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CR 2006/13 (traduction)
CR 2006/13 (translation)
Jeudi 9 mars 2006 à 10 heures
Thursday 9 March 2006 at 10 a.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT: Bonjour. Veuillez vous asseoir . Pour des raisons qu’ils m’ont dûment
exposées, Messieurs les juges Abraham et Si mma ne siégeront pas ce matin. M. Djeri ć, vous avez
la parole.
DJME.RI Ć : Je vous remercie.
Q UESTIONS DE PROCEDURE
2. L’accès du défendeur à la Cour
2.1. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur et un privilège
exceptionnel pour moi de me présenter à nouveau devant vous.
2.2. La présente instance porte sur d es crimes graves commis en Bosnie-Herzégovine
pendant la guerre. Ces crimes doi vent être condamnés sans relâche. Ils ne doivent jamais tomber
dans l’oubli ni rester impunis ⎯tous leurs auteurs doivent être traduits en justice, quoi qu’il en
coûte. Mais la présente instance, Madame le président, ne concerne pas la responsabilité
individuelle pour les crimes commis ⎯elle porte sur la responsabilité de l’Etat et soulève un
certain nombre de questions juridiques fondame ntales relatives au fonctionnement du système
judiciaire international institué par la Charte des Na tionsUnies et le Statut de la Cour. Il est de
notre devoir d’aborder ces questions et il appartientà la Cour de se prononcer à leur sujet. Je
traiterai aujourd’hui de l’accès à la Cour par le défendeur et démontrerai que le défendeur n’a, en
l’espèce, pas accès à la Cour.
L’accès à la Cour est une condition préalable fondamentale pour la procédure
2.3. L’importance fondamentale de la question de l’accès à la Cour est bien connue et l’on ne
saurait trop y insister. Elle a été clairement rappelée dans les arrêts de 2004 rendus dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force :
«[L]a question de savoir si la Serbie-et-Monténégro était ou non partie au Statut
de la Cour à l’époque de l’introducti on des présentes instances est une question
fondamentale; en effet, si elle n’avait pas ét é partie au Statut, la Cour ne lui aurait pas
été ouverte en vertu du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - 3 -
La Cour ne peut exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard des seuls Etats
auxquels elle est ouverte en vertu de l’article 35 du Statut. Et seuls les Etats auxquels
la Cour est ouverte peuvent lui conférer compétence.» ( Licéité de l’emploi de la force
11
(Serbie-et-Monténégro c.Belgique) , arrêt du 15décembre2004, par.46; on peut
trouver exactement le même texte dans les arrêts rendus, en2004, dans les autres
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force.)
2.4. Afin d’exercer sa fonction judiciaire dans une affaire, la Cour doit donc toujours et avant
toute chose s’assurer que les Etats parties ont le droit d’ester devant elle. En d’autres termes,
l’accès à la Cour est indispensable pour que celle-ci puisse se déclarer compétente dans une affaire
particulière et examiner celle-ci au fond.
2.5. Il faut toutefois noter que la différence entre l’accès et la compétence ne repose pas
seulement sur le fait que l’accès est une condition pr éalable fondamentale de la compétence. Il est
tout aussi important de noter que sa nature juridique diffère de celle de la compétence. Tandis que
cette dernière est liée au consentement des par ties, la question de l’accès dépend des conditions
objectives figurant dans le Statut, lesquelles ne peuvent être rejetées ou modifiées par le
consentement explicite ou implicite des parties. Comme la Cour l’ a dit dans les arrêts qu’elle a
rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force : «[I]l y a lieu d’établir
une distinction entre une question de compétence liée au consentement d’une partie et celle du droit
d’une partie à ester devant la Cour conforméme nt aux prescriptions du Statut, qui n’implique pas
un tel consentement.» ( Ibid., par. 36; voir également, Compétence en matière de pêcheries
(République fédérale d’Allemagne c.Islande), compétence de la Cour, arrêt , C.I.J. Recueil 1973,
p. 53, par. 11.)
Conditions de l’accès à la Cour
2.6. Madame le président, les conditions objectives qui réglementent l’accès à la Cour
figurent à l’article35 du Statut. Ces conditions s ont bien connues et je me contenterai de les
rappeler brièvement :
⎯ tout d’abord, la Cour est ouverte aux Etats parties au Statut (Statut, art. 35, par. 1). Tandis que
les Membres de l’Organisation des Nations Unies sont ipso facto parties au Statut (Charte des
NationsUnies, art.93, par.1), d’autres Etats, qui ne sont pas membres de l’Organisation,
peuvent devenir parties au Statut dans les conditions «déterminées, dans chaque cas, par
l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité» (Charte, art. 93, par. 2); - 4 -
⎯ ensuite, les Etats qui ne sont pas parties au Statut peuvent ester devant la Cour s’ils remplissent
les conditions réglées par le Conseil de sécur ité, comme le prévoit le paragraphe2 de
l’article35 du Statut, conditions que le Con seil de sécurité a énon cées dans sa résolution9
de 1946. Il y est essentiellement stipulé qu’un Etat doit avoir fait une déclaration par laquelle il
12 accepte la juridiction de la Cour et s’engage à exécuter les sentences de cette dernière ainsi
qu’à accepter toutes les obligations mises à la charge d’un Membre des NationsUnies par
1
l’article 94 de la Charte ;
⎯ enfin, les Etats qui ne sont pas parties au Stat ut peuvent également ester devant la Cour en
vertu des «dispositions particulières des traités en vigueur» (Statut, art. 35, par. 2). Comme la
Cour l’a indiqué sans équivoque, cette clause ne s’a pplique qu’aux traités en vigueur à la date
de l’entrée en vigueur du Statut et non aux traités conclus depuis cette date (Licéité de l’emploi
de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique) , arrêt du 15décembre2004, par.113; on peut
trouver exactement le même texte dans les arrê ts rendus, en2004, dans les autres affaires
relatives à la Licéité de l’emploi de la force).
2.7. En un mot, pour ester devant la Cour, un Etat doit être partie au Statut ou, s’il ne l’est
pas, doit avoir fait une déclaration conformément à la résolution9 du Conseil de sécurité ou être
partie à un traité qui prévoit la compétence de la Cour, lequel traité doit avoir été en vigueur à la
date de l’entrée en vigueur du Statut.
2.8. Il importe également de noter que, en ce qui concerne l’époque à laquelle une partie doit
remplir l’une de ces conditions pour accéder à la Cour , la date pertinente est celle de l’introduction
de l’instance.
2.9. Comme la Cour l’a indiqué dans ses arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force : «La question de savoir si la Serbie-et-Monténégro était ou non
partie au Statut de la Cour à l’époque de l’introduction des présentes instances est une question
fondamentale…» (Ibid., par. 30; les italiques sont de nous; voir également, ibid., par. 46.)
2.10. En conclusion, l’accès à la Cour dépend des conditions objectives fixées par le droit et
figurant dans le Statut. L’accès à la Cour doit exister à l’époque de l’introduction de l’instance.
1
Voir la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité, par. 1. - 5 -
L’accès à la Cour par une partie étant une conditi on préalable fondamentale pour l’exercice de la
fonction judiciaire par la Cour, nous sommes d’avis que celle-ci ne peut se prononcer sur l’affaire
une fois qu’il a été établi qu’elle n’était pas ouve rte à la partie à l’époque de l’introduction de
l’instance.
13 La question de savoir si la RFY avait accès à la Cour n’a jamais été tranchée en l’espèce
2.11. Madame le président, il est clair que le statut d’un Etat au sein de l’Organisation des
NationsUnies doit être, dans toutes les affaires portées devant la Cour, le point de départ pour
l’application de l’article 35 du Statut, et qu’il doit l’être en l’espèce. Toutefois, le statut de la RFY
au sein de l’Organisation des NationsUnies est resté flou pendant longtemps et n’a donc pas pu
fournir le point de départ requis pour trancher ju ridiquement la question de l’accès de la RFY à la
Cour. Comme l’a fait observer cette dernière, les événements concernant le statut de la RFY au
sein des NationsUnies entre1992 et2000 «attestent l’assez grande confusion et complexité de la
situation qui prévalait aux Nations Unies autour de la question du statut juridique de la République
fédérale de Yougoslavie au sein de l’Organisation pendant cette période» (ibid., par. 73).
2.12. Définir cette situation n’était pas du ressort de la Cour mais de celui des organes
politiques de l’Organisation des NationsUnies lesque ls ont, en vertu de la Charte, autorité pour
traiter des questions relatives à la qualité de Memb re. Toutefois, en l’espèce, cette «confusion et
complexité de la situation» (ibid.) a eu pour conséquence pratique l’absence de base sûre pour
déterminer juridiquement l’accès de la RFY à la Cour. Comme la Cour elle-même l’a fait observer
dans les arrêts qu’elle a rendus en2 004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force: «[s]i la Cour avait alors [en1999] eu à se prononcer définitivement sur le statut du
demandeur [à savoir, la RFY] à l’égard de l’Orga nisation des Nations Unies, cette tâche aurait été
compliquée par les incertitudes entourant la situ ation juridique, s’agissant de ce statut» ( ibid.,
par. 79).
2.13. En conséquence, la Cour n’a pas adopt é de position définitive concernant l’accès de la
RFY à la Cour pour la période allant de 1992 à 2000; elle n’a pas non plus tranché la question en ce
qui nous concerne, quand, en1996, elle a rendu son arrêt sur les exceptions préliminaires. Ainsi - 6 -
qu’il ressort des arrêts rendus en2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force :
«La Cour n’adopta aucune position définitiv e sur la question du statut juridique
de la République fédérale de Yougoslavie au regard de la Charte et du Statut lorsque,
dans les affaires qui lui furent soumises au cours de cette période singulière, la
question se posa et qu’elle se prononça dans le cadre de procédures incidentes.»
(Ibid., par. 74.)
2.14. Ce n’est qu’après l’admission de la RFY aux NationsUnies en2000, qui a clarifié
«l’assez grande confusion et complexité de la situ ation» concernant la qualité de membre de la
14
RFY au sein de l’Organisation des NationsUni es, qu’il a été possible d’adopter une position
définitive sur la question de l’accès à la Cour par la RFY pour la période antérieure à 2000.
2.15. La question de l’accès à la Cour par la RFY a donc finalement été soulevée par les
parties dans la procédure, introduite en2001, de demande en revision de l’arrêt de1996 sur les
exceptions préliminaires. Toutefois, la décision prise par la Cour à cette occasion ne portait que sur
la question de savoir si la demande en revision ét ait recevable au regard des conditions stipulées à
l’article 61 du Statut. Ayant conclu que ces conditions n’étaient pas remplies, la Cour n’avait pas à
se prononcer sur la question de savoir si la RFY avait le droit d’ester devant elle et ne l’a donc pas
fait. Comme elle l’a noté dans ses arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force :
«[r]ien ne justifie de consid érer que, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire de la
Demande en revision, la Cour s’est prononcée sur la question du statut juridique de la
Serbie-et-Monténégro vis-à-vis de l’Organisa tion des NationsUnies. Dans cet arrêt,
la Cour ne s’est pas davantage prononcée sur la situation de la Serbie-et-Monténégro
au regard du Statut de la Cour.» (Ibid., par. 90.)
2.16. Madame le président, la question de l’accès à la Cour par la RFY a finalement été
résolue en 2004 par les arrêts rendus dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force .
Dans ces arrêts, la Cour a conclu que la RFY n’avait pas, en1999, accès à la Cour, puisqu’elle
n’avait été admise à l’Organisation des Nations Unies qu’en 2000 (ibid., par. 91 et 79). Par voie de
conséquence, «la Cour n’était pas ouverte à la Serbie-et-Monténégro sur la base du paragraphe 1 de
l’article35 du Statut» ( ibid., par.91). La Cour a également co nclu que ni le paragraphe 2 de
l’article35 du Statut ni l’articleIX de la conve ntion sur le génocide n’avaient ouvert la Cour à la
Serbie-et-Monténégro. La Cour n’a pas examiné la question de savoir si la RFY était ou non partie - 7 -
à la convention sur le génocide, mais s’est appuy ée sur le fait que ladite convention n’était pas un
«traité en vigueur» au sens du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut (ibid., par. 114).
2.17. Madame le président, Messieurs de la Cour, compte tenu de tout ce que je viens de
vous exposer, la question de l’accès de la RFY à la Cour en l’espèce peut à présent, et pour la
première fois, être définitivement tranchée.
La RFY n’avait pas accès à la Cour
2.18. Avec tout le respect qui vous est dû, la Serbie-et-Monténégro est d’avis que la RFY
n’avait pas accès à la Cour à l’époque de l’introduction de la présente instance :
15 ⎯ premièrement, puisque la RFY n’était pas memb re de l’Organisation des NationsUnies avant
er
le 1 novembre2000, elle n’était pas ipso facto partie au Statut et la Cour ne lui était pas
ouverte sur cette base avant cette date;
⎯ deuxièmement, la RFY, en tant qu’Etat non membre de l’Organisation des Nations Unies, n’est
jamais devenue partie au Statut sur la base du pa ragraphe2 de l’article93 de la Charte et la
Cour ne lui était pas ouverte sur cette base; et
⎯ troisièmement, la RFY n’a, également, jamais fait de déclaration en vertu de la résolution9
prise par le Conseil de sécurité en 1946.
Par conséquent, la Cour n’était ouverte à la RFY sur aucun de ces fondements.
2.19. Enfin, Madame le président, la RFY ne pouvait pas avoir accès à la Cour sur la base de
la clause relative aux «traités en vigueur» figuran t au paragraphe2 de l’article35 du Statut.
Quoique le demandeur ait fondé la compétence en l’espèce sur l’article IX de la convention sur le
génocide, il est bien établi à présent que la convention sur le génocide n’est pas un «traité en
vigueur» au sens du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut ( ibid., par. 114). Par conséquent, même
si la RFY avait été partie à la convention sur le génocide à l’époque de l’introduction de la présente
instance, quod non, son articleIX ne saurait ouvrir la Cour à la RFY. Toutefois, nous estimons
⎯et mes confrères le démontreront plus tard ⎯ que la RFY n’était même pas partie à la
convention sur le génocide à l’époque de l’intro duction de la présente instance. La RFY n’est
devenue partie à la conven tion sur le génocide qu’en 2001 2et elle a maintenu, depuis, une réserve
2Notification dépositaire du Secrétaire général dganisation des NationsUnie s en date du 15mars2001
(C.N.164.2001.TREATIES-1). - 8 -
quant à l’article IX. Par conséquent, cette dispos ition ne saurait en aucune façon constituer pour la
Cour une base de compétence en l’espèce.
2.20. Madame le président, Messieurs de la Cour, ce que je viens d’exposer démontre
clairement qu’il n’existait pas, à l’époque de l’introduction de la présente instance, la moindre base
juridique donnant à la RFY accès à la Cour. En conséquence, puisque le défendeur n’a pas en
l’espèce accès à la Cour, la condition préalable de l’exercice par celle-ci de sa compétence fait
défaut.
16 La décision relative à l’accès à la Cour pour une période particulière s’applique
nécessairement à toutes les affaires portées devant la Cour pendant cette période
2.21. Dans les arrêts qu’elle a rendus en2004 dans les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force , la Cour a conclu que l’admission de la RFY à l’Organisation des
NationsUnies en2000 signifiait que, en1999, la RF Y n’avait pas accès à la Cour sur la base du
paragraphe1 de l’article35 du Statut. Avec tout le respect que je vous doi s, je pense que cette
décision impose également de conclure que l’admission de la RFY à l’Organisation des
Nations Unies en 2000 signifie que la RFY n’ava it pas accès à la Cour en 1993, époque à laquelle
la présente affaire a été soumise à la Cour.
2.22. Ce sur quoi la Cour s’est penchée en200 4, dans les arrêts qu’elle a rendus dans les
affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , c’était la situation qui prévalait entre 1992 et
le 1enovembre2000. Il n’y a donc à cet égard aucune différence entre1999 et1993. La RFY
avait exactement le même «statut juridique in déterminé» à l’égard de l’Organisation des
NationsUnies. Aucun événement n’est survenu entre 1993 et 1999 qui aurait pu avoir une
incidence sur cette situation ou l’aurait modifiée. Ce qui n’était pas clairement défini en1999
l’était encore moins en 1993 ou en 1996. Le changement n’est survenu qu’en2000, avec
l’admission de la RFY à l’Organisation des Nations Unies. L’effet de cette admission est le même
dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force et en l’espèce ⎯ l’admission signifie
que la RFY n’avait pas accès à la Cour sur la base du paragraphe 1 de l’article 35 du Statut, que ce
soit en 1999 ou en 1993, ou à une quelconque autre date avant 2000. Puisque la RFY n’avait pas
non plus accès à la Cour sur une quelconque autre base prévue par le Statut, il s’ensuit
manifestement que la Cour n’est pas ouverte au défendeur en l’espèce. - 9 -
2.23. Le demandeur n’en affirme pas moins que les arrêts rendus en2004 dans les affaires
3
relatives à la Licéité de l’emploi de la force sont sans incidence sur la présente affaire . Cette
affirmation est, à notre avis, e rronée. La position adoptée par la Cour, dans les arrêts qu’elle a
rendus en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, concernant le statut de
la RFY à l’égard de l’Organisation des NationsUn ies avant son admission en2000 l’a été sur la
base de l’admission de la RFY comme membre de l’Organisation des NationsUnies en2000.
Dans le contexte de l’article35 du Statut, ce fait a nécessairement, et de manière uniforme, une
incidence sur chaque affaire à laquelle la RFY était partie avant2000. Ainsi, la conclusion de la
Cour selon laquelle un Etat n’était pas membre de l’Organisation des NationsUnies et les
conditions de l’article35 du Statut n’étaient pas remplies à une période particulière s’applique de
manière égale à toutes les affaires soumises à la Cour et introduites au cours de cette période. Il
17 n’est pas imaginable qu’il puisse être jugé dans une affaire soumise à la Cour que la RFY n’était
pas membre de l’Organisation des NationsUnies et n’avait pas accès à la Cour pour une période
particulière et, dans une autre affaire, que la RFY était membre de l’Organisation ou avait accès à
la Cour pour cette même période.
2.24. La conclusion selon laquelle la RFY n’avait pas accès à la Cour en l’espèce ne
s’impose pas seulement en vertu d’un principe de cohérence, qui exige que les affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force et la présente affaire soient résolues de la même manière parce que
les faits se rapportant à l’accès à la Cour par la RFY sont identiques dans les deux cas, mais surtout
en vertu de la Charte et du Statut, cette même conclusion découlant nécessairement de la position
adoptée par la Cour selon laquelle la RFY n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies
avant2000 et, comme telle, n’était pas ipso facto partie au Statut de la Cour avant2000
(paragraphe 1 de l’article 93 de la Charte des Nations Unies).
2.25. Puisqu’il est à présent établi que la RFY n’était pas partie au Statut en tant que membre
de l’Organisation des Nations Unies et qu’il n’est pas contesté que la RFY n’est pas devenue partie
au Statut sur quelque autre base et, enfin, qu ’il ne fait aucun doute que la convention sur le
génocide ⎯ la seule convention qui aurait été applicable ⎯ n’est pas un «traité en vigueur» au sens
3
CR 2006/3, p. 13, par. 7 (Pellet). - 10 -
du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut, il s’ensuit que la RFY n’avait pas accès à la Cour en 1993
lorsque la présente procédure a été introduite.
La Cour doit à présent trancher la question de l’accès en l’espèce
2.26. Madame le président, Messieurs de la Cour, la question de l’accès est des plus
fondamentales. Comme la Cour l’a dit dans les ar rêts qu’elle a rendus en 2004 dans les affaires
relatives à la Licéité de l’emploi de la force, elle «ne peut exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard
des seuls Etats auxquels elle est ouverte en vertu de l’article 35 du Statut» (Licéité de l’emploi de la
force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique) , arrêt du 15décembre2004, par.46; on peut trouver
exactement le même texte dans les arrêts rendus , en2004, dans les autres affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force).
2.27. Ainsi, quelles que soient les opinions des Parties et leur position concernant la
compétence de la Cour, celle-ci doit refuser d’exam iner l’affaire au fond si l’une d’entre elles n’a
pas accès à la Cour. Dans le cas contraire, c’est-à-dire si la Cour était ouverte aux Etats qui n’y ont
pas accès, le système judiciaire soigneusement équi libré institué par la Charte et le Statut serait
28 ébranlé et ses fondements mêmes remis en cause. Comme la C our l’a légitimement souligné
concernant la question de l’accès :
«Ainsi la Cour se doit-elle d’examiner la question pour tirer ses propres
conclusions indépendamment du consentement des parties, ce qui n’est en aucun cas
incompatible avec le principe selon lequel la compétence de la Cour est subordonnée à
un tel consentement.» (Ibid., par. 36; les italiques sont de nous.)
2.28. Madame le président, la Serbie-et-Monténégro estime, avec tout le respect qui est dû à
la Cour, que celle-ci doit à présent trancher la question de l’accès en l’espèce. Après de
nombreuses années d’ambiguïté, la situation con cernant le statut de la RFY au sein de
l’Organisation des NationsUnies a été précisée et il est devenu possible d’adopter une position
définitive sur l’accès de la RFY à la Cour pour la période comprise entre1992 et2000. Cette
position définitive a, en fait, été adoptée dans les arrêts rendus en 2004 dans les affaires relatives à
la Licéité de l’emploi de la force . La Cour a conclu qu’elle n’était pas ouverte à la RFY en 1999,
celle-ci n’ayant été admise à l’Organisation des NationsUnies qu’en2000. Cette conclusion
montre bien que toutes les affaires sans excepti on introduites avant2000 auxquelles la RFY a été
partie, que ce soit en tant que demandeur ou en ta nt que défendeur, présentent la même carence - 11 -
fondamentale: dans toutes ces affaires, la RFY ⎯ la Serbie-et-Monténégro ⎯ n’avait tout
simplement pas accès à la Cour.
2.29. Par conséquent, sauf votre respect, nous estimons que la Cour devrait refuser
d’examiner la présente affaire au fond, puisque la RFY n’avait pas accès à la Cour à l’époque où
l’instance a été introduite, en 1993.
2.30. Madame le président, Messieurs de la Cour, je conclus ainsi ma plaidoirie, et vous
remercie de votre aimable attention. Madame le président, je vous saurais gré de bien vouloir
appeler à présent M. Varady à la barre. Je vous remercie.
Le PRESIDENT: Je vous remercie MonsieurDjeri ć. Je donne à présent la parole à
M. Varady.
19 M. VARADY : Je vous remercie infiniment.
Q UESTIONS DE PROCEDURE
3. Compétence ⎯ Le défendeur n’est pas demeuré lié par l’article IX
de la convention sur le génocide
1. Introduction
3.1. Madame le président, Messieurs de la Cour, mon collègue Vladimir Djeri ć a prouvé que
le défendeur n’avait pas accès à la Cour à la date du dépôt de la requête. Ce seul motif suffit à
démontrer impérativement que la Cour n’est pas compétente en l’espèce. Je voudrais lui ajouter un
autre motif qui à lui seul suffit également à prouver impérativement que la Cour n’est pas
compétente: je voudrais démontrer que le défe ndeur n’était pas et n’est toujours pas lié par
l’article IX de la convention sur le génocide.
3.2. C’est sur l’idée que la Serbie-et-Monténég ro était liée par l’articleIX de la convention
sur le génocide que la Cour s’est fondée pour se décl arer compétente dans son arrêt de 1996 sur les
exceptions préliminaires. Suite à notre requête en revision, la Cour, dans son arrêt de2003 sur
cette requête, a choisi de ne p as faire de nouvelles recherches sur la question, considérant que les
conditions fixées à l’article 61 du Statut n’étaient pas remplies. Ainsi, l’hypothèse sur laquelle était - 12 -
fondé l’arrêt de 1996 sur les exceptions préliminai res n’a fait l’objet d’aucun nouvel examen et n’a
pas non plus été revisée.
3.3. Nous disons aujourd’hui respectueusem ent qu’il est désormais évident que l’hypothèse
sur laquelle était fondé l’arrêt de 1996 sur les exceptions préliminaires est erronée. Il est également
évident désormais que les informations dont disposa it la Cour au moment où elle statué sur sa
compétence étaient incomplètes, ambiguës et ne permettaient pas de tirer de conclusions
définitives.
3.4. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de procéder proprio motu au réexamen
de la question de la compétence. Nous savons que ce réexamen ne saurait re lever de la routine et
que seules des circonstances exceptionnelles peuvent le justifier. Mais tel est bien le cas en
l’espèce.
3.5. Un autre point revêt lui aussi une im portance cruciale: la question dont il s’agit ⎯ la
question de la compétence ⎯ concerne la source même du pouvoir qu’a la Cour de se prononcer
sur la demande. De précédentes décisions rendues dans la phase préliminaire de l’affaire ne
20 sauraient se substituer à ce pouvoir. C’est la rais on pour laquelle, comme le dit l’arrêt relatif au
Conseil de l’OACI ⎯ la Cour «doit … toujours s’assurer de sa compétence» ( Appel concernant la
compétence du Conseil de l’OACI (Inde c.Pakistan), C.I.J.Recueil1972 , p.52, par.13). Les
limites intrinsèques du pouvoir de la Cour en la matière ne sauraient être amendées ou modifiées
par l’idée que la Cour doit suivre des décisions qu’elle a rendues dans la phase préliminaire.
3.6. Madame le président, Messieurs de la Cour, je voudrais d’abord énoncer l’hypothèse à
partir de laquelle il a été conclu que la RFY ét ait liée par l’articleIX de la convention sur le
génocide. Je voudrais ensuite démontrer que, du fait des circonstances singulières et peu
orthodoxes de l’espèce, cette hypothèse apparaît aujo urd’hui sous un jour entièrement différent de
celui sous lequel elle a été prise en compte en vue de la décision à rendre sur la compétence dans la
phase préliminaire. Tout simplement, il est aujour d’hui évident, ce qui n’était pas le cas en 1996,
que cette hypothèse était erronée. Avec mes co llègues, je prouverai également qu’il n’existe
aucune autre hypothèse ni aucun autre f ondement qui incite à conclure que la
Serbie-et-Monténégro était liée ou est liée par l’article IX de la convention sur le génocide. - 13 -
2. L’hypothèse et les circonstances sur la ba se desquelles a été rendu l’arrêt de1996 sur les
exceptions préliminaires
3.7. Permettez-moi de dire pour commencer qu ’il est bien connu que l’arrêt de 1996 sur les
exceptions préliminaires a été prononcé dans une si tuation dans laquelle la Cour était privée des
points d’appui dont elle dispose habituellement. La seule base de compétence qui semblait
acceptable était une disposition conventionnelle: l’ar ticleIX de la convention sur le génocide.
Mais dans le même temps, le statut de la RFY et sa situation par rapport aux traités étaient
extrêmement controversés.
3.8. A ce moment là ⎯puis pendant une longue période après1996 ⎯ les mesures et les
déclarations émanant des autorités de l’Organi sation des NationsUnies et des Etats successeurs
eux-mêmes n’avaient pas créé de conditions auto risant une définition dépourvue d’ambiguïté. Les
informations recueillies et les positions adoptées a pportaient plus de difficultés juridiques que de
possibilités à exploiter. Le demandeur a décl aré qu’en fait ces difficultés juridiques étaient
connues dès le début. Il a souligné : «De tout ceci, la Cour a été pleinement consciente.» 4 Nous ne
21 voulons pas contester cette affirmation. Effectivement, on a eu conscience du problème ⎯ ou à
tout le moins d’une partie du problème ⎯ dès le début. Mais la solution n’était pas connue.
En 1996, la Cour a été priée d’ouvrir la porte à la bonne solution ⎯ mais on ne lui a pas donné les
clés.
3.9. Telle est la situation qui a été définie de façon convaincante par la Cour dans ses arrêts
de 2004 sur la Licéité de l’emploi de la force. Décrivant la situation existant entre 1992 et 2000, la
Cour dit ceci :
«De fait, de l’avis de la Cour, la situation juridique qui prévalut aux
Nations Unies pendant ces huit années à l’égard du statut de la République fédérale de
Yougoslavie après l’éclatement de la Républi que fédérative socialiste de Yougoslavie
demeura ambiguë et ouverte à des appréciations divergentes. Cette situation était due
notamment à l’absence d’une décision fai sant autorité par laquelle les organes
compétents de l’Organisation des NationsUnies auraient défini de manière claire le
statut juridique de la République fédérale de Yougoslavie vis-à-vis de l’Organisation.»
(Affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro
c. Belgique), par. 64. Exactement le même texte figure dans les autres arrêts de 2004
sur la Licéité de l’emploi de la force : au paragraphe 63 des affaires contre la France,
le Canada, l’Italie, les Pays-Bas, et le Portugal, et au paragraphe 62 des affaires contre
l’Allemagne et le Royaume-Uni.)
4
CR 2006/3, p. 20, par. 22 (Pellet). - 14 -
3.10. Il est clair ⎯ et je crois en outre que l’accord est général sur ce point ⎯ que le statut
ambigu de la RFY a eu un effet à la fois simple et direct sur la question de la compétence dans cette
affaire ainsi que dans d’autres affaires auxquelles la RFY a été partie. Dans l’arrêt de 1996 sur les
exceptions préliminaires, il n’a été fait appel ou il n’aurait pu être fait appe l à aucune notification
d’accession ou de succession pour établir un lien entre la RFY et la convention sur le génocide. La
Cour ne s’est pas non plus fondée sur la doctrine de la succession automatique. La seule hypothèse
à avoir servi de base à l’arrêt de 1996 sur les excep tions préliminaires était que la RFY était restée
liée par l’articleIX de la convention sur le génocid e car sa situation par rapport aux traités était
toujours celle qu’avait l’ex-Yougoslavie.
3.11. En envisageant l’existence d’un lien entre la RFY et la convention sur le génocide, la
Cour a pu s’appuyer sur le fait que la RFSY (l’ex-Yougoslavie) «a[vait] signé la convention sur le
génocide le 11décembre1948 et a[vait] déposé son instrument de ratificat ion, sans réserves, le
29 août 1950» (affaire relative à l’ Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17).
3.12. Le jugement ainsi porté sur la qualité de partie au traité de la RFSY (l’ex-Yougoslavie)
n’a d’intérêt pour la situation de la RFY que si cette dernière continue d’avoir le statut de
22 l’ex-Yougoslavie et tient par conséquent sa qua lité pour agir de la qualité pour agir de
l’ex-Yougoslavie. Et c’est exactement ce que l’on tro uve dans la suite du texte de l’arrêt. Dans la
phrase suivante, la Cour prend note du fait que la RFY a adopté une déclaration dans laquelle elle
fait savoir qu’«assurant la continuité de l’Et at et de la personnalité juridique et politique
internationale de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, [elle] respectera strictement tous
les engagements que la République fédérative so cialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon
international» La Cour a ajouté que «[l]’int ention ainsi exprimée par la Yougoslavie de demeurer
liée par les traités internationaux auxquels était partie l’ex-Yougslavie a été confirmée dans une note
officielle du 27 avril 1992» (ibid.; les italiques sont de nous). Cette conception du statut de la RFY a
servi de fondement à la conclusion relative à la compétence.
3.13. Il convient d’ajouter que levocabulaire utilisé dans l’énoncéde la Cour est cohérent : au
sujet de la RFY qui a déclaré assurer la continuité⎯ et conformément à l’hypothèse selon laquelle la - 15 -
RFY assurait également la continuité de l’ex-Yougoslavie par rapport aux traités⎯ la Cour dit dans
l’arrêt qu’elle demeure liée; tandis qu’en ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine qui a accompli les
démarches voulues pour adhérer aux traités ⎯et conformément à l’hy pothèse correspondant à ces
démarches d’adhésion aux traités, la Cour a considéré qu’elle était devenue liée par la convention
(ibid., par. 19, 20, 23, 24).
3.14. S’agissant de l’arrêt de2003 sur la dema nde en revision, je suis convaincu que nul ne
conteste que dans cet arrêt la Cour n’a pas réexaminé la questionde savoir si la RFY était ou non liée
par l’article IX de la convention sur le génocide. La Courdevait décider en premier lieu⎯ et c’est ce
qu’elle a fait ⎯ si les conditions d’ouverture de la procédur e de revision en l’espèce telles qu’elles
sont définies à l’article 61 du Statut étaient remplies.
3.15. Fixant les limites de sa conclusion, la Cour a dit ceci : «La décision de la Cour doit donc,
à ce stade, se limiter à la question de savoir si la requête satisfait aux conditions prévues par le
Statut.» (Demande en revision de l’arrêt du 11juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répres sion du crime de génocid e (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie cB.osnie-Herzégovine) , arrêt du
3 février 2003, p. 11, par. 16.)
3.16. Après avoir étudié attentivement les conditions énoncées à l’article 61 du Statut, la Cour
a formulé la conclusion ci-après :
«En l’espèce, la Cour a conclu qu’auc un fait entrant dans les prévisions de
l’article 61 du Statut n’avait été découvert depuis 1996. Point n’est donc besoin pour
elle de s’interroger pour savoir si les autres conditions de recevabilité de la requête de
la Yougoslavie, telles qu’elles découlent de l’article61 du Statut, sont remplies.»
(Ibid., p. 32, par. 73.)
23 3.17. En somme, dans son arrêt de 2003 relatif à la demande en revision, la majorité a estimé
que l’une des conditions d’ouverture de la procé dure de revision en l’espèce n’était pas remplie.
La Cour n’a donc jamais abordé la seconde phase de la procédure en revision (soit le réexamen du
jugement initial). La Cour n’a pas réexaminé la question de savoir si la RFY était ou non liée par
la convention sur le génocide en 1993 ou en 1996 (et à plus forte raison, elle ne s’est pas non plus
prononcée sur ce point). La présomption qui fondait l’arrêt de1996 sur les exceptions
préliminaires n’a pas été modifiée, elle n’a pas même été mise en cause. - 16 -
3. La même hypothèse a également fait problème dans d’autres affaires
3.18. Madame le président, Messieurs de la Cour, chacun sait que nous ne jugeons pas ici la
seule affaire dans laquelle il a fallu s’interroge r sur l’hypothèse selon laquelle la RFY continuait
d’avoir le statut et la personnalité juridique de l’ex-Yougoslavie. La même question a revêtu une
importance décisive dans toutes les affaires da ns lesquelles la RFY a comparu devant vous.
S’agissant des circonstances peu orthodoxes de l’espèce, il convient d’ajouter qu’à l’historique déjà
compliqué de l’affaire s’est associée l’histoire en core plus complexe d’une question revêtant une
importance cruciale pour nos débats.
3.19. Il s’agit de la question de savoir sila RFY a ou non continué d’avoir la personnalité
juridique de l’ex-Yougoslavie et par conséquent si elle est ou non restée Membre de l’Organisation
des Nations Unies et est restée partie aux traités sans avoir à présenter de demande d’admission ni à
notifier son accession ou sa succession. Cette question ne s’est pas posée seulement en l’espèce,
elle s’est posée aussi dans l’affaire entre la Croatie et la RFY (dans laquelle la RFY est le
défendeur) et dans les affaires opposant la RFY et dix pays de l’OTAN (la RFY étant alors le
demandeur).
3.20. Dans les premières phases de l’affaire à l’examen, la Cour s’est trouvée confrontée à
cette question sans pouvoir bénéficier d’éclaircisse ments et de précisions rigoureuses des autorités
compétentes de l’Organisation des Nations Unies. La même question a été plaidée par les Parties
dans l’affaire opposant la Croatie et la RFY (l’affaire relative à l’Application de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c.Yougoslavie) ). Enfin,lamême
question s’est de nouveau posée en2004, dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force ⎯ cette fois-ci, après obtention de précisions et sans les contraintes découlant de l’article 61.
24 4. Il est aujourd’hui évident que l’arrêt de 1996 sur les exceptions préliminaires était fondé
sur une hypothèse erronée ⎯le défendeur n’est pas resté lié par l’articleIX de la
convention sur le génocide
3.21. Madame le président, Messieurs de la Cour, nous tenons à souligner car c’est un point
important qu’au moment où la Cour a dû se prononcer sur sa compétence, elle disposait
d’indications contradictoires et d’un dossier relativement confus, et elle ne pouvait s’appuyer ni sur
des directives fiables ni sur des d écisions faisant autorité. Toutefois, le fait que la situation n’était
pas claire quand la Cour a rendu son arrêt de 1996 sur les exceptions préliminaires n’est que l’une - 17 -
des raisons pour lesquelles nous avons pris l’initiativ e de réexaminer la question de la compétence.
Il en est une autre non moins importante. Cette seconde raison est tout bonnement qu’aujourd’hui
la situation est claire, le statut de la RFY ne prête plus à controverse, et des décisions faisant
autorité ont bel et bien été prises, au nombre desquelles une décision explicite de votre Cour.
3.22. Nous vous demandons respectueus ement de bien vouloir réexaminer proprio motu la
question de la compétence, pas seulement par ce que des doutes existent désormais en ce qui
concerne une attitude qui semblait acceptable en 1996. Nous voudrions aujourd’hui vous saisir non
pas de doutes, mais de preuves attestant qu’entre 1992 et 2000 il n’existait aucun lien entre la RFY
et la convention sur le génocide. Ce n’est qu’en 20 01 que la RFY a acquis le statut de partie à la
convention, lorsqu’elle y a accédé ⎯ mais en formulant une réserve à l’article IX.
3.23. Le fait que les ambiguïtés ont été dissipées depuis que la RFY est un nouveau Membre
de l’Organisation des Nations Unies qui l’a admi se en 2000 a été très clairement reconnu dans les
arrêts de 2004 relatifs à la Licéité de l’emploi de la force, lesquels soulignent ceci :
«De l’avis de la Cour, l’importance de cette évolution survenue en 2000 tient au
fait qu’elle a clarifié la situation juridique, jusque-là indéterminée, quant au statut de
la République fédérale de Yougoslavie vis-à- vis de l’Organisation des Nations Unies.
C’est en ce sens que la situation qui se présen te aujourd’hui à la Cour concernant la
Serbie-et-Monténégro est manifestement diffé rente de celle devant laquelle elle se
trouvait en 1999. Si la Cour avait alors eu à se prononcer définitivement sur le statut
du demandeur à l’égard de l’Organisation d es NationsUnies, cette tâche aurait été
compliquée par les incertitudes entourant la situation juridique, s’agissant de ce statut.
Cependant, la Cour se trouvant aujourd’hui à même d’apprécier l’ensemble de la
situation juridique, et compte tenu des con séquences juridiques du nouvel état de fait
existant depuis le 1 enovembre2000, la Cour est amenée à conclure que la
Serbie-et-Monténégro n’était pas membre de l’Organisation des NationsUnies, ni en
cette qualité partie au Statut de la Cour inte rnationale de Justice, au moment où elle a
déposé sa requête introduisant la présente in stance devant la Cour, le 29avril1999.»
(Affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro
c. Belgique), par.79. On trouve exactement le même texte dans les autres arrêts
de 2004 sur la Licéité de l’emploi de la force : au paragraphe 78 des affaires contre la
25 France, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas, et le Portugal, et au paragraphe77 des
affaires contre l’Allemagne et le Royaume-Uni.)
3.24. Ces conclusions sont sans équivoque. Le statut qu’avait la RFY entre 1992 et2000
n’est plus «compliqué par les incertitudes». Il est évident que la RFY n’a pas assuré la continuité
de la personnalité juridique et du statut de l’ex -Yougoslavie. En sa qualité de nouvel Etat, il lui
incombait de solliciter son admission à l’Organisation des Nations Unies et à d’autres organisations - 18 -
internationales pour en être membre; en sa qualité de nouvel Etat, il lui incombait, pour devenir
partie à des traités, d’adresser des notifications de succession ou d’accession.
3.25. Ces conclusions et ces éclaircissements de caractère définitif obligent à renoncer à
l’hypothèse sur laquelle était fondé l’arrêt de 1996 sur les exceptions préliminaires. Il est clair
aujourd’hui que la RFY n’ a pas assuré la continuité de la pe rsonnalité juridique internationale de
l’ex-Yougoslavie et qu’elle n’était pas membre de l’Organisation des NationsUnies avant d’être
admise en qualité de nouveau Membre le 1 ernovembre 2000.
5. Si la RFY n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies et n’était pas partie au
Statut, elle ne pouvait pas non plus avoir été partie à la convention sur le génocide
3.26. Madame le président, la question se pose de savoir si la RFY aurait pu être un Etat
partie à la convention sur le génocide entre 1992 et 2000 si elle n’était pas membre de
l’Organisation des Nations Unies.
3.27. Il faut incontestablement répondre par la négative. Il est exact que dans les arrêts
de 2004 sur la Licéité de l’emploi de la force , la Cour n’a pas traité directement de la question de
savoir si la RFY avait été un Etat partie à la conve ntion sur le génocide pendant la période critique
comprise entre1992 et 2000 et si elle avait ou non ét é liée par l’articleIX. Mais dans les arrêts
de2004 sur la Licéité de l’emploi de la force la Cour a bel et bien d écidé que la RFY n’était pas
membre de l’Organisation des NationsUnies en tre1992 et2000 parce qu’elle n’assurait pas la
continuité de la personnalité ju ridique de l’ex-Yougoslavie ni de sa qualité de membre de
l’Organisation.
3.28. Il s’ensuit manifestement que la RFY n’aurait pas pu non plus demeurer partie au
Statut, ce que la Cour a d’ailleurs dit expressément. Une autre conclusion inévitable à tirer de cette
même constatation est que la RFY ne pouvait pas no n plus être demeurée liée par d’autres traités
sous l’effet de la continuité.
3.29. Madame le président, Messieurs de la Cour, nous allons démontrer en premier lieu
qu’étant donné que la RFY n’était pas membre de l’Organisation des NationsUnies entre1992
et 2000, elle ne pouvait pas avoir été partie à la convention su r le génocide, en aucune façon, à
aucun titre, tout simplement parce qu’elle n’avait pas qualité pour devenir partie à la convention. - 19 -
C’est en soi la preuve définitive qu’en l’espèce il n’y a pas de compétence ratione personae
relativement à la Serbie-et-Monténégro.
26 3.30. Il existe également un autre motif indépe ndant qui à lui seul suffit à justifier la même
conclusion. Nous avons montré que le seul lien en tre la RFY et la convention sur le génocide qu’il
est possible de tirer de l’arrêt de 1996 sur les exceptions préliminaires repose sur l’hypothèse selon
laquelle la RFY a continué d’avoir la personnalité de l’ex-Yougoslavie. Comme cette hypothèse a
été définitivement éliminée, la conclusion dont elle constituait le fondement ne repose plus sur rien,
n’est plus justifiée et doit donc être réexaminée. Ainsi, même si elle avait eu qualité pour devenir
partie à la convention sur le génocide, ⎯ quid non ⎯ la RFY n’était pas liée par l’articleIX de
cette convention, et aujourd’hui la Serbie-et-Monténégro n’est pas liée non plus.
5.1. La RFY n’avait pas qualité pour être partie contractante à la convention sur le génocide
avant novembre2000 parce qu’elle n’était pas membre de l’Organisation des
NationsUnies et qu’elle n’avait jamais reçu d’invitation conformément à l’articleXI de
la convention sur le génocide
3.31. Je voudrais tout d’abord démontrer que la RFY n’avait pas même qualité pour devenir
un Etat partie à la convention sur le génocide entre 1992 et 2000. Elle n’était pas et n’aurait pu être
partie contractante à la convention sur le gé nocide en1996 ni à aucun moment entre avril1992
(date de sa constitution) et novembre2000 (dat e à laquelle est devenue un nouveau Membre de
l’Organisation des NationsUnies). Les Etats ne pe uvent pas tous devenir partie contractante à la
convention sur le génocide. Cette convention, dont le Secrétaire général de l’Organisation des
NationsUnies est dépositaire, est ouverte sans co ndition aux Membres de l’Organisation. Elle
n’est pas ouverte sans condition aux Etats qui ne s ont pas membres de l’ONU. Ces derniers
doivent recevoir une invitation. Aux termes de l’article XI de la convention :
«La présente convention sera ouverte ju squ’au 31 décembre 1949 à la signature
au nom de tout Membre de l’Organisati on des NationsUnies et de tout Etat
non membre à qui l’Assemblée générale aura adressé une invitation à cet effet.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
er
A partir du 1 janvier1950, il pourra être adhé ré à la présente convention au
nom de tout Membre de l’Organisation des Na tions Unies et de tout Etat non membre
qui aura reçu l’invitation susmentionnée.
Les instruments d’adhésion seront déposés auprès du Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies.» - 20 -
3.32. Confirmant le même principe et prenant aussi pour position que les Etats non membres
de l’Organisation des Nations Unies ne peuvent a dhérer à la convention sur le génocide qu’après y
avoir été spécialement invités, l’Assemblé e générale des Nations Unies a adopté le
27 3décembre1949 une résolution par laquelle elle a autorisé le Secrétaire général à adresser une
invitation spéciale à tout pays non membre de l’Organisation des Nations Unies qui remplit certains
critères. Aux termes de cette résolution, l’Assemblée générale :
«Considérant qu’il est souhaitable que des invitations soient adressées aux Etats
nonmembres qui ont manifesté, en prenant part aux activités qui se rapportent aux
Nations Unies, le désir de développer la coopération internationale,
1. Décide de demander au Secrétaire général d’envoyer l’invitation précitée à tous les
Etats nonmembres de l’Organisation qui sont ou qui deviendront Membres actifs
d’une ou de plusieurs institutions spécia lisées des NationsUnies ou qui sont ou
deviendront parties au Statut de la Cour internationale de Justice.» 5
3.33. Cette résolution a été appliquée et confir mée par la pratique. Par exemple, avant de
devenir Membre des Nations Unies, la République fédéra le d’Allemagne a reçu le
20décembre1950 une invitation spéciale du Secrétai re général à adhérer à la convention sur le
6
génocide en qualité de partie contractante .
3.34. Il est aujourd’hui établi que la RFY n’était pas membre des NationsUnies avant
novembre2000, et c’est un fait évident et incont esté qu’elle n’a jamais reçu de l’Assemblée
générale ni du Secrétaire général d’invitation à de venir partie contractante à la convention sur le
génocide. La condition préalable à remplir pour devenir partie contractante n’a jamais été
satisfaite. Par conséquent, la RFY n’aurait pas pu devenir partie contractante à la convention sur le
génocide avant de devenir Membre des Nations Unies. Après être devenue Membre des
Nations Unies, elle a accédé à la convention sur le génocide en formulant une réserve à l’article IX.
5.2 Quand bien même la RFY aurait eu la qualit é voulue pour devenir partie à la convention
sur le génocide, elle n’a pas été liée par celle-ci entre 1992 et 2000
3.35. Madame le président, Messieurs de la Cour, nous avons démontré que la RFY ne
pouvait pas avoir été liée par la convention sur le génocide avant d’être devenue Membre de
l’Organisation des NationsUnies. Nous allons également démontrer que, quand bien même la
5
Voir la résolution 368 (IV) de l’Assemblée générale en date du 3 décembre 1949.
6Voir H. H. Jescheck, Die internationale Genocidium-Konvention vom 9. Dezember 1948 und die Lehre vom
Völkerstrafrecht, Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft, 1954, p. 193-217. - 21 -
RFY aurait eu la qualité voulue pour être partie à la convention sur le génocide ⎯ ce qui n’était pas
28 le cas ⎯, elle n’en était pas partie, ce pour une raison fort simple. La RFY ne pouvait être
présumée Membre de l’Organisation des NationsUnies, partie au Statut et partie à la convention
sur le génocide que sur la base d’une seule et même hypothèse: la continuité entre
l’ex-Yougoslavie et elle. Une fois devenu évident qu’il n’y avait pas continuité, il est aussi devenu
évident qu’il était impossible de déduire de ce tte hypothèse erronée une qualité de membre ou un
statut conventionnel.
3.36. L’ancien Gouvernement de la RFY avait cherché à se faire reconnaître comme Membre
de l’Organisation des Nations Unies et de diverses organisations internationales sans demander son
admission, et il avait cherché à faire reconnaîtr e la RFY comme partie à certains traités sans
accomplir de formalités d’adhésion. Tous ces effo rts reposaient sur une seule présomption : celle
de la continuité. Dans les faits, l’ancien G ouvernement de la RFY s’est toujours gardé de
soumettre la moindre notification de succession ou d’adhésion tout comme il s’est gardé de
demander l’admission de la RFY à l’Organisation des NationsUnies ou à d’autres organisations
internationales puisque cela aurait contredit la présomption de continuité.
3.37. Or, il est aujourd’hui clair ⎯et incontesté, me semble-t-il ⎯ que la RFY n’était pas
membre de l’Organisation des Nations Unies entre 1992 et 2000, car l’argument de la continuité a
été rejeté. Voilà la seule raison. La raison éviden te. La RFY ne s’est pas vu refuser la qualité de
membre à l’époque parce que la procédure d’admissi on était entachée de quelque vice; il n’y a tout
simplement pas eu de procédure d’admission. La RFY prétendait qu’il n’y avait pas lieu de
procéder une admission car elle assurait la continuité de la qualité de Membre de l’ex-Yougoslavie.
Aucune autre thèse n’a été invoquée ni envisagée. Tout reposait sur la continuité. Si
l’appartenance de la RFY à l’Organisation n’a pas été reconnue, c’est parce que la thèse de la
continuité n’a pas été retenue.
3.38. En l’absence de continuité, il est clai r que la RFY ne pouvait pas davantage hériter
automatiquement de la qualité de membre d’autr es organisations interna tionales ou de partie à
certains traités qui était propre à l’ex-Yougoslavie. C’est cette logique qui a fatalement conduit la
Cour à conclure en 2004, dans ses arrêts sur la Licéité de l’emploi de la force , que la RFY n’était - 22 -
pas partie à son Statut entre1992 et2000. Il s’ensuit manifestement que la RFY ne pouvait pas
non plus être demeurée liée par la convention sur le génocide.
Les éclaircissements décisifs du Secrétaire général
3.39. Je tiens à rappeler à présent les éclaircissements décisifs que le Secrétaire général a
donnés. Mais auparavant, permettez-moi de dire encore une fois que ces éclaircissements n’étaient
pas disponibles plus tôt.
3.4va9t6 ⎯et même pendant quelques années après1996 ⎯, la position adoptée
29
par le Secrétaire général et son cabinet n’éta it pas dénuée d’ambiguïté et autorisait différentes
conclusions. Je reviens à nouveau sur ces déclarations fort connues :
3.41. Si, dans sa résolution 47/1, l’Assemblée géné rale rejeta la prétention à la continuité qui
émanait de la RFY, cette conclusion claire fut toutefois quelque peu obscurcie par l’explication
qu’a donnée le conseiller juridique dans sa lettre du 29 septembre 1992 en disant que la résolution
«ne met[tait] pas fin à l’apparten ance de la Yougoslavie à l’Organi sation et ne la suspend[ait]
pas» 7. Faute d’indication sur l’entité dé signée sous l’appellation «Yougoslavie» ⎯ s’agissait-il de
l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie ou de la RFY ? ⎯, le flou subsista de même
que la controverse sur le point de savoir si la RFY demeurait Membre de l’Organisation.
3.42. En outre, entre 1992 et 2000, le Secr étaire général, en sa qualité de dépositaire,
inscrivit la «Yougoslavie» sur la liste des Etats part ies à certains traités, dont la convention sur le
8
génocide ⎯ sans répondre là non plus à la question de savoir quelle entité était désignée par
l’appellation «Yougoslavie».
3.43. Voilà l’ambiguïté que le demandeur cher che à ressusciter en s’efforçant de faire échec
aux arguments fondés sur le fait que le défendeur n’avait pas le statut requis à l’égard de
l’Organisation des Nations Unies et des traités. Dans ses plaidoiries du 28 février, le demandeur a
encore prétendu que la Yougoslavie était vraiment restée Membre de l’Organisation. Je le cite :
«Et pour cause d’ailleurs: la Yougoslavie est demeurée Membre des
NationsUnies. Les résolutions777 (199 2) du Conseil de sécurité et47/1 de
l’Assemblée générale l’invitent, certes, à présenter une demande d’admission aux
7
Lettre du conseiller juridique du 29 septembre 1992, Nations Unies, doc. A/47/485.
8Voir traités multilatéraux déposés auprès du Secrre général; état au 31décembre1992, NationsUnies,
doc. ST/LEG/SER.E/11, 1993. - 23 -
NationsUnies et décident‚ «qu’elle ne pa rticipera pas aux travaux de l’Assemblée
générale» mais elles se gardent bien de l’exclure de l’Organisation.»
A l’appui de cette thèse, le demandeur se réclame de la lettre dans laquelle le conseiller juridique
indique que la résolution47/1 de l’Assemblée géné rale ne met pas fin à l’appartenance de la
Yougoslavie à l’Organisation et ne la suspend pas, et dans laquelle il évoq ue le maintien à l’ONU
9
de la plaque nominative et du drapeau de la «Yougoslavie» .
3.44. Devant vous, le demandeur ne pose p as la question de savoir si la «Yougoslavie»
⎯qui selon lui «est demeurée Membre des Nations Unies», qualité à laquelle il n’était «pas mis
fin» et qui n’était pas non plus«suspendue» ⎯ était ou non identique au nouvel Etat (la RFY) qui
30
était invité à présenter une demande d’admission. Voilà précisément la question que l’ancien
Gouvernement de la RFY n’avait pas soulevée non plus. Le seul moyen de faire subsister la
conception suivant laquelle la RFY était peut-êtr e Membre de l’Organisation des Nations Unies et
peut-être partie à la convention sur le génocide entre 1992 et 2000, c’est justement de passer cette
question sous silence et de ne pas y répondre.
3.45. Le fait que pareils arguments sont enco re aujourd’hui d’actualité ne montre toutefois
qu’une seule chose: l’obstination manifestée par le défendeur à refuser l’idée de présenter une
demande d’admission de nouveau Membre n’était pas l’unique cause des retards apportés aux
éclaircissements. La situation qui régnait entre 1992 et 2000 n’était pas une situation claire que le
défendeur était seul à ne pas admettre. Différe nts acteurs ont défendu différentes thèses, souvent à
des fins diverses.
3.46. La RFY se voyait elle-même comme la «Yougoslavie», et comme il n’était pas mis fin
à son appartenance à l’ONU et que cette appartenance n’était pas non plus suspendue, elle n’avait
absolument pas lieu de demander son admission à titre de nouveau Membre. La RFY avait tort
mais ne tombait pas dans l’invraisemblance. S’il avait été précisé en temps voulu que c’était
l’ancienne Yougoslavie ⎯et non la RFY ⎯ qui conservait certains attributs de la qualité de
Membre, la RFY n’aurait alors été que l’un des Etats successeurs et non un Membre de
l’Organisation avant d’y être formellement admise; e lle n’aurait pas été un Etat partie au Statut ni
un Etat partie à certains traités avant d’avoir accompli les formalités conventionnelles requises.
9
CR 2006/3, p. 19, par. 20 (Pellet). - 24 -
Cet éclaircissement n’a pas été apporté par l es autorités compétentes de l’Organisation des
Nations Unies.
3.47. J’ajouterai en outre que le dema ndeur n’a pas fait preuve lui non plus d’un
comportement cohérent. Devant vous, il a admis que l’appellation «Yougoslavie» pouvait
sanctionner le statut de la RFY. En même temps, hors de cette enceinte, il s’est farouchement et
systématiquement opposé à ce que la RFY fût pr ésentée comme Membre de l’Organisation sous
l’appellation de «Yougoslavie». Pe rmettez-moi de citer tout juste quelques exemples. Dans une
lettre en date du 16 février 1995 adressée au Secrétai re général, la Bosnie-Herzégovine souligna
que le maintien de certains attributs de la RFSY «encourage[ait] les autorités de Belgrade dans
31 leurs affirmations et entam[ait] la crédibilité des résolutions pertinentes», et elle concluait: «Afin
de lever cette fâcheuse ambiguïté … il est grand temps de prendre les mesures qui s’imposent pour
enlever du Siège de l’Organisation [les plaques portant le nom] de l’ex-République fédérative
10
socialiste de Yougoslavie.» Dans une autre lettre signée par le demandeur et adressée au
Secrétaire général, il est clairement dit ceci :
«La République fédérative de Yougoslavi e (Serbie et Monténégro) doit elle
aussi suivre la procédure régissant l’admission de nouveaux Membres à l’Organisation
des NationsUnies, afin que l’Organisa tion puisse déterminer si les conditions
11
énoncées à l’article 4 de la Charte des Nations Unies sont remplies.»
Ou encore, pour citer un autre exemple, dans un projet de résolution de l’Assemblée générale
présenté par la Bosnie-Herzégovine, il est dit : «l e nom abrégé «Yougoslavie» tel qu’il est utilisé
aux NationsUnies…ne peut renvoyer qu’à l’ ancienne République fédérative socialiste de
12
Yougoslavie» . C’est là une position claire, mais ce n’est pas celle que le demandeur a adoptée
devant la Cour.
3.48. Madame le président, la question était, en fait, toujours controversée lorsque l’arrêt sur
les exceptions préliminaires fut rendu en 1996. Ma is aujourd’hui, ces ambiguïtés ont été levées. Il
10
Nations Unies, doc. A/49/853, S/1995/ 147, lettre en date du 16 février 1995 adressée au Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies par le représentant permanent de la Bosnie-Herzégovine.
11Nations Unies, doc. A/51/564, S/1996/885, lettre en date du 28 octobre 1996 ad ressée au Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies par les représentants permanents de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de l’ancienne
République yougoslave de Macédoine et de la Slovénie.
12NationsUnies, doc.A/54/L.62 (8 décembre 1999), Arab ie saoudite, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Jordanie,
Koweït, Malaisie, Maroc, Qatar et Slovénie : projet de réso lution sur «L’égalité des cinq Etats successeurs de l’ancienne
République fédérative socialiste de Yougoslavie». - 25 -
a été précisé clairement que les formules empl oyées, «ne met pas fin» et «ne … suspend pas», ne
pouvaient pas viser un nouvel Etat qui était invité à présenter une demande d’admission à
l’Organisation. Cet éclaircissement a été formulé expressément, ne laissant subsister aucun doute.
La position du Secrétaire général est à présent la suivante :
3.49. La version actuelle des «informations de nature historique sur les traités multilatéraux
13
déposés auprès du Secrétaire général» précise clairement et expressément que la «Yougoslavie»
dont parlait le conseiller juridique dans sa lettre de septembre 1992 était l’ex-Yougoslavie et non la
RFY. Cette précision terminologique ne figurait pas da ns la lettre originale, mais elle est bien là
désormais et l’explication est enfin donnée. Dans ces «informations de nature historique», il est
dit: «Le conseiller juridique, toutefois, a été d’av is que la résolution de l’Assemblée générale ne
mettait pas fin à l’appartenance de l’ ex-Yougoslavie à l’Organisation, et qu’elle ne la suspendait
32 pas.» (Les italiques sont de nous.) Puis il est i ndiqué: «le Secrétaire général, en sa qualité de
dépositaire, a continué d’inclure les formalités effectuées par l’ex-Yougoslavie dans les listes qui
figurent dans la présente publication, employant à cette fin le nom abrégé de «Yougoslavie», utilisé
à l’époque pour désigner l’ex-Yougoslavie» (les italiques sont de nous).
3.50. Ce point de vue fut également confirmé directement et catégoriquement dans une lettre
signée par le Secrétaire général. Dans une lettre du 27 décembre 2001 qu’il adresse au président
de l’Assemblée générale ⎯ et nous avons fait figurer ce document dans le dossier d’audience, sous
o
l’onglet n 2, juste après la carte ⎯, le Secrétaire général Kofi Annan dit ceci :
«J’ai l’honneur de me référer à la r ésolution 55/12 de l’Assemblée générale en
date du 1er novembre 2000, par laquelle l’Assemblée a décidé d’admettre la
République fédérale de Yougoslavie à l’Organisation des Nations Unies.
Cette décision a mis fin ipso facto à la qualité de Membre de l’Organisation de
l’ex-Yougoslavie, qui avait été admise en 1945.» 14 (Les italiques sont de nous.)
3.51. Donc, il ne peut plus subsister le mo indre doute. Quelle qu’ait pu être encore la
situation de la «Yougoslavie» au sein de l’Organisa tion des Nations Unies et à l’égard des traités,
13
Voir «informations de nature historique», http:/ /untreaty.un.org/FRENCH/bible/frenchinternetbible/
historicalinfo.asp ⎯ sous le titre «ex-Yougoslavie».
14Voir la lettre en date du 27 décembr e 2001 adressée au président de l’Asse mblée générale par le Secrétaire
général, Nations Unies, doc. A/56/767. - 26 -
c’était la situation qui était préservée pour l’ex -Yougoslavie, non pour la RFY. La dénomination
«Yougoslavie» ne désignait pas le défendeur en l’espèce.
3.52. En ce qui concerne la convention sur le génocide, toutes les ambiguïtés ont été
directement balayées par certaines démarches entreprises et par les listes officielles qui sont tenues
par le dépositaire. Dans sa lettre du 8 décembre 2000, le conseiller juridique invita la RFY à
«accomplir les formalités conventionnelles, s’il y a[va it] lieu, si elle entend [ait] faire valoir les
droits et assumer les obligations qui lui rev[en ai] ent, en qualité d’Etat successeur, au titre des
traités en cause» 15 [traduction du Greffe] . La RFY choisit de succéder à sa devancière pour un
certain nombre de conventions. Dans le cas de la convention sur le génocide, la RFY choisit de ne
pas lui succéder. En revanche, lorsqu’elle fut ad mise à l’Organisation des NationsUnies en tant
que nouveau Membre, la RFY, se prévalant d’une possibilité offerte par le paragraphe3 de
l’articleXI de la convention sur le génocide à tous les membres de l’Organisation, décida
d’adhérer à cette convention.
33 3.53. Ainsi, le Secrétaire général, en sa qualité de dépositaire, inscrit la
Serbie-et-Monténégro sur la liste des Etats parties à la convention sur le génocide, précisant qu’elle
16
l’est devenue par voie d’adhésion le 12 mars 2001 ― avec une réserve à l’article IX .
3.54. Madame le président, Messieurs de la Cour, en1996, la positi on du dépositaire était
que la «Yougoslavie» était partie à la convention sur le génocide, mais il n’était pas précisé s’il
s’agissait de l’ex-Yougoslavie ou du défendeur. Au jourd’hui, la position du Secrétaire général est
sans équivoque. Elle montre clairement que les références à la «Yougoslavie» visaient
l’ex-Yougoslavie, non la RFY. Elle montre tout aussi clairement que le défendeur n’est devenu
partie à la convention sur le génocide qu’en2001, en assortissant son adhésion d’une réserve à
l’article IX.
15Lettre en date du 8 décembre 2000 adressée au ministre de s affaires étrangères de la République fédérale de
Yougoslavie par le conseiller juri dique de l’Organisation des NationUnies, soumise sous l’onglet n o7 du dossier
d’audience déposé par la RFY lors des audiences en l’affaire de lDemande en revision de l’arrêt du 11juillet1996
en l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la pr évention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. ougos lavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. osnie-Herzégovine) ,
4-7 novembre 2002.
16 Recueil des traités des NationsUnies , vol.8, .77, voir http:// untreaty.un.org/FRENCH/bible/
frenchinternetbible/partI/chapterIV/treaty1.asp. - 27 -
3.55. Je vous invite là encore à vous reporter au dossier d’audience que nous avons constitué.
L’onglet suivant est l’onglet n 3, qui contient la liste des parties contractantes à la convention sur
le génocide au 31décembre1992 ⎯après que la RFY fut devenue un nouvel Etat, et après les
déclarations des autorités de l’Organisation des Nations Unies qui ont prêté à tant de controverses.
Cette liste indique que la Bosnie-Herzégovine est devenue partie par voie de succession le
29 décembre 1992. La RFY ne figure pas au nombre des Etats parties, mais la «Yougoslavie», elle,
y figure, et il est indiqué que la signature a eu lieu le 11décembre1948 et la ratification le
29août1950. Nul ne doute ni ne conteste que le défendeur a vu le jour le 27avril1992. Quelle
qu’ait pu être la confusion engendrée par la référence à la «Yougoslavie», il y a été remédié et cette
confusion est complètement dissipée aujourd’hui.
er
3.56. Dans la liste actuelle qui est datée du 1 janvier 2006 ⎯elle se trouve sous l’onglet
suivant, le numéro4 ⎯, la Bosnie-Herzégovine est inscrite comme elle l’était dans la liste
précédente ⎯et l’on voit que la Serbie-et-Monténégro est devenue partie à la convention sur le
génocide par voie d’adhésion, le 12 mars 2001. Un autre fait notoire et consigné par le dépositaire
est que le défendeur a adhéré à la conventio n sur le génocide en formulant une réserve à
l’article IX.
3.57. Cette position définitive et le registre officiel du dépositaire ne sont peut-être pas des
34 faits nouvellement découverts au sens précis de l’article 61 du Statut. Mais ce sont des faits patents
⎯dont la Cour ne disposait évidemment pas lorsqu’elle a pris position sur sa compétence
en 1996 ⎯ et qui sont naturellement lourds de conséquences.
3.58. L’arrêt de 1996 sur les exceptions pré liminaire repose tout entier sur l’hypothèse
suivant laquelle la RFY est restée liée pa r les démarches conventionnelles accomplies par
l’ex-Yougoslavie ⎯or, les éclaircissements déterminants à ce sujet sont postérieurs au prononcé
de l’arrêt de 1996. Et ces éclaircissements démontrent l’inverse : la RFY n’assurait la continuité ni
de la personnalité de l’ex -Yougoslavie ni de sa qualité de partie aux traités, et elle ne demeurait
donc pas liée par l’article IX de la convention sur le génocide.
3.59. J’en arrive à présent à mes conclusions : permettez-moi de répéter ici que la RFY ne
pouvait avoir été liée à l’article IX de la convention sur le génocide que de deux manières. Selon la
première hypothèse, elle serait demeurée liée par les obligations conventionnelles de - 28 -
l’ex-Yougoslavie en assurant la continuité de la personnalité juridique internationale de cette
dernière. La seconde théorie possible est que la RFY serait devenue liée par l’articleIX soit par
voie de succession soit par voie d’adhésion. Il n’est pas possible d’envisager de troisième
proposition.
3.60. Nous avons démontré que la RFY n’est p as restée liée par l’article IX de la convention
sur le génocide. Je ne doute pas que les arguments et les preuves que nous avons présentés ont déjà
montré une fois pour toutes non seulement que la RFY n’était pas liée par l’articleIX d’une
manière particulière ⎯qu’elle n’y demeurait pas liée ⎯, mais surtout qu’elle n’y était liée
d’aucune manière. Il y a trois raisons indépendantes à cela.
3.61. Premièrement, l’hypothèse suivant laquelle la RFY est demeurée liée par l’articleIX
en assurant la continuité du statut conventionnel de l’ex-Yougoslavie était la seule hypothèse
crédible qui pût lier la RFY à l’articleIX à l’époque où l’arrêt de 1996 sur les exceptions
préliminaires fut rendu. Ce lien, qui fut infirmé pa r des éclaircissements ultérieurs, est le seul lien
plausible.
3.62. Deuxièmement, comme nous l’avons démontré, le fa it que la RFY n’était pas membre
de l’Organisation des NationsUnies signifie qu’elle n’avait tout simplement pas la qualité voulue
pour devenir partie à la convention sur le génocide sous quelque forme que ce fût. A moins qu’une
invitation lui ait été adressée en vertu de l’article XI, ce qui n’a manifestement pas été le cas, et ce
qui du reste n’a jamais été allégué.
35 E.t,3. troisièmement, la position adoptée par l’Organisation et les listes du dépositaire ne
disent pas uniquement que la RFY n’est pas demeurée liée par l’article IX de la convention sur le
génocide, mais prouvent aussi que le défendeur ne figurait tout simple ment pas au nombre des
Etats parties à la convention sur le génocide avant d’adhérer en2001 à cette convention en
formulant une réserve à l’article IX.
3.64. Voilà qui doit suffire à établir fermem ent que le défendeur n’était pas lié par la
convention sur le génocide avant d’y adhérer en 2001, et qu’il n’est jamais resté ni devenu lié par
l’articleIX. Néanmoins, pour anticiper ou dissiper tout doute possible, mon confrère
M.Zimmermann va continuer de le démontrer en s’intéressant à des hypothèses qui n’ont pas été
envisagées dans l’arrêt de 1996 sur les exceptions prél iminaires. Il vous donnera des arguments et - 29 -
des preuves supplémentaires démontrant que la RF Y n’est pas devenue liée par l’articleIX et
qu’elle ne le pouvait pas, que ce soit par la voie des formalités conventionnelles ou par celle de la
succession automatique.
3.65. Je vous remercie beaucoup, Madame le pr ésident. Peut-être faudrait-il situer ici la
pause, après laquelle je vous prierai d’inviter M.Zimmermann à la barre. Merci beaucoup à
nouveau de votre attention.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Varady. L’audience est suspendue pendant
dix minutes.
L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 30.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Monsieur Zimmermann, vous avez la parole.
M. ZIMMERMANN: Merci, Madame le président. Madame le président, Messieurs de la
Cour, plaise à la Cour.
Q UESTIONS DE PROCEDURE
4. Le défendeur n’a jamais été lié par la convention
sur le génocide ni par son article IX
A. Introduction
4.1. C’est une fois encore un véritable privilè ge et un honneur que de plaider devant votre
Cour au nom de la Serbie-et-Monténégro.
36 4.2. Permettez-moi de commencer en rappelant ce que la présente Cour a répété à maintes
reprises, et à juste titre, à savoir qu’une «distin ction fondamentale…doit être établie entre
l’existence de la compétence de la Cour à l’ég ard d’un différend et la compatibilité avec le droit
international des actes qui font l’objet de ce diffé rend» (voir, par exemple, affaire relative à la
Licéité de l’emploi de la force (S erbie-et-Monténégro c.Belgique) , arrêt du 15décembre2004,
par.128; affaire des Activités armées sur le territoi re du Congo (nouvelle requête:2002)
(République démocratique du Congo c. Rwanda), arrêt du 3 février 2006, par. 127) 17.
17
Voir également CR 2006/8, par. 21 (Pellet). - 30 -
4.3. Dès lors, avant de rendre un arrêt sur le fond de la présente affaire et de se prononcer sur
les événements tragiques qui en forment l’objet, la Cour doit commencer par établir clairement et
sans ambiguïté si elle pouvait en 1993, être valablement saisie par le demandeur. Je suis convaincu
qu’il est impossible de parvenir à une telle conclusion, dans la mesure où cela reviendrait à dire que
la Bosnie-Herzégovine aurait pu por ter un différend devant la Cour à une époque où le défendeur,
c’est-à-dire la RFY (Serbie-et-Monténégro), ainsi que la présente Cour l’a elle-même indiqué dans
ses arrêts rendus en 2004 en les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force,
⎯ n’était pas un Etat membre de l’Organisation des Nations Unies,
⎯ et n’avait pas accès à la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour.
4.4. Cette obligation fondamentale qu’a la Cour de déterminer si elle peut ou non rendre un
arrêt sur le fond de la présente affaire revêt une importance encore accrue pour deux raisons :
4.5. Premièrement, la Cour se trouve face à une affaire des plus complexes qui a soulevé et
soulève encore des questions fondamentales de compétence et de recevabilité, ainsi que la question
même de savoir si le défendeur peut tout simplement être partie à la présente instance.
4.6. Deuxièmement, cette affaire pose de très série ux problèmes de cohérence. Les
huitaffaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force ont soulevé des questions identiques à
celle que nous sommes appelés à examiner ici aujourd’hui. Dans toutes ces affaires, la Cour a jugé
qu’elle n’était pas ouverte à la Serbie-et-Monténég ro, au motif que cette dernière n’était pas, à
l’époque pertinente, un Etat membre de l’Organi sation des NationsUnies. La Cour a également
précisé que la convention sur le génocide n’était p as un traité en vigueur au sens du paragraphe 2
de l’article 35 de son Statut.
37 4.7. Madame le président, les arrêts rend us en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force ont, en laissant de côté les différends du passé, ouvert la voie à de nouveaux
progrès dans les relations politiques entre la Serb ie-et-Monténégro d’une part, la Belgique, la
France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni, d’autre part.
4.8. En la présente affaire, dans laquelle la Serbie-et-Monténégro est le défendeur, les mêmes
questions de compétence qui ont conduit la Cour à considérer qu’elle ne pouvait pas connaître du
fond des affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force refont surface. Il convient par - 31 -
conséquent, afin de déterminer si la Serbie -et-Monténégro peut aujourd’hui être partie à cette
affaire, d’examiner des questions fondamentales de cohérence et même d’égalité devant la Cour.
4.9. Enfin, comme chacun sait, une autre affaire portée devant la Cour contre la
Serbie-et-Monténégro est actuellement pendante. Dans cette autre affaire, introduite par la Croatie,
la Cour devra une fois encore se pencher sur la qu estion du statut du défendeur à son égard. Elle
n’a d’ailleurs, à ce jour, jamais eu l’occasion d’exam iner, dans ladite affair e, la question de sa
compétence, ni celle du statut de la Serbie-et- Monténégro en tant que partie potentielle à des
instances introduites devant elle. Par conséquent , le même problème de cohérence se posera une
fois encore dans le cadre de cette affaire.
4.10. Après avoir resitué notre argumentation dans son contexte, il me revient maintenant
d’examiner la question de savoir s’il existe un fondement juridique sur la base duquel l’affaire
pourrait avoir été introduite contre la Serbie-et-Monténégro ratione personae. Toute décision à cet
égard présupposerait toutefois que la Cour établisse d’abord, contrairement à la conclusion qu’elle
a elle-même précédemment énoncée dans les a rrêts rendus en les affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force , que la Bosnie-Herzégovine pouvait eff ectivement introduire une instance
contre la Serbie-et-Monténégro, à une époque où le défendeur, ainsi que la présente Cour l’a
précisé, n’était pas un Etat membre de l’Organisation des Nations Unies.
4.11. Madame le président, Messieurs de la Cour, la seule base possible de compétence de la
Cour est l’article IX de la convention sur le génocide. Mon collègue Tibor Varady a d’ores et déjà
démontré que la RFY n’était pas et ne pouvait pas être restée partie à la convention sur le génocide
au motif qu’elle aurait assuré la continuité de la personnalité juridique de l’ex-Yougoslavie et de sa
qualité de partie aux traités passés par elle. Je va is à présent examiner la question de savoir si le
défendeur aurait pu se trouver lié par l’articleIX de la convent ion sur le génocide par voie de
succession en matière de traités. A cet égard,
38 ⎯ je montrerai premièrement que la Cour ne s’est, jusqu’à présent, jamais prononcée sur la
qualité d’Etat successeur de la Serbie-et-Mont énégro à l’égard de la convention sur le
génocide, question qui ne peut pa r conséquent être considérée comme revêtant l’autorité de la
chose jugée; - 32 -
⎯ deuxièmement, je démontrerai également que la Serbie -et-Monténégro n’a jamais eu la qualité
d’Etat successeur à l’égard de la convention sur le génocide et, notamment, de son article IX.
B.La Cour ne s’est jamais prononcée sur la qualité d’Etat successeur de la
Serbie-et-Monténégro à l’égard de la convention sur le génocide
4.12. Madame le président, la seule base ju ridique possible des demandes présentées par la
Bosnie-Herzégovine à votre Cour est constituée par de prétendues violations de la convention sur le
génocide qui seraient attribuables à la Serbie-et-Monténégro.
4.13. Cela pose la question de savoir s’il existait, à l’époque pertinente ⎯ou s’il a jamais
existé ⎯ une relation conventionnelle entre la Bosnie -Herzégovine et la Serbie-et-Monténégro à
l’égard de l’article IX de la convention sur le génocide.
4.14. Les Parties conviennent aujourd’ hui que la Bosnie-Herzégovine et la
Serbie-et-Monténégro sont des Etats successeurs de l’ex-Yougoslavie. En conséquence, ces
deuxEtats n’auraient pu se trouver liés par la c onvention sur le génocide qu’en vertu des règles
applicables en matière de succession d’Etats ou par voie d’adhésion.
4.15. Dans son arrêt rendu en 1996 sur les excep tions préliminaires, la présente Cour a jugé
que la Bosnie-Herzégovine était de venue partie à la convention su r le génocide par le mécanisme
de la succession d’Etats (affaire relative à l’ Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzé govine cS.erbie-et-Monténégro), arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p.612, par.23). La question, similaire, de savoir si la RFY ⎯ le
défendeur ⎯ est devenue partie à la convention su r le génocide par voie de succession n’a
cependant, à ce jour, jamais été tranchée par la Cour avec l’autorité de la force jugée.
4.16. Permettez-moi de le démontrer brièvement en analysant les décisions pertinentes de
votre honorable Cour.
4.17. Dans son ordonnance du 8 avril1993, la Cour n’a pas ju gé nécessaire d’examiner la
question, et ce pour la simple raison qu’aucune des Parties n’avait mis en doute l’éventuelle qualité
de partie de la RFY à la convention sur le génocide.
39 4.18. Pour que la Cour ait compétence, la Bosnie-Herzégovine avait besoin que soit
reconnue la qualité de partie de la RFY à la c onvention sur le génocide. C’est la raison pour
laquelle la Bosnie-Herzégovine n’a pas soulevé cette question ici, dans cette grande salle de justice. - 33 -
Dans le même temps, en dehors de l’enceinte de la Cour, la Bosnie-Herzégovine ne cessait de
contester cette même position juridique de la RFY et d’exiger que ce tte dernière fasse des
déclarations de succession spécifiques, ce que la RFY n’a jamais fait durant la période pertinente.
4.19. La RFY considérait pour sa part qu’e lle se confondait avec l’ex-Yougoslavie et ne
voyait donc pas pourquoi elle aurait dû faire de tell es déclarations de succession. Elle se contenta
de consigner cette thèse selon laquelle elle se confondait avec l’ex-Yougoslavie dans une
déclaration générale, déclaration qui ne fut cependant pas considérée par la Bosnie-Herzégovine
comme constituant une déclaration de succession 18 (Demande en revision de l’arrêt du
11juillet1996 en l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovi ne c.Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), par. 10 et suiv.).
4.20. Telle était la situation que la Cour avait à l’esprit au moment de rendre son ordonnance
du 8avril1993. Dans cette ordonnance, la Cour se contentait de consigner et de prendre acte du
fait que la RFY avait, dans une déclaration générale du 27 avril 1992, exprimé l’intention d’assurer
la continuité de la personnalité juridique de l’ex-Yougoslavie, et par conséquent, d’honorer les
obligations conventionnelles de cette dernière.
4.21. La même chose vaut, mutatis mutandis , pour l’arrêt de la Cour de1996 sur les
exceptions préliminaires. Dans cet arrêt, la Cour s’est contentée de noter que l’ ex-Yougoslavie
avait «signé la convention sur le génocide le 11 décembre 1948 et … déposé son instrument de
ratification sans réserves, le 29 août 1950» (affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (B osnie-Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1996 (II) , p.610, par.17). La qualité d’Etat
successeur en matière de traités de la RFY ⎯ le défendeur ⎯ n’a pas été examinée; elle n’a pas
même été soulevée. La ratification de la convention sur le génocide par l’ ex-Yougoslavie a été
considérée comme pertinente vue sous l’angle de la continuité de la personnalité juridique. La
Cour a ajouté qu’«il n’a[vait] pas été contesté que la Yougoslavie soit partie à la convention sur le
18NationsUnies, doc.A/50/ 910-S/1996/231, lettre conjointe de la Bosie-Herzégovine, de la Croatie, de
l’ex-République yougoslave de Macédoine et de la Slovéne adressée au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies, selon laquelle «la République fédérative de Yougoslavie (Serbie-et-Monténégro) ne s’était pas conformée
aux règles du droit international régissant la succession d’Etats». - 34 -
40 génocide» (ibid.). C’était là l’une des raisons essentielles pour lesquelles la «Yougoslavie» était à
l’époque considérée comme partie à la conventio n sur le génocide, et il semble que cela soit
désormais accepté par le conseil du demandeur 1. Répétons-le, la question de savoir si la RFY
avait la qualité d’Etat successeur à l’égard de la convention sur le génocide, question qui n’avait
même pas fait débat entre les Parties, n’a pas été tranchée par la Cour.
4.22. La Cour ne s’est en effet prononcée que sur les exceptions préliminaires soulevées
formellement par le défendeur. Cette décision limitée a été par la su ite confirmée par la Cour dans
ses arrêts de 2004 en les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , dans lesquels elle a
déclaré: «La Cour, dans l’arrêt qu’elle rendit le 11juillet1996 sur les exceptions préliminaires,
rejeta les exceptions soulevées par la Ré publique fédérale de Yougoslavie…» ( Licéité de l’emploi
de la force (Serbie-et-Montén égro c.Belgique), arrêt , par.82.) Cependant, toutes les exceptions
préliminaires de la RFY concernaient exclusivement le statut de la Bosnie-Herzégovine vis-à-vis de
la convention sur le génocide, et non celui de la RFY elle-même à l’égard de cette convention.
4.23. De façon similaire, dans l’arrêt de 2003 sur la Demande en revision, la Cour n’a même
pas eu à aborder la question de savoir si la conve ntion sur le génocide était applicable entre les
Parties, au motif que, selon elle, les conditions de recevabilité de la demande en revision n’étaient
pas remplies. Cette interpréta tion de l’arrêt de2003 sur la Demande en revision a été confirmée
par la Cour dans ses arrêts de 2004 en les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force, dans
lesquels elle a expressément déclaré que, en2003, elle «n’a[vait] pas été appelée à dire s’il était
exact que la Serbie-et-Monténégro n’était pas par tie au statut ou à la convention sur le génocide
en 1996» (ibid., par. 87).
4.24. Contrairement à cette déclaration, le c onseil du demandeur a tenté d’insinuer que, dans
les paragraphes 70 et 71 de l’arrêt de 2003 sur la Demande en revision, la Cour aurait en réalité pris
20
position sur le statut du défendeur vis-à- vis de la convention sur le génocide . Or, les termes
employés dans l’arrêt de2004 sont très clairs, pui sque la Cour y indique expressément: «ces
déclarations ne sauraient…être interprétées comme des conclusions quant au statut de la
19
CR 2006/3, p. 18, p. 19 (Pellet).
20
Ibid., p. 20-21, par. 22 (Pellet). - 35 -
Serbie-et-Monténégro vis-à-vis de l’Organisation des NationsUnies et de la convention sur le
génocide» (ibid., par. 87).
41 4.25. Dans les mêmes arrêts rendus en 2004 en les affaires relatives à la Licéité de l’emploi
de la force , la Cour n’a pas non plus «estim[é] nécessaire de décider si la Serbie-et-Monténégro
était ou non partie à la conventi on sur le génocide … lorsque la présente instance a été introduite»
(ibid., par. 114).
4.26. Madame le président, permettez-moi de le répéter : nous soutenons que la Cour n’a pas
à ce jour décidé avec l’autorité de la chose jugée si la Serbie -et-Monténégro était ou non devenue
partie à la convention sur le génocide au cours de la période pertinente. Notre thèse est par ailleurs
confirmée, si besoin était, par l’application des dispositions pertinentes du règlement de la Cour.
4.27. Le paragraphe 9 de l’ar ticle 79 du Règlement actuel, qui est identique au paragraphe 7
de l’article79 du Règlement tel qu’applicable en l’espèce, traite des arrêts portant sur les
exceptions préliminaires. Dans cet article, il est clairement indiqué que dans un arrêt portant sur
des exceptions préliminaires, la Cour «retient l’exception, la rejette ou déclare que cette exception
n’a pas … un caractère exclusivement préliminaire» (les italiques sont de nous).
4.28. Par conséquent, ce sont les exceptions effectivement soulevées par le défendeur, et
seulement elles, qui définissent et délimitent la portée de l’autorité de la chose jugée, si tant est
qu’il y en ait une, de tout arrêt relatif à des excep tions préliminaires. S’agissant de l’arrêt de 1996
sur les exceptions préliminaires, le défendeur n’ a cependant jamais soulevé une telle exception
fondée sur l’argument selon lequel il ne serait pas pa rtie, ou devenu partie, à la convention sur le
génocide. En conséquence, cette question n’a pas été, et ne pouvait pas être, tranchée par la Cour
avec l’autorité de la chose jugée.
4.29. Dans le même ordre d’idées, le paragra phe 1 de l’article 79 du Règlement dispose que
«[t]oute exception à la compétence de la Cour ou à la recevabilité … ou toute autre exception sur
laquelle le défendeur demande une décision avant que la procédure sur le fond se poursuive » (les
italiques sont de nous) doit être présentée dans le délai fixé par le Règlement. Dès lors, le fait de ne
pas soulever une exception à la compétence de la C our ou à la recevabilité de la requête dans le
délai prévu par le Règlement a pour seule conséquence que l’examen au fond n’est pas différé.
Cela étant, il n’est pas interdit aux Etats de s oulever de telles exceptions à un stade ultérieur, - 36 -
puisque, si tel n’était pas le cas, la précision fi gurant à la première phrase du paragraphe1 de
l’article 79 que je viens de citer serait superflue.
4.30. Or, telle est précisément la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui:
en1996, la RFY n’avait pas soulevé l’exception préliminaire se lon laquelle elle n’était pas une
42 partie à la convention sur le génocide. Cela si gnifie simplement que le défendeur ne pouvait pas
prétendre à ce que l’examen au fond soit différé jusqu’à ce que la Cour se prononce sur l’exception
selon laquelle il n’était pas partie contractante à la période pertinente et ne s’était jamais trouvé lié
par l’article IX de la convention sur le génocide.
4.31. Par conséquent, la question de savoir si la Serbie-et-Monténégro a succédé à la RFY en
tant qu’Etat partie à la convention sur le génocide ⎯ ou plutôt ne lui a pas succédé ⎯ échappe en
tout état de cause à toute autorité de la chose j ugée. La Cour a donc pleine latitude pour trancher
cette question maintenant.
4.32. Madame le président, j’aimerais saisir cette occasion pour répondre brièvement à
certains arguments avancés la semaine dernière par le conseil du demandeur lors de sa plaidoirie.
Le conseil du demandeur a tenté de soutenir, bien qu’un peu à contrecŒur, semble-t-il, que le
défendeur aurait pu, en ne soulevant pas la questi on de son impossibilité à es ter devant la Cour et
de sa qualité d’Etat successeur à l’égard de la conve ntion sur le génocide, ne pas agir de bonne
foi2. Cette allégation est cependant en contradic tion avec l’arrêt que vous avez rendu en 1996 sur
les exceptions préliminaires. Dans cet arrê t, vous avez indiqué que le défendeur avait
«constamment contesté la compétence de la Cour … que ce soit sur la base de la convention sur le
génocide ou sur toute autre base» (C.I.J. Recueil 1996 (II), p.620-621; voir également, pour la
phase des mesures conservatoires en cette affaire, C.I.J. Recueil 1993, p. 341-342).
4.33. Il convient par ailleurs de prendre en compte le caractère fondamental que revêtent les
questions relatives à la qualité de partie à une affaire d’un Etat donné et à son accès à la Cour,
questions sur lesquelles cette de rnière doit elle-même s’interroge r et qui sont indépendantes des
vues ou des souhaits des parties (voir par exemple l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la
force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), arrêt, 15 décembre 2004, par. 36).
21
CR 2006/3, p. 19, par. 19 (Pellet). - 37 -
4.34. Il convient également de relever que le st atut juridique de la RFY était, pour reprendre
les termes de la Cour, plutôt «confus[] et complexe[]» ( ibid., par.73), et «compliqué[] par [d]es
incertitudes» (ibid., par.79), et que ce n’est que l’admission de la RFY au sein de l’Organisation
des Nations Unies qui a «clarifié la situation juridique, jusque-là indéterminée» (ibid.). En effet, ce
n’est qu’à partir de l’admission de la RFY au sein de l’Organisation des Nations Unies en 2000 que
la Cour et le défendeur ont pu être mieux à même d’ apprécier la situation juridique de la RFY. En
conséquence, l’allégation du de mandeur selon laquelle la RFY n’aurait pas agi de bonne foi
apparaît, pour cette raison également, dépourvue de fondement.
4.35. Le conseil du demandeur, M. Pellet, a également soutenu que le défendeur aurait créé,
43
22
selon ses termes, «une sorte de forum prorogatum» . Permettez-moi, à cet égard, de rappeler tout
d’abord clairement ce que la Cour avait déjà indiqué dans son arrêt de1996 sur les exceptions
préliminaires après que le demandeur avait déjà, à l’époque, invoqué un forum prorogatum. La
Cour a dit qu’«[elle] ne trouv[ait] pas que le défendeur a[vait] exprimé en l’espèce un
consentement «volontaire, indiscutable»» ( C.I.J. Recueil 1996, p.621, par.40; référence omise).
En effet, comment un Etat qui a explicitement soulevé sept exceptions préliminaires à la
compétence de la Cour pourrait-il être considéré comme ayant, dans le même temps, implicitement
accepté cette compétence parce qu’il n’en a pas soul evé une huitième ? Par conséquent, il est tout
simplement impossible de présumer quelque forme de forum prorogatum que ce soit.
4.36. Madame le président, permette z-moi maintenant de démontrer que la
Serbie-et-Monténégro n’est jamais devenue partie à la convention sur le gé nocide. Auparavant, il
me faut souligner encore une fois le caractère s ubsidiaire de notre argumentation sur ce point dans
la mesure où, pour se prononcer sur cette question, la Cour doit d’abord et avant tout déterminer si
la Serbie-et-Monténégro peut être partie à la présente instance, introduite par la
Bosnie-Herzégovine à une époque où le demandeur n’avait pas accè s à la Cour. Ainsi que la
présente Cour l’a elle-même fait observer,
«il lui appartient d’examiner tout d’abor d la question de savoir si le demandeur
remplit les conditions énoncées aux articles 34 et 35 du Statut et si, de ce fait, la Cour
lui est ouverte. Ce n’est que si la réponse à cette question est affirmative que la Cour
aura à examiner les questions relatives aux conditions énoncées aux articles36 et37
22
CR 2006/3, p. 19, par. 19 (Pellet). - 38 -
du Statut de la Cour.» (Voir par exemple l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de
la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique) , arrêt du 15décembre2004, par.46;
référence omise.)
4.37. Mon collègue Vladmir Djeri ć a démontré que la Cour n’était pas ouverte au défendeur
durant la période pertinente et que la convention su r le génocide n’était pas un traité en vigueur au
sens du paragraphe2 de l’article35 du Statut. M.Tibor Varady a ensuite montré que la RFY
n’était pas restée liée par la convention sur le gé nocide. Je vais maintenant présenter un argument
supplémentaire qui permet d’aboutir à la même conclusion, à savoir que votre Cour n’a pas
compétence en la présente affaire. Je vais ainsi démontrer que le défendeur ne s’est jamais trouvé
lié par l’article IX de la convention sur le génocide.
44 C. Le défendeur n’était pas partie à la convention sur le génocide à l’époque des faits
4.38. Madame le président, Messieurs de la Cour, comme je l’ai exposé auparavant, les
Parties conviennent l’une et l’autre que la Se rbie-et-Monténégro est un Etat successeur de
l’ex-Yougoslavie, laquelle a cessé d’exister. Po ur que la Serbie-et-Monténégro puisse être
considérée comme responsable des violations allégu ées de la convention sur le génocide et que la
Cour ait compétence pour connaître de ces faits, et pui sque la RFY n’a pas assuré la continuité de
la personnalité juridique de l’ex-Yougoslavie ni sa qualité de partie aux tra ités, le demandeur doit
établir que le défendeur est devenu partie à la convention sur le génocide par voie de succession,
celle-ci ne pouvant avoir eu lieu que
⎯ sur le fondement de la déclaration du 27 avril 1992; ou
⎯ en vertu dudit principe de la succession automatique.
4.39. Je vais à présent démontrer que, premièrement, les déclarations de la RFY faites
uniquement et exclusivement sur la base du postu lat qu’il y aurait eu identité entre la RFY et
l’ex-Yougoslavie ne sauraient créer des obliga tions sur la base du postulat inverse et que,
deuxièmement, la Serbie-et-Monténégro n’est pas devenue partie à la convention sur le génocide en
vertu du principe de la succession automatique. - 39 -
1. Les déclarations faites uniquement sur la base du postulat de la continuation de la
personnalité ne sauraient imposer à la Serbie-et-Monténégro des obligations au titre de la
convention sur le génocide
4.40. Madame et Messieurs de la Cour, ai nsi que la Bosnie-Her zégovine l’a elle-même
reconnu (observations écrites de la Bosnie-Herzé govine du 3 décembre 2001 en l’affaire relative à
la Demande en revision de l’arrêt du 11juillet1996 en l’affaire relative à l’ Application de la
convention pour la prévention et la répressi on du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. ougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie cB. osnie-Herzégovine) , notamment
paragraphe2.9), la déclaration adoptée le 27avril1992 lors d’une session commune de
l’Assemblée de la RFSY (l’ex-Yougoslavie) 23, de l’Assemblée nationale de la République de
Serbie et de l’Assemblée du Monténégro reposait fermement sur l’idée qu’il y avait eu continuité
de la personnalité juridique de la RFSY, raison pour laquelle la Bosnie-Herzégovine elle-même a
adopté systématiquement comme position que la décl aration du 27 avril 1992 n’avait pas conféré à
la RFY la qualité de partie contractante aux traités conclus par l’ex-Yougoslavie.
45 4.41. La lettre commune de la Bosnie-Herzégovine , de la Croatie, de la Macédoine et de la
Slovénie datée du 20 avril 1998 et adressée à la Commission des droits de l’homme est un exemple
caractéristique de cette ligne de conduite . Elle est reproduite sous l’onglet n o5 du dossier de
plaidoiries. Cette lettre commune fut communiquée par le biais d’une note verbale adressée par la
mission permanente de la Bosnie-Herzégovine à l’Office des NationsUnies à Genève. Voici ce
qu’indiquait noir sur blanc cette lettre :
«Tous les Etats issus de la dissolutio n de l’Etat prédécesseur ont les mêmes
droits et le même statut juridique en tant qu’Etats successeurs. Le même principe vaut
pour la situation juridique concernant l es instruments internationaux auxquels la
RFSY était partie. La RFY doit donc notifier sa succession à tous les instruments
internationaux pertinents, notamment en ma tière de droits de l’homme, comme l’ont
fait les autres Etats successeurs.»4 [Traduction du Greffe.]
4.42. Sur le même fondement, la Bosnie-Her zégovine a demandé, souvent et avec succès,
que la RFY ne soit pas considérée comme un Etat partie aux traités et, à ce titre, qu’elle ne
participe pas aux réunions des parties contractante s à divers traités en matière de droits de
23
A cette époque, on discutait sur le point de savoir si la RFSY et son assemblée nationale existaient encore.
24Voir NationsUnies, doc.E/CN.4/1998/ 171, lettre commune de la Bosnie-H erzégovine, de la Croatie, de la
Macédoine et de la Slovénie communiquéeà la Commission des droits de l’homme par la mission permanente de la
Bosnie-Herzégovine auprès de l’Office des NationsUniesGenève dans une note verbal e datée du 20avril1998; les
italiques sont de nous. - 40 -
l’homme. C’est uniquement dans le cadre de la prése nte affaire et aux seules fins de cette dernière
que la Bosnie-Herzégovine estime que ladite déclaration vaut notification de succession.
4.43. Or, cet argument n’est absolument pas f ondé. Objectivement, il est tout simplement
inconcevable qu’une déclaration reposant à l’époque sur la revendication d’une continuation de la
personnalité puisse être considérée comme quelque c hose d’autre, en l’occurrence une notification
de succession. A cet égard, les arguments juridiques avancés par le conseil de la
Bosnie-Herzégovine au sujet de la réinterpré tation éventuelle d’une notification de succession
émanant de la Bosnie-Herzégovine elle-même en notification d’adhésion sont particulièrement
révélateurs. Permettez-moi de citer ce qui a été dit à ce propos au nom du demandeur par mon
estimée collègue, MmeBrigitte Stern: «[o]n ne voit pas pourquoi la notification de succession,
acte qualifié comme tel par un Etat souverain, de vrait être considérée comme une notification
d’adhésion» (CR 1996/9, p. 32-33).
4.44. La Bosnie-Herzégovine a donc elle-même soutenu que l’on ne pouvait réinterpréter
l’intention d’un Etat et faire d’une notification de succession un acte d’adhésion. De même, on ne
saurait faire d’une déclaration, qui reposait mani festement à l’époque sur le postulat d’une identité
46 et qualifiée comme telle par la RFY, une notification de succession, et ce, à l’encontre de la volonté
de l’Etat dont elle émane.
4.45. En réalité, la Cour elle-même a c onfirmé que la note du 27avril1992 reposait
exclusivement sur cette revendication d’identité et ne pouvait dès lors valoir notification de
succession, lorsqu’en 2004 elle a indiqué: «la Ré publique fédérale de Yougoslavie…soutenait
pour sa part qu’elle assurait la continuité de la personnalit é juridique de la République fédérative
socialiste de Yougoslavie. Cette position fu t exprimée clairement dans la note officielle du
27 avril 1992…» ( Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique) , arrêt du
15 décembre 2004, par. 69; les italiques sont de nous.)
4.46. Je vais à présent démontrer que la déclaration du 27avril1992 et la note qui
l’accompagnait, premièrement, n’avaient pas pour objet la succession à un traité et, deuxièmement,
ne pouvait avoir un tel objet.
4.47. Tout d’abord, le libellé de la déclar ation précisait s’il s’agissait d’une déclaration des
«représentants du peuple de la République de Serbie et de la République du Monténégro»; ensuite, - 41 -
étaient désignés comme signataires, à la fin du text e, «les participants à la session commune». La
phrase d’introduction de cette déclaration souligne qu e les citoyens de Serbie et du Monténégro y
manifestant leur volonté commune «de demeurer au sein de l’Etat commun de Yougoslavie».
L’idée politique sous-jacente au contenu de la d éclaration était manifestement que la Yougoslavie
continuait d’exister et que la RFY était le même Etat que l’ex-Yougoslavie, assurant la continuité
de l’identité de cette dernière.
4.48. Puisqu’à l’évidence elle visait non pas à créer un statut, mais plutôt à exprimer un
sentiment, la déclaration indiquait expressément qu’elle avait pour unique but d’exposer les vues
des participants sur les objectifs politiques, comme le souligne son préambule :
«Restant profondément déterminés à pa rvenir à un règlement pacifique de la
crise yougoslave.
Souhaitant exprimer leurs vues sur les objectifs fondamentaux, immédiats et à
long terme de la politique de leur Etat commun, ainsi que sur ses relations avec les
anciennes républiques yougoslaves.» (Les italiques sont de nous.)
4.49. En outre, la déclaration du 27avril1992 n’était pas adressée au dépositaire, mais au
président du Conseil de sécurité, ce qui est logique eu égard à la nature du texte, déclaration à
25
caractère politique plutôt que formalité conventionnelle . La déclaration et la note furent
47 communiquées sous le couvert d’une lettre datée du 6mai1992 adressée au Secrétaire général et
priant celui-ci de distribuer la déclaration et la note « comme documents officiels de l’Assemblée
générale» 2, ce qui montre une nouvelle fois que la décl aration et la note constituaient toutes deux
des documents politiques et non des formalités conventionnelles.
4.50. Il y a encore une autre raison pour la quelle la déclaration et la note ne pouvaient
constituer une formalité conventionnelle: elles ne désignaient aucun traité . Aucun traité
particulier n’y était mentionné ou cité, et aucune liste de traités pertinents n’y était jointe non plus.
4.51. L’absence de pertinence de telles «notifi cations générales» aux fins de la succession
d’Etats a été clairement confirmée par le Secrétai re général, agissant en sa qualité de dépositaire
25
Voir la lettre datée du 27 avril 1992, adressée au président du Conseil de sécu rité par le chargé d’affaires par
intérim de la mission permanente de la Yougoslavie auprès de l’Organisaton des NationsUnies, NationsUnies,
doc. S/23877 (1992).
26Nations Unies, doc. A/46/915. - 42 -
des traités multilatéraux. Prenant position sur l es «déclarations générales de succession», voici ce
qu’il a relevé :
«Les Etats nouvellement indépendants soumettent souvent au Secrétaire général
des déclarations «générales» de succession… Le Secrétaire général… ne considère
pas la déclaration comme un instrument valable de succession à l’un des quelconques
traités déposés auprès de lui , et il en informe le gouvernement du nouvel Etat
concerné.»
4.52. Et le Secrétaire général de poursuivre :
«la ligne constante du Secrétaire général en tant que dépositaire a été de n’inclure un
Etat qui succède dans la liste des Etats parties à un traité déterminé que sur la base
d’un document formel de même nature que les instruments de ratification, d’adhésion,
etc., c’est-à-dire d’une notification émanan t du chef d’Etat, du chef de gouvernement
ou du ministre des affaires étrangères, qui désigne nommément le traité ou les traités
par le(s)quel(s) l’Etat en cause se reconnaît lié.
Les déclarations générales n’offren t pas une base juridique suffisante pour
permettre l’inclusion des Etats intéressés dans la liste des partie s reproduite dans la
27
publication Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général .» (Les
italiques sont de nous.)
4.53. Permettez-moi de récapituler :
i) les Parties reconnaissent toutes deux que le défendeur est l’un des Etats successeurs de
l’ex-Yougoslavie, la RFSY, qui a cessé d’exister;
ii) la déclaration adoptée le 27 avril 1992 n’éta it pas une notification de succession, et ne fut
pas non plus perçue comme telle par les Etats tiers;
iii)il s’agissait plutôt d’une déclaration à caractère politique reposant sur un postulat
d’identité;
48 iv) ni la déclaration ni la note du 27 avril 1992 ne renvoient au moindre traité et, de surcroît,
elles n’émanent d’aucune des autorités cons idérées par le dépositaire comme compétentes
pour engager juridiquement la RFY;
v) la Bosnie-Herzégovine elle -même n’a jamais considéré que la déclaration valait acte de
succession du défendeur à l’égard des traités conclus par l’ex-Yougoslavie;
vi)enfin, à supposer même que cette déclaration ait pu être considérée comme une
notification de succession, elle ne pouvait pas pour autant, étant donné son caractère
27
Précis de la pratique du Secrétaire général en tant que dépos itaire de traités multilatéraux, 1999, par.302-304
(note de bas de page omise); disponible à l’adresse Internet suivante : http://untreaty.un.org/French/Summary.pdf. - 43 -
général, être considérée comme valant acte de succession du défendeur à l’égard de
certains traités de l’ex-Yougoslavie.
4.54. En conséquence, la déclaration et la note ne pouvaient valoir acte de succession.
Permettez-moi de le rappeler: il ne s’agissait pas là d’une «déclaration générale de succession»,
mais de déclarations de politique générale revendiquant une continuité. Les mots «succession» ou
succéder sont d’ailleurs totalement absents de ce s deux textes. Au contraire, la note prend pour
postulat qu’elle a été adoptée «compte tenu de la continuité de la personnalité de la Yougoslavie».
4.55. C’est seulement sur la base de cette re vendication et en soulignant clairement que la
thèse de la continuité de la personnalité cons titue le seul fondement possible sur lequel les
obligations de l’ex-Yougoslavie sont assumées que la note précise :
« Dans le strict respect de la continuité de la personnalité internationale de la
Yougoslavie, la République fédérale de Yougoslavie continue ra à exercer tous les
droits conférés à la République fédérative socialiste de Yougoslavie et à s’acquitter de
toutes les obligations assumées par cette derniè re dans les relations internationales, y
compris en ce qui concerne son appartenance à toutes les organisations internationales
et sa participation à tous les traités inte rnationaux que la Yougoslavie a ratifiés ou
auxquels elle a adhéré.» (Les italiques sont de nous.)
4.56. Rappelons également que la Bosnie-Herzégovine s’est énergiquement opposée à ce que
la RFY assure, comme elle entendait le faire, la c ontinuité du statut de l’ex-Yougoslavie au regard
de la communauté des Etats et des droits et ob ligations conventionnels c ontractés tant qu’elle ne
serait pas disposée à présenter des notifications de succession à cet effet 2, ce que la
Serbie-et-Monténégro n’a jamais fait en ce qui concerne la convention sur le génocide.
4.57. La réaction du Secrétaire général adjoin t, conseiller juridique de l’Organisation des
Nations Unies, une fois que la RFY eut été ad mise aux Nations Unies comme nouveau membre et
49 que son statut comme l’un des Etats successeurs de l’ex-Yougoslavie eut été confirmé, est
également très révélatrice. Le conseiller juridique invita la RFY à décider si elle assumait ou non
les droits et obligations de l’ex-Yougoslavie au titr e des traités internationaux. Dans une lettre du
8 décembre 2000, reproduite sous l’onglet n o 5 du dossier de plaidoiries, il écrivait :
28Voir par exemple NationsUnies, doc. E/CN.4/1998/171, lettre commune de la Bosnie-Herzégovine, de la
Croatie, de la Macédoine et de lSlovénie communiquée à la Commission de s droits de l’homme par la mission
permanente de la Bosnie-Herzégovine auprès de l’Office des NationsUniesGenève dans une note verbale datée du
20 avril 1998. - 44 -
«De l’avis du conseiller juridique, la République fédéra le de Yougoslavie
devrait maintenant accomplir l es formalités conventionnelles , s’il y a lieu, si elle
entend faire valoir les droits et assumer les obligations qui lui reviennent, en qualité
d’Etat successeur, au titre des traités en cause.» (Les italiques sont de nous.)
4.58. Il convient également d’ajouter que la lettre du conseiller juridique était accompagnée
d’une liste de traités à l’égard desquels la RF Y, pour qu’elle y devienne partie, devait accomplir
des formalités conventionnelles. Sur cette liste figurait la convention sur le génocide. La
démarche du conseiller juridique c onfirma que la RFY n’était pas ju sque là partie à la convention
sur le génocide.
4.59. Soulignons une nouvelle fois que nul n’a jamais considéré la déclaration du
27avril1992 comme une déclaration de succession. Avant qu’il n’apparaisse clairement que la
RFY n’était devenue membre des NationsUnies que le 1 ernovembre 2000, le dépositaire faisait
bien figurer en pratique la «Yougoslavie» pa rmi les Etats membres de l’ONU et les parties
contractantes à certains traités. Cette pratique a peut-être suscité des ambiguïtés et créé l’illusion
d’un statut de partie contractante, mais la seule illusion qui aurait pu être créée était celle de la
continuation de la qualité de partie aux traités de l’ex-Yougoslavie.
4.60. Avant que le statut juridique de la Serbie-et-Monténégro ne soit clarifié, la
«Yougoslavie» figurait également sur la liste des parties contractantes à la convention sur le
génocide, avec comme date de signature le 11no vembre1948 et comme date de ratification le
29 août 1950 29.
4.61. En net contraste avec cela, ce même inventaire indiquait que la Bosnie-Herzégovine
était devenue une partie contractante le 29 décembre 1992 par voie de succession 30. Or, si indiquer
que la «Yougoslavie» était une partie contractante depuis 1950 a pu créer l’apparence de la
continuité de l’existence d’un Etat dénommé «Yougoslavie» en tant que partie contractante, cela ne
pouvait en aucune manière confirmer l’hypothèse, ni même l’impression, que la RFY, en tant que
nouvel Etat, qu’Etat successeur, serait devenue en 1992 , en vertu d’une déclaration,
50
automatiquement ou autrement une partie contractante à la convention sur le génocide.
29 Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, 1 repartie (traités de l’Organisation des
Nations Unies), chap. IV (droits de l’homme), au 3 octobre 2000.
30 Voir traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, 1partie (traités de l’Organisation des
NationsUnies), chapI.V (droits de l’homme), à l’adre sse Internet suivante: http://untreaty.un.org/FRENCH/
bible/frenchinternetbible/partI/chapterIV/chapterIV.asp. - 45 -
4.62. La situation a désormais été clarifi ée. Dans la publication «Traités multilatéraux
31
déposés auprès du Secrétaire général», à la r ubrique «information de nature historique» , le
o
dépositaire donne une explication dont l’ exposé est reproduit sous l’onglet n 7 du dossier de
plaidoiries. Il montre que la déclaration et la note furent toutes deux manifestement perçues
comme une revendication de continuité ⎯ et que cette revendication ne fut jamais acceptée.
4.63. Voici ce que dit aujourd’hui le Secrétaire général :
«La Yougoslavie a été instituée le 27 avr il 1992, à la suite de la promulgation
de la constitution de la République fédérale de Yougoslavie ce même jour. Cela étant,
la Yougoslavie a fait savoir au Secrétaire général, le 27 avril 1992, qu’elle entendait
assurer la continuité de la personnalité juridi que internationale de l’ex-Yougoslavie.
En conséquence, elle revendiquait la qualité de membre des organisations
internationales dont l’ex-Yougoslavie avait fait partie. De même, elle affirmait que
tous les actes effectués par l’ex-Yougoslavie à l’égard de divers traités devaient être
attribués directement à la Yougoslavie, car il s’agissait du même Etat… La
Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Sl ovénie et l’ex-République yougoslave de
Macédoine…se sont élevées contre cette revendication .» (Les italiques sont de
nous.)
4.64. Il en résulte que la déclaration, la not e, la pratique du dépositaire et la réaction des
Etats tiers, dont la Bosnie-Herzégovine elle-même, n’ ont jamais ne serait-ce que laissé entrevoir la
moindre possibilité que la déclaration de 1992 a it pu valoir notification de succession de la
Serbie-et-Monténégro aux traités auxquels l’ex-Yougoslavie était partie, y compris à la convention
sur le génocide; au contraire, elles ont plutôt exclu cette possibilité.
4.65. Madame le président, Messieurs de la Cour, je viens de démontrer que la
Serbie-et-Monténégro n’avait jamais donné notif ication de sa succession à la convention sur le
génocide. Je vais à présent démontrer en outre qu’elle n’aurait jamais pu se trouver liée par cette
convention par voie de succession automatique, puis qu’aucune règle en matière de succession
automatique n’existait avant l’adoption en1978 de la convention de Vienne sur la succession
d’Etats en matière de traités, et qu’aucune règle de ce type n’a été établie depuis.
51 2. La compétence de la Cour ne saurait être fondée sur la thèse de la succession automatique
aux traités
4.66. Je commencerai par un simple constat : nul ne conteste aujourd’hui que la RFY ait vu
le jour le 27 avril 1992. Si elle était effectivem ent devenue partie à la c onvention sur le génocide
31
Disponible à l’adresse Internet suivant:ehttp: //untreaty.un.org/FRENCH/bible/frenchinternetbible/
historicalinfo.asp. - 46 -
en vertu d’un prétendu principe de succession au tomatique, cette norme de droit international
coutumier aurait donc dû exister à cette date.
4.67. Il s’ensuit que toute pratique d’Etats ou d’organes de l’Organisation des Nations Unies
susceptible d’étayer la thèse de la succession automatique, mais postérieure au 27 avril 1992, serait
en soi dépourvue de pertinence pour notre propos parce qu’intervenue ex post facto.
4.68. Madame le président, l’hypothèse selon laquelle la RFY aurait pu devenir liée par la
convention sur le génocide en vertu du préte ndu principe de «succession automatique» est
contredite par
⎯ l’historique de la rédaction de la convention de Vienne de 1978;
⎯ la pratique du conseiller juridique de l’Organisation des Nations Unies;
⎯ la pratique des Etats en la matière;
⎯ la pratique suivie par les dépositaires;
⎯ enfin, par la pratique des Etats (notamment celle du demandeur lui-même) à l’égard, plus
spécifiquement, de l’ex-Yougoslavie.
4.69. Déjà dans le cadre de ses travaux préparatoires à la conférence diplomatique
de1977-1978, au cours de laquelle fut finaleme nt adoptée la convention de Vienne sur la
succession d’Etats en matière de traités, la CDI s’était demandée si le principe de succession
automatique devait s’appliquer aux traités de car actère normatif tels que les conventions de
Genève. Elle conclut par la négative.
4.70. S’étant longuement penchée sur la question, la CDI affirma que
«[l]a pratique suivie par les Etats semble…en contradiction manifeste avec la thèse
selon laquelle un Etat nouvellement indépendant a l’obligation de se considérer lié par
un traité général de caractère normatif qui ét ait applicable à l’égard de son territoire
avant son accession à l’indépendance» 32.
4.71. La CDI releva également que la pratique des Etats à l’égard des conventions de Genève
était contradictoire. Si certains d’entre eux avaient notifié leur succession, beaucoup d’autres
52 33
étaient devenus parties par adhésion , ce qui infirmait incontestablement la thèse de la succession
automatique.
32
Annuaire de la Commission du droit international, 1970, vol. II, p. 38-39, par. 15.
33
Voir ibid., 1974, vol. II/I, p. 44-45. - 47 -
4.72. La CDI observa notamment que les tra ités à caractère norma tif ne pouvaient être
soumis à un régime de succession automatique, au motif qu’ils étaient susceptibles de «contenir des
dispositions «purement conve ntionnelles», telles qu’une disposition relative à l’ arbitrage
34
obligatoire des différends» . Il va sans dire que ce point est particulièrement pertinent en ce qui
concerne l’article IX de la convention sur le génocide. La CDI choisit donc délibérément de ne pas
inclure dans ses projets d’articles une disposition spécifique concernant les traités à caractère
normatif, qui aurait également pu valoir pour la convention sur le génocide.
4.73. Au cours de la conférence diplomati que de Vienne, d’autres propositions analogues en
faveur de la succession automatique aux traités à caractère normatif furent retirées, à mesure qu’il
35
devenait manifeste qu’elles ne recueilleraient pas suffisamment d’adhésions .
Le PRESIDENT : Monsieur Zimmerman, auri ez-vous l’amabilité, pour faciliter la tâche des
interprètes, de parler un peu plus lentement ? Je vous remercie.
M. ZIMMERMAN : Certainement, Madame le président.
4.74. Cette approche correspondait également à la position adoptée par le conseiller juridique
de l’Organisation des NationsUnies, qui avait déjà déclaré, à propos de la convention de Genève
relative au statut des réfugiés: «le Secrétaire général, en sa qualité de dépositaire des accords
internationaux, considère qu’un Etat présumé successeur à un accord ne devient partie à cet accord
36
qu’après le dépôt d’une notification de succession se référant audit accord» .
4.75. Ainsi, avant 1978, aucune règle de succession automatique n’avait été établie
s’agissant des traités relatifs aux droits de l’homme. Reste la période allant de 1978 à 1992 ⎯ un
intervalle de moins de quinze ans. Je montrerai à présent qu’aucune règle de succession
automatique n’a vu le jour, en droit international coutumier, dans ce laps de temps non plus.
53 4.76. Madame le président, Messieurs de la Cour, l’on se souvient de ce qu’a dit cette
dernière, dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord , à propos d’une période
également brève ⎯ les onze années qui s’étaient écoulées entre 1958 et 1969 :
34Ibid., p. 45; les italiques sont de nous.
35
Voir M. Yasseen, La convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de traités, AFDI 1978, p. 107.
36Voir Nations Unies, Annuaire juridique, 1976, p. 227. - 48 -
«Bien que le fait qu’il ne se soit écoulé qu’un bref laps de temps ne constitue
pas nécessairement un empêchement à la formation d’une règle nouvelle de droit
international coutumier…il demeure indispen sable que dans ce laps de temps, aussi
bref qu’il ait été, la pratique des Etats, y compris ceux qui sont particulièrement
intéressés, ait été fréquente et pratiquement uniforme… » (Affaires du Plateau
continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark;
République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 43, par. 74;
les italiques sont de nous.)
4.77. Cette condition n’a manifestement pas ét é remplie, ni ne pouvait l’être, en la présente
espèce. La pratique des Etats est loin d’avoir été «pratiquement uniforme» et n’a, par ailleurs, pas
été «fréquente». Du reste, la pratique des Etats en général ⎯ et en particulier celle concernant le
défendeur ⎯ va à l’encontre de la thèse de la succession automatique.
4.78. Il convient tout d’abord de noter que, s’agissant de la succession à des traités relatifs
aux droits de l’homme, toute pratique des Et ats fait quasiment défaut jusqu’au début des
années 1990, les cas de succession d’Etats ayant été extrêmement rares entre 1978 et 1990.
4.79. La pratique existante des Etats, et notamment celle des Etats successeurs (ceux
«particulièrement intéressés» au sens de votre dictum dans les affaires du Plateau continental de la
mer du Nord ), ne conforte pas la thèse de la successi on automatique. Au contraire, la pratique
pertinente étaye l’idée que les traités relatifs aux droits de l’homme ne sont pas soumis au régime
de la succession automatique.
4.80. Il en va ainsi, tout d’abord, en ce qui concerne la pratique des Etats qui ont succédé à
l’ex-URSS, qui ne corrobore pas la thèse de la succession automatique, et moins encore de manière
«pratiquement uniforme», mais la contredit bien plutôt. De fait, si certains des Etats successeurs de
l’URSS ont soumis des notifications expresses de succession, d’autres n’ont entrepris aucune
démarche. Plus important encore, un grand nombre d’Etats successeurs apparus sur le territoire de
l’ex-URSS ont adhéré à certains des grands traités relatifs aux droits de l’homme fondamentaux
tels que
54 ⎯ les deux Pactes internationaux relatifs, respec tivement, aux droits civils et politiques 37 et aux
38
droits économiques, sociaux et culturels ;
37Sont devenus parties par adhésion au Pacte international relatif aux droits civils et politiques les pays suivants :
l’Arménie (23 juin 1993), l’Azerbaïdjan ( 13 août 1992), la Géorgie (3 mai 199Kirghizistan (7 octobre 1994), la
République de Moldova (26 janvier 1993), le Tadjikistan (4 janvier 1999), le Turkménistan (1 mai 1997), l’Ouzbékistan
(28 septembre 1995). - 49 -
⎯ la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ; 39
40
⎯ la convention contre la torture de l’Organisation des Nations Unies ;
⎯ la convention relative aux droits de l’enfant 4; et
⎯ la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale 42.
Or, tous ces traités avaient été ratifiés par l’URSS; la pratique confirme donc que les Etats
successeurs de l’URSS ne sont pas devenus liés par les divers traités relatifs aux droits de l’homme
par succession automatique.
4.81. La pratique d’autres Etats le confir me: le comportement des différents Etats
successeurs, y compris de ceux qui n’ont entrepris aucune démarche, ne permet pas de conclure à la
validité de la thèse de la succession automatique. La Serbie-et-Monténégro voudrait notamment
appeler l’attention de la Cour sur la décision de la Cour fédérale suisse indiquant que le Kazakhstan
n’a pas succédé au Pacte international relatif aux droits ci vils et politiques (PIDCP) faute de
55 notification à cet effet. Cette décision était libellée ainsi: «En tant qu’Etat successeur de
l’ancienne URSS, la République du Kazakhstan est libre d’exprimer ou non son consentement à
43
être liée par les traités auxquels l’Etat dont elle est issue est partie…» (Les italiques sont de
nous.)
4.82. J’ajouterai que, bien qu’il leur ait ét é donné de notifier leur succession à la convention
de Genève relative au statut des réfugiés, un grand nombre d’Etats nouvellement indépendants
38Sont devenus parties par adhésion au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels les
pays suivants: l’Arménie (13 septembre 1993), l’Azerbaïdja n (13 août 1992), la Géorgie (3 mai 1994), le Kirghizistan
(7ertobre 1994), la République de Moldova (26 janvier 199 3), le Tadjikistan (4 janvier 1999), le Turkménistan
(1 mai 1997), l’Ouzbékistan (28 septembre 1995).
39
Sont devenus parties par adhésion à cette convention les pays suivan ts: l’Arménie (13 septembre 1993),
l’Azerbaïdjan (10 juillet 1995), la Géorgie (26 octobre 1994), le Kazakhstan (26 août 1998), le Kirghizistan
(10février1997), la République de Moldova (1 erjuillet 1994), le Tadjikistan ( 26 octobre 1993), le Turkménistan
(1ermai 1997), l’Ouzbékistan (19 juillet 1995).
40Sont devenus parties par adhésion à cette convention les pays suivan ts: l’Arménie (13 septembre 1993),
l’Azerbaïdjan (16 août 1996), la Géorgie (26 octobre 199 4), le Kazakhstan (26 août 1998), le Kirghizistan
(5septembre1997), la République de Moldova (28 novembre 1995), le Tadjikis tan (11 janvier 1995), le Turkménistan
(25 juin 1999), l’Ouzbékistan (28 septembre 1995).
41Sont devenus parties par adhésion à cette convention les pays suivants: l’Arménie (23 juin 1993),
l’Azerbaïdjan (13 août 1992), le Kirghizistan (7 octobr e1994), la République de Moldova (26 janvier1993), le
Tadjikistan (26 octobre 1993), le Turkménistan (20 septembr e 1993), l’Ouzbékistan (29 juin 1994); le Kazakhstan l’est
devenu par ratification le 12 août 1994.
42
Sont devenus parties par adhésion à cette convention les pays suivants: l’Arménie (23 juin 1993),
l’Azerbaïdjan (16 août 1996), la Géorgie (2 juin 1995), Kazakhstan (26 août 1998), le Kirghizistan (5 septembre 1997), la
République de Moldova (26 janvier1993), le Tadjikistan ( 11 janvier 1995), le Turkménistan (29 septembre 1994), et
l’Ouzbékistan (28 septembre 1995).
43
Voir BGE, vol. 123 II, p. 518-519. - 50 -
⎯dont la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Burkin a Faso, le Cambodge, le Tchad, le Gabon,
Madagascar, la Mauritanie, les Bahamas, le Belize, la Dominique, le Kenya, les Seychelles, les îles
Salomon, la République-Unie de Tanzanie et le Zimbabwe ⎯ y ont au contraire adhéré, avant
comme après1978, ce qui infirme l’idée que les tr aités relatifs aux droits de l’homme étaient,
en 1992 du moins, soumis à une règle de succession automatique.
4.83. S’agissant plus particulièrement de la c onvention sur le génocide, la pratique étatique
va également, dans bien des cas, à l’encontre de la thèse de la succession automatique, puisqu’un
très grand nombre d’Etats successeurs ont adhéré à cette convention. Nombre d’autres ont
expressément notifié leur succession. Tous ces exemples témoignent de l’absence de pratique
uniforme, voire simplement dominante. La pratique ne vient nullement étayer ⎯ mais bien plutôt
ruiner ⎯ la thèse de la succession automatique.
4.84. Parmi les Etats qui ont adhéré à la conve ntion sur le génocide, plutôt que de notifier
leur succession à cet instrument ou de s’abstenir de toute form alité conventionnelle, figurent le
Rwanda 4, les Tonga 45, l’Algérie , le Bangladesh 47, ainsi que les Etats successeurs de l’URSS
suivants: l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Géorgie, le Kazakhstan, le Kirghi zistan, la République de
48
Moldova, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan .
4.85. Il est capital de noter que ⎯à la seule l’exception de la Croatie, de la
Bosnie-Herzégovine et de la Suède, au moment de l’adhésion de la RFY ⎯ aucune partie
contractante à la convention sur le génocide n’a, à ce jour, objecté à l’adhésion d’Etats successeurs
56
à cet instrument.
44
Par une déclaration en date du 13mars1952, la Belgi que avait étendu l’applicabilité de la convention sur le
génocide au territoire sous tutelle du Rwanda-Burundi; le Rwanda n’en a pas moins adhéré à la convention le
16 avril 1975.
45
Par une déclaration en date du 2juin1970, le Royaum e-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord avait
étendu l’applicabilité de la convention sur le génocide au Royaume des Tonga; les Tonga n’en n’ont pas moins adhéré à
la convention le 16 février 1972.
46
La convention sur le génocide était entrée en vigueur à l’égard de la France le 14octobre1950; l’Algérie y a
adhéré le 31 octobre 1963.
47
Le Pakistan avait ratifié la convention sur le gnocide au 12octobre1957; le Bangladesh y a adhéré le
5 octobre 1998.
48
Les pays ci-après sont devenus parties à la convention par adhésion : l’Azerbaïdjan (16 août 1996), l’Arménie
(23 juin 1993), la Géorgie (11 octobre 1993), le Kazakhstan (26 août 1998), le Kirghizistan (5 septembre 1997), la
République de Moldova (26 janvier 1993), l’Ouzbékistan (9 se ptembre 1999). Le Tadjikistan et le Turkménistan n’ont
accompli aucune formalité conventionnelle. Le Bélarus et l’Ukraine sont devenus parties contractantes de leur propre
chef en 1954. L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ne se considèrent pas comme des Etats successeurs de l’URSS. - 51 -
4.86. En outre, la Bosnie-Herzégovine a elle-m ême consenti à cette pratique dans le cas de
sept autres adhésions d’Etats successeurs de l’URSS, intervenues alors qu’elle-même était déjà
partie contractante à la convention sur le génocide.
4.87. De la pratique suivie par les dépositair es, il ressort de même que le principe de
succession automatique ne vaut pas pour les traités relatifs aux droits de l’homme. Le
comportement du Gouvernement suisse, en tant que dépositaire des c onventions de Genève
de1949, en offre une illustrati on. Le Gouvernement suisse a toujours considéré qu’un Etat
successeur devait, pour être enregistré comme partie contractante à l’une ou l’autre des
quatreconventions de Genève de 1949 ou à leurs protocoles additi onnels de 1977, soumettre une
notification spéciale précisant les traités auxquels il entendait succéder. M. le juge Caflisch, alors
qu’il était conseiller juridique du Gouvernement suisse, précisa à l’époque que la Suisse n’opérait
«à cet égard aucune distinction selon la natu re ou l’objet du traité. En matière de
succession d’Etats aux conventions de Genè ve la pratique du dépositaire suisse est
identique à celle qu’il observe pour d’au tres traités ouverts à l’ensemble de la
communauté internationale» . 49
4.88. Il en va de même de la pratique du Secrétaire général de l’Organisation des
NationsUnies. Le Secrétaire général est parvenu à la conclusion que, quand bien même il aurait
conclu un «accord de dévolution» ou soumis une déclaration générale de succession, un Etat
50
successeur ne peut être considéré comme partie contractante par succession .
4.89. La pratique des Etats qui sont particulièrement intéressés ⎯en l’espèce, par la
dissolution de l’ex-Yougoslavie ⎯ contredit elle aussi clairement la thèse de la succession
automatique. Le demandeur lui-même, à l’instar d’autres Etats successeurs de l’ex-Yougoslavie,
s’est systématiquement élevé contre l’idée qu e la RFY ait pu devenir partie par succession
automatique aux traités relatifs aux droits de l’homme.
4.90. Ainsi, au cours de la dix-huitièmeréunion des Etats parties au Pacte international
relatif aux droits civils et politique, le mars1994, MŠ . a ćirbej a, au nom de la
57 Bosnie-Herzégovine, proposé que «les Etats partie s décident que la République fédérative de
49
L. Caflisch, La pratique suisse en matière de droit international public 1996, SZIER 1997, p. 684.
50
Précis de la pratique du Secrétaire général en tant que dépositaire de traités multilatéraux, 1999, par. 302-304. - 52 -
Yougoslavie (Serbie-et-Monténégro) ne soit pas admi se à participer aux travaux de la réunion des
51
Etats parties au Pacte» .
4.91. La proposition de la Bosnie-Herzégovine reposait à l’évidence sur le postulat selon
lequel la RFY n’était pas partie contractante aud it traité. Cette motion de la Bosnie-Herzégovine
tendant à exclure la RFY de la réunion fut ad optée par cinquante et une voix contre une avec
52
vingt abstentions . Ce même scénario ⎯mêmes arguments, mêmes faits ⎯ se renouvela en
plusieurs autres occasions; or, dans tous les c as, le postulat d’une succession automatique aurait
conduit à la conclusion contraire, et la RFY aura it été autorisée à assister aux réunions des Etats
parties.
4.92. En d’autres termes, hors de cette grande salle de justice, la Bosnie-Herzégovine a
toujours maintenu que la RFY ne pouvait devenir partie aux traités relatifs aux droits de l’homme
que d’une seule manière: par notification expresse de succession. De notification, le défendeur
n’en a cependant jamais soumis dans le cas de la convention sur le génocide.
4.93. Madame le président, je montrerai ma intenant que, quand bien même la RFY serait
effectivement devenue partie ⎯ quod non ⎯ à la convention sur le génocide par succession
automatique, cette succession n’au rait pu s’appliquer qu’aux gara nties fondamentales prévues par
la convention, et n’aurait pu s’étendre à son article IX.
3. Même si la succession automatique aux règles découlant des traités en matière de droits de
l’homme était un principe communément re connu, cela ne pourrait concerner les
dispositions de l’article IX de la convention sur le génocide
4.94. Déjà en 1947, le conseiller juridi que de l’Organisation des Nations Unies
déclarait qu’«il ne [pouvait] y avoir manifestement de succession à l’égard des droits et obligations
de l’Etat prédécesseur tirés des traités à caractère politique tels que les traités…en matière de
règlement pacifique» 53.
4.95. Ce point de vue est également celui adopt é par la CDI dans le cadre de ses travaux sur
la codification du droit de la succession d’Etats en matière de traités. La CDI avait décidé
51
Nations Unies, doc. CCPR/SP/SR.18, annexe 17, p. 2, par. 2.
52
Ibid., p. 17, par. 23.
53Cité par O.Schachter, «The Development of In ternational Law through the Legal Opinions of the
United Nations Secretariat», BYBIL, 1948, P. 106. - 53 -
58 ⎯ comme je l’ai déjà évoqué ⎯ de ne pas faire entrer les tra ités à caractère «nor matif» dans une
catégorie particulière, qui aurait été soumise au principe de la succession automatique, notamment
au motif que ces traités étaient susceptibles de «contenir des dispositions «purement
conventionnelles», telles qu’une disposition prévoyant l’arbitrage obligatoire des différends» . 54
4.96. Il est encore confirmé par une décision de la Cour suprême du Pakistan qui a dit :
«en principe, un nouvel Etat ainsi formé sera seulement successeur à l’égard des droits
et des obligations nés des traités visant expressément ses territoires… mais pas des
droits et obligations découlant des traités concernant l’Etat … par exemple les traités
55
en matière … d’arbitrage» [traduction du Greffe].
4.97. Cette position ⎯à savoir que les obligations conve ntionnelles relatives au règlement
des différends, étant de nature essentiellement politique, ne peuvent être transmises en droit
international ⎯ est également confirmée par les écrits de D.P.O’Connell, qui font toujours
autorité en la matière. Après avoir constaté que l’objet des traités «va de la renonciation à la guerre
et du règlement pacifique des différends internati onaux aux poids et mesures, en passant par les
droits d’auteur et la contrefaçon», il continue : «[i]l est clair que ces traités ne peuvent pas tous être
transmis: aucun Etat n’a reconnu avoir succédé à l’Acte général pour le règlement pacifique des
56
différends internationaux» .
4.98. Il ressort donc clairement de la pratique et de l’opinion avisée de la doctrine que les
clauses conventionnelles prévoyant le règlement paci fique des différends ne sont pas concernées
par le principe de la succession automatique. Il en résulte que ce principe ne s’applique pas à
l’articleIX de la convention su r le génocide et que la RFY n’est pas tenue par cette disposition,
même dans l’hypothèse où le principe de la succession automatique en matière de traités
s’appliquerait aux dispositions de fond de la convention, ce qui n’est pas le cas.
D. Conclusion
4.99. Madame le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi de récapituler.
54
Ibid., p. 4; les italiques sont de nous.
55Cour suprême du Pakistan, Yangtze (London) Ltd. c. Barlas Brothers (Karachi) and Co. , arrêt du 6juin1961;
voir documents relatifs à la succession des Etats, série législative des Nations Unie s, ST/LEG/SER.B/14, p. 137 et suiv.;
cité également dans la déclaration duGouvernement indien faisant suite à sadéclaration du 28mai1973 et dans la
réponse à la lettre du Pakistan du 25mai1973, C.I.J. Mémoires et Plaidoiries,Procès de prisonniers de guerre
pakistanais (Pakistan c. Inde), 1973, p. 147-148); les italiques sont de nous.
56State Succession in Municipal Law and International Law, vol. II, 1967, p. 213; note de bas de page omise; les
italiques sont de nous. - 54 -
59 4.100. La Cour ne s’est jamais prononcée su r la question de savoir si, oui ou non, le
défendeur était devenu partie à la convention sur le génocide et se trouvait lié par son articleIX.
Cette question n’a donc pas été tranchée par une décision revêtant l’autorité de la chose jugée.
4.101. Même à supposer quele défendeur puisse être considéré comme pa rtie à la présente
instance ⎯ ce qui n’est pas le cas ⎯, la Cour aurait alors à examin er la question de la qualité de
partie à la convention sur le génocide de la Serbie-et-Monténégro par voie de succession.
4.102. A cet égard, nous soutenons que le défendeur ne s’est jamais trouvé lié par l’article IX
de la convention sur le génocide, puisqu’il n’est jamais devenu partie à celle-ci par voie de
succession.
4.La3. première raison à cela est que la déclaration du 27avril1992 ne vaut pas et ne
pouvait valoir acte de succession.
4.La4. deuxième raison en est que la Serbie-et-Monténégro n’a pas automatiquement
succédé à la convention sur le génocide.
4.1a5. troisième raison, invoquée à titre subsidiaire, est que la Serbie-et-Monténégro ne
s’est jamais trouvé liée par l’article IX de la convention sur le génocide par voie de succession
automatique du fait de la nature de cette disposition, qui prévoit le règlement judiciaire des
différends.
4.106. En conséquence, la Cour n’a pas compétence en l’espèce tout d’abord parce que la
Serbie-et-Monténégro ne pouvait avoir la qualité de partie à l’époque des faits. Ensuite, elle n’a
pas compétence ratione personae vis-à-vis du défendeur à l’égard des violations alléguées de la
convention sur le génocide.
4.107. Madame le président, Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé. Avant de
vous demander de donner la parole à mon collègue, M. Varady, qui conclura les plaidoiries de ce
matin, je tiens à vous remercier de votre aimable attention.
Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Zi mmermann. J’appelle à présent à la barre
M. Varady.
M. VARADY : Je vous remercie. - 55 -
Q UESTIONS DE PROCEDURES
5. Remarques de conclusion
5.1. Madame le président, Messieurs les juges, dans nos plaidoiries sur l’accès à la Cour et la
60 compétence de celle-ci, nous avons démontré que le défendeur n’avait pas qualité pour ester devant
la Cour au moment pertinent et qu’il n’était al ors nullement lié, pas davantage qu’aujourd’hui, par
l’articleIX de la convention sur le génocide, seule base de compétence avancée. Nous prions
respectueusement la Cour d’examiner ces questions, car nous estimons qu’elle y est pleinement
fondée. Aux termes de son arrêt en l’affaire du Conseil de l’OACI , la Cour «doit…toujours
s’assurer de sa compétence» ( Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde
c. Pakistan), C.I.J. Recueil 1972, p. 52).
5.2. Nous avons pleinement conscience qu’un tel examen à ce stade n’entre pas dans le cadre
de la procédure habituelle et doit demeurer exce ptionnel. Traditionnellement, la question de la
compétence est tranchée une fois pour toutes avant l’examen au fond. Ma is les circonstances de
l’espèce sortent pour le moins de l’ordinaire. A la vérité, l’on imagine mal une affaire justifiant
davantage un retour de la Cour sur les préal ables essentiels à l’examen de toute instance ⎯ l’on
conçoit difficilement qu’une affaire similaire puisse lui être soumise, qui s’inscrirait dans un cadre
aussi peu orthodoxe et aussi complexe, ou serait marquée par un tel retournement de perspective.
5.3. Notre éminent collègue M. Pellet a indiqué dans sa plaidoirie du 28 février que, dans les
circonstances de l’espèce, hésiter à statuer au fond «serait désastreux pour l’image de la Cour et de
la justice internationale»57. Madame le président, c’est la quê te de la vérité, et non la prudence
politique, qui a toujours dicté sa conduite à votre éminente Cour et c’est ce qui lui vaut une
réputation sans égale. Si le défendeur avait eu qualité pour ester devant la Cour au moment
pertinent, et s’il était soit demeuré soit devenu lié pa r l’article IX de la convention sur le génocide,
c’est bien évidemment en se déclarant compétente et en tranchant sur le fond que la Cour servirait
le mieux une réputation qui n’est plus à faire. Mais dès lors que le défendeur n’avait pas qualité
pour ester devant la Cour au moment pertinent, et n’était ni resté ni devenu lié par l’article IX de la
convention sur le génocide, c’est bien au cont raire une décision d’incompétence qui servira au
mieux l’image et la réputation de votre honorable Cour.
57
CR 2006/3, p. 16, par. 14 (Pellet). - 56 -
5.4. Madame le président, nous savons aujour d’hui que les réponses et les qualifications
initiales des autorités compétentes sur la situation de la RFY au moment de la dissolution de
l’ex-Yougoslavie étaient incomplètes et ambiguës. Nous savons également ⎯encore que depuis
peu ⎯ qu’elles ne furent pas tirées au clair par les autorités en question.
63 5.5. La dissolution de la Yougoslavie a not oirement engendré une situation difficile à
conceptualiser, que les réponses apportées n’ont pas permis d’éclairer. Tant ceux qui y prirent part
que les analystes en conviennent aujourd’hui ⎯tout comme, d’ailleurs, les Etats successeurs
eux-mêmes. Pour ne citer qu’un exemple, les cinqEtats successeurs ⎯y compris les Parties au
présent différend ⎯ ont ainsi, le 19novembre2001, adressé au Secrétaire général adjoint à la
gestion une lettre conjointe indiquant leur position commune :
«La dissolution de l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie a été en
fait un cas sans précédent. En effet, tous les cas antérieurs (comme l’éclatement de
l’ex-URSS ou de la Tchécoslovaquie) étaient di fférents si bien qu’ils ont entraîné des
conséquences juridiques différentes et il n’y a guère de chances que la même situation
puisse se reproduire. Il n’empêche que si cela devait arriver, l’Organisation des
Nations Unies devrait trouver le moyen d’agir comme il convient.» 58
5.6. Permettez-moi d’espérer très sincèremen t qu’une telle situation ne se reproduira pas.
J’ajouterai que les critiques implicites à l’égard d es autorités de l’Organisation des Nations Unies,
coupables de n’avoir pas adopté de position claire ni traité la questi on comme il se devait,
pourraient se doubler de critiques à l’égard des Etat s successeurs eux-mêmes, et notamment de la
RFY. Reste qu’aujourd’hui, les Etats successeurs ⎯ y compris les Parties à la présente instance ⎯
s’accordent à affirmer que le processus qui s’est dé roulé était sans précédent, et que les autorités
compétentes n’ont pas su y répondre ni le qualifier opportunément et en temps voulu.
5.7. C’est à cette situation controversée, ambiguë et incertaine que la Cour eut à faire face
en 1996, lorsqu’elle fut appelée à se prononcer sur l es exceptions préliminaires. Il n’existait alors
pas d’autres points de repère.
5.8. Mais ce qui importe davantage, c’ est que tout le monde s’accorde à reconnaître
aujourd’hui que la réalité est différente du tableau pr ésenté à la Cour lors de la phase préliminaire.
Tous, nous savons aujourd’hui que la RFY a été admise en qualité de nouveau Membre de
58Voir Nations Unies, doc. A/56/767, appendice n oIII, lettre datée du 19 novembre 2001, adressée au
Secrétaire général adjoint à la gestion par les représ permanents de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de
la Slovénie, de l’ex-République yougoslave de Macédoine et de la Yougoslavie. - 57 -
l’Organisation des Nations Unies en novembre 2000. Nul n’a voté contre cette admission, nul ne
s’y est opposé. Il est aujourd’hui communément ad mis, me semble-t-il, que le défendeur n’était
er
62 pas membre de l’Organisation des NationsUnies ni partie au Statut avant le 1 novembre 2000.
C’est ce qu’a affirmé clairement et sans équivoque le Secrétaire général ⎯c’est aussi ce qu’a
affirmé clairement et sans équivoque la Cour.
5.9. Dans ses arrêts de 2004 sur la Licéité de l’emploi de la force , la Cour a établi que la
Serbie-et-Monténégro n’avait pas qualité pour ester devant elle avant le 1 ernovembre2000 parce
qu’elle n’était pas membre de l’Organisation des Na tions Unies, et qu’elle n’y était fondée à aucun
autre titre. Ce point n’est bien évidemment p as sans pertinence pour la présente espèce. Non que
les arrêts de 2004 sur la Licéité de l’emploi de la force revêtent en quelque f açon l’autorité de la
chose jugée à l’égard de la présente affaire, ma is parce que la Cour a procédé là à un constat
conforme à la réalité des choses ⎯elle a tiré une conclusion objective dont il ne saurait être fait
abstraction dans la présente affaire.
5.10. Dans les affaires sur la Licéité de l’emploi de la force , la Cour a conclu qu’elle « se
d[evait] d’examiner la question pour tirer ses propres conclusions indépendamment du
consentement des parties» ( Licéité de l’emploi de la force , arrêts, par.36; les italiques sont de
nous).
5.11. Cet examen a mené la Cour à la conc lusion que la Serbie-et-Monténégro n’était pas
partie au Statut et n’avait en conséquence pas qualité pour ester devant elle. Cette conclusion n’est
bien évidemment pas limitée au cadre factuel des affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force. Si la Serbie-et-Monténégro n’était pas partie au Statut avant le mois de novembre 2000, il va
de soi qu’il ne lui était pas davantage loisible, avant cette date, d’ester devant la Cour dans d’autres
affaires.
5.12. Madame le président, aux arguments visan t à démontrer le défaut de qualité pour ester
devant la Cour s’ajoute cette autre exception d’incompétence que nous avons fait valoir: le
défendeur n’est ni demeuré ni devenu lié par l’artic leIX de la convention sur le génocide. Nous
avons également montré qu’avant de devenir Memb re de l’Organisation des NationsUnies, le
défendeur n’avait pas même qualité pour être pa rtie à la convention sur le génocide. Je me
contenterai de récapituler les principaux points de notre argumentation. - 58 -
5.13. Dans son arrêt de1996, la Cour s’ est prononcée sur les exceptions préliminaires
soulevées par le défendeur; elle ne s’est jamais pr ononcée sur la question de savoir si le défendeur
demeurait ou était devenu lié par la convention sur le génocide et son article IX. Cette question eût
été ultra vires, elle échappe absolument à l’autorité des précédents arrêts.
63 5.14. Nous avons démontré que le défendeur n’était pas demeuré lié par l’articleIX de la
convention sur le génocide. Nous avons commencé par réfuter cette affirmation, car en effet la
seule possibilité de relier la RFY et l’articleIX ne pouvait reposer que sur le postulat, admis à
l’époque de l’arrêt sur les exceptions préliminaires, selon lequel la RFY était demeurée liée par cet
article en tant qu’elle assurait la continuité de la personnalité et du st atut conventionnel de
l’ex-Yougoslavie. Aucun autre argument ne fut avancé qui aurait pu confirmer cette possibilité. A
la lumière de la nouvelle perspective désormais admise, cette hypothèse a perdu tout fondement.
5.15. Il est clair maintenant ⎯et, je pense, incontesté ⎯ que la RFY (aujourd’hui la
Serbie-et-Monténégro) n’a assuré la continuité ni de la personnalité juridi que internationale de
l’ex-Yougoslavie ni de son statut conventionnel. Le postulat d’une telle continuité a été battu en
brèche. La RFY s’est systématiquement vue démentie lorsqu’elle a cherché à faire valoir son
appartenance à des organisations internationales ou son statut à l’égard de traités au titre de la
continuité. En outre, la Cour s’est déclarée in compétente dans les affaires que la RFY avait
introduites contre huit Etats membres de l’OTAN, au motif que, entre 1992 et 2000, cet Etat n’était
pas membre de l’Organisation des Nations Unies ni partie au Statut. Il n’y avait pas continuité. La
RFY n’a pas assuré la continuité du statut ni ce lle de la personnalité de l’ex-Yougoslavie et n’est,
en conséquence, pas non plus demeurée liée par la convention sur le génocide.
5.16. Madame le président, Messieurs de la Cour, il est évident que le défendeur n’est pas
demeuré lié par l’article IX de la convention sur le génocide. Pour parer à tout argument contraire,
nous avons également démontré que le défendeur n’était pas non plus devenu lié par cet article.
Nous avons fait valoir que le dé fendeur n’avait jamais soumis de notification de succession à la
convention sur le génocide ⎯le fait n’a pas même été allégué. Le seul document qui ait été
évoqué est la déclaration du 27avril1992. Nous avons démontré que ce document n’avait pas
emporté succession, ni ne le pouvait. Il n’y a pas davantage eu de succession automatique ⎯ règle - 59 -
qui, en tout état de cause, n’aurait pas été applicable à l’articleIX, puisqu’il s’agit d’une clause
prévoyant le règlement judiciaire des différends.
5.17. Nous avons en outre montré que le défendeur n’avait même pas qualité pour être partie
à la convention sur le génocide avant de devenir Membre de l’Organisation des Nations Unies. S’il
est apparu que l’Etat défendeur n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies entre 1992,
année à laquelle cet Etat a vu le jour, et2000, année de son admission en qualité de nouveau
64 Membre, il est également apparu qu’il n’aurait en aucun cas pu devenir partie à la convention sur le
génocide pendant ce temps. Il n’y était tout simplement pas fondé. N’étant pas membre de
l’Organisation des NationsUnies, il n’aurait pu adhérer à la convention que s’il avait reçu
l’invitation prévue à l’article XI de celle-ci. A l’évidence, aucune invitation de cette nature ne lui a
été adressée; le demandeur ne l’a du reste pas pr étendu. Après son admission à l’Organisation des
NationsUnies, la RFY a adhéré à la convention ⎯en formulant une réserve à l’égard de
l’article IX.
5.18. Pour finir, permettez-moi de souligner une fois de plus que le statut conventionnel du
défendeur est aujourd’hui clairement attesté par le registre du dépositaire. Celui-ci confirme sans
équivoque que le défendeur n’est devenu partie à la convention sur le génocide que lorsqu’il a
adhéré à celle-ci, en 2001, adhésion assortie d’une réserve à son article IX.
5.19. Madame le président, Messieurs de la Cour, nous vous prions respectueusement de
considérer les arguments que nous vous avons soumis, d’examiner les questions d’accès et de
compétence, et de conclure à l’incompétence de la Cour en l’espèce, parce que le défendeur n’avait
pas qualité pour ester devant elle au moment pertin ent, et parce qu’il n’éta it pas, et n’est toujours
pas à ce jour, lié par l’articleIX de la conve ntion sur le génocide, seule base de compétence
alléguée. Je vous remercie de votre aimable attention.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Varady. Les plaidoiries étant terminées pour
ce matin, l’audience est maintenant levée et reprendra à 15 heures.
L’audience est levée à 12 h 40.
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