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CR 2007/1 (traduction)
CR 2007/1 (translation)
Lundi 5 mars 2007 à 10 heures
Monday 5 March 2007 at 10 a.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte.
La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre les Parties en leurs plaidoiries dans l’affaire de
la Délimitation maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras).
Je voudrais indiquer tout d’abord que le juge Abraham, pour des raisons qu’il m’a fait
connaître, n’est pas en mesure de siéger aujourd’hui.
Je voudrais indiquer ensuite que la Cour ne co mptant pas sur son siège de juges de la
nationalité des Parties, chacune d’elles a usé de la faculté qui lui est conférée par le paragraphe 2 de
l’article31 du Statut de désigner un juge ad hoc. Le Nicaragua a désigné M.GiorgioGaja. Le
Honduras avait initialement désigné M.JulioGon zálezCampos, mais, celui-ci ayant démissionné
de ses fonctions, il a désigné M. Santiago Torres Bernárdez.
L’article 20 du Statut de la Cour dispose que «[t]out membre de la Cour doit, avant d’entrer
en fonction, prendre l’engagement solennel d’exercer ses attributions en pleine impartialité et en
toute conscience». Cette disposition est applicable aux juges ad hoc également, en vertu du
paragraphe6 de l’article31 du Statut. Bien que M.TorresBernárdez ait siégé en qualité de juge
ad hoc et fait une déclaration solennelle à plusieurs reprises et que M. Gaja l’ait fait au cours d’une
affaire précédente, le paragraphe 3 de l’article 8 du Règlement de la Cour prévoit qu’ils fassent une
nouvelle déclaration solennelle en la présente affaire.
Avant d’inviter chacun des juges ad hoc à faire leur déclaration solennelle, je dirai d’abord,
selon l’usage, quelques mots de leur carrière et de leurs qualifications.
M Santiago Torres Bernárdez, de nationalité espagnole, est très bien connu de la Cour. En
effet, après avoir travaillé pendant longtemps à la division de la codification du bureau des affaires
juridiques de l’Organisation des NationsUnies, M.TorresBernárdez a exercé les fonctions de
greffier de la Cour de1980 à1986. Il a été désigné juge ad hoc à de nombreuses reprises, en
l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (ElSalvador/Honduras) , en
l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada) , en l’affaire de la Licéité
de l’emploi de la force (Yougoslavie c.Espagne), en l’affaire de la Délimitation maritime et
questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.Bahreïn) et, très récemment, en l’affaire - 3 -
relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c.Uruguay) .
11 M. Torres Bernárdez est, entre autres, membre de la Cour permanente d’arbitrage et de l’Institut de
droit international. M.TorresBernárdez est en outre l’auteur de nombreuses publications sur le
droit international, les organisations international es et les procédures internationales. Il a occupé
plusieurs postes d’enseignant et a, en partic ulier, donné un cours à l’Académie de droit
international de La Haye sur la procédure d’intervention devant la Cour.
M.GiorgioGaja, de nationalité italienne, est prof esseur à la faculté de droit de l’Université
de Florence et ancien doyen de ladite faculté. Il a occupé, en tant qu’enseignant, de nombreux
autres postes dans le monde entier, notamment à l’ Institut universitaire européen, à l’Université de
ParisI et à l’Institut universitaire des hautes études internationales à Genève; il a également
enseigné à l’Académie de droit international de La Haye. M. Gaja est membre de la Commission
du droit international depuis 1999 ains i que de l’Institut de droit inte rnational. Il a représenté son
gouvernement à plusieurs reprises, notamment comme délégué à la Conférence de Vienne sur le
droit des traités entre Etats et Organisations intern ationales et entre Organisations internationales.
M.Gaja a plaidé devant la Cour en tant que conseil du Gouvernement italien en l’affaire de
l’Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) . Il a également été désigné comme juge ad hoc dans une des
affaires de la Licéité de l’emploi de la force , à savoir celle opposant la Serbie-et-Monténégro et
l’Italie. M. Gaja a publié de nombreux ouvrages et articles portant sur différentes branches du droit
international, allant du droit européen des droits de l’homme au droit pénal international.
Conformément à l’ordre de préséance défini au paragraphe 3 de l’article 7 du Règlement de
la Cour, j’inviterai tout d’abord M. Torres Bern árdez à prendre l’engagement solennel prescrit par
le Statut et je demanderai à toutes les personnes présentes à l’audience de bien vouloir se lever.
M. TORRES BERNÁRDEZ:
«I solemnly declare that I will perform my duties and exercise my powers as
judge honourably, faithfully, impartially and consciously.»
Le PRESIDENT : Je vous remercie. J’invitera i maintenant M. Gaja à prendre l’engagement
solennel prescrit par le Statut. - 4 -
M. GAJA:
«I solemnly declare that I will perform my duties and exercise my powers as
judge honourably, faithfully, impartially and consciously.»
12 Le PRESIDENT : Je vous remercie. Veuillez vous asseoir. Je prends acte des déclarations
solennelles faites par M. Torres Bernárdez et Gaja et déclare ceux-ci dûment installés en qualité de
juges ad hoc en l’affaire de la Délimitation maritime entre le Ni caragua et le Honduras dans la
mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras).
Je rappellerai à présent les principales étapes su ivies jusqu’à ce jour par la procédure en
l’espèce.
Le 8 décembre 1999, la République du Nicaragua a déposé au Greffe de la Cour une requête
introductive d’instance datée du même jour cont re la République du Honduras au sujet d’un
différend relatif à la délimitation des zones mariti mes relevant respectivement du Nicaragua et du
Honduras dans la mer des Caraïbes.
Dans ladite requête, le Nicar agua affirmait que la Cour ét ait compétente pour connaître du
différend en vertu de l’articleXXXI du traité américain de règlement pacifique désigné
officiellement, aux termes de s on articleLX, par le nom de «p acte de Bogotá», ainsi que des
déclarations des deux Parties acceptant la juridiction de la Cour, conformément au paragraphe 2 de
l’article 36 de son Statut.
Conformément aux instructions données par la Cour en vertu de l’article43 de son
Règlement, le greffier a adressé les notifications pr évues au paragraphe1 de l’article63 du Statut
de la Cour aux Etats parties au pacte de Bogotá. En application des di spositions du paragraphe 3
de l’article69 du Règlement de la Cour, le greffier a également adressé la notification prévue au
paragraphe 3 de l’article 34 du Statut à l’Organisation des Etats américains. Par la suite, le greffier
a transmis des copies de toutes les pièces de procédure écrite déposées en l’affaire à l’Organisation
des Etats américains, en demandant au secrétaire général de celle-ci de lui faire savoir si cette
organisation entendait présenter des observations écr ites au sens du paragraphe 3 de l’article 69 du
Règlement de la Cour. En réponse, l’Organi sation des Etats américains a indiqué qu’elle n’avait
pas l’intention de présenter de telles observations. - 5 -
Conformément aux instructions données par la Cour en vertu de l’article43 de son
Règlement, le greffier a adressé les notifications pr évues au paragraphe1 de l’article63 du Statut
de la Cour aux Etats parties à la conventio n des NationsUnies sur le droit de la mer
du10décembre1982. Le greffier a en outre ad ressé la notification prévue au paragraphe2 de
13 l’article43 du Règlement de la Cour, tel qu’adopté le 29septe mbre2005, à l’Union européenne,
qui est aussi partie à ladite convention, en demanda nt au Secrétaire général du Conseil de lui faire
savoir si l’Union européenne entendait présenter des observations en vertu de la disposition
précitée. En réponse, l’Union européenne a indiqué qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des
observations en l’espèce.
Par ordonnance en date du 21mars2000, le prési dent de la Cour a fixé au 21mars2001 et
au 21mars2002, respectivement, les dates d’e xpiration des délais pour le dépôt du mémoire du
Nicaragua et du contre-mémoire du Honduras ; ces pièces ont été dûment déposées dans les délais
prescrits.
Au moment du dépôt du contre-mémoire, le Honduras a également déposé deux séries de
documents additionnels qui n’étaient pas présentés en tant qu’annexes à celui-ci mais, selon le
Honduras, fournis uniquement à titre d’information. Au cours d’une réunion que le président de la
Cour a tenue avec leurs agents le 5juin2002, les deux Parties sont convenues de la procédure à
suivre concernant ces documents additionnels. Co nformément à cette procédure, le coagent du
Honduras a remis au Greffe, par lettre du 25juin 2002, une liste des documents additionnels qui
seraient présentés en tant qu’annexes. Ces anne xes additionnelles au contre-mémoire du Honduras
ont été dûment déposées au Greffe.
Par ordonnance en date du 13 juin 2002, la Cour a autorisé la présentation d’une réplique par
le Nicaragua et d’une duplique par le Honduras, et fixé au 13janvier2003 et au 13août2003 les
dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces pièces. La réplique du Nicaragua et la duplique
du Honduras ont été déposées dans les délais prescrits.
Par lettres du 22mai2001 et du 6mai2003, l es Gouvernements de la Colombie et de la
Jamaïque ont respectivement demandé à recevoi r communication des pièces de procédure et
documents annexés. Après s’être renseignée aupr ès des Parties conformément au paragraphe 1 de
l’article 53 de son Règlement, la Cour a décidé de faire droit à chacune de ces demandes. Par lettre - 6 -
du 31août2004, puis, par une autre du 8septe mbre2006, le Gouvernement d’ElSalvador a
demandé à recevoir communication des pièces de pro cédure et documents annexés en l’affaire.
Après s’être renseignée auprès des Parties conformé ment au paragraphe1 de l’article53 de son
Règlement, la Cour a décidé qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à ces demandes.
Par lettre du 2février2007, l’agent du Nicar agua a fait part à la Cour du souhait de son
gouvernement de produire des documents nouveaux c onformément à l’article 56 du Règlement de
14 la Cour, comprenant onze documen ts et une image satellite. Par lettre du 15février2007, le
coagent du Honduras a fait savoir à la Cour que son gouvernement «serait en droit de s’opposer au
dépôt des documents n os2 à 11, mais [qu’]il laissera à la Cour le soin de décider». Le coagent du
Honduras a en outre informé la Cour de l’intenti on de son gouvernement de recourir à des images
satellites à jour de la zone concernée au cours de la procédure orale et de présenter un bref
enregistrement vidéo.
Par lettres du 26 février 2007, le greffier a informé les Parties de la décision prise par la Cour
le 23février2007, selon laquelle le premier document, à l’excep tion des deux seuls premiers
paragraphes, avait déjà été versé au dossier en tant qu’annexe à la réplique du Nicaragua et qu’il ne
constituait pas, par conséquent, un document nouveau. Le greffier a fait savoir en outre aux Parties
que la Cour avait estimé que l’image satellite faisait «partie d’une publication facilement
accessible» au sens du paragraphe4 de l’article 56 de son Règlement et que, comme telle, il
pouvait en être fait mention au cours de la procédur e orale. Enfin, il les a informées que la Cour
avait décidé, après examen des vues des Parties et compte tenu de l’instruction de procédure n o IX,
os
de ne pas autoriser la production des documents n 2 à 11.
Par lettre datée du 23février2007 et reçue le 26février2007, l’Agent du Nicaragua a fait
part à la Cour des vues de son gouvernement sur la lettre du coagent du Honduras du
15février2007. L’agent du Nicaragua a égalem ent indiqué que son gouvernement «ne saurait
donner carte blanche au Honduras pour présenter, au cours de la procédure orale, des «matériaux»
que le Nicaragua n’aurait pas eu la possibilité d’ examiner et dont il n’aurait même pas été informé
du contenu à ce stade tardif de la procédure».
Par lettre du 26février2007, le coagent du H onduras a transmis à la Cour l’enregistrement
vidéo que son gouvernement a l’intention de présenter au cours de la procédure orale. Des copies - 7 -
de ce matériel vidéo ont été communiquées à la Part ie adverse à laquelle il a été demandé de faire
connaître à la Cour, le mercredi 28février à 18 heures au plus tard, toute observation qu’elle
souhaiterait faire concernant la présentation dudit matériel pendant la procédure orale. Par lettre du
27 février 2007, l’agent du Nicaragua a fait connaître à la Cour les vues de son gouvernement sur la
question. Le Nicaragua ne s’oppose pas à la présen tation de l’enregistrement vidéo en tant que tel,
mais ne donne pas non plus son accord. Il laisse à la Cour le soin d’en décider. La Cour annoncera
sous peu sa décision.
*
15 [Conformément au paragraphe 2 de l’article53 de son Règlement, la Cour, après s’être
renseignée auprès des Parties, a décidé de rendre accessibles au public, à l’ouverture de la
procédure orale, des exemplaires des pièces de procédure et documents annexés.] En outre,
conformément à la pratique de la Cour, l’en semble de ces documents, sans leurs annexes, sera
placé dès aujourd’hui sur le site Internet de la Cour.
*
Je constate la présence à l’audience des agents, conseils et avocats des deux Parties [ainsi
que de leurs ministres des affaires étrangères] . Conformément aux dispositions relatives à
l’organisation de la procédure arrêtées par la Cour, les audiences comprendront un premier et un
second tours de plaidoiries.
*
Le premier tour de plaidoiries débute aujourd’ hui et se terminera le vendredi 16 mars 2007.
Le second tour de plaidoiries s’ouvrira le lundi 19mars2007 et s’achèvera le vendredi
23 mars 2007.
* - 8 -
Le Nicaragua, qui est l’Etat demandeur en l’affaire, sera entendu le premier. Je donne à
présent la parole à S. Exc. M. Carlos Argüello Gomez, agent du Nicaragua.
M. ARGÜELLO GÓMEZ : Je vous remercie, Madame le président, Messieurs de la Cour.
Avant de commencer mon intervention, je vou drais, si vous me le permettez, apporter
deux petites précisions au sujet de nos exposés. Premièrement, toutes les références aux documents
cités par notre équipe figurent dans le texte re mis directement au Greffe, en vue de faciliter la
traduction. Deuxièmement, les illustrations auxqu elles nous renvoyons, et qui figurent dans les
dossiers établis pour la commodité des juges, port ent une cote qui est constituée des initiales de
l’orateur et d’un numéro. Seul ce numéro sera mentionné à l’audience.
16 1. Madame le président, Messieurs les juges, la République du Nicaragua a plaidé devant la
Cour plus souvent qu’aucun autre pays d’Amérique latine ⎯ plus souvent sans doute que la plupart
des autres pays du monde. Ce record est, en lui même, le plus grand hommage qu’un pays puisse
rendre à l’Œuvre remarquable accomplie par la Cour, organe judiciaire principal de l’Organisation
des Nations Unies, en matière de règlement pacifique des différends internationaux.
2. J’appelle votre attention sur la présence da ns ce prétoire de M. Samuel Santos López,
ministre des affaires étrangères du Nicaragua ⎯autre gage s’il en était besoin de la très haute
estime dans laquelle le Gouvernement nicaraguayen tient votre Cour.
3. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’ai eu l’honneur de plaider devant la Cour, en
qualité d’agent, dans toutes affaires auxquell es la République du Nica ragua a été partie
depuis1984, et c’est donc de nouveau un honneur p our moi que de me présenter devant la plus
haute juridiction internationale.
4. Dans mon exposé, j’évoquerai certains poi nts qui, traditionnellement, ne sont pas abordés
dans la plaidoirie d’ouverture de l’agent. Tout bien considéré, il nous a paru artificiel de clore un
développement pour en commencer un autre, alors qu’ils pourraient aussi bien s’enchaîner sans
interruption. Aussi vais-je aborder des questions telles que la genèse du différend, la date critique
et les éléments de preuve. - 9 -
Questions soumises à la Cour
5. Le nŒud du litige soumis à la Cour est le suivant : le Honduras «affirme qu’il existe une
frontière entre les espaces maritimes des deux Et ats, qui tire son origine du principe de
l’uti possidetis juris et qui est à la fois solidement ancrée dans la pratique du Honduras et du
Nicaragua, et confirmée par celle de pays tiers» 1, tandis que le Nicaragua «a régulièrement
maintenu la position selon laquelle sa frontière av ec le Honduras sur la mer des Caraïbes n’avait
2
pas été délimitée» .
6. Dans ses conclusions, le Nicaragua prie la Cour de dire et juger que :
«La bissectrice des lignes représentant les façades côtières des deux Parties,
telle qu’appliquée et décrite aux paragra phes22 et 29 [de son mémoire], et illustrée
sur la figure correspondante [actuellement projetée à l’écran ⎯ c’est
l’illustration no1], constitue la ligne à retenir aux fins de la délimitation des secteurs
contestés du plateau continental et des zon es économiques exclusives dans la région
du seuil nicaraguayen.
La ligne médiane approximative, telle que décrite aux paragraphes27 et 29 du
chapitreX [du mémoire du Nicaragua et illustrée par la carte que nous voyons à
17 l’écran], constitue la limite à retenir aux fi ns de la délimitation des espaces contestés
de la mer territoriale jusqu’à la limite extérieure de celle-ci, en l’absence d’un secteur
contigu à l’embouchure du fleuve Coco et au poi nt terminal de la fr ontière terrestre.»
(MN, vol. I, p. 167.)
7. Dans ses écritures, le Nicaragua indi que en outre que la zone contestée comprend
certaines formations mineures, telles que des îlots, cayes et rochers, et que la souveraineté sur ces
«espaces…de la mer territoriale», également «c ontestés» —pour reprendre les termes employés
par le Nicaragua dans ses conclusions —, doit revenir à la partie à laquelle appartient la zone dans
laquelle ils se trouvent, cette zone étant située de s on côté de la ligne de délimitation maritime. Le
Honduras a soulevé la question de savoir si la souveraineté sur ces petites formations était
réellement en cause devant la Cour. Je m’empr esse de répondre qu’elle l’est, sans l’ombre d’un
doute, comme le sait du reste pertinemment le Honduras, puisqu’il a consacré près de 40 % de ses
pièces de procédure à revendiquer la souveraineté sur ces formations. J’ajouterai, dans la suite de
ma plaidoirie quelques observations sur cette ques tion des îlots et cayes, mais c’est mon collègue,
M. Alex Oude Elferink, qui la traitera de manière exhaustive.
1
CMH, vol. 1, chap. I, par. 1.4.
2MN, vol. I, chap. I, par. 6. - 10 -
8. La position du Nicaragua, ainsi que je vien s de le rappeler, est qu’il n’existe pas de
délimitation et que, en conséquence, il faut — pour tracer une ligne qui permette d’aboutir à un
résultat équitable —se fonder avant tout sur la géographie de la région. Dans l’affaire du Golfe du
Maine, la Chambre de la Cour a précisé quels critè res appliquer pour parvenir à un tel résultat,
indiquant que «le droit international prescr i[t] en général l’application de critères
équitables…qui sont à déterminer essentiellement en fonction des caractéristiques de la
géographie proprement dite de la région» ( Délimitation de la frontière maritime dans la région du
golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 278, par. 59).
9. En conséquence, même dans le cadre de cette présentation générale des arguments
nicaraguayens, il est utile de dresser brièvement le tableau des caractéristiques physiques des côtes
faisant face à la zone contestée afin de pouvoir entrer dans le vif du sujet.
10. Ainsi qu’il ressort de l’illustration n 2 qui donne un aperçu de la géographie régionale
—vous la voyez maintenant à l’écran—, les côtes du Nicaragua et du Honduras se rejoignent à
l’embouchure du fleuve Coco, où se trouve le point de départ de la délimitation. A ce point de
jonction, la côte s’infléchit brutalement, de sorte que le littoral du Nicaragua sur la mer des
Caraïbes est globalement orient é vers l’est et celui du Honduras vers le nord. Toutes les
descriptions générales de ces deux pays mettent en évidence les différences d’orientation de leurs
côtes. La description suivante, extraite de l’Encyclopaedia Britannica, en offre un bon exemple :
18 « République du Nicaragua —en espagnol: República de Nicaragua— , pays
d’Amérique centrale, délimité au nord par le Honduras, à l’est par la mer des
Caraïbes, au sud par le Costa Rica, et à l’ouest par l’océan Pacifique.»
(Encyclopaedia Britannica, éd. 2006.)
Et :
« République du Honduras —en espagnol: República de Honduras —, pays
d’Amérique centrale, situé entre le Guatemala et le Salvador, à l’ouest, et le Nicaragua
au sud et à l’est. La mer des Caraïbes baigne son littoral septentrional , l’océan
Pacifique le court littoral qu’il possède au sud.» (Ibid.)
11. Il ressort de cette description sommaire de la position de chacune des Parties par rapport
à ses voisins que le Nicaragua est limité au nord par le Honduras et à l’est par la mer des Caraïbes,
tandis que le Honduras est limité à l’est par le Nicaragua et au nor d par la mer des Caraïbes. Or
⎯et M.OudeElferink reviendra sur ce point et le réfutera—, le Honduras prétend posséder une - 11 -
façade orientale sur la mer des Caraïbes. Et non seulement il aurait cette façade orientale —pur
produit de son imagination—, mais celle-ci serait même le seul segment de côte à prendre en
considération pour délimiter la frontière avec le Nica ragua. Et cette important e partie de la côte
caraïbe du Honduras, orientée vers l’est , aurait échappé à l’attention de l’ Encyclopaedia
Britannica !
12. Dans une zone où les côtes des Etats rive rains s’infléchissent et changent d’orientation
constamment, jusqu’à former une mer fermée de forme ovale comme la mer des Caraïbes, il est
difficile de parvenir à une délimitation équitabl e en traçant, à partir du point terminal d’une
frontière terrestre, une ligne vers le large suiv ant un parallèle ou un méridien. Après tout, les
parallèles et les méridiens ne sont jamais que des représentations conventionnelles, des lignes ou
des cercles imaginaires tracés autour du globe, u tilisés pour quadriller une carte afin de permettre
de repérer plus aisément la position de certains endroits.
13. Et pourtant le Honduras affirme qu’il existe entre lui et le Nicaragua une ligne
traditionnelle de délimitation qui court vers l’est, dans la mer des Caraïbes, à partir d’un point situé
dans l’intérieur des terres, le long d’un para llèle. Le Honduras affirme également que cette
prétendue ligne «traditionnelle de délim itation» tirerait son origine de l’ uti possidetis juris
découlant de la période coloniale du début du XIX esiècle, et qu’elle a fixé l’attribution de tous les
espaces maritimes que le Nicaragua pourrait revendiquer sur la base de l’évolution récente du droit
de la mer. Cette ligne, tracée, apparemment , par des personnes douées d’un incroyable don de
prémonition, aurait permis de fixer non pas les limites maritimes de 3 ou de 6milles alors
reconnues par le droit international, mais égalem ent celles du plateau continental, de la zone
économique exclusive et de la mer territoriale de 12 milles — qui sont les espaces que le Nicaragua
prie la Cour de délimiter.
19 14. Nous avons deva nt nous l’illustration n o3, qui reproduit la figureVIII du mémoire du
Nicaragua: elle montre la délimitation à laque lle on aboutirait si l’on délimitait les espaces
maritimes des Parties en se fondant sur ces lignes imaginaires utilisées en cartographie pour
découper la surface des corps célestes. On voit bien que la ligne qui suit un méridien vers le nord
priverait le Honduras de zones mariti mes substantielles, et que celle qui suit un parallèle vers l’est
priverait le Nicaragua de zones maritimes tout aussi étendues. - 12 -
15. Les résultats inéquitables auxquels peut me ner l’utilisation de parallèles ou de méridiens
dans certains cas sont connus. Ainsi qu’il est i ndiqué dans le mémoire du Nicaragua (chap.II,
par. 36), des jurisconsultes expérimentés ont souligné que
«[l]’utilisation de parallèles ou de méridien s est effectivement limitée aux situations
dans lesquelles les côtes en question sont de manière générale orientées
approximativement nord-sud ou est-ouest. Dans d’autres circonstances, cette méthode
donnera précisément le résultat qu’elle est censée éviter: l’amputation injuste des
extensions maritimes de l’une au moins d es parties.» (L.Legault and Blair Hankey,
International Maritime Boundaries, vol. I, 1993, p. 212.)
16. Lorsque la direction générale des côtes des parties en cause suit une ligne à peu près
droite, l’utilisation de lignes perpendiculaires au littoral peut permettre d’aboutir à un résultat
satisfaisant et équitable. L’illustration n o4 actuellement à l’écran, qui figure la ligne de
délimitation maritime entre le Brésil et l’Ur uguay, montre que, dans un tel cas, la ligne
perpendiculaire laisse à chacune des parties environ 50% des vastes étendues maritimes en
jeu ⎯ce qui est logique, puisqu’une perpendiculaire, par définition, forme de part et d’autre un
angle de 90° avec la droite qu’elle coupe.
17. Mais, comme le montre l’illustration n 5 qui est projetée à l’écran, les côtes du
Nicaragua et du Honduras ne ressemblent en rien à celles du Brésil et de l’Uruguay. Pour arriver
au même résultat, il faudrait en effet faire pivoter l’ensemble du littoral hondurien ⎯ ainsi qu’on le
voit maintenant à l’écran [image 1 ; image 2], afin qu’il soit orienté face à l’est ⎯ comme la côte
o
nicaraguayenne. Cette rotation imaginai re étant irréalisable, l’illustration n 6 illustre les effets
inéquitables que produirait une ligne de délimitation tracée le long d’un parallèle depuis
l’embouchure du fleuve Coco — comme le propose le Honduras. L’on peut se faire une idée de la
répartition des espaces maritimes qui résulterait de l’utilisation d’une telle méthode en observant
20
que le parallèle forme en effet un angle d’environ 98° avec la ligne courant vers le sud — du côté
nicaraguayen, donc —, mais que, du côté hondurien, l’angle serait de 146°.
18. La géographie de la région, et notamme nt la configuration du littoral, pose un autre
problème qu’il convient de prendre en considération afin de parvenir à une solution de délimitation
équitable. Ce problème est que l’extrémité de la frontière terrestre qui servirait de point de départ à
la frontière maritime a la forme de deux pointes d’aiguilles s’avançant en saillie dans la mer.
Toutes les photographies prises par satellite de l’em bouchure du fleuve Coco qui ont été soumises - 13 -
en l’affaire ⎯par exemple, l’illustration n o7 qui apparaît actuellement à l’écran—le montre
clairement. Cette particularité du littoral a pour conséquence que les deux seuls éléments essentiels
pour une délimitation basée sur une ligne médiane ou une ligne d’équidistance seraient les
deuxrives de l’embouchure du fleuveCoco. Ces quelques points, ainsi qu’il ressort de
o
l’illustration n 8 que vous voyez maintenant, seraient seuls déterminants aux fins de la
délimitation, y compris à une distance de 200m illes marins, si l’on s’en tenait au littoral
continental. Et il n’existe, en dehors de la par tie continentale, aucune autre formation qui puisse,
en droit, avoir une quelconque incidence sur le tracé d’une ligne de délimitation. Certes, la zone en
question comprend quelques cayes, mais même si on pouvait les réunir, leur superficie totale
resterait inférieure à celle de certains îlots dont la Cour n’a pas tenu compte dans d’autres cas de
délimitation maritime. Par exemple, la Cour n’a pas pris en considération l’îlot de Filfla lorsqu’elle
a procédé à la délimitation des espaces maritimes dans l’affaire Lybie/Malte, bien que la superficie
de cet îlot soit supérieure à celle qu’auraient, ensemble, toutes les cayes aujourd’hui en cause.
M. Oude Elferink reviendra en détail sur ce point.
19. Une autre caractéristique importante de l’embouchure du fleuveCoco a une incidence
sur la délimitation, tout particu lièrement celle de la mer territori ale: c’est le fait que le delta du
fleuve Coco, à l’embouchure duquel prend fin la frontiè re terrestre, s’étend de plus en plus et que
cette embouchure se déplace vers le nord-est. Ains i que l’expliquera Alain Pellet, et ainsi qu’il
ressort du mémoire du Nicaragua (chap.III, sect.B), une commission mixte Nicaragua-Honduras
constituée sous les auspices de l’Organisation des Etats américains (OEA), avait, en
novembre1962, fixé le point du thalweg de l’em bouchure du fleuveCoco d’où devait partir la
frontière terrestre ; or, ce point se trouve actuellement à plus d’un mille vers l’amont, et il n’est plus
situé à l’embouchure du fleuve (chap. II, par. 30).
21 20. Ainsi, après avoir soigneusement examiné la géographie et autres réalités physiques de la
zone à délimiter, brièvement rappelées ci-dessus, le Nicaragua a conclu qu’une bissectrice formée
par les lignes représentant les façades côtières des deux Parties, telle qu’on la voit sur
l’illustration n9, actuellement à l’écran, est la mét hode à retenir pour fixer une ligne de
délimitation permettant d’obtenir un résultat équita ble en répartissant de manière égale les espaces
maritimes entre les deux Parties à l’extérieur de la mer territoriale. D’autres méthodes pourraient - 14 -
permettre de parvenir à un résultat équitable, mais le Nicaragua estime que la ligne résultant du
recours à la bissectrice est très simple et commode. Toutes les méthodes qu’il serait possible
d’appliquer pour parvenir à un résultat équitabl e seraient similaires à celle de la bissectrice.
M. Brownlie expliquera plus en détail en quoi consiste cette méthode de délimitation.
21. Compte tenu des problèmes dus à l’in stabilité de l’embouchure du fleuve Coco, le
Nicaragua a proposé, pour fixer le point de départ de la délimitation de la mer territoriale, une
méthode, qui éviterait de partir du thalweg de l’embouchure du fleuve Coco. Cette méthode
implique de choisir un point fixe situé à 3 milles de l’embouchure actuelle du fleuve Coco.
M. Pellet expliquera en détail le raisonnement sur lequel elle repose.
22. Le Honduras, quant à lui, confronté a ux résultats inévitables d’une délimitation fondée
sur la géographie et l’équité, a décidé de tour ner la difficulté de proposer une méthode de
délimitation aboutissant à un résultat équitable: il prétend qu’il existe déjà une ligne de
délimitation traditionnelle qui court le long d’un parallèle depuis le c ontinent vers la haute mer.
Ainsi, le Honduras soutient que, puisqu’il a m ontré qu’il «existe…une frontière le long du
15e parallèle, alors l’application des principes du droit de la mer donne effet à ladite frontière et ces
principes ne sauraient en aucun cas fonder le c hoix d’une autre frontière au motif que celle-ci
pourrait être plus équitable» (DH, par. 1.08). Le fait est que le Honduras a inventé de toutes pièces
une ligne «traditionnelle» pour parer à l’éventualité qu e la Cour fixe une ligne fondée sur l’équité.
o
Il suffit de regarder une carte comme l’illustration n 10 que nous avons sous les yeux pour
comprendre qu’une ligne qui suivrait ains i un parallèle à partir de la côte ⎯la prétendue ligne
«traditionnelle» invoquée par le Honduras ⎯ donnerait à cet Etat la pa rt du lion dans les zones
o
maritimes, comme nous pouvons à nouveau le voir sur l’illustration n 6 déjà montrée.
Permettez-moi à ce stade de rappeler quelques données historiques.
22 Contexte historique initial
23. La question que je me propose à présent d’examiner est celle-ci : à quelle date cette ligne
prétendument traditionnelleest-t-elle apparue? D’ après le Honduras, elle remonte à la période
coloniale. L’ennui avec cette théorie, c’est qu’elle contredit l’histoire. - 15 -
1492-1821
24. Après la découverte et la conquête initiale de l’Amérique, les territoires espagnols furent
gouvernés par des vice-rois. Il n’y avait à l’origine que deuxvice-royautés: celle de la
Nouvelle-Espagne, dont la capitale était de Mexico, et celle du Pérou qui avait pour capitale Lima.
Ces vice-royautés étaient divisées en unités admi nistratives et militaires plus petites dénommées
Audiencias et capitaineries générales. La région de l’Amérique centrale comprenant le Guatemala,
le Honduras, El Salvador, le Nicaragua et le Costa Rica actuels, ainsi que certaines parties du
Mexique et du Belize d’aujourd’hui, était appelée Royaume du Guatemala et formait la capitainerie
générale du Guatemala. Ce Royaume du Guatem ala était dirigé par un capitaine général placé
directement sous les ordres de la Couronne espagnole à Madrid, et ses subdivisions étaient dirigées
par des gouverneurs locaux également nommés par la Couronne. Durant la colonisation espagnole,
et jusqu’à ce que l’Amérique centrale devienne indépendante de l’Espagne le 15 septembre 1821,
les limites des circonscriptions politiques, admini stratives, militaires, judiciaires et religieuses
furent mises en place par la Couronne espagnole. Au moment de l’indépendance, il fut décidé que
les frontières des entités territoriales désintégrées sera ient celles qui existaient à cette date. C’est
cette décision sur la question des frontières prise au moment de l’indépendance que les juristes
appellent aujourd’hui en raccourci principe ou doctrine de l’uti possidetis juris.
25. Selon la prétention démesurée du Honduras, la ligne «traditionne lle» de délimitation
maritime qu’il invoque remonterait à cette période. Il en résulterait que, à l’époque coloniale, la
Couronne espagnole aurait apparemment revendiqué des territoires maritimes étendus y compris
non seulement une mer territoriale de 12 milles, ce qui était excessif pour l’époque, mais aussi un
plateau continental, ce qui est encore plus incroyable, et que l’Espagne non seulement aurait eu des
prétentions sur ces zones, mais aussi qu’elle au rait exercé sa juridiction sur ces territoires
maritimes, et ce, selon le Honduras, jusqu’à l’indépendance. Il est audacieux de la part du
Honduras d’affirmer que l’Espagne, en1820, ava it revendiqué et exercé sa souveraineté sur des
zones maritimes qui n’ont été reconnues que récemment par le droit international, telles que la zone
23 économique exclusive et le plateau continental. Comme le M. Antonio Remiro le démontrera plus
tard, à l’époque coloniale, les autorités locales n’ exerçaient même pas de juridiction sur la zone - 16 -
limitée de la mer territoriale reconnue à cette é poque. La juridiction sur la mer territoriale
dépendait, non pas du gouverneur local de chacune des provinces d’Amérique centrale, ni même du
capitaine général au Guatemala, mais directement des autorités de Madrid.
La période suivant l’indépendance (1821-1840)
26. Au moment de l’indépendance et apr ès une brève annexion à l’éphémère Empire
mexicain, les provinces d’Amérique centrale qui avai ent fait partie de la capitainerie générale du
Guatemala constituèrent en1823 une fédération connue sous le nom de République fédérale
d’Amérique centrale ou de Provinces unies d’Amérique centrale. Cette Fédération fut de courte
durée et elle se désintégra au cours d’une guerre civile en 1838-1840.
Historique du différend
27. Les différends territoriaux du Nicara gua et du Honduras remontent au milieu du
e
XIX siècle, soit peu après la désintégration de la Fé dération dont les deux Etats avaient fait partie.
Ces différends ne concernaient pas les zones maritimes dans la mer des Caraïbes, mais uniquement
la masse terrestre continentale ainsi qu’une partie des eaux du golfe de Fonseca.
28. Après l’éclatement de la Fédération d’Amér ique centrale, le Nicaragua obtint en fait le
contrôle et la possession effectifs du continent bien au-delà de la frontière actuelle du fleuve Coco.
Cet état de fait fut reconnu par le Honduras trente ans après la disparition de la Fédération, comme
l’attestent deux traités signés entre le Nicaragua et le Honduras, l’un en1869, l’autre en1870.
Bien que ces deux traités n’aient pas été ratifiés, ils confirment bel et bien une situation de fait : à
savoir que la seule réalité jusqu’à cette date, comme l’atteste par exemple le traité de 1869, était
que le Nicaragua avait la «possession exclusive de ce fleuve (le fleuve Coco) et du port du même
nom»; c’est pourquoi la frontière fut fixée par ce tr aité au nord de ce fleuve (traité de 1869 cité
dans MN, chap. III, partie A, point 1). Le traité de 1870 fixa une frontière encore plus précise qui
aboutissait à l’océan Atlantique exactement au parallèle 15 ˚10' de latitude nord ( ibid., MN,
partie A, point 2).
24 29. Ces traités n’ayant pas été ratifiés, le différend perdura et il fut soumis quelques années
plus tard à l’arbitrage du roi d’Espagne. La sen tence rendue par le roi d’ Espagne en 1906 fixa la - 17 -
frontière au fleuve Coco et décida que le port maritime de ce fleuve était nicaraguayen, exactement
comme le traité de 1869 cité ci-dessus l’avait expressément reconnu. La sentence disposait que :
«Le point extrême limitrophe commun sur la côte atlantique sera l’embouchure
du fleuve Coco, Segovia ou Wanks dans la mer, près du cap Gracias a Dios, en
considérant comme embouchure du fleuve cel le de son bras principal…et le
Nicaragua conservant … la baie et le village de Cabo de Gracias a Dios…
A partir de l’embouchure du Segovia ou Co co, la ligne frontière suivra la
vagada ou thalweg de ce fleuve vers l’amont, sans interruption…» (MN, chap.III,
p. 24, par. 9.)
30. Le Nicaragua contesta la validité de la sentence du roi d’Espagne et continua d’occuper
le territoire dont il estimait être le souverain et qui, comme il a été indiqué précédemment,
comprenait des zones situées bien au nord de la frontière actuelle formée par l’embouchure
principale du fleuve Coco.
31. Afin de mettre un terme au litige, la qu estion de la validité de la sentence du roi
d’Espagne fut soumise à votre Cour. Au cours de la procédure, le Nicaragua produisit une carte
représentant les régions placées sous son contrôle e ffectif à l’époque, à savoir en 1960. La section
o
pertinente de cette carte est re produite ici dans l’illustration n11 que vous avez à l’écran et il
apparaît clairement que, jusqu’à l’arrêt rendu par la Cour, le Nicaragua avait le contrôle effectif
⎯ et ce depuis l’indépendance ⎯ de zones situées à l’embouchure du fleuve Cruta,
approximativement par 15°15'de latitude nord. Soulignons que ces faits n’ont pas été contestés
par le Honduras dans le cadre de la procédure devant la Cour.
32. L’exercice de la souveraineté par le Nicaragua, non seulement sur le continent mais aussi
sur la zone maritime contestée, y compris les cay es, est attesté par la question des négociations et
e
accords sur la pêche à la tort ue qui commencèrent au XIX siècle et qui se poursuivaient encore
dans les années soixante. L’historique de ces rela tions est amplement expliqué et documenté dans
la réplique du Nicaragua (RN, par. 4.46-4.53), et M. Oude Elferink développera encore la question.
Pour le moment, permettez-moi d’attirer l’atten tion de la Cour sur le fait que, alors que ces
négociations étaient en cours, l’autorité bien c onnue de l’époque, le capitaine de frégate Kennedy,
hydrographe du Royaume-Uni, fut consulté sur la question : selon lui, la zone sur laquelle portaient
25 les négociations avec le Nicaragua comprenait les secteurs représentés dans un croquis qu’il fit
pour le compte du ministère des affaires étrangères britannique. Ce croquis, qui montre - 18 -
l’emplacement du 15 parallèle, apparaît à présent à l’écran dans l’image n o12. Il en ressort
manifestement que les zones maritimes qui, selon le capitaine de frégate Kennedy, faisaient l’objet
des négociations avec le Nicaragua, y compris les cayes, correspondent précisément aux zones
actuellement en litige et que nous revendiquons, à savoir les zones situées au nord du 15 e parallèle.
L’accord sur la pêche à la tortue conclu avec la Grande-Bretagne ainsi que les négociations qui
l’entourèrent confirment simplement que le Ni caragua exerçait sa souveraineté non seulement sur
le continent jusqu’au parallèle 15° 15' de latitude nord mais aussi sur les espaces maritimes situés à
proximité, y compris toutes les zones actuellement en litige.
33. Comme l’arrêt rendu par la Cour en 1960 se limita à déclarer valide la sentence du roi
d’Espagne de 1906 et qu’aucune interprétation n’en fut donnée par la Cour, restait la question de
l’emplacement de l’embouchure principale du fleuve Coco qui devait former la frontière. Afin de
trouver une solution à cette question, le Nicaragua demanda l’intervention de l’Organisation des
Etats américains. Sous les auspices de cette organisation, une commission mixte fut constituée aux
fins de «vérifier le point de départ de la fr ontière naturelle entre les deux pays à l’embouchure du
fleuve Coco … conformément à la sentence arbitrale du 23 décembre 1906».
34. Ce «point de départ» fut fixé par la commission mixte le 15décembre1962 et identifié
par ses coordonnées géographiques (voir MN, chap. III, partie B).
35. Ce n’est qu’après que la commission eu t rendu sa décision que le Honduras vint occuper
au sud, pour la première fois de son histoire, la zone de la frontière terrestre définie par la sentence
arbitrale et située au thalweg de l’embouchure du fleuve Coco.
36. La sentence qu’avait rendue le roi d’Es pagne en 1906 se contentait d’indiquer que «le
point extrême limitrophe commun sur la côte atlantique sera l’embouchure du fleuve Coco»
(sentence du roi d’Espagne citée dans le MN, chap. III, partie A, point 9). L’arrêt rendu par la
Cour en1960 se limita pour sa part à confirmer la validité de cette sentence, sans autre précision
sur la question de la frontière; et le manda t donné à la commission mixte de l’OEA en1962
consistait seulement à identifier le point de la frontière sur le fle uve Coco indiqué dans la sentence
26 arbitrale. Aucune de ces décisions ne mentionna it de frontière maritime ou d’îles situées dans la
e
zone maritime. Il faut également relever que les traités signés au XIX siècle dont je viens de
parler ne fixèrent pas non plus de limites en mer ni n’attribuèrent de souveraineté sur les îles de la - 19 -
zone en cause. Le Honduras ne prétendit jamais, ni dans le cadre de la procédure devant le roi
d’Espagne qui aboutit à la sentence arbitrale de 1906, ni dans celui de la procédure devant la Cour
qui aboutirent à l’arrêt de1960, qu’il existait une ligne de délimitation mar itime ni qu’il avait la
souveraineté sur des îles ou cayes aujourd’hui en litige. Ce silence est très révélateur ; en effet, si
cette ligne traditionnelle avait existé, sans doute aurait-elle constitué un élément important dont
n’importe quel arbitre aurait tenu compte.
37. Cependant, même si la sentence se bornait à définir la frontière terrestre, elle contenait
une indication, qui figurait également dans le traité de1869, à savoir que le port du cap
Gracias a Dios ⎯ le seul port maritime de la région ⎯ appartenait au Nicaragua.
38. L’illustration no 13 montre l’emplacement du port du cap Gracias a Dios à l’embouchure
du fleuve Coco. L’attribution de ce port ⎯ le seul de la région ⎯ au Nicaragua revêt une grande
importance. Les pêcheurs de la région venant du continent ne pouvaient, avec leurs petites
embarcations, pêcher à plus de quelques milles de la côte et les cayes en question étaient distantes
de bien plus de 20 milles du littoral continental le plus proche. Il ne pouvait y avoir de commerce
ni de contacts avec les zones situées à plus de quelques milles au large de la côte que par
l’intermédiaire de ce port nicaraguayen à l’ embouchure du fleuve Coco. Les étrangers qui
pénétraient dans ces eaux devaient se signaler aux au torités du port et ils empruntaient le principal
chenal de navigation dans la zone en litige qui su it, en gros, la même direction que la ligne de
délimitation proposée par le Nicaragua. L’empla cement du principal chenal de navigation est
o
indiqué sur l’illustrationn 14 que nous voyons à l’écran. Le commerce maritime avec le monde
extérieur se faisait par ce port et ce chenal de navigation. Le seul véritable lien avec les îlots de la
région était ce port. Pour sa part, le Honduras n’ avait aucun port maritime à moins de 100 milles
de cette zone. Ce n’est que bien avant dans le XX siècle que le Honduras établit le port de
Lempira. Mais même ce port se trouve à l’intérieu r d’une lagune et à près de 100 kilomètres de la
zone pertinente, comme nous pouvons le constater sur l’illustration n o15 qui nous est présentée
maintenant. Si l’on ajoute à cela que la marine du Honduras ne date que de1976, le fait que le
Honduras puisse revendiquer une souveraineté traditionnelle sur les zones maritimes, y compris les
îlots, ou une possession ou un usage traditionnels de ces zones paraît ridicule. - 20 -
27 39. Après 1963 et jusque vers la fin des années soixante-dix, il n’y eut pas d’autre
négociation entre les Parties sur la question d es frontières. Ce n’est qu’à la fin des
années soixante-dix que la question d’une délim itation maritime dans les Caraïbes se posa pour la
première fois. Entre novembre 1976 et mars 1977, le ministre des affaires étrangères du Nicaragua
fit une série de déclarations, qui furent publiées sous la direction du ministère des affaires
étrangères, dans lesquelles il annonçait que le Nicaragua allait engager des pourparlers avec les
pays voisins en vue de la délimitation des fron tières maritimes. Il expliquait que l’absence de
négociations sur cette question te nait au fait que, jusque-là, «une discussion portant sur quelques
mètres ne présentait aucun intérêt lorsque l’enje u était une mer territoriale de 3 ou 12milles.
Toutefois, avec l’avènement du droit de la mer, de nombreux intérêts nationaux sont désormais liés
à la délimitation.» (Voir MN, chap. IV, sect. D, par. 15.)
40. C’est dans ce contexte que le Nicaragua proposa au Honduras, dans une note
diplomatique (note G-286) du 11mai1977, d’enga ger des pourparlers en vue de la délimitation
dans la zone atlantique (voir MN, annexe4). Le Honduras y ré pondit par une note diplomatique
(note n o1025) du 20mai1977 dans laquelle il accepta it «l’ouverture de négociations». Cette
acceptation n’était accompagnée d’aucune réserve ni indication de l’existence d’une ligne
traditionnelle de délimitation (voir MN, annexe 5).
41. Après cet échange de notes, il n’y eut pas d’autres négociations jusqu’aux
annéesquatre-vingt-dix, le Gouvernement du Ni caragua ayant été renversé en1979. Ce
changement de gouvernement modifia l’attitude mutue lle des Parties. Jusqu’alors, ni l’une ni
l’autre n’avait indiqué de position officielle concer nant ses prétentions territoriales maritimes. Ce
n’est que le 21 mars 1982, après que les gardes-côte s nicaraguayens eurent saisi quatre bateaux de
pêche honduriens aux abords des cayes nicaragua yennes de Bobel et Media Luna, situées à
e o
environ 16 milles au nord du 15 parallèle ⎯ comme vous pouvez le voir sur l’illustration n 16 ⎯,
que le Honduras réagit en présentant officielle ment pour la première fois, dans une note
e
diplomatique du 23 mars 1982, le 15 parallèle comme une ligne «t raditionnellement reconnue par
les deuxEtats» dans l’océan Atlantique (voir MN , annexe8). Le Nicaragua répondit à cette note - 21 -
du Honduras par une note du 14avril dans laquell e il se disait d’autant plus surpris «que le
Nicaragua n’a[vait] pas reconnu de frontière avec le Honduras dans la mer des Caraïbes» (voir MN,
annexe 9).
42. Après cet incident et cet échange de not es, le Nicaragua a réaffirmé en d’innombrables
occasions qu’il n’existait pas de frontière maritime dans la mer des Caraïbes fondée sur la tradition
28 ou sur une acceptation tacite du Nicaragua ⎯voir d’une manière générale , sur cette question, le
chapitre V du mémoire du Nicaragua.
43. Au mieux ⎯ mais il n’y a pas de au mieux en la matière ⎯ il s’agirait d’une tradition qui
aurait commencé en1963, une tradition plus jeune que la plupart d’entre nous ici présents! Et
cette tradition aurait cessé lors que le Nicaragua proposa, en 1977, de négocier une frontière
maritime et le Honduras accepta cette proposition sans condition et sans indiquer qu’il existait déjà
une tradition et qu’il ne restait rien à négocier. Si la gestation de cette prétendue tradition a
commencé en1963, elle a pris fin assez brus quement en1977, avant d’atteindre l’âge du
consentement !
44. Pendant les années quatre-vingt-dix, il y eut plusieurs tentatives pour trouver une
solution négociée au problème de la délimitati on dans la mer des Caraïbes. On trouve une
description de ces négociations avortées entre les Parties au chapitreV du mémoire du Nicaragua
(sect. C).
45. Le meilleur exemple en est peut-être celui des négociations qui se déroulèrent entre le 22
et le 31janvier1996 et dont l’objet était de c onvenir d’un régime spécial qui permette «d’éviter
l’arrestation de pêcheurs de chacun des deux Etats» dans les Caraïbes. C’est avec cet objectif que
la commission ad hoc composée de délégations des deux Parties recommanda «l’établissement
d’une zone de pêche commune pour les bateaux de pêche des deux pays». Les procès-verbaux des
deuxréunions tenues par la commission figuren t dans le mémoire du Nicaragua en tant
qu’annexes 93 et 94. Les Parties ne parvinrent pas à s’entendre au cours de ces réunions, à l’issue
desquelles les deux Etats réitérèrent leurs positi ons initiales, le Nicaragua maintenant sa
revendication de zones maritimes allant jusqu’au 17 eparallèle nord et le Honduras, de zones allant
e
jusqu’au 15 parallèle nord. - 22 -
46. Ce qui, finalement, mit un terme à toute autre tentative visant à trouver une solution
négociée à cette question fut la ratification d’un traité de délimitation ma ritime que le Honduras
avait signé avec la Colombie le 2 août 1986. Ce traité répondait aux aspirations les plus extrêmes
du Honduras et de la Colombie en ce qui concer ne le Nicaragua, les deux pays y cherchaient à
renforcer leur position en se reconnaissant réciproque ment leurs prétentions les plus radicales à
l’égard du Nicaragua. Il fut signé par le Hondur as et la Colombie à une période où la tension
politique et militaire entre le Nicaragua et le Honduras était à son comble. Le 28juillet1986,
29 quelques jours avant sa signature, le Nicaragua av ait introduit une instance contre le Honduras
devant la Cour concernant les activités armées menées contre le territoire nicaraguayen: c’est
l’affaire relative aux Actions armées frontalières et transfrontalières.
47. Le traité signé avec la Colombie fut ra tifié par le Honduras le 2décembre1999. La
Colombie y reconnaissait et acceptait la pr étention maximaliste du Honduras à une ligne de
e
délimitation avec le Nicaragua su ivant un parallèle proche du 15 parallèle de latitude nord. Sa
ratification mit fin à toute possibilité de trouverune solution négociée au différend concernant la
délimitation dans la mer des Caraïbes. Il ne rest ait plus au Nicaragua qu’à recourir à d’autres
moyens de régler de manière pacifique cette question insoluble. C’est ce qu’il a fait quelques jours
après la ratification du traité en déposant deva nt la Cour, le 8décembre1999, la requête
introduisant la présente instance.
La position invariable du Nicaragua
48. Le Honduras tente de faire passer la contest ation par le Nicaragua de l’existence de la
prétendue ligne traditionnelle de délimitation le long du parallèle pour une sorte de revirement, une
réaction politique du Gouvernement du Nicaragua arrivé au pouvoir en 1979. Ainsi, dans son
contre-mémoire, le Honduras indique que «[l]a révolution sandiniste qui renversa le Gouvernement
du Nicaragua le 19juillet1979 entraîna un change ment radical de la politique nicaraguayenne à
l’égard du Honduras et d’autres pays d’Amérique centrale» (par.3.25). Dans sa duplique, le
Honduras prétend en outre que «[l]’acceptation par le Nicaragua de la ligne traditionnelle jusqu’à
l’arrivée au pouvoir du gouvernement sandiniste constitue donc une circonstance pertinente…»
(DH, par. 2.46). - 23 -
49. Ces déclarations répétées du Honduras sont une déformation flagrante des faits. Le
Honduras a parfaitement conscience de ce que la position du Nicaragua, selon laquelle il n’existe
pas de ligne de délimitation entre lui et le H onduras dans la mer des Caraïbes, a été la position
officielle de tous les gouvernements du Nicaragua face à la qu estion de la délimitation dans la mer
des Caraïbes.
50. Avant que l’affaire soit portée devant la Cour, la position immuable du Nicaragua était
qu’il n’existait pas de délimitation maritime entre lui et le Honduras. Le Nicaragua soutenait en
outre que toute délimitation fondée sur l’équité ab outirait à une ligne de dé limitation qui partirait
d’un point situé sur le thalweg de l’embouchure du fleuve Coco et suivrait ensuite la direction du
30 nord-est jusqu’au 17 eparallèle nord. Cette position du Nicaragua est exposée par exemple dans les
os
deux notes qu’il a adressées au Honduras le 12décembre1994 (notesn 940507 et 940508
figurant aux annexes 49 et 50 du mémoire du Ni caragua) dans lesquelles, en réponse aux
protestations émises par le Honduras au sujet de la saisie de navires de pêche dans la zone
contestée, le Nicaragua rappelait au ministre des affaires étrangères du Honduras que sa juridiction
e
s’était toujours étendue jusqu’au 17 parallèle nord (MN, p.118). Cette même position a été
réaffirmée au cours des négociations tenues par les Parties en janvier1996 pour tenter, comme je
l’ai dit plus haut, d’établir une zone de tolérance dans les Caraïbes pour les pêcheurs des deux pays.
Cette prétention maximaliste, sur laquelle le Ni caragua n’insiste pas aujourd’hui, signifiait par
exemple que l’important banc de pêche de Rosalinda situé approximativement entre le16 e et
e
le 17 parallèles nord appartiendrait exclusivement, pour ce qui est de sa partie occidentale, au
Nicaragua et que le Honduras n’en possèderait aucune partie.
51. Lorsque le Nicaragua a porté la présente affaire devant la Cour, il a consulté des experts
internationaux dans plusieurs domaines techniqu es et leur a demandé, non pas de justifier la
position traditionnelle ou l’ambition peut-être ma ximaliste du Nicaragua, mais au contraire,
puisque sa position était qu’aucune ligne de délimitation n’avait ét é établie, d’indiquer à quelle
ligne de délimitation le Nicaragua pouvait raisonnablement préte ndre dans la région. Cette
consultation a abouti à la proposition de la ligne bissectrice dont le Ni caragua prie la Cour de dire
et juger qu’elle est la ligne de délimitation équitable entre les Parties. - 24 -
52. En revanche, le Honduras n’a pas modifié la prétention qu’il n’avait émise à l’égard du
Nicaragua qu’en 1982, selon laquelle il existait déjà une ligne de délimitation qui, partant du point
défini par la commission mixte en décembre1962, continuait vers l’est en suivant un parallèle.
Cette prétention maximaliste du Honduras, qui est illustrée à l’écran sur l’illustration n 17, n’a pas
changé depuis qu’elle a été communiquée officiel lement pour la première fois au Nicaragua
en 1982, ce qui vraisemblablement s’explique par le fait que tout assouplissement de la portion du
Honduras sur ce point l’obligerait à affronter les réa lités de la géographie, qui ne pourraient en
aucun cas aboutir à un résultat ressemblant à sa prétention la plus ambitieuse.
53. Compte tenu des tentatives du Honduras pour présenter le différend comme ayant sa
source dans les conflits des années quatre-vingt en Amérique centrale, il est nécessaire de rétablir la
vérité. Les prétentions du Nicaragua en l’espèce reflètent la position invariable de tous les
gouvernements du Nicaragua face au problème de la délimitation maritime dans la mer des
Caraïbes.
31 54. A). Entre 1936 et 1979, le gouvernement Somoza était au pouvoir au Nicaragua. Les
relations entre les Gouvernements du Nicaragua et du Honduras étaient très amicales, surtout
de1963 à1979 (MN, p.33). Il n’existe au cune communication entre les gouvernements du
Honduras de cette période et ceux du Nicaragua qui indique, même très vaguement, qu’il y avait
une ligne de délimitation dans les espaces maritimes des Caraïbes. S’il existe une quelconque note
ou autre communication officielle au Gouvernement du Nicaragua pendant cette période qui y fasse
ne serait-ce qu’une allusion, l’équipe nicaraguayenne ne l’a pas trouvée dans les archives du
Nicaragua, ni parmi les nombreux documents déposés en l’espèce, régulièrement ou sui generis,
par le Honduras. J’irai même plus loin : s’il exis te un seul document qui prouve le contraire et que
le Honduras, par quelque erreur, n’ait pas été en mesure de le produire jusqu’à présent, le
Nicaragua ne s’opposerait pas à ce qu’il soit présenté, même à ce stade tardif de la procédure.
55. Mais la simple vérité est que la seule référence officielle à la question, pendant toute la
durée du gouvernement Somoza, jusqu’en 1979, est la note diplomatique du 11 mai 1977 adressée
par le Nicaragua au ministre des affaires étra ngères du Honduras, dans laquelle le Gouvernement
du Nicaragua «propos[ait] d’engager des pourparlers en vue de la délimitation définitive de la zone - 25 -
marine et sous-marine dans l’océan Atlantique et la mer des Caraïbes» (MN, annexe 4). La note du
Nicaragua ne pouvait être plus claire, ni prêt er à malentendu: il y est clairement demandé
«d’engager des pourparlers» et non de continuer une situation préexistante ou d’y donner suite.
56. Le Honduras répondit par une note diplomati que de son ministre des affaires étrangères
dans laquelle celui-ci déclarait sans ambigüité que le Honduras «accept[ait] avec plaisir l’ouverture
de négociations et, qu’à cet égard, des inst ructions [avaient] été données à l’ambassadeur
JiménezCastro pour le début des étapes prélimin aires des pourparlers, dès qu’il prendra[it] ses
fonctions». La réponse officielle du Honduras à la demande du Gouvernement du Nicaragua, dans
cette période antérieure à1979 fut donc l’ acceptation non équivoque des négociations, sans la
moindre indication de quelconques conditions préalab les. La réponse dans laquelle le Honduras
parle de «l’ouverture de négociations» et du «début des étapes préliminaires des pourparlers» ne
saurait être interprétée comme signifiant ce que le Honduras allègue à présent, à savoir qu’il n’y
avait rien à négocier car il existait déjà une ligne de délimitation «traditi onnelle». Où donc, dans
32 cet échange de notes ⎯la seule correspondance diplomatique versée au dossier et datant d’avant
les annéesquatre-vingt ⎯, trouve-t-on les prétentions du Honduras concernant l’existence d’une
ligne traditionnelle et sa souveraineté alléguée sur les cayes aujourd’hui en litige ?
57. B). Entre 1979 et 1990, le gouvernement sandiniste était au pouvoir au Nicaragua.
Pendant cette période, les relations entre les gouvernements des deux Parties furent très instables et
conflictuelles. Quoi qu’il en soit, c’est pendant cette période que le Honduras prétendit
officiellement pour la première fois qu’il exista it une ligne de délimitation suivant un parallèle en
direction de l’est à partir de l’embouchure principa le du fleuve Coco. Comme je l’ai indiqué plus
haut, cette note fut adressée après que les gardes- côtes nicaraguayens eurent saisi des bateaux de
pêche honduriens dans les abords de certaines des cayes en litige. Pendant toutes les
annéesquatre-vingt, il y eut constamment des inci dents tant sur terre qu’en mer. Les Parties
s’adressèrent mutuellement de nombreuses notes diplomatiques. Dans toutes ces notes, le
Nicaragua maintenait la position sel on laquelle il n’existait pas de li gne de délimitation dans les
Caraïbes et que toute ligne équitable qui serait établie irait jusqu’au 17 e parallèle de latitude nord.
Les relations qu’entretenaient les Parties à l’épo que sont exposées dans la requête déposée par le - 26 -
Nicaragua contre le Honduras devant la Cour le 28 juillet 1986 et dans le mémoire qu’il a déposé
sur le fond le 8décembre1989 ⎯tous deux dans l’affaire de la Délimitation maritime entre le
Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras).
58.C). De 1990 à 1997, c’est le gouvernement de MmeChamorro qui était au pouvoir au
Nicaragua. Pendant cette période, les relations entre les Parties étaient dans l’ensemble amicales.
Cependant, des heurts se produisaient sans cesse dans la zone maritime en litige. La
correspondance diplomatique à laquelle ce différend sur le terrain a donné lieu peut être lue dans le
mémoire du Nicaragua (voir, par exemple, l es annexes 48-56, 62-66, 71-73 et 76-88). Les
problèmes prirent une ampleur telle que le préside nt du Nicaragua et celui du Honduras, lorsqu’ils
se réunirent à l’occasion de l’investiture de ce dern ier en décembre 1995, décidèrent de créer la
commission ad hoc mentionnée plus tôt afin d’étudier la possibilité d’établir dans le secteur en
litige une zone de tolérance pour les pêcheurs des deux Parties. Comme nous l’avons déjà dit, ces
réunions n’ont pas débouché sur un accord, elles ont plutôt conduit les Parties à se retrancher sur
leurs positions. Ainsi, ce nouveau Gouvernement du Nicaragua maintint lui aussi la seule véritable
tradition en la matière, à savoir qu’il n’existait au cune ligne de délimitation et que pareille ligne
devait faire l’objet de négociations.
59. D). De 1997 à 2002, le gouvernement de M. Aleman était au pouvoir. Les relations entre
les Parties étaient apparemment très cordiales. Né anmoins, en ce qui concerne la question dont la
Cour est saisie, le Nicaragua ne changea rien à sa position: il n’existait aucune ligne de
33
délimitation dans la mer des Caraïbes. De plus, sous ce gouvernement, des incidents se
produisirent dans la zone en litige, comme il r essort des notes diplomatiques que le Nicaragua
adressa au Honduras et qui sont reproduites dans le mémoire nicaraguayen (voir, par exemple, les
annexes 67-69). C’est sous ce gouvernement que les re lations entre les Parties atteignirent le seuil
critique où il fut décidé de soumettre la présente affaire à la Cour, le 8 décembre 1999.
60. E). De 2002 à 2007, un autre gouvernement a été au pouvoir au Nicaragua: celui de
M. Bolaños. Ce gouvernement, tout en entretenan t des relations amicales avec le Honduras, s’est
aussi clairement conformé à la position que le Nicaragua a systématiquement suivie depuis
l’époque du gouvernement de M. Somoza. - 27 -
61. F). C’est le gouvernement de M. Ortega qui est aujourd’hui au pouvoir depuis le mois de
janvier et nous voici devant la Cour, toujours fidèles à la position que tous les gouvernements du
Nicaragua ont traditionnellement et invariable ment maintenue depuis que la question de la
délimitation dans la mer des Caraïbes a commencé à diviser les Parties.
La date critique
62. A ce stade, j’examinerai certaines observations initiales concernant la question de la date
critique. Dans sa duplique, le Honduras prétend qu e la date critique choisie par le Nicaragua,
c’est-à-dire l’année 1977, a un «caractère arbitraire» (DH, par.1.17) et que le Nicaragua l’a
avancée pour la première fois dans sa réplique ( DH, par. 1.15). Le Honduras ajoute qu’«[o]n peut
se demander si la notion de date critique présente un grand intérêt dans une affaire comme celle-ci
où la conduite des deux Parties remonte loin dans le passé et repose sur une pratique systématique
témoignant d’un accord tacite entre elles» (DH, par. 1.15).
63. Pour ce qui est de la première allégation du Honduras ⎯ à savoir que la date critique du
11 mai 1977 que le Nicaragua a choisie serait arbitraire ⎯, il faut rappeler que 1977 est l’année où
est apparue pour la première fois la nécessité de négocier une délimitation maritime. Avant cette
date, ni le Nicaragua ni le Honduras n’avaient invoqué l’existence d’une ligne de délimitation tacite
ou traditionnelle. En fait, même après avoir été invité à engager des négoc iations le 11 mai 1977,
le Honduras n’a pas signalé que cette délimitation ex istait déjà. Bien au contraire, il a accepté de
34 négocier sans conditions préalables. Si le Honduras préfère ne pas qualifier ce moment de date
critique, disons qu’il s’agit du moment où il a été mis fin à toute incertitude possible, sur le plan
diplomatique, au sujet de la question des limites maritimes.
64. Le Honduras relève également que le Ni caragua n’a soulevé la question d’une «date
critique» que dans sa réplique (DH, par.1.15). Il est vrai que le Nicaragua n’a pas utilisé
l’expression «date critique» dans son mémoire. Ce la étant, l’existence d’une date critique est
normalement essentielle dans les différends frontaliers, que cette date soit ou non ainsi qualifiée.
Donc, peu importe que le Nicar agua ait ou non appelé l’ann ée1977 «date critique» dans son
mémoire. Ce qui compte, c’est qu’il a clairement décrit ce qui est apparu en1977, à savoir que,
pour la première fois, la questi on de la délimitation maritime da ns la mer des Caraïbes a été posée - 28 -
ouvertement, lorsque le Nicaragua a proposé d’engage r des négociations en la matière. De l’avis
du Nicaragua, l’échange de notes auquel les Parties se sont livrées en 1977 au sujet de l’ouverture
des négociations, sans conditions préalables, sur la délimitation de la mer des Caraïbes a eu pour
effet d’appeler l’attention des Parties sur la qu estion, et toute activité que l’une ou l’autre a pu
entreprendre par la suite en éta it nécessairement influencée. Si l’expression «date critique» est
celle qui qualifie le mieux cet effet, le terme utilisé ne modifie toutefois pas la nature ou les
conséquences de l’acte qui en est à l’origine.
65. Fixer une date critique, ce n’est pas demander à la Cour d’exclure de son examen tous les
documents postérieurs à 1977, c’est simplement lui signaler que les activités qui peuvent être
invoquées dans ces documents ont été accomplies dans l’intention de renforcer la position juridique
du Honduras. En appelant date critique l’année 1977, le Nicaragua ne cherche pas à limiter les
éléments que la Cour peut prendre en considération. Bien au contraire, nous serions heureux que la
Cour examine tous les documents produits par le Honduras pour confirmer que la plupart des
prétendus «éléments de preuve» qu’il a produits se rapporte à des événements très récents, dont
certains sont même postérieurs à 1999, date de l’introduction de la présence instance. Exception
faite de certaines concessions de prospection pé trolière qui furent accordées entre 1963 et1975,
tous les autres documents que le Honduras a produits à titre de preuve ont trait à des activités qui
ont eu lieu pour la première fois après cette date de 1977. Les autres documents qui ont été soumis
par le Honduras et qui sont antérieurs à cette da te ne contiennent aucune référence précise à une
zone maritime clairement identifiable.
66. Le Honduras a consacré deux longs chap itres de sa duplique aux effectivités et à la
souveraineté du Nicaragua et du Honduras sur les îles. Tous ces éléments seront analysés
35 minutieusement par M.OudeElferink dans la suite de ces plaidoiries. Pour l’heure, je relèverai
que, au chapitre 5 de sa duplique, le Honduras évoque des activités qu’il aurait menées dans la zone
en litige. Or, toutes les activités qui se rapportent à cette zone, clairement définie, ont eu lieu
après1977. Je traiterai certaines de ces questions d’une manière générale au terme de cette
présentation, mais mes confrères M. Remiro et M. Oude Elferink les analyseront en détail. - 29 -
67. Enfin, le Honduras tente d’amoindrir les conséquences de la date critique ou, si vous
préférez, les conséquences de l’échange de notes par lequel il a été convenu d’ouvrir des
négociations sur les limites maritimes dans la me r des Caraïbes. Il le fait en mettant en doute
l’importance de ces événements de 1977 car, d’après lui, «la conduite des deux Parties remonte
loin dans le passé et repose sur une pratique sy stématique témoignant d’un accord tacite entre
elles».
68. A ce stade, force est de répéter une fois encore que seule une conduite postérieure à 1963
peut être pertinente pour l’argumentation du Honduras. Pour reprendre les termes du Honduras, ce
serait-là le point le plus «éloigné dans le passé » auquel la conduite des Parties pourrait remonter !
Jusqu’en 1963, le Honduras ne pouvait pas invoque r de conduite ou d’accord tacite du Nicaragua
dans aucune partie de la zone en litige, puisque ce dernier contrôlait physiquement et juridiquement
cette zone au moins depuis la dissolution de la Fédération d’Amérique centrale dans les
années1838 à1840, plus d’un siècle auparavant. Le fait que le Nicaragua a occupé les zones en
question jusqu’en 1963 est de notoriété publique. Donc, si les Parties ont accompli des actes
pouvant avoir la moindre pertinence pour la trad ition alléguée par le Honduras, il devrait s’agir
d’actes intervenus après cette date. Et à quel moment les actes confirmant éventuellement la thèse
des Parties perdraient-ils leur importance ? Au moment, naturellement, où la situation existante a
été contestée pour la première fois et où ces actes ont perdu leur éventuelle spontanéité. Autrement
dit, lorsque le 11mai1977, le Nicaragua adr essa au Honduras la note diplomatique demandant
l’ouverture de négociations. Il est également utile de rappeler que la note en question a été envoyée
non pas pendant le «régime Sandiniste» comme le dit le Honduras, mais pendant le «régime de
Somoza», qui entretenait des relations très am icales avec le «régime de Lopez Arellano» du
Honduras. Si, avant cette date, le Honduras a réellement envisagé de revendiquer une limite
maritime passant par le 15 eparallèle de latitude nord, cette revendication en est restée au stade des
intentions et il n’a jamais osé en faire part au Gouvernement nicaraguayen de l’époque, c’est-à-dire
au régime de Somoza. - 30 -
36 Les îles
69. Le Honduras allègue dans sa duplique (par . 1.10) que c’est seulement dans son mémoire
que le Nicaragua a «revendiqué pour la première fois, en les citant nommément, des îles situées au
nord du 15 eparallèle». En ce qui concerne la question générale qui fait l’objet du différend dont la
Cour est saisie, le Honduras affirme dans sa duplique que
«Le Nicaragua n’a pas demandé à la Cour de déterminer quel Etat exerce la
souveraineté sur les îles, rochers et cayes situés immédiatement au nord du
parallèle 14° 59,8' (et, en fait, avant de déposer son mémoire, il n’avait jamais protesté
contre aucune activité autorisée par le Honduras en vertu de la souveraineté de celui-ci
sur ces îles, rochers et cayes).» (Par. 1.03.)
70. Pour commencer par cette dernière affi rmation du Honduras, il doit être clair que le
Honduras n’a mené avant les annéesquatre-vingt au cune activité d’importance dans la zone en
litige qui aurait justifié d’aigrir les relations co rdiales qui existaient jusqu’alors. Avant les
années quatre-vingt, aucun de ces îlots, rochers et cayes n’était notoirement utilisé par les autorités
honduriennes ou par des particuliers autorisés par le Honduras. La marine hondurienne n’a vu le
jour qu’au milieu de l’année 1976 et le Honduras pouvait difficilement effectuer des patrouilles ou
exercer des actes d’autorité avant cette époque. Les îlots, cayes et rochers en question n’étaient pas
habitables en permanence et ne le sont toujours pas, même pour ceux qui acceptent ou sont obligés
de vivre dans les conditions les pl us extrêmes. La plus grande de ces formations équivaut à peine
au terrain occupé par le Palais de la Paix. Ce s formations émergent d’un mètre tout au plus
au-dessus des flots et sont situées dans une région où la saison des pluies et des ouragans dure
six mois chaque année. C’est la raison pour laquelle la seule utilisation attestée et confirmée qui ait
été faite de ces cayes avant la date critique est celle des pêcheurs caïmanais, qui les utilisaient pour
y parquer temporairement les tortues qu’ils prenai ent dans le secteur. Bien entendu, elles étaient
habitables pour les tortues, si bien que les suje ts britanniques les utilisaient comme «bordigues» ou
«enclos de pâturage», mais elles ne l’étaient pas pour les êtres humains !
71. La vérité est que le contrôle des pêcheri es n’était guère rigoureux, en particulier avant la
date critique, 1977. Cela explique peut-être pourquoi le premier conflit attesté en matière de pêche
dans la zone en litige ne s’est produit que le 21 mars 1982, lorsque des gardes-côtes nicaraguayens
saisirent quatre bateaux de pêche honduriens dans les environs des cayes nicaraguayennes de Bobel
et de Media Luna, cayes que, d’après le Honduras, le Nicaragua n’aurait jamais revendiquées - 31 -
auparavant, pas plus qu’il n’aurait protesté contre les prétendues activités honduriennes sur
celles-ci. Mais c’est là un bel exemple d’inversion des faits. Il n’existe aucun cas attesté dans
lequel le Honduras aurait saisi des navires dans la région en litige avant cette année 1982. C’est le
Nicaragua qui a saisi des navires honduriens, rais on pour laquelle la protestation émanait du
37 Honduras, qui a utilisé cette occasion pour affirmer, pour la première fois dans toute l’histoire de
e
ses relations avec le Nicaragua, que le 15 parallèle était une ligne «traditionnellement reconnue par
les deux Etats» comme ligne de délimitation dans l’Atlantique. Le Nicaragua, comme toujours, a
répondu immédiatement à cette protestation hondurienne en niant l’existence de toute ligne de
délimitation avec le Honduras.
72. Au moins deux conclusions pertinentes peuvent être tirées de ce premier épisode
d’hostilités ouvertes sur la question d’une ligne de délimitation.
73. A). Le Nicaragua n’a pas attendu de déposer son mémoire pour revendiquer la
souveraineté sur ces cayes, contrairement à ce qu’affirme le Honduras dans sa duplique (par. 1.10).
Cet incident concernant deux des plus important es formations en cause prouve que le Nicaragua
revendiquait et exerçait la souveraineté sur ces îles et cayes bien avant que la présente affaire ne
soit portée devant la Cour. En outre, il n’existe absolument aucune preuve que, avant cet incident,
le Honduras avait revendiqué ou ex ercé la souveraineté sur ces formations. Que la Cour veuille
bien examiner les éléments de preuve: on ne trouve aucune mention de patrouilles honduriennes
qui auraient arrêté des navires nicaraguayens pêch ant dans le secteur avant cet incident de1982.
Pourquoi cela? Est-ce parce que, jusqu’aux années quatre-vingt, les pêcheurs nicaraguayens
respectaient parfaitement les réglementations ho nduriennes alléguées, qui n’étaient même pas
publiques à l’époque en question? Ce serait certa inement fort surprenant, d’autant plus qu’il
n’existait avant 1976 aucune marine hondurienne pour les faire respecter! En outre, en 1971, le
Gouvernement nicaraguayen avait publié tout à fait ouvertement un index géographique du
Nicaragua dont les pêcheurs nicaraguayens auraient nécessairement tenu compte et qui présentaient
l’ensemble des îlots et cayes en litige, en particulier ceux de Bobel et Media Luna, comme relevant
de la souveraineté du Nicaragua (MN, chap. IV, par. 12).
74. B). Dans la note de protestation qu’il émit après l’incident de 1982, le Honduras
prétendait que «deux vedettes garde-côtes de la ma rine sandiniste ont péné tré jusqu’aux cayes de - 32 -
Bobel et de Media Luna, à 16milles au nord du 15 parallèle qui est la ligne de partage
traditionnellement reconnue par les deux Etats dans l’océan Atlantique». Le Honduras, à ce stade
tardif, ne revendiquait donc pas la souverainet é sur les cayes et îlots en vertu d’actes de
souveraineté qu’il aurait accomplis indépendamment du lieu, mais indiquait seulement que les
e
territoires en question se trouvaient au nord du 15 parallèle, ce dont il fallait probablement déduire
qu’ils relevaient de sa souveraineté. A cette époque, le Honduras n’a invoqué aucun acte direct de
souveraineté sur ces formations inhabitées et inhabitables, en d’autres termes, il n’a pas affirmé
38 qu’il avait la souveraineté sur les îles et cayes c oncernées par l’incident, indépendamment de leur
situation sur la prétendue ligne de délimitation, il a simplement d it qu’elles étaient situées au nord
e
du 15 parallèle.
75. Dans sa duplique (par.2.17), le Honduras qualifie d’«ambiguë et [d’]équivoque» la
revendication de souveraineté nicaraguayenne sur les îles. Quand bien même le serait-elle, ce qui
n’est pas le cas, le Honduras ne s’ est nullement laissé égarer ou gê ner par cette ambiguïté et cette
équivoque alléguées puisqu’il a consacré la majeure partie de ses arguments et développements à
cette question !
76. L’autre point que le Honduras a soulevé dans sa duplique et qui a déjà été cité est que
«Le Nicaragua n’a pas demandé à la Cour de déte rminer quel Etat exerce la souveraineté sur les
îles, rochers et cayes…» (DH, par. 1.03.) C’est tout simplement faux, comme nous allons le voir.
77. En ce qui concerne les cayes et rochers situés dans la zone en litige ou autour de celle-ci,
la position du Nicaragua est que ces formations n’ont jamais été l’objet d’une occupation effective
de la part d’un quelconque souverain. Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, ces formations mineures,
qui affleurent tout juste à la surface des eaux, dans une zone de grosse mer, de fortes pluies, sujette
chaque année à des menaces d’ouragan, n’ont jama is été l’objet d’une utilisation permanente par
qui que ce soit. C’est pourquoi le Nicaragua a est imé qu’en recourant à la bissectrice en tant que
méthode de délimitation, il serait possible de conf érer une souveraineté sur ces formations à l’une
ou l’autre Partie en fonction de la position de la formation c onsidérée par rapport à la ligne
bissectrice. Il a été clairement indiqué dans le mémoire du Nicaragua (chap.IX, par.42) que, en
appliquant la ligne bissectrice proposée par le Nicara gua, «tous les îlots et rochers qui relèvent de
la souveraineté du Nicaragua se trouve[raie]nt au s ud de cette ligne et ce ux qui relèvent de la - 33 -
souveraineté du Honduras se trouve[raie]nt au nor d de celle-ci». Le Nicaragua a également
indiqué, à titre accessoire, dans son mémoire (p . 166), que «[d]ans l’hypothèse où la Cour ne
retiendrait pas la méthode de la bissectrice pour effectuer la délimitation, le Nicaragua se
réserverait les droits souverains attachés à tous l es îlots et rochers qu’il revendique dans la zone
contestée», le nom de chacun de ces îlots et cayes étant ensuite mentionné dans le mémoire.
78. La question qui se pose est donc la suivante : que demandent les Parties à la Cour de
trancher, en ce qui concerne la question de la s ouveraineté sur les îles, cayes et rochers situés dans
la zone en litige ? Pour répondre brièvement, la position du Nicaragua est la suivante :
79. A). Le Nicaragua a indiqué dans son mémoire que tous les îles, cayes et rochers situés
e
dans la zone en litige, c’est-à-dire au nord du 15 parallèle et au sud de la bissectrice proposée par
le Nicaragua, ou au sud de toute autre ligne é quitable déterminée par la Cour, relevaient du
Nicaragua.
39 80. B). Le Nicaragua a indiqué en outre que, si la Cour devait déterminer que la méthode de
délimitation à employer ne permettrait pas de trancher la question de la souveraineté sur ces
formations, les éléments de preuve factuels ét ayeraient, selon le Nicaragua, sa souveraineté sur
elles.
81. Pour sa part, le Honduras adopte une po sition parallèle à celle du Nicaragua et qui
semblerait être la suivante :
82. A). Tous les îles, cayes et rochers situés au nord du 15 eparallèle relèvent du Honduras.
83. B). Si la Cour devait décider que la souveraineté sur ces formations devrait être examinée
en tant que telles et non en tenant compte de leur emplacement, les élémen ts de preuve factuels
étayeraient, selon le Honduras, sa souveraineté sur ces formations.
84. Il ne convient pas, à ce stade de l’exposé de l’agent que je suis, d’analyser in extenso les
fondements avancés par les deux Parties pour étayer leur souveraineté sur ces cayes. Cette
question sera examinée ultérieurement au cours de nos plaidoiries par MM.Remiro et
OudeElferink. L’analyse détaillée de cette qu estion à laquelle ils procéderont chacun pourrait
comporter quelques points qui se chevauchent, mais cela est inévitable, étant donné que le
Honduras ne précise généralement pas si tel ar gument qu’il avance concerne la délimitation
maritime ou les cayes, ou les deux. - 34 -
Madame le président, il me faudrait encore une vingtaine de minutes pour terminer mon
exposé. Je ne sais pas si vous souhaiteriez que je m’arrête là, ou bien… ?
Le PRESIDENT: Oui. Nous allons manif estement devoir siéger tard aujourd’hui, étant
donné que vous n’avez pas pu commencer votre exposé à temps. Il conviendrait peut être que la
Cour observe une courte pause maintenant et nous allons reprendre dans très peu de temps. Je vous
remercie.
M. ARGÜELLO : Je vous remercie.
L’audience est suspendue de 11 h 35 à 11 h 50.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Excellence, vous avez la parole.
M. ARGÜELLO : Merci, Madame le président.
40 La question des preuves
85. La thèse du Honduras, concernant l’existe nce d’une ligne traditionnelle de délimitation
qui serait en place depuis des temps immémoriaux, ne peut sérieusement être opposée à la demande
nicaraguayenne visant à obtenir la détermination d’une ligne de délimitation des espaces maritimes
dont on n’avait même pas rêvé de l’existence avant le milieu du XX esiècle.
86. La demande nicaraguayenne ne vise pas à obtenir la délimitation d’une mer territoriale
de 3 milles marins — voire, au mieux, de 6 milles — correspondant aux seules zones maritimes sur
e
lesquelles aurait pu s’exercer une souveraineté étatique au XIX siècle, au moment de
l’indépendance. Il s’agit plutôt d’une demande qui vise à obtenir une délimitation des vastes zones
maritimes ayant commencé à être l’objet de discussions au milieu du XX siècle et qui ont
finalement été reconnues par le droit internationa l avec l’entrée en vigueur de la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer.
87. Comme le fera valoir M.Remiro, le principe de l’ uti possidetis —qui avait servi à
déterminer les frontières des divisions administratives de la puissance coloniale, considérées
comme figées au moment de l’indépendance— n’a rien à voir avec les questions maritimes. Le
principe de l’uti possidetis ne fut même pas appliqué à l’intérieu r de la limite des 3 milles, ou des - 35 -
6 milles, en Amérique espagnole coloniale, et cela jusqu’à la date de l’indépendance, parce que ces
zones se trouvaient, non pas sous le contrôle de s autorités locales, mais directement sous le
contrôle de la marine royale à Madrid et de ses représentants dans d’autres parties de la mer des
Caraïbes, voire y compris, à un moment donné, comme le montrera M. Remiro, dans une île aussi
éloignée que celle de Cuba.
88. En dehors de ces observations qui re posent sur des considérations juridiques et
historiques élémentaires, c’est un fait incontest able que jusqu’à l’arrêt rendu par votre Cour
en1960 confirmant la validité de la sentence arb itrale du roi d’Espagne de 1906, voire jusqu’à la
fin de l’année 1962, lorsque la commission de l’ Organisation des Etats Américains détermina de
manière définitive l’embouchure principale du Rio Coco, dont le thalweg devait fixer les limites
continentales des Parties— le Nicaragua continua effectivement à exercer son contrôle sur des
zones situées pour une grande part au nord de la frontière actuelle.
89. Le Nicaragua avait en outre, et ce jusqu’à la même période, traité avec à la
Grande-Bretagne de la question de la pêche à la to rtue pratiquée dans la zone en litige, activité qui
concernait l’utilisation des îles, cayes et rochers de cette zone; cette utilisation, convient-il de
41 préciser, est adaptée à la nature de ces formations, étant donné qu’elle ne nécessitait pas l’existence
d’une habitation humaine mais seulement d’enclos dans lesquels les tortues capturées pouvaient
aller et venir jusqu’au moment de leur embarquement pour leur destination finale, généralement les
îles Cayman.
90. Il n’y a pas la moindre preuve de l’exer cice, par le Honduras, d’une quelconque autorité
sur ces îles durant toute cette période, ni même ju squ’au début des années 1980. Le chapitre 5 de
la duplique du Honduras contient une liste e xhaustive d’exemples d’un prétendu exercice de
souveraineté du Honduras sur la zone en litige, y compris les îles et les cayes. Tous ces points
seront traités in extenso par mes collègues, MM. Remiro et Oude Elferink. Je me limiterai pour le
moment à vous donner un aperçu général de ces pr étendus «éléments preuve» et à faire quelques
brèves observations sur les plus saillants desdits éléments.
i) Pêcheries : presque tous les témoignages de pêcheurs, soigneusement choisis, qu’a déposés
le Honduras renvoient à des situations posté rieures à 1977. Par ailleurs, aucun des
témoignages renvoyant à des situations anté rieures à 1977 n’est clairement centré sur la - 36 -
zone en litige. Si la Cour lit attentivem ent ces transcriptions, elle découvrira
que ces témoignages vaudraient également pour n’importe quelle autre délimitation
avec le Guatemala et Belize, situés loin au nord de la zone en litige. Il en est
de même pour n’importe quelle réglementati on en matière de pêcheries antérieure
aux annéeq suatre-vingt. Aucune zone recensée ne pourrait, ne serait-ce
qu’approximativement, être considérée comme correspondant à la zone en litige.
ii) L’administration et la législation hondurienn es, l’application des lo is civiles et pénales
honduriennes, le fait de veiller à leur observati on, la réglementation de l’immigration, des
travaux publics et des études scientifiques, autant d’éléments cités dans les pièces de
procédure écrite du Honduras, concernent tous des faits postérieurs aux
annéesquatre-vingt, dont certains sont même survenus après l’introduction de cette
instance devant la Cour. Toutes les références antérieures à cette période sont vagues et
pourraient s’appliquer à n’importe quelle zone de la mer des Caraïbes sous souveraineté
hondurienne.
iii) La première constitution hondurienne à inclure certaines des îles et cayes en litiges date de
1982.
iv)Les patrouilles militaires et navales hond uriennes n’auraient en aucune manière pu
précéder la création de la marine hondurienne en 1976.
v) Le seul élément de preuve déposé par le Honduras ayant un lien quelconque avec la zone
en litige concerne certaines concessions pétr olières octroyées par le Honduras entre 1963
et 1975.
42 Concessions pétrolières
91. Tout d’abord, il est amplement clair que l’octroi de concessions pétrolières par un Etat ne
constitue pas une méthode d’acqui sition de souveraineté sur un territoire. Dans l’arbitrage
Erythrée/Yémen, l’éminent tribunal a considéré que les c oncessions pétrolières offshore n’avaient
aucune incidence s’agissant de la souveraineté sur l es territoires en cause. Il indiqua, de ce fait, ce
qui suit : - 37 -
«L’Ethiopie a[vait], dans les années soixante-dix, conclu un certain nombre
d’accords de concession offshore … mais, de l’avis du Tribunal, ces accords t[enai]ent
simplement compte des réalités technol ogiques et commerciales de l’époque et
n’[avaie]nt aucune incidence sur les droits des Parties qui [étaient] en cause [en
l’espèce].» (Sentence Erythrée/Yémen (première phase), ILR, vol. 114, p. 1, par. 423.)
92. Il est clair que le Honduras ne peut établir aucune souveraineté ni aucun droit souverain
sur aucune zone en vertu de l’octroi de con cessions. Mais, comme la question des concessions
pétrolières concerne les seules activités honduriennes faisant l’objet de documents et qui pourraient
avoir un lien quelconque avec la zone en litige avant la date critique, j’aidécidé d’aborder la
question pour faire quelques observations pré liminaires, étant conva incu, à l’avance, que
M. Remiro l’analysera avec minutie au cours d’un exposé qu’il fera ultérieurement.
93.A). Le Honduras tente d’éparpiller dans le temps et dans l’espace les concessions
octroyées dans la zone en litige. C’est ainsi que, dans son contre-mémoire (par.6.26), il prétend
que la première concession fut octroyée en 1955 et la dernière en 1983. La concession octroyée en
1955 ne faisait pas référence à la zone en litige. Il s’agissait d’une concession générale octroyée
sur le territoire de la Mosquitia, y compris ses eaux territoriales. En fait, elle s’appliquait à une
zone très vaste et aux contours indéterminés. La concession de 1983 fut octroyée dans une zone
située au nord de la zone en litige. Les seules concessions octroyées dans la zone en litige le furent
entre 1963 et 1975, à deux sociétés : Pure Oil Company Honduras Inc. (re nommée ultérieurement
«Union Oil Company») et Lloyd Honduras Inc. (CMH, annexe 192 et 194).
94.B). Les concessions octroyées par le Nicaragua au cours de la même période et situées
près de la zone en litige indiquent expressément que la frontière se ptentrionale de ces concessions
restait indéterminée parce qu’il n’existait aucune lig ne de délimitation avec le Honduras. Ce fut le
cas, par exemple, pour ce qui est de la concessi on pétrolière octroyée à Pure Oil Company of
Central America Inc. en septembre1968 (RN, vol.II, annexe14) et de la concession pétrolière
octroyée à Union Oil Company of Central American en juin 1972 (RN, vol.II, annexe15). Par
ailleurs, les concessions honduriennes ne comportaient aucune indication selon laquelle leur limite
43 méridionale coïncidait avec la limite maritime du Nicaragua; elles comportaient simplement
l’indication de coordonnées géographiques, sans référence à des frontières.
95.C). Les concessions honduriennes de la zone en litige ne contenaient aucune référence
aux îles de la zone. Aucune activité de pros pection liée aux concessions pétrolières ne fut - 38 -
expressément autorisée sur ces îles et, à la conna issance du Nicaragua, aucune n’y fut menée.
Qu’il n’ait pas été fait mention des îles dans la zone constitue l’élément le pl us révélateur, si nous
considérons que d’autres concessions du Honduras situées plus au nord, à l’extérieur de la zone en
litige, font mention expressément des îles de la zone . Par exemple, dans le lot de documents qui a
soumis par le Honduras le 21ma rs2002, date du dépôt de son contre-mémoire, se trouve un
document portant le numéro 6-10, qui n’a pas été traduit par le Honduras mais qui fait partie du
dossier qu’il a déposé à la Cour. Ce document fait mention de concessions pétrolières octroyées
par le Honduras à des sociétés honduriennes, indiqu ant quelle était la zone octroyée, avec une
mention expresse des îles et cayes qui se trouvent dans la zone : sur la carte n o 18 que nous voyons
à l’écran est indiqué l’emplacement de deux de ces concessions. La traduction de la description de
la zone octroyée faite dans ces concessions est la suivante —et je vais procéder à cette courte
traduction parce que, comme je l’ai indiqué, ces documents n’ont pas été traduits par le Honduras :
«Zone de prospection pétrolière octr oyée à la Compañia Petrolera Hondureña
S.A. à Vivorillos.
La zone n o 1 de Vivorillos, située dans la zone de Cayitos, face au banc de sable
de Caratasca Lagoon, La Mosquitia, district de Gracias a Dios, aura pour limites : au
nord la mer, les cayes et récifs de Becerros; au sud la mer; à l’est les cayes et les
récifs de Vivorillos ; et à l’ouest la zone n 2 de Vivorillos.
Zone de prospection pétrolière octr oyée à la Compañia Petrolera Hondureña
S.A. à Caratasca.
o
La zone n 1 de Caratasca, située dans la zone de Cayitos, en face du banc de
sable de Caratasca Lagoon, la Mosquitia, district de Gracias a Dios, aura pour limites :
au nord les cayes ou hobbies et les récifs de Cajones ; à l’est les cayes et les récifs de
Caratasca; au sud la zone n o1 de Becerro; et à l’ouest la zone n o2 de Caratasca.»
o
(Document n 6-10, déposé par le Honduras avec les annexes supplémentaires au
contre-mémoire.)
96. Au cours de la période en question, c’ est-à-dire au moins jusqu’aux années quatre-vingt,
ni la législation nicaraguayenne ni celle du Hondur as n’ont prévu que soit faite une offre publique
pour des concessions pétrolières concernant des zo nes spécifiques et déterminées. Aucune carte
quadrillée indiquant les zones susceptibles de faire l’objet d’une offre publique n’a été publiée. Par
conséquent, il n’existe pas de cartes—et le Honduras ne peut en produire aucune qui soit
antérieure à ladite période—attestant que l es autorités honduriennes ont fait une offre publique
générale pour des concessions dans quelque zone particulière que ce soit, et encore moins dans des - 39 -
e
44 zones ayant pour limite sud le 15 parallèle. L’article 4 de la lo i nicaraguayenne sur la prospection
et l’exploitation pétrolières du 3déce mbre1958 (RN, annexe13B, décretn o372), a, dans des
termes très généraux, divisé le territoire national en
«quatre zones principales :
a) la zone pacifique qui comprend les dépa rtements de Chinandega, Leon, Managua,
Masaya, Carazo, Granada et Rivas, y compris le lac Managua et le lac Nicaragua ;
b) la zone centrale qui comprend les départ ements de Nueva Segovia, Madriz, Esteli,
Jinotega, Matagalpa, Honco et Chontales ;
c) la zone atlantique qui se compose des autres territoires continentaux du pays ;
d) la zone du plateau continental de chacun des deux océans».
97. La loi n’a pas fourni de description pl us détaillée, ni les coordonnées géographiques des
zones susceptibles de faire l’objet de concessions. La seule limitation d’ordre spatial imposée à la
concession par ce texte portait sur la superficie de la zone pouvant être octroyée. Ainsi, dans
l’océan Atlantique, cette superficie ne pouvait excéder 400 000 hectares (art. 9).
98. Sur la base de cette loi, le Nicaragua a octroyé des concessions partout où les
compagnies pétrolières le lui ont demandé. Aucun bl oc particulier ne faisait l’objet d’une offre.
L’ensemble des espaces maritimes de l’Atlantiq ue relevant du Nicaragua était proposé sans
indication aucune des limites de ces zones. Lorsque la frontière nord des concessions
nicaraguayennes était située à proximité d’une éventu elle frontière maritime avec le Honduras, le
décret pris par les autorités nicaraguayennes indiquait expressément dans l’acte de concession que
cette limite nord était laissée sans précision, c’est-à-dire que les coordonnées géographiques de la
concession n’étaient pas indiquées, dans la mesure où, ainsi que chaque décret le mentionnait
expressément, il n’existait pas de délimitation avec le Honduras.
99. Le Honduras fait grand cas de l’absence de protestation de la part du Nicaragua contre
l’octroi de concessions entre 1963 et 1975 dans la zone en litige. La présomption d’acquiescement
que le Honduras tente de déduire de cette absence de protestation formelle de la part du Nicaragua
au cours de cette période devrait êt re rejetée, de la même manière que la Cour a rejeté l’argument
formulé par le Canada contre les Etat s-Unis d’Amérique dans l’affaire du Golfe du Maine au sujet
d’une question similaire. Le Canada avait affirmé qu’il avait adopté une réglementation et accordé - 40 -
des concessions dans la zone litigieuse sans susciter aucune protestation de la part des Etats-Unis
45 d’Amérique. La chambre a estimé que la période allant de 1965 à 1972, qui, selon le Canada, était
«au moins» la période au cours de laquelle ce comp ortement avait eu lieu, était «trop courte pour
avoir pu produire un tel effet juridique, à supposer même que les faits soient tels qu’ils ont été
allégués» ( Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine
(Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 264, par. 151).
Autres points concernant les demandes du Nicaragua
Point de départ de la délimitation maritime
100. Dans ses écritures, le Nicaragua n’a pas prié la Cour de se prononcer sur la question de
l’emplacement du point terminal de la frontière te rrestre et, partant, du point de départ de la
délimitation maritime. S’il ne l’a pas fait c’est parce que, dans l’hypothèse où un point serait fixé à
l’embouchure du fleuveCoco comme étant le point de départ de la délim itation maritime et où
l’embouchure du fleuve continuerait de se déplacer ai nsi que cela a été le cas dans le passé, le
caractère mouvant de ce point de départ serait la source d’incertitudes et d’éventuels différends à
l’avenir. C’est pourquoi le Nicaragua a, dans son mémoire (chap.VII, par.29), indiqué qu’il
considérait plus opportun de laisser les Parties libr es de déterminer le court secteur de la frontière
situé entre le point fixé en 1962 par la commission mi xte et la limite de 3 milles à partir de la côte
qu’il propose de retenir comme point de départ.
101. Dans ses écritures, le Honduras a formulé un argument étonnant s’agissant de
l’emplacement du point de départ de la délimitation et de la dir ection, ou du cours, que celle-ci
devrait suivre vers le large. Cet argument pe ut être examiné en partant de la planche n o 20 de son
o
contre-mémoire, que nous voyons en ce moment sur la carte n 19. Selon la thèse du Honduras, le
fait que l’embouchure du fleuve Coco se soit quelque peu déplacée vers le nord-est par rapport au
point fixé par la commission mixte en 1962 ne change rien au fait que ce dernier doive constituer le
point de départ de la délimitati on maritime. Faisant preuve d’un mé pris souverain de la réalité, le
Honduras propose ainsi une ligne qui traverse la partie continentale du Nicaragua pour rejoindre un
point situé sur la côte de ce dernier, point à partir duquel la délimitation maritime commencerait. Il
est vrai que, dans sa réplique, le Honduras indique qu ’il serait disposé à accepter le point de départ - 41 -
proposé par le Nicaragua et situé à 3 milles de la cô te continentale, mais cela ne représente en rien
un changement de position quant au fa it que le point de départ de la délimitation doit être le point
46
—selon lui immuable— fixé par la commission mixte en 1962. Le Nicaragua estime que la
commission de 1962 avait pour tâche de détermin er l’emplacement du thalweg de l’embouchure
principale du fleuve Coco tel qu’il existait à l’époque, et non de le fixer pour toujours . Sa mission
n’était pas de modifier la sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne, la quelle avait clairement
déterminé que le thalweg constituait le point de départ, et ce sans fixer de coordonnées
géographiques particulières. Ces coordonnées ont été indiquées par la commission afin de
déterminer l’emplacement du thalweg en un moment donné.
102. L’étrange position du Honduras quant à la qu estion du point terminal de la frontière
terrestre et du point de départ de la délimita tion maritime était inconnue du Nicaragua avant le
dépôt par le Honduras de son contre-mémoire. Dès lors que cette thèse n’a pas été modifiée dans la
réplique du Honduras, le Nicaragua est parvenu à la conclusion que, si l’on s’en remettait à la
négociation entre les Parties pour ce qui concerne la détermination du premier segment de la
délimitation à partir du point terminal de la frontiè re terrestre jusqu’au point de départ proposé et
situé à 3milles vers le large, ces négociations risque raient d’être source de tensions et de conflits
insolubles. C’est pourquoi le Nicaragua souha ite d’ores et déjà indiquer qu’il ajoutera une
demande à ses conclusions finales en priant la Cour de confirmer et de déclarer que le point de
départ de toute délimitation est, ainsi que cela a été déterminé par la sen tence rendue par le roi
d’Espagne, le thalweg de l’embouchure principale du fleuve Coco, et ce où qu’il puisse se situer en
un moment donné. Telle a été la décision rendue dans la sentence arbitrale de1906, et le
Nicaragua a été surpris de constater que l’on tentait aujourd’hui de faire fi de cette sentence, qui a
pourtant été acceptée par les deux Parties et tient tant à cŒur au Honduras.
Ilots, cayes et récifs
103. Compte tenu des allégations formulées par le Honduras relativement à la question de la
souveraineté sur ces formations, le Nicaragua c onsidère qu’il lui faut souligner que sa demande
visant à ce que soit tracée une ligne de délimit ation fondée sur la bissectrice doit également donner
lieu à une décision sur la question de la souverainet é sur ces formations situées dans la zone en - 42 -
litige. Cela signifie par conséquent, et ce afin qu’il n’y ait aucun malentendu possible sur ce
point—c’est-à-dire sur le fait de savoir si la question de la souveraineté sur ces formations se
pose—que le Nicaragua souhaite dès à présent i ndiquer que, dans ses conclusions finales qu’il
présentera au terme des présentes plaidoiries, il demandera précisément que cette question soit
tranchée. Cette demande, qui sera présentée de manière plus explicite dans lesdites conclusions
47 finales, ne changera pas la thèse principale du Nicaragua selon laquelle l’emplacement des îles et
des cayes au nord ou au sud de la ligne de dé limitation déterminée par la Cour doit également
permettre de trancher la question de la souveraineté.
104. Madame le président, Messieurs de la Cour, les exposés oraux à venir du Nicaragua se
dérouleront comme suit :
105. M. Alex Oude Elferink présentera le contexte géographique du différend.
106. M.IanBrownlie examinera la question de la méthode appropriée pour effectuer une
délimitation équitable des zones litigieuses et, ce faisant, expliquera pour quoi la méthode de la
bissectrice proposée par le Nicaragua permet de parvenir à un résultat équitable.
107. M.AntonioRemiroBrotóns réfutera ensuite l’argument hondurien fondé sur l’ uti
possidetis juris.
108. M. Alex Oude Elferink examinera ensuite, de nouveau, la question des cayes situées
dans la zone de chevauchement de revendications.
109. M. Antonio Remiro Brotóns réfutera l’argument hondurien fondé sur le prétendu accord
tacite ou acquiescement du Nicaragua à l’égard de la prétendue ligne de délimitation traditionnelle.
110. M. Alain Pellet traitera du point du départ et du point terminal de la frontière maritime,
et de la mer territoriale.
111. Enfin, M. Brownlie conclura le premier tour de plaidoiries du Nicaragua en expliquant
le caractère équitable de la demande du Nicaragua par opposition au caractèr e inéquitable de celle
du Honduras.
112. Madame le président, Messieurs de la Cour, ainsi se termine mon exposé, et je vous
prierai respectueusement, Madame le président, de bien vouloir appeler à la barre mon collègue,
M. Alex Oude Elferink. Je vous remercie de votre attention. - 43 -
Le PRESIDENT : Merci, excellence. J’appelle à la barre M. Oude Elferink.
48 M. ELFERINK :
Le contexte géographique du différend
1. Merci, Madame le président. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est un grand
honneur pour moi que de me présenter aujour d’hui devant vous au nom du Gouvernement du
Nicaragua.
Introduction
2. J’examinerai les aspects géographiques pertin ents aux fins de la délimitation entre le
Nicaragua et le Honduras. La géographie constitue, sans nul doute l’élément déterminant de toute
délimitation maritime.
Le PRESIDENT : M. Elferink, pourriez-vous relever légèrement votre micro ? C’est parfait.
Ce sera bien mieux. Merci.
M. ELFERINK: La géographie constitue, san s nul doute l’élément déterminant de toute
délimitation maritime. En l’espèce, les Parties ont , jusqu’à présent, exposé des points de vue fort
différents quant aux aspects géographiques pertinen ts et cela mérite un examen attentif. La
première partie de mon exposé portera sur le c ontexte géographique régional du différend. Je
m’intéresserai ensuite aux côtes continentales des Parties ainsi qu’aux îles situées dans la région
concernée par la délimitation. Je présentera i les caractéristiques géographiques du littoral
continental et des îles situées en face de ces côtes, avant d’aborder la question de la portée que les
Parties attachent à ces caractéristiques. La dernière partie de mon exposé portera sur l’argument du
Honduras selon lequel sa pratique en matière de délim itation maritime, ainsi que celle d’Etats tiers,
est pertinente aux fins de la dé limitation de sa frontière maritime avec le Nicaragua. Au cours de
mon exposé, je projetterai un certain nombre de cartes. Celles-ci figurent également dans le dossier
des juges. Elles apparaissent toutes sous la cote AE1, suivie d’un chiffre auquel je ferai référence
au cours de ma présentation. - 44 -
Les caractéristiques géographiques de la région
3. Madame le président, quelles sont les ca ractéristiques géographiques pertinentes ? Ainsi
o
qu’il ressort de la carte n 1, le Nicaragua et le Honduras sont s itués dans la partie sud-ouest de la
mer des Caraïbes. Leurs côtes continentales sont orientées dans des directions nettement opposées.
Le littoral continental du Nicaragua est globalement orienté nord-sud. Le littoral continental du
49 Honduras est, quant à lui, globalement orienté est-ouest. Au sud, les Etats voisins du Nicaragua
sont le Costa Rica et le Panama ; à l’est, il fait face au littoral de la Colombie. Au nord-ouest du
Honduras se trouvent le Guatemala, Belize et le Mexi que, et au nord, le Honduras fait face à Cuba
et aux îles Caïmanes. Enfin, la Jamaïque est située au nord-est du Nicaragua et du Honduras. La
pointe sud-ouest de l’île de la Jamaïque se trouve à quelque 340 milles marins de l’embouchure du
fleuve Coco, point d’aboutissement de la frontière terrestre entre le Nicaragua et le Honduras sur la
côte caraïbe.
4. Les côtes continentales du Nicaragua et du Honduras se rejoignent sur le seuil
nicaraguayen, comme le montre la carte n o2. Le seuil nicaraguayen est l’une des dorsales et seuils
submergés qui séparent les principaux bassins de la mer des Caraïbes. Le seuil nicaraguayen est
une large dorsale triangulaire qui s’étend de la masse terrestre continentale du Honduras et du
Nicaragua à l’île de la Jamaïque puis à l’île d’Hispaniola (partagée entre la République
dominicaine et Haïti). Il sépare le bassin des Caïmanes du bassin colombien.
o
5. Ce seuil apparaît clairement sur la carte n 3, laquelle représente les isobathes. Sur une
large partie du seuil nicaraguayen, la profondeur de l’eau est inférieure ou égale à 200mètres.
Au-delà de l’isobathe 200, la profondeur augmente rapidement pour atteindre 1000 mètres et plus.
Le seuil nicaraguayen est parsemé de divers bancs, dont le plus méridional est celui de Miskito.
Au nord-est des côtes continentales du Nicaragua et du Honduras, à environ 60milles marins du
point terminal de leur frontière terrestre, situé sur le fleuve Coco, se trouve Gorda Bank. A une
distance presque trois fois supérieure se trouve Rosalind Bank. Celui-ci est situé à 170milles
marins de l’embouchure du fleuve Coco et se trouve à peu près à mi-chemin entre la Jamaïque et
les côtes nicaraguayennes et honduriennes.
6. Madame le président, pourquoi préciser l’emplacement de Rosalind Bank par rapport au
Nicaragua, au Honduras et à la Jamaïque? Le Ni caragua n’a, bien sûr, nullement l’intention - 45 -
d’inviter la Cour à se prononcer d’une quelconque manière sur la délimita tion maritime de la
Jamaïque. Il est toutefois pertinent, aux fins de l’espèce, que le Nicaragua et le Honduras soient
tous deux des Etats voisins de la Jamaïque dont les côtes font face à ce pays, ainsi que cela ressort
de la carte no4. Leurs zones maritimes rejoignent et chevauchent celles de la Jamaïque dans la
région de RosalindBank. Cette relation géographique du Nicaragua et du Honduras avec la
50 Jamaïque est une excellente illustration du caract ère inéquitable du choix, préconisé par le
Honduras, du parallèle situé par14°59’14" de latitude nord comme frontière maritime avec le
Nicaragua. En effet, cette ligne exclurait toute frontière maritime entre la Jamaïque et le Nicaragua
dans la région de RosalindBank, et d’ailleurs où que ce soit. La frontière maritime entre le
Nicaragua et le Honduras suggérée par le Honduras est située à plus de 100milles marins au
sud-ouest de Rosalind Bank.
Les cayes situées dans la zone à délimiter
7. Sur les bancs qui font face aux côtes c ontinentales du Nicaragua et du Honduras se trouve
un nombre considérable de zones de récifs, constitu ant pour la plupart de petites îles, généralement
appelées cayes ou, en espagnol, cayos. Les cayes sont principalement composées de sable ou de
corail. Elles se forment par le dépôt, sous l’action des vagues et du vent, de sable et de particules
de corail sur les plaines de récifs. Les conditio ns météorologiques ne sont pas sans influence sur
leur formation. En effet, la direction des vents et des courants de marée a une incidence sur la
quantité de sable et de corail déposée, ainsi que su r l’endroit où ces dépôts se forment. En général,
les cayes ne s’élèvent que de quelques pieds au-d essus du niveau de l’eau. Les ouragans peuvent
facilement disperser ces formations, modifiant ains i leur forme et leur ta ille, voire provoquant leur
disparition. Dans la partie sud-ouest de la mer des Caraïbes, la saison des ouragans dure de juin à
novembre.
8. Le plus important groupe de cayes au la rge du littoral continental nicaraguayen s’étend en
o
direction du nord depuis Punta Gorda. C’est ce qu’illustre la carte n 5. PuntaGorda est situé à
quelque 75 kilomètres au sud de l’embouchure du fleuve Coco. Exactement à l’est de Punta Gorda
se trouvent les Morrison Denis Cay et Miskito Cay. La caye principale de ce dernier groupe porte
ce même nom de Miskito. Miskito Cay est de loin l’ île la plus importante de la zone. Elle s’étend - 46 -
sur environ21,6kilomètres carrés. Les autr es cayes de la région ont quasiment toutes une
superficie nettement inférieure à un kilomètreca rré. Au nord de Martinez Reef et d’Edinburgh
Channel se trouve Edinburgh Reef, sur lequel est si tuée la caye du même nom. Au nord de cette
caye se trouvent le récif de Media Luna, le récif de Savanna et le récif d’Alargardo. Un certain
nombre de cayes sont situées sur ces récifs, notamment Media Luna, Bobel, Savanna, Port Royal et
o
Alargardo (également appelée «South Cay»). Ces cayes sont représentées sur la carte n 6. Selon
le Honduras, ces cayes, situées au nord de la caye d’ Edinburgh, relèvent de sa souveraineté dans la
mesure où elles se trouvent au nord de la préte ndue frontière traditionnelle qu’il revendique, située
par 14° 59’ 48" de latitude nord. Le Nicaragua rejette cette thèse au motif qu’il disposait déjà d’un
titre sur ces cayes bien avant que le Honduras ne commence à les revendiquer. Cette question du
titre sur les cayes sera abordée plus tard dans la semaine. S’agissant des caractéristiques
51 géographiques, on peut signaler que ces cayes s ont plus proches de la caye d’Edinburgh
appartenant au Nicaragua que d’un quelconque territoire hondurien à l’ouest ou au nord. Cela tient
à la présence du «Main Cape Channel» au nord-ouest du récif de Media Luna.
9. Une description du Main Cape Cha nnel figure dans le document intitulé East Coast of
Central America and Gulf of Mexico Pilot , publié par le Hydrographer of the navy du
Royaume-Uni et présenté en annexe231 au contre-mémoire. Le pilot indique que le Main Cape
Channel est l’un des principaux chenaux traversant le banc de Miskito et reliant les alentours du
cap Gracias a Dios ⎯et du fleuve Coco ⎯ aux eaux profondes situées au nord-nord-est. Le
chenal fait au moins 5milles de large. Située le long du parallèle, la frontière proposée par le
Honduras placerait la totalité du Main Cape Cha nnel dans la mer territoriale du Honduras. La
bissectrice proposée par le Nicaragua permettrait, en revanche, aux deux Parties d’exercer un
contrôle commun de cet accès au fleuve Coco.
10. Au nord du Main Cape Channel se trouvent d’autres zones de réci fs et d’autres cayes,
ainsi que le montre la carte n 7. Ces récifs et cayes sont situés plus à l’écart du littoral continental.
Ils comprennent les bancs de FalseCape, les cayes de CincoPalos, CayosCajones ou Hobbies,
Cayo Caratasca et la caye de Gorda, située à l’extrémité septentrionale du banc de Gorda.
11. Dans sa réplique, le Nicaragua a affirmé que la contigüité de toutes ces îles situées au sud
du Main Cape Channel était pertinente aux fins d’établir le titre sur les cayes en litige. Ainsi que le - 47 -
démontrera mercredi M.Remiro Brotóns, l’impossibilité d’établir l’ uti possidetis juris de1821
s’agissant des cayes litigieuses rend la contiguïté pertinente aux fins d’établir le titre sur les cayes à
o
cette date. La carte n 8 projetée à l’écran, laquelle reprend la carte XVII annexée à la réplique,
représente les mers territoriales du Nicaragua et du Honduras en 1821, date pertinente s’agissant de
l’uti possidetis juris, ainsi que cela est expliqué dans la rép lique (RN, p. 127-128, par.6.90-6.92).
Une mer territoriale de 6 milles marins depuis le continent nicaraguayen et Miskito Cay forme une
bande presque ininterrompue jusqu’au Main Cape Ch annel. Celle-ci comprend les cayes en litige.
Il ne doit, en outre, pas être exclu qu’à certain es époques, l’ensemble des cayes situées au sud du
Main Cape Channel se soient trouvées dans une même mer territoriale. Ainsi que je l’expliquerai
plus tard, les études sur lesquelles sont fondées le s cartes de cette région datent pour la plupart
52 de 1830-1843 et sont incomplètes. Dans la zone située au sud du Main Cape Channel se trouvent
des zones de récifs sur lesquelles il est possible qu ’aient été situés un plus grand nombre de cayes
ou de hauts-fonds découvrants. Cela concerne plus particulièrement la zone de récifs sur laquelle
se trouve Cock Rocks. En fait, le document intitulé Índice Geográfico de Nicaragua (reproduit
dans la réplique du Nicaragua, annexe31) et publié en1971 par le ministère nicaraguayen des
travaux publics, indique l’existence d’une ca ye appelée CockRocks. Le tracé d’une mer
territoriale autour de cette caye permet d’obtenir une ceinture de mer territoriale de 6 milles marins
s’étendant vers le nord depuis le continent nicaraguayen et MiskitoCay jusqu’à l’extrémité
méridionale du MainCapeChannel. Toutefois, les cayes situées au nord du MainCapeChannel
ont toujours été séparées des cayes situées au sud par les eaux plus profondes du chenal.
12. La contiguïté des cayes situées au sud du MainCapeChannel n’est pas une invention
récente. Elle a également été constatée dans les années 1950 par le capitaine de frégate Kennedy,
du service hydrographique du Royaume-Uni. Celu i-ci a formulé, à plusieurs reprises, des
commentaires sur les caractéristiques géographiques pertinentes aux fins de la présente affaire.
Comme indiqué dans le mémoire, il a joint une description du fleuve Coco à un document qu’il a
établi à la demande du Secrétariat des NationsUni es dans le cadre de la conférence de Genève
de 1958 sur le droit de la mer (MN, p. 10-11, par. 18).
13. En 1958, le capitaine de frégate Kennedy s’est penché sur les lignes de base droites
potentielles le long de la côte nicaraguayenne dans la mer des Caraïbes. Il s’agissait d’étudier - 48 -
l’ensemble des cayes situées au sud du MainCapeChannel. Dans une lettre adressée le
27 novembre 1958 à M. E. C. Burr, du Colonial Office (reproduite en annexe39 à la réplique), le
capitaine de frégate Kennedy a indiqué qu’il conven ait de relever que si la largeur de la mer
territoriale était portée à 6 milles ⎯ sachant que le Royaume-Uni s’opposait, à cette époque, à toute
revendication de mer territoriale au-delà de 3millesmarins ⎯ la quasi-totalité des eaux situées
entre les cayes et les récifs au sud du MainCape Channel serait transformée en mer territoriale.
L’annexe 39 à la réplique contient également une carte ⎯ carte n o9 du dossier des juges ⎯ établie
par le capitaine de frégate Kennedy dans le cadre de la détermination des lignes de base droites
potentielles du Nicaragua. Cette carte montre que le capitaine de frégate a, lors de ce travail, pris
en compte l’ensemble des cayes situées au sud du Main Cape Channel.
14. Dans sa duplique, le Honduras a répondu ⎯bien que de manière indirecte ⎯ à
l’argument selon lequel la contiguïté des cayes en litige et du territoire nicaraguayen incontesté
53 serait pertinente aux fins d’établir le titre surlesdites cayes en 1821, lorsque le Nicaragua et le
Honduras ont acquis leur indépendance de l’Espagne. Le Honduras a joint à sa duplique un certain
nombre de planches représentant une mer territorial e de 12 milles marins (DH, vol. I, planches 44,
47 et48). En vertu du droit de la mer actuel, la mer territoriale de 12milles marins autour des
cayes en litige chevauche la mer territoriale de 12 milles marins des territoires non contestés des
deux Etats. Cela étant, la limite actuelle de 12 milles marins n’est pas pertinente aux fins d’établir
la situation qui prévalait en 1821 et n’enlève rien au fait que les cayes en litige sont plus proches du
territoire incontesté du Nicaragua que d’une quelconque portion du territoire hondurien.
15. Le Honduras a également formulé un argumen t explicite sur la contigüité entre les cayes
situées au sud du Main Cape Channel et d’autres terr itoires. Il fait valoir dans sa duplique que les
o
îles et rochers situés au nord du parallèle de 14 59,48' de latitude nord sont plus proches de sa côte
continentale que de la côte du Nicaragua (DH, p. 114, par. 6.26). Le Honduras ajoute ce qui suit :
«il n’en demeure pas moins que c’est au Nicaragua qu’il incombe de prouver sa souveraineté sur
les îles et rochers qui sont plus proches du Honduras» (DH, p.114, par.6.26). Il est vrai que les
cayes situées au nord du Main Cape Channel sont plus près du Honduras que du Nicaragua, mais
ces cayes-là ne font pas l’objet d’un différend entre les Parties. Les cayes situées au sud du - 49 -
Main Cape Channel, objet, elles, du litige entre les Parties, sont plus proches de la côte continentale
du Nicaragua. La rive sud, nicaraguayenne, du fleu ve Coco s’étend plus loin vers le large que sa
rive nord, hondurienne.
16. En tout état de cause, le lien, que le Honduras essaie vainement d’établir entre les côtes
continentales et les cayes en litige ne joue pas un rôle décisif dans l’argumentation relative à la
contigüité. Ces cayes sont beaucoup plus proches du territoire insulaire non contesté du Nicaragua,
o
situé au sud du parallèle de 14 59,48' de latitude nord, que des deux côtes continentales.
17. Comme je l’ai dit plus tôt, au moment d’examiner la nature des cayes, de nouvelles cayes
se forment sur des récifs et des cayes existantes peuvent disparaître. Cette caractéristique
s’applique également à la zone située à l’est et au nord du fleuve Coco. Cette incertitude autour de
la géographie de la zone concernée est renforcée par l’imprécision des études hydrographiques dont
elles ont fait l’objet.
18. Les premières études hydrographiques le l ong de la côte atlantique du Nicaragua et du
Honduras furent menées par le Royaume- Uni dans la première moitié du XIX esiècle. Ces études
sont toujours à la base des deux cartes de la région publiées par le service hydrographique du
Royaume-Uni. Ces cartes ont été utilisées par les Pa rties à la présente procédure. Il s’agit de la
54 carte 1218, intitulée «Cuba to Miskito Bank», et de la carte 2425, de plus grande échelle, intitulée
«River Hueson to False Cape». La carte 1218 a not amment permis d’élaborer la figure A, insérée
dans le mémoire, et une portion de la carte 2425 a été reproduite comme planche3 dans le
contre-mémoire.
19. La carte2425 indique que les études qui ont permis son élaboration ont été menées
entre 1830 et 1843 et que des hauts-fonds non répertor iés pourraient exister dans la zone couverte
par elle. La carte 1218 mentionne le caractère incertain des informations qu’elle renferme, dans les
termes suivants, employés dans une note con sacrée au caractère incomplet des études menées:
«Les profondeurs données pour Miskito Bank et pour les récifs adjacents situés au sud
du 17 eparallèle nord dérivent de divers le vés effectués par l’Amirauté au XIX siècle et complétés
par de récentes études ouvertes. Des hauts-fonds inconnus pourraient exister dans ces zones.»
Cette zone située au sud du 17 eparallèle nord, couvre tous les bancs décrits auparavant. Une étude
qui permettrait d’établir la présence et la localisa tion de l’ensemble des cayes et hauts-fonds situés - 50 -
sur ces bancs couterait cher : quelque cinq millions d’ euros. De plus, en raison de l’instabilité des
formations situées au large des côtes, une étude de ce type ne fournirait que des informations
portant sur une situation éphémère, ce qui rendrait son utilisation limitée.
20. La toute dernière édition de la carte1218 fait état des incertitudes et changements
intervenus dans le domaine de la géographie du littoral. Concernant le récif Alargado, situé
presque plein est de l’embouchure du fleuve Coco , la carte indique qu’il serait situé à 2milles
marins à l’est. Toujours selon cette carte, les Pichones Cays, situées au nord du Main Cape
Channel, sont à fleur d’eau. Ces cayes sont donc également submergées à marée basse.
21. D’autres sources d’informations confirment l’instabilité des cayes situées dans la zone à
délimiter. Comme le Honduras l’a indiqué dans son contre-mémoire (dans la deuxième note de bas
de page du chapitre II), les cayes initialement dé nommées Logwood Cay et Media Luna Cay sont
toutes deux actuellement submergées. Une autre source pertinente est la Constitution du Honduras.
Les Constitutions du Honduras de1957, 19 65 et1982 font toutes références aux cayos Gracias a
Dios. La situation géographique de ces cayes est indiquée sur les planches 37 A à C de la duplique.
Mais sur les cartes1218 et2425 du service hydrographique du Royaume-Uni, aucune caye n’est
représentée à cet endroit. On constate la même chose sur une carte officielle du Honduras publiée
en 1954, tout juste trois ans avant l’adoption de la Constitution de 1957. Ce tte carte fait l’objet de
la planche 25 du contre-mémoire.
22. Il ne fait pas de doute qu’il existe un gr and degré d’incertitude autour de la géographie
55
des cayes de la zone à délimiter: aussi, alors que des cayes mentionnées dans trois constitutions
successives du Honduras sont inexistantes, d’autr es qui existaient auparavant sont à présent
submergées ; des incertitudes subsistent par ailleurs qu ant à la situation géographique de récifs et à
la profondeur des eaux qui les recouvrent.
23. Madame le président, ces incertitudes mettent davantage encore en relief la pertinence
des côtes continentales du Nicaragua et du Hondur as aux fins de la délimitation maritime. La
direction générale de ces côtes peut être déterminée sans difficulté. Il s’agit là en effet d’un
paramètre relativement stable, étant donné qu’une te lle direction générale ne variera pas à la suite
de modifications, négligeables, de tel ou tel point situé le long de la côte. Il convient néanmoins de
souligner à ce stade que le doute concernant la situation géographique ou l’existence de cayes n’est - 51 -
pas la principale raison qui justifie que celles-ci n’interviennent pas dans la délimitation maritime.
Même en l’absence d’une telle incertitude, les cayes ne devraient pas en tant que telles intervenir
dans la délimitation maritime entre le Nicaragua et le Honduras. Je reviendrai sur ce point plus tard.
Les vues des Parties sur la géographie : les côtes pertinentes
24. Madame le président, j’en viens à présent aux vues des Parties sur la géographie. Tout
d’abord, permettez-moi de dire quelques mots au sujet des côtes continentales du Nicaragua et du
Honduras et de leur pertinence au regard de la délimitation maritime. Ces côtes se rejoignent à
l’embouchure du fleuve Coco. Sur une grande partie du territoire terrestre central et oriental, la
frontière terrestre entre les Parties suit le thalweg du fleuve Coco. Le point terminal du thalweg à
l’embouchure du fleuve constitue le poi nt de départ de la délimitati on maritime entre le Nicaragua
et le Honduras (MN, p.24, par.9; RN, p.29, pa r.3.10 et p.197-203, par.10.7-10.22). Ce
vendredi, le professeur Pellet en dira davantage sur le point de départ de la délimitation maritime.
25. La caractéristique première des côtes continentales est le changement radical de direction
qui intervient au point terminal de la frontière te rrestre. Dans son mémoire, (MN, p.14, par.32
et33), le Nicaragua décrit sa relation côtière avec le Honduras comme une formation en coude.
Comme le montre la figure 10, la côte continentale du Nicaragua se dirige généralement vers le sud
à partir du point terminal de la frontière terr estre avec le Honduras. La côte continentale du
56 Honduras, qui part du même point, tend à se diriger ve rs l’ouest. Au lieu où prend fin leur frontière
terrestre commune, ces côtes forment un angle aigu, ou si l’on veut, un coude.
26. Qu’a eu le Honduras à dire jusqu’à présent au sujet de cette géographie côtière marquée ?
Très peu, dans son contre mémoire —un paragraphe tout au plus. A la fin du dernier chapitre,
avant de présenter ses conclusions, le Honduras fait valoir que, sur la base d’une bissectrice des
deux façades maritimes, le Nicaragua revendique à l’égard du Honduras une façade maritime sans
rapport avec la configuration réelle du littoral (CMH, p. 149, par. 8.11). Cette affirmation n’est pas
développée. Par ailleurs, aucune précision n’est apportée à la manière dont le Honduras perçoit sa
façade maritime pertinente. Comme je l’expliquera i plus tard, dans sa réplique, le Honduras a - 52 -
donné de sa côte une image très voisine de la configuration de la côte exposée par le Nicaragua. Le
contre-mémoire ne présente aucune critique de la côte pertinente du Nicaragua telle que définie
par celui-ci dans son mémoire.
27. Dans sa duplique, le Honduras fait part de ses vues sur la configuration des côtes
pertinentes. On y apprend que le Nicara gua et le Honduras s’opposent sur troispoints
fondamentaux: la définition des côtes pertinentes au regard de la zone à délimiter; le point
d’infléchissement de la direction des côtes du Ni caragua et du Honduras; enfin, la longueur des
côtes concernées.
28. Le Honduras fait valoir que la côte cesse d’ être pertinente lorsqu’elle ne fait plus face à
la zone maritime à délimiter (DH, p.111, par.6. 16). Il ajoute que puisque la frontière terrestre
entre le Nicaragua et le Honduras rejoint la mer après avoir longé une portion de la côte
centraméricaine qui fait face à l’est, seules les côtes orientées vers l’est sont pertinentes (DH,
p.112, par.6.19). Pour ce qui est de sa pr opre côte, le Honduras définit deuxsecteurs, affirmant
qu’un premier, situé entre le point terminal de la frontière terrestre et CaboFalso fait face à l’est
(DH, p. 112, par. 6.19). Ce secteur apparaît sur la figure 11. En réalité, cette portion de la côte du
Honduras n’est pas orientée vers l’est — je reviendr ai sur ce point dans un instant. Je souhaiterais
auparavant en terminer avec les vues du Honduras au su jet des côtes pertinentes. Il est dit dans la
duplique que le deuxième secteur de la côte hondurienne est orienté vers le nord et que «la côte
hondurienne orientée vers le nord, située à l’ouest de Cabo Falso, ne revêt pas de pertinence pour
l’analyse de la frontière maritime entre le Honduras et le Nicaragua» (DH, p.112, par.6.18). Le
Honduras fait valoir que toute la côte atlantique du Nicaragua est orientée vers l’est, mais que seule
une infime portion de celle-ci en constitue la côte pertinente (DH, p. 112, par. 6.19-6.20).
57 29. La figure 12 qui apparaît à l’écran illustre les projections des côtes telles que définies par
le Honduras. On remarque d’emblée qu’une grande partie de la zone maritime à laquelle les côtes
du Nicaragua et du Honduras sont contiguës n’est pas prise en compte dans les projections des
côtes des Parties. Cela concerne pourtant une zone où les droits des Parties se chevauchent. Toute
cette zone est située dans un ra yon de 200 milles marins des côtes des Parties, auxquelles elle fait
directement face. Le fait que l’approche de la délimitation maritime sout enue par le Honduras - 53 -
exclue complètement une grande partie de la zone à délimiter prouve qu’il s’agit d’une
interprétation artificielle visant à donner du poids à la thèse du Honduras, qui serait fondée sur la
conduite des Parties.
30. Si la zone où se chevauchent les droits des Parties est prise en compte, il devient évident
que la bissectrice proposée par le Nicaragua est fondée sur la géographie côtière et sur sa relation
avec la zone maritime qui lui est contigüe. Comme le montre la figure 13, l’approche du Nicaragua
tient compte du chevauchement des droits des Parti es et propose de les répartir également entre les
deux.
31. Le deuxième point qui oppose les Parties au sujet des côtes pertinentes concerne le point
d’infléchissement de la direction des côtes du Nicaragua et du Honduras. Ce désaccord ne devrait
cependant pas faire oublier le fait que les Parties s’accordent largement sur la direction générale
des côtes. Le Nicaragua considère que la direc tion générale de la côte du Honduras est quasiment
est-ouest et que cette côte fait donc presque face au nord. Le Honduras accepte le fait que sa côte
située à l’ouest de CaboFalso est orientée vers le nord (RH, p.112, par.6.18). Les Parties
s’accordent également sur le fait que toute la côte atlantique continentale du Nicaragua est orientée
vers l’est. La reconnaissance par le Honduras du fait que les côtes continentales changent de
direction à proximité de la frontière terrestre est d’une grande importance et laisse à entendre que la
méthode de délimitation qui sera adoptée par la C our devrait rendre compte de ce changement de
direction. Cette méthode devrait aboutir à une li gne de délimitation faisant une part égale à ces
deux directions générales.
32. Le désaccord entre les Parties quant à la direction générale des côtes continentales du
Nicaragua et du Honduras porte sur la question de savoir si son infléchissement intervient à hauteur
de CaboFalso, comme le soutient le Hondur as, où à hauteur du cap Gracias a Dios, comme
l’estime le Nicaragua.
33. Le choix par le Honduras de Cabo Falso co mme point d’infléchissement de la direction
des côtes continentales est expliqué de la manièr e suivante dans la duplique. Tout d’abord, le
58 Honduras fait valoir qu’étant donné que la frontière terrestre entre le Nicaragua et le Honduras
rejoint la mer après avoir longé une portion de la côte centraméricaine qui fait face à l’est, seules
les côtes orientées vers l’est sont pertinentes (D H, p.112, par.6.19). Il ajoute que bien que, - 54 -
localement, la côte hondurienne entre le cap Gracias a Dios et Cabo Falso soit orientée en direction
du nord-ouest, cela ne contredit pas le fait que la côte centraméricaine qui s’étend de Cabo Falso à
la frontière entre le Nicaragua et le Costa Rica se dirige vers le sud (DH, p.112, par.6.20). En
d’autres termes, même s’il doit reconnaître qu’aucune portion de sa côte n’est orientée vers l’est, le
Honduras utilise la direction générale de la cô te du Nicaragua pour s’attribuer une côte qui
corresponde à son objectif tendant à donner l’impr ession que seules les côtes tournées vers l’est
seraient pertinentes et que seules les zones situées à l’est de ces côtes devraient être délimitées.
Comme je l’ai indiqué plus haut, et comme cela apparaissait sur la figure décrivant sa conception
des projections côtières, le Honduras néglige le fa it que la zone à délimiter, non seulement ne se
situe pas directement à l’est du cap Gracias a Dios, mais couvre ég alement la zone, beaucoup plus
vaste, située au nord dudit cap.
34. Un examen plus approfondi de la géogr aphie permet de consta ter que Cabo Falso ne
constitue pas le point à partir duquel la côte orient ée vers le nord s’infléchit vers le sud. La
figure 14, actuellement projetée à l’ écran, permet d’observer la direc tion générale de la côte entre
Punta Patuca et Cabo Falso d’une part, Cabo Falso et le cap Gracias a Dios de l’autre. Le
changement de direction au niveau de Cabo Falso est imperceptible ⎯ cela explique sans doute le
nom donné à ce cap.
35. En revanche, la direction de la côte présente un infléchissement marqué au niveau du cap
Gracias a Dios ⎯ ce qui devient évident si l’on précise, sur la figure projetée à l’écran, la direction
générale de la côte entre le cap Gracias a Dios et Punta Gorda.
36. Mais la géographie physique n’est pas la seule qu’il faille prendre en compte: il y a
également la géographie politique. La frontière te rrestre entre le Nicaragua et le Honduras se
termine dans le thalweg du fleuve Coco au cap Gracias a Dios. En la présente espèce, la
géographie à la fois politique et physique désigne le cap Gracias a Dios comme le pivot autour
duquel s’articule la délimitation. Cette coïncidence facilite la tâche de la Cour. Le rapport entre
les côtes continentales situées au nord et au sud du point terminal de la frontière terrestre indique la
direction que devrait suivre la frontière maritime. Quant au point terminal de la frontière terrestre,
il constitue le point de départ de la frontière maritime. - 55 -
59 37. Le troisième point relatif aux côtes pertinentes sur lequel les Parties s’opposent est la
longueur de ces côtes. Ainsi que l’a exposé le Ni caragua dans son mémoire et dans sa réplique
(MN, p.64-74, par.20-61, RN, p.21-22, par.3.3-3.5 et p.137-139, par.9.6-9.15), les côtes du
Nicaragua et du Honduras à prendre en considérati on sont constituées par leurs côtes continentales
qui jouxtent la zone maritime à délimiter. La côte du Nicaragua, mesurée selon une ligne droite
telle qu’indiquée sur la figure15, a une longueur approximative de 453kilomètres. La côte
continentale du Honduras, mesurée de la même manière, a une longueur totale d’environ
559kilomètres. Les côtes continentales sont dans un rapport de 1 à 1,2. Ces longueurs côtières
sont telles que la méthode de la bissectrice propo sée par le Nicaragua satisfait au critère de la
proportionnalité (RN, p. 147, par. 9.53).
38. Dans sa duplique, le H onduras adopte un point de vue radi calement différent. Il prétend
que la côte à prendre en considération s’étend de Cabo Falso, situé sur son territoire, jusqu’à la
frontière terrestre avec le Nicaragua. Le Honduras affirme qu’en ce qui concerne le Nicaragua, la
côte à prendre en considération s’étend de Laguna Wano jusqu’à la frontière terrestre (DH, p. 106,
par.6.19). Le Honduras a fait figurer ces côtes pertinentes sur une carte à grande échelle
reproduite dans la planche42 de sa duplique, et proj etée à l’écran en tant que figure16. Pour en
donner un meilleur aperçu, il a indiqué leur emplacement sur une carte représentant les côtes du
Nicaragua et du Honduras. Comme nous pouvons le constater, la cô te pertinente proposée par le
Honduras représente une portion insignifiante des côtes du Honduras et du Nicaragua.
39. Comment le Honduras parvient-il à la conc lusion selon laquelle seule une infime partie
des côtes du Nicaragua et du Honduras faisant face à la zone à délimiter serait pertinente? Le
Honduras a précédemment affirmé que puisque sa fron tière terrestre avec le Nicaragua rejoint la
mer après avoir longé une portion de la côte centr américaine qui fait face à l’est, seules les côtes
orientées vers l’est seraient pertinentes (DH, p. 106, par. 6.19). Comme que je viens de l’expliquer,
le Honduras se trompe lorsqu’il croit qu’une partie de sa côte fait face à l’est. La direction générale
des côtes s’infléchit au niveau du point terminal de la frontière terrestre situé au cap Gracias a Dios.
L’unique portion de la côte centraméricaine qui fait face à l’est est la côte continentale du - 56 -
Nicaragua comprise entre sa frontière terrestre av ec le Honduras et le Costa Rica. La côte
hondurienne est dans l’ensemble orie ntée vers le nord et c’est cette côte qui est pertinente aux fins
de la délimitation maritime avec le Nicaragua.
40. Mais qu’en est-il de la côte pertinente du Nicaragua? Comme je viens de l’indiquer,
pour le Honduras, seules les côtes orientées vers l’est seraient pertinentes aux fins de la
60 délimitation entre le Nicaragua et le Honduras. Or , ainsi que le montre la carte de la région
représentée à la figure17, la côte du Nicaragua es t entièrement orientée vers l’est. Pourtant, le
Honduras prétend que seule la côte du Nicaragua co mprise entre le fleuve Coco et Laguna Wano
constitue la côte pertinente de ce dernier. Comment le Honduras parvient-il à amputer la
quasi-totalité de la côte du Nicaragua orientée vers l’est? Le Honduras avance deux arguments.
En premier lieu, il prétend que là où les deux Pa rties se partagent un segment de côte presque
linéaire, «la longueur de la côte pertinente d’une Pa rtie ne devrait pas être sensiblement supérieure
à celle de l’autre. Il en est ainsi parce qu’aucun avantage n’est à accorder à une côte relativement
plus longue d’une des Parties lorsque les côtes ne présentent pas de concavité face à la zone à
délimiter.» (DH, p. 106, par. 6.17.)
41. En d’autres termes, le Honduras soutient que le Nicaragua ne devrait pas pouvoir tirer
avantage d’une plus longue côte orientée vers l’est , lui-même ne possédant pas une telle côte. En
fait, le Honduras ne possède aucune côte orientée vers l’est et il n’ existe pas de continuité linéaire
entre la côte du Nicaragua et celle du Honduras. Ma is il ne s’agit pas là d’une raison valable de ne
pas tenir compte de l’essentiel de la côte du Nicaragua, orientée vers l’est. Le Honduras n’invoque
aucune autorité à l’appui de son argumentation.
42. Le deuxième argument avancé par le H onduras pour ne considérer comme pertinente
qu’une partie insignifiante de la côte du Nicaragua faisant face à l’est est exposé aux
paragraphes 6.20 et 6.21 de sa duplique. Il soutient que la délimitation maritime doit «tenir compte
des îles de l’une ou l’autre Partie, à mesure que la frontière se fraie un passage entre elles et se
prolonge plus avant vers l’est». Il s’agit d’une interprétation tout à fait inédite du rôle des îles dans
la délimitation maritime. Ainsi, d’après la th èse du Honduras, dans une affaire mettant en jeu des
îles situées face à la côte continentale d’un Etat , cette côte continentale ne serait pas considérée
comme faisant partie de la côte pertinente de cet Etat. Permettez-moi d’illustrer ceci au moyen de - 57 -
deux exemples. Dans l’affaire du Golfe du Maine , une Chambre de la Cour avait été priée de
délimiter la frontière maritime au large des côtes continentales du Canada et des Etats-Unis. La
zone concernée est parsemée de petites îles et de rocher s. Ils figurent en vert sur la figure 18. Si
l’on acceptait la thèse du Honduras, seuls ces îles et ces rochers seraient retenus en vue de la
détermination des côtes pertinentes du Canada et des Etats-Unis. Telle n’est pourtant pas la
méthodologie retenue par la Chambre. Ce sont les côtes continentales du Canada et des Etats-Unis
situées derrière ces accidents mineurs qu’elle a pri ses en considération pour déterminer les côtes
pertinentes aux fins de la délimitation (C.I.J. Recueil 1984, p. 332-333, par. 210-213).
61 43. En l’affaire Libye/Malte, la Cour a eu à délimiter le plateau continental entre la Libye et
Malte. La décision rendue par la Cour portait uniquement sur la zone comprise entre les méridiens
13° 50' E et 15° 10' E (C.I.J. Recueil 1985, p.26-28, par.22). Une ligne d’équidistance fictive
entre la Libye et Malte ⎯reproduite à la figure19 ⎯ est établie à partir de points de base situés
sur la côte continentale de la Libye et sur l’îlot maltais de Filfla. Sur la figure20, l’on peut voir
une carte à grande échelle de Malte sur laquelle est indiqué l’emplacement de Filfla. Si l’on
accepte la thèse avancée par le Honduras dans sa duplique relative à la définition des côtes
pertinentes, la Cour n’aurait dû prendre en considér ation aucune côte de Malte autre que Filfla. La
Cour n’a pourtant pas procédé ainsi. Elle a jugé é quitable de ne pas tenir compte de Filfla dans le
calcul de la ligne d’équidistance provisoire entre Malte et la Libye ( ibid., p.48, par.64). Cette
ligne a été calculée à partir de la côte de l’île de Malte, qui se trouve au nord de Filfla. Pour
déterminer la côte pertinente de Malte, la Cour ne s’est pas limité à l’île de Malte, elle a également
tenu compte de l’île de Gozo ( ibid., p.20, par.15-16 et p.50, par.68). La définition de la côte
pertinente de Malte donnée par la Cour, de même que le traitement qu’elle a réservé à Filfla,
contredit la thèse du Honduras relative à la définiti on de la côte pertinente du Nicaragua en la
présente espèce. L’approche adoptée par la Cour confirme la position défe ndue par le Nicaragua
selon laquelle il ne faudrait accorder aucun poids aux îles de très petite taille, même au stade initial
d’une délimitation maritime consistant à tracer une ligne provisoire.
44. La définition des côtes continentales donnée par le Honduras constitue de toute évidence
une tentative ex post facto visant à justifier, sur le plan géogr aphique, une frontière maritime située
le long du parallèle de 14° 59' 48" de latitude nord. Ce parallèle se dirige plein est. Le Honduras a - 58 -
créé de toutes pièces une côte orientée vers l’est pour pouvoir invoquer ce parallèle qui partage de
manière inégale la zone à délimiter, en lui attri buant l’ensemble de la zone maritime située au nord
du parallèle. Le Honduras invite la Cour à tracer une ligne qui partirait du cap Gracias a Dios en
suivant une direction plein est et à ne pas teni r compte des zones maritimes qui se trouvent au
nord-est de ce cap. Pour le Honduras, ces zones maritimes constituent un no man’s land qui
s’étend au-delà des côtes honduriennes et nicaraguayennes respectivement orientées vers le nord et
vers l’est. Mais cette zone maritime n’est pas un no man’s land : c’est une zone de chevauchement
des titres des Parties. Pourtant, le Honduras ne vo it aucune difficulté à s’ attribuer l’ensemble de
cette zone. Dans le même temps, il ne tient aucun compte de l’existence du Nicaragua.
L’argumentation du Honduras relative aux côtes contin entales des Parties ne peut que confirmer la
62 position du Nicaragua selon laquelle la méthode de délimitation privilégiée par le Honduras n’a
aucun rapport avec la géographie de ces côtes continentales.
45. Madame le président, permettez-moi à présent de revenir à la question des cayes situées
dans la zone comprise entre les frontières maritimes revendiquées par les Parties. L’essentiel de
l’argumentation du Honduras en l’espèce est consacré à ces cay es. Le Honduras a prétendu à
maintes reprises, semble-t-il dans l’espoir de compliquer les choses, que le Nicaragua, en
employant les termes «îlots» et «rochers» pour désigner certaines îles situées dans la zone à
délimiter, cherchait à diminuer leur portée juridique (voir par exemple, CMH, p. 13, par. 2.6 ; DH,
p.110, par.6.28). Le Honduras a expliqué que, po ur lui, le Nicaragua, en faisant référence à des
îlots et à des rochers, entendait dépouiller les formations ainsi nommées du statut juridique qui leur
est conféré par l’article 121 de la convention des Na tions Unies sur le droit de la mer (CMH, p. 13,
par. 2.6). Le Nicaragua n’a jamais rien insinué de tel en rapport avec l’artic le 121. Ce qui est ici
en cause est le poids à accorder aux îles aux fins de la délimitation maritime portée devant la Cour.
A cet égard, trois points revêtent une importance par ticulière: le titre sur les îles, la superficie de
celles-ci et leur emplacement. Nous aborderons la question de la souveraineté plus tard dans la
semaine. Comme nous l’avons déjà dit, le Nicarag ua soutient qu’il a un titre sur l’ensemble des
cayes situées au sud de Main Cape Channel.
46. Le Honduras considère les cayes situées entre les frontières maritimes revendiquées par
les Parties comme des îles importantes. Elles de vraient dès lors se voir accorder tout le poids - 59 -
qu’elles méritent aux fins de la délimitation maritime entre le Nicaragua et le Honduras.
Madamele président, ces cayes sont-elles bien des îlesimportantes? Au paragraphe2.3 de son
contre-mémoire, le Honduras identifie quatre îles importantes, Savanna Cay, South Cay, Bobel Cay
et Port Royal Cay. Ces cayes sont indiquées sur la figure21. BobelCay, qui constitue la plus
grande d’entre elles, a une superficie de 0,029 kilomètre carré. Cette superficie correspond à un
carré d’environ 170 mètres de côté. Port Royal Cay, la plus petite d’entre elles, a une superficie de
quelque 0,0028kilomètre carré, soit une superfi cie équivalente à celle d’un carré d’environ
50 mètres de côté.
47. Afin de vous donner une meilleure idée de la superficie des cayes, permettez-moi de les
comparer à deux autres formations relativement connu es. La première d’entre elles est Rockall.
Ce rocher, qui appartient au Royaume-Uni, se trouv e à quelque 380 kilomètres à l’est de l’Ecosse.
Rockall peut être considéré comme l’exemple ty pique d’une île relevant du paragraphe3 de
l’article121 de la convention des NationsUnies su r le droit de la mer qui prévoit que les rochers
63 qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont pas de zone
économique exclusive ni de plateau continental. Rockall, qui mesure environ 30mètres sur 25,
n’est guère plus petit que Port Royal Cay. Comme je viens de l’indiquer, la superficie de cette caye
équivaut à la surface d’un carré de 50mètres de côté. J’ai déjà mentionné l’importance qui avait
été accordée à Filfla en l’affaire Libye/Malte : la Cour n’en avait tenu aucun compte lors de la
délimitation qu’elle avait établie entre ces deux pa ys. Filfla mesure environ 500mètres sur 250.
Savanna Cay, South Cay, Bobel Cay et Port Royal Cay pourraient aisément tenir à l’intérieur de la
zone occupée par Filfla.
48. Une autre considération permettant de mesurer le poids des îles est l’emplacement de ces
îles par rapport aux côtes continentales pertinent es. L’emplacement des cayes au large des côtes
continentales du Nicaragua et du Honduras implique qu’elles ont un effet disproportionné sur le
tracé de la ligne d’équidistance. Une ligne d’équidistance qui part de l’embouchure du Rio Coco et
qui s’étend dans une direction nord-est sur envi ron 8milles marins sans être affectée par la
présence des cayes situées dans la zone de délimitation. Après cette distance, la ligne
d’équidistance dépend entièrement des points de base situés sur les cayes. Cette ligne ignore
totalement les côtes continentales des Parties. - 60 -
49. Dans sa réplique, le Nicara gua soutient que les Parties s ont convenues que les îlots sont
sans incidence sur la délimitation (RN, p.10, pa r.1.19). La réplique renvoie sur ce point au
paragraphe7.28 du contre-mémoi re. Ledit paragraphe conclut que le Honduras n’utilise pas ces
îles ⎯à savoir les cayes contestées ⎯ en tant que points de base, et ne revendique ni plateau
continental ni zone économique pour les îles en tant que telles. La revendication du Honduras,
est-il dit dans le contre-mémoire, est fondée sur sa partie continentale et sur la longue histoire
d’une frontière établie et acceptée. Dans la dup lique, le Honduras, en plus d’une occasion, tire
grief de la référence faite par le Nicaragua au paragraphe7.28 du contre -mémoire (DH, p.5-6,
par. 1.13-1.14 ; p. 16, par. 2.15 ; p. 26, par. 2.44). Toutefois, la duplique n’explique pas pourquoi
le Nicaragua a tort de considérer que les cay es ne devraient pas avoir d’incidence sur la
délimitation que la Cour est priée d’effectuer. T out ce que fait le Honduras, c’est de se référer à la
prétendue acceptation du parallèle de 14° 59' 48" de latitude nord en tant que frontière maritime
(DH, p.16, par.2.15). A la fin du paragra phe2.15 de la duplique, le Honduras laisse entendre
qu’il a soutenu que les cayes revêtaient une impor tance dans l’établissement de la frontière
maritime qui ne se situerait pas le long du parallè le qu’il propose. Toutefois, dans ce cas, le
Honduras ne fait référence qu’au fait que les cayes démontrent le caractère pratique de la frontière
le long du parallèle de 14° 59' 48" de latitude nord. Le prétendu carac tère pratique de ladite ligne
ne signifie pas que le Honduras traite les cayes su r la base de leur importance propre ni que ces
cayes fournissent une solution équitable.
64 50. Pour conclure sur la géographie des cayes, j’ajouterai ceci : que les cayes dans la zone à
délimiter soient désignées sous le nom d’«île», d’ «îlot», de «rocher», ou par n’importe quelle autre
appellation est sans importance. Ce qui est important — et cela a été souligné par le Nicaragua tout
au long de ses écritures— est qu’elles doivent être traitées en tenant comp te de leur incidence
propre (MN, p.138-144, par.31-43; RN, p.30-34, par.3.12-3.21 et p.181-182, par.9.12-9.15).
La méthode de la bissectrice proposée par le Nicara gua permet de parvenir à pareil résultat (MN,
p. 144, par. 42-43 ; RN, p. 181-182, par. 9.12-9.15). Cette mét hode permet d’assurer que le poids
qui convient soit accordé aux côtes continentales de s Parties et qu’aucun poids disproportionné ne
soit accordé aux cayes situées au nord et au sud de la bissectrice. - 61 -
51. La ligne du Honduras sur le 15° de latitude nord ne permet pas de parvenir à un résultat
équitable. La ligne de 15° de latitude nord n’ a aucune relation avec les côtes continentales des
Parties et place les cayes nicaraguayennes au sud du Main Cape Channel, du mauvais côté de la
frontière maritime. Le Honduras a présenté une li gne d’équidistance provisoire pour justifier le
parallèle qu’il propose. La ligne a été décrite sur la planche48 de la réplique reproduite sur la
figure 22. Cette ligne d’équidistance provisoire — fondée sur l’hypothèse selon laquelle les cayes
litigieuses font partie du territoire du Honduras — conduit à une amputation encore plus importante
des zones maritimes du Nicaragua que celle qui résu lte du choix du parallèle. Soutenir, comme le
fait le Honduras (DH, p. 130-131, par. 8.16-8.20), que cette ligne d’équidistance provisoire montre
que le parallèle est équitable n’est pas crédible . Deux lignes inéquitables ne constituent pas une
frontière équitable.
Madame le président, j’ai encore b esoin de quinze minutes pour mon exposé.
Préféreriez-vous que je termine ou voudriez-vous que je suspende mon exposé maintenant ?
Le PRESIDENT : Nous préfèrerions que vous terminiez. Veuillez poursuivre.
M. ELFERINK : Je vous remercie.
La géographie à l’embouchure du Rio Coco
52. La frontière maritime entre le Nicaragua et le Honduras doit partir du point terminal de la
frontière terrestre entre les deux Etats dans le Ri o Coco. Les Parties conviennent que la frontière
terrestre constitue le thalweg du Rio Coco. Elles sont en désaccord quant au x implications sur la
délimitation maritime de l’accrétion continue qui se produit à l’embouchure du fleuve. Cette
65 question sera examinée plus avant le vendredi par mon collègue Alain Pellet. Je voudrais mettre en
exergue certains aspects de la géographie changeante à l’embouchure du fleuve.
53. En 1962, une commission mixte des limites Nicaragua-Honduras a établi le point
terminal du thalweg tel que celui-ci existait à l’époque. La figure 23 contient une image récente de
l’embouchure du fleuve Coco qui fait apparaître l’ét endue du déplacement en direction de la mer
du point terminal du thalweg depuis1962. Il s’ag it d’une image satellite qui a été soumise à la
Cour le mois dernier, l’image disponible la plus récente. Elle date de novembre2006. Le point - 62 -
rouge sur le fleuve indique le point terminal du thalweg en1962. En novembre2006, le point
terminal du thalweg s’était déplacé de plus de 2 kilomètres vers le nord et l’est. Le Honduras a
apparemment des difficultés face à cette réalité gé ographique. Ainsi que le Nicaragua l’a expliqué
dans sa réplique, la frontière maritime proposée pa r le Honduras dans son contre-mémoire traverse
le territoire nicaraguayen. Dans sa répli que, le Honduras a reconnu cet effet que produit la
frontière maritime qu’il propose et pr ie à présent la Cour d’établir une frontière maritime partant
d’un point situé du côté de la mer dans l’embouchure du Rio Coco (DH, p.125-127,
par. 8.02-8.06 ; et conclusion 2).
54. Dans la duplique, le Honduras ne parvient toujours pas à tenir compte de la géographie
de l’embouchure du Rio Coco. Ceci apparaît claire ment dans la ligne d’équidistance provisoire
qu’il présente dans la duplique. Le Honduras fait observer à cet égard que ladite ligne, «[en] raison
du caractère instable de l’embouchure du fleuve Coco, le segment initial constitue une ligne
d’équidistance simplifiée qui part du point étab li en1962 par la commission mixte et se poursuit
jusqu’au tripoint formé avec Babel Cay au Honduras et Edinburgh Cay au Nicaragua» (DH, p. 130,
par. 8.17).
55. Une partie dudit segment de la ligne d’équidistance provisoire du Honduras dans le
Rio Coco figure dans l’image satellite de l’embouchure du fleuve datant de novembre 2006. Cette
ligne d’équidistance, si tant est qu’on puisse l’appe ler ainsi, commence par le point terminal de la
frontière du côté des terres et traverse le territoie du Nicaragua. Il n’y a aucune justification à
adopter une pareille manière de procéder.
La direction générale de la frontière terrestre
56. Les Parties continuent à ne pas s’accorder sur la direction générale de leur frontière
terrestre commune. Le Nicaragua estime que la direc tion générale de la fron tière terrestre dans le
Rio Coco est approximativement une direction nord- est. Cette direction générale est indiquée sur
66 la figureII de la réplique et sur la figure24 projetée à l’écran. Cette direction générale est à peu
près la même que la direction générale Main Cape Channel qui donne accès au fleuve à partir de la
mer. - 63 -
57. Dans la duplique, le Honduras soutient que le fleuve Coco se dirige vers l’est lorsqu’il
approche de la côte (DH, p.108, par.6.05). Là encore, il s’agit d’un cas où le Honduras met
l’accent sur de la micro-géographie pour plaider sa cause. Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, il
s’agit du même cas lorsque le Honduras exprime s es vues sur les côtes pertinentes, le Honduras
mettant l’accent sur une portion courte des côtes c ontinentales à proximité du point terminal de la
frontière terrestre, et lorsque le Honduras attri bue un poids aux cayes dans la région délimitée.
S’agissant de la direction générale du Rio Co co, le Honduras s’intéresse à un petit segment du
fleuve lorsque celui-ci approche de la côte pour en déterminer la direction générale. Cette
approche micro-géographique est ensuite utilisée pour justifier une frontière maritime qui court en
direction de la mer sur une distance qui est beauc oup plus longue que ne l’ est le petit segment du
fleuve que le Honduras utilise pour dé terminer la direction générale de la frontière terrestre. La
portion de la frontière terrestre dont tient compte le Nicaragua pour déterminer la direction générale
est comparable en longueur à la frontière maritime entre le Nicaragua et le Honduras.
Le seuil nicaraguayen
58. Il reste un autre point sur lequel les Parties se trouvent à présent en désaccord, à savoir
l’importance qu’il convient de conférer au seuil nicaraguayen. La géographie du seuil
nicaraguayen a été décrite en détail dans le mémoire (MN, p.18, par.42-45). Le seuil
nicaraguayen constitue un prolongement naturel du territoire terrestre du Nicaragua et du
Honduras. Le Nicaragua soutient que le seuil ni caraguayen représente une circonstance pertinente
pour la délimitation entre les deux Parties (MN, p.131-133, par.14-21; RN, p.183-184,
par.9.20-9.25). A l’écran, nous avons de nouveau la figure qui montre les contours du seuil
nicaraguayen tel que représenté par les lignes de profondeur des eaux ⎯il porte à présent le
numéro 25. Le seuil nicaraguayen s’étend dans une direction nord-est. Cette orientation nord-est
du seuil nicaraguayen est conforme à la bissectrice que le Nicaragua considère comme constituant
une frontière équitable.
59. Le Honduras n’est pas d’accord avec les vues qu’exprime le Nicaragua sur le seuil
nicaraguayen. L’argument juridique qu’avance le Honduras pour récuser le seuil nicaraguayen en
tant que circonstance pertinente aux fins de la délimitation maritime sera examiné demain par mon - 64 -
imminent collègue IanBrownlie. S’agissant de la géographie du seuil nicaraguayen, la seule
critique qu’émet le Honduras est que le se uil nicaraguayen est d’une authenticité
67 géomorphologique contestable, le terme étant dans une large mesure nouveau (CMH, p.24,
para.2.22; DH, p.117, para.6.33). Hormis cette affirmation non étayée, le Honduras n’avance
aucun argument pour réfuter l’argumentation déta illée que le Nicaragua a développée dans son
mémoire au sujet de la géographie du seuil nicaraguayen.
60. Avant la présente procédure, le Honduras n’avait eu aucune difficulté à reconnaître
l’existence du seuil nicaraguayen et le fait que celui-ci revêtait une pertinence pour la délimitation
maritime entre le Nicaragua et le Honduras. Dans une note diplomatique adressée par le ministre
des affaires étrangères du Honduras au mini stre des affaires étrangères du Nicaragua
le 11 juillet 1995 (CMH, vol. 2, annexe 54), un certain nombre de paragraphes portaient sur le seuil
nicaraguayen. Loin de réfuter s on authenticité, la note affirmait la pertinence que revêtait le seuil,
cela en des termes sans ambiguïté (CMH, vol.2, a nnexe54, p.140). La note diplomatique ne
laisse apparaître qu’une seule divergence d’opini ons avec le Nicaragua en ce concerne le
rattachement du seuil aux côtes continentales des Parties, mais aucune divergence de vues n’y
apparaît quant à l’existence ou la pertinence du seuil aux fins de la délimitation maritime. La note
hondurienne se réfère notamment à «une réalité géomorphologique incontestable». La note relève
également que le territoire contin ental du Honduras domine le seuil nicaraguayen vers l’est et le
nord du parallèle que le Honduras revendique en tant que frontière maritime. Comme le démontre
la figure sur laquelle est représenté le seuil nicaraguayen, cette affirmation n’est pas corroborée par
la géographie. Le seuil nicaraguayen a une relation égale avec les côtes continentales des
deuxParties. Cette relation égale n’est pas re flétée par la ligne de 15°de latitude nord du
Honduras, qui attribue la majeure partie du seuil nicaraguayen au Honduras.
La pratique du Honduras et d’Etats tiers en matière de délimitation
61. Le dernier sujet dont je va is traiter aujourd’hui a trait à l’invocation par le Honduras de
traités de délimitation bilatéraux. Je ne vais pas m’arrêter sur la question des intérêts de parties
tierces pouvant être affectés par la ligne de délimit ation que la Cour est priée d’établir. Comme - 65 -
cela sera expliqué plus tard au cours de ce premier tour de plaidoiries du Nicaragua par mon
imminent collègue Alain Pellet, la ligne de délimitation que propos e le Nicaragua n’affecte pas les
droits des Etats tiers.
62. Dans son contre-mémoire, le Honduras invo que la pratique de délimitation dans les
Caraïbes occidentales à l’appui de sa ligne de 15° de latitude nord (CMH, p. 20-23, par. 213-2.20).
68 Dans sa réplique, le Nicaragua a procédé à une analyse détaillée de la thèse du Honduras (RN,
p. 34-48, par. 3.22-3.54). La conclusion qui en a été tirée est qu’aucun des traités invoqués par le
Honduras ne vient à l’appui de la thèse selon laqu elle le Nicaragua a accepté le parallèle de
14°59'48" de latitude nord en tant que frontiè re maritime avec le Honduras (RN, p.34-40,
par.3.22-3.37). Les traités bilatéraux de délimita tion ne viennent pas non plus au soutien de la
thèse hondurienne selon laquelle le recours à un parall èle aboutit à une délimitation équitable dans
le cas du Nicaragua et du Honduras (RN, p. 40-44, par. 3.38-3.44). Dans la réplique, la conclusion
est également que l’analyse de la pratique régionale démontre que les exemples invoqués par le
Honduras viennent plutôt à l’appui de la méthode de délimitation proposée par le Nicaragua (RN,
p. 44, par. 3.44).
63. Le contre-mémoire donne aussi à penser que l’approche de votre Cour et d’autres
tribunaux, s’agissant de traités bilatéraux d’Etats ti ers, implique que lesdits traités peuvent avoir
des conséquences pour un Etat qui n’est pas partie aux traités (CMH, p. 23, par. 2.20). La réplique
traite également de ce point (RN, p. 45-48, par. 3.45-3.54) et aboutit à la conclusion selon laquelle
ces accords impliquant des Etats tiers ou une des parties à un litige ne sauraient conduire à ignorer
la géographie d’une affaire au dé triment de la partie adverse (RN, p.47-48, par.3.54). Comme
nous l’avons déjà relevé, la Cour dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord a
adopté une démarche tout à fait opposée à celle que propose le Honduras (RN, p.46,
par. 3.48-3.49).
64. La duplique ne revient pas sur la thèse form ulée dans le contre-mémoire au sujet de la
pertinence des accords de délimitation conclus dans la région ou ailleur s. Il n’est donc plus besoin
d’examiner cette question plus avant pour le moment. Le seul point qu’il me reste à relever a trait à
l’arbitrage qui a récemment eu lieu dans une affa ire entre les Barbades et Trinité et Tobago
[Barbados v. Trinidad and Tobago] . Au cours dudit arbitrage, le tribunal a examiné un argument - 66 -
avancé par Trinité et Tobago, à savoir qu’il devait tenir compte d’autres délimitations intervenues
dans la région. Le tribunal a rejeté ce point de vue, sauf dans la mesure où une autre délimitation
pourrait avoir défini la limite de la zone revendiquée par une d es parties à la procédure (dans
Matter of an Arbitration between Barbados and the Republic of Trinidad and Tobage
(Barbados/Trinidad and Tobago)), sentence du tribunal (11 avril 2006), p. 104-105, par. 344-349).
Cette conclusion corrobore la position du Nicaragua selon laquelle les traités bilatéraux d’Etats
tiers ou du Honduras avec des Etats tiers sont res inter alias acta pour le Nicaragua. En outre, dans
le cadre de la présente affaire, la conclusion de la sentence implique également que le parallèle de
14°59'48" de latitude nord déte rmine la limite de la zone revendiquée par le Honduras. Le
Honduras a conclu un accord de délimitation avec la Colombie qui est fondé sur le parallèle en tant
que frontière.
Conclusions
69
65. A la fin de mon exposé sur la géographie de la délimitation maritime, une chose doit être
devenue claire: il y a une différence frappante da ns les perspectives géographiques définies par
l’une et l’autre Parties. Le Honduras cherche à attirer l’attenti on de la Cour exclusivement sur les
côtes continentales des Parties à proximité immédiate du fleuve Coco et des cayes situées au large
de l’embouchure du fleuve. Le Honduras écarte toute la géographie qui n’est pas à proximité
directe de l’embouchure du fleuve.
66. La géographie, manifestement, n’es t d’aucun secours pour la cause hondurienne. Une
carte qui montre les côtes continentales du Nicaragua et du Honduras fait apparaître
immédiatement deux choses. Toutes les îles de la zone à délimiter sont sans importance
comparativement à ces côtes continentales. Egalement important est le fait que la côte continentale
du Honduras fait face pratiquement plein nord et la côte continentale du Nicaragua fait face à l’est.
Il en résulte que les côtes continentales du Nicar agua et du Honduras forment un angle aigu. Une
frontière maritime équitable entre le Nicara gua et le Honduras doit refléter ces réalités
géographiques. Le Nicaragua sou tient que la méthode de la biss ectrice permet de parvenir à ce
résultat. Madame le président, ceci met fin à mon exposé. Je vous remercie ainsi que les autres
membres de la Cour de votre aimable attention. - 67 -
Le PRESIDENT : Je vous remercie infiniment, M. Oude Elferink. Ceci met fin à l’audience
d’aujourd’hui. La Cour se réunira de nouveau de main à 10 heures pour la suite des plaidoiries du
Nicaragua. L’audience est levée.
L’audience est levée à 13 h 30.
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