initiatives s’expliquaient par la volonté des Etats-Unis de soutenir l’Iraq dans sa guerre contre
l’Iran, il s’agissait de mesures raisonnables, dictées par la prudence, que prenaient certains des
principaux Etats du milieu du transport maritime pour réagir à la grave menace que les attaques
iraniennes faisaient peser sur leurs intérêts.
2.29. Il faut en outre signaler que la France, le Royaume-Uni, l’Italie, la Belgique, les
Pays-Bas, l’Allemagne, l’Union soviétique et les Etats-Unis ont tous envoyé dans le Golfe des
navires de guerre et parfois des dragueurs de mines (annexe 204). Les Etats-Unis ont placé tous les
navires battant leur pavillon sous escorte de la marine américaine lorsqu’ils transitaient par le
Golfe. A l’automne de 1987, plus de soixante-dix navires avaient été envoyés dans le Golfe par la
communauté internationale pour protéger les navires neutres contre la menace d’attaques
iraniennes (annexe 204).
2.30. Malheureusement, Monsieur le président, ces actions n’ont pas réussi à mettre un terme
aux attaques de l’Iran, ni même à en réduire la fréquence.
2.31. J’en reviens à la diapositive illustrant les attaques de l’Iran contre les pétroliers. Au
cours de l’année 1987, l’Iran a attaqué quatre-vingt-dix autres navires, soit deux fois plus
qu’en 1986.
2.32. En 1988, l’Iran a attaqué quarante-huit autres navires avant que ses attaques contre le
trafic maritime neutre ne cessent finalement au mois de juillet de cette année-là. Au total,
entre 1984 et 1988 l’Iran aura commis deux cent quatorze attaques contre des navires neutres
(annexes 1, 2 et 9).
- 21 -
Les attaques contre les navires des Etats-Unis
2.33. Sur ce nombre total d’attaques, l’Iran en a notamment commis contre des navires des
Etats-Unis, lesquelles ont commencé au milieu de l’année 1987. La diapositive que j’ai projetée à
l’écran montre l’ensemble des attaques iraniennes.
2.34. Si vous le permettez, je vais à présent parler des attaques dirigées contre les transports
maritimes des Etats-Unis.
2.35. En juillet 1987, une mine sous-marine iranienne endommage gravement le Bridgeton,
navire battant pavillon des Etats-Unis, alors qu’il croisait dans le nord du Golfe en faisant partie du
premier convoi de navires des Etats-Unis sous escorte de la marine américaine.
2.36. Au mois d’août, l’Iran mouille des mines au large de la côte des Emirats arabes unis,
d’où une attaque dirigée contre le Texaco Caribbean, navire affrété par les Etats-Unis.
2.37. En octobre, l’Iran lance à partir du sol des attaques au missile contre deux navires des
Etats-Unis, le Sungari et le Sea Isle City, qui étaient alors ancrés au large du terminal koweïtien
d’Al-Ahmadi, sur Sea Island.
2.38. En novembre, des canonnières iraniennes attaquent deux autres pétroliers américains,
le Lucy et l’Esso Freeport.
2.39. L’Iran attaque trois autres navires des Etats-Unis en 1988, en lançant une autre attaque
par canonnière contre le Diane, en utilisant des mines pour attaquer le Samuel B. Roberts et des
vedettes pour attaquer l’Esso Demetia (annexes 1, 2 et 9).
2.40. Lors de ces attaques, des marins américains sont grièvement blessés et les navires des
Etats-Unis ainsi que leur cargaison subissent des dégâts estimés à plusieurs dizaines de millions
de dollars. Un bon nombre d’autres Etats ont subi des dommages similaires, voire plus importants,
au cours des attaques iraniennes contre leurs navires et leurs ressortissants.
2.41. Monsieur le président, les Etats-Unis n’ont pas rêvé aux fins de la présente affaire les
dommages colossaux subis à la suite des attaques de l’Iran par les navires de pays neutres. Encore
une fois, il faut être très clair sur ce point : ces attaques de l’Iran représentent la plus forte agression
qui ait été lancée dans le monde contre les navires de pays neutres depuis plus d’une génération.
- 22 -
Elles ont suscité de très vives inquiétudes dans les milieux du transport maritime international et
chez les gouvernements du monde entier. Il faut rejeter catégoriquement tout ce que tente l’Iran
pour nier ou pour minimiser la responsabilité de ces attaques et leurs effets dévastateurs.
2.42. Monsieur le président, voilà qui conclut mon exposé. Je vous prie d’appeler à présent à
la barre M. Stephen Mathias, qui démontrera à la Cour que l’Iran est responsable d’une série
d’attaques à la mine sous-marine contre des navires neutres, notamment américains, menées à
partir de 1987, et qui décrira les dommages causés par ces attaques à des intérêts vitaux pour la
sécurité des Etats-Unis et à la liberté de commerce et de navigation.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Beaver. Je donne maintenant la parole à
M. Mathias.
M. MATHIAS :
3. L’IRAN EST RESPONSABLE DU MOUILLAGE DES MINES HEURTEES
PAR DES NAVIRES NEUTRES, AMERICAINS NOTAMMENT
3.1. Je vous remercie, Monsieur le président. C’est un honneur pour moi que de me
présenter de nouveau devant la Cour au nom des Etats-Unis.
3.2. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, comme nous venons de
l’indiquer, la campagne d’attaques menée par l’Iran contre les navires de pays neutres préoccupa
vivement, dès ses débuts, en 1984, la communauté internationale. Ces inquiétudes se sont accusées
au cours des deux années suivantes, à mesure que le nombre d’attaques iraniennes augmentait et
que ces opérations se faisaient plus meurtrières. Comme M. Beaver l’a précisé il y a un instant,
l’Iran lança pour la seule année 1986 quarante-deux attaques contre des navires neutres qui
coûtèrent la vie à trente-trois personnes et firent trente-huit blessés.
3.3. Au début de l’année 1987, la communauté internationale était si préoccupée par ces
attaques iraniennes qu’elle conçoit certaines initiatives consistant notamment à réimmatriculer et à
affréter des pétroliers ainsi qu’à dépêcher des navires de guerre dans le Golfe en vue de protéger les
navires neutres contre de nouvelles attaques iraniennes. L’Iran adopte en réaction une attitude de
- 23 -
défi, qui se traduit notamment par une nouvelle forme d’attaques. Si, jusqu’alors, ces attaques
étaient le fait de chasseurs bombardiers, d’hélicoptères et de canonnières, l’Iran commence,
après 1987, à s’en prendre aux navires en mouillant des mines dans les voies de navigation du
Golfe.
3.4. Dans le cadre de mon exposé, je passerai en revue les éléments de preuve établissant que
l’Iran est responsable d’une série d’attaques au moyen de mines contre des navires neutres,
notamment américains, lancées pendant l’année 1987. Au cours de ces attaques, des marins furent
tués ou blessés et de graves dégâts causés aux navires et à leurs cargaisons. Ces attaques montrent
que, en dépit des protestations de la communauté internationale et de l’action que celle-ci mène
alors pour protéger les navires neutres, l’Iran ne faiblit pas et demeure toujours aussi résolu à les
prendre pour cibles. La Cour verra en effet que l’Iran a dirigé ses attaques contre des bâtiments qui
participaient aux initiatives prises à l’échelon international en vue de protéger le trafic maritime,
exacerbant encore la confrontation qui l’opposait à la communauté internationale.
Les attaques iraniennes menées au moyen de mines
3.5. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je commencerai par décrire la
série d’attaques à la mine lancées par l’Iran contre des navires neutres au cours de l’année 1987.
Au fil de mon exposé, vous verrez apparaître, sur la carte projetée derrière moi, l’emplacement de
chacune de ces attaques. Cette carte figure également dans le dossier d’audience, à l’onglet no
12.
3.6. Le 16 mai 1987, le pétrolier soviétique Maréchal Tchouikov heurte une mine iranienne
près de l’entrée en eau profonde du port koweïtien d’Al-Ahmadi. Le Maréchal Tchouikov, affrété
à la Kuwaiti Oil Company, effectue alors sa première mission dans le cadre des mesures prises par
la communauté internationale en vue de protéger les navires neutres commerçant avec le Koweït
contre les attaques iraniennes. La déflagration ouvre une large brèche dans le fond de la coque du
bâtiment. Celui-ci est remorqué jusqu’à Al-Ahmadi, d’où il gagne Bahreïn pour réparations
(annexe 9) (sauf indication contraire, les annexes évoquées sont jointes au contre-mémoire ou à la
duplique des Etats-Unis).
- 24 -
3.7. Le 24 juillet 1987, le Bridgeton, navire battant pavillon des Etats-Unis, heurte une mine
iranienne dans la voie de navigation internationale, près de l’île iranienne de Farsi, base iranienne
bien connue, dans une zone d’où les forces iraquiennes sont absentes. Le Bridgeton fait alors partie
du premier convoi de navires battant pavillon des Etats-Unis transitant par le Golfe sous escorte de
bâtiments militaires américains dépêchés dans le cadre de l’opération Earnest Will. L’explosion
ouvre une brèche de 9 mètres sur 3 dans la coque du navire et la réparation va nécessiter 150 tonnes
d’acier (annexes 9 et 46).
3.8. Le 10 août 1987, le Texaco Caribbean, pétrolier affrété par les Etats-Unis, heurte une
mine iranienne près du mouillage de Khor Fakkan, au large de la côte de Fujairah. La déflagration
ouvre une brèche de 4 mètres dans la coque du navire, entraînant le déversement dans le
golfe d’Oman de cinquante-sept mille barils de brut léger (annexes 9 et 211).
3.9. Le 15 août 1987, l’Anita, navire de servitude battant pavillon des Emirats arabes unis,
heurte une mine, également à proximité de Khor Fakkan; fortement endommagé par l’explosion, le
bâtiment fait naufrage. Six membres de l’équipage sont tués et cinq autres blessés au cours de cette
attaque (annexe 9).
3.10. Le 21 septembre 1987, des membres de l’équipage d’un navire de guerre iranien,
l’Iran Ajr, sont surpris par les forces américaines en train de mouiller des mines dans les eaux
internationales au large de Bahreïn. Les forces américaines s’emparent du navire et des mines qui
s’y trouvent dissimulées, puis elles font exploser sur place les mines déjà mouillées. Je reviendrai
plus en détail sur l’Iran Ajr dans la suite de mon exposé.
On savait que c’était l’Iran qui avait mouillé les mines heurtées par des navires neutres
3.11. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, que ces attaques fussent
imputables à l’Iran était un fait dont les milieux du transport maritime se faisaient largement l’écho
(onglet no
13). En juin 1987, le Jane’s Defence Weekly rapporte que les gardiens de la révolution
iranienne ont lancé ce que l’hebdomadaire qualifie de «campagne de mouillage de mines contre le
Koweït», en minant notamment les voies de navigation conduisant au terminal pétrolier koweïtien
d’Al-Ahmadi; l’hebdomadaire ajoute que, pour les responsables des milieux du transport maritime,
- 25 -
«cette attaque [est] destinée à contrarier le projet de faire escorter certains bâtiments par des navires
de la marine américaine et soviétique en vue de les protéger contre toute attaque en surface ou
opération aérienne» (annexe 35).
3.12. En février 1988, le General Council of British Shipping, dont le conseil de l’Iran a,
mercredi, approuvé un rapport, diffuse des conseils pour la navigation dans le Golfe en rendant
compte des opérations de mouillage de mines de l’Iran dans les termes suivants :
«Au milieu de l’année 1987, les Iraniens entreprirent de miner certaines régions,
rendant de nouveau périlleuse la circulation des bâtiments commerçant avec le
Koweït. Un champ de mines fut localisé dans le chenal profond de Mina Al-Ahmadi,
mais seulement après que quatre navires eurent été endommagés. Un autre champ fut
repéré au large de l’île de Farsi, mais, une fois encore, seulement après qu’un bâtiment
qui se rendait au Koweït eut subi des dégâts.
La même année, des mines furent localisées au large de Fujairah à la suite de
l’incident du Texaco Caribbean, bâtiment qui heurta une mine dans une région
jusqu’alors réputée sûre où les navires mouillaient pour renouveler leur équipage et
s’avitailler en provisions de bord. C’est cet incident qui incita le Gouvernement
britannique à dépêcher une flotte de dragueurs de mines et à aider les navires dans le
Golfe.» (Annexe 2; onglets nos 14 et 15.)
3.13. Dans un rapport publié en juin 1988, l’Association internationale des armateurs
indépendants de pétroliers (Intertanko) décrit en des termes semblables l’utilisation par l’Iran de
mines pour attaquer des navires neutres (annexe 1). Le service d’information maritime du Lloyd’s
conclut que l’Iran est responsable du mouillage des mines heurtées par le Maréchal Tchouikov, le
Bridgeton, le Texaco Caribbean et l’Anita, ainsi que de plusieurs autres attaques de ce type dans le
Golfe (annexe 9).
3.14. Voilà des affirmations précises et concluantes imputant à l’Iran la responsabilité de
certaines attaques qui tranchent nettement avec les remarques désinvoltes exprimant quelques
doutes sur la participation de l’Iran à des opérations de mouillage de mines que le conseil de l’Iran
a formulées mercredi, devant la Cour, souvent hors contexte.
Les déclarations de dirigeants iraniens confirment la responsabilité de l’Iran
3.15. Les éléments de preuve relatifs aux mines mouillées par l’Iran ne se limitent pas,
toutefois, aux conclusions concordantes exprimées alors par des sources autorisées des milieux du
transport maritime. Ils sont corroborés par les déclarations formulées à l’époque par de hauts
- 26 -
responsables iraniens. Ali Akbar Hashemi-Rafsanjani qui présidait le Parlement iranien tint, dans
un sermon qu’il prononça le jour de l’attaque contre le Bridgeton, les propos suivants :
«[S]i nos navires sont touchés, les navires des partenaires de l’Iraq le seront
également. Bien entendu, nous ne revendiquerons aucun acte, car il s’agit d’un
combat invisible…
Quatre navires ont bénéficié d’une escorte, mais les autres ? Chaque jour, en
effet, plusieurs bateaux mouillent au Koweït avant de reprendre leur route; il s’agit de
cargos transportant des produits, du pétrole et d’autres matières premières. Plusieurs
navires accostent chaque jour au Koweït. Combien d’opérations de représailles nous
faudra-t-il ? Deux par semaine, huit par mois, cinq ?… Par conséquent, rien ne
saurait nous empêcher d’exercer des représailles. Alors, pourquoi les Etats-Unis
prennent-ils la peine de se lancer dans une opération aussi coûteuse ?» (Annexe 50;
onglets nos 16 et 17.)
3.16. Le président Rafsanjani prononça un autre sermon peu après que le Texaco Caribbean
et l’Anita eurent été touchés une quinzaine de jours plus tard pour se glorifier des attaques essuyées
par ces navires, bien que le Texaco Caribbean transportât alors du brut iranien et que ce ne fût donc
pas une cible toute désignée pour l’Iran. Il déclarait notamment :
«Il ne s’agit donc pas d’un océan abritant de multiples voies navigables. Peu
importe qui est l’auteur des mouillages de mines. Nous n’avons pas encore admis être
responsables du minage du Golfe...
Cependant, à supposer que nous ayons l’intention de mouiller des mines, la
situation sera, grâce à Dieu, totalement différente, car nous pourrons alors nous
déplacer d’un endroit à l’autre. Nous pouvons miner une zone en une demi-heure et la
rendre ainsi impropre à la navigation. Cela est parfaitement dans nos moyens…
[V]ous avez pu le constater à propos de la manière dont nous avons utilisé
deux de nos ressources : nos mines et nos embarcations. Nous disposons aussi
d’autres atouts que vous ne soupçonnez pas, car nous ne révélons pas tous nos secrets.
En cas de désaccord, nous vous en réservons la primeur. Cette fois-ci, vous êtes venus
et vous avez compris qu’il était nécessaire de disposer de dragueurs de mines. Vous
avez donc dû attendre l’arrivée de navires spécialisés en provenance … de l’autre côté
du monde…» (Annexe 55; onglets nos 18 et 19.)
3.17. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, de telles déclarations émanant
de hauts responsables iraniens doivent, selon la pratique de la Cour, se voir accorder un poids
conséquent. Mais il y a plus. Des mines iraniennes furent trouvées sur le lieu de ces attaques, ou à
proximité.
- 27 -
Des mines iraniennes furent trouvées sur le lieu des attaques ou à proximité
3.18. Lorsqu’elles utilisent des mines pour perturber le trafic maritime dans une région, les
forces navales ne se contentent pas d’en poser une mais en mouillent généralement une série sur
toute la région visée. C’est ce que firent les forces iraniennes. En conséquence, lorsqu’un navire
heurtait une mine iranienne, l’on pouvait trouver d’autres mines iraniennes dans les parages qui
attestent en fait la responsabilité de l’Iran comme s’il s’agissait de cartes de visite. Chacune des
attaques à la mine que j’ai évoquées peut, en vertu de cette façon de faire, être imputée à l’Iran : le
bristol était là.
3.19. L’on put établir que les mines trouvées sur place étaient iraniennes parce qu’elles
présentaient un certain nombre de caractéristiques physiques distinctives; la découverte par les
Etats-Unis de mines marines iraniennes cachées à bord de l’Iran Ajr a beaucoup facilité ce type
d’identification à la suite de la capture du navire.
L’Iran Ajr est surpris en train de mouiller des mines dans les voies de navigation commerciale
du Golfe
3.20. Comme je l’ai indiqué, les forces des Etats-Unis saisissent le 21 septembre 1987 un
navire iranien, l’Iran Ajr, qu’elles ont surpris en train de mouiller des mines dans les eaux
internationales au large de Bahreïn. Les forces de reconnaissance des Etats-Unis constatent dans
un premier temps que l’Iran Ajr quitte la zone d’exclusion iranienne près du complexe pétrolier de
Rostam et se dirige vers Bahreïn. Des hélicoptères de reconnaissance décollent du pont du Jarrett
pour surveiller les mouvements de l’Iran Ajr : on voit des membres de l’équipage retirer la toile qui
recouvre des mines et commencer ensuite à mouiller ces mines dans les eaux du Golfe au moyen
d’une rampe déployée sur le flanc du navire. Vous voyez clairement cette rampe sur la
photographie actuellement projetée à l’écran. Les hélicoptères américains ouvrent alors le feu sur
le bâtiment obtenant le résultat escompté : le mouillage de mines cesse pendant une demi-heure
environ pour reprendre ensuite, ce qui incite les hélicoptères américains à procéder à de nouveaux
tirs interrompant une fois de plus l’opération. Les forces américaines montent à bord du navire et
s’en emparent dès le lendemain matin.
- 28 -
Les éléments caractéristiques des mines iraniennes
3.21. Lorsqu’elles arraisonnent l’Iran Ajr, les forces américaines trouvent neuf mines
iraniennes de type SADAF-02 disposées sur le pont, prêtes à être mouillées dans le Golfe. Vous
pouvez voir ces mines sur la photo devant vous, ainsi que le matériel utilisé pour leur armement,
mis en évidence sur le pont. Des experts américains spécialisés dans l’utilisation militaire des
mines navales ont examiné ces mines par la suite et ont constaté qu’elles présentaient d’autres
caractéristiques que celles des mines M-08 classiques de fabrication soviétique qu’utilisent
couramment les forces navales de nombreux pays dans le monde entier. Ces caractéristiques sont
décrites en détail dans la déclaration de Donald Jones, expert de la marine américaine spécialisé
dans l’utilisation militaire des mines (annexe 37); les voici devant vous sur la photo projetée à
l’écran qui figure aussi sous l’onglet no
24 du dossier d’audience. Les éléments propres aux mines
iraniennes sont les suivants :
¾ un diamètre de 800 millimètres, c’est-à-dire nettement inférieur à celui de la mine M-08
classique dont le diamètre est de 876 millimètres;
¾ un crapaud en forme de grand bol alors que le crapaud de la mine M-08 classique ressemble à
un berceau;
¾ une enveloppe extérieure mince de 2,7 millimètres alors que la mine M-08 classique a une
enveloppe plus épaisse, de 4 millimètres;
¾ des œillets soudés permettant de fixer des câbles pour soulever la mine alors que la mine M-08
classique est équipée à cette fin d’anneaux de prise.
3.22. Les caractéristiques des mines trouvées à bord de l’Iran Ajr sont également différentes
de celles des mines employées par l’Iraq pendant la guerre contre l’Iran, comme vous pouvez le
voir sur la diapositive devant vous. Les forces iraquiennes mouillaient deux types de mines
pendant la guerre : des Myam et des Manta. Les différences entre les unes et les autres sont
également expliquées dans la déclaration de Donald Jones (annexe 37 et onglet no
25). Les mines
Myam pèsent une cinquantaine de kilogrammes, alors que celles trouvées sur l’Iran Ajr pesaient
plus de 170 kilogrammes. Les mines Myam ont un diamètre inférieur à 550 millimètres, soit
environ 30 % de moins que celui des mines de l’Iran Ajr. Les mines Manta ont quant à elles une
forme totalement différente de celle des mines de l’Iran Ajr : elles ressemblent à un cône tronqué,
- 29 -
alors que celles de l’Iran Ajr étaient sphériques. En outre, les mines Manta ont une enveloppe de
plastique renforcée de fibre de verre, alors que celles de l’Iran Ajr avaient une enveloppe en acier.
Il était impossible de confondre les mines iraniennes avec des mines iraquiennes.
3.23. Enfin, un élément caractéristique des mines trouvées à bord de l’Iran Ajr mérite tout
particulièrement d’être signalé (voir l’onglet no
26). Sur chacune de ces mines figurait un numéro
de série composé de quatre groupes de chiffres peints en blanc sur l’enveloppe extérieure noire.
Les experts américains n’avaient encore jamais vu ce système de numérotation sur des mines. Ces
numéros de série constituent une signature exclusive qui singularise encore davantage les mines
iraniennes.
3.24. L’Iran ne nie pas que les mines trouvées à bord de l’Iran Ajr fussent des mines
iraniennes, mais il conteste en revanche que ce navire fût en train de mouiller des mines au moment
de son arraisonnement. Cependant, la version qu’il donne des agissements de l’Iran Ajr ¾ à savoir
que celui-ci «transportait simplement des mines vers l’extrémité nord du golfe Persique» mais
n’était pas occupé à les mouiller ¾ ne tient absolument pas. Un navire iranien transportant des
mines vers Bushehr, dans l’extrémité nord-est du Golfe, n’aurait aucune raison de naviguer dans les
eaux internationales, loin de la zone exclusive de l’Iran où il serait protégé par la marine et l’armée
de terre iraniennes. De même, un navire transportant des mines n’aurait aucune raison d’entreposer
celles-ci non pas dans la soute mais sur le pont, d’où elles pourraient tomber à l’eau par mer agitée.
Et la présence du matériel d’armement prêt à l’utilisation, comme nous l’avons vu sur la
photographie tout à l’heure, dément aussi la version de l’Iran.
3.25. Mercredi dernier, un des conseils de l’Iran a affirmé que la version donnée par les
Etats-Unis des agissements de l’Iran Ajr lors de la nuit en cause était de «seconde main». J’invite
les membres de la Cour à lire le compte rendu en question qui figure à l’annexe 58 du
contre-mémoire et de la demande reconventionnelle des Etats-Unis; il s’agit du témoignage direct
et personnel de l’officier responsable du détachement d’hélicoptères qui observa le mouillage des
mines. A tous les moments importants de la mission, cet officier fut en contact radio direct avec les
trois pilotes d’hélicoptère. Chaque pilote lui rendait compte en temps réel de ce qu’il voyait. C’est
cet officier qui ordonna aux pilotes de demander au personnel iranien du navire de mettre fin au
mouillage de mines.
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3.26. Mais cette question mise à part, on peut supposer, puisqu’il ne nie pas que les mines
trouvées à bord de l’Iran Ajr fussent iraniennes, que l’Iran ne peut pas non plus nier que les mines
iraniennes présentent des caractéristiques identiques à celles qui sont relevées sur les mines de
l’Iran Ajr. Par conséquent, il ne reste plus qu’à démontrer que des mines présentant ces
caractéristiques particulières ont été trouvées sur les lieux des attaques dont nous parlons.
La présence de mines iraniennes dans le champ de mines traversé par le Maréchal Tchouikov
3.27. Après que le Maréchal Tchouikov a heurté une mine près du chenal en eau profonde
qui conduit au port d’Al-Ahmadi, au Koweït, et que trois autres navires ont également heurté des
mines dans les environs au cours des semaines suivantes, une équipe mixte de Koweïtiens et
d’Américains entreprend de chercher et de repêcher les mines mouillées dans cette zone. Ces
travaux sont décrits en détail dans la déclaration conjointe d’officiers de la marine koweïtienne qui
figure à l’annexe 34 ainsi que dans celle de Donald Jones (annexe 37). Il ressort de ces
déclarations que l’équipe découvre au total dix mines fixées à l’aide de crapauds dans la zone en
question. L’une de ces mines est détachée et remorquée jusqu’à une base militaire koweïtienne
pour y être examinée; les autres sont neutralisées sur place.
3.28. L’examen de la mine originaire du champ de mines rencontré par le Maréchal
Tchouikov montre que cette mine présente les mêmes caractéristiques que celles des mines
iraniennes trouvées plus tard à bord de l’Iran Ajr. Vous ne pouvez pas le voir sur la photographie à
l’écran mais cette mine a notamment un diamètre de 800,6 millimètres, une enveloppe mince, des
œillets soudés permettant de la soulever et un crapaud en forme de pot ou de grand bol. Elle porte
également un numéro de série de type iranien (02-5627-016-5) (annexes 34 et 37). L’examen de
cette mine est décrit en détail dans un rapport établi par les techniciens des services de
renseignement de la marine américaine (annexe 38). Cet examen prouve que c’est bien l’Iran qui a
ainsi laissé sa carte de visite à l’endroit où le Maréchal Tchouikov a heurté une mine.
La présence de mines iraniennes dans le champ de mines traversé par le Bridgeton
3.29. Quelques mois après l’attaque du Bridgeton, des plongeurs de la marine des Etats-Unis
qui explorent la zone en cause repèrent et neutralisent un champ de mines fixées par des crapauds
au sud-est de l’endroit où le Bridgeton a heurté une mine. Ces plongeurs connaissent les
- 31 -
caractéristiques des mines iraniennes trouvées à bord de l’Iran Ajr et ont été informés à ce sujet par
les services de renseignement (annexe 49). Les mines qu’ils trouvent à l’endroit où le Bridgeton a
été endommagé ont la même taille que celles de l’Iran Ajr ainsi que les mêmes œillets soudés
caractéristiques. Ce sont des mines iraniennes. Cette découverte confirme les informations des
services de renseignement pour lesquels la mine heurtée par le Bridgeton a été mouillée par le
détachement de gardiens de la révolution islamique basé sur l’île de Farsi (annexe 46).
La présence de mines iraniennes dans le champ de mines traversé par le Texaco Caribbean et
l’Anita
3.30. Deux mois après que le Texaco Caribbean et l’Anita ont heurté des mines près du
mouillage de Khor Fakkan en août 1987, des marins britanniques et français entreprennent des
opérations de déminage dans la zone. A cette occasion, les plongeurs britanniques vont trouver
quatre crapauds et cinq mines qu’ils identifient comme des mines SADAF-02 de fabrication
iranienne (voir le compte rendu du ministère britannique de la défense à l’annexe 53). Ils
constatent également que ces mines et leurs crapauds portent des numéros de série. Le système de
numérotation est le même que celui des mines trouvées à bord de l’Iran Ajr. Les marins français
trouvent eux aussi des mines iraniennes dans la zone. Les caractéristiques propres aux mines
iraniennes, notamment le numéro de série, sont nettement visibles sur la photographie sous-marine
projetée devant vous qui vous montre un plongeur français avec une des mines du champ de mines
de Khor Fakkan.
L’Iran nie être responsable des attaques à la mine
3.31. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la présence de mines
iraniennes sur les lieux de chacune des attaques que nous venons d’évoquer démontre sans laisser
subsister le moindre doute que l’Iran est responsable de ces attaques. Pourtant, l’Iran nie avoir
cette responsabilité. En fait, l’Iran a affirmé à la Cour qu’il n’était responsable d’aucune des
attaques à la mine perpétrées contre des navires de commerce pendant la guerre Iraq-Iran. Dans
son mémoire de 1993, il déclare :
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«L’Iran a lui aussi incontestablement posé des mines mais uniquement à des
fins défensives près de Khor Abdullah. Il n’est cependant pas clair du tout à qui
revient la responsabilité de l’éparpillement aveugle de mines sur le fond de la mer et
de la pose de mines à la dérive qui ont été repérées en 1987 dans diverses parties du
golfe Persique. L’Iran sait qu’il n’y est pour rien.» (Mémoire, par. 4.65-4.66.)
3.32. L’Iran réitère ces dénégations dans sa réplique et réponse à la demande
reconventionnelle en date de 1999, affirmant catégoriquement que
«les seules mines qu’il a mouillées l’ont été dans le chenal de Khor Abdullah au nord
de l’île Bubiyan. Ces mines ont été mouillées à des fins défensives, pour empêcher
l’Iraq d’utiliser cette voie d’eau pour attaquer des positions iraniennes. Ces mines
n’avaient aucun effet sur le trafic commercial.» (Réplique, par. 5.25.)
Je vous prie maintenant de bien vouloir regarder la carte projetée devant vous, sur laquelle on voit
le chenal de Khor Abdullah dans l’extrémité nord-ouest du Golfe. Les endroits où eurent lieu les
attaques à la mine dont nous venons de parler sont également signalés sur cette carte. L’Iran n’a
pas limité ses attaques à la zone de Khor Abdullah.
3.33. L’Iran a fait valoir que des mines iraquiennes pouvaient avoir dérivé dans le Golfe à
partir du Shatt-al-Arab ou du Bandar Khomeini, mais il n’a fourni aucun élément de preuve à
l’appui de cette hypothèse. L’Iran cite à la note 33 de sa réplique de 1999 l’ouvrage Lessons of
Modern War, dont les auteurs (Anthony Cordesman et Abraham Wagner) auraient selon lui donné
à entendre que le Maréchal Tchouikov avait été endommagé par des mines «flottant librement ou
détachées». En réalité, cet ouvrage dément la thèse de l’Iran. Le passage concerné dit ce qui suit :
«L’Iran a réagi [à la multiplication des attaques iraquiennes contre des navires
iraniens] en continuant son escalade. L’étape suivante a été de miner l’un des
trois pétroliers soviétiques loués au Koweït le 16 mai. Le Maréchal Tchouikov a été
endommagé par une mine dans la partie septentrionale du Golfe, non loin de la zone
neutre. Ces dommages auraient pu résulter d’une coïncidence et avoir été provoqués
par une mine flottante, mais la combinaison du lieu et du moment rendent un accident
fort peu probable, d’autant plus que l’Iran a vite fait la preuve de sa capacité à mener
de telles attaques avec une précision excellente. En outre, le même jour, la radio
iranienne a cité le président de la Cour suprême, Abdulkarim Mousavi, qui a dit que
les forces iraniennes auraient pu hésiter à attaquer des pétroliers koweïtiens mais
n’auraient aucune hésitation à attaquer des navires étrangers.» (Observations et
conclusions de l’Iran sur l’exception préliminaire, annexe 18.)
Notons également qu’un bon nombre des mines trouvées par la suite dans la zone des attaques
étaient des mines iraniennes ancrées au fond et non des mines flottantes ou détachées.
- 33 -
3.34. L’Iran a également produit le rapport d’un commandant de la marine française, le
capitaine en retraite Jacques Fourniol, sur la question de la prétendue responsabilité iraquienne
dans les attaques à la mine qui nous occupent. Sur ce point, le capitaine Fourniol se borne à
affirmer qu’«il est impossible d’affirmer que l’Iraq n’avait pas d’accès à la mer pour mouiller des
champs de mines». Le capitaine Fourniol ne dit pas et démontre encore moins que l’Iraq a bien été
responsable de ces attaques. A cet égard, son rapport ne réplique nullement à l’ensemble
considérable d’opinions et d’éléments de preuve qui attribuent cette responsabilité à l’Iran.
3.35. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il est manifeste que l’Iran
vous trompe lorsqu’il nie globalement être responsable du mouillage de mines et des attaques à la
mine dirigées contre les navires marchands neutres. En dépit des assurances que l’Iran vous a
données au début des présentes audiences, la véracité des déclarations qu’il a faites devant la Cour
est encore fortement sujette à caution. Rappelez-vous le discours du président du Parlement
Rafsanjani qui déclarait en 1987 que l’Iran n’admettrait pas être responsable de ses attaques parce
qu’il s’agissait «d’un combat invisible». Seize ans plus tard, il semble que l’Iran adopte la même
position devant la Cour.
Conclusion
3.36. Monsieur le président, mon exposé touche à sa fin, il ne me reste qu’à rappeler
brièvement nos conclusions concernant les attaques à la mine perpétrées par l’Iran contre les
navires neutres. L’Iran a nié avoir mouillé des mines ailleurs que dans le chenal de Khor Abdullah,
au nord de l’île de Bubiyan, et il a nié être responsable d’une quelconque attaque à la mine contre
des navires de commerce neutres. Le Jane’s Defence Weekly a démontré le contraire. Le General
Council on British Shipping et l’International Association of Independent Tanker Owners
(Intertanko) ont démontré le contraire. Le service d’information maritime du Lloyd’s a démontré
le contraire. Les forces navales britanniques, françaises, koweïtiennes et américaines ont démontré
le contraire. Et de hauts responsables iraniens ont eux-mêmes également démontré le contraire.
- 34 -
3.37. Vous avez vu que pour chacune des attaques en question ¾ celles qui ont visé le
Maréchal Tchouikov, le Bridgeton, le Texaco Caribbean et l’Anita ¾, l’Iran a toujours laissé sur
les lieux sa carte de visite sous forme d’un champ de mines iraniennes. Vous avez vu la photo
d’une mine iranienne fixée au fond à proximité de l’endroit où le Texaco Caribbean et l’Anita
avaient heurté des mines. La responsabilité de l’Iran dans ces attaques ne fait aucun doute.
3.38. Les dommages causés par les attaques à la mine de l’Iran ne font pas davantage de
doute. Ces attaques ont tué et blessé des marins. Elles ont provoqué le naufrage d’un navire et
causé à d’autres des dégâts chiffrés en millions de dollars. Elles ont provoqué le déversement en
mer de dizaines de milliers de barils de pétrole. Et en visant tout particulièrement l’action menée
par différents pays pour protéger les navires transitant par le Golfe, ces attaques ont exacerbé la
menace que l’Iran fait peser sur les intérêts de la communauté internationale.
3.39. Les attaques de l’Iran contre les navires croisant dans le Golfe ne s’arrêtent pourtant
pas là. Quelques semaines après que l’Iran Ajr a été arraisonné alors qu’il mouillait des mines dans
le Golfe, l’Iran inaugure un nouveau front dans sa campagne contre les navires neutres, notamment
américains, en lançant sur deux navires américains des frappes de missile. L’Iran poursuit en
même temps ses attaques à la mine, dont l’une, dont nous vous parlerons lundi, vise notamment le
Samuel B. Roberts. Monsieur le président, mon exposé s’achève là. Après la pause, je vous prierai
de bien vouloir appeler à la barre M. Ronald Neubauer qui décrira les attaques iraniennes au
missile et vous démontrera que ces actes sont bien le fait de l’Iran. Merci.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Mathias. La Cour suspend l’audience pour
dix minutes.
L’audience est suspendue de 11 h 35 à 11 h 50.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Je donne maintenant la parole à M. Neubauer.
- 35 -
M. NEUBAUER :
4. L’IRAN EST RESPONSABLE DES ATTAQUES AU MISSILE
CONTRE LES NAVIRES SUNGARI ET SEA ISLE CITY
4.1. Merci, Monsieur le président. C’est pour moi un honneur et un privilège que de me
présenter à nouveau devant la Cour au nom des Etats-Unis.
4.2. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, on vient de vous dire que l’Iran
a utilisé des mines pour attaquer des navires neutres des Etats-Unis et d’autres pays au milieu
de 1987. Moins de trois semaines après que les forces américaines ont intercepté l’Iran Ajr alors
qu’il mouillait des mines dans les voies de navigation du Golfe, l’Iran a lancé des attaques au
missile meurtières contre deux navires américains, le Sungari et le Sea Isle City. Ces attaques ont
causé des dégâts considérables aux navires et des membres de l’équipage ont été blessés. Au
moment où ils ont été attaqués, les navires se trouvaient à proximité du terminal koweïtien de
Sea Island (Al-Ahmadi), un site dont l’Iran avait déjà fait la cible d’attaques à la mine. Comme
nous le verrons, les preuves montrent que l’Iran est responsable de ces attaques au missile tout
comme il était manifestement responsable des attaques à la mine constatées dans le Golfe.
Les attaques au missile contre le Sungari et le Sea Isle City
4.3. Je vais commencer par décrire les attaques elles-mêmes.
4.4. Le 15 octobre 1987, l’Iran lance un missile depuis la région de Fao, qui touche le
pétrolier Sungari, dont le propriétaire est américain. Comme vous le voyez à l’écran, le missile
déchire largement la citerne de tribord du Sungari [onglet n° 35]. Il déclenche aussi un incendie; il
se forme une colonne de fumée, que les pompiers mettront cinq heures à maîtriser [onglet no
36].
Le Sungari transporte 200 000 tonnes de pétrole brut quand il est attaqué et une partie de cette
cargaison se déverse en mer (annexe 87). (Sauf indication contraire, les références aux annexes
renvoient aux annexes numérotées des contre-mémoire et demande reconventionnelle des
Etats-Unis ainsi qu’à leur duplique).
- 36 -
4.5. Le lendemain, l’Iran lance un deuxième missile depuis la région de Fao, touchant cette
fois le pétrolier américain Sea Isle City. Le capitaine du Sea Isle City, John Joseph Hunt, a vu le
missile se diriger vers son navire :
«Au moment où il s’est tourné vers moi pour indiquer la route du navire, le
timonier a jeté un coup d’œil par dessus mon épaule et s’est écrié «qu’est ce que c’est
que ça ?» Je me suis retourné et j’ai vu un petit panache de fumée noire sortant d’un
gros missile. J’ai immédiatement tenté de saisir la barre pour effectuer une manœuvre
d’évitement mais je n’y suis pas parvenu. La dernière chose que je me rappelle c’est
le son du métal heurtant le métal. C’était le missile qui nous frappait. Et puis tout est
devenu noir.» (Annexe 88.)
Le capitaine Hunt est frappé de cécité permanente et a subi une fracture du crâne ainsi que des
fractures multiples. Il a aussi souffert d’un collapsus pulmonaire [onglet no
37]. Cinq autres
membres d’équipage ont été sérieusement blessés, parmi lesquels Victorino Gonzaga, marin de
nationalité philippine, qui a lui aussi perdu la vue [onglet no
38]. Les dégâts liés à l’explosion et à
l’incendie sont importants et ont coûté au propriétaire du navire cinq millions de dollars de
réparations et près d’un million de perte de revenu locatif. (Annexe 89).
4.6. Le Sungari et le Sea Isle City ont tous deux été attaqués près du terminal koweïtien de
Sea Island (Al-Ahmadi), qui était alors le principal terminal pétrolier d’exportation koweïtien
[onglet no
39]. Ces attaques ont clairement montré que l’Iran voulait déstabiliser le commerce
pétrolier international du Koweït, ont gravement compromis pour les pays du reste du monde
l’accès au pétrole koweïtien et ont mis en danger les navires, les cargaisons et les marins qui étaient
visés.
On savait que c’était l’Iran qui était responsable des attaques dirigées contre le Sungari et le
Sea Isle City
4.7. Que l’Iran fût responsable de ces attaques allait de soi et il en était largement fait état au
sein du milieu des transports maritimes internationaux. Le service d’information maritime du
Lloyd’s (annexe 9), le General Council of British Shipping (annexe 2), des rédacteurs de la Jane’s
Intelligence Review (annexes 4 et 91) ainsi que d’autres sources ont tous attribué ces attaques à
l’Iran. Cordesman et Wagner, dans leur livre intitulé The Lessons of Modern War : The Iran-Iraq
War, une source citée par l’Iran, ont fait de même (annexe 97).
- 37 -
4.8. En outre, lorsqu’un autre missile lancé depuis la région de Fao a touché le terminal de
Sea Island (Al-Ahmadi) proprement dit le 22 octobre 1987, une semaine après que le Sungari et le
Sea Isle City eurent été touchés à la sortie de ce terminal, la responsabilité de l’Iran, une fois
encore, a paru aller de soi. Le président égyptien et le conseil des ministres du Conseil de
coopération du Golfe ont tous deux qualifié cette attaque d’«agression de l’Iran contre le Koweït».
De nombreuses autres sources publiques ont aussi imputé cette attaque à l’Iran.
4.9. Il était logique d’attribuer ces attaques à l’Iran. Seul l’Iran était fondé à lancer des
attaques contre le principal terminal pétrolier koweïtien, à Al-Ahmadi, et à vouloir gêner le
commerce pétrolier international qui en était tributaire. L’Iran n’en a pas moins indiqué que l’Iraq
était responsable de ces attaques. Le conseil de l’Iran laisse entendre qu’à maintes reprises l’Iraq a
attaqué «des cibles apparemment amies, soit par erreur, selon le principe «tirer d’abord —
identifier ensuite» qu’il a avoué appliquer, soit par dessein, soucieux d’«encourager» ces Etats
«amis» à lui conserver leur appui financier et militaire, soit encore pour tenter d’en faire porter la
faute à l’Iran et d’internationaliser davantage le conflit». Toutefois, c’est en dépit du bon sens et de
toute logique que l’Iraq aurait de façon répétée lancé des attaques au missile contre le terminal
koweïtien d’Al-Ahmadi et contre des navires faisant commerce avec le Koweït, puisque le Koweït
était généralement favorable à l’Iraq dans la guerre qui opposait ce dernier à l’Iran. L’Iran a été
incapable de faire état d’une source indépendante indiquant que c’était l’Iraq qui était bien
responsable des attaques. L’Iran ne peut produire de tels rapports parce qu’ils n’existent pas.
L’idée que l’Iraq était d’une quelconque façon responsable des attaques contre le Sungari et le
Sea Isle City n’existe que dans l’imagination de l’Iran. La Cour doit aboutir à une autre
conclusion.
4.10. Toute une série de preuves corroborent largement le fait que, pour le monde entier,
c’était l’Iran qui était responsable des attaques au missile contre le Sungari et le Sea Isle City. Je
vais examiner ces preuves; M. Moore, qui prendra la parole après moi, fera de même. Parmi ces
preuves figurent des récits de témoins oculaires qui attestent que les missiles qui ont frappé le
Sungari et le Sea Isle City ont été tirés depuis le territoire sous contrôle iranien de la région de Fao.
Des éléments de preuve physiques ont été analysés qui ont permis d’identifier le type de missile
utilisé lors des attaques : il s’agissait de missiles HY-2 (que l’Iran appelle parfois missiles
- 38 -
«Silkworm» [«ver à soie»]). Toujours parmi les preuves figurent en outre des images satellite
démontrant clairement que l’Iran possédait, à l’époque des attaques, des missiles HY-2 et des sites
de lancement correspondants sur le territoire qu’il contrôlait dans la région de Fao. Ces preuves
montrent aussi, comme nous le verrons, que l’Iraq n’aurait pas pu être à l’origine de ces attaques.
Les missiles ont été tirés depuis un territoire sous contrôle iranien
4.11. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est le fait que les
deux missiles ont été tirés depuis la région de Fao qui démontre en premier lieu que l’Iran est
responsable des attaques dirigées contre le Sungari et le Sea Isle City. L’Iran avait pris la péninsule
de Fao à l’Iraq pendant les combats de 1986 et contrôlait toujours ce territoire en octobre 1987. Il
importe de relever que l’Iran ne conteste pas cela. L’Iran a reproché aux Etats-Unis d’être
illogiques quand ils tirent argument de la géographie : dans leurs premières pièces écrites, ils
parlent d’attaques au missile depuis la «péninsule de Fao», et dans les pièces suivantes, ils font état
d’attaques au missile depuis la «région de Fao». J’essaierai pour ma part d’être cohérent et je
parlerai de la «région de Fao».
4.12. Il est clair, d’après la trajectoire suivie par les missiles pour atteindre leur cible, qu’ils
ont été tirés d’une position située au nord du terminal de Sea Island (Al-Ahmadi). C’est grâce à
des témoins qui ont vu la trajectoire suivie par les missiles que l’on a pu identifier le site de
lancement comme étant la région de Fao sous contrôle iranien.
4.13. Des militaires koweïtiens ont pu observer la trajectoire des missiles qui ont touché le
Sungari et le Sea Isle City [onglet n° 40]. En poste sur les îles de Boubiyan et de Failaka, ils ont vu
le missile qui a touché le Sungari au moment où il était lancé depuis la région de Fao. Ils ont vu le
missile suivre une trajectoire à l’est de l’île de Failaka en direction du terminal de Sea Island
(Al-Ahmadi). Le missile était aisément identifiable en raison de la traînée brillante qu’il laissait
dans son sillage, de la faible altitude à laquelle il volait et de sa vitesse relativement peu élevée.
Les militaires koweïtiens ont tenté de l’abattre avec des missiles surface-air, mais sans succès. Le
lendemain, le commandant de la défense aérienne koweïtienne, le colonel Al-Suwaiti, a vu un autre
missile survoler son poste sur l’île de Awhah. Selon son témoignage, le missile «venait de la
direction de la péninsule de Fao et [se dirigeait] vers le terminal de Sea Island». Quelques minutes
- 39 -
plus tard, le missile a touché le Sea Isle City (annexe 82). L’Iran conteste la description que donne
le colonel Al-Suwaiti d’une trajectoire sud-sud-est, mais les deux points de référence, la péninsule
de Fao et le terminal de Sea Island, sont des repères bien connus, qui établissent de façon fiable la
trajectoire du missile (annexe 82).
4.14. Les militaires koweïtiens connaissaient particulièrement bien ces repères car, quelques
mois avant les attaques, l’Iran avait lancé pas moins de cinq missiles depuis la région de Fao vers le
terminal de Sea Island (Al-Ahmadi). Des observateurs militaires koweïtiens ont vu le vol des
missiles, et même, dans certains cas, depuis leur lancement.
4.15. Les deux premiers missiles, tirés les 21 et 24 janvier, ont été repérés par radar par des
membres de la défense aérienne koweïtienne en poste dans l’île de Failaka, et en outre ont été
observés visuellement pendant leur vol par des militaires stationnés sur les îles de Failaka et de
Boubiyan. Les deux missiles venaient de la région de Fao, volaient à une vitesse relativement
faible, à assez basse altitude, et laissaient une traînée brillante dans leur sillage. Le missile tiré
le 21 janvier a touché terre un kilomètre au sud d’une batterie de défense aérienne koweïtienne,
dans l’île de Failaka; des militaires koweïtiens ont récupéré des fragments de ce missile, qui
provenaient notamment de son autodirecteur. On a vu le missile tiré le 24 janvier toucher l’eau au
nord de l’île de Failaka. Après ces deux tirs, les forces de défense aérienne koweïtiennes ont
déplacé les observateurs qui se trouvaient dans les îles de Failaka et de Boubiyan pour leur donner
de nouvelles positions leur permettant de mieux repérer les lancements de missiles à partir de la
région de Fao.
4.16. Les 2, 4 et 5 septembre, des militaires koweïtiens en poste dans les îles de Failaka et de
Boubiyan ont vu des missiles lancés depuis la région de Fao. Les Koweïtiens ont suivi leur
trajectoire à la fois par radar et visuellement. Le missile tiré le 2 septembre a touché l’eau au
nord-est de l’île de Failaka. Le missile tiré le 4 septembre a touché terre 3 kilomètres au sud de
Mina Abdullah, à plus de 100 kilomètres de la région de Fao, là où des militaires koweïtiens
avaient observé son lancement. Comme ils l’avaient fait avec le missile tiré le 21 janvier, les
militaires koweïtiens ont récupéré des fragments de ce missile, y compris de son autodirecteur. Le
missile tiré le 5 septembre est tombé dans la baie de Koweït.
- 40 -
4.17. Comme ils avaient déjà observé des tirs de missiles depuis le territoire sous contrôle
iranien de la région de Fao en janvier et septembre 1987, les observateurs militaires koweïtiens,
étaient vigilants et bien placés pour observer les missiles qui ont touché les navires Sungari et
Sea Isle City en octobre, lorsque l’Iran les a lancés depuis la même région.
Les missiles tirés étaient des missiles HY-2
4.18. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les précédents tirs de missiles
iraniens ont également permis d’identifier le type de missile qui a touché le Sungari et le
Sea Isle City. Comme nous venons de le voir, du personnel militaire koweïtien a récupéré des
fragments de deux des missiles sur les cinq missiles tirés depuis la région de Fao. L’analyse des
fragments des deux missiles du 21 janvier et du 4 septembre montre que les missiles utilisés dans
cette série d’attaques étaient des missiles HY-2. Comme M. Moore le montrera par la suite, seul
l’Iran a pu lancer des missiles HY-2 depuis la région de Fao à l’époque des attaques dirigées contre
le Sungari et le Sea Isle City.
4.19. On a pu établir qu’il s’agissait de missiles HY-2 parce que les fragments récupérés
contenaient des composants propres aux missiles à lanceur terrestre HY-2. Des experts militaires
américains ont examiné les fragments et ont pratiqué sur eux des tests approfondis (annexe 82).
Dans le cas du missile tiré le 21 janvier, les fragments de l’autodirecteur qui ont été trouvés
présentaient des caractéristiques propres à l’autodirecteur du missile HY-2 (annexe 83). Dans le
cas du missile tiré le 4 septembre, les fragments de l’autodirecteur et d’autres composants
électroniques ont également permis d’identifier le missile comme appartenant à la catégorie HY-2
(annexe 83). Les rapports détaillés de ces analyses sont aussi joints au contre-mémoire des
Etats-Unis déposé en 1997. L’analyse faite par les Etats-Unis du missile tiré le 21 janvier a été
confirmée par Mark Pitt, expert principal en missiles auprès du service de renseignement de la
défense australienne (annexe 86). Il n’a pas été possible de demander à M. Pitt de confirmer
l’analyse faite par les Etats-Unis du missile tiré le 4 septembre parce que ses fragments qui avaient
été récupérés ont été perdus lors de l’invasion et de l’occupation du Koweït par l’Iraq en 1990, et
les fragments n’avaient pas été photographiés lors de l’expertise américaine.
- 41 -
4.20. L’Iran a laissé entendre à la Cour qu’elle devrait éprouver quelque méfiance parce que
les Etats-Unis n’ont pas produit de fragments du missile qui a touché le Sea Isle City pour étayer
davantage leur conclusion qui est qu’il s’agissait d’un missile HY-2. Mais, comme le personnel
devait absolument se consacrer de toute urgence à l’extinction d’incendies fort graves et s’occuper
de grands blessés, il n’est pas étonnant que l’on n’ait pas récupéré de fragments du missile.
4.21. Le fait de savoir que les missiles utilisés dans ces attaques étaient des HY-2 permet
d’écarter l’argument fantaisiste de l’Iran selon lequel les missiles qui ont touché le Sungari et le
Sea Isle City auraient pu être tirés dans haut, comme des missiles air-sol. Le HY-2 est un missile à
lanceur terrestre. Les missiles à lanceur terrestre sont équipés d’une cellule dotée d’un dispositif de
fixation différent de celui des missiles à lanceur aérien (annexe 82). Le dispositif de fixation pour
l’appareillage mécanique et électronique sur un missile à lanceur terrestre permet d’accrocher le
missile par sa partie inférieure au lanceur terrestre, alors que le dispositif de fixation sur un missile
aéroporté se trouve sur sa partie supérieure afin de pouvoir l’arrimer sous l’aile d’un aéronef. La
cellule du HY-2, conçue pour être lancée à partir du sol, ne saurait donc ni être arrimée à un
aéronef ni être lancée à partir de celui-ci.
4.22. L’Iran laisse entendre de façon tout aussi fantaisiste que l’Iraq aurait pu lancer le
missile depuis un navire ou une embarcation. Ce n’était pas possible car l’Iraq ne disposait pas de
navires de surface équipés pour lancer des missiles HY-2. Qui plus est, l’Iran n’a pas apporté de
preuves qui étayent cette affirmation. Les missiles HY-2 tirés sur le Sungari et le Sea Isle City
n’ont pu l’être qu’à partir du sol et non pas à partir d’un aéronef, ni d’un navire ou d’une
embarcations.
4.23. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les preuves fournies par les
précédents lancements de missiles depuis la région de Fao contredisent aussi catégoriquement
l’argument de l’Iran quand celui-ci prétend que le missile HY-2 n’a pas une portée suffisante pour
parcourir la distance depuis la région de Fao jusqu’aux endroits où les navires Sungari et
Sea Isle City ont été touchés. Il s’agissait d’une distance d’environ 98 kilomètres [onglet no
41].
L’Iran a cité des rapports publiés selon lesquels la portée effective (utile) maximale d’un
missile HY-2 n’est que de 95 kilomètres. Toutefois, les caractéristiques publiées par le fabricant
du missile précisent que celui-ci a une «portée de vol propulsé» de 105 kilomètres. En outre, le
- 42 -
missile tiré par l’Iran le 4 septembre a touché terre 3 kilomètres au sud de Mina Abdullah, soit à
106 kilomètres environ de la région de Fao qui était, d’après le personnel militaire koweïtien qui
avait vu son lancement, l’endroit d’où il a été tiré [onglet no
42]. Comme nous l’avons vu, l’étude
des fragments de ce missile montre clairement qu’il s’agissait d’un missile HY-2. Ted Hooton, le
rédacteur en chef du Jane’s Naval Weapon Systems Yearbook, a indiqué que la portée maximale
d’un missile HY-2 était de 135 kilomètres (annexe 4). Pour le service de renseignement de la
défense australienne qui s’est fondé sur une analyse de l’aérodynamisme du missile HY-2 et du
carburant utilisé, ce missile a une portée de 105 kilomètres (annexe 86). En outre, quand les
conditions sont favorables, un missile peut avoir une portée supérieure à celles qui sont indiquées.
Ces faits montrent sans l’ombre d’un doute qu’un missile HY-2 tiré par l’Iran depuis la région de
Fao pouvait aller assez loin pour toucher le Sungari et le Sea Isle City ¾ de fait, ce fut le cas.
4.24. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, il importe d’autant plus de
savoir que ce sont des missiles HY-2 qui ont été tirés sur les navires Sungari et Sea Isle City que
seul l’Iran était en mesure de lancer ces missiles au moment et à l’endroit où ces attaques ont eu
lieu. Les images transmises par satellite le démontrent : elles indiquent que, au moment des
attaques, l’Iran avait déployé des missiles HY-2 et l’équipement nécessaire pour les lancer dans la
région à partir de laquelle ils ont été tirés.
4.25. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir appeler à la barre M. John Moore,
qui examinera les éléments de preuve sur ces points. Merci beaucoup de votre attention.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Neubauer. Je donne maintenant la parole à M. Moore.
M. MOORE :
5. L’IRAN EST RESPONSABLE DES ATTAQUES AU MISSILE
CONTRE LE SUNGARI ET LE SEA ISLE CITY
5.1. Merci, Monsieur le président. C’est un grand honneur pour moi que de m’adresser à la
Cour. Comme M. Neubauer l’a indiqué, je vais passer en revue pour la Cour les images satellite et
les autres moyens de preuve établissant que c’est l’Iran qui est responsable des attaques au missile
contre le Sungari et le Sea Isle City.
- 43 -
L’Iran disposait dans la région de la péninsule de Fao au moment des attaques de missiles
HY-2 et du matériel connexe nécessaire à leur lancement
5.2. Monsieur le président, au moment des attaques au missile HY-2 contre le Sungari et le
Sea Isle City, l’Iran possédait sur le territoire soumis à son contrôle dans la région de Fao des
missiles de ce type et du matériel connexe nécessaire à leur lancement. Des photos de
reconnaissance aérienne produites par les Etats-Unis démontrent ces faits de manière incontestable.
5.3. Avec les pièces écrites soumises en 1997 et en 2001, les Etats-Unis ont communiqué à la
Cour certaines images aériennes de la région de Fao (annexes 94 et 208). (Sauf indication
contraire, les références aux annexes renvoient au contre-mémoire et demande reconventionnelle
des Etats-Unis ainsi qu’à leur duplique). Avec la permission de la Cour, je rappelle qu’en
novembre 2002, les Etats-Unis ont versé au dossier le rapport de Deborah Martin où est décrit en
détail le contenu des images. Toutes les images que je vais montrer figurent dans les annexes 94
et 208 de ce rapport. Les illustrations de mon exposé, y compris les images, sont reproduites et
indiquées par des onglets dans votre dossier de plaidoirie, pour que vous puissiez vous y reporter
pendant que je parle.
5.4. Mme Martin est spécialiste de l’analyse de données photographiques. Elle a acquis
dix-huit ans d’expérience dans cette fonction au sein de l’agence nationale des Etats-Unis pour
l’analyse d’images et la cartographie. Elle est chargée d’analyser les photographies aériennes
prises par des satellites et des avions de reconnaissance aérienne, aux fins de communiquer des
informations liées à la défense, dont le Gouvernement des Etats-Unis se sert pour la planification et
l’exécution d’opérations militaires. Elle a examiné les photographies contenues dans son rapport
au moment où elles ont été recueillies. Elle a confirmé à la Cour, dans son rapport, que les
photographies ont été prises aux dates indiquées. Monsieur le président, préalablement à l’examen
de ces photographies, il serait utile de rappeler ce que le secrétaire d’Etat Colin Powell a déclaré au
Conseil de sécurité au début du mois au sujet des photos prises par satellite. Il a dit :
«les photos que je suis sur le point de vous montrer sont parfois difficiles à interpréter
pour le commun des mortels… Pour accomplir le travail laborieux que représente
l’analyse de ces photos, les experts ont besoin d’années et d’années d’expérience, se
consacrant à une observation minutieuse, des heures durant, devant des tables
lumineuses.» [Traduction du Greffe.]
- 44 -
5.5. Monsieur le président, la première chose qui ressort de ces images, c’est que l’Iran
possédait des missiles et du matériel connexe dans la région de Fao au moment des attaques contre
le Sungari et le Sea Isle City. L’Iran a produit des documents d’après lesquels, à l’époque, certains
responsables américains avaient du mal à croire que l’Iran possédait des missiles de ce type dans la
région de Fao. Ces images démontrent clairement qu’il en possédait.
5.6. Les photographies jointes au rapport de Mme Martin, prises le 9 septembre et le
17 octobre 1987, établissent la présence de différents éléments de missiles HY-2 sur le territoire
sous contrôle iranien de la région de Fao. En particulier, on peut voir sur ces images des lanceurs
et des transporteurs de missiles HY-2, ainsi que des conteneurs servant à les stocker. Pour
identifier le matériel qui apparaît sur les images, il est plus facile de savoir à quoi ce matériel
ressemble. L’annexe 94 des pièces de procédure des Etats-Unis contient des photographies et des
dessins au trait de chaque élément de matériel. Les spécialistes de ce type de photographies
observent la taille, la forme et les autres caractéristiques visibles de ces éléments pour pouvoir les
identifier lorsqu’ils apparaissent sur les vues aériennes.
5.7. Pour mieux comprendre les images, il faut commencer par regarder les photos prises au
niveau du sol et les dessins au trait du matériel. Tout d’abord, sous l’onglet no
43, nous avons un
dessin au trait et la photographie d’un lanceur de missiles HY-2. Les principales caractéristiques
visibles sont les surfaces planes des rails sur lesquels repose le missile et les extensions latérales du
logement de stabilisation du vérin. Le dessin au trait indique les dimensions du lanceur, en
particulier sa longueur, soit 6,9 mètres.
5.8. Ensuite, sous l’onglet no
44, nous avons une photographie et un dessin au trait d’un
transporteur de missiles HY-2. Le transporteur se compose de deux éléments : une remorque, sur
laquelle est posé le missile pendant le transport, et une cabine de camion qui la tracte. Le
transporteur contient quatre cadres à armature spéciaux, tracés sur le dessin, qui soutiennent une
couverture en toile recouvrant le transporteur. La longueur totale du transporteur est de 15 mètres.
5.9. Enfin, sous l’onglet no
45, nous avons un dessin au trait et une photographie d’un
conteneur de stockage de missile HY-2. Le conteneur se distingue par sa paroi supérieure en forme
de toit pointu et son avancée à l’extrémité, où vient se loger la pointe du missile. Il mesure
7,6 mètres de long.
- 45 -
5.10. Comme il est dit dans le rapport de Mme Martin, ces éléments de matériel figurent
dans plusieurs des images jointes au rapport. Pour que vous puissiez vous orienter, je vais
commencer par vous montrer trois images aériennes de la région de Fao, et vous situerez l’endroit
où ce matériel se trouvait. La première image, sous l’onglet no
46A, représente une vue générale de
la région. L’image suivante, sous l’onglet no
46B, est un agrandissement de la précédente. La
troisième image, sous l’onglet no
46C, indique les emplacements où les missiles HY-2 iraniens et le
matériel connexe étaient déployés.
Lanceurs et transporteurs de missiles HY-2
5.11. Comme il est dit dans le rapport de Mme Martin, les photographies classées sous les
onglets nos 46D et 46E représentent des lanceurs et des transporteurs de missiles HY-2. La
photographie de l’onglet no
46D a été prise le 16 octobre 1987, jour de l’attaque contre le Sea Isle
City, et lendemain de l’attaque contre le Sungari. Nous pouvons y voir deux transporteurs, dont
l’un est recouvert de sa couverture en toile, et deux camions tractant les lanceurs.
5.12. Les transporteurs de missiles sont repérables par leur forme et par la cabine du camion.
On peut voir aussi les quatre armatures qui soutiennent la couverture en toile du transporteur. La
configuration de ces armatures concorde avec le dessin au trait que je viens de montrer. L’Iran a
indiqué qu’il était possible de confondre cette configuration avec celle qui sert pour les
transporteurs de charges plus nettement polyvalents, mais n’a apporté aucune preuve à l’appui de
cette affirmation. En réalité, comme l’indique Mme Martin, la configuration de cette armature est
propre au transporteur de missiles HY-2, et sa présence ici sert à identifier l’objet en question. La
longueur des objets figurant sur l’image correspond bien à celle d’un transporteur de
missiles HY-2.
5.13. Les lanceurs de missiles et les camions qui les tractent apparaissent distinctement sur
l’image. Les surfaces planes de la cabine et de la carrosserie du camion sont visibles, comme le
sont les surfaces planes longues et étroites des rails du lanceur de missiles.
5.14. La photographie classée sous l’onglet no
46E a été prise le 9 septembre 1987, quatre
jours après le tir de missile du 5 septembre, et plus d’un mois avant les attaques du mois d’octobre.
Elle représente un lanceur de missiles HY-2 tracté par un camion. Les surfaces planes de la cabine
- 46 -
et de la carrosserie du camion sont visibles, comme le sont les surfaces planes longues et étroites
des rails du lanceur de missiles. Les extensions du logement de stabilisation du vérin, de part et
d’autre du lanceur, que l’on voit sur la photo et sur le dessin au trait, apparaissent du côté du
lanceur de missiles. La longueur du lanceur figurant sur l’image correspond à celle d’un lanceur de
missiles HY-2.
Conteneurs de stockage de missiles HY-2
5.15. Il est aussi dit dans le rapport de Mme Martin que la photographie classée sous
l’onglet no
46F représente les conteneurs de stockage des missiles HY-2. Cette photographie a
également été prise le 9 septembre 1987. Les deux conteneurs de missiles HY-2 ont une forme
rectangulaire et une paroi supérieure en forme de toit pointu, exactement comme sur la
photographie et le dessin au trait. Sur l’image, on peut voir sur l’un des deux conteneurs l’avancée
qui se trouve à l’extrémité et qui sert au logement de la pointe du missile. La longueur des
conteneurs figurant sur l’image correspond à celle d’un conteneur de missiles HY-2.
5.16. Ainsi, comme il est expliqué dans le rapport de Mme Martin, la taille, la forme et les
autres caractéristiques visibles apparaissant dans ces images sont celles de lanceurs, de
transporteurs et de conteneurs de stockage de missiles HY-2. Ces images prouvent de manière
incontestable que l’Iran possédait du matériel de ce type dans la région de Fao.
L’Iran possédait au moment des attaques des sites de lancement de missiles HY-2 en activité
dans la région de la péninsule de Fao
5.17. Monsieur le président, au moment des attaques contre le Sungari et le Sea Isle City,
l’Iran possédait aussi, dans la région de Fao, des sites de lancement de missiles HY-2 en état de
marche. L’Iran a donc été en mesure de tirer les missiles HY-2.
Les sites reconnus par l’Iran étaient en état de fonctionnement
5.18. L’Iran a fait valoir qu’il ne pouvait pas tirer de missiles depuis ces sites. Il a fait savoir
à la Cour, dans sa réplique de 1999, qu’«étant donné que la péninsule de Fao a été le théâtre de
certains des combats les plus intenses de la guerre tout au long de 1986 et de 1987 et qu’il y avait
des limitations techniques à la capacité de l’Iran de déployer des missiles à partir de Fao, il a été
impossible pour l’Iran d’utiliser ces sites» (réplique, par. 4.19). En particulier, l’Iran a produit le
- 47 -
témoignage de M. Mohammad Youssefi, selon lequel «toutes les routes d’accès aux sites de
missiles étant totalement détruites», ces sites «devinrent inutilisables et demeurèrent hors service
tant que la région de Fao resta sous contrôle iranien».
5.19. Les Etats-Unis ont communiqué à la Cour des images aériennes démontrant que ces
déclarations sont fausses. La Cour vient de voir une série d’images aériennes attestant que l’Iran a
déployé des missiles HY-2 et du matériel connexe dans la région de Fao au moment des attaques au
missile contre le Sungari et le Sea Isle City. Les images montrant la circulation de véhicules sur les
sites iraniens de lancement de missiles HY-2 de la région de Fao et à proximité de ceux-ci font
apparaître clairement que les routes desservant ces sites, loin d’être détruites, étaient en réalité
ouvertes à la circulation de véhicules et donnaient accès aux sites de lancement de missiles.
5.20. A l’aide de logiciels informatiques disponibles sur le marché et des images que les
Etats-Unis ont produites, nous allons passer à présent à l’un des sites iraniens de lancement de
missiles HY-2 de la région de Fao. L’image classée sous l’onglet no
46G montre d’autres aperçus,
à des fins d’orientation, d’une partie de cette région, où se trouve un site de lancement de missiles
HY-2 désigné par l’Iran comme étant le site 3. L’image figurant sous l’onglet no
46H est un
agrandissement du site.
5.21. L’image classée sous l’onglet n° 46I présente une vue détaillée du site. La photo a été
prise le 16 octobre 1987, jour de l’attaque contre le Sea Isle City. Le site est doté de quatre rampes
de lancement de missiles HY-2, qui se distinguent par leur forme, car elles ressemblent à des trous
de serrure. L’Iran a prétendu que ces sites, précédemment sous contrôle iraquien, ne pouvaient
servir qu’à tirer des missiles vers l’Iran, mais en réalité, le lanceur de missiles HY-2 est un système
mobile. Comme l’ont montré les photographies du fabricant (annexe 94), le missile HY-2 repose
sur un support équipé de roues et peut être lancé dans n’importe quelle direction. L’image fait
apparaître distinctement la route d’accès desservant les rampes de lancement des missiles, et vous
la voyez plus nettement au bas de la page, dans les cadres A et B. Vous voyez qu’il y a six
véhicules sur cette route. La circulation des véhicules prouve que la route était en service et
donnait accès aux sites de lancement de missiles. Elle prouve aussi qu’il est totalement faux de
dire, comme fait l’Iran, que les routes d’accès à ses sites de lancement de missiles étaient
entièrement détruites.
- 48 -
5.22. En vérité, M. Youssefi semble reconnaître avoir eu tort de s’être d’abord fait l’écho de
cette destruction. Dans les observations qu’il formule en janvier 2003 au sujet de cette image, il dit
à la Cour que la route représentée sur l’image, qui donne sans aucun doute accès aux sites de
missiles, «était en réalité empruntée chaque jour par de nombreux véhicules assurant le soutien
logistique destiné aux forces stationnées le long de la ligne de contact». Cette déclaration est en
contradiction flagrante avec l’affirmation précédente, où il prétendait que toutes les routes d’accès
aux sites de missiles iraniens avaient été détruites.
L’autre site de lancement iranien situé à Nahr-e Owyeh
5.23. Outre les trois sites de tir de missiles dont l’Iran reconnaît qu’ils étaient sous son
contrôle dans la région de Fao, les Etats-Unis ont également produit des photographies par satellite
d’un quatrième site (onglet no
46J) en territoire iranien, juste à l’est de la péninsule de Fao. Ce site
est connu sous le nom de Nahr-e Owyeh.
5.24. La photographie présente une vue d’ensemble et montre l’emplacement de
Nahr-e Owyeh dans la région de Fao, ainsi que les trois autres sites de lancement de missiles HY-2.
La photographie reproduite à l’onglet no
46K nous rapproche du site. Celle de l’onglet no
46L nous
amène sur place. L’image date du 14 décembre 1987. Les deux positions de lancement du site y
sont signalées. Le site que nous avons précédemment évoqué avait été construit par l’Iraq et l’Iran
s’en était emparé. Celui-ci fut construit par l’Iran et il est disposé différemment. Contrairement
aux pas de tir bétonnés en forme de trous de serrure observés sur les sites tombés aux mains de
l’Iran, la piste sablonneuse est, sur ce site provisoire, recouverte d’une surface traitée, plus sombre
sur la photo. Mme Martin indique dans son rapport que les positions de lancement sont desservies
par «des voies d’accès attenantes rectilignes permettant d’aligner le missile et le
transporteur-lanceur». Il s’agit ici d’un site provisoire que l’Iran a construit à la hâte afin de
développer ses capacités de lancement de missiles HY-2 en temps de guerre. La photographie
montre également des tentes près des positions de lancement, qui pouvaient servir à abriter le
matériel électronique nécessaire au lancement d’un missile HY-2 ¾ de sorte que la présence de
nombreux véhicules sur le site de lancement devenait inutile.
- 49 -
5.25. Surtout, la photographie représente un missile HY-2 prêt à être lancé sur l’un des deux
pas de tir. Comme l’indique Mme Martin dans son rapport, «le missile et son lanceur sont
reconnaissables à leur taille et à leurs dimensions… La tête du missile est orientée vers la mer…
Les ailerons du missile sont légèrement évasés à l’arrière, et l’on aperçoit l’ombre de l’extrémité
arrière du missile sur le sol.» Ces mêmes caractéristiques se retrouvent sur la photographie figurant
dans la brochure du fabriquant. La présence d’un missile HY-2 sur le lance-missiles ne laisse
aucun doute sur le fait qu’il s’agissait bien d’un site de tir de missiles HY-2 et que ce site était
parfaitement opérationnel.
5.26. Monsieur le président, pour résumer, des aveux mêmes de l’Iran tout comme
l’indiquent des photographies prises par satellite du site Nahr-e Owyeh il ressort clairement que
l’Iran possédait au moins quatre sites de lancement de missiles HY-2 sur le territoire qu’il
contrôlait dans la région de Fao. Les photographies satellite montrent également que les routes
menant aux sites étaient carrossables et utilisées à l’époque des attaques de 1987 contre le Sungari
et le Sea Isle City. Nous avons en outre vu que l’Iran possédait des missiles HY-2 et du matériel de
lancement dans la région de Fao au moment où ces attaques eurent lieu. Les arguments avancés
par l’Iran pour nous convaincre qu’il n’était pas en mesure de tirer les missiles qui ont touché le
Sungari et le Sea Isle City ne résistent pas à l’examen.
L’Iraq n’aurait pu tirer les missiles qui ont frappé le Sungari et le Sea Isle City
5.27. En outre, seul l’Iran était en mesure de lancer ces missiles. Recourant au faux-fuyant,
l’Iran a suggéré que l’Iraq aurait pu être à l’origine de ces attaques. Ce faisant, il a présenté à la
Cour une thèse des plus fantaisistes, consistant tout d’abord à affirmer que l’Iraq maintenait un site
de lancement de missiles HY-2 dans le territoire qu’il contrôlait sur la façade de la péninsule de
Fao. Cette thèse suppose en outre l’Iraq aurait pu depuis ce site tirer des missiles qui pourraient
quant à eux avoir été programmés pour virer de telle façon que leur trajectoire aurait concordé avec
celle des missiles qui ont frappé le Sungari et le Sea Isle City. Selon l’Iran, des personnes
observant la scène depuis les îles de Bubiyan et de Faylakah auraient dès lors pu penser que les
missiles venaient du territoire sous contrôle iranien alors qu’ils étaient lancés depuis l’Iraq.
- 50 -
5.28. Cette thèse iranienne pêche essentiellement par deux aspects. En premier lieu, l’Iraq
ne disposait pas de tels sites de tir de missiles dans la région de Fao à l’époque des attaques. En
second lieu, quand bien même il en eût possédé, le missile HY-2 ne saurait être programmé de
manière à effectuer le brusque changement de trajectoire que suppose cette thèse.
L’Iraq n’avait pas de site de lancement de missiles HY-2 dans la région de Fao
5.29. Comme nous venons de le voir, l’Iran affirme que l’Iraq disposait d’un site de
lancement de missiles HY-2 dans la région de Fao. L’Iran a produit à cet égard une déclaration de
M. Mohammad Youssefi, qui affirme qu’un tel site existait et répondait aux coordonnées
30o
00’ 12’’ nord, 48o
17’ 05’’ est dans la péninsule de Fao. M. Youssefi est également l’expert
qui a indiqué à la Cour que toutes les routes menant aux sites de missiles iraniens étaient détruites
et inutilisables alors que tel n’était pas le cas.
5.30. En examinant la région dans laquelle M. Youssefi affirme qu’il existait un site
iraquien, nous constatons également que son affirmation est, une fois de plus, contredite par les
éléments de preuve photographiques. La ligne de contact où se battaient les forces iraniennes et
iraquiennes est représentée en rouge. L’image reproduite sous l’onglet no
46M donne un aperçu de
la région. L’image reproduite sous l’onglet no
46N figure l’emplacement précis du site dont
M. Youssefi affirme l’existence. Comme le montre le rapport de Mme Martin, cette image a été
prise le 13 novembre 1987, soit moins d’un mois après les attaques contre le Sungari et le Sea Isle
City. On ne voit pas de site de missiles HY-2 sur cet emplacement. Mme Martin indique que
l’Iraq a bien construit un site de missiles HY-2 dans cette région en 1989, soit un an après la fin de
la guerre Iran-Iraq. Mais ce site n’existait pas à l’époque des attaques dirigées contre le Sungari et
le Sea Isle City, et les attaques n’ont pas pu être lancées à partir de ce site.
Le missile HY-2 ne peut exécuter le virage brusque dont l’Iran fait état
5.31. En outre, même si un tel site avait existé, un missile HY-2 ne peut exécuter le type de
virage brusque qui est indispensable dans la thèse de l’Iran. L’Iran a produit à l’appui de sa thèse
un rapport de Jean-François Briand selon lequel un missile HY-2 peut être programmé pour suivre
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ainsi une telle trajectoire coudée. L’analyse de M. Briand est erronée. Seuls des missiles
modernes, mais pas les HY-2, plus anciens, peuvent être programmés pour effectuer le virage
brusque, coudé, que postule M. Briand dans cette thèse iranienne.
5.32. Mark Pitt, l’expert principal en missiles auprès du service de renseignement de la
défense australienne, analyse dans sa déposition les propriétés et les limites du système de
téléguidage du missile HY-2. Nous allons maintenant vous montrer une simulation graphique,
reproduite sous l’onglet no
47 et basée sur l’annexe 209 qui décrit les caractéristiques du missile
HY-2 et son système de téléguidage. Au moment du lancement, le système de téléguidage du
modèle HY-2 dirige le missile en ligne droite jusqu’à ce qu’une minuterie active sa tête chercheuse,
laquelle commence alors à chercher des cibles. La tête chercheuse en quête de cibles émet un
faisceau qui balaye un rayon de 12o
à droite et à gauche de son centre, sur une distance de
17 kilomètres au maximum face au missile. La tête chercheuse accroche le premier objet de grande
taille qu’elle détecte et laisse de côté les objets plus petits, puis oriente le missile pour atteindre
cette cible.
5.33. M. Pitt, dans sa déposition, examine également l’analyse de M. Briand pour dire que
les missiles qui ont touché le Sungari et le Sea Isle City n’ont pas pu suivre une trajectoire coudée;
il aboutit à une conclusion claire : «Le HY-2G ne peut suivre la trajectoire indiquée par
M. Briand.» Le rapport de M. Briand est assorti d’une carte représentant la trajectoire qu’il affirme
que le missile aurait pu suivre (c’est la ligne en pointillé). La simulation suivante, établie à l’aide
de la carte de M. Briand et reproduite sous l’onglet no
48, illustre l’analyse de M. Pitt qui dit que le
missile ne pouvait pas exécuter au début de son vol le virage brusque en question. Comme M. Pitt
l’a expliqué, pour que le missile amorce un virage, il aurait fallu que sa tête chercheuse soit déjà
activée, ait balayé un secteur de plus ou moins 12o
, et qu’elle ait accroché une cible. Il aurait
également fallu que cette cible se trouve à moins de 17 kilomètres du missile, puisque cette
distance correspond à la portée maximum de la tête chercheuse. Or, le Sungari et le Sea Isle City
ont été touchés à des emplacements situés bien au-delà du point où M. Briand affirme que les
missiles ont changé de trajectoire. C’est-à-dire que les missiles n’auraient pas pu toucher les deux
pétroliers.
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5.34. En raison des limites du système de téléguidage du HY-2, les missiles qui ont touché le
Sungari et le Sea Isle City n’ont pu être tirés que depuis un territoire placé sous contrôle iranien.
Des missiles HY-2 tirés depuis un territoire sous contrôle iraquien n’auraient pas pu suivre la
trajectoire dont a fait état le personnel militaire koweïtien en poste dans les îles de Boubiyan,
Failaka et Awhah pour atteindre des cibles situées à proximité du terminal de Sea Island
(Al-Ahmadi).
Conclusion
5.35. Monsieur le président, pour finir, au vu des éléments de preuve que les Etats-Unis ont
produits devant la Cour, il ne fait aucun doute que l’Iran était responsable des attaques au missile
du Sungari et du Sea Isle City. Permettez-moi de résumer les points essentiels qui nous permettent
de fomuler cette conclusion.
5.36. En premier lieu, les missiles ont été tirés à partir d’un territoire contrôlé par l’Iran.
C’est ce qu’attestent les témoignages oculaires de militaires koweïtiens qui ont vu ces missiles en
vol, tout comme ils avaient déjà aperçu à cinq reprises des missiles décoller de la presqu’île de Fao
et suivre une trajectoire à partir de Fao. C’est également ce qu’attestent les limites du système de
guidage du missile HY-2, qui excluent que ces missiles aient pu être tirés d’un autre point de départ
que depuis un territoire sous contrôle iranien.
5.37. En deuxième lieu, l’Iran disposait de missiles HY-2 et en avait déployé dans la région
de Fao. L’Iran reconnaît avoir eu en sa possession des missiles HY-2. Il prétend ne pas en avoir
déployé dans la région de Fao, mais ses assertions sont irréfutablement contredites par les
photographies par satellite produites par les Etats-Unis. Sur ces photographies, on peut voir des
missiles HY-2 et certains équipements connexes en des endroits de la région de Fao qui sont
soumis au contrôle de l’Iran.
5.38. En troisième lieu, l’Iran contrôlait au moins quatre sites de lancement de missiles HY-2
à partir desquels il était en mesure de lancer les missiles qui ont frappé le Sungari et le
Sea Isle City. L’Iran reconnaît avoir disposé d’au moins trois de ces sites. L’Iran a prétendu un
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temps que ces sites étaient inutilisables parce que les routes qu’il fallait prendre pour y accéder
n’étaient plus praticables mais, là encore, cette affirmation est irréfutablement contredite par les
photographies satellite des Etats-Unis, car l’on peut voir des véhicules circuler sur l’un de ces sites.
5.39. L’Iraq ne disposait pas de sites de lancement de missiles dans la région de Fao. L’Iran
n’a pas été en mesure de produire le moindre rapport indépendant permettant de conclure que
l’Iraq, ni du reste aucun Etat tiers autre que l’Iran, était responsable de ces attaques. A l’inverse,
nous avons montré que, d’après certaines informations en provenance de sources faisant autorité
dans le milieu des transports maritimes, l’Iran était responsable des attaques.
5.40. Après avoir attaqué cinq fois des navires à l’aide de missiles HY-2 en janvier et en
septembre 1987 et manqué régulièrement son but, l’Iran attaque ensuite avec succès le Sungari et le
Sea Isle City deux jours de suite, ce qui représente une escalade significative sur la voie du progrès.
Ayant lieu juste après la campagne d’attaques iraniennes à la mine contre les navires des Etats-Unis
et les autres navires neutres dans le Golfe, ces attaques au missile renforcent les craintes
qu’éprouvent les Etats-Unis et d’autres membres de la communauté internationale. Ces attaques
étaient la preuve que l’Iran était toujours aussi résolu à attaquer les navires. Elles montraient bien
également que l’Iran avait, pour lancer ses attaques, de multiples moyens à sa disposition. Comme
elles prenaient pour cibles des navires faisant commerce de pétrole avec le Koweït qui passaient
par le terminal de Sea Island (Al-Ahmadi), ces attaques confirment par ailleurs que l’Iran voulait
porter atteinte à la liberté du commerce du pétrole dans le Golfe, menaçant ainsi la sécurité
économique des pays dans le monde entier. Les pertes aussi bien humaines que matérielles que
l’Iran causait ainsi aux navires et aux équipages se sont encore alourdies du fait de ces attaques.
5.41. Monsieur le président, ainsi s’achève mon exposé. Je vous prie de bien vouloir donner
une nouvelle fois la parole à M. Taft qui va formuler quelques observations en guise de conclusion.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Moore. Je donne à présent la parole à
M. Taft.
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M. TAFT : Je vous remercie, Monsieur le président.
6.
6.1. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, au début de notre exposé de ce
matin, j’ai indiqué que les Etats-Unis examineraient minutieusement les faits qui sont aujourd’hui
établis en l’espèce. Aujourd’hui, nous nous sommes particulièrement attachés aux faits relatifs aux
attaques iraniennes dirigés contre les navires neutres dans le golfe Persique pendant les trois années
qui ont précédé le 19 octobre 1987. Ce jour-là, bien sûr, comme la Cour le sait, les Etats-Unis
prirent des mesures pour mettre hors d’usage la plate-forme pétrolière de Rostam. Cette opération
a permis d’ôter à l’Iran une partie de sa capacité à attaquer les navires des Etats-Unis et les autres
navires neutres dans le Golfe. Malheureusement, l’opération n’a pas suffi à persuader l’Iran qu’il
devait mettre fin à ses attaques.
6.2. Lundi, nous poursuivrons cet examen des faits de l’espèce en nous attachant à la période
qui va d’octobre 1987 à avril 1988, au cours de laquelle les Etats-Unis durent prendre d’autres
mesures pour assurer leur propre protection et celle de leurs intérêts essentiels en matière de
sécurité contre les attaques de l’Iran. Dans le même temps, nous examinerons également l’action
menée sous de nombreuses formes par les Etats-Unis et d’autres pays avant le recours à la force
d’octobre 1987 pour mettre un terme aux attaques par la voie diplomatique et par le déploiement à
titre défensif de forces navales.
6.3. Nous indiquerons également lundi pour quels motifs les Etats-Unis ont décidé, une fois
constaté qu’il fallait recourir à la force pour mettre fin aux attaques de l’Iran, de diriger leur action
précisément sur les plates-formes pétrolières de l’Iran. Leur motif principal était que ces
plates-formes apportaient un soutien actif aux attaques de l’Iran, mais il y avait aussi d’autres
motifs pour lesquels le choix de cette cible s’imposait particulièrement, notamment le fait que deux
d’entre elles n’étaient pas productives sur le plan commercial et qu’il était possible de les attaquer
toutes les trois, espérait-on, sans avoir à déplorer de pertes humaines, ni américaines ni iraniennes.
Et il y avait encore un autre élément important en faveur de ces cibles-là : les Etats-Unis voulaient,
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pour mener des opérations visant à protéger les intérêts des Etats-Unis en matière de sécurité, les
séparer aussi fermement que possible ¾ sur les plans géographique, militaire et politique ¾ de la
guerre Iran-Iraq, laquelle se livrait beaucoup plus loin au nord.
6.4. Mais cela sera traité lundi. Aujourd’hui, notre objectif était plus limité. Nous avons
voulu dire à la Cour quel comportement l’Iran avait adopté avant le mois d’octobre 1987. Et ce
comportement est¾ à n’importe quel titre ¾ consternant. Sur une période de trois ans, l’armée de
l’air de l’Iran aura lancé trente-trois attaques contre des navires marchands; les hélicoptères et les
canonnières de l’Iran en auront mené quatre-vingts autres; dix navires neutres furent endommagés
par des mines mouillées sur les voies de navigation dans les eaux internationales; et, enfin, deux
navires furent touchés par des missiles iraniens. Quarante-quatre personnes furent blessées dont la
plupart sont handicapées à vie, notamment le capitaine et un membre de l’équipage d’un navire
américain, le Sea Isle City, qui sont frappés de cécité permanente.
6.5. Ces attaques se sont poursuivies pendant trois ans avant que les Etats-Unis, après avoir
tout essayé, n’aboutissent à la conclusion que le seul moyen d’empêcher l’Iran de lancer d’autres
attaques était de recourir à la force. L’Iran cherche aujourd’hui à convaincre la Cour ¾ après avoir
pourtant passé trois ans à procéder aveuglement à ses attaques ¾ que le traité de 1955 interdisait
l’emploi de la force. La Cour doit songer aux conséquences de cette argumentation de l’Iran en
tenant compte de son comportement. Combien d’autres personnes auraient-elles dû être tuées ?
Combien d’autres blessées ? Se pourrait-il que, sous l’effet de ce traité, les Etats-Unis soient
obligés de laisser l’Iran attaquer leurs navires et mettre en danger la vie de leurs ressortissants aussi
longtemps qu’il l’entend sans que les Etats-Unis puissent employer la force pour l’en empêcher ?
Et l’interdiction subsiste-t-elle alors que les Etats-Unis ont tenté en vain de mettre fin aux attaques
de l’Iran par la voie diplomatique et par le déploiement à titre défensif de forces militaires ?
Fallait-il que les attaques durent plus de trois ans pour que les Etats-Unis puissent agir ? Bien
entendu, le traité n’impose rien de tout cela, comme nous le montrerons par nos exposés de la
semaine prochaine. Le traité est on ne peut plus clair en ce qui concerne le droit des parties à
protéger leurs intérêts vitaux sur le plan de la sécurité. Même si le traité était moins clair qu’il
n’est, la Cour devrait néanmoins se garder de l’interpréter d’une manière qui cautionnerait le
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comportement de l’Iran, lequel pourrait alors diriger une bonne centaine d’attaques contre des
navires neutres pendant trois ans sans craindre la moindre riposte armée. Monsieur le président,
c’est là ce que l’Iran demande à la Cour.
6.6. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève notre exposé
pour aujourd’hui. Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Taft. L’audience est à présent levée et
reprendra lundi prochain à 15 heures.
L’audience est levée à 13 h 5.
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