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CR 2006/28 (traduction)
CR 2006/28 (translation)
Lundi 27 mars 2006 à 15 heures
Monday 27 March 2006 at 3 p.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La Cour va entendre à présent le prochain témoin
appelé à la barre par la Serbie-et-Monténégro, M.Vladimir Mili ćević. Le témoin peut à présent
être introduit dans la salle d’audience.
[Le témoin entre et prend place à la barre.]
Je saisis cette occasion pour faire savoir aux Parties que, pour des raisons qu’il m’a fait
connaître, le juge Koroma n’est pas en mesure de siéger avec nous cet après-midi.
J’invite M. Milićević à prendre l’engagement solennel prévu pour les témoins, tel qu’énoncé
à l’alinéa a) de l’article 64 du Règlement de la Cour.
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Je déclare solennellement, en tout honneur et en
toute conscience, que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
Le PRESIDENT: Je donne à présent la parole à M.Cvetkovi ć afin qu’il procède à
l’interrogatoire du témoin.
CVME.TKOVIĆ : Merci, Madame le président. Bonjour Monsieur Mili ćević. Je vous prie
de bien vouloir faire votre déposition en commen çant par lire la déclaration que vous avez
préparée.
MMI.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Madame le président, Messieurs les juges, mon
nom est Vladimir Mili ćević et je suis né le 15octobre 1947 à Vlajkovci, un village de la
municipalité de Brus. Après le lycée, j’ai suivi une formation d’enseignant à Kruševac, où j’ai
obtenu le diplôme de fin d’études. En 1970, j’ai commencé à travailler pour le ministère de
l’intérieur, au service de prévention de la criminalité, rattaché au département de la sécurité
publique de la police de Kruševac. J’ai travaillé dans ce service jusqu’en 1987, date à laquelle je
suis devenu le chef de la section chargée des affaires frontalières, des ressortissants étrangers, des
documents de voyage et des armes du district de Rasina. J’ai occupé ce poste jusqu’à mon départ,
en 2000.
Début août 1995, un grand nombre de personnes venant de Bosnie-Herzégovine sont entrées
sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie. Il fut établi ultérieurement que ces
personnes étaient membres de l’armée de Bosnie-Her zégovine et qu’elles avaient, pour la plupart, - 3 -
entre dix-huit et cinquante-cinqans. Elles furent d’abord hébergées au centre d’accueil de
Braniško Polje, que tout le monde appelait Šlji vovica. Šljivovica étant trop petit pour toutes les
11 héberger, il fut décidé de créer, au centre d’en traînement territorial de Mitrovo Polje, dans la
municipalité d’Aleksandrovac, un autre centre d’accueil pour loger et nourrir la moitié des soldats
musulmans qui s’étaient enfuis.
Le 4 août 1995, le premier groupe de Musulman s qui avaient pris la fuite arriva au centre
d’accueil sous escorte policière. Tous les autres ar rivèrent au cours des deux ou trois jours qui
suivirent jusqu’à ce que le centre d’accueil de Mitrovo Polje, qui pouvait héberger quatrecent
cinquantepersonnes, soit entièrement plein. L’identité de ces personnes fut établie à leur
admission à partir des rares documents qu’ils avaient sur eux. Au cours de conversations que j’eus
avec les Musulmans, j’appris qu’ils étaient peu inst ruits et qu’ils n’avaient achevé tout au plus que
l’école primaire, avant de suivre différents apprentissages conduisant à des métiers comme ceux de
menuisier, maçon et ouvrier du béton. L’état ta nt psychologique que physique de tous ceux qui
arrivèrent à Mitrovo Polje était très mauvais. Il était évident qu’ils n’ avaient pas mangé depuis
longtemps, qu’ils ne s’étaient pas lavés et n’av aient pas non plus changé de vêtements depuis un
certain temps. On leur fit immédiatement pre ndre une douche et on leur fournit des vêtements
propres. Ils purent être nourris avec l’aide de l’admi nistration territoriale des autorités civiles de la
municipalité de Kruševac et du district de Rasina. Pendant le premier mois, les questions de
nourriture et d’hygiène personnelle purent ainsi être réglées, puis de l’aide envoyée par le HCR et
le CICR commença à arriver.
Le ministère de l’intérieur serbe décida de former, au centre d’accueil de Mitrovo Polje, du
personnel ayant pour tâche de s’assurer que les pers onnes hébergées au centre étaient en sécurité,
qu’elles étaient nourries, qu’elles recevaient les soins médicaux nécessaires et qu’elles
bénéficiaient de toutes les autres formes d’assistan ce dont elles avaient besoin pour être hébergées
décemment avant d’être transférées, avec l’aide de la communauté internationale, dans les pays qui
acceptaient de les recevoir et de leur permettre de rester sur leur territoire. Suite à une décision de
la police des frontières de la République de Serbie, je fus placé à la tête du personnel du centre
d’accueil de Mitrovo Polje. - 4 -
Madame le président, Messieurs les juges, les conditions qu’offrait le centre d’accueil de
Mitrovo Polje étaient bonnes. Il y avait des toilettes, de l’eau potable, des douches et un chauffage
central au mazout. J’ajouterai que la nourriture des policiers serbes qui étaient chargés d’assurer la
sécurité au centre d’accueil et des anciens membres de l’armée musulmane provenait de la même
cuisine, à la différence que la nourriture destin ée à ces derniers était cuisinée par leurs propres
chefs. Le terrain sur lequel se trouvait le centre d’accueil de Mitrovo Polje n’était pas clôturé. Les
Musulmans pouvaient aller et venir librement sur t out le terrain et ils passaient beaucoup de temps
à jouer au basket-ball, au football à cinq et au volley-ball. Le centre était gardé par des membres
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en uniforme du ministère de l’intérieur de la Serb ie. Les gardes et les Musulmans n’avaient pas de
contact direct parce qu’un ordre écrit l’interdisa it aux policiers. Les gardes et les autres membres
de la police avaient été avertis que toute conduite enfreignant les règlements de service de la police
serait très sévèrement punie.
Immédiatement après la création du centre d’accueil de Mitrovo Polje, des représentants de
la communauté internationale et d’organisations in ternationales commencèrent de le visiter et de
recenser tous les membres de l’armée musulmane qui s’y trouvaient. Les représentants de la
communauté internationale ⎯ l’ambassadeur d’Australie, le premier secrétaire de l’ambassade des
Etats-Unis à Belgrade ⎯ et les représentants d’organisations internationales ⎯ la Croix-Rouge de
Genève et l’Organisation des Nations Unies ⎯ purent s’entretenir avec tous ceux avec lesquels ils
le souhaitaient sans la présence de membres du personnel de Mitrovo Polje. Les représentants des
ambassades et des organisations internationales organisaient directement leurs visites avec la police
des frontières, du ministère de l’intérieur serbe. Les occupants du centre et leurs familles avaient
également recours à ces représentants pour échanger des lettres. Les représentants des ambassades
et des organisations internationales n’ont jamais fait de remarque sur les conditions qui prévalaient
dans le centre sauf pour proposer d’agrandir la cuisine, car elle n’était pas suffisante pour permettre
de nourrir tous ceux qui devaient l’être. Ils av aient promis des fonds pour qu’elle soit agrandie
mais, aussi longtemps que le centre fonctionna, cette promesse ne fut pas honorée.
Pendant sa durée d’existence, le centre reçut la visite de quarante-trois délégations étrangères
⎯ dix-sept du CICR, vingt-trois du HCR et trois d’ambassades étrangères à Belgrade. A partir du
moment où un dispensaire eut été mis en place au centre, des soins médicaux y furent dispensés; un - 5 -
médecin et un dentiste du centre médical d’Aleksandrovac y assuraient un tour de garde. Pour voir
un médecin, il fallait en faire la demande à l’aî né du dortoir, qui réunissait chaque jour les
demandes. Ceux qui avaient des problèmes de santé plus graves étaient immédiatement emmenés à
l’hôpital de Kruševac, au centre médical de Brus ou à celui d’Aleksandrovac. Le centre connut une
épidémie de fièvre typhoïde confirmée par des mé decins de Belgrade. Ils établirent également que
la typhoïde ⎯ une maladie contagieuse ⎯ provenait de Bosnie. Des mesures de soins et d’hygiène
13 prises rapidement permirent d’enrayer l’épidémie et d’éviter qu’elle ne s’étende et s’aggrave. L’un
des pensionnaires du centre d’accueil devait pourtant décéder au centre médical de Brus des suites
d’une occlusion intestinale qui y avait été dia gnostiquée. Le juge d’instruction du tribunal
d’instance de la municipalité d’Aleksandrovac enqu êta sur place et l’institut médicolégal de la
faculté de médecine de Niš pratiqua une autopsie ; cet institut consigna l’ autopsie et donna ses
conclusions et son avis sur la cause du décès. L es représentants de la communauté internationale
demandèrent aux pensionnaires du centre d’accueil dans quels pays ils souhaitaient se rendre,
aucun d’entre eux ne voulant retourner en Bosnie-Herzégovine. La plupart purent se rendre dans le
pays choisi. Le ministère de l’intérieur de Se rbie mettait en place des autocars pour les conduire
deMitrovo Polje jusqu’à l’aéroport Sur čin de Belgrade, d’où ils étaient transférés vers des pays
tiers. A l’aéroport, il y avait toujours des représentants de la communauté internationale pour
assister à leur départ. Le centre de Mitrovo Polje se vida pendant les mois de janvier et
février 1996 et ferma ce même mois de février 1996. L’ouverture du centre de Mitrovo Polje avait
coïncidé avec l’arrivée d’un grand nombre de réfu giés serbes de Knin, dans la région croate de
Kraïna. Certains de ces réfugiés étaient hébergés en différents lieux proches du centre d’accueil,
mais dans des conditions d’hébergement bien pires que celles du centre où séjournaient les
Musulmans. Les conditions de vie des réfugi és serbes provoquèrent, à plusieurs reprises, une
révolte parmi eux et la population locale de Mitrovo Polje. Heureuse ment, cette révolte fut limitée
et fut sans conséquences graves.
Le PRESIDENT: Je vous remercie. Monsieur Cvetkovi ć, voulez-vous interroger le
témoin ?
CVME.TKOVIĆ : Oui, Madame le président, je voudrais lui poser quelques questions. - 6 -
MonsM ieiilr ćević, vous avez indiqué que, outre le centre d’accueil que vous dirigiez, il
existait un autre centre, appelé Šljivovica. Pouvez-vous dire à la Cour si vous savez quelque chose
sur l’autre centre et, notamment, s’il existait une différence entre les deux ?
MMI. I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Oui, il existait un autre centre d’accueil à
Šljivovica, près d’Užice. Le centre d’accueil occ upait en fait le terrain d’une entreprise de
construction de Belgrade. A en juger par ce que j’ai vu, les conditions d’hébergement y étaient
quelque peu différentes de celles qui prévalai ent à Mitrovo Polje. Cette différence tenait
essentiellement au fait qu’il n’y avait pas de chauffag e central dans cet autre centre; pour le reste,
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les conditions d’hébergement étaient similaires ou identiques à celles de Mitrovo Polje.
CMV.ETKOVI Ć: Pouvez-vous nous dire s’il vous plaît s’il existait une quelconque
différence entre votre centre d’accueil et celui de Šljivovica quant au statut des personnes
hébergées ?
MMI.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Je pense que les personnes hébergées dans l’un
et l’autre centre bénéficiaient exactement du même statut. Et il me semble également que les
représentants de la communauté internationale ont visité aussi bien Šljivovica que Mitrovo Polje.
M. CVETKOVIĆ : Vous avez dit, dans votre déposition, que l’un des Musulmans de Bosnie
était décédé pendant son séjour au centre. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur les
circonstances de sa mort ?
MMI.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Certainement. Malheureusement, une personne
est décédée d’une occlusion intestinale. Il s’ agissait d’un homme jeune qui avait terriblement mal
au ventre; il fut conduit en voiture jusqu’à l’hôpital de Brus, à 2heures du matin.
Malheureusement, tout était fini quand ils arrivèrent à l’hôpital et il n’y avait plus rien à faire pour
le sauver. Dans la voiture se trouvait avec luion cousin, qui était hébergé au centre d’accueil,
dans le même dortoir; il s’appelait Šečer Dizdarević; il était justement travailleur médical et servait
d’interprète, c’est-à-dire qu’il f acilitait la communication entre les médecins et les réfugiés du
centre.
MV.ETKOVI Ć: Une dernière question. MonsieurMili ćević, vous avez également
mentionné, dans votre déposition, que tous les Mu sulmans de Bosnie qui séjournaient dans votre - 7 -
centre étaient membres des forces armées. Comment le savez- vous ? Comment savez-vous qu’ils
étaient membres des forces armées ? Et, savez-vous qui les commandait en Bosnie-Herzégovine ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Cela ne fait absolument aucun doute car, lors de
conversations que j’ai eues avec un grand nombre d’entre eux, ils ont dit qu’ils appartenaient à la
première brigade légère de Žepa. Quand ils sont arrivés au centre, quelques-uns d’entre eux
portaient des uniformes militaires et presque tous av aient des chaussures de l’armée ou des bottes.
C’est également à partir des conversations que j’ai eues avec eux que [j’ai] appris que la brigade se
composait de sept compagnies. Ils ont tous affirmé que leur commandant en chef était Naser Orić
et que le commandant de la brig ade était une personne nommée Poli ć ⎯ pour autant que je m’en
souvienne.
15 CMVE. TKOVIĆ : Merci. Je vous remercie Madame le président. Me voici parvenu au
terme de notre interrogatoire principal.
Le PRESIDENT : Madame Korner, vous avez la parole pour votre contre-interrogatoire.
Mme KORNER : Merci. Monsieur Milićević, vous avez fourni à la Cour des indications très
précises concernant le nombre et la nature dorganisations internationales qui se sont rendues
dans le camp que vous dirigiez: quarante-trois délégations étrangères, vingt-trois délégations
du HCR, etc., etc. Puis-je en déduire que, pour préparer votre déposition devant la Cour, vous avez
vérifié dans les archives de ce camp qui existent encore aujourd’hui ?
M IL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Non, je ne me suis reporté à aucun document
pour préparer cette brève déclaration, parce que ces documents étaient en réalité entre les mains du
ministère de l’intérieur. Le seul document auquel j’aie eu accès, et que j’ai effectivement consulté,
est le rapport d’autopsie du juge d’instruction du tribunal d’Aleksandrovac.
Mme KORNER: Etes-vous en train de nous dire que vous avez pu vous livrer à un
recensement aussi précis de mémoire ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Oui, je l’ai fait uniquement de mémoire et en me
fondant sur les conversations que j’ai eues avec les collègues avec qui je travaillais à l’époque.
Mme KORNER : Pouvez-vous nous dire, s’il vous plaît, combien de personnes se trouvaient
dans le camp que vous avez dirigé jusqu’à sa fermeture en 1996 ? - 8 -
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Il me semble que j’ai donné un chiffre très précis
à ce sujet; j’ai dit qu’il y avait quatre cent cinquante personnes dans ce centre.
Mme KORNER : En effet. Et là encore, vous l’avez dit de mémoire.
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Eh bien, je ne vois pas comment les chiffres que
j’ai lus pendant ma déclaration … je veux dire, qu’y a-t-il de si difficile à se souvenir de cela ?
Mme KORNER: Et ces quatrecentcinquante personnes, absolument toutes ces personnes,
nous dites-vous, étaient des membres de l’armée de la Bosnie-Herzégovine, et avaient entre
dix-huit et soixante-cinq ans.
MMI.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Oui, cela ressort des indications qu’elles ont
fournies à l’époque, elles avaient été enrôlées dans la première brigade légère de Žepa.
16 Mme KORNER: MonsieurMili ćević, j’aimerais que vous soyez très clair sur ce point.
Vous vous êtes renseigné sur ces personnes en utilisant leurs pièces d’identité. Est-ce exact ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Eh bien, pour être tout à fait précis, il s’agissait
des documents qui avaient été recueillis par les membres de la police d’Užice lorsque ces
personnes avaient traversé la frontière et gagnéleur territoire, et lorsqu’elles y avaient
effectivement été recueillies.
Mme KORNER: Saviez-vous que le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine menait, ou
faisait mener par une commission, une enquête sur les événements qui se sont produits à Srebrenica
en juillet 1995 ?
MMI.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Oui, tout à fait. Mais je l’ai appris par les
journaux et je ne vois pas comment je pourraistémoigner sur la base de telles informations.
Compte tenu de la nature de mes activités à l’époque , je ne suis pas en mesure de vous donner plus
de détails concrets.
Mme KORNER : Je comprends bien. Mais ce que je voudrais savoir, c’est si vous étiez au
courant que le ministre de l’intérieur avait four ni la liste des personnes qui étaient détenues dans
votre camp, ainsi que dans l’autre, afin d’aider la commission dans ses travaux. Le saviez-vous ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Non. - 9 -
Mme KORNER: Ce que je veux vous dire, et je pense que vous en étiez tout à fait
conscient, c’est que parmi les hommes qui se trouva ient dans ce camp, beaucoup avaient moins de
dix-huit ans. En convenez-vous ?
MMI. I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Dans mon centre, parmi tous ceux qui s’y
trouvaient, seulement huit avaient moins de dix-huitans, et selon les témoignages, ou les
déclarations, des membres de cette brigade, ces jeunes gens étaient tous des estafettes.
Mme KORNER: Vous vous êtes souvenu de tout cela de mémoire, sans avoir à vous
reporter au moindre document relatif à ce qui s’est passé en 1996 ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : En effet, et je l’ai déjà dit à deux reprises. Je ne
voudrais pas avoir à le faire une troisième fois.
MmeKORNER: D’accord. Eh bien, je vous dirai que, selon moi, il y en avait beaucoup
plus de huit qui avaient moins de dix-huit ans. Mais j’aimerais, si vous en êtes d’accord, en venir à
la description que vous avez faite de ces personnes. Reconnaissez-vous avoir dit à la Cour qu’elles
n’étaient guère instruites ?
MMI.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Non. Ce que j’ai indi qué dans ma déclaration,
c’est ce que j’ai appris au cours des conversations que j’ai eues ces personnes, parce que
17 chacune d’entre elles avait un dossier personnel, et que, dans ce dossier, il fallait remplir une case
correspondant au niveau de formation. Ce sontces mêmes informations et données qui ont été
communiquées au CICR.
Mme KORNER : Ces personnes étaient en mauvaise santé physique et psychologique ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Oui.
Mme KORNER : Elles souffraient de la faim depuis longtemps ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Oui.
Mme KORNER : Il s’agissait bien de personnes qui avaient fui les événements qui s’étaient
déroulés à Srebrenica et à Žepa, n’est-ce pas ?
MMI.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Eh bien, d’après ce qu’elles nous ont indiqué,
elles étaient passées de manière illégale sur le territo ire de la Yougoslavie et avaient fui celui de la
Bosnie-Herzégovine, en proie à la guerre. - 10 -
Mme KORNER : Monsieur Mili ćević, êtes-vous en train d’essayer d’éviter de répondre à la
question? Ce que je vous demande, c’est si ces personnes qui se trouvaient dans votre camp
avaient fui les meurtres qui avaient eu lieu lors des prises de Srebrenica et de Žepa en juillet 1995.
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : En fait, elles n’ont jamais évoqué ce point dans
les conversations que nous avons eues avec elles.
Mme KORNER: Avez-vous jamais fait le rapprochement entre ce qui s’était passé à
Srebrenica et à Žepa et ces réfugiés qui arrivaient aux portes de la Serbie au début du mois d’août ?
M IL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Non, il n’entrait pas dans mes attributions de
faire un tel rapprochement. Ma mi ssion consistait à recueillir les réfugiés, à les héberger, à les
nourrir et à leur offrir des conditions de vie décentes.
Mme KORNER: Pour arriver en Serbie, ces personnes avaient dû traverser la Drina à la
nage, n’est-ce pas ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : En fait, il est ressorti des conversations que nous
avons eues avec elles qu’elles n’av aient pas traversé à la nage, ma is qu’elles avaient utilisé des
radeaux de fortune.
Mme KORNER : Mais lorsqu’elles tentaient d’emprunter les ponts ou qu’elles étaient prises
en train d’essayer de traverser la rivière, la politi que de la police des frontières était bien de les
renvoyer en Republika Srpska, n’est-ce pas ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Pour autant que je sache, elles avaient traversé la
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frontière illégalement dans la mesure où elles n’étaient pas passées par les postes frontière réguliers
où stationnait la police des frontières; autrement d it, elles étaient entrées de manière irrégulière sur
le territoire de la République fédérale de Yougoslavie.
Mme KORNER: Bien. A votre connaissance, M onsieur, en tant que membre de la police
des frontières, n’est-il pas vrai que les personnes prises au mois de juillet en train de fuir Srebrenica
furent renvoyées en Republika Srpska ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Je n’ai jamais dit une chose pareille, et je n’ai en
ma possession aucune information de la sorte. - 11 -
Mme KORNER : Etes-vous en train de nous dire que, bien que vous ayez dirigé la police des
frontières de Rasina, vous n’avez pas entendu parler de personnes qui auraient été prises et
renvoyées en Republika Srpska ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Non, car le district de Rasina ne se situe pas à la
frontière avec la Republika Srpska.
Mme KORNER : En revanche, tel est bien le cas du district de⎯ pardonnez-moi, je vérifie
⎯ de Bajina Bašta, n’est-ce pas ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : En effet, mais je ne travaillais pas dans le district
de Bajina Bašta.
Mme KORNER : A quelle distance se trouve-t-il de du lieu où vous travai
lliez ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Je ne sais pas exactement, mais je dirais à 350,
400 kilomètres.
Mme KORNER : Entre 350 et 400 kilomètres de là où vous travailliez ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Oui.
Mme KORNER: Et vous n’avez jamais entendu parler de la moindre reconduite à la
frontière à partir de cette municipalité ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Pardon…
Mme KORNER : Vous n’avez jamais entendu parler de la moindre mesure de reconduite à la
frontière prise à Bajina Bašta afin de renvoyer ces personnes en Republika Srpska ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Non. Et il me semble bien que c’est la deuxième
fois que je vous fais la même réponse.
19 Mme KORNER: Très bien. Il me reste juste une question. Certaines personnes du centre
n’avaient-elles pas été recueillies à Bajina Bašta ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Non, je n’ai jamais entendu parler de cela. Tous
les réfugiés avaient pénétré sur notre territoire au même endroit, àčac. Du moins, c’est ce
qu’ils ont déclaré. Là, ils s’étaient livrés à l’ armée yougoslave, puis la police et la Croix-Rouge
internationale les avaient aussitôt pris en charge. Tous ne s’étaient pas livrés à l’armée yougoslave,
mais lorsqu’ils l’avaient fait, c’ était par petits groupes d’envir on dixpersonnes. C’est ce qui - 12 -
ressort de leurs déclarations, car je n’étais pas personnellement présent lorsqu’ils ont passé la
frontière pour rejoindre le territoire de la République fédérale de Yougoslavie.
Mme KORNER : Si vous aviez demandé au ministère de l’intérieur de Serbie l’autorisation
de consulter les archives, vous auriez été en mesure de nous présenter des informations tout à fait
précises sur l’ensemble de ces points, n’est-ce pas ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Eh bien, je ne sais pas exactement quel était le
contenu des documents et si de telles archiv es ont effectivement été communiquées par le
secrétariat de l’intérieur d’Užice au ministère de l’intérieur de Serbie. Ce que je sais c’est que,
pour ma part, j’ai communiqué des informations de cette nature concer nant le centre de
Mitrovo Polje.
Mme KORNER: Juste une dernière chose con cernant Šljivovica: Combien de fois vous y
êtes-vous rendu ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : En fait, je n’y suis allé qu’une seule fois.
Mme KORNER: Donc, tout ce que vous nous avez dit à ce sujet est fondé sur une seule
visite ?
MMIL.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : C’est fondé sur ce que j’ai vu personnellement
ainsi que sur les conversations quotid iennes que j’avais avec mes collègues ⎯ et nous en parlions
effectivement tous les jours, évoquant les conditio ns de vie et de séjour dans ces centres. Ces
conversations portaient principalement sur les difficultés que nous éprouvions à assurer le
ravitaillement en nourriture, en vêtements et en produits d’hygiène pour les personnes qui
séjournaient dans les centres, sachant que ces difficultés ont été très importantes jusqu’à ce que
le HCR nous vienne en aide.
Mme KORNER : Merci.
Le PRESIDENT : Monsieur Cvetković, souhaitez-vous interroger de nouveau le témoin ?
CV. ETKOVI : Oui, Madame le président, j’ai deux questions rapides.
Monsieur Milićević, pourriez-vous, s’il vous plaît, nous rdire combien de temps le centre
d’accueil a été ouvert ? - 13 -
20 MMI.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Vous parlez de Mitrovo Polje? Il est resté
ouvert du 4 août 1995 au 9 février 1996, sachant qu’un certain nombre de personnes ont continué
d’y séjourner après sa fermeture. Cent quatre-vingt -quatorze, exactement. Elles furent ensuite, en
accord avec le HCR, transférées à Šljivovica, l’idée étant de réduire les coûts d’hébergement et de
nourriture, un grand nombre de personnes des deux centres ayant déjà été transférées vers des pays
tiers.
CME.TKOVI Ć : Et pendant ces six mois, un petit peu plus de six mois, au cours desquels
le centre est resté ouvert, combien d’heures par jour y passiez-vous ?
MMI.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : A vrai dire, j’y passais vraiment beaucoup de
temps. J’y disposais même d’un endroit pour dormir, alors que j’avais une chambre dans un hôtel
tout proche. J’étais responsable de tout ce qui se passait dans le centre. Je devais tout savoir,
absolument tout, et tenir la Serbie ⎯ou plus précisément la police des frontières ⎯ informée en
temps utile ⎯ ou sur-le-champ, si le ministère de l’intérieur me le demandait.
CV.ETKOVI Ć: Dernière question. Si l’on coidère que le centre est resté ouvert
pendant si longtemps, que vous y avez passé autant de temps et que vous étiez en outre responsable
de tout ce qui s’y déroulait, seriez-vous dpour dire qu’il est pl utôt normal que vous vous
souveniez, même aujourd’hui, dix ans après, de la plupart des détails concernant le centre ?
MMI.I ĆEVIĆ [interprétation du serbe] : Mais bien sûr, et ce ne sont d’ailleurs pas des
détails dont il serait difficile de se souvenir.
CVME.TKOVIĆ : Merci beaucoup, Monsieur Milićević. Merci, Madame le président.
Le PRESIDENT: Merci. La Cour va maintena nt se retirer, mais les Parties et le témoin
voudront bien demeurer à proximité de la gransalle de justice. Si elle souhaite poser des
questions au témoin, la Cour reviendra dans la salle d’audience dans les quin ze minutes. Si elle ne
souhaite pas poser de questions, la Cour ne reviendra pas dans la salle d’audience et le Greffe
informera les Parties et le public en conséquence. L’audience est levée.
L’audience est levée à 16 h 20.
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