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CR 2006/21 (translation)
CR 2006/21 (traduction)
Thursday 16 March 2006 at 10 a.m.
Jeudi 16 mars 2006 à 10 heures - 2 -
10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. M. Brownlie, vous avez la parole.
M. BROWNLIE : Je vous remercie Madame le président.
Q UESTIONS RELATIVES A LA RESPONSABILITE DES E TATS : EXAMEN COMPLEMENTAIRE
A. Introduction
Madame le président, Messieurs de la Cour, je voudrais, en guise d’introduction, évoquer
l’attitude de nos éminents contradi cteurs. Celle qu’ils ont adoptée consiste à appliquer ce que je
qualifierai d’«exception serbe», à rebours en quelque sorte: toutes les actions et aspirations des
Serbes auraient été illicites et tout es se seraient inscrites dans un plan visant à créer une Grande
Serbie.
Et pourtant, la vérité est très différente.
Premièrement, la Serbie n’a pas pris l’ initiative du démembrement de la Yougoslavie;
d’autres l’ont fait.
Deuxièmement, les Musulmans de Bosnie recevaient une assistance ⎯à savoir une
assistance militaire ⎯ considérable de l’extérieur.
Troisièmement, il y a eu quelque hâte de la part des puissances voisines à reconnaître le
processus de sécession.
D’où la guerre civile. Dans ces circonstan ces, les politiques adoptées par la RFY pendant
cette époque de troubles sont à peine surprenantes. Parmi les circonstances pertinentes figurent,
tout d’abord, un passé lourd de tensions ethni ques et d’atrocités et, ensuite, les problèmes
politiques posés par l’organisation du retrait et du redéploiement des unités de la JNA pendant les
mois de mars, avril et mai 1992.
Dans ce contexte, l’apparition d’une Republika Srpska et la constitution par celle-ci d’une
armée ne font que refléter les événements qui se déroulaient en Croatie et ailleurs.
Dans ces circonstances, l’aide apportée par la RFY aux Serbes de Bosnie et à leurs
institutions apparaît à la fois raisonnable et licite.
Il y a donc comme deux poids et deux mesu res dans l’attitude adoptée par nos adversaires
face à l’apparition de la Republika Srpska et de ses institutions indépendantes. - 3 -
Ainsi, et pour conclure cette introduction, je relèverai que, s’agissant de la question de
l’imputabilité des actes dans la présente instance, l’attitude systématiquement anti-serbe du conseil
de l’Etat demandeur s’est soldée par un résultat bi aisé, sous la forme d’ un manque persistant de
11 sincérité dans la présentation des éléments de pr euve. Parmi les exemples les plus remarquables
figurent le régime réel des zones de sécurité ⎯ qui n’étaient pas démilitarisées ⎯, l’importance de
la situation militaire, le rôle de l’assistance militair e étrangère et le rôle des Serbes de Bosnie dans
le processus sensible de négociations internationales au cours de la période considérée.
Madame le président, je développerai à présent mon plan en sept points.
B. Existait-il un plan visant à commettre un génocide ?
1. Il me faut tout d’abord traiter de la question suivante: existait-il un plan visant à
commettre un génocide? L’Etat demandeur a truffé ses plaidoiries d’allusions à un plan visant à
commettre un génocide, qui aurait été adopté et mis en Œuvre par le Gouvernement de la RFY. Or
l’Etat demandeur n’est, à aucun moment, parvenu à démontrer l’existence d’un tel plan.
2. Comme je le démontrerai dans cette plaidoiri e, il est fait référence à plusieurs plans, mais
la présentation d’ensemble n’est pas cohérente. En outre, si un plan avait été arrêté, on pourrait
s’attendre à ce qu’il en ait été fait état aux moments critiques. Mais ce plan ne s’est jamais
matérialisé bien que les autorités de l’Etat demandeur aient eu accès à des documents saisis et à des
conversations téléphoniques interceptées.
3. L’incapacité répétée du demandeur à pr ouver l’existence d’un plan apparaît dans la
réplique. Dans ce document volumineux, seule une courte section est consacrée au prétendu plan :
je renvoie aux paragraphes 11 à 20 du chapitre 10. La réplique traite de la question de la preuve
aux passages suivants :
«Les autorités yougoslaves conçurent, préparèrent et organisèrent le génocide.
Les autorités yougoslaves élaborèrent le plan RAM et organisèrent, dès 1990, le
transfert d’armes aux populations serbes dans les régions qui devaie nt devenir partie
intégrante de la Grande Serbie (voir rép lique, chap.8, sect.2). En témoignent des
conversations et réunions entre hauts respon sables de Belgrade et dirigeants locaux
bosniaques. La police ainsi que les mini stères de l’intérieur yougoslave et serbe
jouèrent un rôle majeur dans la mise en Œuvre de ce plan.
Commentant le plan RAM, le défendeur, qui ne nie pas son existence, affirme
qu’il ne peut être assimilé à un plan de génocide puisqu’il n’implique « que de - 4 -
l’incitation à la haine nationale et religieuse»(contre-mémoire, p. 104, par. 1.3.17.9; les
italiques sont de nous). Ce moyen de défense est laissé àl’appréciation dela Cour.»
Voilà donc ce qu’affirment les conseils du demandeur.
12 Madame le président, je dois interrompre ici la lecture de ce passage de la réplique, car
celle-ci attribue de manière erronée à l’Etat défe ndeur le commentaire relatif à l’incitation. Les
auteurs de la réplique détournent la source de cette remarque. Si l’on se reporte au
contre-mémoire, on découvrira que le commentaire provenait d’une source des Nations Unies et
non de l’Etat défendeur. Je poursuis la lecture de la réplique :
«La préparation et l’exécution du plan furent facilitées par la transformation de
la JNA en un instrument de la politique nationaliste de Belgrade (voir chap. 8, sect. 3).
Le général Vlejko Kadijevi ć, ancien ministre de la défense nationale et chef
d’état-major du commandement suprême de la JNA, expliqua dans son livre paru à
Belgrade en1993 que, depuis le printemps 1991, la JNA avait servi à protéger et
défendre «les Serbes hors de Serbie» et à rassembler la JNA «à l’intérieur des
frontières de la future Yougoslavie [Grande Serbie]».» (Veljko Kadijevi ć, Ce que je
pense du démantèlement, une armée sans Etat, Belgrade, 1993, p. 121, annexe 271.)
Je peux garantir à la Cour que si elle examine l’origine de la citation, elle n’y trouvera pas
l’expression «Grande Serbie». Il ne fait aucun dout e que les crochets indiquent qu’il s’agit d’une
insertion, mais il est absolument certain qu’elle ne figure pas dans l’original. Je reprends la
citation :
«Le même général Kadijevi ć décrit comme suit les objectifs de la JNA après
l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie :
«1)assurer la défense de la nation serbe en Croatie et de ses
intérêts nationaux; 2)procéder au re trait de Croatie des garnisons de la
JNA; 3) contrôler la Bosnie-Herzégovine afin de défendre la nation serbe
et ses droits nationaux le moment venu ; 4)créer et défendre le nouvel
Etat yougoslave constitué des nati ons yougoslaves souhaitant en faire
partie, à savoir, à l’heure actuelle, les nations serbes et monténégrines.
Le déploiement des forces armées fut donc adapté à ces nouveaux
objectifs» (ibid., p. 97; les italiques sont de nous).» (Réplique, p. 765.)
4. Madame le président, ce qui est remarquabl e ici, c’est qu’aucune preuve de l’existence
d’un plan ne figure dans ces passages. Quoi qu’ il en soit, le prétendu plan RAM n’est formé que
de suppositions fondées sur le passage quelque peu illisible de la transcription d’une conversation
téléphonique entre Milosevic et Karadzic le 29 mai 1991. Pas un seul acte d’accusation du TPIY
ne contient de renseignements relatifs à l’exis tence d’un plan dénommé RAM. Le défendeur a
examiné en détail dans la duplique (p.590-598) les prétendues preuves de l’existence du plan RAM.
Soit dit en passant, le prétendu plan RAM n’a pas été mentionné pendant les audiences. - 5 -
5. Je vais aborder à présent la manière dont cette question de l’existence d’un plan a été
traitée pendant la procédure orale. Le texte d’intr oduction de M. van den Bies en ne révèle rien de
13 concret au sujet de l’adoption d’un plan visant à commettre un génocide (voir CR2006/2,
p.18-52). Les seuls passages de son intervention da ns lesquels il fait allusion à un plan sont les
suivants :
«66. Deux ans plus tôt, en avril 1993, Mladi ć avait présenté à l’assemblée de la
RepublikaSrpska une prétendue analyse du ra pport de la VRS sur la préparation des
troupes au combat en1992. Dans ce rapport, l’ampleur du soutien qui aurait été
accordé à la VRS en1992 est examinée plus en détail. Il s’agit d’un document
singulier ⎯nous reviendrons pl us tard là-dessus. Voici ce que Mladi ć précise dans
l’introduction de son rapport pour l’année 1992 : «Nous avons mené des opérations de
combat isolées et concertées, conformément à un seul dessein et un seul plan.»»
Et M. van den Biesen poursuit ainsi :
«67. Effectivement, Madame le président, tout s’est déroulé selon un seul et
même plan. Le système décrit plus tôt a en fait été appliqué tout au long de1992 et
même après du reste. Le «plan» auquel Mladi ć fait allusion, les dirigeants de la
Republika Srpska autoproclamée ne l’ont certainement pas mis au point le jour où ils
ont proclamé la «République indépendan te», pas plus qu’ils n’ont commencé à
l’élaborer le 20mai1992, le lendemain du pr étendu «retrait» de la JNA. Ce plan
reprend simplement ce qui constituait déjà la ligne directrice des politiques de
Belgrade depuis un bon bout de temps, po litiques que les autorités de Pale ont
amplement mises en Œuvre à partir de mai-juin 1992. Cette ligne directrice cadre avec
le plan visant à créer une Grande Serbie et les stratégies à employer pour y parvenir.
Le TPIY l’a établi à travers, par exemple, les aveux de Mme Plavsi ć, qui a déclaré
ceci :
«Le SDS et les dirigeants serbes de Bosnie se sont fixé pour
objectif principal que tous les Serbes d’ex-Yougoslavie demeurent dans
un Etat commun. Un moyen d’y parvenir était de séparer les
communautés ethniques de Bosnie-Herzégovine. En octobre1991, les
dirigeants serbes de Bosnie, dont Biljana Plavsi ć faisait partie, savaient
que la séparation des communautés ethniques impliquerait l’expulsion
définitive de populations ethniques, so it avec l’accord de ces populations
soit par la force, et ils entendaient qu’il en soit ainsi; ils savaient
également que tout transfert forcé de non-Serbes présents dans des
territoires revendiqués comme serbes impliquerait une campagne de
persécutions fondée sur la discrimination.»»
6. Sauf votre respect, ces sources ne sont d’ aucune réelle assistance pour la thèse de la
Bosnie. Le plan de Mladic concerne manifestement des activités militaires et n’est en aucune façon
cité de manière appropriée. Le second paragraphe cité explique qu’il n’existait pas un plan mais
une sorte de schéma, ou peut-être seulement une ligne directrice. - 6 -
7. En outre, la partie de cette citation qui concerne la composition Plavsic («Accord sur le
plaidoyer») ne mentionne aucun plan visant à commettre un génocide; bien entendu, le passage
n’est pas à la première personne et l’orateur a procédé à des déductions argumentatives.
8. Je poursuis avec l’examen de l’argum entation exposée par Mme Karagiannakis le
28 février (CR 2006/4, p. 10-21). Dans cette très longue plaidoirie, l’accent est mis sur le thème du
14 nettoyage ethnique, mais il n’y est pas démontré qu’un plan concernant un génocide ait existé. La
plupart des arguments sont consacrés aux mesures prises par les Serbes de Bosnie pour mettre en
place des institutions face aux troubles causés par les sécessions et la guerre civile. Si un plan
visant à commettre un génocide avait existé, nul doute que le conseil en aurait parlé. En outre,
MmeKaragiannakis mentionne l’existence de pas moins de quarante-cinq conversations
téléphoniques entre Milosevic et Karadzic ⎯ quarante-cinq écoutes ⎯ interceptées entre le
29 mai 1991 et le 10 février 1992 (CR 2006/4, p. 11-12, par. 8). Il est vraiment étrange qu’aucun
plan ne ressorte de ces conversations.
9. Dans d’autres exposés présentés au nom de la Bosnie-Herzégovine, des éléments de
preuve supposés démontrer une intention de détruire un groupe ont été examinés, sans toutefois que
soit jamais identifié un plan visant à commettre un génocide. Je renvoie en particulier à la
plaidoirie de M. Franck en date du 2 mars (CR 2006/7, p. 46-48).
10. Lorsque sont examinés certains épis odes précis, l’existence d’un plan, qui
s’accompagnerait d’un quelconque credo politique, n’apparaît jamais. L’approche adoptée
privilégie tel angle, puis soudain tel autre. Cette instabilité de l’analyse donnée par le conseil de la
Bosnie apparaît dans la présentation de M. va n den Biesen du 28 février (CR2006/4, p.37).
Concernant Srebrenica et le nettoyage ethnique dans l’est de la Bosnie, celui-ci fait observer :
«Avant de vous dire avec plus de précision ce qui s’est réellement passé en
juillet 1995, je tiens à expliquer davantage le contexte. Il faut en effet avoir une vue
d’ensemble pour donner à Srebrenica sa just e place dans la campagne de nettoyage
ethnique qui a, dans une large mesure, détr uit la Bosnie-Herzégovine telle qu’on la
connaissait avant 1992.
«Srebrenica» n’était pas une fin en soi, ce ne fut que l’apogée, le paroxysme,
l’aboutissement d’un plan qui était établi depuis le début ou, à tout le moins, depuis le
début de 1991. Nous examinons aujourd’hui une partie de ce plan antérieur. Celui-ci
ne visait pas uniquement Srebrenica, mais tout l’est de la Bosnie. - 7 -
Hier et aujourd’hui, il y a un moment, nous avons expliqué comment le projet
serbe avait été mis au point. Comment, à partir de 1991, les dirigeants
serbes de Belgrade ont organisé l’armeme nt des Serbes en Croatie ainsi qu’en
Bosnie-Herzégovine, et comment des stru ctures politiques parallèles ont été créées
pour exercer l’autorité gouvernementale le moment venu. Nous avons expliqué que ce
système avait été reproduit dans toutes les zones à forte population serbe, sans
toutefois être limité strictement aux municipalités majoritairement serbes.»
11. La Cour se rendra compte que le conseil de la Bosnie-Herzégovine a évité d’entrer dans
les détails en ce qui concerne le plan. Les événements de Srebrenica font à présent partie d’un plan
antérieur. Et ce plan antérieur est devenu un «p rojet», lequel «projet» est attesté par des activités
15 serbes légales, parmi lesquelles la distribution d’armes et la création de structures parallèles. Nos
adversaires peuvent-ils démontrer à la Cour que les Croates et les Bosniaques n’ont pas distribué
d’armes ni créé de structures parallèles ?
12. Je voudrais dire deux choses en guise de c onclusion sur le ou les prétendus plans. Tout
d’abord, les éléments de preuve soumis, s upposés se rapporter à un ou à plusieurs plans, sont
incohérents, flous et, en dernière analyse, relève nt de la fiction. Ensuite, la thèse de nos
contradicteurs concernant les questions politiques de frontières qui faisaient partie du calendrier des
négociations de paix menées dans la persp ective du plan Vance-Owen présente un paradoxe
majeur. Ainsi, par exemple, Mme Karagiannakis considère les références à ces questions comme
des éléments de preuve d’un nettoyage ethnique, al ors qu’il s’agissait de points déterminants dans
le calendrier des négociations visant un règlement pacifique.
C. La question des paramilitaires
1. En second lieu, j’examinerai la question des paramilitaires. Dans leurs plaidoiries, nos
éminents adversaires ont consacré beaucoup d’atte ntion à la question des unités paramilitaires.
Tout d’abord, Mme Kara giannakis a présenté un exposé généra l sur ce qu’elle appelle «les unités
paramilitaires, les volontaires et les unités et or ganes des ministères de l’intérieur du défendeur»
(voir CR 2006/9, p. 10-12). Elle introduit l’argument comme suit :
«1. Madame le président, Messieurs de la Cour, diverses forces irrégulières ont
participé aux attaques visant des non-Serbes en Bosnie. Parmi ces forces figuraient
des unités connues sous le nom de volontaires, des unités du ministère de l’intérieur de
Serbie et d’autres unités paramilitaires serbes ainsi que des unités paramilitaires serbes
de Bosnie. Ce matin, j’exposerai à la C our le rôle joué par certains organes du
défendeur dans le contrôle et le comm andement de ces unités militaires irrégulières
ainsi que dans le soutien qui leur était apporté. Je parlerai également du ministère - 8 -
fédéral de l’intérieur et du ministère serb e de l’intérieur ainsi que des autres canaux
par lesquels ces forces ont participé au nettoyage ethnique en Bosnie.»
2. M. Condorelli a couvert le même sujet un pe u plus tard au cours de la même séance
(CR2006/9, p. 49-56). Les deux conseils sou lignent que les forces de volontaires furent
constituées en vertu de la législation de la RFY. Le sujet des volontaires et des unités
paramilitaires a été abordé à nouveau le 6 mars par MM. Condorelli et Pellet (voir respectivement
CR 2006/10, p. 31-34 et ibid., p. 44-46).
3. La question de l’imputabilité est en princi pe suffisamment claire. Comme d’autres Etats,
la RFY et la Republika Srpska ont recouru, para llèlement aux unités de l’armée régulière, à des
unités de police et à des forces spéciales chargées de la sécurité. De telles unités peuvent être
provisoirement détachées auprès de forces armées d’un autre Etat et, par conséquent, faire partie de
la structure de commandement de ce dernier. Ou encore, ces forces peuvent prendre part à des
opérations conjointes avec celles d’un autre Etat, tandis qu’elles continuent à relever de la structure
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de commandement de l’Etat d’envoi.
4. Chaque situation doit manifestement être analysée dans son contexte; il convient alors de
préciser quelles sont les structures de commandement pertinentes. Appliquer les principes de la
responsabilité des Etats est sans nul doute parfois difficile et il n’est, par conséquent, pas
surprenant de noter sur ces questions certaines divergences entre MM. Condorelli et Pellet.
5. Il n’est pas inutile de rappeler que parm i les forces armées bosniaques se trouvaient des
unités des forces spéciales connues sous le nom de Bérets verts.
D. Les modalités d’application du critère du contrôle effectif
1. Avec la permission de la Cour, je voudrais revenir sur les critères en matière de
responsabilité des Etats et sur la question du cont rôle effectif ou, comme le présenteraient nos
adversaires, du contrôle global. Ces critères ont été évoqués en référence à des affaires dans
lesquelles l’entité présentée comme su sceptible d’être contrôlée avait pris la forme d’un Etat, d’un
Etat in statu nascendi ou d’un mouvement de guérilla doté d’une direction politique comme les
contras. Le fait de citer ces affaires à titre d’exemple a presque certainement été à l’origine d’une
altération dans l’application des principes juridiques. - 9 -
2. Il convient d’abord de rappeler la façon dont les critères juridiques sont habituellement
formulés. L’une des conclusions centr ales de l’arrêt rendu en l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), qui figure au
paragraphe 115 de celui-ci, se lit comme suit : «Pour que la responsabilité juridique de ces derniers
soit engagée, il devrait en principe être établi qu ’ils avaient le contrôle effectif des opérations
militaires ou paramilitaires au c ours desquelles les violations en question se seraient produites.»
(C.I.J. Recueil 1986, p. 65.)
3. La Commission du droit international a insi sté sur cet aspect des critères juridiques dans
son commentaire de l’article 8 des articles sur la responsabilité des Etats. Les termes employés au
paragraphe 7 du commentaire revêtent un intérêt tout particulier :
«Il apparaît donc clairement qu’un Etat peut, s’il donne des orientations précises
à un groupe de personnes ou exerce un contrô le sur ce groupe, devenir effectivement
responsable du comportement de ce groupe. Chaque cause sera déterminée par ses
propres faits, en particulier ceux qui concerne nt le lien entre les instructions ou les
directives données ou le contrôle exercé et le comportement qui fait l’objet de la
plainte. Dans le texte de l’article8, l es trois termes «instructions», «directives» et
«contrôle» sont disjoints; il suffit d’étab lir la réalité de l’un d’entre eux.
Parallèlement, le texte dit clairement que les instructions, les directives ou le contrôle
doivent être en rapport avec le comportement qui est censé avoir constitué un fait
internationalement illicite.»
17 4. Cet aspect juridique n’a pas attiré l’attention de nos éminents adversaires. Nul doute qu’il
indique l’insuffisance opérationnelle de la notion de «contrôle global».
E. La présence continue du défendeur telle qu’alléguée par l’Etat demandeur
1. Le point suivant de ma plaidoirie concerne la présence continue du défendeur telle qu’elle
est alléguée par l’Etat demandeur. Le 3mars, M.van den Biesen a abordé devant la Cour un
certain nombre de questions regroupées sous le titr e «La présence continue du défendeur». Cette
présentation a été définie par son auteur comme « un aperçu général des faits qui…seront utiles
aux fins de démontrer» la responsabilité de l’Etat (CR 2006/8, p. 39-61). Mais pareil morcellement
des faits et du droit applicable a pour résultat que les faits tels qu’ils sont exposés débouchent sur
une pétition de principe.
2. Dès lors, c’est le refrain habituel des pl aidoiries de l’Etat demandeur qu’il nous est une
nouvelle fois donné d’entendre. - 10 -
3. C’est ainsi, tout d’abor d, que l’armement et le redé ploiement des forces serbes après
l’éclatement politique et militaire de l’Etat fédéral sont considérés comme inacceptables et
constituant une menace. Le passage du jugement sur lequel s’appuie M. van den Biesen se lit, pour
partie, comme suit :
«En qualité de président de la Républi que de Serbie, Slobodan Milosevic a pris
des dispositions pour permettre aux forces ser bes de Bosnie de conserver armes et
effectifs en ordonnant, le 5 décembre 1991, le transfert vers la Bosnie-Herzégovine
des soldats natifs de cette république, et le retrait des soldats allogènes. Le
25décembre1991 [poursuit la Chambre] , un commandant de la JNA a informé
Milosevic que ces transferts étaient terminés à 90%. La lecture du journal tenu par
Borisav Jovic (président de la présiden ce de la RFSY) nous apprend que Milosevic
pressentait la reconnaissance imminente de plusieurs Républiques yougoslaves en tant
qu’Etats indépendants et voulait être certain [je cite toujours le jugement] que la JNA
pourrait apparaître, sur place, comme une for ce de combat autochtone, originaire de
Bosnie. Tout au long de l’année1991 et jusqu’en 1992, les responsables serbes de
Bosnie ont entretenu des contacts avec leurs homologues de la RFSY sur la stratégie à
adopter au cas où la Bosnie-Herzégovine accéderait à l’indépendance.» (CR2006/8,
p. 41, par. 11.)
Ici se termine cette partie de la citation du jugement prononcé le 1 erseptembre 2004 dans
l’affaire Le procureur c. Brdjanin.
4. A mon avis, les circonstances prévalant à cette époque étaient telles que l’on pouvait
parfaitement s’attendre à ce que les Serbes réagissent de cette façon. Malheureusement, la
Chambre de première instance n’a pas voulu reconn aître que la JNA et la VRS constituaient deux
armées distinctes.
18 5. Le conseil de l’Etat demandeur s’appui e sur des éléments de preuve montrant que
Belgrade aidait la Republika Srpska , nouvellement constituée, en versan t la solde de ses officiers,
ce qu’il trouve fort choquant. Mais nous nous retr ouvons là encore confrontés à cette volonté de
créer une «exception serbe». Or, d’anciens offi ciers musulmans de la JNA ont joué un rôle
déterminant dans la création de l’armée bos niaque, et cela n’est guère surprenant ( History, CIA,
vol. I, p. 132).
6. Dans sa plaidoirie, le conseil de l’Etat demandeur n’explique pas en quoi les preuves
d’une aide militaire et économique apportée a ux communautés serbes de Bosnie correspondrait à
l’un des critères utilisés aux fins de l’établissement de la responsabilité de l’Etat. - 11 -
7. Dans la série des sujets abordés figure un chapitre consacré à l’action militaire. On y
trouve l’affirmation des plus surprenante selon la quelle «il n’y avait en Bosnie qu’une seule
armée ⎯ l’armée du défendeur» (CR 2006/8, p. 50, par. 37).
8. Puis vient une section intitulée «PAUK» (ibid., p. 52-54), dont la teneur sort pour le moins
de l’ordinaire.
9. Cet étrange intermède commence ainsi :
«51. Bihac était, pour la constitutio n d’une Grande Serbie, une région
importante du point de vue stratégique qui de vait être placée sous contrôle serbe pour
que le projet de Grande Serbie soit couronné de succès. En effet, c’est uniquement de
cette façon que les Serbes de Croatie et les Serbes de Bosnie pourraient fusionner avec
la République fédérale de Yougoslavie pour constituer un seul et même Etat : tel était
en fait l’objectif stratégique numéro un.
52. En novembre 1994, un groupe ex erçant un commandement militaire spécial
fut constitué pour mener des opérations de comb at contre l’armée de Bosnie dans la
poche de Bihac, l’objectif étant de s’empa rer de ce territoire. Cette opération avait
reçu le nom de «PAUK», ce qui signifie littéra lement «araignée» et sied à merveille à
la nature de l’opération dans la mesure où y participaient des unités de la République
fédérale de Yougoslavie, des Serbes de Bosnie et des Serbes de Croatie.
53. Parmi les unités participant à l’opération figuraient celles du ministère de
l’intérieur de la RFY, l’armée des Serbes de Bosnie et l’armée des Serbes de Croatie.
Au sujet de cette opération, le document le plus pertinent est le «journal» de
l’opération «PAUK», saisi par les forces de la Fédération bosno-croate lors de la
reprise de Bihac dans le cadre de l’opérati on «Tempête». Ce journal a été présenté
dans son intégralité au TPIY dans l’affaire Milosevic.
54. Le journal relate en détail, jour par jour, heure par heure, les actions menées
par les différentes unités. Il y est sans cesse et explicitement fait référence à
Belgrade: notamment à des réunions qui s’ y tenaient, à des demandes de munitions
qui lui étaient adressées et à des militaires de haut rang de Belgra de qui se seraient
rendus sur les lieux de l’opération «PAUK».» (CR 2006/8, p. 52-53.)
10. On a du mal à comprendre pourquoi l’Etat demandeur a présenté ce document. Pendant
très longtemps, la région de Bihac a été le centre du fief politique de Fikret Abdic, qui se trouvait à
la tête de la province autonome de Bosnie occide ntale. FikretAbdic était un important dirigeant
19 politique musulman, opposé au président Izetbegovic. On trouve une description détaillée de cette
entité dans History, CIA (vol. 2, p. 413-416, 513-517, 527-543).
11. Le rôle de la province autonome de Bosnie occidentale est difficile à définir, et il y a peu
de chances qu’un exposé des relations complexes qu’entretenait M. Abdic aussi bien avec les
Croates qu’avec les Serbes se révèle très utile à la Cour dans la tâche qui est la sienne. - 12 -
12. Le PAUK est une entité d’origine obscure, probablement créée par un officier serbe de
Croatie et qui opérait sans doute en tant qu’unité paramilitaire apparemment associée
simultanément à la RFY, à la Republika Srpska, à la Republika Srpska Krajina et à la province
autonome de Bosnie occidentale. Les éléments de preuve disponibles comprennent des extraits,
originellement en langue serbe, d’un journal des opérations militaires. Dans leur traduction
anglaise, ils font partie des documents soumis par l’Etat demandeur le 16 janvier de cette année.
13. Les extraits dont dispose la Cour, et qui sont en anglais, confortent l’hypothèse selon
laquelle le PAUK agissait de pair avec les forces armées de Fikret Abdic. Une partie des noms
cités sont des noms musulmans. Dans ces circons tances, le contenu du journal ne saurait donc
étayer le point de vue selon lequel les agents de Belgrade ⎯ si c’est bien là ce qu’étaient certaines
de ces personnes ⎯ étaient nourris d’intentions génocides contre les Musulmans.
14. Les relations entre Abdic et le Gouve rnement de Serbie étaient bien entendu
opportunistes. Elles sont décrites dans History, CIA, volume 2, aux pages 531 et 535. Cet épisode
constitue tout au plus un exemple de forces spéc iales, de provenance incertaine, apportant une
assistance au commandement commun de Fikret Abdic et de la Republika Srpska Krajina.
15. Le conseil du demandeur a ensuite i nvoqué, toujours à l’appui de l’allégation de
«présence continue du défendeur» en Bosnie, le conseil de coordination des positions en matière de
politique générale (CR2006/8, p.55-60). Le rôle de cette institution a été décrit comme suit par
nos contradicteurs :
«Les autorités de Belgrade ont appa remment éprouvé le besoin de créer un
mécanisme afin de s’assurer que les trois en tités, à savoir la République fédérale de
Yougoslavie (Serbie-et-Monténégro), la Re publika Srpska et la Republika Srpska
Krajina, examineraient ensemble la position commune à adopter. Ce mécanisme a vu
le jour sous la forme d’un conseil de coordination des positions en matière de politique
générale, conseil placé sous les auspices du président de la République fédérale de
Yougoslavie. Siégeaient à ce conseil, outre le président de la RFY, le président de la
Serbie, le président du Monténégro, les diri geants de la Republika Srpska et de la
Republika Srpska Krajina, le chef d’état-major yougoslave et Mladic, le
20 commandant … de l’armée de la Republika Srpska.
Une séance de ce conseil se tint le 9 ja nvier 1993. Nous en avons connaissance
par le témoignage de M. Lilic devant le TPIY, témoignage que j’ ai déjà évoqué. Ce
jour-là, le conseil se réunit pour une «séance élargie», ce qui signifie qu’y assistaient
un plus grand nombre de représentants des dirigeants politiques et militaires des trois
entités. Le procureur du TPIY a, dans le cadre de l’affaire Krajišnik, l’un des
dirigeants de la Republika Srpska, rendu publ ique la transcription sténographique de
cette réunion.» - 13 -
16. Ce mécanisme naturel et légal de coordi nation entre les communautés serbes en situation
de guerre est caricaturé par nos adversaires. Le pr incipal objet des travaux de cet organe était la
tenue de négociations pour amélio rer les conditions de vie dans la région. Il est d’ailleurs
intéressant de noter que les dirigeants de la Republika Srpska se réfèrent à la Serbie-et-Monténégro
comme à une entité distincte (voir paragraphe 79 du compte rendu de la réunion).
17. Mes distingués adversaires semblent avoir une certaine pratique de ce qu’il faut bien
appeler la double interprétation. Au cours de la discussion sur les négociations envisagées, le
ministre des affaires étrangères de la RFY déclara :
«Nous devons clairement, globalement et avec générosité, leur garantir que les
enclaves situées à l’intérieur des provinces [il s’agit manife stement là des enclaves
telles que Srebrenica ou Gorazde], c’est-à-dire à l’intérieur de la confédération, seront
intégralement protégées et que les réfugiés auront le droit de retourner chez eux et
d’obtenir réparation pour les biens détruits, et c. Cela ne marchera pas en raison du
flux naturel de migration vers la mère patrie. Personne n’a jamais payé de réparations
de guerre nulle part, et je suis sûre que cela n’arrivera pas ici non plus. Il faut
toutefois faire un geste de portée globale et généreuse. Dès lors, il nous faut offrir une
garantie en matière humanitaire. Nous devons leur garantir qu’une création sans
existence réelle dénommée Bosnie demeurera sans existence réelle pendant de
nombreuses années. Cela devrait apaiser chez eux la crainte de voir se profiler la
création d’une Grande Serbie.» (CR 2006/8, p. 59-60, par. 82.)
18. Selon mes contradicteurs, il n’y a pas a s’y tromper ⎯il n’est pas même envisageable
pour eux que les Serbes aient pu faire un geste géné reux. Le conseil de la Bosnie-Herzégovine
propose donc fort logiquement de donner à cette citation un sens exactement opposé. Il déclare :
«Une fois encore, il semble que les participants à cette réunion, dont ce ministre
des affaires étrangères de Serbie, soient con scients qu’ils risquent d’être tenus de
verser réparation pour les biens «détruits, et c.», comme il le dit lui-même. Dans le
même temps, ce minist re des affaires étrangères de Se rbie de l’époque est convaincu
qu’ils n’auront pas à payer de réparations de guerre. Il propose de faire un «geste de
portée globale et généreuse», notamment d’o ffrir une série de garanties. Mais il
ressort de son intervention que ce geste n’aurait pour seul but que d’«apaiser la crainte
de voir se profiler la création d’une Grande Serbie». On prépare une nouvelle fois une
nouvelle tromperie.» (CR 2006/8, p. 59-60, par. 82.)
19. Madame le président, cette partie de la plaidoirie constitue pour moi un autre exemple de
21
l’habitude qu’ont nos adversaires d’interpréter tout acte normal de la Serbie-et-Monténégro comme
une preuve de culpabilité. - 14 -
F. La convention sur le génocide et la question de la réparation
1. Madame le président, avec votre autorisa tion, je souhaiterais re venir sur une question
importante, celle de la façon dont il convient d’ appliquer la convention. Mon ami M.Pellet a
abordé le 7mars les conséque nces de la responsabilité intern ationale du défendeur (CR2006/11,
p.26-42) et examiné les différentes réparations po ssibles, à la lumière de celles prévues dans les
textes normatifs relatifs à la respons abilité de l’Etat, à savoir l’inde mnisation, la restitution, la
satisfaction, la cessation et les garanties de non-répétition.
2. Tout cela est certes très intéressant et, si je puis me permettre de le dire, bien présenté.
Est-ce pour autant pertinent? Tout d’abord, le droit applicable n’est p as à rechercher dans les
principes du droit international général, mais dans la convention elle-même. Or le conseil de l’Etat
demandeur adopte expressément, comme principal postulat de sa plaidoirie sur la réparation,
l’application du droit international général (CR 2006/11, p. 29, par. 7).
3. Avec tout le respect que je lui dois, son a pproche juridique n’est pas la bonne. Le droit
d’agir du demandeur ou, si vous préférez, les fondements de sa demande, dépendent du droit
applicable, qui est constitué des dispositions de la convention. Toute réparation qui pourrait être
due au titre d’une violation de ces dispositions devrait donc respecter lesdits fondements.
4. En d’autres termes, Madame le président, les principes de la responsabilité de l’Etat
touchant directement à la nature de cette respon sabilité, et donc à la réparation des torts subis, ne
sauraient être considérés comme une sorte de toile de tente géante qui viendrait chapeauter
n’importe quel texte conventionnel. Tout doit dépendre de la nature des principales obligations
prévues par celui-ci. Or, la nature de la responsabilité, en matière de violation de la convention sur
le génocide, et les conséquences de cette res ponsabilité, y compris la réparation, ont été les
principaux points de désaccord lorsque la convention a été rédigée.
5. Il convient également de rappeler que même dans le contexte des articles adoptés par la
Commission du droit international, celle-ci n’ a pas reconnu la notion de dommages-intérêts
punitifs ⎯dans les articles 40 et 41 ⎯, ce que M.Pellet lui-même a admis (CR2006/11, p.33,
par. 16).
22 Madame le président, il n’est sans doute pas i nutile ici, de faire un parallèle avec la
compétence d’indiquer des mesures conservatoir es. Comme la Cour l’a fait savoir dans son - 15 -
ordonnance du 8avril1993, elle ne peut pas, sur la base de considérations générales de politique
internationale, élargir le pouvoir que lui a conféré l’article 41 de son Statut d’indiquer des mesures
conservatoires ( Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c.Serbie-et-M onténégro), mesures conservatoires, ordonnance du
8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 18-19, par. 33-35). En l’espèce, l’Etat demandeur ne peut pas
essayer d’élargir le champ de compétence que confère à la Cour l’article IX de la convention, par la
seule invocation des principes généraux du droit international relatifs aux réparations.
Le dernier sujet que j’aborderai ce matin est celui des mesures conservatoires.
G. La question des mesures conservatoires
1. La question générale de l’indication par la Cour de mesures conservatoires dans les
ordonnances de 1993 a été examinée le 7 mars pa r M. Pellet (CR2006/11, p.42-48), et j’éviterai
d’apporter de nouveaux éléments sur ce sujet; je voudrais cependant faire un certain nombre
d’observations.
2. Tout d’abord, une distinction important e mérite d’être faite. Les dispositions de
l’article41 du Statut ne sont pour l’essentiel ⎯et à mon avis rien d’autre ⎯ qu’un aspect, si je
puis dire, de la compétence de la Cour en droit public. Rien n’indique, dans le Statut, que les
violations des ordonnances de procédure aient les mêmes aspects délictueux qu’entre les parties à
l’instance. Après tout, Shabtai Rosenne n’ en conclut pas autrement dans son ouvrage ⎯ je me
réfère ici à la longue partie du volume III consacrée à ce sujet (voir The Law and Practice of the
International Court, 1920-1996, p. 1419-1462).
3. Il importe de garder à l’esprit que lors que la Cour accède à la demande d’une partie
tendant à ce qu’elle déclare que l’autre partie a violé l’une de ses ordonnances en indication de
mesures conservatoires, le fait qu’elle ait décidé de donner suite à cette demande n’implique pas
forcément qu’elle reconnaisse qu’il puisse y avoir matière à exposer une demande concernant la
responsabilité de l’Etat. Cette conclusion peut se ju stifier à plusieurs titres. Tout d’abord, par les
problèmes potentiels liés aux éléments de pre uve. Ensuite, par la difficulté qu’il y aurait à
déterminer si de nouveaux éléments de preuve ont démontré que les hypothèses factuelles sur
lesquelles étaient fondées l’ordonnance originale étaient erronées. La situation est encore - 16 -
23 compliquée par le risque de déséquilibre dû au fait que la demande n’émane que de l’une des
parties. Dans son arrêt du 19décembre2005 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du
Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), la Cour a fait observer :
«265. La Cour relève en outre que les mesures conservatoires indiquées dans
er
l’ordonnance du 1 juillet2000 s’adressaient aux deux Pa rties. La conclusion de la
Cour formulée au paragraphe 264 est sans préjudice de la question de savoir si la RDC
a manqué également de se conformer aux mesures conservatoires par elle indiquées.»
4. De toute façon, la Cour tiendrait probable ment compte du comportement de la partie lui
demandant semblable déclaration. L’Etat demandeur, dans ses plaidoiries, n’a pas été cohérent sur
ce point.
Premièrement : les conclusions figurant dans le mémoire ne contiennent aucune demande.
Deuxièmement: lors des plaidoiries consacrées à la phase des exceptions préliminaires, les
conclusions sont demeurées inchangées.
Troisièmement: les conclusions énoncées da ns la réplique, aux pages971 à973, ne
contiennent aucune demande.
5. En l’état actuel de la procédure, la Cour n’a pas entendu les conclusions finales des
Parties. Or le conseil de l’Etat demandeur l’a po ur ainsi dire officieusement invitée à traiter la
violation d’une ordonnance comme motif justifiant une réclamation et à décider que l’Etat
demandeur a droit à une série de réparations au titre de la responsabilité de l’Etat défendeur
(CR 2006/11, p. 46-47, par. 46-56).
6. Madame le président, la Cour sait qu’une telle demande soulève une question délicate de
compétence et de recevabilité. Même si, arguendo une telle demande était possible en droit, le
principe du forum prorogatum trouverait à s’appliquer en l’espèce, mais à rebours. Il est
évidemment trop tard pour faire valoir un nouveau droit d’agir.
7. Or Madame le président, une question passe avant même toute question préliminaire ⎯ un
tel droit d’agir est-il prévu dans le droit interna tional général ? Aucun élément n’a été avancé qui
le prouverait. Si des réparations doivent être demandées, il faut qu’il y ait de nouvelles plaidoiries,
ce qui aurait pour effet, indubitablement, d’ouvrir un procès au sein d’un autre.
8. De toute façon, Madame le président, M essieurs de la Cour, il est faux de dire que la
Serbie-et-Monténégro a violé les ordonnances de la Cour en indication de mesures conservatoires. - 17 -
Les mesures ordonnées le 8 avril 1993, et confirmées le 13 septembre de la même année, se lisent
comme suit :
24 «Le Gouvernement de la Répub lique fédérative de Yougoslavie
(Serbie-et-Monténégro) doit immédiatement, conformément à l’engagement qu’il a
assumé aux termes de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide du 9décembre1948, prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de
prévenir la commission du crime de génocide;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le Gouvernement de la Répub lique fédérative de Yougoslavie
(Serbie-et-Monténégro) doit en particulier veiller à ce qu’aucune des unités militaires,
paramilitaires ou unités armées irrégulières qui pourraient relever de son autorité ou
bénéficier de son appui, ni aucune orga nisation ou personne qui pourraient se trouver
sous son pouvoir, son autorité, ou son influe nce ne commettent le crime de génocide,
ne s’entendent en vue de commettre ce crim e, n’incitent directement et publiquement
à le commettre ou ne s’en rendent complic es, qu’un tel crime soit dirigé contre la
population musulmane de Bosnie-Herzégovine, ou contre tout autre groupe national,
ethnique, racial ou religieux;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le Gouvernement de la Répub lique fédérative de Yougoslavie
(Serbie-et-Monténégro) et le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine
doivent ne prendre aucune mesure et veille r à ce qu’il n’en soit prise aucune, qui soit
de nature à aggraver ou étendre le différend existant sur la prévention et la répression
du crime de génocide, ou à en rendre la solution plus difficile.» ( C.I.J. Recueil 1993,
p. 24, par. 52.)
9. Nous soutenons que la Se rbie-et-Monténégro n’a pas viol é l’ordonnance, d’abord parce
qu’il n’y a pas eu de génocide en Bosnie-Her zégovine; ensuite, à supposer qu’un génocide ait été
commis, la Serbie-et-Monténégro était sans influence sur les auteurs supposés de ce génocide, ainsi
que je l’ai démontré lundi; qui plus est, la Serbie-et-Monténégro n’a pas seulement appliqué l’ordre
de ne pas aggraver le différend existant, elle a tenté d’y mettre fin, en encourageant la Republika
Srpska à signer le plan Vance-Owen. Ce plan n’ayant pas été signé par la Republika Srpska, le
défendeur a imposé des sanctions à cette dernière. Enfin, la Serbie-et-Monténégro a également
contribué, à la demande de la Republika Srpska, à la conclusion des accords de Dayton, qui ont mis
fin au conflit.
Madame le président, je souhaite rais remercier la Cour de son attention et de sa patience.
J’en ai terminé avec cette intervention, et vous prie de bien vouloir appeler à la barre le coagent de
la Serbie. - 18 -
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Brownlie. Je donne à présent la parole à M. Obradović.
25 OBMR. ADOVI Ć : Je vous remercie, Madame le président.
INTRODUCTION AUX TEMOIGNAGES
1. Madame le président, Messieurs les j uges, je voudrais, parvenu à ce point de nos
plaidoiries, rapidement introduire les témoignag es que la Serbie-et-Monténégro va maintenant
soumettre à la Cour, et souligner ainsi l’importance de cette partie de la procédure.
2. En 1999, à l’issue de la procédure écrite en l’affaire, les représentants de l’Etat défendeur
comptaient inviter plusieurs centaines de témoins. Il s’agissait essentiellement de témoins directs
qui, pendant la guerre en Bosnie, avaient personnellement vécu des atrocités ou vu des membres de
leur famille ou des voisins en être vic times. La demande r econventionnelle de la
Serbie-et-Monténégro reposait sur certaines déclara tions de ces témoins, qui avaient été recueillies
conformément aux règles de la procédure pénale de l’ex-Yougoslavie 1. En revanche, le demandeur
a adopté une position tout à fait différente de la nôtrequant à la fonction et à la nécessité de ces
témoignages devant la Cour internationale de Justice.
3. Après la chute du régime de Milosev ic en République de Serbie, les nouveaux
représentants de l’Etat défendeur ont estimé que ce différend appartenait au passé. Ce dont les
peuples de l’ex-Yougoslavie avaient surtout besoin, c’était de paix et de réconciliation, et non d’un
procès qui serait utilisé pour tenter de justifier le conflit passé sur le plan historique et de le
prolonger par des arguments juridiques. Un cessez- le-feu s’imposait aussi dans le cadre de cette
procédure, ce pourquoi le défendeur a décidé de retirer sa demande reconventionnelle. C’était là
un gage de notre bonne volonté et de notre foi en un avenir eu ropéen unissant les peuples de
l’ex-Yougoslavie. Le demandeur n’a malheure usement pas suivi cette voie, et nous voilà
aujourd’hui dans ce prétoire.
4. Cela ne signifie pas pour autant que les déclarations sous serment que le défendeur a
soumises à la Cour doivent être traitées comme qua ntité négligeable en l’espèce, qu’il y ait ou non
demande reconventionnelle. Il s’agit là de témo ignages sérieux qui compléteront certainement le
1
Annexes à la deuxième partie du contre-mémoire, 23 juillet 1997. - 19 -
tableau général du conflit en Bosnie-Herzégovine et combleront les lacunes de la description
26 manichéenne donnée par les représentants de l’Et at demandeur, qui tend à faire passer l’une des
parties au conflit pour la victime et la seconde pour le seul et unique criminel, en taisant toutefois,
sans doute pour des raisons politiques, le rôle de la troisième.
5. Le fait que le défendeur ait retiré sa dema nde reconventionnelle n’a rien changé à sa
position sur l’importance des témoignages en tant que sources de preuves en l’espèce. J’ai déjà
démontré que les nombreux rappor ts internationaux consacrés à la question péchaient par la
manière dont les informations avaient été recu eillies, leurs auteurs n’ayant pas employé les
méthodes d’enquête adéquates et leurs conclusions ne pouvant donc être tenues pour fiables. La
déclaration d’un témoin qui paraît devant la Cour mérite davantage de crédit qu’une déclaration de
témoin anonyme faite à une orga nisation non gouvernementale penda nt la guerre ou jointe à une
demande d’asile pour être reprise ensuite dans le rapport envoyé à la commission d’experts
Bassiouni ou au rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies.
6. Des rapports et des dépos itions d’experts peuvent bien sûr constituer des preuves
suffisantes dans certaines affaires, par exemple en cas de différend frontalier entre deux Etats.
Mais il ne s’agit pas ici d’un différend ordinaire; il s’agit d’une affaire dans laquelle un Etat est
accusé du «crime absolu», le génocide.
7. D’aucuns pourraient nous rétorquer qu’u n nombre suffisant de témoignages a déjà été
soumis au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie dans le cadre de l’établissement de la
responsabilité pénale individuelle des accusés. La Cour peut toujours examiner une déclaration
faite devant le Tribunal et tenter d’en tirer di verses conclusions factuelles. Toutefois, un
témoignage fait directement devant vous doit pr imer sur le procès-verbal d’un témoignage fait
devant une autre chambre, ou devant une autre juridiction.
8. Par exemple, les représentants de l’Etat demandeur ont à plusieurs reprises cité une
déclaration faite en l’affaire Milosevic devant la Chambre de première instance du TPIY par un
autre accusé, M.Milan Babic, lequel a entre-te mps conclu avec le procureur un accord sur le
plaidoyer . Or, cette déclaration faite dans l’affaire Milosevic n’a purement et simplement pas pu
2
CR 2006/3, p. 36, par. 40; voir également CR 2006/10, p. 56, par. 46. - 20 -
être utilisée comme élément de preuve dans une autre affaire examinée par le TPIY, au motif
qu’elle aurait privé l’accusé en cette affaire de son droit de soumettre le témoin à un
contre-interrogatoire. Le procureur a donc invité M. Babic à venir à nouveau témoigner cette fois
en l’affaire Martic. Malheureusement, dans la soirée précéd ant le contre-interrogatoire, M.Babic
27 s’est suicidé . Cet épisode dramatique est un témoignage suffisant de la gravité de la présente
espèce, de notre responsabilité à tous, en tant que représentants des Etats, qui nous efforçons de
démontrer ce qu’ils estiment être la vérité, ains i que des épreuves extrêmes qui attendent ceux qui
ont été personnellement mêlés aux événements tragiques survenus en ex-Yougoslavie.
9. Le demandeur peut naturellement se servi r d’une pléthore de documents officiels qui ont
été établis à l’époque de la guerre, et ce sont là d es éléments de preuve dont la fiabilité ne peut être
contestée. Cela étant, ces documents peuvent tr ès souvent être interprétés différemment par les
Parties, et il est clair que le témoignage de celui qui a directement pris part aux événements peut
contribuer à éclairer les documents en question. Je vais maintenant tenter de démontrer brièvement
en quoi le demandeur a mal interprété le co mpte rendu de la fameuse séance du conseil de
coordination des positions en matière de politique générale de la Rép ublique fédérale de
4
Yougoslavie, séance tenue à la veille des négociations de Genève, le 9 janvier 1993 .
10. Ayant lu les douze pages figurant dans le dossier d’audience que le demandeur a soumis
le 3mars2006, nous ne pouvons nous entendre avec lui que sur une chose: la cruauté des
dirigeants serbes, qui ressort directement de leurs propos. Ce qui est extrêmement étonnant,
toutefois, c’est de voir deux personnes telles que MM.Karadzic et Milosevic dire que
M.Izetbegovic, l’ancien président de la Bosnie -Herzégovine, serait déclaré coupable. Tous deux
semblaient convaincus en l’accablant, mais les pages soumises à la Cour ne permettent pas de saisir
pourquoi.
11. Toujours est-il que l’Etat défendeur a quelques observations différentes de celles du
demandeur à formuler sur ce document. En pr emier lieu, il convient de signaler que les douze
pages en question ont été sorties du contexte géné ral de la séance. Les fragments soumis ne
permettent pas de comprendre que si cette réunion a été tenue, c’est parce que les politiciens serbes
3
TPIY, communiqué de presse, 6 mars 2006.
4
CR 2006/8, p. 55-60, par. 65-83 (van den Biesen). - 21 -
et monténégrins avaient l’intention de convaincr e les Serbes de Bosnie de ne pas demander ni
décider leur union avec la République fédérale de Yougoslavie. De ce point de vue, il est difficile
de savoir clairement si M.Milosevic, qui est décédé dans le centre de détention du TPIY il y a
quelques jours, voulait vraiment dire que «la cohésion du peuple serbe» avait été réalisée de fait, ou
s’il essayait simplement d’empêcher M.Karadzic ⎯aujourd’hui l’un des derniers fugitifs
28 échappant au TPIY ⎯ de causer de nouveaux problèmes po litiques à la République fédérale de
Yougoslavie et au peuple serbe en général.
12. En deuxième lieu, il est impossible de bien comprendre le texte intégral de ce compte
rendu sans connaître le cadre historique et le cont exte politique dans lesquels cette réunion s’est
déroulée. Il est évident que MM. Milosevic et Karadzic entretenaient à l’époque des relations
personnelles très tendues. Le compte rendu sténographique de leur discussion montre l’ampleur de
leur discorde, mais il est difficile d’en saisir la cause.
13. En troisième lieu, ce compte rendu ne permet pas de déduire que M. Karadzic était sous
le contrôle soit de M.Cosic, le président de la République fédérale de Yougoslavie, soit de
M.Milosevic, le président de la République de Serb ie. Il est tout à fait manifeste que ni l’un, ni
l’autre ne donnait d’ordres à M.Karadzic, mais qu’ils tentaient tous deux de le conseiller. Leur
conversation très déconcertante, et même grossièr e, ne révèle pas clairement s’ils sont d’une
manière ou d’une autre parvenus à leurs fins.
14. Il n’en reste pas moins que, si les repr ésentants des dirigeants serbes de Bosnie ont
participé à la séance de cet organe fédéral yougoslave, ce n’était pas en tant que membres, mais en
tant qu’invités du président Cosic, fait qui est s ouligné dans le communiqué de presse établi par
5
M. Svetozar Stojanović concernant la séance .
15. En dernier lieu, le demandeur devrait e xpliquer à la Cour pourquoi aucun des dirigeants
serbes présents à cette séance n’a évoqué le plan visant à détruire la communauté musulmane, en
tout ou en partie, que ce soit en République fédé rale de Yougoslavie ou en Republika Srpska. La
séance n’était pas publique, le compte rendu sté nographique était confidentiel, et aucun des
participants ne pouvait deviner que ses propos seraient un jour répétés et interprétés devant la Cour.
5
Dossier d’audience soumis par le demandeur le 3 mars 2006, p. 167. - 22 -
Nous avons bien sûr été choqués par la manière impassible dont Milosevic a demandé pourquoi les
Serbes de Bosnie avaient tué le vice-premier mini stre du Gouvernement bosni aque la veille de la
séance, ainsi que par la réponse abrupte de Karadzic , mais il est évident que le président Milosevic
n’approuvait pas ce comportement des Serbes de Bosnie. Aucun des représentants de la
République fédérale de Yougoslavie n’a, lors de cette séance, incité les dirigeants serbes de Bosnie
à commettre des atrocités. «Le territoire est une question essentielle», a déclaré feu M. Milosevic.
6
«Seule la carte importe.»
16. Après cette brève analyse du document précité, il semble vraiment regrettable que le
demandeur ait décidé de n’inviter aucun témoin qui puisse éclairer le sens des propos échangés et
29 les principales intentions des participants à cette séance, ou encore les rapports entre ces derniers et
le contexte politique dans lequel cette séance a eu lie u. En l’absence de tels éclaircissements, que
le témoin apporterait après avoir fait la déclara tion solennelle, le défendeur ne peut accepter les
conclusions que le demandeur a tenté d’échafaude r à partir de quelques fragments du document en
question.
17. Pour toutes les raisons qui précèdent, le dé fendeur a estimé et estime toujours nécessaire
que des personnes ayant directement pris part aux événements puissent témoigner dans cette affaire
d’importance historique.
18. Lors de leur réunion avec le président Sh i, le 14 mars 2005, les représentants de la
Serbie-et-Monténégro avaient fait part à la Cour de leur intention d’inviter trente témoins lors de la
procédure orale, considérant que c’était là un nombre raisonnable.
19. Comme vous le savez, la Serbie-et-M onténégro a depuis lors décidé d’écourter
sensiblement la liste de ses témoins afin de re ndre la procédure orale plus économique et plus
efficace, d’autant plus que nous sommes convaincu s que la Cour n’a pas compétence dans la
présente affaire.
20. En outre, dans sa lettre du 8 septembre 2005, notre agent, M. Stojanovi ć, a proposé à la
Cour d’inviter cinq témoins ayant joué un rôle particulièrement important lors du conflit en
Bosnie-Herzégovine et qui ⎯étant donné qu’ils ne souhaitaient pas, dans cette affaire difficile,
6
Ibid., p. 71. - 23 -
témoigner au nom de l’une ou de l’autre des Par ties car de nationalité différente, d’une grande
probité et fermement attachés à l’impartialité ⎯ auraient déposé en tant que témoins de la Cour. Il
s’agissait de trois généraux de la force de prot ection des NationsUnies en Bosnie-Herzégovine, à
savoir le général sir Michael Rose, le général Le wis Mackenzie et le général SatishNambiar, qui
ont directement pris part aux événements et qui ont des vues très pertinentes sur les relations entre
les principaux acteurs du conflit, vues que la Cour devrait examiner. Le quatrième témoin de la
Cour proposé par la Serbie-et-Monténégro est M. Jose Cutileiro, ancien secrétaire général de
[l’Union de l’Europe occidentale], qui a participé aux premières négociations de paix en 1992.
21. Le défendeur considère que la cinquième personne qu’il a proposée en tant que témoin
de la Cour pourrait elle aussi présenter un gran d intérêt. Il s’agit du mufti de Belgrade,
M.HamdijaJusufspahic, chef de la communauté islamique de Serbie. Il s’exprimerait sur la
situation de la communauté musulmane sur le territoire de l’actuelle Serbie-et-Monténégro
entre1992 et1995, et nous sommes certains qu’il c onfirmerait certaines des conclusions établies
30
hier par notre coagent, M. Vladimir Cvetković.
22. Jusqu’ici, toutefois, la Cour n’a pas accepté la proposition que notre agent lui a faite
d’inviter ces personnes en tant que témoins de la Cour. Nous espérons que cette décision a été
prise pour la même raison que celle qui a décidé le défendeur à réduire la liste de ses témoins.
23. Dans les jours à venir, la Serbie-et-Monténégro fera déposer huit témoins devant la Cour.
Tous détiennent des informations très importantes sur les événements qui nous occupent ici.
24. M.Zoran Lilic était le président de la République fédérale de Yougoslavie, et nous
voyons mal qui pourrait connaître mieux que lui la relation entre la Serbie-et-Monténégro et la
Republika Srpska pendant le conflit en Bosnie. Sa grande crédibilité a été confirmée par le
procureur du TPIY, qui l’a invité à témoigner lors du procès Milosevic. M. Lilic sera notre premier
témoin.
25. Les témoins venant de la Republika Srps ka sont deux personnalités de premier plan:
M.VladimirLukic, qui était premier ministre pendant la guerre, et M.Vitomir Popovic, le
médiateur actuel de la Bosnie-Herzégovine, qu i était alors vice-premier ministre de la
Republika Srpska. - 24 -
26. Sir Michael Rose viendra lui aussi à La Ha ye pour témoigner dans la présente affaire,
bien qu’il n’ait pas été invité en tant que témo in de la Cour. L’impartialité de cet éminent
fonctionnaire de l’Organisation des Nations Unies ne fait aucun doute.
27. MJ.ean-Paul Sardon, directeur de recherche à l’Institut national d’études
démographiques de Paris, présentera à la Cour, en tant qu’expert, son analyse des estimations
données sur le nombre des victimes de la guerre en Bosnie-Herzégovine.
28. Deux personnes qui en savent l ong sur le conflit yougoslave sont
M. Dragoljub Micunovic, l’un des dirigeants de l’opposition serbe et ancien président du Parlement
de la République fédérale de Yougoslavie, et M.Dusan Mihajlovic, ancien ministre de l’intérieur
de la République de Serbie, qui fut membre du gouvernement sous le régime de Milosevic, puis
membre du gouvernement démocratique après la chute de ce régime.
29. M. Vladimir Milicevic était le chef du service de police qui a accueilli huit cents réfugiés
musulmans après la chute de Srebrenica et de Zepa en 1995. Il s’exprimera sur le sort et sur le
traitement réservés à ces derniers dans le territoire de la République de Serbie.
31 30. Le demandeur pourra soumettre tous ces témoins à un contre-interrogatoire d’une durée
égale à celle de l’interrogatoire. Nous sommes fermement convaincus que ces témoins
contribueront grandement à établir les faits et la vérité dans la présente affaire.
L A NOUVELLE CONCEPTION QUE LE DEMANDEUR SE FAIT
DE LA PROCEDURE EN L ’ESPECE
31. Madame le président, permettez-moi de me pencher maintenant sur une autre question
qu’il faut selon nous évoquer avant la fin du premier tour de plaidoiries de la
Serbie-et-Monténégro. Cette question concerne l’équité de la nouve lle conception que le
demandeur se fait de la procédure en l’espèce. Ce tte conception est pour la première fois apparue
dans les lettres que le demandeur a adressées à la Cour le 28 décembre 2005 et le 19 janvier 2006,
lettres par lesquelles l’agent adjo int de la Bosnie-Herzégovine a prié la Cour d’inviter la
Serbie-et-Monténégro à produire plusieurs centa ines de documents nouveaux avec leur traduction
anglaise.
32. Dans sa lettre du 31 janvier 2006, le défende ur a informé la Cour que la traduction des
documents demandés et l’examen de leur pertin ence dans la présente affaire demanderaient un - 25 -
temps considérable. Alourdir ainsi la procédure, et surtout faire de la sorte peser, de manière
imprévue, une telle charge sur le défendeur, un mois seulement avant l’ouverture de la procédure
orale, aurait manifestement placé ce dernier dans un e position inéquitable. Rien n’indique que le
demandeur n’ait pas été en mesure de demande r la production de ces documents nouveaux à un
stade antérieur de la procédure. Dans sa lettre, le demandeur a expliqué sa négligence à cet égard
au lieu de donner une raison acceptable.
33. Or, en dépit du refus de la Cour d’accéder à cette requête du demandeur, M. Franck vous
a tout de même priés de tirer des conclusions défavorables du comportement du défendeur, même
en l’absence d’une injonction formelle de produi re des documents en vertu de l’article49 du
7
Règlement de votre Cour .
34. Cette nouvelle conception de la procédure, le demandeur a continué de l’exprimer dans
ses plaidoiries. Tout d’abord, je rappellerai à la Cour que la Serbie-et-Monténégro, après avoir
soumis certains documents confidentiels en réponse à une demande formulée au titre de l’article 56
du Règlement de la Cour, a déposé la liste des documents publics qu’elle comptait invoquer lors de
32 la procédure orale, ainsi que trois dossiers cons titués de documents publics faisant partie d’une
publication accessible au public, mais difficiles à obtenir dans la pratique.
35. En ce qui concerne les nombreux doc uments du Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie, le défendeur a considéré qu’il ét ait facile d’obtenir les jugements, décisions,
actes d’accusation et documents fondamentaux, qui peuvent aisément être consultés sur le site
Internet du Tribunal ainsi qu’à la bibliothèque du Palais de la Paix. Tel n’est pas le cas, en
revanche, des comptes rendus d’audience du TPIY, qui contiennent les déclarations des témoins
ainsi que certains documents utilisés comme pièces à conviction dans les procédures du Tribunal,
ce pourquoi le défendeur a décidé de les communiquer par courtoisie à la Cour et au demandeur.
Le défendeur ne peut évidemment pas indiquer av ant l’ouverture de la procédure orale le nombre
exact de documents publics qu’il invoquera à l’ audience, son rôle se bornant à répondre aux
arguments du demandeur, qu’il ne peut connaître à l’avance. Notr e liste de documents publics ne
7
CR 2006/3, p. 27, par. 21 (Franck). - 26 -
doit donc pas être considérée comme définitive ⎯il me semble en effet raisonnable et naturel de
faire preuve d’une certaine souplesse à cet égard.
36. Donc, la Serbie-et-Monténégro a soumis sa liste de documents publics
le31janvier2006, près d’un mois avant l’ouvert ure de la procédure orale, tandis que la
Bosnie-Herzégovine a soumis son disque compact intitulé…
Le PRESIDENT : Monsieur Obradović, je dois vous interrompre ici. Comme vous le savez,
la question que vous vous apprêtez à aborder n’est d ésormais plus du ressort de la Cour et a été
réglée conjointement par les Parties, avec l’assistance de la Cour; il n’y a donc plus matière à
débat.
OMBR. ADOVI Ć: Merci de cette précision, Madame le président. Nous savons gré à la
Cour de son assistance, et mon exposé d’aujourd’hui n’en sera que beaucoup plus court. Il est donc
temps pour moi de vous remercier de votre bien veillante attention, Madame le président et
Messieurs de la Cour, et je vous propose de ma rquer une courte pause avant que notre agent,
M. Radoslav Stojanović, ne vienne conclure le premier tour de plaidoiries de la
Serbie-et-Monténégro. Je vous remercie.
33 Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Obradovi ć. La Cour va marquer une courte
pause.
L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 35
The PRESIDENT: Please be seated. Professor Stojanović, you have the floor.
STOr.JANOVI Ć: Thank you, Madam President.
Conclusion
1. Madam President, Members of the Court, as I said on the first day, and now repeat, it is a
great honour and privilege for me to appear befo re you, but I do not take up this honour without
sorrow and affliction, because my country is accuse d before the highest world court of the most
serious of crimes ⎯ the crime of genocide. - 27 -
2. But my country is not charged with ge nocide alone. The Applicant consistently accuses
us of seeking to evade our responsibility by procedural devices: by adjourning the case and
dragging it out for 13years. The Applicant h as even accused us of trying to evade responsibility
by changing the name of the State. In view of the language of the accusation, I hesitate to quote it
before the Court. I repeat what the Applicant said: “[t]his State cannot be allowed to rid itself of
the stench of the blood it has spilled merely by putting on fresh new names” (CR2006/5, p.16,
para. 23 (Franck)).
3. Madam President, the Respondent did change its name in the course of the present case.
This change of name took place in 2003 for we ll-known reasons of domes tic policy and has no
effect on the present case. However, what does aff ect this case is the fact that the Respondent was
admitted to the United Nations in 2000 as a new State. I will come back to this a little later.
4. Thirteen years have passed since the Appli cant instituted proceedings before this Court.
So much has happened during this period. We have lived through the fall of Slobodan Milosevic’s
régime, and today Serbia and Montenegro is recognized by the whole world as part of the family of
democratic States. We have committed ourselves to European integration and are sparing no effort
in pursuit of that goal.
34 5. Madam President, we are following this path alongside the Applicant. Relations between
our two countries have improved significantly, and the present case is one of the few issues still
pending. For that reason we agree with the Applicant that the truth must be established and that we
must move on. However, we cannot subscribe to the subjective version of the facts presented by
the Applicant and to its view of the truth as put forward in its written pleadings, but also during
these hearings.
6. That is precisely why we have tried to initiate a process of reconciliation between the two
States and to involve Croatia, the third State concerned. In my opening address I described the
efforts that we have made to this end and th e negative responses received from the Applicant.
Nevertheless we stand by this proposal, as I stated on the first day of our pleadings.
7. Madam President, many changes have take n place during the last 13years since Bosnia
and Herzegovina filed its Application. But ther e have been many changes during the last three
weeks since the hearings began. The key players in the conflicts in the former Yugoslavia are no - 28 -
longer alive. Alija Izetbegovic and Franjo Tudjman have died, Milan Babic, the former leader of
the Croatian Serbs, committed suicide on 5 March 2006 and Slobodan Milosevic died on 11 March
last.
8. The latter two died here, in The Hague, in their prison cells. I have no intention of
discussing now the issue of their criminal respons ibility, although this has been debated at length
during the present proceedings and will certainly be discussed during the second round. However,
I wish to stress that these two individuals, with others from the former Yugoslavia, most of whom
had held high office in their respective States, found themselves before the ICTY to answer
indictments for crimes that they possibly committed.
9. We have maintained before the Court, as was noted by our learned counsel
Mr.IanBrownlie, who has merely paraphrased Th eir Excellencies Judges Shi and Vereshchetin,
that it is not this Court, with all due respect, but the Tribunal for the former Yugoslavia that is the
proper forum to deal with the Applicant’s grieva nces in the present case. We therefore ask the
Court to adjudge and declare in the present ca se that the provisions of the Genocide Convention
35 apply only in respect of the failure of a Stat e to prevent and punish acts of genocide committed
within the limits of its territorial jurisdiction.
10. But Madam President, before it rules on the point that I have just stated, the Court must
decide whether or not it has jurisdiction. We are not trying, as the Applicant asserts, to “escape
responsibility on [a] technicality” (see CR2006/11, p. 56, para.38 (Franck)). Quite the contrary;
as explained in detail by Professor Tibor Varady, Serbia and Montenegro, whether as Applicant or
Respondent, has maintained a steadfast and consistent position in all its cases before this Court and
we have asked the Court to rule on the issue of jurisdiction on the basis of the same facts and the
same analysis.
11. Basing ourselves on that analysis, we have demonstrated that before 1November2000
Serbia and Montenegro did not have access to this Court, because it was not a Member of the
United Nations and because there was no other basi s for such access. This was clearly established
by this Court in 2004, so it cannot have jurisdiction in this case either, because it did not have
jurisdiction at the relevant time. - 29 -
12. We have also demonstrated that the respondent State has not remained bound, and has
never become bound, by Article IX of the Genoc ide Convention, the only basis of jurisdiction
cited. The Respondent did not meet the c onditions for accession to the Genocide Convention
before becoming a Member of the United Nations.
13. The only plausible assumption that could have linked Yugoslavia to ArticleIX of the
Genocide Convention when the 1996 Judgment on the Preliminary Objections was given is that
Yugoslavia had remained bound as successor to the former Yugoslavia. In view of the fact that the
Respondent did not succeed the former Yugoslavia a nd so did not take over its treaty status, this
assumption is totally without foundation. The trut h is that the respondent State did not remain
bound by Article IX of the Genocide Convention.
14. We then demonstrated that the Respondent never became bound by ArticleIX of the
Genocide Convention. The Respondent has never filed a notice of succession to the Genocide
Convention. The declaration of 27April1992 di d not and could not have taken effect as a
36 succession. Equally, there was no automatic succession. Even if automatic succession had
occurred, it could not have included Article IX, in vi ew of the fact that this is a clause relating to
the jurisdictional settlement of disputes.
15. We have further shown that the Res pondent did not even meet the conditions for
accession to the Genocide Convention before beco ming a Member of the United Nations. As a
non-Member State of the United Nations, it could have acceded to the Convention only on the basis
of an invitation under ArticleXI. It was never sent such an invitation ⎯ and no one has
maintained the contrary. After joining the Unite d Nations, Yugoslavia acceded to the Convention,
with a reservation to Article IX.
16. It should be stressed that the Respondent’s treaty status is demonstrated in practice by the
depositary’s registrations. These show and c onfirm unequivocally that the respondent State
became a party to the Genocide Convention only wh en it acceded to it in 2001, filing a reservation
to Article IX.
17. In view of the fact that the Court did not have jurisdiction to entertain proceedings
against the Respondent at the relevant time, and th at the latter never remained or became bound by - 30 -
Article IX of the Genocide Convention, we request the Court to address the issue of its jurisdiction
and to declare that it does not have jurisdiction in the present case.
18. Apart from the issue of the Court’s lack of jurisdiction, we have also demonstrated that
most of the evidence submitted by the Applicant, both in its written and in its oral pleadings, is
questionable. Yet more striking is the fact that the Applicant maintains part of this dubious
evidence throughout its written pleadin gs and continues to repeat it again before this Court. As
Mr.SasaObradovic, our Co-Agent, has explaine d, it would seem that the only purpose of
continuing to repeat such evidence is to mislead and shock the Court. Worse still, the Applicant
asks the Court to draw inferences from evidence of this kind despite the fact that it does not meet
the credibility requirements for evidence in cases before this Court.
37 19. However, Madam President, we have also demonstrated that there was no genocide in
Bosnia and Herzegovina. And we have also shown that a genocide plan never existed in Serbia and
Montenegro or among the Serb people.
20. In my pleadings last week I refuted th e Applicant’s allegations that the conflict of
1992-1995 was the result of a plan for the creation of a “Greater Serbia”, a plan which, according
to the Applicant, dates from the nineteenth century and has its or igins in the Garasanin plan, or
“Nacertanije”. In support of my arguments I recount ed here, before this Court, the most important
events in the history of Serbia and the former Yugoslavia.
21. That plan was no more than a pan-Slav project contemplating the unification of all the
southern Slavs. Moreover, at no point did this project envisage the extermination of any of the
nations living in the territory of the former Yugos lavia. Quite the contrary: it was based on the
union of the various nations within a single State. The project was implemented after the First
World War by the creation of the Kingdom of Serbs, Croats and Slovenes, and through the creation
of that State the plan became part of history.
22. Whereas between the two world wars the lead ers or the intellectual elite of Serbia had
abandoned the idea of a “Greater Serbia”, the notion of “Serb hegemony” was launched by the
Yugoslav communist party under the influence of the Comintern, one of whose objectives was the
dismemberment of Yugoslavia as created by Versailles. - 31 -
23. Ironically, during the Second World War the Axis powers put the ideas of the Comintern
into practice and divided Yugoslavia into a bunch of small States differing in status. The largest
among them was the independent Stat e of Croatia, which consisted, apart from Croatia, of parts of
the Serbia of today and the whole of Bosnia and Herzegovina. Ho rrendous atrocities were
committed against the Serb people in the territory of that State, and these are entrenched in the
memory of the people. Unfortunately the Muslims of Bosnia and Herzegovina played a significant
part in the perpetration of these atrocities.
24. After the Second World War, from which Tito and his partisans emerged as victors, the
perpetrators of those atrocities were not brought to book for their crimes. The communist party
promoted “unity and fraternity” among nations, a policy that was not without beneficial effects.
38 25. However, the policy of “unity and fraternity” was accompanied by the wholesale
decentralization of the State, whereby the federal units acquired sovereignty to the detriment of the
federal State. The power of the federal State subsequently became no more than a hollow shell. In
that context, Yugoslavia was no longer a federati on, but at best a confederation, if not an
association of independent States.
26. Although all the federal units, with the exception of Slovenia, were multinational, each
of them, with the exception of Bosnia and Herzegovi na, was still dominated by a distinct nation.
Consequently, the process of consolidating the sove reignty of the federal units gradually brought
about the consolidation of the sovereignty of th e national elites, although they were still well
hidden behind the veil of the Communist party.
27. This system nevertheless continued to function until the death of Tito and the onset of the
economic crisis in the 1980s. The economic crisis further exacerbated the split between the federal
units and their respective national elites.
28. At the time of the collapse of communi sm throughout eastern Europe, those elites were
forced to adopt a new doctrine that would enable them to remain in power. That new doctrine was
nationalism. Nationalism was promoted for a variet y of reasons, and reasons were not difficult to
find in the turbulent history of the Balkans. In the case of the Serbs, the simplest way was to
remind them of the atrocities committed by the Ustashi during the Second World War. - 32 -
29. However, Serbian nationalism simply represen ted a reaction. As I have already shown,
the Serbian people had attained its goals at th e Versailles Conference and it had no reason to
demand that they be revisited. On the other ha nd, the others, and the Croats in particular, had
failed to achieve their objectives and they seized on the fall of communism in eastern Europe as a
propitious moment for the establishment of their own independent States.
30. At that point in time, the famous “Mem orandum” of the Serbian Academy of Sciences
and Arts was published as a reaction to the situation in Yugoslavia, and in response to other brands
of nationalism. That document was no more than a lament on the fate of the Serbian people and
was neither a plan for the creation of a “Greater Serbia” nor a call to exterminate the others.
39 31. There is no continuity between the nineteenth century Garasanin plan and the
“Memorandum”; indeed, the only point of continuity is that neither of the two represented a plan
for a “Greater Serbia” or called for the destruction of other nations.
32. In the light of all of the foregoing, I requ est the Court to reject the Applicant’s claims
based on a quasi-historical analysis of the continu ity of the plan for a “Greater Serbia” from the
nineteenth century up to the publication of the Memorandum by the Serbian Academy of Sciences
and Arts. Moreover, this historical debate initia ted by the Applicant is of no relevance to these
proceedings, but for the sake of historical a nd scientific accuracy, the Respondent deemed it
necessary to reply in its pleadings.
33. What emerges from this reply, Madam President, Members of the Court, is that there is
no simple explanation for the conflict in the form er Yugoslavia and that, in any case, it cannot be
explained by the Applicant’s analysis, which is tota lly lacking in impartiality. It is untrue that the
conflict broke out as a consequence of Serbian nationalism. For the sake of the truth, as mentioned
above, I went over this subject at length in my presentation last week, and I shall now briefly go
over it again.
34. The causes of the conflict are complex and may be explained by a combination of several
elements. In the case of Slovenia, the reasons for secession were mainly of an economic nature,
while Croatia’s claim to independence was based primarily on the aspiration to create an
independent nation State. - 33 -
35. In any event, the secession-minded republi cs of Yugoslavia made preparations over a
period of several years. These preparations incl uded political and diplomatic activities, as well as
the procurement of arms and the establishment of armed forces capable of standing against the
national army of Yugoslavia. In other words, secession was to be pursued either by peaceful means
or by force.
36. The preparations were conducted within na tional borders and the Serbs, naturally, were
no exception to this process. However, the Serb s’ objectives conflicted with those of the other
nations. The Serbs wanted to preserve Yugoslavia and, to that end, they began procuring weapons.
40 37. The preparations for the conflict were dire cted and organized by the political leaders of
the national groups. These leaders used the new circ umstances to consolidate their grip on power.
In this respect also, the Serbian political leaders, including those in Belgrade, were no exception.
We have shown that these activities were no diffe rent from those conducted by the other national
groups. Madam President, weapons procurement is quite simply weapons procurement, no matter
which country is concerned.
38. Unfortunately, the preparations were successful, and they created a situation for
Yugoslavia from which it was difficult to find a wa y out. Support and firm diplomatic action on
the part of the international community would have been necessary for that purpose. In addition, it
would have been necessary for the local leader s to exercise common sense and a capacity for
compromise. Unfortunately, both attributes were lacking.
39. The international community was itself divided and was unable to prevent the conflict by
resolute political action. For this reason, the international community itself bears part of the blame
for the ensuing course of events. The main part of the blame, however, belongs to the leaders of
the national groups, who were not prepared to compromise.
40. From this point of view, Slobodan Milosovic bears much of the political responsibility
for the conflict, and Serbia and Montenegro has no intention of denying this fact. Ultimately, it
was Serbia and Montenegro which had him arrest ed and sent him to The Hague where, leaving
aside his political responsibility, any criminal responsibility he might have was to be established.
41. However, the other leaders bear a sim ilar degree of responsibility for the conflict,
particularly in the case of the Croatian and Muslim leaders ⎯ Franjo Tudjman and - 34 -
AlijaIzetbegovic. It is regrettable that, even today, the leaders of Croatia and Bosnia and
Herzegovina are not prepared to accept such responsibility.
42. It is also regrettable that the Applicant in this case seeks to justify every action of the
Bosnian Muslims, although it sometimes acknowledges ⎯ albeit not without difficulty ⎯ the
injustice of some of their acts. At the same ti me, the Applicant treats every action by the Serbs as
not only criminal, but genocidal. At the beginning of the Applicant’s oral pleadings, its Deputy
Agent admitted that the war in Bosnia and Herzegovina had been started by a Bosnian Muslim who
41 opened fire at a Serb wedding party (CR 2006/4 (van den Biesen), p.23, para.6). Mr.van den
Biesen acknowledged that this was an inappropriate act, but at the same time he was at pains to
justify the act by asserting that the shooter had been “shocked” by the “Vukovar pictures” and by
the “hate speech from political leaders in Belgrade” (loc. cit.).
43. I am convinced that this august Court h as no other object and purpose than to establish
the truth concerning the conflict in Bosnia and Herzegovina, but the truth cannot be established by
a prejudiced interpretation of events, in black a nd white terms, where every action by the other
Party is portrayed as genocidal and aggressive, while every action of the Applicant is portrayed as
peaceful and defensive. It is this approach, cruelly lacking in impartiality, which makes it
impossible to achieve the long-awaited reconciliation.
44. It cannot be denied, then, that the conflic t in Bosnia and Herzegovina was triggered by a
Bosnian Muslim who opened fire at a Serbian wedding party. Ho wever, the fact that it was a
Muslim who fired the first shot will not prompt me to draw in ferences concerning a centuries-old
conspiracy said to have been hatched by the Muslims against the Serbs, or a criminal plot allegedly
aimed at the destruction of the Serbs in Bosnia and Herzegovina.
45. No, Madam President, I do not believe that the Muslim people of Bosnia and
Herzegovina had any intention of destroying the Se rb people. However, nor do I believe that the
Serb people had any intention of destroying the Muslim people.
46. I have demonstrated that the war in Bosn ia and Herzegovina was a war for territory. In
the context of the obvious dissolution of one of the former Yugoslav republics, the three parties to
the conflict, Serbs, Muslims and Croats, each pur sued the same objective, which was to obtain the
maximum amount of territory. It is possible that the plans relating to these territories were - 35 -
different, given that the Muslims aspired to an independent Bosnia and Herzegovina which they
could dominate, while the Serbs and the Croats had different objectives ⎯ unification of the
territories which they considered to be their own with their mother countries (Serbia and Croatia).
Nevertheless, the fundamental purpose remained the same ⎯ to control as much territory as
possible.
47. It is quite true that the occupation of th e territories and the installation of authorities in
those territories went hand in hand with the exodus of people belonging to the other nations. One
42 part of the population escaped the conflict, one part of the population fled the war. Some people
voluntarily left their homes after the rise to power of their political opponents. Unfortunately, part
of the population was forced to leave the territory, which is undoubtedly a criminal act.
48. However, this criminal act was comm itted by all the parties to the conflict and,
comparing the percentages of Muslims or Croats w ho were forced to leave Prijedor, Banja Luka or
Zvornik, with the percentages of Serbs forced to leave Tuzla, Zenica or Mostar (under Muslim or
Croat control), the results are almost identical, and these results cannot be altered by a film
showing a handful of Serbs celebrating Orthodox Easter in Tuzla (a film which we saw here, at the
Court, during the presentation on 28 February 2006 by Mr. van den Biesen).
49. The crimes of deportation, expulsion or forcible transfer, which I have just described, are
indeed to be condemned, and they have been pr osecuted in criminal proceedings, but they do not
constitute genocide. This crime is often termed “ethnic cleansing”, and even the Deputy Agent of
the Applicant does not consider that to constitute genocide. In an interview he gave to Der Spiegel
on 7March2006, Mr. van den Biesen stated: “All the individual cases that the ICTY deals with
are only part of the ethnic cleansing campaign and genocide. We are putting everything into one
case. We are first asking the Court to declare that this was genocideand not ethnic cleansing .”
(Available in English, on Spiegel Online, at:
http://www.spiegel.de/international/0,1518,404731,00.html).
50. Madam President, I have shown that our th esis that the war in Bosnia and Herzegovina
was in reality a war for territory is that which is the most convincingly borne out by the solution
finally found for the conflict. The Dayton Agreement, which put an end to the war, fixed territorial
limits for the warring parties, after concessions on all sides. Following the signature of the - 36 -
Agreement, peace was restored in Bosnia and He rzegovina and has successf ully been maintained
until the present day, despite the fragility of internal relationships within the State. If the aim of the
conflict had been to destroy one of the nati onal groups of Bosnia and Herzegovina, a peace
agreement would never have been signed, much less implemented.
51. The fact that the war in Bosnia a nd Herzegovina was a war for territory was
demonstrated in greater detail by our honourable counsel, Mr.Xavierde Roux. Together with
43 Ms Fauveau-Ivanovic, Mr. de Roux analysed the Ap plicant’s multiplicity of claims concerning the
alleged genocide in Bosnia and Herzegovina.
52. We have demonstrated the ambivalence of the notion of genocide: how it is used in the
legal and political arenas with varying meani ngs, and how it is trivialized with each passing
conflict by declarations of a political nature.
53. We have also demonstrated that, in law, genocide, within the meaning of the Genocide
Convention, can only be constituted by one of the acts set out in Article II of the Convention and
that, since genocide can take any one of the fo rms indicated in Article III of the Genocide
Convention, the Applicant should have made it clear which forms it was relying on and which acts
allegedly constituted the form or forms concerned.
54. The Applicant should specifically have identified the group that was the victim of the
genocide. As genocide can only be perpetrated by physical persons motivated by the specific intent
to destroy a national, ethnical, racial or religious group in whole or in part, this specific intent has
to be established by the Applicant, just as it has to identify the physical persons who committed the
crime.
55. Finally, we have shown that the Applicant has failed to demonstrate that acts capable of
constituting genocide were committed, or that su ch acts were targeted against a well-defined
ethnical, racial, national or religious group. The A pplicant has totally failed to show that such acts
were aimed at the destruction in whole or in pa rt of a well-defined national, ethnical, racial or
religious group or that the perpetrator of these acts di d so with the intent to destroy in whole or in
part the above-mentioned well-defined group.
56. In our analysis, Madam President, we have based ourselves upon the jurisprudence of the
Tribunal for the former Yugoslavia and, at this point, although we are now at the end of our - 37 -
pleadings for the first round, I owe you an explanation for the fact that we have, in effect, distanced
ourselves from our earlier opinions about the Tribun al for the former Yugoslavia as expressed in
our Rejoinder, with which Professor Franck sought to refresh the Court’s memory (see CR 2006/5,
p. 21, para. 39 (Franck)).
57. Nevertheless, we do not regard all the material of the Tribunal for the former Yugoslavia
as having the same relevance or probative value. We have primarily based ourselves upon the
44 judgements of the Tribunal’s Trial and Appeals Chambers, given that only the judgements can be
regarded as establishing the facts about the crimes committed in a credible way.
58. These judgements, Madam President, show th at the Tribunal has yet, with the exception
of Srebrenica, to hold that genocide was committed in any of the cases cited by the Applicant. The
only case in which the Tribunal has held that a te rritorially limited genocide occurred was for the
events in Srebrenica.
59. In his analysis of the Tribunal’s Judgement in the Kristic case, Mr.deRoux drew
attention to the serious shortcomings of this J udgement. I would, however, particularly emphasize
the fact that the Tribunal found General Kristic guilty of complicity in genocide, while both
omitting to state who were the principal perpetra tors, and thus making it impossible to establish
their intent, which is so very necessary in the commission of genocide.
60. As contentious as they may be, the findings in the Kristic case do not concern Serbia and
Montenegro. Mr.IanBrownlie has successfully de monstrated that the events in Srebrenica were
purely local in scope and that the authorities of the Respondent were not implicated in the
massacre.
61. May I, Madam President, add a persona l observation here? You may have noticed
during these pleadings that I have paid very little attention to Slobodan Milosevic. From 1989
when, along with others, I laid the foundations fo r the first opposition party in Serbia, until his fall
from power in 2000, I was the avowed opponent of Mr. Milosevic. But despite my intimate
convictions about him as a person, I am not of the opinion that he played any role in the events of
Srebrenica, or even that he had any prior knowledge of them.
62. My personal opinions are, however, of l ess importance. What really matters is the
evidence presented to you by MrB . rownlie, evidence which confirms that neither - 38 -
SlobodanMilosevic nor any other representative of Serbia and Montenegro had any connection
with this criminal incident.
63. However, Mr.Brownlie demonstrated a lo t more than the fact that the Respondent’s
authorities were not implicated in the events in Srebrenica. He submitted significant evidence that
45 Republika Srpska was an independent entity through out the duration of the conflict and that it was
not a mere “subordinate” of the Respondent, as the Applicant seeks to portray it.
64. The independence of Republika Srpska , although never formally admitted, was
recognized from 30 May 1992 by the relevant reports of the United Nations Secretary-General, by
the documents and conduct of the International Conference on th e former Yugoslavia and by the
Co-Chairman of its Steering Committee, through the attribution to the Bosnian Serbs by the States
concerned of the status of negotiating party, by the opinion of Lord Owen on relations between
Belgrade and Pale, as well as through the special nature of the political consciousness of the
Bosnian Serbs.
65. The Applicant has failed to prove that the Respondent’s Government had effective
control over Republika Srpska at the relevant time. Nor has the Applicant been able to demonstrate
that the army of Republika Srpska was under the control of the Respondent, given that this army
was subordinated to the authorities of Republika Srpska alone throughout the conflict.
66. The applicant State has, in particular, fa iled to show that Yugoslavia wielded effective
control over the military and paramilitary oper ations during which the alleged offences were
committed. Moreover, the Applicant has been una ble to prove the existence of an order or
instruction given by Yugoslavia that would have constituted the planning or perpetration of the acts
cited by the applicant State as breaches of the Genocide Convention.
67. Finally, our Co-Agent, Mr. Vladimir Cvet kovic, has demonstrated that the Applicant has
failed to prove that genocide or any other offe nce under international criminal law was committed
in the territory of the Respondent against the Muslim population of Bosnia and Herzegovina, or
against the Muslim population of Serbia and Montenegro.
68. We have, moreover, shown that the Appli cant has been unable to prove that any former
or current representative of the Respondent is guilt y of genocide or of any other crime against the
Muslim population in the territory of Serbia a nd Montenegro. The lack of any evidence of - 39 -
genocide targeting the Muslim population in the terri tory of Serbia and Montenegro, where there is
a significant Muslim minority, constitutes incontrover tible proof that the authorities of Serbia and
46 Montenegro could not have perpetrated genocide against an identical Muslim population in the
territory of Bosnia and Herzegovina.
69. Madam President, Members of the Court, now is the time to put an end to our first round
of oral pleadings. In them, we have provided you with an objective portrayal of the conflict in
Bosnia and Herzegovina, one based upon the fact s and upon solid legal ar guments and not just
upon the shocking footage which we could see in th e media once again at the end of last week,
following the death of Slobodan Milosevic.
70. We have the utmost confidence in the C ourt and are convinced that its Judgment will be
based on an in-depth analysis of all of the facts and the relevant legal considerations. Such an
analysis can only provide one outcome. Serbia and Montenegro is not responsible for the acts that
occurred in Bosnia and Herzegovina and, in any case, there was no genocide. But, above all, the
Court must rule on the issue of jurisdiction.
Thank you, Madam President. I have made my short summary, or perhaps it would be better
to say modest summary, compared with the oral presentations of our team over recent weeks.
Thank you, Madam President.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Stojanović. This brings to an end the first round of
oral argument as such. The Court will meet tomorrow at 10 a.m. to begin the hearing of the
witnesses, experts and witness-experts called by the Parties. The Court now rises.
The Court rose at 12.40 p.m.
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