AU
CR 2006/49 (traduction)
CR 2006/49 (translation)
Vendredi 9 juin 2006 à 16 h 30
Friday 9 June 2006 at 4.30 p.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’a udience est ouverte et je donne la parole à
S. Exc. M. Héctor Gros Espiell, agent de l’Uruguay. Excellence, je vous en prie.
Mr. GROS ESPIELL: Madam President, Members of the Court, just a few brief preliminary
words to say that Uruguay will be represented today, this afternoon, by ProfessorsBoyle
and Condorelli and Mr. Reichler a nd that, after, I shall draw a few short conclusions and make the
final submission. Thank you very much. I would ask you kindly to give the floor to
Professor Boyle.
Le PRESIDENT : Oui. Je vous remercie, Votre Excellence. Je donne la parole à M. Boyle.
M. BOYLE :
1. Madame le président, Messieurs de la C our, je suis heureux de pouvoir m’adresser à vous
une seconde fois. Mon exposé sera bref et portera sur des sujets divers. Je ferai trois affirmations :
Premièrement, situer les deux usines plus loin sur le fleuve, comme l’a suggéré l’Argentine
ce matin, ne servirait aucunement à réduire au minimum tout risque pour l’environnement du
fleuve ou de l’Argentine, mais porterait préjudi ce à la viabilité des usines et causerait ainsi un
dommage important à l’Uruguay.
Deuxièmement, l’article 41 du statut du fleuve Uruguay de 1975 n’interdit pas la pollution et
mon cher ami, M. Sands, a mal interprété le statut sur ce point.
Troisièmement, le principe de précaution, a uquel il a été fait référence ce matin, est déjà
gravé dans le droit et la pratique de l’Uruguay ainsi que dans les règlements de la commission du
fleuve Uruguay. Je dirai un mot sur chacune de ces propositions.
2. Mais avant d’aborder ces points, je voudrais saisir cette occasion pour remercier M. Sands
de son commentaire de ce matin concernant la sub tilité d’une partie au moins de ma plaidoirie.
M.Sands et moi nous connaissons depuis très longte mps et c’est la toute première fois qu’il me
complimente pour ma subtilité. C’est par conséquent avec grand regret que je vais devoir revenir à
mon franc-parler plus habituel d’Irlande du Nord et souligner que ni moi ni aucun des autres
conseils de l’Uruguay n’avons cherché à laisser en tendre que le statut ne s’appliquerait pas aux - 3 -
deux usines: l’Uruguay ⎯et je vais être très clair à cet égard ⎯ admet tout à fait qu’il s’y
applique.
11 3. Ce qu’en réalité j’ai affirmé hier, Madame le président, était bien moins subtil: j’ai dit
que, sur la base de toutes les informations en sa possession, l’Uruguay a raisonnablement conclu
que ses études d’impact sur l’environnement n’avaient montré aucun risque de dommage important
pour l’Argentine ni pour la qualité ou l’environne ment du fleuve. M. Sands a mentionné encore
une fois ce matin le rapport Hatfield. Or, celui-ci critique l’étude d’impact cumulé menée pour la
Société financière internationale, non les étud es conduites par la DINAMA. Ces études sont
entièrement distinctes. La déclaration sous serment de Mme Torres ⎯que vous trouverez sous
l’onglet n°13 de votre dossier de plaidoiries ⎯ porte directement sur l’argument présenté ce matin
par M. Sands et je cite un passage du paragraphe VIII.E de cette déclaration :
«La DINAMA estime avoir déjà répondu ⎯que ce soit par la procédure de
l’EIE, par les autorisations écologiques préal ables et les documents joints, ou par les
informations soumises au GTAN ⎯ à bon nombre des questions et des points
soulevés par le rapport Hatfield au sujet du projet d’étude d’impact cumulé [EIC] de la
SFI. Les doutes et préoccupations émis dans le rapport Hatfield sont liés au fait que
l’EIC ne contient pas suffisamment d’in formations et non à des insuffisances qui
affecteraient l’ensemble des informations disponibles.» [Traduction du Greffe.]
Ces informations sont celles dont peuvent disposer la DINAMA et, en définitive, l’Argentine.
Cette section de la déclaration sous serment se conclut ainsi: «la DINAMA ne doute pas que la
procédure d’autorisation pose des critères qui gara ntissent que les usines seront exploitées d’une
manière qui ne produira aucun effet négatif prohibé» (par. VIII.F) [traduction du Greffe].
4. Cependant, M.Sands a également critiqué la procédure d’approbation de la DINAMA
concernant l’étude d’impact sur l’environnement , laissant entendre que la fréquence des contrôles
jetterait quelques doutes sur le caractère approprié de cette procédure. Madame le président,
permettez-moi de rappeler à la Cour quel est le rôle de la DINAMA tel qu’établi par le droit
uruguayen. La DINAMA est chargée d’approuver les évaluations menées par les futurs exploitants
des usines projetées et non d’y apposer son cachet de manière purement formelle. Lorsque les
études doivent être complétées ou que des informations supplémentaires sont nécessaires, la
DINAMA a le pouvoir d’exiger des modifications ou des compléments, et elle a montré qu’elle
n’hésitait pas à le faire. La DINAMA mériterait d’être durement critiquée si elle ne demandait - 4 -
jamais d’améliorations et prenait tout pour arge nt comptant. En ce qui concerne les poissons, la
biodiversité et les écosystèmes, ils font actuelleme nt l’objet de programmes de surveillance. Ils
n’ont été ni oubliés ni négligés.
5. Madame le président, voici probablement venu le moment de parler du site RAMSAR à
Esteros de Farrapos. Nous n’avons pas la carte , mais ce site se trouve en Uruguay et non en
12 Argentine. En outre, il est situé à plus de 25 kilomètres en amont des usines. La Cour comprendra
à présent pourquoi j’ai dit hier qu’il n’y avait pas de sites écologiquement sensibles à proximité,
mais, s’il faut insister, permettez-moi de dire à présent qu’il n’existe aucun site de cette sorte en
aval des usines. Quels que soient les rejets provenant d’ENCE ou de Botnia, ils ne pourront jamais
avoir d’effet sur Esteros de Farrapos. Permettez-moi de conclure ces observations préliminaires en
faisant une remarque sur le rapport de viabilité de2006. J’ai appris du Gouvernement de
l’Uruguay que, contrairement aux spéculations de M.Sands, le fait que l’Uruguay n’apparaît pas
sur cette liste n’a rien à voir avec une quelconque modification de sa po litique environnementale,
mais ne tient qu’au changement de gouvernement. L’Uruguay ne pouvait pas être classé parce
qu’il n’a pas répondu à temps.
Madame le président, je vais pouvoir main tenant revenir aux trois points que j’avais
annoncés au début de ma plaidoirie. Aussi, permettez-moi de commencer en disant quelques mots
sur l’emplacement des usines.
L’emplacement des usines
6. L’Argentine a dit ce matin que sa princi pale préoccupation résida it dans l’emplacement
des usines. Or, leur emplacement ne peut constituer un problème pour l’Argentine que si les usines
présentent pour elle le risque de subir un dommage important dû à la pollution. En l’absence d’un
tel risque important, il n’y a pas lieu de critiquer l’emplacement. Les facilités de transport, l’accès
au fleuve, la proximité de la main d’Œuvre et des ressources en bois sont autant d’éléments
cruciaux pour le succès de ces usines et l’Urugua y ne saurait accepter que l’Argentine veuille
décréter où les usines doivent être installées, ni que cette question puisse être subordonnée à une
décision de la commission du fleuve Uruguay. - 5 -
7. Mention a également été faite du port jouxtan t l’usine Botnia. Ce port n’est pas celui de
Rotterdam. C’est un petit bassin qui recevra de petit s bateaux. La pâte à papier sera transportée
par bateau en aval de ce port, lequel ne produira aucun rejet d’effluent. Il n’entraînera pas de
pollution. Il ne peut entraîner aucune pollution. Il n’est pas en mesure de causer l’un quelconque
des dommages imaginés et invoqués par l’Argentine.
Absence de toute pollution ?
8. Bien, permettez-moi de parler à présent de pollution. M.Sands a fait valoir hier que
l’article41 du statut du fleuve Ur uguay créait une obligation de résultat ⎯en d’autres termes, il
imposerait à l’Uruguay de prévenir la pollution, apparemment toute pollution. Madame le
président, Messieurs de la Cour, ce n’est pas un argument sérieux. Les prélèvements effectués sur
le fleuve par l’Uruguay, à Fray Bentos, révèlent que le fleuve est pollué ⎯ essentiellement par les
eaux d’égouts brutes provenant de Gualeguaychú et d’autres localités en Argentine. Mais laissons
13 de côté la réalité pour l’instant et examinons de plus près ⎯ nous sommes juristes, après tout ⎯ les
règlements adoptés sur cette question par la commission du fleuve Uruguay. Cette commission,
comme nous le savons, a compétence pour établir l es normes de qualité des eaux et pour modifier
celles-ci tous les trois ans (CARU, art. 2). L’Argentine et l’Uruguay ont accepté les règlements
adoptés par la CARU.
9. Or, les normes de qualité des eaux que la CARU a adoptées définissent des niveaux
autorisés de pollution des eaux ⎯en d’autres termes, elles s upposent un certain niveau de
pollution. Elles prévoient ⎯et cela figure en détail dans le Recueil de normes de la
commission ⎯ des niveaux autorisés pour les substances suivantes ⎯ et je ne lirai que celles que
j’identifie comme particulièrement néfastes: l’arsenic, le cyanure, le mercure, le DDT,
l’heptachlore, le lindane, les organophosphates et les PCB. Plusieurs d’entre elles, assez
vraisemblablement toutes, relèvent de la conventio n sur les polluants organiques persistants. Elles
sont toutes toxiques, certaines d’entre elles sont persistantes, mais auc une n’est complètement
interdite par les règlements de la CARU. Elles ne sont pas non pl us tout à fait interdites par la
convention sur les polluants organiques persistant s. Leur rejet est, jusqu’à un certain degré,
autorisé par les règlements et la convention et, pa r conséquent, par le statut du fleuve. Elles ne - 6 -
deviennent des polluants interdits que lors qu’elles dépassent les niveaux précisés dans les
règlements. Madame le président, il est tout si mplement impossible de parler de pollution d’une
manière juridiquement significative sans être conscient de ce point élémentaire mais essentiel.
10. Donc, si on lit l’article 41 dans le contexte de la pratique des parties telle qu’elle ressort
des règlements de la CARU, l’ interprétation à donner à cet article est claire et dépourvue
d’ambiguïté: les parties s’obligent à prendre les mesures appropriées pour empêcher que la
pollution du fleuve n’atteigne des niveaux prohib és. Elles ne sont pas tenues d’empêcher toute
pollution.
11. Les normes de qualité des eaux établies par la CARU ne serviraient manifestement à rien
du tout si les parties avaient déjà convenu d’inte rdire toute pollution. En outre, l’article27 du
statut permet aux parties d’utiliser le fleuve à d es fins industrielles. Que peut-on entendre d’autre
par là que le droit de prélever de l’eau ou de rejeter des effluents ? Comment l’article 27 pourrait-il
être compatible avec l’interdiction de toute pollution? C’est précisément pour permettre
l’utilisation des fleuves à des fins industrielles que très peu de traités c ontemporains relatifs aux
fleuves prévoient une interdiction totale de l’a ltération de la qualité des eaux. Hormis quelques
régimes conventionnels spécifiques, l’opinion selon laquelle les utilisations polluantes sont en soi
interdites bénéficie à l’heure actuelle de peu de so utien. En revanche, la tendance moderne de la
plupart des traités relatifs aux fleuves est d’exiger des Etats qu’ils réglementent et maîtrisent la
pollution ⎯ ces traités n’interdisent que certaines formes de rejets polluants et non tous les rejets.
14 12. C’est pour cette raison que l’alinéa 2 de l’article 21 de la conve ntion des Nations Unies
sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation
dispose que :
«Les Etats du cours d’eau, séparément et, s’il y a lieu, conjointement,
préviennent, réduisent et maîtrisent la pollution [préviennent, réduisent et maîtrisent]
d’un cours d’eau international qui risque de causer un dommage significatif à d’autres
Etats du cours d’eau ou à leur environneme nt, y compris un dommage à la santé ou à
la sécurité de l’homme, ou bien à tout e utilisation positive des eaux ou bien aux
ressources biologiques du cours d’eau…»
Eh bien, Madame le président, il ne s’agit manifest ement pas là d’une interdiction de la pollution.
Cela confirme l’interprétation de l’article41 faite par l’Urugua y, interprétation avec laquelle
l’Argentine était jusqu’à hier, d’accord. - 7 -
13. Lors des plaidoiries de l’Argentine, la Cour a entendu nombre d’affirmations concernant
la menace que ces usines constitueraient pour l’environnement. Ces affirmations, l’Argentine les a
formulées dans des termes extrêmement généraux, à une exception près. En revanche, elle ne les a
jamais appuyées sur le moindre élément scientifique. La seule assertion précise que l’Argentine ait
formulée est que le fonctionnement de ces usines risque de s’accompagner d’émissions
inacceptables de dioxines et de furanes. Comme to ujours, elle n’a fourni à la Cour absolument
aucune preuve scientifique à l’a ppui de cette allégation. Mais, puisque l’Argentine l’a répétée à
plusieurs reprises, l’Uruguay a soumis à la Cour la déclaration sous serment de l’un des plus
éminents experts au monde en matière de technologie des pâtes et papiers, M Adriaan
vanHeiningen, professeur d’ingénierie chimique à l’Université du Maine. Je vais résumer très
brièvement sa déclaration :
⎯ M. van Heiningen indique que des scientifiques de l’Institut canadien de recherches sur les
pâtes et papiers ont établi que la technologi e qui existait alors en 1988 présentait un risque
d’émissions de dioxines et de furanes. Dans les dix années qui ont suivi, ajoute-t-il, de
nouvelles techniques éliminant ce risque ont été développées. Les usines Orion et CMB
utiliseront naturellement cette nouvelle technologie. M. van Heiningen conclut :
«En résumé, les usines Orion et CMB entrent dans la catégorie des usines de
pâte à papier modernes qui ne rejettent plus de dioxines ou de furanes. Aucun
scientifique travaillant dans ce domaine ne peut affirmer le contraire. D’un point de
vue scientifique, rien ne permet d’attach er le moindre crédit aux allégations de
l’Argentine selon lesquelles les usines en cause pourraient oonstituer la menace décrite
par l’Argentine au cours de ces audiences.» (Onglet n 31 du dossier d’audiences
[traduction du Greffe].)
⎯ D’une manière plus générale, M. van Heiningen confirme ce que l’Uruguay concluait plus tôt :
il déclare que l’usine Orion sera une installation de pointe pleinement conforme aux meilleures
15 techniques disponibles de l’Union européenne. En fait, il conclut que l’usine Orion est «l’une
des usines les mieux conçues et les plus resp ectueuses de l’environnement qu’il [lui] ait été
donné de voir en vingt-cinq ans de métier» [traduction du Greffe].
Enfin, sa déclaration sous serment révèle égal ement que les émissions de dioxines de l’usine
ENCE, dont il a été question ce matin, seront bien inférieures à celles que M. Sands a citées. Mais
quand bien même le chiffre de M.Sands serait exact ⎯il a évoqué 200milligrammes ou - 8 -
0,2gramme de dioxines libérés chaque année pour ENCE ⎯, celui-ci resterait dix mille fois
inférieur aux 2110 grammes de dioxines que l’Argent ine émet en un an, si l’on en croit son propre
inventaire national des rejets de dioxines et furan es, qui date de2001 et peut être consulté sur le
1
site Internet de la convention sur les polluants organiques persistants . A titre de comparaison,
en2002, l’Uruguay dans son ensemble en a émis 55grammes au total, d’après son inventaire
national, également disponible sur le même site Internet 2. Voilà qui permettra peut-être de ramener
ces chiffres à leurs véritables proportions.
Il me semble donc, Madame le président, que compte tenu de ces éléments, l’Argentine n’a
pu établir que l’exploitation de ces usines constituer a le moindre risque pour l’environnement, et
encore moins un risque imminent de préjudice irréparable.
Le principe de précaution
14. Madame le président, permettez-moi de c onclure par quelques mots sur le principe de
précaution. M.Sands l’a invoqué hier et ce matin , et a semblé suggérer que ce principe revêtait
quelque pertinence en l’espèce. Voilà qui est plus qu’étonnant. Le principe de précaution a à voir
avec l’incertitude scientifique. Voici ce qu’il prév oit, aux termes du quinzième principe de la
déclaration de Rio : «En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude
scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures
effectives visant à prévenir la dégradation de l’en vironnement.» L’Uruguay, je l’espère, ne peut
être accusé de remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation
de l’environnement; nous avons décrit par le menu les mesures que nous avons prises. Il n’y a pas
non plus d’incertitude quant aux techniques utilisées pa r les usines de pâte kraft blanchie: elles
font appel à une technologie testée et éprouvée et doivent répondre à des normes strictes, bien
définies; les études d’impact sur l’environne ment sont exhaustives et précises quant aux
16 conséquences probables des projets. Il n’y a rien d’incertain ici, et se raccrocher au principe de
précaution en pareilles circonstances ne rime à rien : c’est davantage un signe de désespoir qu’un
argument juridique sérieux.
1
Site Internet de la convention sur les polluants organiques persistants, www.pops.int/documents/guidance.
2
Ibid. - 9 -
15. Plus fondamentalement, toutefois, si le principe de précaution nous aide à établir
l’existence ou non d’un risque juridiquement signi ficatif, le fait de l’invoquer comme M. Sands ne
nous apprend pas pour autant comment maîtriser ce risque, ni quel serait le niveau de risque
acceptable pour la société. La convention de Stockholm de2001 sur les polluants organiques
persistants, apparemment souvent invoquée dans le cadre de cette procédure, adopte expressément
une approche de précaution pour la classificatio n et le contrôle de substances chimiques
dangereuses. Elle reconnaît dans son préambule ⎯ je cite ⎯ que «toutes les parties sont animées
par un souci de précaution qui se manifeste da ns la présente convention». Aux termes de
l’article 1 : «Compte tenu de l’approche de précaution énoncée dans le principe 15 de la déclaration
de Rio...l’objectif de la présente convention est de protéger la santé humaine et l’environnement
des polluants organiques persistants.» Or, même cette convention n’interdit pas l’utilisation de
polluants organiques persistants; à l’instar des règlements de la CARU, elle les réglemente
rigoureusement et limite leur utilisation; elle vi se à les éliminer dans la mesure du possible ⎯ ce
que nous voudrions probablement tous fair e avec cette douce mélodie que produisent nos
ordinateurs en s’allumant ou s’éteignant! ⎯, mais elle ne les proscrit pas catégoriquement.
Certaines de ces substances sont trop utiles pour être proscrites, d’autres sont le produit inévitable
d’activités trop importantes pour être bannies. Mais si vous voulez être sûrs de produire
rapidement des dioxines, il vous suffit de faire cuire du bŒuf au barbecue dans votre jardin !
16. Une société industrielle moderne, Madame le président, doit fatalement s’efforcer de
trouver un juste équilibre entre les avantages et les dangers des nombreuses substances chimiques
que nous utilisons dans notre vie quotidienne, et la convention sur les polluants organiques
persistants traduit parfaitement le rôle joué par le principe de précaution dans ce contexte.
L’Argentine est partie à cette convention. Elle a dhère sans doute à la philosophie qui la sous-tend.
Tel est assurément le cas de l’ Uruguay. La loi17.283 de2000, qui vise à établir des mesures de
précaution destinées à protéger l’environnement, reprend mot pour mot le principe15 de la
déclaration de Rio. La DINAMA doit donc donn er effet au principe de précaution lorsqu’elle
s’acquitte de ses fonctions réglementaires. Comme je l’ai signalé hier, les entreprises Botnia et
ENCE devront l’une et l’autre, pour respecter les termes des autorisations qui leur ont été délivrées,
satisfaire aux prescriptions de la convention sur les polluants organiques persistants. Nul ne saurait - 10 -
prétendre que l’Uruguay aurait, d’une manière assez hypothétique, manqué à quelque exigence
dictée par le principe de précaution ⎯la Cour relèvera d’ailleurs que M.Sands n’a jamais tenté
d’expliquer précisément de quelle exigence il pourrait s’agir.
17 17. Si l’Argentine estime toutefois que la c onvention sur les polluants organiques persistants
ne prévoit pas de mesures de précaution suffisantes pour protéger le fleuve Uruguay, c’est elle qui
détient la solution du problème ⎯ elle devrait proposer un renfor cement des critères de la CARU
en matière de qualité des eaux. C’est la CARU qu’il convient de saisir à cette fin, non la Cour
internationale de Justice, sans vouloir vous offe nser par là d’une manière ou d’une autre.
L’Argentine n’ayant formulé aucune proposition en ce sens au sein de la commission du fleuve
Uruguay, force est de considérer que les critères existants de la CARU constituent pour elle des
mesures de précaution adéquates.
Madame le président, voilà tout ce que j’avais à dire cette après-midi. Je remercie la Cour de
la patience et de la courtoisie avec lesquelles elle m’a écouté, et je vous prie de donner maintenant
la parole à mon confrère, M. Condorelli.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Boyle. Monsieur Condorelli, vous avez la
parole.
Mr. CONDORELLI: Thank you, Madam President.
1. Let me say that it has quite obviously been impossible for me, in the short time available,
to prepare replies to all the questions and criticis ms directed to the stance taken by Uruguay as I
have expressed it. I therefore ask for the Cour t’s indulgence if I confine myself to touching upon
two points, one briefly: the criticism expressed particularly by my learned friend
ProfessorMarceloKohen regarding violations of the obligations to provide information to
Argentina that Uruguay has allegedly committed. I shall deal with the other point at greater length:
the issue that we have agreed to call “the right of veto”. - 11 -
Information, notification, procedures
2. Professor Kohen has severely criticized the claim made through me that Uruguay had
complied with the provisions regarding ex changes of information in Articles7 et seq . of the
Statute. I will make only three comments on this subject.
3. First, Argentina does not deny obtai ning from Uruguay a substantial amount of
information through a variety of machinery and ch annels. What it states is essentially that such
18 machinery and channels were often not the right on es, according to the Statute, or even that they
did not meet the technical requirements to which th ey should have conformed. This is a topic for
the merits, which can be left aside at this stage.
4. Secondly, contrary to what my opponent cl aims regarding exchanges of information, the
Court has evidence available to it in the form of a statement by Ms Martha Petrocelli, President of
Uruguay’s delegation to CARU. This statement, doc ument No.14 in the ju dges’ folder, describes
the measures taken by Uruguay concerning inform ation and is fully supported by the CARU
minutes, the relevant parts of which are annexed to it. This evidence is not contradicted by
evidence produced by Argentina.
5. Thirdly and lastly, the Court is in a position to assess the enormous amount of information
supplied to Argentina by Uruguay by referring to th e list in Annex B to document No. 15. Let me
ask you to give this list some attention; the wea lth of information and its relevance have not been
disputed. If this list is examined carefully it is easy to see that Uruguay has supplied Argentina with
abundant information on both the CMB mill and the Botnia mill.
The Statute of the River Uruguay respects the permanent sovereignty of States over their
natural resources and does not give one Party a right of veto regarding implementation of
projects by the other Party falling within the scope of Articles 7 et seq.
6. Madam President, I now come to the sec ond point. The written pleadings submitted to
your Court by the other side do not show clearly whether or not Argentina is accusing Uruguay of
violating the Statute by the mere fact of authorizing the start of construction work on the pulp mills
that are the subject of the present dispute without obtaining Argentina’s prior agreement. No such
accusation is explicitly made anywhere in the App lication instituting proceedings; neither is there
any indication, however vague, of the provision of the Statute that such authorization would
infringe, although it is alleged that Uruguay has viol ated various obligations regarding procedures - 12 -
laid down by the Statute or the protection of the waters of the river. The same is true of the request
for the indication of provisional measures, which is also less than clear on this subject, but which
nevertheless contains a sentence in the Statement of Grounds (para.6 in fine), one sentence only,
19 no trace of which can be found in the rest of the docum ent. This is a sentence that should be cited:
“Pending the Court’s judgment on the merits, Argen tina is entitled to have the obligation not to
construct or authorize works of this kind mainta ined until the dispute has been settled.” The
expression “entitled to have the obligation... preserved” is a curious one; its somewhat
convoluted wording doubtless reflects a certain difficulty . . .
7. The other side’s pleadings yesterday mo rning and today no longer show any signs of
ambiguity or difficulty. Our learned opponents explain to your Court very clearly that according to
Argentina the Statute grants each of the High Cont racting Parties a real right of veto over the
implementation by the other Party of project s falling within the provisions of Article7 et seq., so
long as your Court has not given a ruling under the compromissory clause in Article 60. It seems
that such a right of veto would remain even if the Party on whose territory the project was to be
implemented had, in good faith, fulfilled its s ubstantive and procedural obligations under the
Statute with regard to prevention, information and negotiation, and even if the other Party’s
opposition were to be based on insufficient or disput able grounds, or even if the reason for it were
pressure from ill-informed public opinion that is hostile on principle.
8. Madam President, it must be said at the outset that the argument maintained by Argentina
is highly questionable. Uruguay rejects it as totally unfounded, because it is based on an
unacceptable interpretation of the Statute. The la st few days’ proceedings have been revealing,
because they have shown up the real subject, or rath er the very heart, of the dispute between the
Parties. The heart of the dispute is precisely represented by the question whether, yes or no, a right
of veto exists under this Statute: in the last analysis everything comes down to this.
9. However, it goes without saying that such a fundamental difference of opinion cannot be
settled by the Court at this stage in the proceedings. The fact remains that your Court is obliged to
deal with it summarily now because ⎯ it has to be said ⎯ it could not grant the provisional
measures requested unless it recognized, at least prima facie, that the Statute did give the Parties a
right of veto. If, on the other hand, the Court were to find that there were serious reasons for - 13 -
20 doubting this, the granting of provisional measures would not be justified, because Argentina had
not established “the possible existence of the rights sought to be protected” (to employ the wording
used by JudgeShahabuddeen in his separate opinion in the case concerning Passage through the
Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures, Order of 29 July 1991 , I.C.J. Reports
1991, p. 36).
10. Madam President, Members of the Court, it is Uruguay’s firm conviction that the Statute
does not confer a right of veto upon the Parties. Such a right does not appear in the Statute and is
contradicted by the clear interpretation of it based on the methods prescribed by Article31,
paragraph 3, of the Vienna Convention on the La w of Treaties: subsequent agreements between
the parties; subsequent practice in the applica tion of the Statute; the principles and rules of
international law for the time being in force.
11. As to the text of the Statute, Articles7 et seq. govern step by step the procedure to be
followed so that projects such as those relating to the mills in question can be examined and
discussed via CARU, with a view to arriving at an agreement. If no agreement is reached, the
Party concerned may give formal notice of its proj ect to the other Party and according to Article 9
can then implement it “[i]f the notified Party rai ses no objections or does not respond . . . within a
certain period”. On the other hand, in th e event of an objection a new phase opens under
Article11, at the end of which there might finally be a submission to the International Court of
Justice in accordance with Article 60, “should the Parties fail to reach agreement” within the period
prescribed by Article 12. Madam President, it shoul d be noted that the provisions briefly referred
to are absolutely silent as to if ⎯ or indeed, where appropriate, when ⎯ the Party concerned could
consider itself authorized to take the risk of starting to implement its project if the new phase of
negotiation does not lead to an agreement, or on the other hand if it is obliged to await the outcome
of legal proceedings, proceedings that will last for several years at least. Whether Argentina
acknowledges the fact or not, we are faced with a lac una in the text that indisputably lends itself to
differing interpretations. Argentina interprets it as implying recognition of a right of veto, while in
Uruguay’s opinion the opposite is true.
12. Argentina’s argument is based on a contrario reasoning that is simple and logical at first
sight, but is in reality, with great respect, quite simplistic and misleading. Article9 clearly - 14 -
21 establishes that one Party can implement its project without further ado if the other Party raises no
objection, but does not state that, in the event of an objection, such implementation will be on hold
throughout the period necessary for the Court to be seised and to give a decision on the merits.
This implication, serious and fraught with conse quences as it is, this a lleged “no construction”
obligation (as Professor Sands calls it) is not stated explicitly in the Statute ⎯ a Statute which we
stress lays down “notably detailed and precise obligations” 3in the words of Professor Sands. But
Madam President, if it is true that the Statute can be described as identifying the obligations that it
imposes in a “specific and precise” 4way, should we not deduce from this that, in the absence of
this specific and precise quality, the alleged obligation simply does not exist?
13. It is clear, however, that we cannot resolve the difficulties of interpretation caused by an
incomplete text by considerations of pure le gal logic. We should undoubtedly use accredited
methods of treaty interpretation. As I have alr eady indicated, here we should turn to Article31,
paragraph3, of the Vienna Convention on the Law of Treaties. In our case there is subsequent
practice from which important inferences can be drawn, making it possible to identify an
agreement between the parties on how to interpret the treaty in question.
14. A prime example of subsequent practice is the subsequent verbal agreement between the
two countries of 2 March 2004 made by their Forei gn Ministers, which we have already referred to
on a number of occasions. We on the Uruguayan side yesterday expressed our surprise at the fact
that our opponents had not mentioned it anywhere in their written pleadings. Now, after listening
to their oral arguments this morning, our astonishment has not diminished, given the
embarrassment apparent in their statements on the subject. I think that we are to gather that neither
the Agent of Argentina nor Professor Kohen disputes its existence. How could they indeed when it
22 has been acknowledged at the highest level by Argen tina? In the future, perhaps, at the merits
stage of proceedings, the Court may witness an interesting verbal sparring match over unwritten
agreements and the legal régime applying to th em. For the time being, however, the important
thing is that this agreement undeniably existed, that it was made at a precise moment in time, over a
dispute between the Parties, and that it quite simp ly ended the dispute in question. The Court now
3
CR 2006/46, p. 28 (Sands).
4
Ibid. - 15 -
knows that, as negotiations within CARU gr adually became bogged down following the
authorization for the construction of the CMB mill granted by the Uruguayan authorities, the
Governments of the two countries decided to move to direct negotiations, which— it should be
noted— was a possibility provided for by Article59 of the Statute. Following those direct
negotiations, the two Governments agreed that ther e were no further objections to the construction
and commissioning of that mill (the only one on which work had started at the time), but that
Uruguay was obliged to continue to provide Arge ntina with all the relevant information during
construction, while CARU was to draw up a veri fication programme for its operations to ensure
that they were compatible with the safeguard of the quality of the river’s water.
15. Members of the Court, in its oral arguments yesterday Uruguay made extensive reference
to the content and meaning of this verbal agreement, the relevance of which was acknowledged and
confirmed by numerous quite explicit official statements by both Governments, and particularly the
Heads of State, including of course the Argentine President, Mr.NéstorKirchner. Let me now
draw the Court’s attention to the fact that both the verbal agreement of 2March2004 and the
practice stemming from it — in accordance with Article 31, paragraph 3 (a) and (b), of the Vienna
Convention on the Law of Treaties — testify to th e clear existence of an agreement regarding the
interpretation of Articles 7 et seq. of the Statute of the River Uruguay. That interpretation, which
can be characterized as authentic, precludes an y right of veto for one Party regarding the
implementation by the other Party— even before seisin of the Court— of projects covered by
Article7 of the Statute, providing that Party di scharges in all good faith its obligations of prior
notification, complete disclosure and negotiation and that it continues to fulfil them during both the
construction and the commissioning of the planned installations.
23 16. I would like to be clear on this point. To say that the 2004agreement and the practice
stemming from it confirm that the Statute does not confer a right of veto does not in any way mean
that the agreement caused all the disputes relativ e to obligations resulting from the Statute with
respect to the paper mills to disappear as if by ma gic. In the next phase of proceedings, the Court
will have to examine them, but for Uruguay such disputes can only be regarded as relating to
compliance with, or breach of, the Statute’s obligations, notably as regards the exchange of - 16 -
information and co-operation in the safeguard of the RiverUruguay and not with respect to
purported rights which the Statute does not confer.
17. Madam President, Members of the Court, such an interpretation of the Statute appears all
the more judicious and satisfactory inasmuch as it is the only one in harmony with the fundamental
principles of contemporary international law, which have an essential role to play in ascertaining
the meaning of obligations stemming from the Statute. And that is not just because of the specific
reference in Article 1 of the Statute: we must not lose sight of the general reference in Article 31,
paragraph 3 (c), of the Vienna Convention on the Law of Treaties, pursuant to which interpretation
of a treaty must, precisely, take account of “any relevant rules of international law applicable in
relations between the parties”. And one of the fundamental principles of contemporary
international law — which is also a fundamental pr inciple of international environmental law — is
that of States’ permanent sovereignty over their natural resources.
18. Numerous instruments proclaim or reassert the principle of States’ permanent
sovereignty over their natural resources, st arting with the famous General Assembly
resolution1803(XVII) of 1962: it would be time-c onsuming and indeed impossible to cite them
all. What is more important is to note that a ll the most significant resolutions, declarations and
treaties on environmental protection emphasize the essen tial role of that principle by applying it to
the areas which they address. The wording used often repeats the terms of Principle21 of the
1972Stockholm Declaration on the Human Environment or of Principle2 of the 1992Rio
Declaration on Environment and Development, according to which:
“States have, in accordance with the Charter of the United Nations and the
principles of international law, the sove reign right to exploit their own resources
pursuant to their own environmental and developmental policies, and the
responsibility to ensure that activities within their jurisdiction or control do not cause
24 damage to the environment of other States or of areas beyond the limits of national
jurisdiction.”
19. Madam President, the principle of perm anent sovereignty and its application in
environmental protection have obvious implications for the issues be fore us. Those implications
are stated clearly and in a particularly telling wa y by paragraph3 of the 1972 General Assembly
resolution2995 (XXVII), in which the Assembly reaffirmed the obligations upon States to
co-operate and exchange data when planning to implement projects which may give rise to harmful - 17 -
effects on the environment in zones situated outsi de their national jurisdictions; however, as the
General Assembly also forcefully pointed out: “without this being construed as enabling each State
to delay or impede the programmes and projects of exploration, exploita tion and development of
the natural resources of the States in whose te rritories such programmes and projects are carried
out”.
20. The debate in this Hall has enabled you to appreciate the vital importance for Uruguay’s
future of the industrial development programme fo r the establishment of the pulp mills: it is the
biggest industrial development programme in its history and the sustainable development of the
country as a whole depends on it. While the pr ogramme must undeniably be implemented in
compliance with the obligations incumbent upon Urugua y in terms of environmental protection, to
make its implementation conditional upon the prio r consent of another State — albeit a neighbour
and brother nation— unless specified by a precise and explicit treaty provi sion is unthinkable.
There is no such provision in the 1975 Statute, as indeed there is not in the vast majority of bilateral
and multilateral treaties on similar issues.
21. The notion that a State cannot — by invoking protection of the environment — obstruct,
thanks to a sort of right of veto, the implem entation of major development programmes by other
States, which have discharged in good faith their obligations of co-operation and the exchange of
data in order to avoid environm ental damage, is also reflecte d in the 1997New York Convention
on the Law of the Non-navigational Uses of Intern ational Watercourses. Articles 17, paragraph 3,
25 and 19 of the Convention clearly state that, fo llowing consultation and negotiations, the State
planning the measures can, subject to certain time considerations and conditions, decide to
implement them, without such a decision dependi ng upon the completion of the dispute settlement
procedures.
22. It should be noted that such concepts are not a recent development, but have been firmly
anchored in the thinking of international law for a very long time. One need only, to support this
contention, think back a certain time to the famous arbitral decision to which reference has already
been made: that in the Lac Lanoux (Spain v. France) case of 1957. The Tribunal effectively
decided to rule out the possibility of Spain possessing a certain right of veto over work carried out
by France affecting an international watercourse, emphasizing that such a right represented an - 18 -
excessive limitation on France’s sovereignty; however, the Tribunal did, of course, insist upon the
obligation upon France to consult, co-operate and negotiate with the neighbouring State.
ProfessorSands contended that that precedent wa s not relevant to the present case because there
5
was no treaty establishing a defined régime equivalent to that provided for by the Statute . The
opposite, however, is true: neither the Treaty of Bayonne in the Lac Lanoux case nor the Statute of
the RiverUruguay explicitly confers a right of veto. The reasoning adopted by the Arbitral
Tribunal in that case is thus fully relevant to the present one when it states: “To admit that
jurisdiction in a certain field can no longer be exercised except as the condition of, or by way of, an
agreement between two States is to place an essentia l restriction on the sovereignty of a State, and
such restriction could only be admitted if there were clear and convincing evidence.” 6The least that
can be said is that no such “clear and convincing evidence” has been shown in the present case.
23. To conclude, Madam President, Members of the Court, the Respondent requests you to
find that the fact that Uruguay granted authoriza tion for the construction of the pulp mills without
the prior agreement of Argentina does not cons titute a prima facie breach of the obligations
stemming from the Statute of the RiverUruguay: the request for the indication of provisional
measures is therefore also unjustified from that pe rspective. We have heard it said a number of
26 times that the Court’s power to indicate such m easures is of an “exceptional” nature. Uruguay
most earnestly asks you, Members of the Court, not to exercise this exceptional power by casting
doubt on Uruguay’s right to permanent sovereignty over its natural resources.
I thank you, Members of the Court, and I ask you, Madam President, to give the floor to
Mr. Reichler.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Condorelli. Je donne à présent la parole à
M. Reichler.
M. REICHLER : Madame le président, Messieurs les juges, une fois de plus, je suis honoré
de prendre la parole devant vous. Je voudrais commencer sur une note positive en vous donnant
l’assurance, Madame le président, Messieurs les juges, que l’Uruguay ne vous retiendra pas
5
CR 2006/46, p. 36 (Sands).
6
Lac Lanoux arbitration, Award of 16 November 1957, 24 ILR, p. 136. - 19 -
aujourd’hui jusqu’à 18h30. Mon rôle aujourd’ hui consistera à démontrer pourquoi les mesures
conservatoires ne sont pas nécessaires pour protég er ce que l’Argentine prétend être le droit
procédural que lui confère le statut, à savoir empêcher l’Uruguay d’entreprendre les travaux en
cause sans son consentement préalable.
Hier, j’ai expliqué pourquoi les mesures con servatoires ne sont pas justifiées au regard du
droit substantiel revendiqué par l’Ar gentine, à savoir le droit qu’elle aurait de protéger le fleuve
Uruguay d’une pollution constituant une violation des articles 40 à 43 du statut. J’ai expliqué que,
s’agissant de ce droit substantiel ⎯ l’existence de ce droit n’étant pas contestée par l’Uruguay ⎯,
la demande en indication de mesures conservatoires présentée par l’Argentine doit être écartée pour
trois motifs distincts, chacun de ces motifs étant suffisant pour débouter l’Argentine de sa
demande: premièrement, parce que l’Argentine n’a pas pu démontrer qu’il existe une menace
imminente et urgente au droit qu’il a de protéger le fleuve de la pollu tion; deuxièmement, parce
que l’Argentine n’a pas pu démontrer que son droit encourt un dommage irréparable; et,
troisièmement, parce que l’indication des mesur es conservatoires sollicitées par l’Argentine, en
particulier la suspension de la construction, porterait de manière irrémédiable préjudice aux droits
fondamentaux de l’Uruguay qui sont en cause en l’espèce.
Madame le président, Messieurs les juges, pour ces mêmes motifs ⎯ et d’autres ⎯,
l’Argentine n’a pas pu démontrer pourquoi l es mesures conservatoires sont nécessaires pour
protéger son prétendu «droit procédural», à savoir empêcher l’Uruguay d’aller plus avant dans le
27
projet des usines de cellulose, en l’absence du consentement préalable de l’Argentine.
Tout d’abord, de l’avis de l’Uruguay, le droit procédural dont se prévaut l’Argentine n’existe
pas. Pour dire simplement les choses, aucune obligation n’incombe à l’Uruguay d’obtenir de
l’Argentine le «consentement» de celle-ci pour la construction de ces usines de cellulose. Comme
M. Condorelli vient de le démontrer, le statut du fleuve Uruguay n’impose pas pareille obligation.
Le droit international général ne l’impose pas non plus. Aucune des parties, ni l’Argentine ni
l’Uruguay, n’a jamais prétendu jusqu’ici ⎯au cours des trenteetune années de l’histoire du
statut ⎯ que celui-ci exige de l’une des parties l’ob tention préalable du consentement de l’autre
avant d’autoriser un projet qui pourrait affecter la qualité des eaux du fleuve. La requête de
l’Argentine en date du 4mai2006 ne prétend p as non plus que pareille obligation existe. La - 20 -
demande en indication de mesures conservatoires de l’Argentine datée du même jour ne prétend
pas elle non plus que pareille ob ligation existe. C’est hier que , pour la toute première fois,
l’Argentine a avancé une telle inte rprétation, lorsque M. Sands a s outenu que «si l’Argentine a fait
des objections à un projet soumis à des conditions énoncées par le statut ⎯ comme elle l’a fait en
l’espèce à de multiples reprises ⎯ l’Uruguay ne peut construire aucun ouvrage», et que l’Argentine
a le droit «à ce que la Cour internationale de Justice règle tout différend éventuel avant la
construction». M.Condorelli a montré que l’Ar gentine ne jouit pas d’un tel droit, et que
l’interprétation innovatrice de M. Sands du statut est inexacte.
Ce matin, M.Sands a fait une concession révéla trice, et l’Uruguay dirait significative, au
nom de l’Argentine. En réponse à ce que j’ai dit hi er, à savoir qu’au cours des trente et une années
de l’histoire du statut l’Argentine n’avait jamais donné à entendre, ne serait-ce qu’une seule fois,
que les articles 7 à 13 du statut imposaient aux pa rties l’obligation d’obtenir le consentement
préalable de l’autre partie avant d’entreprendre le projet visé à l’article7 ⎯M.Sands a dit, en
réponse à ce que j’ai dit ⎯, que l’Argentine avait tout mis en Œuvre pour identifier un seul cas, au
cours des trente et une années, où elle aurait pris à son compte l’interprétation des articles7 à13
plaidée par M.Sands au cours des audiences d’hi er. Et l’Argentine n’avait rien trouvé. Et,
aujourd’hui, l’Argentine n’a rien soumis à la Cour. Cela est dû au fait qu’il n’y a rien à lui
soumettre. Cela est dû au fait que ce que j’ai dit hier au nom de l’Uruguay est exact et ne saurait
être contredit : à aucun moment au cours des trente et une années de l’histoire du statut, jusqu’à ce
que M.Sands montât à la barre hier, l’Argentine n’a jamais prétendu que le statut exigeait d’une
des parties l’obtention de l’accord ou du cons entement préalable de l’autre partie avant
28 d’entreprendre un projet qui pourrait affecter la qualité des eaux du fleuve Uruguay. L’Argentine
n’a non plus jamais adopté pour position que la partie prenan t l’initiative d’un projet ne pourrait le
faire qu’après que des négociations auraient abou ti ou qu’un différend devant votre Cour aurait été
mené à son terme. M. Sands fait référence au «temps limité disponible», mais cela ne constitue pas
une excuse valable. Il s’agit ici d’une affaire extrêmement sérieuse. A n’en pas douter, si
l’Argentine disposait d’éléments de preuve, documentaires ou autres, du fait qu’elle avait fait
sienne cette interprétation du statut à un moment quelconque des trente et une années écoulées, elle
aurait amené avec elle lesdits éléments de preuve à La Haye et les aurait soumis à la Cour. - 21 -
L’Argentine n’a présenté rien de tel à la Cour . Au contraire, tout ce que l’Argentine a pu
présenter, c’est une seule déclaration d’un juri ste uruguayen, M.Edison Gonzales Lapeyre.
L’Uruguay convient que M. Gonzales Lapeyre est un expe rt en ce qui concerne le statut. Il est par
conséquent de la plus gra nde importance de voir ce que ne dit pas l’extrait de son livre cité ce
matin par l’Argentine. L’extrait ne dit pas que l’Uruguay ou l’Argentine doit obtenir l’accord ou le
consentement préalable de l’autre partie avant d’ entreprendre un projet soumis à l’article7. Il ne
dit pas que si une des deux parties fait objection à un projet, l’autre partie doit retarder le
commencement de celui-ci jusqu’à ce que le processus de règlement du différend, y compris le
contentieux soumis à votre Cour, ait été mené à s on terme. Tout ce que dit l’extrait présenté par
l’Argentine, c’est que la CARU prend une décision lorsque les deux parties sont d’accord.
L’extrait dit que «la commission prend une décision valable unique ment lorsqu’il y a accord entre
les deux délégations». Si le livre de M.Gonzal es Lapeyre est un ouvrage tout à fait érudit et qui
contient beaucoup d’informations, dans le passage en question l’auteur ne fait rien d’autre que de
dire une évidence. La CARU est une entité bina tionale, composée de délé gations de taille égale
représentant respectivement l’Uruguay et l’Argentine. Elle ne peut prendre de décision que lorsque
les deux délégations sont d’accord. Ce qui est plus important sur ce point toutefois, c’est qu’il n’y
a rien dans l’ouvrage, et certainement rien dans le statut, qui donne à penser que l’un ou l’autre Etat
doit obtenir l’accord de la CARU avant d’entreprendre un projet du type de celui qui est visé à
l’article 7. Même M. Sands ne prétend pas que pa reil accord est requis par le statut. L’Argentine
non plus n’a jamais avancé une telle prétention.
L’Uruguay est d’avis que l’on peut à présent conc lure que ni l’une ni l’autre des Parties, ni
l’Argentine ni l’Uruguay, n’a jama is interprété le statut comme imposant à une partie l’obligation
d’obtenir le consentement de l’autre partie av ant d’entreprendre un projet tel que celui visé à
l’article7, et que l’interpréta tion avancée par M. Sands hier ne trouve appui ni dans ce que les
parties ont entendu du statut au cours des trenteet une dernières années ni dans la pratique des
parties au cours des même trente et une années.
29 Quoi qu’il en soit, ainsi que M.Condorelli l’a démontré, il s’agit là d’une question qui
concerne directement le fond du différend entre les deux Parties. L’interprétation du statut, et en
particulier les droits et obligations des parties en vertu des articles 7 jusqu’à 13 du statut, se trouve - 22 -
au cŒur même du présent différend. Bien que la requête ne contienne aucune allégation selon
laquelle l’Uruguay aurait une obligation d’obtenir le «consentement préalable» de l’Argentine
avant d’autoriser la construction des usines de cellulose, ou que l’Uruguay aurait violé pareille
obligation, elle n’allègue pas moins, en termes gé néraux, que l’Uruguay a violé l’article 7 du statut
en autorisant la construction de ces usines. L’Uruguay a énergiquement nié qu’elle ait violé
l’article 7 ou tout autre article du statut. Il a ni é l’existence d’une obligation lui imposant d’obtenir
le consentement préalable de l’Argentine avant d’autoriser la construction des ouvrages. Il est tout
à fait clair, dès lors, que, à la phase du fond de la présente procédure, la Cour sera appelée à
déterminer de manière précise quels droits et obliga tions sont créés par le statut, et en particulier à
déterminer si les parties ont l’obligation d’obtenir le consentement préalable de l’autre partie avant
d’autoriser la mise en Œuvre d’un projet qui pourrait affecter la qualité des eaux du fleuve
Uruguay. A la phase du fond, la Cour aura à décider si un tel droit existe et, dans l’affirmative, si
ce droit a été violé par l’Uruguay.
Un problème majeur ⎯mais il ne s’agit pas du seul problème ⎯ que pose la demande
soumise par l’Argentine est que celle-ci requiert de la Cour qu’elle se prononce dès cette phase des
mesures conservatoires, plutôt qu’à la phase du fond. L’Uruguay voudrait respectueusement
soutenir qu’il serait impossible à la Cour d’in diquer les mesures conservatoires sollicitées par
l’Argentine ⎯ la suspension de la construction ⎯ sans préjuger le fond d’une manière qui porterait
atteinte fondamentalement et de façon permanente aux droits mêmes que l’Uruguay revendique en
la présente procédure.
Pour reprendre les termes de M.Sands, l’ Argentine revendique le droit, en vertu des
articles7 à13 et de l’article60 du statut, «à ce que la Cour internationale de Justice règle tout
différend éventuel avant la construction». L’Ur uguay nie non seulement que l’Argentine ait un tel
droit, mais revendique un droit équivalent et opposé pour elle-même. De manière plus précise,
l’Uruguay soutient que, après avoir rempli toutes ses obligations en vertu du statut, y compris les
obligations que lui imposent les articles 7 à 13 et l’article 60, elle a le droit souverain de poursuivre
la construction des usines jusqu’à ce que la Cour en décide autrement à la fin de la phase du fond.
Ces revendications et ces interprétations du statut opposées de l’Uruguay et de l’Argentine
trouveront une solution ⎯ et doivent être réglées uniquement ⎯ à la phase du fond. - 23 -
30 Mais l’Argentine demande à la Cour de les régler dès à présent ⎯en sa faveur et au
détriment de l’Uruguay. En ordonnant la susp ension des travaux maintenant, la Cour jugerait
effectivement le fond de cette qu estion en faveur de l’Argentine et contre l’Uruguay. Pareille
décision aurait pour effet pratique de faire droit à la prétention de l’Argentine au fond, à savoir
qu’elle a le droit, comme l’allègue M. Sands, «à ce que la Cour internationale de Justice règle tout
différend éventuel avant la construction», la dé cision aboutissant exactement à cela: arrêter toute
construction jusqu’à ce que les divergences de vues en tre les Parties aient été réglées par la Cour.
Et la décision aurait nécessairement pour effet concomitant de priver l’Uruguay ⎯ de
manière permanente ⎯ de sa revendication au fond, à savoir que le statut lui donne le droit de
poursuivre la construction des ouvrages en attendant la décision définitive de la Cour au fond. De
plus, le rejet de la revendicati on de l’Uruguay serait définitif, et le droit revendiqué par l’Uruguay
serait perdu de manière irrémédiable, même si la C our devait à la fin trancher la question, au fond,
en donnant gain de cause à l’Uruguay. Avec t out le respect dû à la Cour, en pareilles
circonstances, une décision définitive de la Cour donnant gain de cause à l’Uruguay n’aurait pas de
sens. Qu’est-ce que l’Uruguay tirerait d’un arrê t qui lui donnerait gain de cause en fondant son
droit à poursuivre la construction des usines en a ttendant le règlement du contentieux, après que le
contentieux aura cessé d’exister et que l’Uruguay aura été empêché de poursuivre la construction
pendant toute la durée du contentieux ?
La jurisprudence de la Cour est claire et s ouligne qu’un grand soin doit être mis à ne pas
indiquer de mesures conservatoires qui, dans la réalité, constitueraient un jugement provisionnel.
L’on pourrait citer de nombreuses affaires, y compris l’affaire relative à l’ Usine de Chorzów, dans
laquelle la demande présentée par l’Allemagne en vert u de l’article 41 avait été rejetée par la Cour
au motif que «la demande du Gouvernement alle mand ne p[ouvait] être considérée comme visant
l’indication de mesures conservatoires, mais comme tendant à obtenir un jugement provisionnel…»
Sur la question, il y a une très grande unani mité parmi les commentateurs. M.Rosenne a
écrit ce qui suit : «Le pouvoir d’indiquer des mesur es conservatoires ne saurait être invoqué si son
effet consisterait à accorder au demandeur un jugement provisionnel lui adjugeant tout ou partie de
la réclamation formulée dans le document introductif d’instance.» ( The Law and Practice of the
International Court, 1920-1996 , vol.III, p.1456 [traduction du Greffe] .) Et, à l’appui de cette - 24 -
proposition, je peux citer ce qu’a dit mon ami M. Pellet, dans l’affaire de Certaines procédures
pénales engagées en France (République du Congo c. France) :
«[U]ne demande en indication de mesu res conservatoires ne saurait avoir pour
31 effet d’«obtenir un jugement provisionnel ad jugeant une partie des conclusions».
C’est évidemment vrai a fortiori lorsque, comme c’est le cas ici, une telle demande
vise, purement et simplement, à préjuger le fond de l’affaire dans son ensemble…»
(CR 2003/21, par. 3.)
De la même manière, en l’espèce, la Cour doit débouter l’Argentine de sa demande en indication de
mesures conservatoires afin d’éviter de préjuger le fond et d’accorder à l’Argentine un jugement
provisionnel lui adjugeant sa réclamation.
La Cour doit également débouter l’Argentin e de sa demande en indication de mesures
conservatoires pour les motifs distincts et indépendants qu’il n’y a ni nécessité urgente à la protéger
d’un préjudice imminent, ni risque de dommage irréparable. Si les Parties sont en désaccord sur la
nature et la portée des obligations et des droits procéduraux énoncés aux articles7à13 du statut,
elles paraissent en revanche être d’accord sur l’objet et le but de ces procédures: il s’agit de
garantir à chaque Etat une certaine mesure de pr otection contre toute violation, par l’autre, des
dispositions de fond du statut ⎯en l’espèce celles visant à empêcher une pollution des eaux du
fleuve énoncées aux articles 40 à 43. Afin de garantir une telle protection, le statut requiert de la
partie ayant pris l’initiative d’un projet ⎯ en l’espèce l’Uruguay ⎯ de le notifier à l’autre partie; il
lui impose également de fournir suffisamment d’inform ations à l’autre partie afin de lui permettre
d’apprécier si ce projet est susceptible de porter atteinte à ses intérêts. En cas d’opposition de cette
autre partie au projet, le statut impose en outre à la première d’engager des négociations. Enfin, si
l’autre partie persiste dans s on opposition, il peut saisir votre Cour, à laquelle il revient alors de
déterminer si le projet va à l’encont re des dispositions de fond du statut ⎯ là encore, en l’espèce,
les dispositions antipollution prévues aux articles 40 à 43. Il ne fait aucun doute que toutes ces
procédures visent à prémunir cet autre Etat contre un e violation, par l’Etat ayant pris l’initiative du
projet, des droits substantiels garantis par le statut. Tel est le préjudice contre lequel les procédures
énoncées aux articles 7 à 13 sont destinées à assurer une protection.
Je ne répéterai pas les arguments que j’ai déve loppés hier, aux fins d’établir que l’Argentine
n’a pas démontré qu’il y avait nécessité urgente de protéger les droits substantiels que lui garantit le
statut, en l’occurrence le droit de protéger les eaux du fleuve Uruguay de toute pollution ou atteinte - 25 -
à leur qualité. Ces arguments sont exposés aux paragr aphes 8 à 50 de ma plaidoirie du 8 juin. Je
voudrais toutefois y ajouter une référence à l’artic le de mon ami Marcelo Kohen que le journal
argentin El Clarín a publié au début de cette année, et qui figure à l’onglet 24 du dossier de
32 plaidoiries. Voici ce qu’avait à dire M. Kohen quant à la perspective d’une éventuelle introduction,
par l’Argentine, d’une demande en indication de mesures conservatoires :
«Si l’on envisage de demander à La Haye l’indication de mesures
conservatoires, force est de prendre en cons idération la stricte interprétation que la
Cour a donnée des exigences d’«urgence» et de «dommage irréparable». Saisir la
Cour à seule fin d’obtenir un arrêt condamn ant l’Uruguay pour de présumées atteintes
au mécanisme de consultation prévu par le statut de 1975 n’a guère de sens. Le
ministère des affaires étrangères doit consacrer son énergie à des différends autrement
plus importants, qui appellent un règlement j udiciaire. Je déconseille de porter cette
affaire devant la Cour.» [Traduction du Greffe.]
Tant M. Kohen que Mme l’ambassadeur Ruiz Cerutti nous ont reproché les références que
mon collègue, M.Condorelli, et moi-même avons faites au ⎯je les cite ⎯ «prétendu « accord
bilatéral du 2 mars 2004»». Or, avec tout le respect que je leur dois, ce n’est ni à M. Condorelli ni
à moi-même que l’on doit la paternité de l’expr ession «accord bilatéral». C’est au président de
l’Argentine lui-même. C’est aussi au ministre des affaires étrangères de l’Argentine. A l’onglet 10
du dossier des juges, vous pourrez constater que le président argentin a bel et bien vu en cet accord
du 2 mars 2004 un «accord bilatéral mettant fin au différend sur l’implantation d’une usine de pâte
à papier à Fray Bentos». Les termes de cet accord ont été décrits par le ministre des affaires
étrangères ⎯ vous en trouverez confirmation à l’onglet 11 du dossier des juges ⎯ comme
définissant notamment
«une méthode de travail pour les trois phases de construction du projet: la
planification, la construction et l’exploitation. Ainsi, on a mis au point des procédures
de contrôle détaillées concernant le fle uve Uruguay qui continue ront de s’appliquer
lorsque les usines auront été mises en service.» [Traduction du Greffe.]
La conclusion d’un accord est également mentionn ée dans le procès-verbal de la séance tenue par
la CARU le 15 mai 2004, séance au cours de laquelle le représentant de l’Argentine a déclaré : «Le
2mars2004, les ministres des affaires étrangère s de l’Argentine et de l’Uruguay sont tombés
d’accord sur la manière de procéder.» M.Kohen était dans l’erreur, ce matin, lorsqu’il a affirmé
devant la Cour qu’aucun accord n’avait été conclu le 2 mars 2004, et qu’il ne s’agissait «ni plus ni
moins que d’une consultation tenue entre» M.Bielsa, ministre argentin des affaires étrangères, et - 26 -
M.Opertti, son homologue de l’Uruguay. M.K ohen a dit aujourd’hui à la Cour «qu’à aucun
moment l’Argentine n’a[vait] consenti à la construction des deux usines.» Les éléments du dossier
prouvent le contraire, et je renvoie de nouveau la Cour aux déclarations du président et du ministre
des affaires étrangères de l’Argentine, qui figuren t aux onglets9-10-11 du dossier de plaidoiries.
Je pourrais ajouter que l’Argentine n’a contesté ni l’authenticité ni l’exactitude de ces déclarations
qui figurent aux onglets 9-10-11.
33 Mme l’ambassadeur Ruiz Cerutti s’est demandé pour quelles raisons l’Argentine aurait passé
un accord avec l’Uruguay en vue de la construction et de la mise en service des deux usines. Je ne
pense pas que ce soit à l’Uruguay qu’il incombe d’e xpliquer les motivations de l’Argentine, mais
celles-ci pourraient être trouvées à l’onglet 8 du dossi er des juges. On y trouve la déclaration faite
par le principal conseiller technique de l’Argentine à la séance tenue par la CARU le 15 mai 2004 :
«[A]ucun des différents rapports techniques n’indique que l’activité en question
cause un dommage irréversible et inévitabl e à l’environnement, du moins d’un niveau
suffisant pour justifier la suspension du pr ojet ou l’opposition à la construction de
l’usine, en tout cas en se fondant sur des raisons scientifiques…» [Traduction du
Greffe.]
A la lumière de pareilles déclarations, la question qu’il serait le plus utile pour l’ambassadeur
Ruiz Cerutti de se poser ⎯ ou qui mériterait de lui être posée ⎯ serait plutôt la suivante : pourquoi
l’Argentine a-t-elle ignoré l’accord conclu av ec l’Uruguay et adopté une position radicalement
opposée dans le cadre de la présente instance ? La réponse réside peut-être dans certains enjeux de
politique interne argentine, à l’approche des électi ons nationales, mais l’ambassadeur Ruiz Cerutti
en sait certainement bien davantage que moi sur ce point.
Dans ma plaidoirie d’hier, j’ai expliqué que l’Argentine devait être déboutée de sa demande
en indication de mesures conservatoires, et en particulier de sa demande tendant à obtenir la
suspension de la construction des usines, en rais on du préjudice irréparable que de telles mesures
porteraient aux droits fondamenta ux de l’Uruguay sur lesquels il doit être statué au fond. Me
référant à la déclaration de Martín Ponce de Léon, reproduite à l’onglet 15 du dossier des juges, j’ai
exposé dans le détail les domma ges irréparables que causeraie nt à l’économie uruguayenne une
suspension des travaux et une annulation des projet s, avec celle d’investi ssements étrangers d’une
valeur de plus d’1,5 milliard de dollars des Etats-Unis par ENCE et Botnia. Les représentants de
l’Argentine ont, de manière très cavalière, laissé entendre que la suspension des travaux de - 27 -
construction n’aurait, pour l’Uruguay, aucune c onséquence négative. Ils ont argué que l’une des
usines, celle que construit ENCE, avait consenti à interrompre ses travaux de construction pour une
période de quatre-vingt-dix jours. C’est faux : EN CE n’a pas consenti à interrompre les travaux de
construction ni ne les a jamais interrompus. Hormis pendant la Se maine Sainte, période
traditionnellement non ouvrée, ENCE n’a jamais inte rrompu ses activités de construction. Elle a,
dans le cadre d’une campagne de relations pub liques, publié un communiqué de presse indiquant
qu’elle s’abstiendrait d’engager des travaux de géni e civil pendant quatre-vingt-dix jours, mais elle
n’avait jamais eu l’intention ⎯ ni ne s’était vu conférer par la DINAMA le pouvoir ⎯ d’engager
de tels travaux pendant ladite période. Ainsi que je l’ai mentionné hier, la compagnie ENCE n’a, à
ce jour, été autorisée par la DINAMA à procéder qu’à des travaux de terrassement et de préparation
des sols. Cela en prévision des travaux de géni e civil, dont le début est prévu dans la seconde
34 moitié de l’année, si la DINAMA délivre les auto risations nécessaires. Entre-temps, ENCE n’a
interrompu aucune des activités de construction qu’elle avait entreprises. Botnia n’a, elle non plus,
interrompu aucune de ses activités de construction.
Les représentants de l’Argentine ont laissé entendre qu’en mars dernier, le président de
l’Uruguay, S. Exc. Tabaré Vazquez, avait demandé une suspension des activités de construction
des deux compagnies pour une durée de quatre-vingt-d ix jours. Mais cela ne donne pas une idée
complète de ce qu’a demandé le président. A l’époq ue, les deux ponts reliant les rives argentine et
uruguayenne du fleuve Uruguay étaient bloqués par des manifestants argentins hostiles à la
construction des usines. Le trafic routier en tre les deux pays, et entre l’Uruguay et certains
partenaires commerciaux aussi importants que le Ch ili, le Paraguay ou la Bolivie, était paralysé.
Ces blocages, qui se sont poursuivis sans interrupti on tout au long de la première semaine du mois
de mai, avaient coûté à l’Uruguay entre quatre et ci nq cents millions de dollars des Etats-Unis. Ils
avaient entraîné une baisse spectaculaire de la fréquentation touristique des plages de l’Uruguay, au
cours de ces mois d’été si importants dans ce domaine. L’incidence sur le commerce a également
été considérable, les camions assurant le transpor t uruguayen de marchandises transitant à plus de
70 % par ces ponts. Faisant fi de ses obligations internationales, le Gouvernement de l’Argentine
s’est refusé à mettre un terme à ces blocus. Dans ces circonstances, et à la demande expresse du
président argentin Kirchner, les deux chefs d’Et at sont convenus de demander simultanément aux - 28 -
manifestants argentins de cesser immédiatement le blocus, et aux deux compagnies d’interrompre
la construction des usines pour une durée maximale de quatre-vingt-dixjours, en signe de bonne
volonté. Les demandes furent formulées. Mais l es manifestants argentins refusèrent de lever leur
blocus, et le Gouvernement argentin ne fit rien pour rétablir la circulation sur les ponts. C’est dans
ce contexte que le président Vazquez fit la décl aration suivante, reprise dans un des documents
présentés à la Cour par l’Argentine, le 6 juin :
«Nous ne négocierons pas sous la pr ession : le Gouvernement de l’Uruguay ne
négociera pas sur cette question tant que l es manifestants argentins continueront à
bloquer l’accès à nos ponts, et nous affirmons également que le Gouvernement de
l’Uruguay n’interrompra pas la construction des usines de cellulose en Uruguay.»
Dès lors, le président et le Gouvernement de l’Uruguay n’ont donc pas accepté de suspendre les
travaux de construction, pas même pour une durée de quatre-vingt-dix jours, et encore moins,
comme le demandait l’Argentine, pour la durée de la présente instance.
Ce matin, M. Pellet a évoqué les affaires du Thon à nageoire bleue et l’affaire relative aux
Travaux de poldérisation soumises au Tribunal international du dr oit de la mer. A la vérité, ni
l’une ni l’autre ne sert la cause de l’Argentine. Dans les affaires du Thon à nageoire bleue , les
parties en litige s’accordaient parfaitement à reconna ître que le stock du thon à nageoire bleue se
35 trouvait «dans un état d’épuisement grave et aux niv eaux les plus bas historiquement, ce qui [était]
source d’une grave préoccupation sur le plan biologique» (ordonnance du 27 août 1999, par. 71). Il
n’y a, de toute évidence, aucun accord de ce type entre les parties en l’espèce. L’affaire est donc
dépourvue de pertinence ici.
S’agissant de l’affaire relative aux Travaux de poldérisation , le passage le plus pertinent de
la décision est celui déboutant la Malaisie de sa demande de prescription d’une mesure
conservatoire tendant précisément à ce que Singa pour suspende, jusqu’à la décision du tribunal
arbitral, tous les travaux de poldérisation al ors en cours (voir ordonnance du 8 octobre 2003,
par.23). La poursuite des travaux a été autori sée et je dirais, respectueusement, que c’est
exactement dans le même sens que la Cour devrait statuer en l’espèce.
Puisque l’Argentine a invoqué la jurispruden ce du Tribunal international du droit de la mer,
je renverrais quant à moi à une autre affaire jugée pa r le Tribunal, affaire bien plus éclairante en ce
qui concerne les questions aujourd’hui en cause devant la Cour ⎯ l’affaire de l’Usine MOX. Dans - 29 -
cette affaire, l’Irlande, représentée à l’époque par M. Sands, présentait une thèse identique pour
l’essentiel à celle avancée en l’espèce par ce même conseil à propos de la violation des droits
procéduraux de l’Argentine (voir l’ordonnance du 3 décembre2001). Or, le Tribunal a rejeté la
demande en prescription de mesures conservatoires formée par l’Irlande, à l’effet d’empêcher la
mise en service de l’usine MOX ⎯et je renverrais tout partic ulièrement la Cour à l’opinion
individuelle de l’ancien président du Tribunal, M. le juge Mensah, qui traite ce point.
Enfin, je voudrais répondre aux commentaires formulés par mon ami M. Sands à propos de
l’index d’environnement durable soumis par l’ Argentine ce matin. J’ai beaucoup d’estime pour
M.Sands, c’est un bon ami, un «mate», dirait-on chez lui. A l’instar de son concitoyen,
Sherlock Holmes, M. Sands pense être tombé sur un indice et même un indice «précieux», selon les
termes qu’il emploie, qui ferait a pparaître l’Uruguay sous le jour d’un délinquant écologique. En
réalité, l’explication est simple et des plus terre-à-t erre. Pour l’année en cours, et contrairement à
ce qu’il avait fait en2005, l’Uruguay n’a soumis aucune des données requises par les auteurs de
l’étude. Ces données n’ont donc pas été incluses dans cette étude. Elémentaire, mon cher Watson !
Ayant élucidé ce mystère, je peux à présent clore ma plaidoirie.
Je vous remercie, Madame le président, Messieurs de la Cour, de votre aimable attention. Ce
fut un honneur pour moi que de co mparaître devant vous au cours de ces deux derniers jours, et je
vous en sais particulièrement gré.
Je vous prie respectueusement de passer la pa role à l’agent de l’Uruguay, qui présentera les
conclusions de l’Uruguay.
36 Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Re ichler. J’appelle maintenant à la barre
l’agent de l’Uruguay.
Mr. GROS ESPIELL:
Madam President, Members of the Court, thank you very much.
To close this afternoon’s session, in whic h Uruguay has responded to the representations
made this morning by the Argentine Republic, I would like, Madam President, to summarize the
conclusions which, in the opinion of my count ry, can be drawn from what has been said during
these hearings of 8 and 9 June. - 30 -
First, Uruguay would like to stress, as you so pertinently pointed out, Madam President, in
yesterday morning’s sitting, that at this stage of proceedings arguments are strictly limited to the
issue of the provisional measures requested by the Argentine Republic. It is not acceptable to enter
into the merits of the case, much less focus upon th em, since at this stage they can only be referred
to inasmuch as they are strictly related to the pr ovisional measures requested. In its presentations
today, the Argentine Republic addressed mainly i ssues of substance and only in an ancillary and
minimal way the issue on which the Court must now rule.
Second, Uruguay reiterates its intention to comply in full with the 1975Statute of the
RiverUruguay and its application. That firm in tention of its Government is underpinned by its
consistent compliance with the pacta sunt servanda principle, and, at the same time, is in itself a
mark of the good faith with which Uruguay always conducts its international relations.
As a concrete expression of that intention, I repeat what I said yesterday afternoon: my
country offers and reiterates its offer of conducting continuous joint monitoring with the Argentine
Republic.
Third, during the Argentine Republic’s oral arguments, repeated references were made to the
harmful environmental impact which could result fro m future operations at the two mills. I would
like most emphatically to rebut the data provi ded by the Argentine Republic. Those baseless
remarks give no idea of the truth as, now, thanks to modern technology and scientific progress, we
can wholeheartedly assert that there is no danger whatever of contamination.
37 Fourth, I make a point of repeating that th e two mills will operate according to European
Union standards for the industry which are due to en ter into force in Europe in 2007. That will
ensure the use of the safest and most up-to-date technology and discredits entirely the claims made
regarding the environmental consequences of the two mills’ operations.
Fifth, Uruguay is the first to wish to protect its population and the ecosystem from any
negative environmental impact. The human right s of its inhabitants, and the protection and
guarantee of those rights, constitute an inescapab le duty which my Government prides itself in
recognizing. The right to live and the right to hea lth safeguards are concrete forms of the right to
enjoy a healthy, ecologically balanced envir onment which the entire Uruguayan legal order is
designed to uphold. Alongside those human rights stands the concern with upholding the - 31 -
individual and collective right to sustainable develo pment, which, co-ordinat ed with all the other
human rights, means that measures must be taken to make the country productive in order to ensure
the right to work for all of its inhabitants.
Sixth, I will now reiterate what I said yesterda y regarding the seriousness of the blockade of
the international bridges, which has curtailed fr eedom of communication and circulation. These
actions have caused enormous harm to the Uruguayan economy, preliminarily estimated at
$400to$500million. The blocka de, the result of a failure to act on the part of the Argentine
Government, in violation of international law, has aggravated the existing dispute and has
ramifications for the Court’s consideration of th e provisional measures requested by Argentina for
the suspension of work on the mills.
Seventh, all that I have just said, along, of course, with the arguments of ProfessorsBoyle
and Condorelli and of Mr.Reichler, attests to Uruguay’s intention to show scrupulous respect for
the environment and for the entire range of human rights of the Uruguayan and Argentine peoples
through conduct characterized by transparen cy, good faith and the willingness to engage in
co-operative, joint action.
In view of the foregoing, Uruguay is adaman t in its opposition to the provisional measures
requested by the Argentine Republic and hence to the suspension of ongoing construction work.
38 To conclude, on behalf of the Eastern Republic of Uruguay, I ask the Court to dismiss the
request for provisional measures filed by the Argentine Republic.
I thank you, Madam President, Members of the Court, for the attention which you have
given to the Eastern Republic of Uruguay’s oral arguments. Thank you.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Gros Espiell. Voilà qui met fin à la présente
série d’audiences. Il me reste à remercier les représentants des deux Parties pour l’aide qu’ils ont
bien voulu fournir à la Cour par leurs observati ons orales au cours de ces quatre audiences. Je
prierais les agents de bien vouloir rester à la dis position de la Cour. Sous cette réserve, je déclare
la procédure orale close. - 32 -
La Cour rendra son ordonnance sur la dema nde en indication de mesures conservatoires
aussi tôt que possible. La date à laquelle cette ordonnance sera prononcée en séance publique sera
communiquée en temps utile aux agents des Parties.
La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, l’audience est levée.
L’audience est levée à 18 h 5.
___________
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