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CR 2006/54 (traduction)
CR 2006/54 (translation)
Lundi 18 décembre 2006 à 10 heures
Monday 18 December 2006 at 10 a.m. - 2 -
8 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se réunit
aujourd’hui pour entendre, en application du para graphe3 de l’article74 de son Règlement, les
observations orales des Parties concernant la de mande en indication de mesures conservatoires
présentée par la République orientale de l’Uruguay en l’affaire relative à des Usines de pâte à
papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay.)
M. le juge Parra-Aranguren a informé la Cour que, pour des raisons médicales, il est
empêché de siéger pendant la durée des présentes a udiences. M. le juge Tomka ne sera pas sur le
siège pendant la durée des présentes audiences.
La Cour ne comptant pas de juge de la nati onalité de l’une ou l’autre Parties, celles-ci ont
toutes deux usé de la faculté que leur confère l’ar ticle 31 du Statut de la Cour de désigner un juge
ad hoc. M. le juge Santiago Torres Bernárdez, désigné par la République orientale de l’Uruguay, et
M. le juge Vinuesa, désigné par la République ar gentine, ont tous deux été dûment installés le
8 juin 2006 en tant que juges ad hoc en l’affaire.
*
* *
L’instance a été introduite le 4 mai 2006 par le dé pôt au Greffe de la Cour d’une requête de
la République argentine contre la République or ientale de l’Uruguay pour violation alléguée par
celle-ci des obligations qui lui incombent en vertu du statut du fleuve Uruguay, signé par
l’Argentine et l’Uruguay le 26février1975 et en tré en vigueur le 18septembre1976. Selon la
requête de l’Argentine, cette violation découle de «l’autorisation de construction, [de] la
construction et [de] l’éventuelle mise en service de deux usines de pâte à papier sur le fleuve
Uruguay» et en particulier «des effets desdites activités sur la qualité des eaux du fleuve Uruguay
et sa zone d’influence».
L’Argentine invoque pour fonder la compétence de la Cour le paragraphe 1 de l’article 36 du
Statut de la Cour et le premier a linéa de l’article60 du statut du fleuve Uruguay. Aux termes de
cette disposition, tout différend concernant l’interprétation ou l’a pplication du statut de1975 «qui - 3 -
9 ne pourrait être réglé par négociation directe peut êt re soumis par l’une ou l’autre des Parties à la
Cour internationale de Justice».
Le 4 mai 2006, immédiatement après le dépôt de la requête, l’agent de l’Argentine a déposé
une demande en indication de mesures conservatoires en application de l’article 41 du Statut de la
Cour. Par ordonnance en date du 13 juillet 2006, la Cour a dit que «les circonstances, telles
qu’elles se présent[ai]ent [alors] à la Cour, n’[éta ient] pas de nature à exiger l’exercice de son
pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article41 du Statut». Par une
ordonnance datée du même jour, la Cour fixa au 15 janvier 2007 la date d’expiration du délai pour
le dépôt du mémoire de l’Argentine et au 20 juille t 2007 la date d’expiration du délai pour le dépôt
du contre-mémoire de l’Uruguay.
Le 29 novembre 2006, se prévalant de l’article 41 du Statut de la Cour et de l’Article 73 du
Règlement de celle-ci, le Gouvernement de l’Ur uguay a, à son tour, présenté à la Cour une
demande en indication de mesures conservatoir es. L’Uruguay évoque dans sa demande la
nécessité urgente de «protéger les droits de l’Urugua y en cause dans la présente instance contre un
préjudice imminent et irréparable et d’éviter que le différend ne s’aggrave».
L’Uruguay explique que, le 20 novembre 2006, «[d]es groupes organisés de citoyens
argentins ont mis en place des barrages sur un pont international d’importance vitale qui enjambe le
fleuve Uruguay, interrompant ainsi toute circula tion, à des fins commerciales ou touristiques de
l’Argentine vers l’Uruguay», que «le blocage [est pr évu pour la durée des] trois prochains mois au
moins», et que cela «privera [l’Uruguay] de centaines de millions de dollars de recettes
commerciales et touristiques». L’Uruguay ajoute que ce n’est pas la première fois que l’Argentine
procède de manière illicite au blocage de ponts internationaux dans le cadre du présent différend, et
que les dommages économiques que l’Uruguay a subis jusqu’à ce jour «en raison des blocages sont
considérables». L’Uruguay affirme que «[l]e but déclaré de ce blocage est de contraindre
l’Uruguay à accéder à l’exigence de l’Argentine tendant à ce qu’il soit mis un terme définitif à la
construction de l’usine de pâte à papier Botnia, objet de la présente affaire, et à empêcher que
l’usine n’entre un jour en service». L’Urugua y soutient à cet égard que le «le Gouvernement
argentin n’a pris aucune mesure pour interdire ces nouveaux barrages et il est à craindre qu’il n’ait
aucunement l’intention d’user des moyens dont il dispose en tant qu’Etat souverain pour assurer - 4 -
leur levée.» L’Uruguay conclut, par conséque nt, que «[l]a responsabilité internationale de
l’Argentine concernant ces barrages … est manifeste».
10 Selon l’Uruguay, le droit qu’il cherche à faire valoir par sa demande est «celui de poursuivre
la construction et la mise en service de l’usine Botnia, dans le respect des normes
environnementales établies en vertu de l’accord b ilatéral connu sous le nom de statut du fleuve
Uruguay», en attendant que la Cour se prononce su r le fond de la présente affaire. L’Uruguay
prétend également qu’il «a droit à ce que le présen t différend soit réglé par la Cour en vertu de
l’article60 [du statut de 1975], et non par d es actes unilatéraux de l’Argentine, à caractère
extrajudiciaire et coercitif» et que «la conduite de l’Argentine constitue une violation flagrante des
obligations qui incombent à celle-ci en tant que pa rtie à une procédure devant la Cour. En cette
qualité, elle doit s’abstenir de tout acte ou om ission susceptible de causer un préjudice irréparable
aux droits que fait valoir l’Uruguay et sur lesquels la Cour est appelée à se prononcer». L’Uruguay
affirme en outre que, par sa conduite, l’Argen tine «méconna[î]t ouvertement l’ordonnance du
13 juillet 2006 par laquelle la Cour encourage les Part ies «à s’abstenir de tout acte qui risquerait de
rendre plus difficile le règlement du présent différend»».
A la fin de sa demande, l’Uruguay indique qu ’il «préférerait vivement voir cette question
réglée par la voie diplomatique et de manière amiable entre les deux Parties». Il poursuit en
expliquant que ce qu’il cherche à obtenir de l’Argentine, c’est que celle-ci «s’engage à faire cesser
le blocage en cours et à empêcher tout nouv eau blocage à l’avenir, et se conforme à cet
engagement». L’Uruguay ajoute : «Si l’Argentine prend un tel engagement, l’Uruguay l’acceptera
volontiers et ne verra plus la nécessité d’une inte rvention judiciaire, ni des mesures conservatoires
sollicitées ici. En pareil cas, l’Uruguay retirera sans hésitation la présente demande.»
Je demande maintenant au greffier de bien vouloir donner lecture du passage de la demande
dans lequel sont énoncées les mesures conservatoir es que le Gouvernement de l’Uruguay prie la
Cour d’indiquer.
Le GREFFIER :
«Pour les motifs qui précèdent, l’Uruguay prie respectueusement la Cour
d’indiquer, dans l’attente d’un règlement définitif sur le fond de la présente affaire, les
mesures conservatoires suivantes : - 5 -
En attendant l’arrêt définitif de la Cour, l’Argentine :
i)prendra toutes les mesures raisonnables et appropriées qui sont à sa
disposition pour prévenir ou faire cesser l’interruption de la circulation entre
l’Uruguay et l’Argentine, notamment le blocage de ponts et de routes entre
les deux Etats ;
ii) s’abstiendra de toute mesure susceptible d’aggraver ou d’étendre le présent
différend ou d’en rendre le règlement plus difficile ; et
11 iii) s’abstiendra de toute autre mesure su sceptible de porter atteinte aux droits de
l’Uruguay qui sont en cause devant la Cour.»
Le PRESIDENT: Immédiatement après le dépôt de la demande en indication de mesures
conservatoires, le greffier, conformément au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement de la Cour,
en a fait tenir une copie certifiée conforme au Gouvernement argentin. Il en a également informé le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
Par lettres datées du 29 novembre 2006, le greffier a informé les Parties que la Cour avait, en
application du paragraphe3 de l’article74 de son Règlement, fixé au 18 décembre 2006 la date
d’ouverture de la procédure orale.
Le 14 décembre 2006, l’Uruguay a transmis à la Cour un volume de documents concernant
la demande en indication de mesures conser vatoires intitulé «Observations of Uruguay»
[observations de l’Uruguay]. Copie desd its documents a été immédiatement envoyée à
l’Argentine.
Je constate la présence devant la Cour des deux ag ents et des conseils des deux Parties. La
Cour entendra l’Uruguay, qui a présenté la demande en indication de mesures conservatoires, ce
matin jusqu’à 13 heures. Elle entendra l’Argentine cet après-midi à partir de 15 heures. Aux fins
de ce premier tour de plaidoiries, chacune des Parties disposera d’une séance entière de trois
heures. Les Parties auront ensuite la possibilité de répliquer, si elles estiment cela nécessaire:
l’Uruguay aura la parole demain à 10 heures et l’Ar gentine prendra à son tour la parole à 16 h 30.
Chacune des Parties disposera d’un maximum de deux heures pour présenter sa réplique.
Avant de donner la parole à S. Exc.M. Héct or Gros Espiell, agent de l’Uruguay, je vais
relire le texte réce mment révisé de l’instruction de pro cédureXI sur lequel je voudrais appeler
l’attention des Parties : - 6 -
«Dans leurs exposés oraux sur les demandes en indication de mesures
conservatoires, les parties devraient se limiter aux questions touchant aux conditions à
remplir aux fins de l’indication de mesures conservatoires, telles qu’elles ressortent du
Statut, du Règlement et de la jurisprudence de la Cour. Les parties ne devraient pas
aborder le fond de l’affaire au-delà de ce qui est strictement nécessaire aux fins de la
demande.»
Excellence, vous avez maintenant la parole.
12 Mr. GROS ESPIELL:
1. Madam President, Members of the Court, in appearing today before the International
Court of Justice on the occasion of these hearings on the request for provisional measures filed by
Uruguay in the case concerning Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay), I wish,
in my capacity as Agent of Uruguay, to reiterate wh at I said in this very chamber on 8 June 2006,
and to salute and pay respectful tribute to the In ternational Court of Justice, the principal and
august judicial organ of the United Nations, and to all its Members, the judges who collectively
represent the world’s great civilizations and principal legal systems.
2. We are today seeking the Court’s assistance because Uruguay faces a serious
emergency ⎯ a crisis due to the blockading of its bri dges. The three international bridges built
jointly by Uruguay and Argentina to strengthen the social, economic and political ties between the
two countries are on the contrary being used, in vi olation of international law, to exert extreme
pressure against Uruguay.
3. These acts have a single and unique purpose: to force Uruguay to halt the construction
and withdraw the authorizations for the Botnia mill. Those responsib le have acknowledged
publicly and repeatedly that the purpose of the bl ockades is to force Uruguay to abandon the plant
and that they will remain in place as long as is necessary, until Uruguay gives in.
4. Uruguay is not appearing today before the Court in order to complain about economic
losses or the rights to freedom of trade or freedom of movement which are infringed by the
blockades. On the contrary, Uruguay has come be fore the Court because the blockades violate and
threaten irreparable harm to very rights defended by Uruguay in this case: first, the right to have
the merits of the case determined by judicial means in accordance with Article60 of the
1975Statute; and secondly, pending a final decision by the Court, the right to continue building - 7 -
the Botnia plant without the need to obtain Ar gentina’s prior consent, in accordance with the
1975 Statute of the River Uruguay and the Order rendered by the Court on 13 July.
5. The explicit purpose of the blockades is to force Uruguay to abandon these rights.
13 6. Thus, Uruguay is appearing before the Court because Argentina’s behaviour constitutes an
aggravation of the dispute and undermines the administration of justice.
7. Regrettably, because of Argentina’s be haviour, Uruguay has been forced to seek the
Court’s assistance, although this is not the most a ppropriate moment to do so, because all its other
efforts to safeguard and protect its rights have failed. Uruguay obtained a judgment from an ad hoc
Tribunal of Mercosur, declaring that Argentina is responsible for violating the provisions of the
Treaty of Asunción, but that Tribunal did not rule on future events.
8. Uruguay has informed Argentina, by diplomatic Note, that the blockades violate its rights
that are the subject of the proceedings before this Court, that they contravene Argentina’s
obligations as a party to a case which it has itself br ought before the Court, and that they constitute
an aggravation of the dispute.
9. We have responded favourably to the proposed intermediation by His Majesty the King of
Spain in the dispute concerning the pulp mills. We are still quite prepared to engage in dialogue
and negotiation with Argentina, as we have said on numerous occasions. But we have also
emphasized that no bona fide negotiation is possibl e if there is undue pressure against passage of
the blockades.
10. As I pointed out at the hearing on 8 June 2006 concerning the request for the indication
of provisional measures filed by the Argentin e Government, Uruguay wishes to emphasize and
reiterate its firm and steadfast commitment to fu ll and comprehensive respect for the environment,
in rigorous compliance with international law, in the same way as when it exercises its own right to
development.
11. Let me emphasize today that this rela tionship between envir onment and development
was addressed by the Court in highly laudable terms in paragraph 80 of its Order of 13 July 2006.
* - 8 -
14 12. It is on the basis of Article41 of the Statute of the Court and Articles73 et seq. of the
Rules of Court that Uruguay has requested the Inte rnational Court of Justice to adopt provisional
measures, in order to safeguard its rights and to put an end to the repeated violations to which it is
subjected.
13. It also takes into account the Order of 13 July 2006, which it has scrupulously and fully
upheld and respected.
14. The request for the indication of provisional measures submitted by Uruguay to the Court
has become necessary in order to put an end to the violation of Uruguay’s rights sub judice and to
prevent an aggravation of the situation before the Court rules on the merits of the case before it.
15. Uruguay has had to confront and still confronts a gravely urgent situation of economic
suffocation, placing pressure on it to abandon construction of the Botnia pulp mill.
*
16. I have already referred to this situation during the hearings on 8 and 9June2006, in
terms which I feel the need to repeat today.
17. In particular, on 8 June, I stated:
“Regrettably, the Argentine Government has failed to prevent the blockade of
the international bridges between Argentina and Uruguay. This has curtailed freedom
of communication and circulation between the two countries.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
The blockade, the result of a failure to act on the part of the Argentine
Government, in violation of international la w, has aggravated the existing dispute and
has ramifications for the Court’s considera tion of the provisional measures requested
by Argentina for the suspension of work on the mills.”
18. This situation, the result of the blockading of the roads and bridges, was unanimously
considered a violation of international law in th e decision handed down by an arbitral tribunal on
6 September 2006. - 9 -
15 19. After the Court’s Order of 13July2006, the situation created by the blocking of roads
and bridges has worsened and become more wide spread, particularly in recent weeks, leading
today to a situation which can be described as a blockade, an almost total blockade at times.
*
20. The blocking of international roads and bridges by groups of persons acting without
check by the competent Argentine au thorities, whose duty it is to prevent violation of the law, is a
matter directly, intimately and indissociably related to the subject-matter of the case before the
Court.
21. As in the case of the provisional measures requested by Argentina, the Court has prima
facie jurisdiction to consider Uruguay’s request, in accordance with the terms of paragraphs57
to 59 of its Order of 13 July 2006.
22. The blocking of roads and bridges, which is carried out by groups of individuals and is
the consequence of failures by the Argentine Government, is causing current, serious and
irreparable prejudice to Uruguay’s rights.
23. In paragraph 62 in its Order of 13 July, the Court specified that:
“the power of the Court to indicate provisional measures to maintain the respective
rights of the parties is to be exercised onl y if there is an urgent need to prevent
irreparable prejudice to the rights that are th e subject of the dispute before the Court
has had an opportunity to render its decision”.
24. Uruguay considers that the prejudice to whic h it is subjected is not only serious but also
irreparable, and that the adoption of provisional measures is an urgent necessity.
25. Uruguay also considers that the Arge ntine Government’s failure to take action
concerning the blockades destroys the very subject-matter of the pending dispute and pre-empts the
Court’s judgment on the merits, apart from being liable to aggravate the dispute. For these reasons,
16 too, relying on your jurisprudence, Uruguay requ ests this august Court to indicate appropriate
provisional measures.
* - 10 -
26. There can be no legitimate justification fo r the Argentine Government failing in its duty
to prevent the blockading of the roads and bridges between Argentina and Uruguay.
27. Leaving aside the question of any conflict between the duty of prevention and the right to
demonstrate ⎯ but without forgetting, either, that the right to demonstrate can be exercised only
within the law and not against the law ⎯ I should like to emphasize that a very different attitude
has been adopted by the Argentine authorities in other situations: this consists in not preventing the
blockading of the roads and bridges linking Uruguay to Argentina, while using the police and
armed forces to prevent the blockading of other internal roads, in other parts of Argentine territory.
*
28. Uruguay’s rights ⎯ the actual subject-matter of the case before the International Court of
Justice ⎯ have been violated in a serious and unaccep table manner. In order to safeguard these
rights, it is urgently necessary to take provisiona l measures capable of preventing this serious and
irreparable prejudice from being perpetuated.
*
29. The blockading of roads and bridges has seriously and conspicuously aggravated the
existing dispute. The blockading of the roads leading to the River Uruguay and of the bridges over
the river seriously and irreversibly undermines Uruguay’s rights.
30. Indeed, these blockades not only have extremely negative consequences for the
Uruguayan economy, not only do they violate the right to enter and leave Argentine territory, thus
preventing freedom of movement, but they also ha ve adverse repercussions on the construction of
the pulp mills which Uruguay is entitled to have built and brought into operation in accordance
17 with the requirements of the 1975 Statute, on the b asis of respect for the environment and its right
to development.
31. These blockades constitute an attempt to prevent Uruguay from carrying on with the
ordinary business of building pulp mills in its territo ry, which is its right. They therefore have a
direct and immediate effect on the very subject-matter of the case before the Court. - 11 -
*
32. As the Court emphasized in its Order of 13July2006, good faith is a fundamental
principle of international law, which each of the Parties to this dispute is bound to uphold.
33. Uruguay has acted and continues to act in full and complete good faith.
*
34. After my statement, my distinguished colleague Professor Alan Boyle will take the floor.
35. He will be followed by Professor Luigi Condorelli.
36. With these final remarks, I would request you, Madam President, to give the floor to
Professor Boyle. Thank you very much.
Le PRESIDENT: Je remercie l’ambassadeur de la République de l’Uruguay pour son
exposé et j’invite M. Boyle à prendre la parole.
M. BOYLE :
1. Madame le président, Messieurs les membres de la Cour, c’est un honneur et un privilège
que de me présenter devant vous une nouvelle fo is au nom de la République orientale de
l’Uruguay. L’Uruguay regrette profondément que la présente procédure ait dû être engagée. Il ne
souhaite nullement accabler la Cour avec de nouvelles audiences, surtout à cette époque de l’année,
mais le comportement que l’Argentine a suivi de puis la décision que la Cour a rendue le 13 juillet
ne lui laisse pas d’autre solution. A cette occasi on, la Cour avait refusé d’indiquer les mesures
18 conservatoires que l’Argentine avait demandées . Le 21novembre, l’Agence multilatérale de
garantie des investissements de la Banque mondial e et la Société financière internationale ont
toutes deux approuvé le financemen t de l’usine de pâte à papier Botnia, à la construction de
laquelle l’Argentine a vainement tenté de s’oppo ser par sa demande du mois de juin dernier.
Depuis ce jour, et en réaction directe aux décisions de la Banque mondiale, des manifestants
argentins perturbent considérablement les échanges et la circulation entre l’Uruguay et l’Argentine
en bloquant les troisponts enjambant le fleuve Uruguay. Les manifestants réclament uniquement
que cesse la construction de l’usine de pâte à papier Botnia. Ils menacent de continuer à empêcher - 12 -
la circulation sur les ponts jusqu’à ce que le pr ojet Botnia soit abandonné. Ces trois ponts, qui
constituent une initiative commune entre l’Uruguay et l’Argentine, revêtent une grande importance
pour les deux pays du point de vue économique et so cial. Ils symbolisent des relations fraternelles
et une coopération qui n’ont malheureusement plus cours.
2. Comme vous l’a dit M. Gros Espiell, les tentatives faites en vue de parvenir à une solution
diplomatique n’ont pas abouti. Il n’existe aucune raison justifiant que l’Uruguay renonce à l’usine
Botnia. Son offre de retirer cette demande de mesures conservatoires si le blocage des ponts est
levé n’a reçu aucune réponse de la part de l’Argentine. Vous entendrez aussi évoquer ce matin une
sentence arbitrale dans laquelle il a été conclu à l’unanimité que de précédents barrages, mis en
place plus tôt dans l’année, allaient à l’encontre des obligations incombant à l’Argentine dans le
cadre du Mercosur. Le tribunal en question a conclu qu’il ne pouvait se prononcer à l’égard
d’éventuels barrages à venir et la sentence arbitr ale n’a eu absolument aucune incidence sur le
comportement suivi depuis par l’Argentine.
3. Madame le président, l’Uruguay a épuisé toutes les autres possibilités avant de revenir
devant vous, mais il doit faire face aujourd’hui à un e menace très grave qui vise spécifiquement sa
capacité à exercer ses droits, conformément au statut du fleuve Uruguay de 1975, à l’égard de
l’usine de pâte à papier Botn ia, et c’est pour protéger ces droits que l’Uruguay demande
aujourd’hui à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires.
4. Il y a maintenant quatre semaines environ que le blocage des ponts a débuté. Il semble
devoir se poursuivre de manière indéfinie tout au long de l’été et au-delà. Le coordonateur des
blocages aurait déclaré que: «Si…la Banque mondi ale approuve le financement, les gens sont
prêts à s’installer à demeure sur la route… [N]ous allons y passer tout l’été et tout le temps qu’il
faudra» pour obtenir la fermeture de l’usine Botnia 1. C’est un été fort ennuyeux qui les attend.
Bien qu’un seul pont soit complètement bloqué à l’heure actuelle, les deux autres ont également été
19 fermés de manière sporadique par des manifestants hostiles à l’usine. Il existe clairement une
menace de blocage des trois ponts. Le pr ésident argentin et d’autres membres de son
gouvernement ont publiquement refusé d’avaliser toute mesure destinée à lever ou à limiter les
1
Annexe 18 (déclaration de Gustavo Rivollier, «Los créditos del BancMundial amenazan con elevar la
tensión», La Nación (21 novembre 2006)). Voir également document 6 : observations, 24 novembre 2006. - 13 -
barrages, l’Argentine n’ayant pourtant eu aucun problème à contrôler d’autres barrages routiers
quand bon lui semblait. Le président Kirchner a déclaré que le Gouvernement argentin ne prendrait
aucune disposition à l’encontre des barrages et, je le cite : «rien ne sera fait pour réfréner nos frères
de Gualeguaychú» , qui sont les auteurs du principal barra ge. Son ministre de l’intérieur,
M. Anibal Fernandez, a tenu des propos similair es, déclarant que le gouvernement ne mettrait pas
lui-même un terme aux protestations de Gualeguaychú 3. Les manifestants ne peuvent que se sentir
encouragés par cette attitude et ils la prennent po ur ce qu’elle est: une autorisation de poursuivre
les barrages.
5. Par suite des barrages, les échanges commerciaux et la circulation, notamment touristique,
entre les deux pays ont été très gravement perturb és. Les manifestants ont menacé à plusieurs
occasions de se livrer à des actes de violence ou de vandalisme contre des biens 4. Cette tentative
d’asphyxier l’économie uruguayenne risque réelle ment de se poursuivre jusqu’à ce que la Cour
rende une décision sur le fond de la présente af faire, à moins que l’Argentine ne puisse être
persuadée de renouer des relations normales et pacifiques avec l’Uruguay.
6. C’est la première fois que la Cour est saisie d’une affaire dans laquelle un Etat a eu
recours à des contre-mesures illicites et à la co ercition économique pour servir ses objectifs tandis
qu’une instance introduite par lui demeurait pendante devant la Cour. Au mois de juin, l’Argentine
a sollicité des mesures conservatoires de la Cour. Elle lui a demandé d’ordonner la suspension de
toutes les autorisations octroyées pour les usines de pâte à papier Botnia et ENCE, ainsi que la
suspension des travaux de construction de l’usine Bo tnia. Suivant en cela les Parties, la Cour a
conclu qu’elle était compétente prima facie en vertu de l’article 60 du statut du fleuve Uruguay de
5
1975 ; elle a toutefois refusé d’accorder des mesure s conservatoires. L’Argentine n’est en effet
pas parvenue à démontrer que, dans l’attente d’audiences sur le fond, la poursuite de la
construction et le maintien des autorisations con cernant les usines créaient un risque de préjudice
irréparable pour elle, pour le fl euve Uruguay ou pour les droits de nature procédurale qu’elle tient
2Annexe 23, Diario Epoca, 22 novembre 2006. Voir également document 4, Clarin, 23 novembre 2006.
3
Document 10, observations, 28 novembre 2006. Voir également document 11.
4Document 8, p. 12, 26 novembre 2006. Voir également document 17, Ultimas Noticias, 4 décembre 2006.
5Annexe 1. - 14 -
20 du statut de 1975. Enfin, la Cour a également exhorté les deux Parties «à s’abstenir de tout acte qui
6
risquerait de rendre plus difficile le règlement du présent différend» .
7. Par cette décision — ainsi qu’expressément e nvisagé par la Cour au paragraphe 78 de son
7
ordonnance — l’Uruguay était libre de poursuivre la construction et de maintenir l’autorisation des
usines Botnia et ENCE. L’Uruguay devait prendr e le risque d’une décision défavorable sur le
fond, mais d’ici là, l’Argentine ne pouvait pas légalement bloquer la poursu ite de la construction
des usines. Madame le président, Messieurs les me mbres de la Cour, au mois de juin, l’Argentine
cherchait à protéger ce qu’elle affirmait être ses droits au titre du statut de1975. Aujourd’hui,
l’Uruguay adresse la même demande à la Cour sur la même base. En particulier, l’Uruguay tient à
protéger, premièrement, son droit à ce que le fond du différend fasse l’objet du règlement judiciaire
prévu à l’article 60 du statut de 1975 et, deuxièmem ent, son droit, dans l’attente d’une décision
finale de la Cour, de poursuivre la construction de l’usine Botnia sans le consentement préalable de
l’Argentine, conformément au statut de 1975 et à l’ordonnance rendue par la Cour le 13 juillet.
8. Dans l’affaire du génocide, la Cour a souligné qu’elle «ne devrait pas indiquer de mesures
tendant à protéger des droits contestés autres que ceux qui pourraient en définitive constituer la
base d’un arrêt rendu dans l’exercice de la compétence» ( Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (B osnie-Herzégovine c.Yougoslavie), mesures
conservatoires, ordonnance du 8avril1993, C.I.J. Recueil 1993, p.19, par.35). Les droits que
l’Uruguay cherche à protéger ici sont intimement li és à l’interprétation et à l’application du statut
de 1975 ainsi qu’à l’ordonnance de la Cour du 13juillet. Les mesures sollicitées par l’Uruguay
sont en connexité directe avec ces droits. Elles visent uniquement «à sauvegarder l’objet du
différend et l’objet de la demande principa le elle-même» (affaire concernant la Réforme agraire
o
polonaise et minorité allemande, ordonnance du 29juillet 1933, C.P.J.I.série A/B n 58, p. 178).
En tant que telles, elles ne sont pas dépourvues de lien avec la demande principale, contrairement à
6 Ordonnance du 13 juillet 2006, par. 82.
7
«Considérant que, en maintenant l’autorisation et permettant la poursuite dela construction des usines,
l’Uruguay assume nécessairement l’ensemble des risques liés à toute décision au fond que la Cour pourrait rendre à un
stade ultérieur ; que la Cour relève que la construction des usines sur le site act uel ne peut être réputée constituer un fait
accompli car, ainsi qu’elle a déjà été amenée à le souligner, «s ’il est établi que la construction d’ouvrages comporte une
atteinte à un droit, on ne peut ni ne doit exclure à priori la possibilité d’une décision judiciaire ordonnant soit de cesser les
travaux soit de modifier ou démanteler les ouvrages»Passage par le Grand-Belt (Fin lande c.Danemark), mesures
conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 19, par. 31).» - 15 -
certaines des mesures demandées dans l’affaire du génocide (C.I.J. Recueil 1993, p. 35, par. 36) ou
dans l’affaire Lockerbie (Questions d’interprétation et d’ application de la convention de Montréal
de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerb ie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni),
C.I.J. Recueil 1992, par.25), pas plus qu’elles ne se rappor tent à quelque différend subsidiaire ou
question complètement distincte, contrairement à certaines des mesures sollicitées dans l’affaire
21 Guinée-Bissau (Sentence arbitrale du 31juillet1989 (Guinée-Bissau cS . énégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 2mars1990), C.I.J.Recueil1990, p. 69-70, par. 25-26), qui avait
trait à la pêche illicite et non à la validité de sentence arbitrale. L’Urug uay soutient que, si la
Cour était compétente prima facie pour rendre l’ordonnance du 13juillet, elle est compétente
prima facie à l’égard des questions qui lui sont soumises aujourd’hui.
9. Par sa demande, l’Uruguay cherche égalemen t à obtenir que l’Argentine n’aggrave pas le
différend par une atteinte à une bonne administratio n de la justice. L’Uruguay entend exposer que
le recours par l’Argentine à un usage illicite de la force vise à empêcher l’application de
l’ordonnance rendue par la Cour le 13 juillet dernier ainsi que le rè glement judiciaire du différend,
prévu à l’article 60 du statut de 1975. Dans les circonstances uniques qui sont celles de la présente
demande, l’attitude de l’Argentine constitue un outrage à la Cour justifiant l’indication de mesures
conservatoires. Toute partie à un différend soumis à la Cour est tenue de respecter les arrêts et
ordonnances rendus par celle-ci et de ne pas entraver la procédure judiciaire.
10. Madame le président, Messieurs de la Cour, l’Uruguay présentera ce matin quatre
conclusions à l’appui de sa demande en indication de mesures conservatoires. Premièrement,
l’Argentine est juridiquement responsab le des barrages actuellement en place ⎯ ceux-ci ne sont
pas le simple fait de manifestants qui auraient d écidé de s’amuser, mais le résultat de décisions
prises au plus haut niveau du Gouvernement argen tin dans le but d’empêcher l’Uruguay d’exercer
ses droits en cause dans la présente espèce. Deuxièmement, et par voie de conséquence, des
mesures conservatoires sont nécessaires afin d’ empêcher le préjudice irréparable au droit de
l’Uruguay à un règlement judiciaire, prévu à l’article60 du statut du fleuve Uruguay.
Troisièmement, ces mesures conservatoires permettront ég alement de préserver le droit, reconnu à
l’Uruguay par le statut susmentionné et par l’or donnance du 13juillet, de maintenir l’autorisation
de construction et la constructi on de l’usine Botnia en attendant que la Cour se prononce sur le - 16 -
fond du différend. Et enfin, quatrièmement, ces mesures conservatoires permettront d’éviter que
l’aggravation et l’extension du différend en travent le bon fonctionnement de la justice ⎯ ou, si je
puis me permettre d’être plus direct: elles em pêcheront l’Argentine de recourir à des moyens
illicites dans le but de contrer l’ordonnance rendue le 13juillet dans le cadre de la demande en
indication de mesures conservatoires de l’Argen tine. Mon éminent collègue, M.Condorelli, vous
présentera les deuxpremiers points et je me penche rai sur les troisième et quatrième. Mais, tout
d’abord, permettez-moi de présenter dans les gra ndes lignes les circonstances qui ont donné lieu à
cette demande peu habituelle, avant de donner la parole à M. Condorelli.
22 11. La gravité du blocage actuellement imposé à l’Uruguay par son voisin peut être
immédiatement appréhendée par le biais des trois cartes figurant dans vos dossiers. Sur la première
carte, vous verrez qu’une portion de 579kilomètres du fleuve Uruguay, ainsi que son estuaire, le
Rio de la Plata, qui se jette dans l’Atlantique sud, constituent l’ensemble de la frontière entre
l’Uruguay et l’Argentine. La deuxième carte mont re que cette frontière peut être franchie par voie
routière ou ferrée à seulement trois endroits : pr emièrement, par le pont international Represa Salto
Grande, reliant Concordia, en Argentine, à Salto, en Uruguay; deuxièmement, par le pont
international du General Artigas, reliant Colon, en Argentine, à Paysandú, en Uruguay; et, enfin,
par le pont international du General San Martín, reliant Gualegaychú, en Argentine, à Fray Bentos,
en Uruguay. Ce dernier pont est le plus impor tant étant donné qu’il est situé le plus près de
Montevideo, des zones touristiques entourant Punta del Este, et de Buenos Aires. C’est le seul pont
complètement bloqué de façon ininterrompue, ma is étant donné que c’est par lui que transitent
normalement 91% des exportations de l’Uruguay vers l’Argentine, son blocage est lourd de
conséquences. C’est également le principal pont de circulation touristique. Ces troisponts sont
également essentiels au transport ve rs des pays situés au-delà de l’ Argentine, notamment le Chili.
Enfin, Madame le président, la troisième carte montre la longue distance qu’il vous faudrait
parcourir en véhicule à partir de Buenos Aires si vous vouliez passer vos vacances d’été à Punta del
Este ⎯ l’une des plus belles stations balnéaires de l’ Amérique du Sud. Or, sans franchir le pont, il
vous faudra aller jusqu’au Brésil pour ensuite redescendre complètement. - 17 -
12. Selon la Banque centrale de l’Uruguay, plus de 22% des importations de ce pays
8
proviennent de l’Argentine . De nombreux autres produits importés d’ailleurs doivent également
passer par l’un de ces trois ponts pour arriver en Uruguay. L’industrie touristique de ce pays
dépend énormément de visiteurs ve nant d’Argentine, qui, dans la plupart des cas, empruntent ces
ponts. En 2005, 57,8% des touristes ayant vis ité l’Uruguay venaient de l’Argentine, 10% du
9
Brésil, et17,1% d’autres pays de la région . Selon des estimations du ministère du tourisme, les
barrages feront perdre cent vingt mille tourist es à l’Uruguay au cours de cette saison estivale 10. En
bref, Madame le président, l’économie uruguayenne dépend de la libre circulation de personnes,
biens et services entre les deux nations. Par contr aste, l’Argentine, nation plus grande et plus
23
peuplée, dépend beaucoup moins de l’Uruguay en tant que partenaire économique. Cela dit, pour
l’économie uruguayenne, la menace la plus grave n’est pas la perte générée dans le tourisme ou
dans le commerce, mais la tentative argentine d’utiliser la contrainte économique pour faire
échouer le projet Botnia ⎯ le plus grand investissement étranger en date de l’histoire de l’Uruguay.
Il est crucial, pour l’avenir de l’Uruguay, de protéger le droit lui permettant de continuer à
bénéficier de cet investissement ⎯ c’est là un point sur lequel il me faudra revenir plus tard dans la
matinée. C’est pour cette raison, Madame le pr ésident, que le blocage imposé par l’Argentine
représente une si grande menace pour l’Uruguay, aujourd’hui, demain et dans l’avenir.
13. Ce n’est pas la première fois que la fron tière est ainsi bloquée. Au cours de l’année
dernière, l’Argentine a autorisé d’autres blocages, organisés par les mêmes groupes de citoyens et
poursuivant le même objectif: contraindre l’Ur uguay à cesser les travaux de construction des
usines de cellulose. Ces blocages avaient égalemen t été mis en place pendant la saison touristique
estivale et entraîné de graves pertes, sous fo rme de manque à gagner dans le commerce et le
tourisme et de pertes d’emplois en rapport avec ces activités. Malgré les protestations répétées de
l’Uruguay, l’Argentine n’avait pris aucune mesu re pour faire lever ces blocages, refusant de faire
intervenir ses forces de l’ordre pour y mettre fin.
8
Instituto Nacional de Estadística, disponible sur http://www.ine.gub.uy/cifras/cifras.asp.
9
«Visitantes ingresados a Uruguay, por nacionalidad y va riación del total respecto de l año anterior según año»,
Estadísticas: Ministerio de Turismo y Deporte, disponible sur http://turismo.gub.uy/Graficos/codigo.php?cod=nac11.
10Pièce n 9: El Pais, 28/11/2006. - 18 -
14. Le 6 septembre dernier, un tribunal arb itral international constitué sous les auspices du
Mercosur a estimé à l’unanimité que le refus de l’Argentine d’empêcher la mise en place des
barrages établis contre l’Urugua y ou de les faire lever, dans la période allant du mois de
décembre2005 au mois de mai2006, constituait un e violation des obligations lui incombant en
vertu du traité d’Asunción visant à garantir la lib erté de la circulation et du commerce entre les
pays du Mercosur. Le texte intégr al de la sentence arbitrale rendue par ce Tribunal est joint en
annexe 2 de la présente demande et est longuement résumé dans ladite demande. Il est important
de retenir la conclusion suivante du Tribunal :
«Le manquement à l’obligation de vi gilance qui incombait au défendeur
[l’Argentine] afin de prévenir, contrôler ou, le cas échéant, neutraliser les barrages
établis sur les routes reliant la République argentine et la République orientale
d’Uruguay…n’est pas compatible avec l’e ngagement pris par les Etats parties au
traité instituant le Mercosur [le traité d’Asunción]…» 11
Le Tribunal a ajouté ce qui suit: «La complaisance a ffichée de manière répétée et continue par le
défendeur témoigne, à l’égard de ce problème, d’ un comportement qui laisse présumer que, dans
12
24 des circonstances identiques ou si milaires, la même situation pourrait à l’avenir se répéter.»
[Traduction du Greffe.]
13
15. Eh bien, il s’agissait là de prophéties, Madame le président. Du 13 au 15 octobre 2006 ,
14
puis à nouveau, du 3 au 5 novembre , l’Argentine a permis et encouragé la mise en place d’autres
barrages qui ont interrompu les transports en direc tion de l’Uruguay. Enfin, le blocage actuel a
commencé juste avant le 21 novembre, date à laquell e la Banque mondiale et la Société financière
internationale se sont prononcées sur la de mande de financement déposée par Botnia 15. Les
manifestants ont déclaré qu’ils bloqueraient indéfiniment le pont reliant Gualegaychú et
Fray Bentos à moins qu’il ne soit totalement et dé finitivement mis fin à la construction de l’usine
de pâte à papier 16. Jorge Fritzler, membre de l’assemblée, aurait déclaré : «à partir de décembre, la
population est prête à occuper l’autoroute internati onale136 et à ne plus en bouger. Ce sera le
11 Annexe 2 (sentence arbitrale du Tribunal arbitral spécial du Mercosur, 6 septembre 2006, p. 39).
12 Ibid., par. 172.
13
Annexe 3, note 1020/2006 ; annexe 4, note 576/06 ; annexe 5, note 577/06.
14
Annexe 6, note 598/06.
15 Annexe 7, note 635/06.
16 Annexe 15, La Nación du 13 novembre 2006. - 19 -
dernier combat. Nous resterons tant que les usines ne seront pas parties.» 17 Les manifestants ont
18
annoncé que les trois ponts seraient bloqués . Dans certains cas, la presse indique que seuls
quelques manifestants participent au blocage, mais d’autres manifestations réunissent un nombre
19
plus important de personnes et se révèlent être plus incontrôlées et plus imprévisibles . Comme je
l’ai déjà indiqué, et ainsi que M.Condorelli le démontrera de manière plus détaillée, les
manifestants sont soutenus et encouragés par le Gouvernement de l’Argentine. Ils n’agissent pas
seuls.
16. Ces actes illicites de contrainte économique perpétrés par l’Argentine ont d’évidence
pour but d’obliger l’Uruguay à abandonner tant le droit qu’il cherche à faire valoir de voir cette
affaire examinée au fond que celui de poursuivre la construction de l’usine Botnia et de maintenir
l’autorisation qu’il a accordée, conformément à l’ordonnance de la Cour du 13juillet et au statut
de1975. Peu confiante dans la décision de la Cour, l’Argentine a recours à la contrainte pour
parvenir au résultat qu’elle vise dans sa requête , sans se préoccuper d’attendre une décision au
25 fond. L’Uruguay est en fait puni pour agir de manière licite et de bonne foi sur la base de
l’ordonnance rendue par la Cour.
17. L’Uruguay a protesté contre tous ces blocages illicites et appelé l’Argentine à prendre
des mesures pour les empêcher, à éviter d’aggrav er la situation, à respecter ses obligations
internationales à l’égard de l’Uruguay et à se conformer à l’ordonnance prise par la Cour
le 13 juillet. L’Argentine ne s’est pas montrée disposée à reprendre la coopération avec l’Uruguay
par le biais de la CARU comme l’avait demandé la Cour, pas davantage qu’elle ne s’est abstenue
d’actes destinés à aggraver le différend.
18. L’Uruguay a clairement indiqué sa position sur les blocages. Je citerai un passage de sa
note diplomatique du 20 novembre, reproduite à l’annexe 7 de la demande en indication de mesures
conservatoires :
«la République orientale de l’Uruguay voudrait rappeler qu’en ne prenant pas les
mesures propres à empêcher la mise en place de ces barrages ou à les faire lever, le
17
Ibid.
18Annexe 22, La Nación du 6 décembre 2006. Voir également l’annexe 24, El País du 7décembre2006 et
La Tercera (Chili) du 10 décembre 2006, http://latercera.codisa.cl/lt/edicionparam.html ?20061210,124,0.
19Annexe 8, El País du 26 novembre 2006 ; annexe 12, El País du 29 novembre 2006 ; annexe 14, La Nación du
3 décembre 2006 ; annexe 18, La Nacióndu 4 décembre 2006 ; annexe 24, El País du 7 décembre 2006. - 20 -
Gouvernement argentin aggrave le diffé rend actuellement soumis à la Cour
internationale de Justice.
Si aucune mesure n’était prise afin d’empêcher la mise en place de ces
nouveaux barrages ou de les faire lever, les droits de la République orientale de
l’Uruguay actuellement soumis au jugeme nt de la Cour s ubiraient un préjudice
irréparable et la République argentine vi olerait ainsi les obligations imposées aux
parties à un différend soumis à la Cour.»
19. L’Argentine a répondu par le dédain. Il me suffit de citer un passage de la note de
er
l’Argentine en date du 1 novembre :
«L’Argentine rejette comme dépourvue de pertinence la référence faite dans la
note à l’ordonnance de la Cour internationa le de Justice du 13juillet dernier, rendue
exclusivement dans le cadre du différend opposant les deux pays au sujet des projets
20
de construction de deux usines de pâte à papier.»
Les actes de l’Argentine ou le fait qu’elle s’abstienne d’empêcher d’autres d’agir ont nettement
aggravé le différend. Et l’Uruguay n’a eu d’autre choix que de demander l’aide de la Cour.
20. Je voudrais par conséquent, pour conclure ce tte partie de ma plaidoirie, vous exposer les
faits qui, depuis l’ordonnance de la Cour du 13 ju illet, ont provoqué ces prot estations ainsi que la
raison pour laquelle l’Uruguay demande aujourd’hu i d’urgence l’assistance de la Cour. Tout
d’abord, il y a la décision du 21novembre par laqu elle le conseil d’administration de la Société
financière internationale a appr ouvé le financement de l’usine Bo tnia par vingt-troisvoix contre
une. Seul le membre de l’Argentine a voté contre en dépit du fait qu’il représentait en réalité à la
fois l’Argentine et l’Uruguay. Cette décision ains i que celle, similaire, de la Banque mondiale de
garantir le crédit accordé est le premier prétexte à l’actuel blocus économique de l’Uruguay.
26 21. Madame le président, Messieurs les juges, malgré les allégations de l’Argentine, la
décision de la Société financière internationale n’est pas de celles qui sont prises au mépris des
faits. Au contraire. La Cour a déjà reconnu elle -même, en juillet, que l’Argentine n’avait présenté
aucun élément démontrant que la construction ou la mise en servi ce des usines de pâte à papier
risquerait de causer un préjudice irréparable à l’e nvironnement. Les éléments de preuve dont nous
disposons aujourd’hui plaident enco re plus fermement en faveur de l’Uruguay. Ainsi, le conseil
d’administration de la SFI a, dans son communiqué, souligné que :
«après avoir procédé à un examen approfondi des faits, [la SFI est] convaincue[] que
l’usine sera source d’avantages économiqu es importants pour l’Uruguay sans nuire à
l’environnement.
20 er
Annexe 8, note du 1 novembre 2006. Voir également l’annexe 9, note 010/06 du 15 novembre 2006. - 21 -
L’usine Orion, majoritairement dé tenue par l’entreprise finlandaise
OyMetsä-BotniaAb, fonctionnera dans le respect des normes existantes les plus
strictes et satisfera aux critères environnementaux et sociaux respectifs de la SFI et de
la MIGA. Un rapport d’experts indépendant s récemment publié a démontré de façon
concluante que les environs, notamment la ville argen21ne de Gualeguaychú, ne
subiraient aucun impact néfaste sur leur environnement.»
22. Le rapport d’experts indépendants que mentionne la SFI renvoie à l’étude d’impact
cumulé sur l’environnement («EIC») de sep tembre 2006, dont vous trouverez un résumé à
l’annexe11 de la demande en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay. Je dois
cependant souligner qu’il ne s’agit pas du projet d’étude d’impact cumulé sur l’environnement que
la Cour a reçu en juin, mais bien de l’étude elle-même, de sa version finale, révisée pour tenir
pleinement compte des observations faites sur l’av ant-projet, dont les critiques figurant dans le
rapport Hatfield d’avril 2006, également soumis à la Cour en juin. Etabli après des mois de travail
intensif par une équipe entièreme nt nouvelle de consultants indépenda nts, le texte final de l’étude
d’impact cumulé sur l’environnement démontre clairement que les usines projetées ne créent aucun
risque particulier pour l’environnement. Madame le président, je n’essaierai pas d’entraîner la
Cour dans un examen détaillé de l’ EIC, puisque cette question relève de l’examen au fond, mais je
voudrais seulement attirer l’attention sur les points les plus pertinents afin de montrer à la Cour que
rien dans l’étude de la SFI ne saurait justifier l’actuel blocage.
23. Plus précisément, l’EIC conclut que :
⎯ Premièrement, la technique proposée est conforme à la convention de Stockholm pour les POP,
aux normes de l’Union européenne relatives à la prévention et à la réduction intégrées de la
pollution («IPPC/MTD»), ainsi qu’à celles de l’agence américaine de protection de
l’environnement, et qu’elle serait acceptable pour «toute autorité importante habilité à délivrer
22
des permis» .
27 ⎯ Deuxièmement, elle indique que la qualité de l’eau restera conforme aux normes
internationales applicables (c’est-à-dire à celles de la CARU et de la convention pour les POP)
et que «les rejets des usines seront dépourvus d’ effets potentiels sur la santé humaine, le
23
paysage ou l’environnement» .
21Annexe 19, communiqué de presse, Société financière internationale, 21 novembre 2006.
22
Annexe 11 : EIC (septembre 2006), p. 57.
23Ibid., p. 67. - 22 -
⎯ Troisièmement, les niveaux d’émission sont, sel on l’étude, équivalents ou inférieurs aux
normes européennes en matière d’IPPC et les flux d’effluents tels qu’estimés aux fins de l’EIC
24
sont «parmi les moins nocifs au monde» .
⎯ Enfin, ils précisent que les eaux usées rejetées dans le fleuve resteront du côté uruguayen et que
seules des traces sont susceptibles d’être détectées du côté argentin. Même dans les
circonstances les plus exceptionnelles, l’inciden ce sur la qualité de l’eau du côté argentin
25
restera «extrêmement faible et largement en deçà des normes fixées par la CARU» .
24. Ces conclusions sont bien évidemment fondées sur l’hypothèse que les deux usines
seront construites à Fray Bentos; en fait, l’ usine ENCE, qui a également été évoquée en juin
devant la Cour, a depuis été déplacée à Rio de la Plata, fort loin de ce site. Puisque dorénavant une
seule usine doit être construite sur ce site, tout im pact potentiel sera encore plus faible que ne le
prévoyait l’EIC.
25. Enfin, permettez-moi de citer la conclusion générale du rapport :
«Les usines utiliseront à tous égards les techniques de traitement les plus
modernes et l’on prévoit que, lorsqu’elles entreront en service, leurs résultats seront
supérieurs à ceux des usines existantes des sociétés en ce qui concerne la performance
environnementale. Les résultats attendus …compteront parmi les meilleurs au
26
monde.»
26. Madame le président, Messieurs de la C our, il s’agit là de l’avis mûrement réfléchi
d’experts indépendants et expérimentés. Il sera it difficile d’obtenir caution plus solide et plus
convaincante. L’EIC n’est toutefois pas le seul rapport à parvenir à cette conclusion. Ses
conclusions ont été réexaminées par l’équipe ayant rédigé le précédent rapport, le rapport Hatfield,
sur lequel l’Argentine s’est si abondamment fondée en juin et l’équipe Ha tfield elle-même estime
désormais que l’EIC revisée «répond de manière sa tisfaisante aux questions que nous-mêmes et les
parties intéressées avons soulevées» 27.
27. Dès lors que les effets sur l’environne ment de l’usine restante sont à ce point
insignifiants, vous êtes en droit de nous demander : pourquoi un tel tapage ? Pourquoi des barrages
24Annexe 11 : EIC (septembre 2006), p. 2.21 et 2.30.
25
Ibid., p. 80.
26Annexe 11 : EIC, résumé analytique (septembre 2006), p. 55.
27Annexe, rapport Hatfield d’octobre 2006 sur l’EIC définitive, p. 83. - 23 -
28 ont-ils été mis en place? Qu’est-ce qui peut ju stifier une protestation publ ique de l’ampleur de
celle que l’Argentine mène actuellement contre l’ Uruguay? Un projet de cette nature peut-il
réellement être à l’origine de blocages prolongés du commerce et des routes, de presque toutes les
routes, en direction de l’Uruguay; de menaces d’extension de ces barrages au fleuve Uruguay,
d’une rupture des relations bilatérales entre l’Arge ntine et l’Uruguay, et d’un refus par l’Argentine
d’envisager ne serait-ce que toute coopération future au sein de la CARU ?
28. Il semble que plus l’Uruguay démontre de manière convaincante la force de sa thèse
environnementale et la qualité de l’usine Botnia, plus les relations avec l’Argentine se détériorent
et plus cette dernière s’oppose à la poursuite de la construction de l’usine. Une fois encore,
permettez-moi d’indiquer respectueusement qu’il est manifeste que l’Argentine, qui a elle-même
introduit la présente instance, n’est pas prête à risquer de perdre au fond.
Madame le président, avec votre permission, je voudrais demander à présent à mon éminent
collègue, M.Condorelli, de traiter devant la C our des première et deuxième conclusions de
l’Uruguay.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, M.Bo yle. Je donne maintenant la parole à
M. Condorelli.
CMOr. DORELLI:
1. Madam President, Members of the Court, as I take the floor, I should first like to say how
honoured I am to be here once again before you. On this occasion, my task is to set out a central
part of the legal argument in support of a favour able response by the Court to the request for the
indication of provisional measures filed by the Eastern Republic of Uruguay.
2. An overview of the facts upon which this request is based has been submitted in writing
by Uruguay. The facts have just now been presented again by the Agent for Uruguay, Ambassador
GrosEspiell, and in fuller and more deta iled form by my eminent colleague and friend
Professor Boyle. For the purposes of my statement, I shall summarize them briefly as follows. All
the bridges spanning the River Uruguay, that is, all the overland routes permitting the passage of
persons and goods between Uruguay and Argentina, have being s poradically blocked in recent
months and are currently the scene of continuous and serious demonstrations which have resulted, - 24 -
as you have heard, in the case of the first and most important bridge, in a total long-term blockade
29 and, in the second case, in sporadic interruptions ; a blockade of the third bridge has been
announced and is in danger of occurring at any mo ment. This is happening without the Argentine
Government taking the slightest preventive measur e or any effective steps to bring the illegal
conduct to a halt. The blockades are the acts of organized Argentine demonstrators, whose actions
are directed ⎯ as you have heard ⎯ towards one sole aim: that of forcing Uruguay, by inflicting
upon it exceptionally serious economic and social damage, to abandon its industrial programme for
the construction and commissioning of the pulp plants in the vicinity of FrayBentos, and to
withdraw the building authorisations already gran ted. The Argentine Re public has been pursuing
the same aim by bringing these proceedings before your Court by its Application of 4 May 2006. It
was also this aim that prompted Argentina to request on the same date ⎯ unsuccessfully ⎯ that the
Court order Uruguay, in the form of provisiona l measures pending a final judgment, to suspend
forthwith the construction of the plants that are the subject of this dispute before your Court.
3. Madam President, it is well known that all St ates parties to a dispute before the Court are
obliged, pendente lite, to refrain from aggravating the dispute by conduct which might render the
resolution of the dispute more difficult, as you stated in paragraph 82 of the Order of 13 July 2006
relating to this case. All States parties to a disput e have an obligation deriving from the “principle
universally accepted by internationa l tribunals to the effect that the parties to a case must abstain
from any measure capable of exercising a prejudici al effect in regard to the execution of the
decision to be given . . .”, as emphasized by your Court in paragraph 103 of its LaGrand Judgment
of 27 June 2001 (Germany v. United States of America, I.C.J. Reports 2001 , p. 503), quoting word
for word the instruction of the Permanent Court of International Justice set out in the Order of
5December 1939 in the case concerning the Electricity Company of Sofia and Bulgaria (P.C.I.J.,
Series A/B, No. 79, p. 199). All States parties to a disput e are under an obligation “not to destroy
the subject-matter of their controversy or in any way to anticipate the judgement of the Court by
28
action of their own” , to quote the eloquent and pertinent words of the United States delegate
ElihuRoot, who had participated in the Committe e of Jurists that drafted the Statute of the
28
League of Nations, Committee of Jurists on the Statute of the Permanent Court of International Justice:
Minutes of the Sessions held at Geneva, 11-19 March 1929, Geneva, Imp..J.d.G., 1929, p. 64. - 25 -
30 Permanent Court of International Justice. All Stat es parties to a dispute are under an obligation to
refrain from taking steps “calculated to undermine re spect for the judicial process in international
relations”, as so tersely put in the famous sentence from paragraph93 of the Judgment of
24May1980 in the so-called “hostages” case ( United States Diplomatic and Consular Staff in
Tehran (United States of America v. Iran), Judgment, I.C.J. Reports 1980 , p. 43, para. 93). These
obligations are well known and need to be revisite d in greater detail. Both Professor Boyle and I
will do so later. I have mentione d them briefly at this the point to show that these obligations
would appear to be seriously breached by the unl awful and coercive actions being undertaken on
the Argentine side: they appear to be breached by patently unlawful acts on a par with blackmail,
since the declared aim of those acts is (as has be en openly stated) to compel Uruguay to submit at
once, without waiting for your judgment on the merits , to the claims submitted by Argentina to the
Court, the aim being to avoid suffering the extremely serious and increasing damage that is being
inflicted daily by the blockades, which threaten eventually to strangle the country economically.
You know and have already heard that the roads and bridges linking Argentina and Uruguay
constitute vital arteries for Uruguay.
4. Madam President, Members of the Court, you will certainly have noted that the
international obligations which I have just me ntioned and which I intend to show have been
seriously breached by the Argentine party, all relate to commitments incumbent upon both
Argentina and Uruguay as Parties to the present disp ute before your Court. Uruguay has not come
before your Court today to argue that the blockad es of the international bridges constitute flagrant
breaches by Argentina of the principles of general international law or the rules of the Asunción
Treaty which guarantees freedom of transport and trade among the Mercosur countries. Uruguay is
fully aware that such breaches ⎯ though they undeniably exist ⎯ fall outside the jurisdiction of
this Court inasmuch as they are not covered by the Statute of the River Uruguay; it follows that the
arbitration clause in Article60 of the Statute si mply cannot be invoked in that regard. Other
dispute settlement mechanisms in the framework of the Mercosur may be invoked in respect of
breaches by Argentina of its international obligations pertaining to freedom of transport and trade;
31 your Court is aware that Uruguay has already u sed those mechanisms qu ite successfully, though
without obtaining the concrete results it had anticipated; moreover, it reserves the right to use them - 26 -
again in order to address the persistent unlawf ulness of Argentine conduct. Thus, while your
Court, MadamPresident, Members of the Court, may not have jurisdiction in respect of
Argentina’s breaches of the Asunción Treaty, it mo st certainly has jurisdiction in respect of
breaches by Argentina of its obligations as a Party to this dispute, breaches which, should the Court
find that they exist in the light of Uruguay’s submissions, fully warrant the indication of the
requested provisional measures.
5. I shall now close this aside on the jurisdic tion of the Court and resume the thread of my
argument. As I said a few moments ago, the blockades of the bridges spanning the River Uruguay
constitute patently illegal acts in breach of Arge ntina’s obligations as a Party to this dispute—
obligations owed to your Court and to Uruguay. Yet it is easy to imagine one of the objections that
our opponents will raise shortly in this regard, namely that th e blockades are not Argentina’s
responsibility but the responsibility of individua ls whose conduct cannot engage the State’s
international responsibility.
6. Members of the Court, I would like to make it clear immediately that Uruguay is very
careful not to claim that the Argentine nationa ls blockading the bridges across the River Uruguay
are acting as organs or agents of Argentina and that their action is thus attributable to that State by
virtue of Article4 of the International Law Commission’s Draft Articles on State Responsibility.
Nor does Uruguay allege that the blockades c oncerned were established and are currently
maintained “on the instructions of, or under the direction or control of” Argentina, to use the words
of Article8 of the International Law Commission’ s draft: there is no indisputable evidence to
support such an assumption. Nevertheless, the international responsibility of a State can be
engaged when the conduct of private persons causes injury to another State, not only when it can be
established that the private persons in questi on are acting on behalf of the first State by
implementing its directions or instructions, but also when that State fails to take the appropriate
steps to prevent their acts, to block their conduct or otherwise avoid it from continuing; all the
32 more so when the attitude of the State involves en couragement to the persons concerned, or even
instigation for them to act in that way. - 27 -
7. We know that international jurisprudence and a whole wealth of diplomatic practice can
29
be cited in support of such a hypothesis , the main features of which are brought out clearly by the
very evocative metaphorical formula suggested by ProfessorRobertoAgo when he was the
International Law Commission’s Special Rapporteur on international State responsibility: I am
referring to the “catalyst act” 30formula. The actions of private persons not attributable to a State
can effectively act as “catalysts”, inasmuch as they can reveal that the State concerned had the
obligation to prevent, halt and/or punish the conduc t of the private persons in question and did not
do so; on the contrary, it even encouraged and instig ated their acts or abetted them. In short, these
obligations belong to the so-called “due diligence” category.
8. One of the clearest examples of this legal mechanism can be seen in the Court’s Judgment
of 24 May 1980 in the United States Diplomatic and Consular Staff in Tehran case, concerning the
launch of an armed attack against the United States embassy by Iranian “militants”. Having
established that the latter had no official status as organs or “agents” of Iran and that it had not been
shown that they had acted “on behalf of” that State (para.58), the Court concluded that the
initiation of the attack could not be considered “in itself imputable to the Iranian State” (para. 61);
however, the Court did not hesitate to hold Iran re sponsible for its “total inaction” (para.64)
relative to the conduct of those private persons, that is the fact that it “failed altogether to take any
‘appropriate steps’ to protect the premises, staff and archives of the United States’ mission against
attack by the militants” and that it had not taken “any steps either to prevent this attack or to stop it
before it reached its completion” (para. 63) (United States Diplomatic and Consular Staff in Tehran
(United States of America v. Iran), Judgment, I.C.J. Reports 1980, respectively pp. 29, 30 and 31).
33 9. A thousand other such examples can be taken from your own jurisprudence. With your
permission, Members of the Court, I will cite a second example which is, in a way, very close to
the case before you for adjudication. I would dr aw your attention to a document that has already
been mentioned a number of times and is of particular relevance here. I cite it now as a remarkable
29See British Property in Spanish Morocco Case , 1 May 1925 Award, Reports of International Arbitral Awards ,
Vol. II, p. 710; Janes Case, ibid., Vol. IV, p. 86 et seq.; the opinion of the Committee of Jurists on the murder of Italian
members of the Tellini mission, League of Nations,Official Journal, 5thYear, No.4 (April1924, p.524. See also
international practice as cited by Roberto Ago, Fourth Report on State Responsibility, Yearbook of the International Law
Commission, 1972, Vol. II, p. 103 et seq.
30See R.Ago, Fourth Report on State Responsibility, Year book of the International Law Commission , 1972,
Vol. II, p. 97, para. 65. - 28 -
scholarly contribution, since it contains a highly detailed, well informed, extremely well argued and
perfectly reasonable assessment of the operation of due diligence obligations in the event of hostile
acts by private persons towards a foreign State wh ich cause injury to the in terests of that State
legally protected by international law. I am talking about the remarkable award of 6 September last
of the ad hoc Arbitral Tribunal of Mercosur, which was appended as Annex 2 to the current request
for the indication of provisional measures.
10. Madam President, it is on the basis of tho se considerations that Uruguay requests you to
adjudge and declare that Argentina is seriously violating its obligations as a Party to a dispute
referred for settlement to this distinguished Court. It is violating them by its inaction, by its breach
of the obligation of due diligence, which runs c ounter to “every State’s obligation not to allow
knowingly its territory to be used for acts contrary to the rights of other States” (I am using the
words of the Court in its 1949Judgment on the Merits of the Corfu Channel case (United
Kingdom v. Albania), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1949 , p.22). Argentina is in breach of
international law by the very fact that it has no t taken and continues not to take the slightest
effective measure in order to prevent and put a stop to the coercive conduct of private persons
taking place in its own territory, conduct designe d to force Uruguay to renounce forthwith the
rights to which it is surely entitled under the Statute of the River Uruguay: rights which are sub
judice since they stand at the heart of the dispute which Argentina submitted to the Court.
11. Before addressing these allegations in deta il to show their validity, I would like to
mention that the same issue wa s just recently decided by the ad hoc Tribunal of Mercosur, whose
award I cited a few moments ago. True, that tr ibunal had to assess Argentina’s breaches of its due
diligence obligations under the Treaty of Asunción, which is not the case here, as I acknowledged
previously. True, the breaches at issue were those relating to the blockades of international bridges
34 which took place prior to the arbitral aw ard and not those currently in place. However, it seems
obvious — as we shall see shortly — that the attitude of the Argentine authorities has not changed
significantly in the meantime: on the contrary, it seems to follow a remarkably steady course of
political action. We cannot therefore ignore the si gnificance for the current case of the assessment
made by the same tribunal when it acknowle dged “the absence of due diligence that the
Respondent [Argentina] should have adopted to pr event, control, or, as appropriate, correct the - 29 -
blockades of the routes that connect the Argentine Republic and the Oriental Republic of
31
Uruguay” . I would note that the Tribunal based its conclusions concerning the undue “tolerance”
for which Argentina was responsible on a whole ra nge of acts strikingly similar to those which we
are about to discuss; and these facts were subject to in-depth and impartial judicial verification as a
result of contentious proceedings fully guaranteeing the adversarial principle. Need I recall this
Court’s conclusion, when it recently indicated that
“evidence obtained by examination of pers ons directly involved, and who were
subsequently cross-examined by judges sk illed in examination and experienced in
assessing large amounts of factual information, some of it of a technical nature, merits
special attention” ( Armed Activities on the Territory of the Congo (Democratic
Republic of the Congo v. Uganda), Judgment of 19 December 2005, para. 61).
12. Madam President, we can identify the essentia l aspects of the obligation of due diligence
with the aid of the Court’s jurisprudence. In the 1980 Judgment in the case concerning Diplomatic
and Consular Staff , the Court, in its discussion of the obligation of protection and prevention
incumbent on the accrediting State in respect of the premises and diplomatic and consular staff of
other States, presented a sort of general paradigm of the way in which those obligations should
operate. The Court decided that Iran had acted wrongfully because it had found that: first, the
Iranian authorities were aware of the obligations on the accrediting State in this respect; second,
they were equally aware of “the urgent need for action on their part”; third, “they had the means at
their disposal to perform their obligations”; and fourth, they completely failed to make use of the
means at their disposal ( United States Diplomatic and Consular Staff in Tehran (United States of
35 America v. Iran), Judgment, I.C.J. Reports 1980 , pp.32-33, para.68). With your permission,
Madam President, I will apply this useful paradigm to the present case.
13. It seems to me that there is no need for a lengthy exposition regarding the first condition:
there is no way in which the Argentine aut horities could or can ignore the principles of
international law establishing the pendente lite obligations of the parties to a dispute before this
Court. The more so because in our case it was Argentina that took the decision to initiate the
proceedings and therefore certainly assessed all the consequences of that seisin in advance,
including those relating to the duty of fairness and to the obligation to act in food faith vis-à-vis the
31
Ann. 2, p. 39. - 30 -
Court and the Respondent. In addition, however, we should not forget that prior to the various
demonstrations culminating in th e blockade (which have been and are regularly reported by the
media), Uruguay has always made a point of se nding very explicit diplomatic notes to the other
Party reminding it that the failure to take appropria te steps to prevent and punish illegal acts by the
demonstrators would amount, inter alia , to “an aggravating circum stance in the dispute now
pending before the International Court of Justice, in violation of paragraph82 of the Order on
provisional measures of 13July last, and the ob ligations imposed on the litigants before the
Court” 32. In short, Argentina cannot fail to be aware that it is subject to specific obligations which
are infringed by its failure to act. It cannot conv ince anyone by a denial of the facts, namely by
claiming, in flat contradiction of the evidence, that there is no kind of link between the violent acts
33
of those blockading the bridges and the pending dispute before this Court .
14. This brings me to the second point: can it be claimed that the Argentine authorities were
and still are aware that “urgent measures by them were essential” and are still essential in casu? It
goes without saying, Madam President, the only answer to this question must be in the affirmative.
36 Argentina has always been fully informed about the place, the date and even the time of each
blockade, because the demonstrators habitually gi ve advance notice of their actions. On each
occasion Uruguay has drawn the Argentine Government’s attention to events and has stressed that
urgent preventive and deterrent measures, or i ndeed effective measures to put an end to the
blockades, were essential and remain so. But the Argentine authorities do nothing: they continue to
remain inactive in the face of these events, apar t from sometimes stating that they regard the
demonstrations in question as ill-timed 3. It is clear, however, that this kind of purely verbal
non-involvement cannot replace effective use of the resources at the disposal of any sovereign State
to react against wrongful conduct by private persons . This failure to act is all the more serious in
the light of the steady deterioration in the politi cal and social situation and the growing concern
32Note No. 577/06 dated 31October 2006 (Ann. 5). See also Notes 1020/2006 dated 11October 2006 (Ann.3),
598/06 dated 9 November 2006 (Ann. 6) and 635/06 dated 20 November 2006 (Ann. 7).
33See the Note from the Ministerio de Relaciones Exteriores, Comercio Internacional y Culto dated
1November2006 (Ann.8): “Argentina rejects as irrelevant the reference in the Note to the International Court of
Justice’s Order of 13 July past, whichconcerns exclusively the controversy th at both countries have because of the
construction projects of the two industr ial pulp mills and their connected instal lations”. See also Note 010/06 from the
same Ministry dated 15 November 2006 (Ann. 9).
34Exhibit 4: Clarin, 23November 2006; Exhibit 5: Observa, 23November 2006; Exhibit10: Observa,
28 November 2006. - 31 -
about security and public order that flows from it, both in Argentina and in Uruguay, in the light of
the serious nature, the extent and the duration of the demonstrations in question.
15. Third point and third question: can it or can it not be claimed that the Argentine
authorities had ⎯ and still have ⎯ the means to discharge their du ties of due diligence? Are they
in a position to prevent the blockades, or indeed to end them? Madam President, I firmly believe
that no one can doubt it! Of course, Uruguay certainly does not! It would even be offensive to
claim that Argentina lacked the governmental, legislative, judicial, administrative and police
35
machinery that would enable it to control the situation by putting an end to the illegal conduct ,
though acting, of course, with the lightness of t ouch required in a democratic country to safeguard
freedom of thought, freedom of expression and freedom of association, avoiding illegal excesses
detrimental to the rights of others! The answer to this third question is thus clear, although the
fourth must be carefully discussed: are the Argentine authorities failing to use the means
undoubtedly at their disposal to prevent the blockades and put an end to them ?
16. Madam President, Members of the Court, the facts are there, and they are patently
obvious! International bridges have been blocka ded from time to time on the Argentine side for
37 over a year and are now established, permanently in the case of the most important bridge, but
police action has never been taken to prevent ob struction of the roads or to remove those
obstructing them, even when, as is very often the case now, the blockades are formed by very small
36
numbers of persons, sometimes as few as ten or so ! Moreover, reliable testimony repeated by the
press makes it clear that the Argentine police are not ordered to intervene: they confine themselves
to acting as spectators, or indeed to checking that the blocking of the bridges is carried out with no
acts of bodily harm 37. How can one overlook the fact that this total failure to act by the Argentine
authorities “contrasts very sharply with its conduc t on several other occasions of a similar kind”
(United States Diplomatic and Consular Staff in Tehran ( United States of America v. Iran ),
Judgment, I.C.J. Reports 1980, p. 31, para. 64). (I am using a statement made by this Court in the
hostages case.) Let me merely stress ⎯ as the Agent of Uruguay has already done ⎯ the very firm
35Argentine Republic Law on Traffic (Exhibit 31), Argentine Republic Penal Code (Exhibit 33).
36
Exhibit 12 ( El Pais, 29November 2006), Exhibit 14 ( La Nacion, 3December 2006), Exhibit18 (La Nacion,
4 December 2006).
37Exhibit 12 (El Pais, 29 November 2006). - 32 -
stand taken by the Argentine Government when faced with the threat of major road blocks set up
by Argentine agricultural interests: Mr.Anniba lFernandez, the Interior Minister, stated the
position bluntly in forceful terms such as these (t hey are only examples!): “No one is going to
block [a highway], because it won’t be permitted”, or again: “If any person is found boycotting the
way, he will be arrested”, “[t]he Government will arrest anyone preventing the arrival of cattle in
38
Liniers” . We know that in many cases these stat ements have given rise to specific action
involving the use of the police and criminal procee dings, while nothing of the kind has ever been
done about the blockading of roads and bridges linking Uruguay to Argentina.
17. Madam President, Uruguay would have been very pleased if government statements in
the same terms and of equal force were made by the highest authorities in Argentina regarding the
38 blockades of international bridges instead of the statements smacking of leniency and replete with
benevolence and understandi ng on which I will shortly be commenting. And what can one say,
Madam President, Members of the Court, about this astounding double standard except that it can
have but one explanation: that the Government of Argentina shares the aim of those who are
blocking the international bridges: to compel Uruguay to abandon its industrial plan concerning
the FrayBentos pulp mills without waiting for this Court to decide whether it should or not! I
should also like to point out that the double standa rd to which I have just referred does not surprise
Uruguay alone: on the contrary, it elicited st rong criticism of the Argentine Government from
various high-ranking political figures in that country.
18. Moreover, police inaction is not the only issue! It is also extremely regrettable that, in
39
the face of conduct that Argentine crim inal law condemns as “serious offences” (faltas graves) ,
there is no information about criminal proceedin gs instituted against any of the blockaders,
including their leaders. From time to time such a possibility has been considered by some
authorities 4, but no action has been taken to date as far as we know. It is also regrettable that there
38
Exhibit 15 (La Nacion, 4 December 2006). Compare with Exhibit 10 (F ernández . . . reasserted that he will not
raise “a hand against our brothers from Entre Rios to drive them out of the rObserva, 28November 2006). See
also Exhibit 19 (La Nacion, 5 December 2006).
39See Art. 77 of the Ley 24.449 (Ley de Transito), Exhi bit 31: “Constituyen faltas graves las siguientes: (a) Las
que violando las disposici ones vigentes en la presente le y y su reglamentación, resulten at entatorias a la seguridad del
tránsito: (b) Las que: 1. Obstruyan la circulación . . .” See also Art. 194 of the Criminal Code of the Argentine Republic,
Exhibit 33. On the application of these provisions, see Exhibit 7 (La República, 25 November 2006).
40See, for example, Política, 6 March 2006. - 33 -
has been no sign of any serious attempts by the Government to persuade the demonstrators to bring
their action to an end; on the contrary, it never ceases to demonstrate its understanding.
Government officials have even been heard, on the one hand, accusing the World Bank of bearing
the brunt of responsibility for the blockades because of the publication of the report by independent
experts declaring the Botnia plant’s river environm ent protection measures to be excellent, and, on
41
the other, supporting the demonstrators .
19. All things considered, the reply to the f ourth and last question (which, as you will recall,
is whether the Argentine authorities have failed to employ the means that they indisputably possess
to prevent and put an end to the blockades) can only be as follows: Argentina has failed, beyond
the shadow of a doubt, to honour its obligations of due diligence.
39 20. Madam President, Members of the Court, I wish to make a further observation regarding
this part of the pleading. I expressed astonishment just now at the total inaction of the police, the
judiciary and other competent bodies in Argentina. But a slight rectification is in order: the fact is
that this conduct in breach of due diligence obligatio ns is not really surprising on closer scrutiny of
the positions adopted by the governmental authorities of the State. The failure by administrative
and judicial bodies to take action is plainly not due to any oversight, laziness or lack of appropriate
means: it is due to the fact that the country’s highest bodies have decided on inaction in full
knowledge of the facts. In other words, we are d ealing not just with inaction but with a decision
taken by the highest organs of the State to sta nd idly by and refrain from preventing and putting an
end to the blockades of the bridges.
21. Allow me, Madam President, to quote a brief sequence of recent statements by top
Argentine decision makers. “No habrá represión a los asemblistas de Gualeguaychu” (“No action
will be taken against the Gualeguaychu demonstrators”), announced Mr. Nestor Kirchner, President
of the Republic 42; and he went on to say: “Yo no voy a levanter la mano contra otro argentino” (“I
43
will not raise my hand against another Argentine”) , adding: “Si hay algunos que piensan que hay
que reprimir a los hermanos de Gualeguaychu qu e lo escriban y lo digan, yo no lo pienso hacer”
41See the text of the request for the indication of provisional measures, para. 20, and Ann. 13.
42
Exhibit 4 (Clarín, 23 November 2006).
43Ibid. - 34 -
(“If anyone thinks that action should be taken ag ainst our Gualeguaychu brothers, let them write
44
and say so, I personally have no intention of doing so”) . The Minister for Internal Affairs,
Mr. Annibal Fernández, stated for his part: “No es nuestra visión utilizar la represión” (“We do not
45
intend to take repressive action”) . As for the Governor of Entre Rios, Mr. Jorge Busti, he was far
more explicit, saying: “No se nos pasa por la cabeza reprimir” (“The idea of taking repressive
46
action has not entered our minds”) .
22. I should like to comment on these statemen ts by senior Government figures in the light
of an important obiter dictum in the Judgment of 19 December 2005 in the Congo v. Uganda case.
Your Court assessed the probative value of the statemen ts emanating from the organs of a State. It
40
stated that the Court “will give particular a ttention to reliable evidence acknowledging facts or
conduct unfavourable to the State represented by the person making them”. ( Armed Activities on
the Territory of the Congo, Judgment of 19 December 2005, para. 61.)
23. That is a classic proposition, restated by the Court with express reference by way of
precedent to the 1986 Judgment in the Nicaragua case, where its reasoning was considerably more
detailed regarding the probative force of “statements by representatives of States, sometimes at the
highest political level” (which, be it said in passing, is certainly applicable to our case). In that
case the Court held that:
“statements of this kind, emanating from high-ranking official political figures,
sometimes indeed of the highest rank, are of particular probative value when they
acknowledge facts or conduct unfavourable to the State represented by the person who
made them. They may then be construed as a form of admission.” ( Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of
America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 41, para. 64.)
24. A little further, still in the same 1986 Judgmen t, the Court stated in even more explicit
terms what statements of this kind can show:
“Among the legal effects which such declar ations may have is that they may be
regarded as evidence of the truth of facts, as evidence that such facts are attributable to
the States the authorities of which are the aut hors of these declarations and, to a lesser
degree, as evidence for the legal qualification of these facts.” (Ibid., p. 43, para. 71.)
44Ultimas Noticias, 23 November 2006.
45
Exhibit 5 (Observa, 23 November 2006).
46Clarín, 21 November 2006. - 35 -
25. Members of the Court, Uruguay requests you to acknowledge the probative value of the
statements that I have cited by top-ranking Arge ntine authorities. By virtue of these statements,
Argentina acknowledges the material nature of th e facts constituting Argentina’s breach of its
obligations to exercise due diligence and admits that the breach is manifestly attributable to a State
decision.
26. Madam President, would it be appropriate at this point to take a break? I defer to you.
41 Le PRESIDENT : Yes it would definitely be a ppropriate. Thank you. La Cour va à présent
se retirer pour la pause de la matinée.
L’audience est suspendue de 11 h 40 à midi.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. M. Condorelli, vous avez la parole.
Mr. CONDORELLI: Thank you, Madam.
27. Members of the Court, I trust that the fo regoing remarks have demonstrated to the Court
that Argentina, by persistently choosing to take no action whatsoever against the blockades of
international roads and bridges between the territo ries of Argentina and Uruguay, is committing a
serious breach of its due diligence obligations. I emphasized at the outset a point that should be
stressed again: for the purposes of the decision that you are about to take regarding the provisional
measures requested by Uruguay, the unlawfuln ess of these breaches should be assessed not by
reference to the rules of treaty-based or cust omary international law concerning freedom of
movement, transport and trade between the territori es of two States but exclusively by reference to
the rights and duties to be observed pendente lite by the States parties to a dispute before your
Court.
28. I have so far outlined these rights and duties in extremely broad terms: it is now time for
a more detailed examination, first by me and th en by ProfessorBoyle. For my part, I propose to
show that the conduct of Argentina, the Stat e that seised the Court and initiated the present
proceedings, is incompatible with its obligation not to prevent the proceedings from taking their
course without undue hindrance and from reaching their natural conc lusion, that is to say, a
judgment on the merits settling the dispute that Ar gentina itself referred to the Court, invoking - 36 -
Article60 of the Statute of the River Uruguay. In other words, Argentina’s conduct violates the
right that Uruguay likewise derives from Article60 of the Statute to have the dispute settled
definitively by your Court through an appropriate pr ocedure, in the course of which the Parties to
the dispute behave in an honourable manner vis- à-vis the Court and be tween themselves; a
procedure that is not vitiated by unilateral conduct that impedes the progress of the judicial
42
proceedings and undermines the authority of the Court.
29. It should be said at the outset, Madam President: the seriousness of the actions for which
Uruguay holds Argentina responsible is without pr ecedent in the history of the Court and in the
history of international justice in general. To my knowledge, there has never been a case in which
a State, after deciding to refer a dispute with a nother State to your Court for settlement and after
urgently requesting the Court to indicate provisional measures, decides not to comply with your
decision rejecting the request and seeks to impose by unlawful action the measures that the Court
refused to order. In this case, the unlawful action is constituted by the State decision, taken ⎯ as I
have just noted ⎯ at the highest level by the Argentine Government and adhered to consistently, to
stand idly by and refrain from preventing and endi ng the blockades of the bridges with a view to
compelling Uruguay to put a halt to the constructi on of the pulp mills, which the Court deemed it
inappropriate to order.
30. What is more, however, by attempting to im pose such a halt despite the fact that your
Court ruled in its Order of 13 July last that it was not fitting to insist thereon, Argentina is in breach
of the obligation on States having agreed to submit their disputes to the Court “not . . . in any way
to anticipate the judgment of the Court by action of their own” (I am again quoting the words of
Elihu Root). For Argentina is in reality seeking to obtain by anticipation and de facto what it could
only obtain at this juncture by means of a judgm ent in its favour, on the merits, in other words
exclusively through a judgment recognizing its alleged “right of veto” as to the construction by
Uruguay of works covered by Article8 of the 1975Statute. Now, as the Court well knows,
Uruguay is vigorously disputing the admissibility of such a right of veto, being deeply convinced
that this lacks any legal foundation in the Statute. In short, that is the very heart of the dispute that
Argentina, relying upon Article60 of the 1975 Statute, has asked the Court to settle; and
Uruguay — in common with Argentina, it goes without saying — has the right to see such judicial - 37 -
settlement come about in due course without any unilateral acts by a party meanwhile forcing the
other to bow to its views and thereby causing intolerable prejudice to the right in question. For one
43 can hardly fail to see such unila teral acts as colliding head-on with “the principle universally
accepted by international tribunals . . . to the effect that the parties to a case must abstain from any
measure capable of exercising a prejudicial effect in regard to the execution of the decision to be
given...” (I am once more quoting para.103 of your LaGrand Judgment of 27June2001
(LaGrand (Germany v. United States of America) , I.C.J. Reports 2001, p.503). Your Court
forcefully expressed the same concept by using on other occasions somewhat different language,
for instance when it emphasized that— pendente lite — “the Court’s judgment should not be
anticipated by reason of any initiative regardi ng the matters in issue before the Court” ( Nuclear
Tests (Australia v. France), Order of 22June 1973, I.C.J.Reports 1973 , p.103, para.20; and
Nuclear Tests (NewZealand v. France), Order of 22June 1973 , p.139, para.21; see also
Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland), Order of 17 August 1972, p. 16, para. 21).
31. Members of the Court, I frankly cannot see how there can be any doubt as to the validity
of these fundamental notions, which underlie and moreover shape not only international trial law
but more generally the international system as a w hole. Allow me to offer particularly suggestive
evidence of this by referring to the principles governing the international responsibility of States, as
expressed with undisputed authority by the International Law Commission in its 2001 Articles on
State Responsibility.
32. I am thinking here of the system of c ountermeasures that a State may adopt when it is
convinced of having suffered a wrongful act by another State, while the latter refuses to
acknowledge this and hence to comply with its oblig ations of cessation and reparation. Article 52,
paragraphs3 and4, of the doc ument very judiciously establish that a State cannot react with
countermeasures against the allegedly responsible State when “[t]he dispute is pending before a
court or tribunal which has the authority to ma ke decisions binding on the parties” (Art.52,
para. 3 (b)), unless “the responsible State fails to im plement the dispute settlement procedures in
good faith” (Art.52, para.4). The meaning of these rules is clear. If neither of the parties to a
dispute in course of judicial settlement is entitled to resort to countermeasures pendente lite, except
in the event of mala fide action by the other party, this is obviously because each of them has the - 38 -
44 right to see the dispute settled judicially “without the final judgment on the merits having been
prejudiced by . . . unilateral acts”, to echo the highl y judicious words of Professor Sands that your
47
Court heard just a few months ago when he was speaking on behalf of Argentina.
33. Those are words with which one can only concur fully. For Uruguay, too, it is
indisputable that unilateral acts must not prejudice your Court’s final decision on the merits. It is in
the name of this seemingly common concept that Uruguay requests you to adjudge and declare that,
by its unilateral acts, Argentina, by the very fact of attempting to force Uruguay to halt the
construction of the mills through de facto action when your Order of last July refused to enjoin
such a halt, undermines the authority of the Court and prejudices the final decision you are to give
regarding whether or not such construction is permitted under the 1975Statute in spite of
Argentina’s disagreement.
34. At the hearings of 8 and 9June last , several of our opponents emphasized the need
carefully to preserve the role conferred on your Court by Article 60 of the 1975 Statute. That role
48
has been described, for instance, as “central” by ProfessorSands and as “very specific” or even
“unique” by ProfessorKohen 49. ProfessorBoisson de Chazournes, for her part, stressed that “the
International Court of Justice lies at the heart of the mechanism for co-operation established under
the Statute of the River Uruguay” 50. Uruguay fully shares this outlook and adheres to it strictly in
its conduct. From the very start of the present proceedings, incidentally, it expressed its full
confidence in your Court, which implies among ot her obligations scrupulously respecting all its
decisions, whether procedural or substantive. This very morning it formally reiterated, through its
Agent, that confidence and that commitment. Ur uguay observes, on the other hand, that Argentina
merely presents the Court with a purely verbal tr ibute but conducts itself quite differently on the
ground: through its choice of indulgent inaction with regard to the roadblocks which are being
45 used in an attempt to force Uruguay to abandon the exercise of rights that it is convinced of
possessing under the Statute, Argentina is undermining the authority of the Court and the right of
4CR 2006/46, paras. 14, 24 and 25.
48
CR 2006/46, p. 31.
49
Ibid. (translation), p. 47.
5Ibid. (translation), p. 55. - 39 -
Uruguay, under Article 60 of the Statute, to have the present dispute settled by the Court and not by
Argentina. The provisional measures requested by Uruguay are essential, MadamPresident,
Members of the Court, in order to preserve the inte rests of justice, the aut hority of the Court, and
the right of Uruguay to judicial settlement of th e dispute under Article60 of the 1975Statute.
Allow me, Madam President, to add a further word on this: Uruguay has just received during the
coffee break a voluminous document from Argentina which has thus been filed only just now. We
are very surprised at this and I convey to you th e surprise of the Agent of Argentina that Uruguay
had been advised that documents of this kind had to be submitted in advance. Thank you,
Madam President.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, M.Condore lli. J’appelle maintenant M.Boyle à la
barre.
M. BOYLE : Je vous remercie, Madame le président.
1. Madame le président, Messieurs de la Cour : mon éminent confrère et ami, M. Condorelli,
a exposé les raisons pour lesquelles des mesures c onservatoires étaient nécessaires pour protéger le
droit de l’Uruguay à voir le présent différend régl é conformément à l’article 60 du statut du fleuve
Uruguay. Je me propose maintenant de développe r deux autres arguments. Premièrement, le fait
que des mesures conservatoires sont également nécessaires afin de protéger, dans l’attente d’un
arrêt au fond, le droit de l’Uruguay à poursuivre la construction et le pr ocessus d’autorisation des
usines conformément au statut de1975 et à l’ ordonnance rendue par la Cour le 13juillet.
Deuxièmement, le fait que des mesures conservato ires sont nécessaires pour empêcher l’Argentine
d’aggraver encore le différend en entravant la bonne administration de la justice.
2. Ces deux arguments sont fondés sur une juri sprudence déjà ancienne de la Cour qui a vu
le jour avec l’affaire de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie , et a été très récemment
réaffirmée dans l’affaire LaGrand (arrêt, C.I.J. Recueil 2001, par. 103). Le passage fréquemment
cité de l’ordonnance de la CPJI rendue en l’affaire de la Compagnie d’électricité renvoie au
«principe universellement admis devant les juridictions internationales et consacré
d’ailleurs dans maintes conventions…d’ap rès lequel les parties en cause doivent
s’abstenir de toute mesure susceptible d’avoir une répercussion préjudiciable à
l’exécution de la décision à intervenir et, en général, ne laisser procéder à aucun acte, - 40 -
46 de quelque nature qu’il soit, susceptib le d’aggraver ou d’étendre le différend»
(ordonnance du 5 décembre 1939, C.P.J.I. série A/B n° 79, p. 199).
3. Permettez-moi de reprendre tour à tour chacun de ces arguments.
Atteintes irréparables aux droits que l’Urugu ay tire du statut de1975, tels que reconnus
par l’ordonnance de la Cour en date du 13 juillet
4. Dans l’affaire de la Mer Egée, le juge D.Aréchaga indiqua que «[l]e but essentiel des
mesures conservatoires [était] d’assurer que l’exécu tion d’une décision ultérieure sur le fond ne
sera[it] pas compromise par les actions d’une partie pendente lite » (C.I.J. Recueil 1976, p. 16).
Dans un autre texte de référence, M.Sztucki a précisé que l’objet de telles mesures était «de
prévenir, pendente lite , toute évolution susceptible de rendr e la décision définitive inopérante»
(J. Sztucki, Interim Measures in the Hague Court , 1983, p.3). Chacune de ces deuxdéclarations
décrit très clairement l’objet de la présente demande de l’Uruguay.
5. En vertu de l’article 41 de son Statut, la Cour doit être convaincue que les circonstances
exposées dans la demande de l’Uruguay appellent l’ indication de mesures conservatoires. A cette
fin, le critère principal appliqué par la Cour consiste à rechercher s’il existe un risque grave qu’un
«dommage ou préjudice irréparable» ne soit causé aux droits de l’autre par tie. En examinant la
question de savoir ce qui peut constituer un « dommage ou préjudice irréparable», c’est bien
volontiers que je m’aligne sur les arguments e xposés par MmeHiggins, à l’époque avocat de la
couronne, dans son intervention prononcée au nom du Royaume-Uni en l’affaire Lockerbie (affaire
relative à des Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de1971
résultant de l’incident aérien de Lockerbie, C.I.J. Recueil 1992).
6. Selon MmeHiggins, le concept de pr éjudice irréparable avait connu troisavatars
principaux (CR 92/3 du 26 mars 1992) :
⎯ premièrement, il pouvait s’agir d’un préjudice irré parable causé au pouvoir de décision de la
Cour ;
⎯ deuxièmement, il pouvait s’agir d’un tort irréparable causé aux droits invoqués ;
⎯ troisièmement, il pouvait s’agir d’un tort irréparable causé à des personnes ou à des biens.
Dans mes conclusions, j’attacherai à la première et à la deuxième de ces catégories, bien que,
comme l’affirmait à juste titre Mme Higgins en 1992 , ces trois concepts «se recouvrent», et je me
garderai de les délimiter les uns par rapport aux autres. - 41 -
7. Il est aussi souvent fait référence, dans la jurisprudence de la Cour, à l’obligation énoncée
dans l’affaire de l’ Anglo-Iranian Oil Co. , selon laquelle [chaque partie] doit «empêcher tout acte
47 qui pourrait préjuger les droits de l’autre partie à l’exécution de l’arrêt que la Cour peut être
appelée à rendre au fond» ( C.I.J. Recueil 1951, p. 893-894) (voir aussi l’affaire de la Compétence
en matière de pêcheries, C.I.J. Recueil 1972 , p. 17-18; l’affaire des Essais nucléaires,
C.I.J. Recueil 1973, p. 142; l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci, C.I.J. Recueil 1984 , p. 187; l’affaire du Différend frontalier (BurkinaFaso
c. Mali), C.I.J. Recueil 1986, p.12 ; l’affaire LaGrand, fond, C.I.J. Recueil 2001, par. 103).
8. En récapitulant toutes ces décisions, Mme Higgins concluait que «[p]réserver l’intégrité et
l’effectivité de la décision sur le fond semble donc bien être l’élém ent central des réflexions de la
Cour lorsqu’elle se demande si les circonstances ap pellent l’indication de mesures conservatoires»
(Lockerbie, CR 92/3 du 26 mars 1992).
9. Madame le président, Messieurs de la C our, la présente espèce a pour objet le droit de
l’Uruguay de procéder à la construction de l’ usine Botnia et d’en maintenir l’autorisation
conformément au statut de 1975. Ce point préci s ne semble pas susciter de désaccord entre les
Parties. Par exemple, au paragraphe 26 de sa pl aidoirie du 8 juin, M. Kohen a évoqué «le droit de
construire ou de ne pas construire ces ouvrag es…» (CR2006/46). Au paragraphe78 de son
ordonnance du 13 juillet, la Cour a estimé que
«en maintenant l’autorisation et en permet tant la poursuite de la construction des
usines, l’Uruguay assume nécessairement l’ ensemble des risques liés à toute décision
au fond que la Cour pourrait rendre à un stade ultérieur [et] que … la construction des
usines sur le site actuel ne peut être réputée constituer un fait accompli car, … «s’il est
établi que la construction d’ouvrages comporte une atteinte à un droit, on ne peut ni ne
doit exclure a priori la possibilité d’une décision judiciaire ordonnant soit de cesser les
travaux soit de modifier ou démanteler les ouvrages»» (citant le Passage par le
Grand-Belt (Finlande c D.anemark), mesures conservatoires, ordonnance
du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 19, par. 31).
10. Madame le président, il ressort clairement de ce passage et de la teneur de l’ensemble de
la décision de rejet de la demande en indication de mesures conservatoires de l’Argentine que, sans
préjuger de toute décision rendue au fond en dernier ressort, l’Uruguay était libre ⎯ le 9 juin ⎯ de
poursuivre à ses risques et périls la construction de l’usine Botnia jusqu’à décision contraire de la
Cour. La Cour n’a pas décidé que la construc tion de l’usine devait cesser ni que l’autorisation - 42 -
devait en être levée et elle ne saurait s’être attendue à ce qu’il y soit mis un terme. L’Uruguay a agi
en conséquence et en toute bonne foi.
11. Comme la Cour vient de l’entendre, l’Argentine ne voit pas les choses de la même façon.
Malgré l’ordonnance de la Cour, elle continue à affirmer que l’Uruguay doit mettre un terme à la
construction de l’usine et en rapporter l’autorisation. Cette question, Madame le président, ne peut
48 être tranchée qu’au fond, rétrospectivement, mais l’Argentine ne se cont ente pas d’attendre que
soient tenues des audiences au fond. Au contra ire, elle semble vouloir écarter toute audience
éventuelle. Son comportement coercitif de puis l’approbation du financement par la Banque
mondiale ne peut servir qu’un seul objectif: rendr e inopérant et ne pas reconnaître le droit de
l’Uruguay de poursuivre la construction de l’usine et d’en maintenir l’autorisation. En tentant de
forcer l’Uruguay à abandonner l’objet même du différend avant que la Cour ne rende sa décision au
fond, l’Argentine cherche à s’assurer que, s’il est finalement rendu justice à l’Uruguay au fond, ce
sera un geste vide de sens étant donné qu’il n’y aura pas d’usine. L’Argentine tente donc de causer
un préjudice irréparable aux droits de l’Uruguay avant que la Cour n’ait la possibilité d’entendre ce
que les Parties ont à dire au fond et de rendre sa décision. C’est par rapport à cet élément décisif
que l’Argentine tente de saper l’intégrité et l’effectivité de la décision finale de la Cour.
12. Il ne s’agit pas ici d’une affaire ayant pour objet l’exécution éventuelle de prisonniers, ni
la destruction matérielle de biens, ni l’occupation forcée d’un territoire contesté. Pourtant, le risque
que l’Uruguay se trouve dans l’incapacité d’exercer ses droits sur l’usine Botnia n’en est pas moins
grave, voire réel. L’Argentine pourra prétendre que la question de savoir si l’Uruguay souhaite
poursuivre la construction de l’usine relève entièrement de l’Uruguay et que les droits de l’Uruguay
à cet égard ne peuvent pas être entamés par des actions de l’Argentine, quelles qu’elles soient.
Etant donné que l’Argentine fait tout ce qui est en son pouvoir pour contraindre l’Uruguay à
abandonner l’usine, pareil argument pourrait sembler faussement candide. Pour sa part, l’Uruguay
ne demande pas que des mesures conservatoires soient indiquées en vue d’affermir sa propre
position: l’Uruguay fera bien entendu de son mie ux pour rester ferme, quelles que soient les
pressions que l’Argentine pourrait exercer à son ég ard et si pénibles que puissent en être les
conséquences. Mais pourquoi l’Uruguay devrait- il subir des pressions économiques ou encourir le
risque de subir des pressions plus violentes pour le seul motif qu’il tente d’exercer des droits que la - 43 -
Cour est seule à pouvoir déterminer de façon décisive au fond ? L’Uruguay n’entend pas céder aux
pressions, mais affirme que l’Argentine, en encourageant les barrages, tente de priver l’Uruguay de
sa capacité à exercer ses droits et cherche ainsi à sap er la capacité de la Cour à rendre une décision
effective dans le différend opposant les Parties. Vu de manière aussi directe et immédiate, le droit
de l’Uruguay de poursuivre la cons truction de l’usine et d’en mainte nir l’autorisation risque déjà à
présent ⎯et pas uniquement à l’avenir ⎯ de subir un préjudice irréparable. L’Uruguay soutient
que la Cour devrait intervenir à chaque fois qu’ il est nécessaire de protéger ceux qui s’en remettent
de bonne foi à ses décisions et ordonnances.
49 13. Madame le président, Messieurs de la C our, l’on peut se demander si la situation est
suffisamment urgente pour mériter des mesures co nservatoires à ce stade. L’Uruguay devrait-il
attendre que la pression exercée sur lui devienne en core plus insupportable? Non, Madame le
président : il pourrait alors être trop tard pour sauverune situation de plus en plus imprévisible et
instable. Le jugeLaing a exposé ce point de manière fort judicieuse en indiquant, en 1999, dans
son opinion individuelle en l’affaire du Thon à nageoire bleue (mesures conservatoires) (Tribunal
os
international du droit de la mer n 3 et 4) : «L’urgence ou l’immine nce se rapporte à l’activité qui
cause le dommage et non nécessairement au dommage même.» Transposé à la présente affaire,
cela signifie que ce sont les barrages qui constituent la menace imminente, et non les conséquences,
quelles qu’elles soient, qu’ils pourraient avoir à terme sur l’usine Botnia. Dans la même affaire, le
juge Treves a formulé une observation similaire :
«L’urgence requise en l’espèce ne concerne pas, de mon point de vue, le danger
d’épuisement auquel se trouverait exposé le st ock [de poissons] au cours des mois qui
sépareront la date du prononcé de l’ordonna nce du moment où le tribunal arbitral sera
à même de prescrire des mesures conservatoires. Au vu des éléments de preuve
scientifiques, il n’est pas certain et il est peu probable qu’un tel événement se
produise. L’urgence concerne l’arrêt de cette tendance auquel le stock se trouve
exposé.» (Opinion individuelle du juge Treves.)
Madame le président, cette déclaration illustre parfaitement la position actuelle de l’Uruguay.
L’Argentine a provoqué une tendance visant à porter atteinte de manière irréparable à la nature
même des droits en litige.
14. L’argument de l’Uruguay va plus loin. En juin dernier, il a affirmé qu’il jouissait à la
fois du droit au développement durable et du dr oit souverain d’exploiter ses ressources naturelles - 44 -
conformément à ses propres politiques environnement ales. La Cour a reconnu la pertinence du
développement économique durable dans le paragraphe80 de son ordonnance du mois de juillet.
Lors de la phase de l’examen au fond, l’Uruguay soutiendra que c’est dans ce cadre que le statut
de 1975 doit être interprété et appliqué : ce texte n’évolue pas dans un vide juridique.
15. L’Uruguay répète qu’il reconnaît la nécessité de coopérer avec l’Argentine par le biais de
la CARU. Il a fait valoir, et continuera de le faire, que les prétentions de l’Argentine visant à
exercer un contrôle sur le développement économi que de l’Uruguay dépassent largement le cadre
de la coopération et de la consultation, lesquelles, selon lui, constituent les seules contraintes que le
droit international ou le statut de 1975 lui imposen t. La manière dont la Cour décidera, le moment
venu, d’interpréter le statut est par conséquent, Madame le président, au cŒur de la présente affaire.
Ce texte est, comme en juin dernie r, le fondement de la compétence prima facie de la Cour en la
présente instance. Les droits qui forment l’objet du différend sont des droits définis par le statut.
Permettez-moi, Madame le préside nt, de rappeler une fois encore à la Cour que c’est l’Argentine
qui a introduit la présente instance. S’il n’obtient pas gain de cause lors de l’examen au fond par la
50 Cour, l’Uruguay est prêt à en assumer les conséquences mais, ainsi que je l’ai dit précédemment, il
est manifeste que l’Argentine n’est pas disposée à prendre le même risque en s’en remettant au
jugement avisé de la Cour. Visiblement, il est bien plus facile pour l’Argentine de tenter, par tous
les moyens dont elle dispose, de mettre fin à la construction dès maintenant. Telle est la
contestation des droits de l’Uruguay à laquelle celui-ci se trouve confronté s’agissant de l’usine.
16. La Cour devrait cependant comprendre qu’il ne s’agit pas là d’un simple différend
concernant une usine de pâte à papier ou la perte de revenus touristiques. Si l’Argentine parvient,
par la contrainte, à réaliser les prétentions outrancières qu’il a formulées en s’appuyant sur le statut
de1975, le droit de l’Uruguay au développement durable sera rien moins que subordonné à la
volonté de l’Argentine. L’Uruguay aura été pr ivé de sa liberté en tant qu’acteur économique
indépendant. Il aura perdu sa réputation de pays en lequel les investisseurs étrangers peuvent avoir
confiance. C’est pourquoi il est d’une importance cruciale pour l’Uruguay que la Cour statue sur
les prétentions de l’Argentine en toute liberté, en toute équité et conformément au droit. Ces
prétentions ne doivent pas se matérialiser par la contrainte, la menace ou d’autres actes illicites - 45 -
présentant un risque réel d’atteinte irréparable à la capacité de l’Uruguay à exercer ses droits
conformément au statut, et à exécuter une décision finale de la Cour en sa faveur.
17. Madame le président, Messieurs de la Cour, pour toutes ces raisons, l’Uruguay affirme
qu’il existe un risque de préjudice sérieux à l’intégr ité et à l’efficacité de l’arrêt de la Cour et,
partant, un risque d’atteinte i rréparable aux droits invoqués par l’Uruguay, lesquels constituent
l’objet du différend. L’Uruguay affirme en out re que, compte tenu des circonstances, il est
nécessaire que les mesures demandées soient ordo nnées de toute urgence afin de protéger ses
droits.
L’aggravation du différend
18. Permettez-moi d’exposer maintenant ⎯ce sera mon dernier point ⎯ en quoi des
mesures conservatoires visant à prévenir l’aggrav ation ou l’extension du différend s’imposent. Ce
que l’Uruguay soutient, ce n’est pas que les barrages ou les protestations aggravent en eux-mêmes
le différend et qu’il doit y être mis fin. Cela serait trop simpliste. En réalité, l’Uruguay se fonde
sur un point plus précis issu de la jurisprudence de la Cour: le fait qu’une partie à un différend
porté devant la Cour, quand bien même elle au rait été déboutée d’une demande en indication de
mesures conservatoires, a le devoir de respecter la décision de la Cour et de s’abstenir de prendre
ou de tolérer des mesures visant à entraver la bonne administration de la justice. Autrement dit,
l’Uruguay, qui a obtenu gain de cause au mois de juillet dernier, a le droit d’attendre de l’Argentine
qu’elle respecte l’ordonnance de la Cour, et de cette dernière qu’elle exerce ses attributions pour
51 garantir ce résultat. Ce point a été exprimé av ec la plus grande fermeté dans l’affaire du Différend
frontalier, dans laquelle la Cour a déclaré que «le pouvoir et le devoir de la Chambre d’indiquer, le
cas échéant, des mesures conservatoires contribuant à assurer la bonne admini stration de la justice
ne sauraient faire de doute» (C.I.J. Recueil 1986, p. 9, par. 19).
19. Le pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires à cette fin a été affirmé très
tôt par celle-ci. Il ne fait au cun doute qu’un tel pouvoir découle nécessairement de l’article 41 du
Statut de la Cour, et il me suffira, à cet égard, de me référer à l’affaire desActivités armées sur le
territoire du Congo et à celle relative à Certaines procédures pénales engagées en France
(République du Congo c. France), dans lesquelles la Cour a dit en des termes identiques : - 46 -
«Considérant que, indépendamment des demandes en indication de mesures
conservatoires présentées par les parties à l’effet de sauvegarder des droits déterminés,
la Cour dispose, en vertu de l’article 41 de son Statut, du pouvoir d’indiquer des
mesures conservatoires en vue d’empêcher l’aggravation ou l’extension du différend
quand elle estime que les circonstances l’exigent.» ( C.I.J. Recueil 2000, p.128,
par. 44 et C.I.J. Recueil 2003, p. 111, par. 39.)
La Cour s’était exprimée de façon similair e dans des affaires telles que celle de la Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéria), mesures
conservatoires, ordonnance du 15ma rs 1996, C.I.J. Recueil 1996 (I), p.22, par.41, et celle du
Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), mesures conservatoires, ordonnance du
10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 9, par. 18.
20. Ainsi qu’elle l’a fait observer dans sa décision rendue en 2001 en l’affaire LaGrand
(C.I.J. Recueil 2001, par.103), la Cour a souvent indiqué des mesures de non-aggravation. (Voir
par exemple Essais nucléaires (Australie c.Fran ce), mesures conservatoires, ordonnance du
22 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 106 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), mesures
conservatoires, ordonnance du 22juin1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 142 ; Différend frontalier
(Burkina Faso/République du Mali), mesures conservatoires, ordonnance du 10janvier1986,
C.I.J. Recueil 1986, p. 9, par. 18 et p. 11, par. 32, point 1 A Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (B osnie-Herzégovine c.Yougoslavie), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 23, par. 48 et p. 24, par. 52 B ;
Application de la conventi on pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance du 13septembre1993 ,
C.I.J. Recueil 1993, p.349, par.57 et p.350, par.61(3); Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Ni géria), mesures conservatoires, ordonnance du
15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 22-23, par. 41 et p. 24, par. 49 (1) ; Activités armées sur le
52 territoire du Congo (République démocratique du Congo c.Ouganda), mesures conservatoires,
ordonnance du 1 erjuillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 128, par. 43-47.)
21. Dans la plupart des affaires, la mesure tendant à la «non-aggravation» était subordonnée
à la protection des droits de l’une ou l’autre des pa rties, mais le fait que la Cour se soit prévalue
d’un pouvoir «indépendant» prouve, selon l’Uruguay, que ce lien n’est pas indispensable. Une
ordonnance peut être rendue en vue d’empêcher l’aggravation du différend même lorsque la Cour a
conclu à l’absence d’un risque de préj udice irréparable aux droits en cause ⎯ comme elle semble - 47 -
l’avoir fait, pour la premiè re fois, dans l’affaire du Différend frontalier (C.I.J. Recueil 1986, p.9,
par. 18, et p. 11, par. 32, point 1 A). M. Th irlway a commenté cette dernière affaire dans le British
Yearbook, écrivant à son sujet que le seul élément vé ritablement conservatoire de l’ordonnance de
la Cour était «présenté comme subordonné à une m esure de non-aggravation, et non l’inverse»
(The Law and Procedure of the ICJ 1960-1989, 72 BYBIL (2001), p. 101 [traduction du Greffe]).
22. De sa jurisprudence, il ressort, du reste, que la Cour n’est assujettie à aucune limitation
lorsqu’elle rend de telles ordonnances. M.Thir lway, pour le citer de nouveau, conclut que «la
question se résume à savoir s’il est probable que se produise un acte susceptible d’aggraver ou
d’étendre le différend. Dans l’a ffirmative, peu importe que cet acte implique l’emploi de la force
ou soit de nature pacifique.» ( The Law and Procedure of the ICJ1960-1989, 72 BYBIL (2001),
p. 102.)
23. Dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran
(Etats-Unis d’Amérique c.Iran) , la Cour a reconnu que le non-respect par les Etats-Unis de son
ordonnance, qui prescrivait que ne soit prise aucune mesure susceptible d’aggraver la tension entre
les deux pays, était «de nature à nuire au resp ect du règlement judiciaire dans les relations
internationales» ( C.I.J. Recueil 1980, par.93). Certes, la Cour n’a pas, en la présente espèce,
indiqué de mesures conservatoires, puisqu’elle a rejeté la demande de l’Argentine tendant à ce qu’il
soit ordonné à l’Uruguay de suspendre la constructio n des usines. Elle a toutefois, au paragraphe
82 de son ordonnance du 13 juillet, appelé les Parties à ne pas «rendre plus difficile le règlement du
présent différend». En n’observant pas les dispos itions de l’ordonnance du 13 juillet, en cherchant
au contraire à contraindre l’Uruguay à se soumettre à sa volonté, il semble que l’Argentine conteste
l’autorité de la Cour, nuise au respect du règlement judiciaire et rende bien plus difficile, sinon tout
bonnement impossible, le règlement du différend par voie diplomatique ou judicaire.
24. Si les barrages dont nous venons d’entendre parler sont contraires aux dispositions de
l’ordonnance de la Cour du 13juillet, les barra ges dressés avant eux ont en outre été jugés
contraires aux dispositions du traité du Mercosur (sentence arbitrale du 6 septembre 2006, annexe 2
de la demande en indication de mesures con servatoires de l’Uruguay), comme l’a expliqué
53 M. Condorelli dans sa plaidoirie. Les barrages sont , de plus, illicites au regard de l’article 194 du
code pénal de la République argentine de1984 (loin o11179), qui sanctionne toute personne - 48 -
coupable d’avoir empêché, entravé ou ralenti le transport par voie de terre, par voie aérienne ou par
bateau (sect. VII, «Délits relatifs à la sécurité publ ique», chap.II, «Délits relatifs à la sécurité des
51
moyens de transport et de communication») , et des articles 23 et 60 de la loi sur la circulation des
personnes et des marchandises (loin 24449), qui impose l’obligation d’assurer, par des
52
déviations, un trafic régulier en cas de manifestations .
25. Même maquillés en contre-mesures prises en réponse aux prétendues violations du statut
de1975, les barrages restent illicites au regard du pa ragraphe3 de l’article 52 des articles de la
Commission du droit international sur la res ponsabilité de l’Etat, ainsi que l’a déjà noté
M. Condorelli 53. Le présent différend relève clairement du champ d’application de cet article.
Dans le commentaire de la CDI, il est expliqué : «Lorsqu’une procédure de règlement par tierce
partie existe et a été invoquée par l’une ou l’au tre partie au différend, les mesures ordonnées dans
le cadre de cette procédure, par exemple des m esures conservatoires, doivent se substituer autant
que possible aux contre-mesures.» (J. Crawford (dir. publ.), Projet d’articles sur la responsabilité
de l’Etat pour fait internationale ment illicite et commentaires y relatifs , 2001.) La précision
suivante est apportée : «pour autant que la pro cédure de règlement du différend soit mise en Œuvre
de bonne foi, une action unilaté rale par le biais de contre -mesures n’est pas justifiée» (ibid.), étant
toutefois ajouté que le recours que représentent les contre-mesures reprend ses droits lorsque
«l’Etat responsable ne coopère pas à ce processus» (ibid.). Si les contre-mesures ne se justifient
pas lorsqu’une partie responsable se conforme à une ordonnance en indication de mesures
conservatoires, elles ne sauraient à fortiori se justifier lorsqu’une demande en indication de mesures
conservatoires a été rejetée et que la partie responsable ⎯ l’Uruguay ⎯ participe de bonne foi à
une procédure de règlement du différend, ce qui est clairement le cas de l’Uruguay. L’Argentine
ne saurait donc se prévaloir, pour les besoins de son argumentation, d’un quelconque droit de
51Pièce jointe 33: Código Penal de la Repúbli ca Argentina. Ley 11.179 de 1984, Articulo 194. ⎯El que, sin
crear una situación de peligro común, impidiere, estorbare o entorpeciere el normal funcionamiento de los transportes por
tierra, agua o aire o los servicios públos de comunicación, de provisión de a gua, de electricidad o de sustancias
energéticas, será reprimido con prisión de tres meses a dos años.
52Pièce jointe 31 : loi n 24 449.
53 «Des contre-mesures ne peuvent être prises et, si elles sont déjà prises, doivent être s suspendues sans retard
indu si : … [l]e différend est en instance devant une cour ou un tribunal habilit é à rendre des décisions obligatoires pour
les parties.» - 49 -
54 soumettre l’Uruguay à un blocus économique pour la simple raison qu’elle n’a pas eu gain de cause
en juillet ni n’a su faire pencher la Banque mondiale en sa faveur.
26. A la vérité, les barrages pénalisent l’Urugua y, qui n’a pourtant rien fait de plus que ce à
quoi l’autorisent l’ordonnance du 13 juillet et le st atut du fleuve Uruguay de 1975. La Cour l’aura
maintenant bien compris, l’Argentine semble chercher à contraindre l’Uruguay à renoncer à l’objet
même du litige ⎯ la construction de l’usine ⎯ avant que la Cour ne puisse examiner le différend
au fond conformément à la procédure prévue à l’article60 du statut de1975. Si ce n’est pas là
faire entrave à la bonne administration de la justic e, l’on conçoit mal ce qui le serait. Dans ce
contexte, que la coercition revête la forme d’ une attaque armée ou soit de nature purement
économique est sans pertinence.
27. Madame le président, Messieurs de la Cour : en bref, l’Uruguay affirme qu’empêcher le
passage de véhicules et de marchandises sur les ponts enjambant le fleuve Uruguay revient à
aggraver le différend, à compromettre de ce fait la bonne administration de la justice et à causer un
préjudice irréparable au droit de l’Uruguay de cons truire l’usine et d’autoriser sa mise en service,
ainsi que de plaider sa cause conformément aux di spositions de l’article60 du statut du fleuve
Uruguay.
28. L’Argentine cherchera peut-être à pl aider qu’il existe un lien insuffisant entre
l’aggravation du différend et les droits en cause au regard du statut de 1975. Point n’est besoin de
s’attarder sur cet argument. La Cour n’ig nore pas que la demande de l’Uruguay porte sur
l’observation par l’Argentine de l’ordonnance qu’elle a rendue le 13 juillet, et si cette ordonnance
n’avait pas eu de lien avec les dro its en litige au regard du statut de 1975, la Cour l’aurait indiqué
en juillet.
29. Mais supposons, pour le besoins de l’argum entation, qu’il n’existe en effet aucun lien
juridictionnel entre la demande de l’Uruguay tenda nt à obtenir des mesures de non-aggravation et
le statut de1975. Cela aurait-il la moindre im portance? Une fois de plus, l’analyse qu’offre
M. Thirlway, précisément de cette question, dans l’article du British Yearbook (p. 105-106), est des
plus utiles. Les opposant aux mesures conservato ires dans le cas desquelles un lien juridictionnel
est essentiel, M. Thirlway indique que - 50 -
«les mesures de non-aggravation sont, par définition, dépourvues de lien avec la
nature des droits invoqués, si ce n’est un lien ténu : les actes proscrits doivent, peut-on
penser, être des actes suscep tibles d’aggraver le différend relatif à ces droits, et non
des actes susceptibles de compromettre de manière générale les bonnes relations entre
les parties. Tout l’accent, notamment da ns le cadre du raisonne ment développé en
l’affaire du Différend frontalier, est mis sur la nécessité de maîtriser l’escalade: la
nature réelle du différend, la définition d es droits invoqués et déniés, ces points sont
55 secondaires.» ((2001) 72 BYBIL, p. 106.)
30. Permettez-moi de le redire: l’Uruguay ne cherche pas à soutenir qu’une protestation
publique, des manifestations publiques ou une cr itique publique de l’Uruguay constituent en soi
une aggravation du différend, ni qu’elles puissent constituer en soi une ingérence dans la bonne
administration de la justice, ni encore qu’elles portent atteinte aux droits de l’Uruguay, et
l’Uruguay ne cherche pas non plus à y mettre fin. Au contraire, l’Uruguay reconnaît pleinement le
droit constitutionnel qu’a le peuple argentin de se réunir et de manifester publiquement. Ce sont là
des droits qui sont protégés dans l’un et l’autre Etats par l’article 15 de la convention américaine
relative aux droits de l’homme de 1969, qui dispose :
«Le droit de réunion pacifique et sans armes est reconnu. L’exercice de ce droit
ne peut faire l’objet que des seules restricti ons qui, prévues par la loi, sont nécessaires
dans une société démocratique dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté et de
l’ordre publics ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits ou les
libertés d’autrui.»
L’Uruguay n’éprouve pas le désir de contraindre l’ Argentine à porter atteinte au droit de réunion
pacifique, ni ne demande à la Cour de re ndre une quelconque ordonnance qui produirait pareil
effet.
31. Mais comme l’énonce clairement l’article 15 de la convention américaine, le droit de se
réunir librement peut faire l’objet d’une réglem entation lorsque cela s’avère nécessaire dans une
société démocratique. Il ne s’agit pas d’un droit absolu qui doit s’exercer sans égard pour les effets
préjudiciables qui pourraient résulter de cet exercice et sans restrictions. Il y a, en particulier, que
la plupart des sociétés démocratiques permettent que des restrictions soient imposées, quant au
moment et au lieu où le droit de manifester peut être exercé et quant à la manière dont ce droit peut
être exercé. Le problème qui se pose en l’esp èce, ce n’est pas que des Argentins entendent
manifester, mais qu’ils entendent empêcher tout passage, et cela indéfiniment, sur trois ponts et que
leur gouvernement ne fait rien pour réduire l’e ffet dommageable que ces actions produisent sur
l’Uruguay. Un blocus économique de cette nature ne constitue pas un exercice du droit de se réunir - 51 -
librement. Le droit de se réunir et de manifest er peut être effectivem ent exercé sans bloquer le
passage sur les ponts, ou sans porter atteinte indéfini ment à la libre circulation des biens et des
personnes. Il est tout à fait possible de protéger la liberté d’expression des manifestants et de leur
permettre de faire connaître leur opposition, tout en leur demandant de faire cela en un lieu où ils
n’empêcheront pas toute circulation sur les ponts entre les deux Etats. Un équilibre raisonnable
doit, dans toute société démocratique, être préser vé entre des droits et des libertés opposés. Cet
équilibre n’a pas été préservé par l’Argentine, à laquelle, ainsi que l’a montré M. Condorelli, doit
être imputée la responsabilité des blocages et, par là, celle de l’aggravation du différend.
56 32. Madame le président, Messieurs les juges, j’espère qu’il apparaît clairement à présent
que, alors que l’Uruguay a cherché à parvenir à un règlement du présent différend en coopérant
avec l’Argentine à cette fin, ce lle-ci n’a pas seulement refusé de coopérer, mais a également
cherché à aggraver le différend, en permettant ⎯en les y encourageant ⎯ à ses citoyens de
maintenir un blocage illicite des ponts, en violation de l’esprit et de la lettre de l’ordonnance que la
Cour a rendue le 13 juillet. L’Uruguay réaffirme, dès lors, les conclusions énoncées à l’ouverture
de l’audience, à savoir :
i) Que l’Argentine est responsable en droit international pour avoir manqué à son obligation
d’exercer un contrôle sur le blocage actuel de tous les ponts enjambant le fleuve Uruguay.
ii)Que les mesures conservatoires sont nécessaires pour empêcher qu’un préjudice
irréparable ne soit causé au droit de l’Uruguay à ce que le fond du différend soit tranché
par la Cour, conformément à l’article 60 du statut du fleuve Uruguay de 1975.
iii)Que les mesures conservatoires sont nécessaires pour empêcher qu’un préjudice
irréparable ne soit causé au droit de l’Uruguay de poursuivre la construction et d’autoriser
la construction de l’usine Botnia, conformément au statut du fleuve Uruguay de 1975 et à
l’ordonnance rendue par la Cour le 13 juillet 2006.
iv)Que les mesures conservatoires sont en outre nécessaires afin d’empêcher qu’une
aggravation du différend ne porte atteinte à une bonne administration de la justice.
33. L’Uruguay prie, par conséquent, la Cour d’indiquer les mesures conservatoires figurant
dans la demande qu’il lui a soumise. - 52 -
Madame le président, je suis heureux de di re que ceci conclut les observations de l’Uruguay
de ce matin. Je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie infiniment, M. Boyle. Oui, cela met fin au premier tour
d’observations orales de l’Uruguay.
Les audiences reprendront à 15heures pour entendre l’Argentine en son premier tour
d’observations orales. L’audience est à présent levée.
L’audience est levée à 12 h 45.
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