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CR 2006/6 (traduction)
CR 2006/6 (translation)
Jeudi 2 mars 2006 à 10 heures
Thursday 2 March 2006 at 10 a.m. - 2 -
10 Le PRESIDENT : Asseyez-vous, je vous en prie. La parole est à Mme Dauban.
Mme DAUBAN :
L A PRISE DES MUNICIPALITES DE LA BOSNIE ORIENTALE
1. Madame le président, Messieurs de la C our, dans la plaidoirie consacrée à Srebrenica,
nous avons déjà démontré à la Cour comment, de pa rt et d’autre de la Drina, les Serbes ont mené
en coordination étroite une opération de nettoyage ethnique. Nous avons aussi montré comment le
défendeur et les Serbes de Bosnie n’ont tenu aucun compte du fait que la Drina était en réalité, en
certains endroits, une frontière entre deux Etat s indépendants: la Bosnie-Herzégovine et la
Serbie-et-Monténégro.
2. De plus, nous avons démontré que le massa cre de Srebrenica constituait la phase finale du
nettoyage ethnique de l’ensemble de la vallée de la Drina, c’est-à-dire de l’ensemble de la
Bosnie-Herzégovine orientale, conformément à l’ idée de la Grande Serbie et aux objectifs
stratégiques n o1 et3, qui ont été traités par d’autr es membres de l’équipe juridique de la
Bosnie-Herzégovine.
3. Ce que nous n’avons pas encore fait, c’ est d’expliquer en détail de quelle manière
exactement le nettoyage ethnique de la Bosnie orientale a été exécuté. C’est ce que je vais montrer
à la Cour durant ma plaidoirie sur ce sujet.
1
4. La Bosnie-Herzégovine a déjà présen té, dans sa réplique du 23avril1998 , des éléments
prouvant que la prise des municipalités obéissait à un schéma préconçu. Nous avons parlé surtout
de Zvornik et d’Opstina Prijedor. Les preuves présentées dans notre réplique concernant les prises
de contrôle et les événements qui se sont déroulés dans ces municipalités provenaient
essentiellement de rapports établis par des organes des NationsUnies. Depuis1998, le travail du
TPIY a confirmé un grand nombre de ces faits et des conclusions qu’ils impliquent, et complété la
description des événements par de nombreux témo ignages et exposés d’experts, ainsi que par
d’autres documents rendus publics entre-temps.
1
Chap. 5, sect. 6 et 7. - 3 -
5. Pour illustrer ce qui s’est passé dans la par tie orientale de la Bosnie-Herzégovine, je me
fonderai principalement sur les conclusions du TPI Y sur les faits. S’il n’y a jusqu’ici qu’un
nombre limité de décisions de ch ambres de première instance et d’appel auxquelles je peux inviter
11 la Cour à se référer, il existe aussi un certain nombre d’autres sources très fiables auxquelles je me
permettrai de la renvoyer : par exemple les faits établis pour chaque affaire, les décisions rendues
sur les demandes d’acquittement et les dépositions de témoins dans des affaires qui n’ont pas
encore été tranchées.
6. Au cours de cette audience, je vous présen terai le schéma selon lequel se sont déroulées
les prises des municipalités situées dans la partie or ientale de la Bosnie-Herzégovine, en particulier
sur la Drina ou à proximité. Ces territoires figur ent sur la carte que vous voyez sur l’écran derrière
moi.
[Projection : carte de la Bosnie orientale indiquant les municipalités.]
J’aimerais préciser à la Cour que cette carte a été dressée par la Bosnie-Herzégovine sur la
base des cartes topographiques officielles établies par une société spécialisée.
7. En expliquant comment les municipalités de Bijelina, Fo ča, Zvornik, Višegrad,
Bosanski Šamac, Bratunac, Vlasenica et Brčko sont tombées sous le contrôle des Serbes, je décrirai
à la Cour un schéma qui s’est plus ou moins répété dans chacune de ces zones. Pour chaque
municipalité dont je vais parler apparaîtra sur l’écr an derrière moi une carte qui montrera à la Cour
où la municipalité en question est située et à quelle date elle a été prise.
Bijelina
[Carte.]
8. La prise de Bijelina, municipalité d’importa nce stratégique située près de la rive de la
Drina, a été l’un des premiers événements de la mi se en Œuvre du projet de Grande Serbie. Elle a
2
eu lieu le 31mars1992 . Elle a été précédée par l’escalade de la discrimination contre les
Bosniaques et les Croates de Bosnie, discriminati on qui a débouché sur de véritables violences.
Alija Gusalić, qui a témoigné devant la Chambre de première instance dans l’affaire Milošević,
avait servi dans les rangs de la JNA et était orig inaire de Bijeljina. Il a déclaré que des lettres
2TPIY, Le procureur c. Miloševi ć, affaire n IT-02-54-T, décision relatià la demande d’acquittement,
16 juin 2004, par. 223. - 4 -
avaient été envoyées aux réservistes par la défense territoriale, mais que celle-ci n’en avait pas
12 envoyé aux Musulmans de la municipalité 3. Il a également décrit le rôle qu’avaient joué les
paramilitaires de Serbie dans la prise de la municipalité, disant que ces paramilitaires étaient pour
l’essentiel commandés par Zeljko Ranotović, alias «Arkan», de sinistre mémoire ⎯ et c’est sous ce
nom que je le désignerai dans la suite de la plaidoirie ⎯, et par VojislavŠešelj, le chef du parti
4
radical serbe à Belgrade . Ces deux hommes ont été mis en accusation par le TPIY pour crimes
contre l’humanité et, Madame le président, Messieu rs les juges, ils sont tous deux originaires de
Serbie et sous l’autorité de la Serbie. M.Gusali ć a déclaré au Tribunal que ces groupes
paramilitaires avaient commencé à arriver dans la région quelques mois avant le début des
violences et avaient tenu des réunions et des séan ces de formation pour préparer la suite des
événements. D’après lui, il y avait environ cen thommes du groupe de Šešelj et cent de celui
d’Arkan 5.
9. La Chambre de première instance en l’affaire Milošević, en rejetant la demande
d’acquittement du chef de génocide, a considéré qu ’elle avait été saisie de preuves suffisantes pour
pouvoir conclure, au-delà de tout doute raisonnable, qu’un certain nombre d’événements s’étaient
6
effectivement produits . Je vais vous indiquer les plus im portants de ces événements, pour vous
donner une idée de la prise de Bijelina et de ce qui s’y est passé :
⎯ la décision mentionne la déposition d’un témoin protégé qui avait été chargé d’escorter des
convois transportant des armes, munitions et autre matériel militaire entre la Serbie et plusieurs
municipalités, dont Bijelina, Brčko et Zvornik;
⎯ quarante-huit non-Serbes on été tués, dont plusieurs di zaines dans le centre de la ville et même
derrière le quartier général du SDS, c’est-à-dir e le parti démocratique serbe, une formation
politique de la Republika Srpska;
3 o
TPIY, Le procureur c. Milošević, affaire n IT-02-54-T, témoignage de Alija Gusalić, 31 mars 2003, p. 18 258.
4Ibid., p. 18 259.
5Ibid., p. 18 259.
6TPIY, Le procureur c. Miloševi ć, affaire n IT-02-54-T, décision relativeà la demande d’acquittement,
16 juin 2004. Tous les événements énumérés sont décrits au paragraphe 225. - 5 -
⎯ la télévision de Bijeljin a avait annoncé à l’époque ⎯toujours selon la Chambre de première
instance ⎯ que les gardes du capitaine Dragan, les Tchetniks de Vojvoda et Mile Blagi ć
faisaient partie des groupes paramilitaires qui avaient participé aux violences;
⎯ la police locale avait une liste de noms de personnalités musulmanes de la ville qui devaient
être arrêtées. Il s’agissait en général d’homm es d’affaires et d’autres personnalités locales.
13 Ceux qui n’avaient pas été arrêtés aux points de contrôle ont été arrêtés chez eux par les
hommes d’Arkan, qui sont allés de porte en por te munis d’une liste de suspects; beaucoup
d’entre eux ont disparu;
⎯ pour ceux qui n’avaient pas été tués à Bijeljina, la vie est devenue peu à peu insupportable : les
non-Serbes ont été chassés de leur emploi et, da ns la mesure du possible, remplacés par des
Serbes; les biens des habitants bosniaques et bos no-croates ont été saisis. Puis il y a eu des
détentions arbitraires et des passages à tabac; enfin, environ deuxmille personnes, pour
l’essentiel des Musulmans, ont été détenues dans le camp de Batskovi ć, où au moins
cent personnes sont mortes et où de nombreuses atrocités ont été commises.
10. Le 4 avril992, Biljana Plavši ć, alors membre de la présidence de la
7
Bosnie-Herzégovine , est venue à Bijeljina pour féliciter Arkan de la prise de la ville. Il est
largement prouvé qu’Arkan a participé à la pri se de Bijelina à l’invitation de Biljana Plavši ć, mais
la déposition faite par le témoin protégé B-129, an cien secrétaire d’Arkan, devant la Chambre de
première instance en l’affaire Milošević, montre sur ordre de qui Arkan agissait. Permettez-moi de
citer l’extrait pertinent de cet interrogatoire :
«Question: ces opérations, à Bijelina, Zvornik et Br čko, lorsqu’elles se sont
déroulées qui donnait l’ordre aux hommes d’y participer ?»
La réponse du témoin :
«Réponse: Arkan disait toujours que les « tigres» n’allaient nulle part sans un
ordre de la sûreté d’Etat.» 8
7 Mme Plavši ć a démissionné quatre jours plutard, le 8 avril 1992. TPIY, Le procureur c. Biljana Plavši ć,
affaires nIT-00-39 et IT-00-40/1, Chambre de première instance, jugement portant condamnation, 27février2003,
par. 14.
8 TPIY, Le procureur c. Miloševi ć, affaire n IT-02-54-T, témoignage de B-129, 16 et 17avril2003,
p. 19425-19426. - 6 -
11. La Chambre de première instance en l’affaire Milošević, dans sa décision relative à la
demande d’acquittement, a conclu que «le plan serbe consistait à nettoyer Bijelina de sa population
non-serbe en s’attaquant d’abor d aux personnes ayant une influence économique, politique et
religieuse, afin que le reste de la population soit plus facile à contrôler 9». Lorsque Bijelina a été
prise, les noms des rues ont été changés et les cinq mosquées de la ville ont été détruites.
14 12. Madame le président, Messieurs de la Cour , en 1991, la population de Bijelina comptait
31,2% de Bosniaques, 59,2% de Serbes et 0,5% de Croates. Après la guerre, les Bosniaques
représentaient 2,6 % de la population, les Serbes 91,1 % et les Croates 0,7 % 10.
13. Un photographe de presse, Ron Haviv, a ét é autorisé à suivre les activités d’Arkan lors
des prises de municipalités. Il était aux côtés d’Arkan et de ses hommes à Bijelina, et j’aimerais
vous montrer trois des événements horribles qu’il a fixés sur sa pellicule. Ces images, Madame le
président, Messieurs de la Cour, ont été montrées au monde entier dans le célèbre et excellent
documentaire de la BBC intitulé «The Death of Yugoslavia».
[Enregistrement vidéo : séquence 13 Death of Yugoslavia ⎯ photos de Ron Haviv]
Foča
[Carte]
14. Je voudrais à présent vous parler de la municipalité de Fo ča, qui est le district le plus
méridional dont il sera question dans cette partie de ma plaidoirie. Fo ča est devenue célèbre à
cause de ses centres de détention, tout particulièrement celui de KP DOM, que Mme Karagiannakis
a présenté hier matin dans sa plaidoirie consacrée aux camps. J’aimerais faire un bref résumé des
événements qui se sont déroulés pendant la prise même de la municipalité, pour montrer une fois
encore que les prises des municipalités de la partie orientale de la Bosnie-Herzégovine suivaient un
schéma déterminé à l’avance.
9 TPIY, Le procureur c . Milošević, affaire n IT-02-54-T, décision relativeà la demande d’acquittement,
16 juin 2004, par. 225.
10
Chiffres fondés sur le recensementde la population de Bosnie-Herzégovine de1991, Institut national de la
statistique de la République de Bosn ie-Herzégovine, Sarajevo, décembre19 93; Ewa Tabeau, MarcinZoltkowski,
JakubBijak, Arve Hetland (service des données démographiques, bureau du procur eur, TPIY), «Ethnic Composition,
Internally Displaced Persons and Refugees From 47 Muni cipalities of Bosnia and Herzegovina, 1991 to 1997-98»,
présenté comme rapport d’expert en l’affaire Slobodan Milošević, 4 avril 2003. - 7 -
15. Avant la prise, Maksimovi ć, homme politique de la Republika Srpska, avait déclaré que
les Musulmans étaient les plus grands ennemis des Serbes. En outre, Karadži ć avait dit que soit la
Bosnie serait divisée en fonction de frontières ethniques, soit l’un des groupes ethniques serait
11
chassé de la zone . Des dirigeants du SDS avaient déclaré que, s’ils parvenaient au pouvoir, les
affaires politiques et économiques de Foča ne seraient dirigées que par des Serbes 12. Dans l’affaire
Krnojelac, la Chambre de première instance du TPIY a conclu que, dans les mois précédant
l’éclatement du conflit à Fo ča, les Serbes de Bosnie et l es Musulmans bosniaques avaient
15 commencé à s’armer, mais que les Serbes avaient mieux réussi dans cette entreprise puisqu’ils
13
avaient eu accès aux armes de la JNA et de la défense territoriale . Cette conclusion a été
confirmée par la Chambre de première instance ⎯ toujours du TPIY ⎯ dans le jugement Kunarac,
où la Chambre a constaté que le dépôt militaire de la JNA à Livade avait fourni des armes aux
14
combattants serbes de Bosnie .
16. Le 8avril1992, les forces milita ires serbes ont commencé à occuper Fo ča, qui a été
complètement occupée entre le 16 et le 17 avril 1992. Ces forces serbes comprenaient des soldats
bosno-serbes de la région, ainsi que des soldats de la République fédérale de Yougoslavie, et
notamment une formation paramilitaire ser be connue sous le nom d’Aigles blancs 15 (dirigée par
Milan Lukić). Madame le président, Messieurs les jug es, c’est une attaque dans laquelle Belgrade
était directement impliquée, et qui a eu lieu après que la Bosnie-Herzégovine eut été reconnue
comme un Etat souverain sur le plan international.
17. Une fois que les forces serbes eurent pris le contrôle de certaines parties de Fo ča, la
police militaire, accompagnée par des soldats de la région et d’autres soldats, a commencé à arrêter
les Musulmans et autres habitants non serbes. Les femmes et les hommes ont été séparés. A partir
11
TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajišnik, décision relative aux troisième et quatrième requêtes de l’accusation
visant à faire dresser constat judiciaire de faits admis, 24 mars 2005, n°338.
12 o
TPIY, Le procureur c. Milorad Krnojelac, affaire n IT-97-25, jugement, 15 mars 2002, par. 15.
13Ibid., par. 16.
14TPIY, Le procureur c . Dragoljub Kunarac, affaires n IT-96-23 etIT-96-23/1-A, jugement, 12juin2002,
par. 18.
15TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajišnik, affaire n T-00-39-PT, faits admis, 28 février 2003, par. 360. - 8 -
du 14avril1992 environ, la prison de KP Dom est devenue le principal centre de détention
d’hommes pour les Musulmans et autres non-Serbes. Y étaient également détenus quelques Serbes
qui avaient tenté de se soustraire au service militaire.
18. En1991, la population de Fo ča comptait 51,3% de Bosniaques, 45,2% de Serbes
et0,2% de Croates. Après la guerre, les Bosn iaques représentaient 3,7% de la population, les
Serbes 92,6 % et les Croates 0,3 % 16.
Zvornik
[Carte]
19. La municipalité de Zvornik est située à l’ex trême est de la Bosnie, sur les rives de la
Drina. Ce sont des scènes de la prise de cette ville qui ont été montrées au monde entier dans le
documentaire «The Death of Yugoslavia», cr éant une onde de choc dans la communauté
internationale. Les faits et conclusions détaillés recueillis jusqu’en 1998 par différents organes des
NationsUnies qui enquêtaient sur la situation à Zvornik figurent parmi les preuves que la
17
16 Bosnie-Herzégovine a présentées à la Cour dans sa réplique . Comme je l’ai déjà partiellement
montré, et comme je vais continuer à le montrer à la Cour ce matin, Zvornik n’a été ni la première
localité, ni la dernière, à subir un nettoyage ethnique qui visait à favoriser la réalisation de l’objectif
stratégique consistant à ôter à la Drina son rôle de frontière.
20. Le témoignage d’Izet Mehinagi ć, homme d’affaires important de Bosnie qui a eu des
contacts fréquents avec les hommes politiques bosno- serbes au cours de la période pertinente,
confirme le rôle des paramilitaires de Belgrade dans la prise des municipalités. Les faits qu’il a
relatés devant la Chambre de pr emière instance dans l’affaire Milošević démontrent qu’Arkan, qui
était sous le contrôle et sous les ordres de Belgrade, dirigeait le parti démocratique serbe (SDS)
dans les opérations menant à la pr ise de la ville. Permettez-moi de citer sa déposition : «Arkan a
déclaré qu’à moins que les Musulmans ne déposent les armes d’ici 17heures, la destinée de
18
Zvornik serait la même que celle de Bijeljina.»
16
Op. cit., note 10.
17Chap. 5, sect. 6.
18TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajišnik , affaire nIT-00-39&40, témoignage d’Izet ehinagic,
26 avril 2005, p. 12 609. - 9 -
21. Certaine des formations paramilitaires qui ont participé à la prise de Zvornik sont aussi
celles qui ont participé aux prises et aux crimes commis dans d’autres municipalités de Bosnie
orientale, ce sont les groupes que j’ai déjà mentionnés: les «Tigres» d’Arkan et les hommes de
Seselj 1. La prise proprement dite de Zvornik a eu lieu le 9avril1992. J’aimerais montrer à la
Cour un bref enregistrement vidéo d’un entretie n avec M. Jose-Maria Mendiluce, fonctionnaire du
Haut Commissariat des NationsUnies pour les réfugiés qui travaillait en Bosnie-Herzégovine
en 1992. Dans cet entretien, M. Mendiluce indique clairement d’où venaient les tirs sur Zvornik.
[Enregistrement vidéo : Mendiluce 1.]
22. Les scènes auxquelles M.Mendiluce a a ssisté lors de son passage à Zvornik le
9avril1992 donnent littéralement la nausée. J’ai merais montrer à la Cour quelques unes de ces
images, qui ont, elles aussi, été diffusées dans le documentaire de la BBC «The Death of
Yugoslavia». Elles donnent en effet une idée clai re de la façon dont la municipalité a été prise
⎯ de la façon dont cette prise s’est réellement déroulée.
[Enregistrement vidéo : Mendiluce 2.]
17 Višegrad
[Carte.]
23. Višegrad, municipalité située à l’extrême est de la Bosnie, sur la Drina, à la frontière
avec la Serbie-et-Monténégro, était une autre zone d’importance stratégique qui devait être placée
sous contrôle serbe pour que la Drina perde son rôle de frontière ⎯ l’objectif stratégique n o3. Les
Musulmans de Bosnie ont été désarmés au début de 1992, tandis qu e les Serbes, avec le soutien de
la JNA, commençaient à s’armer 20. A Višegrad, la mise en Œuvre du projet serbe contre les
Bosniaques et les Musulmans de Bosnie a commencé au début du mois d’avril 1992 : le 14 avril, le
corps d’Uzice, une unité entièrement serbe de la JNA, a bombardé Višegrad, et de nombreux
21
Musulmans ⎯des Musulmans de Bosnie ⎯ ont fui la ville . La JNA, bien qu’elle eût assuré
qu’elle était là pour maintenir la paix et non p as en tant que force d’agression, a annoncé à des
19 o
TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronji ć, affaire n IT-02-61-S, jugement relatif à la sentence rendu le
30 mars 2004, par. 68.
20TPIY, Le procureur c. Mitar Vasiljević, affaire n IT-98-32, jugement rendu le 29 novembre 2002, par. 41.
21Ibid., par. 42. - 10 -
centaines de Bosniaques et de Croates de Bosnie , après les avoir rassemblés dans le stade de
football, qu’elle avait nettoyé les zones où se trouvaient selon elle des «forces réactionnaires»
⎯ cela se passait sur la rive gauche de la Drina. L es civils vivant sur la rive droite de la Drina ont
été avertis qu’ils ne pouvaient pas rentrer chez e ux; beaucoup d’entre eux ont donc pris la fuite ou
22
se sont cachés .
24. Juste après la prise de la ville, Jovanovi c, lieutenant-colonel de la JNA, a fait une
déclaration concernant le nettoyage de Višegrad, dans laquelle il a dit que le groupe paramilitaire
23
des «Aigles Blancs» était sous son commandement .
25. Lorsque la JNA «s’est retirée» de la m unicipalité le 19mai1992, date fixée par le
Conseil de sécurité des NationsUnies pour le re trait de Bosnie de toutes les forces de la
République fédérale de Yougosla vie, les formations paramilit aires sont restées à Višegrad 2. Les
actes commis par l’une des formati ons paramilitaires dans cette m unicipalité sont au cŒur d’une
décision rendue par une chambre d’appel et une chambre de première instance du TPIY contre l’un
18 de ses membres, MitarVasiljevi ć 25. L’affaire Vasiljević repose sur deux actes particulièrement
horribles et notoires. Le 7juin1992, les Ai gles Blancs ont emmenés par la force sept hommes
musulmans au bord de la Drina, où ils les ont ali gnés et les ont abattus de sang froid. Cinq d’entre
eux ont été tués; les deux autres n’ont dû la vie qu’a u fait qu’ils sont tombés à l’eau et ont feint
26
d’être morts . Juste une semaine plus tard, les Aigles Blancs ont commis une autre atrocité, encore
plus effroyable: ils ont conduit un groupe de femme s, d’enfants et de vieillards musulmans dans
une maison, les ont dépouillés de leurs objets de valeur et les ont enfermés dans une pièce. Puis ils
ont mis le feu à la maison. Ceux qui sont parvenus à sortir ont été suivis par des projecteurs et se
sont fait tirer dessus. Entre soixante-cinq et soixante -dix civils sont morts au cours de cet incident.
Les quelques survivants ont tous gardé de graves séquelles physiques 27.
22
Ibid., par. 44.
23 TPIY, Le procureur c. Milošević, affaire n IT-02-54-T, témoignage de B-1505, 2 septembre 2003, p. 25 827.
24 TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajišnik, décision relative aux troisième et quatrième requêtes de l’accusation
visant à faire dresser constat judiciaire de faits admis, 24 mars 2005, n 630.
25 TPIY, Le procureur c. Mitar Vasiljević, affaire n IT-98-32, jugement rendu le 29 novembre 2002, jugement de
la Chambre d’appel rendu le 25 février 2004.
26 TPIY, Le procureur c. Mitar Vasiljević, affaire n IT-98-32, jugement rendu le 29 novembre 2002, par. 98-99.
27
Ibid., par. 117. - 11 -
26. Madame le président, Messieurs les juges, c’est Vinko Pandurević qui dirigeait les forces
28
bosno-serbes dans cette zone . Vinko Pandurević était un officier de la VJ, l’armée yougoslave. Il
était aussi officier de la VRS, l’armée serbe de Bo snie, mais il est toujours resté sous l’autorité de
Belgrade. Nous avons présenté à la Cour une partie de son dossi er militaire dans les documents
o
que nous avons déposés le 16janvier2006 . L’un de ces documents, le n 45 e), indique que
Pandurević a pris ses fonctions de lieutenant- colonel le 10novembre1993, au 30 ecentre du
personnel de l’armée de la Yougosla vie. Bien qu’il ait été, à l’époque, lieutenant-colonel de la
VRS commandant la brigade de Zvornik du corps de la Drina, il n’en est pas question dans le
dossier de l’armée serbe de Bosnie. En raison de ses actions durant le conflit, et particulier en ce
qui concerne Srebrenica, Pandurević a été mis en accusation par le TPIY pour génocide.
27. Les faits établis par la Chambre de première instance du TPIY dans l’affaire Krajišnik
comprennent certains faits qui avaient été établis lors d’un ou plusieurs procès antérieurs, et qui
avaient été confirmés en appel ou n’avaient pas fait l’objet d’un appel. Ils ont par conséquent été
vérifiés et confirmés à plusieurs reprises par le TPIY, et l’on peut leur accorder le plus grand crédit.
Permettez-moi de vous présenter quelques-uns des faits établis concernant la prise de Višegrad :
19 ⎯ au cours des quelques mois qui ont suivi, d es centaines de non-Serbes, pour la plupart des
29
Musulmans, hommes, femmes, enfants et vieillards ont été tués ;
30
⎯ les habitations de Musulmans ont été pillées et souvent incendiées ;
⎯ les deux mosquées de la ville de Višegrad ont été détruites 31;
⎯ en l’espace de quelques semaines, la municipa lité de Višegrad a été presque entièrement
nettoyée de ses citoyens non serbes, et elle a finalement été intégrée à ce qui est aujourd’hui la
Republika Srpska (RS) 32.
28TPIY, Le procureur c. Vinko Pandurevi ć, affaire n IT-05-88-PT, acte d’accusa tion modifié et consolidé,
28 juin 2005, par. 12.
29TPIY, Le procureur c. Momcilo Krajišnik, décision relative aux troisième et quatrième requêtes de l’accusation
visant à faire dresser constat judiciaire de faits admis, 24 mars 2005, n
30Ibid., n 645.
31Ibid., n 646.
32 o
Ibid., n 650. - 12 -
28. En1991, la population de Višegrad comp tait 63,6 % de Bosniaques, 31,8 % de Serbes
et0,2%de Croates. Après la guerre, les Bosn iaques représentaient 0% de la population, les
Serbes 95,9 % et les Croates 0,6 % 33.
Bosanski Samac
29. Madame le président, Messieurs de la Cour, le 17 avril 199 2, BosanskiSamac,
municipalité située sur les bords de la Save qui sépar e la Bosnie et la Croatie, a été prise de force
par des forces militaires serbes, c’est-à-dire des para militaires serbes et la JNA agissant de
concert . Il n’est pas surprenant que la RFY ait été si directement impliquée dans la prise de cette
municipalité, celle-ci était tactiquement très impor tante pour la réalisation du premier objectif des
Serbes de Bosnie.
30. Le TPIY a examiné un grand nombre des faits concernant la prise de cette municipalité et
35
statué à leur égard dans un procès contre plusieurs accusés, l’affaire Simić . Je voudrais exposer à
la Cour les principales conclusions de fait de la chambre de première instance :
«⎯A partir de la prise de la municipalité , les forces serbes ont participé à l’exécution
d’un plan visant à persécuter la population civile non serbe 36.
20 ⎯ Après la prise de la municipalité, il est de venu de plus en plus difficile pour les
non-Serbes d’y vivre: leurs biens ont été systématiquement pillés et eux-mêmes
37
arbitrairement arrêtés et détenus .
⎯ Des paramilitaires serbes, des membres serbes de la police locale et des soldats de
la JNA ont participé à l’arrestation de civils musulmans et à des actes de violence
à l’encontre de ces civils alors qu’ils étaient en détention 38.
⎯ Les non-Serbes de cette municipalité ont été détenus à partir d’avril 1992 dans les
er
casernes de la JNA à Brcko, puis à Bijelina à partir du 1 ou du 2 mai 1992. Ils y
ont subi des sévices 39.
⎯ Des détenus musulmans de Bosnie ont été tr ansférés en Serbie, de l’autre côté de
la frontière et détenus à Batajnica.» 40
33 Op. cit., note 10.
34 o
TPIY, Le procureur c. Blagoje Simić, affaire n IT-95-9-T, jugement, 17 octobre 2003, par. 442-456.
35 o
TPIY, Le procureur c. Blagoje Simić, affaire n IT-95-9-T, jugement, 17 octobre 2003.
36
Ibid., par. 984.
37 Ibid., par. 791, 842-843 et 846.
38 Ibid., par. 654-659, 661-666.
39 Ibid., par. 568, 700, 708, 714.
40
Ibid., par. 442-456, 654-669, 718, 770, 984. - 13 -
31. Dans la nuit du 7 mai 1992, des membres de la sécurité d’Etat de la République fédérale
de Yougoslavie ont massacré, dans cette munici palité, seize hommes détenus à Crkvina. Les
survivants ont été forcés de ramasser les corps et de nettoyer le sang et de charger les cadavres à
41
bord d’un camion . Deux jours plus tard, une réunion a eu lieu à Belgrade, au Secrétariat fédéral à
la défense populaire, au cours de laquelle de hauts responsables de Belgrade ont été informés de ce
42
massacre . Ces actes perpétrés par des ag ents de l’Etat de la Républi que fédérale de Yougoslavie
n’ont donné lieu à aucune condamnation. En fait, les Forces spéciales de la République fédérale de
Yougoslavie ont continué de commettre des actes de torture, des meurtres et des agressions
sexuelles pendant tout le mois de mai. Pour vo us donner plus de précisions à ce sujet, je voudrais
citer les conclusions de la chambre de première instance du TPIY dans l’affaire Todorović, qui
43
reposaient notamment sur le plai doyer de culpabilité de l’accusé . Elles établissaient les faits
suivants :
«⎯la prise, par les forces serbes, de vill es et villages habités par des civils non
serbes; le meurtre, les violences sexuelles et les sévices corporels répétés infligés à
de nombreux civils non serbes détenus dans divers camps de détention de la
région;
⎯ la détention illégale de civils non serbes, dans des conditions inhumaines, pour des
raisons politiques, raciales ou religieuses;
⎯ les traitements cruels et inhumains inflig és à des civils non serbes, y compris les
sévices corporels, la torture, les travaux forcés et la détention dans des conditions
inhumaines;
21 ⎯ l’interrogatoire de civils non serbes qui avaient été arrêtés et détenus et l’extorsion
de signatures au bas de fausses déclarations;
⎯ la déportation, le transfert forcé et l’e xpulsion de leurs maisons et villages, de
civils non serbes et
⎯ des ordres et directives qui [faisaient] fi du droit des civils non serbes à l’égalité
de traitement devant la loi et bafouaient leurs droits fondamentaux».
41
Ibid., par. 667.
42
Ibid., par. 363.
43TPIY, Le procureur c. Stevan Todorovi ć, affaire noIT-95-9/1-S, jugement portant condamnation,
31 juillet 2001, par. 12. - 14 -
32. Madame le président, Messieurs les j uges, en 1991, la population de BosanskiSamac
était constituée de 6,8 % de Bosniaques, 41,4 % de Serbes et 44,7 % de Croates. Après la guerre,
44
les Bosniaques représentaient 1,9 % de la population, les Serbes 91,5 % et les Croates 1,3 % .
Bratunac
33. La municipalité de Bratunac est située sur la Drina, juste à la frontière avec la
Serbie-et-Monténégro. Selon la «Directive rela tive aux variantes A et B», publiée par le parti
démocratique serbe, Bratunac était une municipalité de type B ⎯ les Serbes y étaient donc
minoritaires. Le président de la cellule de crise et commandant de la défense territoriale,
Miroslav Deronjić, a été mis en accusation par le TPIY et il a plaidé coupable de crimes contre
l’humanité. Le jugement qui le condamne résume les événements qui se sont déroulés à Bratunac
45
et reprend le récit détaillé qu’il en a donné .
34. Comme on vous l’avez déjà dit, le rôle de Miroslav Deronji ć a été déterminant dans la
prise de la municipalité de Bratunac. Cette m unicipalité avait une importance stratégique et les
Serbes devaient la contrôler pour pouvoir faire le lien avec l’Etat serbe contigu 46. Je voudrais vous
citer les conclusions de la cham bre de première instance dans s on jugement portant condamnation
de Deronjić :
«Dans le cadre des opérations visant à ga rantir que la municipalité de Bratunac
devienne un territoire ethniquement serbe, «des volontaires» de la RFSY, avec la
coopération des autorités de cette dern ière, ont traversé la Drina le14 ou
15 avril 1992… En pénétrant en Bosnie-Herzégovine, ils avaient pour objectif d’aider
les Serbes de Bosnie à prendre le pouvoir et à expulser de force les Musulmans de la
région.» 47
35. La Cour a entendu décrire comment Deronji ć avait pris la tête des opérations visant à
exécuter les ordres de mobilisation de toutes les forc es de police serbes, des forces de réserve de la
JNA, et ainsi que de la défense territoriale. Le ur participation ne s’est pas arrêtéelà. Toujours
selon le jugement de condamnation, fondé sur l’expo sé des faits de l’accord sur le plaidoyer et sur
22 le témoignage de Deronjić ⎯ qu’il a donné deux fois ⎯ la prise de la municipalité a été menée par
44
Op. cit., note 10.
45 o
TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronji ć, affaire nIT-02-61-S, jugement portant condamnation,
30 mars 2004.
46Ibid., 30 mars 2004, par. 49.
47Ibid., par. 69. - 15 -
le capitaine Reljić de la JNA, la défense territoriale, les paramilitaires et les forces de police serbes
de Bosnie. Je cite maintenant la chambre de première instance : «L’arrivée de l’unité de la JNA
commandée par le capitaine Reljić et celle des «volontaires» de Serbie avaient été décidées par les
48
plus hauts responsables de la Republika Srpska et de la RFSY.»
D3e6r.onji ć a déclaré dans son témoignage que leur commandant avait rencontré les
dirigeants des communautés musulmanes de Srebre nica et de Bratunac et leur avait adressé un
ultimatum leur enjoignant de rendre les armes et de laisser le pouvoir aux Serbes de Bosnie, faute
de quoi leurs villes seraient détruites par des milliers de soldats serbes concentrés de l’autre côté de
49
la Drina, en Serbie . Deronjić, dans l’exposé des faits de son plaidoyer de culpabilité, a déduit que
les unités paramilitaires avaient été envoyées depuis la Serbie vers ces régions et qu’elles avaient
commencé à employer la force contre la population musulmane 50. A partir des révélations faites
par Deronjić dans son témoignage, la chambre de première instance a conclu que :
«L’objectif final ou ultime d’un tel co mportement était d’expulser la population
non serbe de ces municipalités. Comme l’accusé avait eu l’occasion de suivre ces
événements dans l’est de la Bosnie et à Podrinje, municipalité proche de Bratunac et
dont la population était composée de manière similaire, il a été en mesure de déduire
que l’aspect opérationnel ⎯c’est-à-dire la concrétisation de l’emploi de la force ⎯
51
était dirigé à partir de Belgrade.»
37. Madame le président, Messieurs de la Cour, la JNA n’a pas seulement armé les Serbes
locaux, elle a activement pris part à la prise pr oprement dite de la municipalité. Entre le21 et
le 25 avril 1992, deux formations de la JNA sont arrivées dans la municipalité, l’une d’elles sous le
52
commandement du capitaine Relji ć. Relji ć a proclamé un gouvernement militaire à Bratunac .
Une autre formation de la JNA, en provenance du corps de Novi Sad en Serbie, est arrivée avec des
véhicules blindés de transport de troupe (VTT), des camions militaires et des voitures de police. Le
capitaine Reljić avait décidé que les villages musulmans de la région, et en particulier celui de
Glogova, devaient être désarmés et les soldats de la JNA ont pris part à cette opération. Comme je
48 o
TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronji ć, affaire nIT-02-61-S, jugement portant condamnation,
30 mars 2004, par. 81.
49
Ibid., par. 70.
50TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronjić, exposé des faits pour le plaidoyer de culpabilité, 30 septembre 2003.
51TPIY, Le procureur c. Miroslav Deronji ć, affaire nIT-02-61-S, jugement portant condamnation,
30 mars 2004, par. 68.
52Ibid., par. 72. - 16 -
23 l’ai dit tout à l’heure, l’arrivée de l’un ité de la JNA commandée par le capitaine Relji ć et celle des
«volontaires» de Serbie avaient été décidées par les plus hauts responsables de la Republika Srpska
et de la RFSY. Ces «volontaires» sont plutôt des formations paramilitaires, entre autres des unités
des Tigres d’Arkan, des Aigles blancs et des hommes de Sešelj 53.
38. Après que les Musulmans eurent accédé aux demandes de désarmement, la cellule de
crise prit le pouvoir politique da ns la municipalité, et le désa rmement ainsi que le nettoyage
ethnique de la population musulmane se poursuiv irent. Ces opérations prirent la forme,
notamment, d’actes d’intimidation, de pillages et de meurtres perpétrés aveuglément sur des
Musulmans de Bosnie par des «volontaires» de Serbie. Elles comprirent également le nettoyage du
village musulman de Glogova dans une opération ré unissant la JNA, la défense territoriale et la
police de Bratunac, et des «vol ontaires» paramilitaires de Serbie 54. Ce fut là un événement
vraiment horrible et je voudrais citer directement la chambre de première instance en l’affaire
Deronjić :
«Le 30 septembre 2003, Miroslav Deronji ć a plaidé coupable du crime de
persécutions de civils non serbes dans le village de Glogova, commises au moyen des
actes suivants: ordre d’attaquer le vill age de Glogova le 9 mai 1992, incendie du
village et déplacement forcé de ses ha bitants musulmans bosniaques. En
conséquence, soixante-quatre civils musulmans du village ont été tués, des maisons, et
des biens privés de Musulmans de Bosnie, ainsi que la mosquée ont été détruits et une
grande partie de Glogova a été rasée.» 55
39. Madame le président, Messieurs les juges, en 1991, la population de Bratunac
comptait64,1% de Bosniaques, 34,1% de Serbes et 0,1% de Croates. Après la guerre, les
56
Bosniaques représentaient 0,1 % de la population, les Serbes 97,0 % et les Croates 0,4 % .
Vlasenica
40. La municipalité de Vlasenica est située à ci nq kilomètres de la Drina et de la frontière
avec la Serbie-et-Monténégro. Elle a été prise de force, le 21avril1992, par la JNA, des
paramilitaires et des Serbes locaux armés 57. Cinq mois plus tôt, un membre du conseil du SDS de
53 Ibid., par. 74.
54 Ibid., par. 73.
55
Ibid., par. 44.
56 Op. cit., note 10.
57 TPIY, Le procureur c. Dragan Nikolić, affaire n IT-94-2-A, jugement, 4 février 2005, par. 52. - 17 -
la municipalité, Vajagić Zvonko, avait mobilisé une armée de volontaires serbes de Bosnie. Dans
une conversation téléphonique qu’il a eue avec Karadzi ć et qui a été interceptée, il a déclaré que
24 ces volontaires étaient sous le commandement de la JNA et Karadzić a fait quelques remarques très
éloquentes en réponse :
«Les gens d’en-haut ont aidé l’armée, le Parti a aidé l’armée à former un
détachement de volontaires, ils sont six cen ts…ils sont sous le commandement de la
JNA, ils sont entraînés, ils portent l’uniforme de la JNA etc.…Des volontaires,
58
d’accord, mais nous sommes en train de renforcer des unités de guerre tu sais.»
41. Le 21 avril 1992, une unité de la JNA, aidée de membres de la Garde volontaire serbe,
59
s’est emparée de la ville .
42. De nombreux Musulmans et autres non-Serb es ont fui la région de Vlasenica à partir de
mai1992 et jusqu’en septembre 1992; ceux qui étaient restés ont été soit déplacés, soit arrêtés et
60
mis en détention dans le célèbre camp de Susica . Nous avons décrit ce ce ntre de détention dans
notre réplique et Mlle Karagiannakis en a longuement parlé.
43. Madame le président, Messieurs de la Cour, en 1991, la population de Vlasenica était
constituée de 55,2% de Bosniaques, 42,3% de Serb es et 0,1% de Croates. Après la guerre, les
61
Bosniaques représentaient 0,2 % de la population, les Serbes 96,8 % et les Croates 0,4 % .
Brcko
44. La municipalité de Brcko est située au nord-est de la Bosnie-Herzégovine, à l’ouest de
Bijeljina et sur la rive méridionale de la Save . En 1992, le SDS a lancé à l’assemblée de la
municipalité de Brcko un ultimatum aux termes duq uel la municipalité devait être divisée en trois
62
cantons séparés pour les différents groupes . Peu après cet ultimatum, les hostilités ont
commencé, le 30avril1992, date à laquelle la JNA a fait exploser les ponts sur la Save 63. Cette
explosion a fait de nombreuses victimes car environ cent cinquante personnes étaient en train de
58TPIY, Le procureur c. Milosevi ć, affaire n IT-02-54-T, pièce n P613, onglet 136a, écoute téléphonique du
11 décembre 1991.
59TPIY, Le procureur c. Dragan Nikolić, affaire n IT-94-2, jugement, 18 décembre 2003, par. 52.
60Ibid., par. 54.
61
Opus cité note 10.
62 o o
TPIY, Le procureur c. Dusko Tadić, affaire n IT-94-1-T, pièce n 536, onglet 1.
63 o
TPIY, Le procureur c. Milosevi ć, affaire n IT-02-54-T, jugement relatif à demande d’acquittement,
16 juin 2004, par. 153. - 18 -
traverser au moment de l’exposition. Même av ant le déclenchement des hostilités, la JNA avait
64
25 renforcé ses effectifs dans la région et commencé à mettre en place des postes de contrôle . La
JNA avait également transféré dans la région des paramilitaires provenant de Serbie, parmi lesquels
les Bérets rouges du capitaine Dragan 65. Le 1 ermai 1992, les forces serbes ont commencé à
bombarder la ville de Brcko. Le bombardemen t a duré une semaine. Toutes les forces serbes
alliées ont participé aux attaques dans la région et, les 8 et 9 mai 1992, les avions de la JNA ont
bombardé les quartiers de la ville habités par des Musulmans et Croates de Bosnie 6.
45. Goran Jelisi ć, qui se surnommait volontiers lui-même l’«Adolf serbe», a dit être allé à
67
Brcko pour tuer des Musulmans . En fait, lors de sa comparution initiale devant le TPIY, où il a
68
été accusé de génocide, Jelisi ć s’est même présenté au tribunal sous le nom d’«Adolf» ! Il a
plaidé coupable de crimes contre l’humanité et le jugement le condamnant reprend nombre d’aveux
69
terrifiants concernant les horribles événements qui se sont déroulés dans la municipalité . Par
exemple, cinq des treize meurtres pour lesquels Jelisi ć a plaidé coupable ont été commis selon un
scénario toujours identique. Je cite un passage du jugement de la chambre de première instance :
«Les victimes, après avoir subi un interrogatoire au commissariat de police,
étaient mises entre les mains de l’accusé qui les emmenait dans une ruelle proche du
commissariat. L’accusé les exécutait, généralement de deux balles dans la nuque…Un
70
camion venait ensuite ramasser les corps.»
46. De nombreux non-Serbes ont été rassembl és et détenus dans plusieurs centres
temporaires jusqu’à ce qu’ils puissent être emmenés au nouveau camp de Luka. Ce centre est l’un
des célèbres centres de détention administrés par les Serbes et nous en avons parlé hier. Un témoin
déposant en l’affaire Milosević devant la chambre de première instance a indiqué que les Serbes
64 o o
TPIY, Le procureur c. Dusko Tadić, affaire n IT-94-1-T, pièce n 536, onglet 1.
65
Ibid.
66TPIY, Le procureur c. Goran Jelisić, affaire n IT-95-10, jugement, 14 décembre 1999, par. 102.
67Ibid.
68Ibid.
69
Ibid.
70
Ibid., par. 37. - 19 -
choisissaient sur des listes ceux qui devaient être tués, parmi lesquels de nombreuses personnalités
de la communauté locale; ce témoignage est co rroboré par les conclusions de la chambre de
première instance dans le jugement rendu contre Jelisić 71.
26 47. Madame le président, Messieurs de la Cour, en 1991, la population de Brcko
comptait44,1% de Bosniaques, 20,7% de Serbes et 25,4% de Croates. Après la guerre, les
Bosniaques représentaient 31,4 % de la population, les Serbes 54,1 % et les Croates 7,9 %.
Conclusions
48. Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous ai montré, au cours de mes
plaidoiries, le schéma auquel obéissait le nettoyage ethnique appliqué dans les municipalités de la
Drina en Bosnie-Herzégovine. Je vous ai mont ré comment deux des objectifs stratégiques des
Serbes furent atteints, et expliqué qu’ils n’auraient pu l’être sans la participation de Belgrade qui a
fourni des hommes, du matériel et des moyens logistiques. J’ai décrit le système de prise des
municipalités dans huit d’entre elles, stratégiquement importantes.
[Carte : municipalités de l’est de la Bosnie, et dates auxquelles elles ont été prises]
49. Le nettoyage ethnique des municipalités se faisait selon un schéma que j’ai décrit dans
mes plaidoiries. Tout d’abord, les Serbes de ce s municipalités étaient armés par la JNA et la
défense territoriale; ensuite, les forces serbes allié es, composées de la JNA, de paramilitaires de
Belgrade et de forces serbes locales de Bosnie, vi daient les villes et villages de leurs habitants
Bosniaques et Croates. La carte, que vous voyez derrière moi montre les municipalités et la date de
leur prise.
50. Avec ce que je vous ai montré dans cette partie des plaidoiries, vous avez peut être
maintenant une idée assez claire de ce qu’est le nettoyage ethnique et de la manière dont il a eu
lieu, municipalité après municipalité, encore et encore. Ces actions étaient coordonnées. Ces
actions étaient planifiées. Ces actions étaient brutales et ciblées. Elles faisaient partie d’un plan
qui visait à éradiquer les Bosniaques et les Croate s de Bosnie et à «purifier» les municipalités
stratégiquement importantes pour créer un Etat serbe.
71TPIY, Le procureur c. Milosevi ć, affaire n IT-02-54, témoignage de B-1405 le 31mars2003; et TPILe
o
procureur c. Goran Jelisić, affaire n IT-95-10, jugement, 14 décembre 1999, par. 92. - 20 -
51. Ainsi s’achève ma plaidoirie et je prie la Cour de donner main tenant la parole à
M. Franck.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Madame Dauban. Je donne la parole à M. Franck.
27 M. FRANCK : Je vous remercie, Madame le président, plaise à la Cour :
LE DROIT DU GENOCIDE TEL QU ELABORE PAR LE T RIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR
L’EX-Y OUGOSLAVIE ET LE T RIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE R WANDA
Décisions des tribunaux pénaux
1. Ce matin, j’évoquerai le droit du génocidetel qu’il a été élaboré par le Tribunal pénal
pour l’ex-Yougoslavie et par le Tr ibunal pénal pour le RwandaDepuis que la présente affaire a
commencé, il y a tant d’années, les dossiers d’élém ents de preuve relatifs aux événements se sont
multipliés. Comme vient juste de vous le dire ma collègue, Mme Dauban, notre travail de collecte
desdits éléments a été facilité par l’Œuvre courag euse et opiniâtre du Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie.
2. Ce Tribunal a jugé coupables de divers crimes de nombreuses personnes ayant fait l’objet
d’un acte d’accusation et, naturellement, en a acquittd’autres. Il s’est intéressé aux crimes
commis tout au long de la période ayant commencé en 1991. Il a connu d’affaires mettant en cause
des personnes de Serbie, de Croatie et de Bosnie , des personnes de diverses origines religieuses et
ethniques. Si l’établissement des faits est spécialité du Tribunal, ses décisions ont porté sur
d’importants concepts allant du génocide aux crim es contre l’humanité, en passant par les crimes
de guerre, les entreprises criminelles communes et la conspiration en vue de commettre de tels
crimes. Il a cependant avant tout appliqué lesdispositions pertinentes de la convention sur le
génocide et celles des conventions de Genève. Il a appliqué ce corpus juridique pour dresser des
actes d’accusation contre des individus accusés d’av oir commis de tels crimes, pour les mettre en
examen pour des actes qu’ils étaient soupçonnés d’av oir commis à titre individuel ou de conserve
avec d’autres individus, ou pour les en acquitter. - 21 -
3. Puis, le TPIY a assemblé les pièces du puzzle. Il a parfois estimé que le défendeur avait
effectivement commis des crimes d’une ampleur telle qu’il était possible d’en inférer l’intention de
détruire en tout ou en partie une communauté, et a de ce fait, et pour cette raison, déclaré l’intéressé
coupable de génocide. Le plus souvent, lorsque des défendeurs étaient accusés à la fois de
génocide et de crime contre l’humanité, le TPIY les a déclarés coupables de crime contre
l’humanité, crime pour lequel il n’est pas nécessaire que soit démontrée une intention de détruire de
plus grande ampleur. La Chambre de première instance a expliqué, dans l’affaire Brdanin,
pourquoi : elle a dit être convaincue de l’existence d’un plan stratégique
«destiné à unir les régions de la Bosnie-H erzégovine peuplées de Serbes, à prendre le
contrôle de ces régions et à créer un Etat ser be de Bosnie indépendant, Etat duquel la
28 majorité des non-Serbes seraient définitivement chassés, et qu’il avait été recouru à la
force et à la terreur pour mettre en Œuvre [ce plan]…».
Mais, a indiqué le Tribunal, les éléments de preu ve de cette seule affaire ne permettent pas de
parvenir à la conclusion qu’«il existait une inte ntion d’agir ainsi en détruisant les groupes
musulman bosniaque et croate bosniaque de la région». La Chambre a ensuite ajouté cette
explication très importante de la raison pour laque lle elle avait décidé de déclarer l’intéressé
coupable de crimes autres que celui de génocide : «[l]a Chambre de première instance souligne»,
a-t-elle indiqué, «que ce n’est que sur la base des éléments de preuve recu eillis dans cette affaire
précise, temporellement et géographiquement circonscrite, qu’elle dit que l’intention génocide n’est
pas la seule conclusion pouvant raisonnablement être déduite du plan stratégique» 7.
4. La présente affaire, Madame et Messieurs de la Cour, n’est ni temporellement ni
géographiquement circonscrite. Un vaste tableau vous a été dressé, et continue de l’être, et de très
nombreuses pièces du puzzle vous ont été présentées. E lles aussi continuent de l’être. Ces pièces,
prises isolément, ne peuvent que ⎯ et l’on frémit à ce mot «que» ⎯ ne peuvent que démontrer les
meurtres, l’extermination, le viol, la terreur in fligée à des personnes pour les pousser à fuir. Mais,
en assemblant ces pièces, vous verrez clairement que l’intention génocide est, bien évidemment, la
seule conclusion pouvant ra isonnablement être déduite de ce plan stratégique. Or, l’auteur de ce
plan est le défendeur.
72TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdanin, affaire n IT-99-36-T, 1 septembre 2004, par. 981 [traduction du
Greffe]. - 22 -
5. Mardi, j’ai évoqué les diverses sources d’éléments de preuve sur lesquelles la
Bosnie-Herzégovine s’est fondée pour vous présenter sa thèse selon laquelle elle a été victime d’un
terrible génocide, d’un génocide délibérément commis pa r le défendeur. J’ai parlé de la confiance
que nous accordons aux faits que la Cour peut considérer comme établis et aux présomptions, aux
éléments de preuve visuels, aux déclarations d’ experts, aux rapports et conclusions de divers
organes et agences des NationsUnies, aux déci sions factuelles et juridiques du Tribunal pénal
international pour le Rwanda et, mieux encore, du TPIY. Aujourd’hui, je m’efforcerai de
démontrer la pertinence, en droit et en fait, des conclusions du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie et
des conclusions juridiques du Tribunal pour le Rwanda.
6. Ma collègue, Magda Karagiannakis, a, elle aussi au cours de la plaidoirie de mardi,
expliqué pourquoi la Cour devait, lors de son délibéré, accorder la plus grande attention aux
conclusions émanant de tribunaux créés sous l’autorité contraignante du Conseil de sécurité et se
conformant aux critères internationaux les plus stricts en matière de justice et de probité, ces
conclusions pouvant se révéler très utiles. Je s ouhaite maintenant vous donner un aperçu de la
jurisprudence de ces deux tribunaux pénaux ad hoc, dans la mesure où ils ont directement élaboré
le droit du génocide. Mes collègues ayant déjà co mmencé, je vais poursuivre la présentation du
29
travail essentiel d’établissement de faits qu’a eff ectué le TPIY, faits dont bon nombre apparaissent
dans des affaires en lesquelles ont été prouvés des crimes contre l’humanité mais qui sont,
cependant, tout à fait pertinentes quant aux questio ns factuelles en cause en l’espèce. Cela dit,
concentrons-nous pour le moment sur l’élaboration par ces tribunaux du droit du génocide.
7. La jurisprudence du TPIY et du TPIR est particulièrement utile pour clarifier les termes de
la convention sur le génocide. Comme je l’ai dit, dans ma plaidoirie d’hier, la convention constitue
une étape décisive dans la longue et douloureuse marc he de l’humanité vers la civilisation. Elle
définit le génocide par une énumération d’actes: meur tre, atteinte grave à l’intégrité physique ou
mentale, soumission intentionnelle à des conditions d’existence visant à en traîner la destruction
d’un groupe. Elle ne les qualifie d’actes de génocid e que lorsqu’existe l’intention requise, lorsque
ces actes sont «commis dans l’intention de détruire , ou tout ou en partie, un groupe national, - 23 -
ethnique, racial ou religieux, comme tel» 73. Lorsque, il y a bien des années, cette affaire a
commencé, ces mots n’étaient que des mots. Dans la décennie qui a suivi, ils ont été l’objet d’une
pratique juridique importante. Lorsque ces deux tribunaux se sont, dans leurs décisions, centrés sur
le génocide, ils se sont penchés sur quatre aspects particuliers de la définition du génocide, et ce
d’une manière tout à fait pertinente en l’espèce. Chacun de ces aspects concerne l’un des éléments
essentiels de l’intention coupable :
1) quels éléments de preuve pe uvent être utilisés pour déterminer l’existence d’une «intention de
détruire» ?
2) que signifie le mot «détruire» ?
3) que signifie l’expression «en tout ou en partie» ? et
4) que signifie «comme tel» ?
L’«intention de détruire»
8. Commençons par l’expression «intention de détruire». L’affaire Plavsić, en laquelle le
Tribunal pour l’ex-Yougoslavie a statué en2003, est particulièrement instructive, dans la mesure
où elle était fondée non pas sur des éléments de pr euve contestés, mais sur des aveux volontaires
d’une personne qui, ayant travaillé aux plus hauts postes de l’autor ité serbe de Bosnie, était en
situation de connaître la vérité. Voici ce que Mme Plavsi ć a dit au Tribunal dans son «exposé des
faits admis» 74. Elle a dit aux juges que
30 «les dirigeants Serbes de Bosnie savaient que les forces serbes qui combattaient aux
côtés des Serbes de Bosnie étaient bien plus puissantes militairement que celles des
non-Serbes. Les forces serbes de Bosnie collaborant avec la JNA…«pour atteindre
l’objectif de séparation ethnique par la fo rce» ont commis des actes de persécution
[parmi lesquels] : des meurtres lors d’attaques contre villes et villages; des traitements
cruels et inhumains pendant et après les attaques; des transferts forcés et déportations;
des détentions illicites et des assassinats, le recours au travail forcé et à des boucliers
humains; des traitements cruels et inhumain s dans les lieux de détention ainsi que des
conditions de détention inhumaines; la dest ruction de biens culturels et sacrés; des
pillages et des destructions gratuites.» [Traduction du Greffe.]
73
Convention sur le génocide, art. II.
74TPIY, Le procureur c. lavsi ć, base factuelle du plaidoyer de culpabilité, affaire n o IT-00-39,
30 septembre 2002. - 24 -
Ces faits, Madame le président, ne sont pas des conj ectures, ils ne relèvent pas de notre plaidoirie,
ni même simplement des opinions formulées par les juges du TPIY. Ce sont les faits tels qu’admis
par l’un des principaux acteurs du conflit, une personne suffisamment bien placée pour savoir ce
qui se passait, et l’un des rares auteurs de crimes à avoir exprimé des remords. En outre, les actes
que Mme Plavsić a décrits ont, a-t-elle indiqué, été commis par les forces de la République serbe de
Bosnie dont le co-président «collaborait avec la JNA et le ministère de l’intérieur de Serbie», le
ministère de l’intérieur de Serbie ⎯les forces, Madame le président, de Belgrade. Et, les actes,
a-t-elle reconnu, ⎯ les meurtres et traitements inhumains ⎯ ont précisément été commis aux fins
du nettoyage ethnique.
9. Ainsi, nous savons des faits admis par Mme Plavši ć que ces événements ont bien eu lieu,
qu’ils ont été délibérément organisés afin de ne ttoyer de grandes parties du territoire de la
Bosnie-Herzégovine pour faire place à une Repub lika Srpska ethniquement pure, et que cette
campagne commune d’assassinats et de destructions a été facilitée par l’intervention décisive des
forces de la Serbie voisine. Mais s’agissait- il d’un génocide? Comme nous le savons, pour que
ces actes soient constitutifs de génocide, ils doivent avoir été commis dans l’intention de détruire,
en tout ou en partie, un groupe. Aussi, commenç ons par rechercher l’élément intentionnel, lequel
est difficile à appréhender.
10. Pour le TPIY, il ne fait aucun doute que l’ intention génocide requise peut aisément être
déduite, en premier lieu, des déclarations des prin cipaux dirigeants, tel que celui que je viens de
citer75. Un autre exemple est celui de RadovanKaradži ć qui, le 12octobre1991, alors qu’il était
appelé à devenir président de la République de1992 à1995, a dit, dans une communication
téléphonique interceptée : «ils [les Musulmans] di sparaîtront, ce peuple disparaîtra de la surface de
la terre…ils ne comprennent pas qu’il y aura un bain de sang et que le peuple musulman sera
76
exterminé» .
75Voir TPIY, Le procureur c.Miloševi ć, décision relative à la requête ux fins d’acquittement, affaire
noIT-02-54-T, 16 juin 2004, par. 238-245.
76http://www.domovina.net/tribunal/page_006.pbp. Conve rsation interceptée avec GoikoDjogo, en date du
12 octobre 1991; TPIY, Le procureur c.Miloševi ć, décision relative à la requête aux fins d’acquittement, affaire
n IT-02-54-T, 16 juin 2004, par. 241. - 25 -
31 11. Trois jours plus tard, soit le 15 octobre 1991, Radovan Karadžić a publiquement exprimé
son intention génocide au corps législatif de Bosnie-Herzégovine et au monde entier en disant :
«Telle est [sous-entendu l’indépenda nce] la voie que vous voulez que la
Bosnie-Herzégovine emprunte, la même rout e pavée de souffrances et de tourmentes
qu’ont déjà empruntée la Slovénie et la Croatie. N’imaginez pas que vous ne
conduirez pas la Bosnie-Herzégovine en enfer et que vous ne provoquerez pas
l’extinction du peuple musulman, parce que le peuple musulman ne sera pas en
mesure de se défendre s’il y a une guerre ici.» 77
12. Mes collègues, MM. Condorelli et Pellet, montreront plus tard que cette intention
génocide était inspirée, et partagée, par Belgra de, qui a activement participé et soutenu ces
aspirations. Pour l’heure, ma tâche se limite à démontrer que le TPIY a eu amplement l’occasion
d’entendre, d’examiner et de vérifier les éléments de preuve qui attestent que les meurtres, les
viols, la torture, la destruction d’écoles et de biens culturels ⎯ autant d’actes visant
méthodiquement la population non serbe de Bosnie ⎯ n’étaient pas, comme le défendeur voudrait
nous le faire accroire, dus au simple hasard de la guerre, ni ne releva ient d’un comportement
criminel aveugle, mais bien au contraire, que t ous ces actes étaient systématiques, faisaient partie
d’une politique intentionnelle p assant par la terreur et, lorsque cela était jugé nécessaire,
l’extermination.
13. Les juges du TPIY ont confirmé l’ampleur de ces crimes. Pour la seule année 1992, dans
une région de Bosnie que les Serbes avaient décidé de «nettoyer», le Tribunal a, une fois encore
dans l’affaire Plavšić, confirmé le «meurtre collectif» d’au moins cinquantemillepersonnes. Il a
également confirmé que huit cent cinquante villages avaient été «complètement dévastés» et
qu’existaient quatre cent huit centres de détention dans lesquels «les personnes étaient détenues de
78
force et exposées à de graves abus physiques et moraux» .
14. Une telle brutalité, flagrante, organisée et systématique, se prête à des déductions quant à
l’intention, et tant le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie que le Tribunal pour le Rwanda sont parvenus
à cette conclusion. Dans la décision rendue le 2 août 2001 par le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie
en l’affaire Krstić, les juges ont indiqué qu’ils pouvaient dé duire de manière irréfutable et logique
l’existence de l’intention requise (mens rea) ⎯ chez le défendeur ⎯ de commettre le génocide. Ils
77 o
TPIY, Le procureur c. Milošević, décision relative à la requête a ux fins d’acquittement, affaire n IT-02-54-T,
16 juin 2004, par. 241 [traduction du Greffe].
78Plavsić, ibid., par. 41 et 45 [traduction du Greffe]. - 26 -
ont conclu que l’intention génocide elle-même transparaissait des actes mêmes commis. De quels
actes? Par exemple, d’un schéma systématique de meurtres ciblés. Aussi, ont-ils indiqué, là
encore dans l’affaire Krstić, «[t]outes les exécutions [à Srebrenica] visaient systématiquement des
79
32 hommes musulmans de Bosnie en âge de porter les armes, qu’ils soient civils ou militaires» . A
partir de là, les juges ont déduit que l’intention était de détruire en tout ou en partie cette
communauté, «qu’à un certain moment, il a été décidé de capturer et de tuer tous les hommes
musulmans de Bosnie, sans distinction». Le Tri bunal a déduit l’intensité de cette volonté du fait
que «les forces des Serbes de Bosnie ont systéma tiquement arrêté les autocars transportant…les
femmes, les enfants et les personnes âgées, pour vé rifier qu’aucun homme ne s’y cachait» et que,
alors, «les hommes … ont été emmenés et … exécutés» 80. Dans de telles hypothèses, a précisé le
Tribunal, «l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe comme tel, doit transparaître dans
l’acte criminel lui-même» parce que, a conclu le Tribunal, l’objectif de l’entreprise criminelle
transparaît dans l’acte même 81.
82
15. Dans l’affaire Le procureur c. Blagojević , la Chambre de première instance du TPIY,
83
appliquant sa jurisprudence antérieure , a indiqué que bien que «l’intention spécifique exige que
les auteurs cherchent à détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou
religieux, comme tel», cette intention n’a pas à êt re attestée par un schéma directeur : «l’existence
d’un plan ou d’une politique n’est pas une condition juridique du crime» 84.
16. Quoi qu’il en soit, nous avons démont ré qu’il existait un plan. Mais, comme l’a
clairement dit le Tribunal pour l’ ex-Yougoslavie, un plan peut ⎯ et doit ⎯ également être déduit
de la manière méthodique et systématique pa r laquelle ces mêmes actes criminels ont été
reproduits, encore et encore, dans des régions de Bosnie très éloignées les unes des autres. Ainsi
que l’a indiqué le Tribunal pénal pour le Rw anda dans son jugement rendu en l’affaire Akayesu, il
peut très certainement être déduit de l’existence d’un tel schéma que la «perpétration de l’acte
79TPIY, Le procureur c. Radislav Krstić, affaire n IT-98-33-T, arrêt, 2 août 2001, par. 546.
80
Ibid., par. 547.
81
Ibid., par. 549.
8217 janvier 2005.
83Voir également Jelisić, arrêt, par. 46-48.
84Blagojević, par. 656. - 27 -
incriminé dépasse alors la simple réalisation maté rielle…[pour organiser] la réalisation d’un
dessein ultérieur, qui est la destruction totale ou partielle du groupe dont l’individu n’est qu’une
composante» 85. Il s’agit là du droit relatif à la preuve auquel j’ai fait allusion mardi. Cela confirme
que lorsqu’une personne appartenant à un groupe tue et mutile, encore et encore, des personnes
appartenant à un autre groupe, il doit être conclu, en l’absence d’éléments de preuve contraires
33 convaincants, qu’elle poursuit un objectif meurtrier dirigé non seulement contre des individus de
manière aveugle mais également contre le grou pe dans son ensemble, groupe auquel toutes les
victimes appartiennent. Certains systèmes juri diques nationaux connaissent le concept de «hate
crimes» [crimes de haine]. En droit internationa l, nous avons le concept de génocide. L’un et
l’autre nécessitent que soit prouvé un animus mais, aussi bien en droit national qu’en droit
international, l’ animus peut être déduit de l’existence avérée d’un schéma de sélection des
victimes.
17. Nous avons jusqu’ici essentiellement parlé de meurtre, mais le meurtre n’est pas le seul
acte au sujet duquel il peut être conclu, par déduction, à l’existence de l’intention requise. Un autre
acte permettant de déduire l’intentio n génocide est «le nettoyage ethnique» ⎯ lequel a parfois été
réalisé par le fait de pousser une population à fuir en la terrorisant par le biais de meurtres sélectifs,
mais aussi par des actes comme les viols systéma tiques, les passages à tabac et la création de
conditions de vie insoutenables. Ces actes, qui visaient à pousser les populations non serbes à fuir
pour s’en débarrasser, conduisent à déduire l’existen ce d’une intention de détruire, en tout ou en
partie, une population. Dans l’affaire Blagojević, le TPIY a déduit du transfert forcé de la
population musulmane de cette ville «une manif estation de l’intention particulière», la
manifestation de l’intention pa rticulière de détruire la communauté musulmane de Srebrenica 86.
Aucun élément de preuve relatif à l’existence d’un schéma directeur ou d’un plan ne serait plus
éloquent que les actions par lesquelles une politique de nettoyage ethnique a été menée en Bosnie,
actions desquelles il est impossible de ne pas dé duire l’existence d’une intention génocide
85 o
TPIR, Le procureur c. Akayesu, affaire n TPIR 96-4-T, jugement, 2 septembre 1998, par. 522.
86Ibid., par. 675. - 28 -
délibérée. La Chambre de première instance a indiqué, dans l’affaire Blagojević, n’avoir «aucun
doute que tous ces actes constituaient une seule et même opération» et que les auteurs «avaient
87
clairement l’intention, par ces actes, de détruire physiquement ce groupe» .
18. Il en va de même de la sélection des vic times, mais qu’en est-il de l’ampleur, qu’en est-il
des schémas de persécution ? Qu’il s’agisse de meurtres, de tortures, de nettoyages ethniques ou de
viols, l’ampleur des actes commis est également essen tielle pour déduire le caractère intentionnel.
Dans l’affaire Krstić, la Chambre d’appel du TPIY a indiqué que «vu l’ampleur des meurtres, la
Chambre de première instance pouvait légitimement conclure que [l’extermination des hommes en
âge de combattre à Srebrenica] trahissait une intention génocid[e]» 88 ⎯ qu’elle pouvait le déduire
de l’ampleur de l’activité en question; de cette ampleur ⎯ de cette énormité ⎯ des actes peut être
34 déduite l’intention génocide de leurs auteurs. Dans l’affaire Akayesu, le Tribunal pour le Rwanda a
indiqué que «l’échelle des atrocités commises…peu[t] également permettre à la Chambre de
89
déduire une intention génocid[e]» ayant prévalu à la perpétration d’un acte particulier .
19. En l’espèce, les défendeurs réfutent ce point . Dans leur duplique de1999, ils avancent
que «ce mode d’action systématique, l’ampleur et la gravité des actes en question ainsi que le
nombre de victimes ne sont pas des faits suffisants pour conclure à l’existence de l’intention de
commettre un génocide» 90. Ainsi, le défendeur ne semblait apparemment pas vouloir nier remettre
en cause les faits établis : que des meurtres, des viols et des actes de pillage avaient été commis à
une grande échelle et conformément à un schéma co mmun. Il cherche en réalité à nier que des
meurtres, des viols et des actes de torture commis à une grande échelle et selon un schéma commun
puissent jamais être à la base de la déduction judiciaireselon laquelle ceux qui ont commis ces
actes auraient été motivés par une intention génoc ide. Le TPIY et le TPIR ont très clairement
rejeté cet argument et soutenu que, en Bosnie , tout comme au Rwanda, l’existence d’un schéma
d’actes établis, le fait qu’ils aient été commis à une grande échelle, leur extrême gravité et le
87
Ibid., par. 677.
88 o
TPIY, Le procureur c. Krstić, par. 27, affaire n IT-98-33-A, arrêt, 19 avril 2004.
89TPIR, Le procureur c. Akayesu, affaire n TPIR 96-4-T, jugement, 2 septembre 1998, par. 523.
90Ibid., par. 3.3.3.1. - 29 -
nombre de victimes, tout ceci imposait évidemment de déduire l’existence d’une intention de
détruire un peuple, et pas seulement des personnes. Nous prions instamment la Cour d’adopter ce
même raisonnement de déduction, frappé au coin du bon sens.
20. Bien entendu, les tribunaux pénaux n’ont eu à se prononcer que sur les actes commis par
des personnes accusées à titre individuel. Votre Cour doit, elle, examiner l’ensemble des actes
commis par un grand nombre de personnes; et au tr avers de cette approche globale émergeront les
grands schémas appliqués en Bosnie, lesquels, ce ci apparaîtra clairement, ne peuvent pas être
rejetés au motif qu’il s’agirait d’atrocités isolées, commises contre des personnes choisies au hasard
par quelques individus agissant aveuglément mais doivent, bien au contraire, être considérés
comme une politique concertée de génocide. Un e telle conclusion s’impose, non seulement eu
égard au nombre d’actes illicites mais, également, au caractère répétitif des schémas selon lesquels
ils ont été commis, et qui, en tant que tels, ne peuvent qu’être interprétés comme un génocide.
Nous avons présenté, et continuerons à le faire, des éléments de preuve d’un très grand nombre
d’actes qui, pris isolément, attestent d’une horrible cruauté mais qui, examinés ensemble, comme il
convient, induisent la présomption irréfutable qu’ils ont été planifiés et commis de manière
intentionnelle. Pris dans son ensemble, ce schém a d’actes planifiés et intentionnels transforme la
répétition des actes de meurtre, de viol, de tortur e et de nettoyage ethnique en ce pourquoi ils ont
manifestement été accomplis ⎯ la destruction d’une partie significative de la population bosniaque
musulmane.
Madame le président, pourrais-je vous demande r de suspendre l’audience pour une courte
pause ?
35 Le PRESIDENT : La Cour va se retirer dix minutes.
L’audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 35.
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir.
M. FRANCK : Madame le président, Messieurs de la Cour. Nous avons évoqué la question
de l’intention telle qu’analysée par le TPIY et le TPIR. Permettez-moi maintenant d’aborder
l’examen du mot «détruire». - 30 -
«Détruire»
21. Une population peut être détruite de di verses manières. Il y a évidemment génocide
lorsque l’ensemble des membres d’une population est tué. Il ne s’agit cepen dant pas de la seule
manière de détruire un peuple. Là encore, les termes de la convention sur le génocide ont été
interprétés par la jurisprudence des deux tribunaux qui ont eu pour tâche de leur donner tout leur
sens dans le contexte d’événements contemporains.
22. La convention définit le génocide comme un acte destiné à «détruire» une population.
Tuer est l’une des manières de parvenir à une telle destruction. Le seuil établi par la convention
n’est-il pour autant franchi que lorsqu’il y a destru ction par le meurtre ? Les Tribunaux ont, avec
fermeté, répondu que non. Dans l’affaire Le procureur c. Blagojevi ć, la Chambre de première
instance a indiqué que, bien qu’un «génocide [puremen t] culturel» ne figure pas, en tant que tel,
dans la définition du génocide adoptée dans la convention, l’intention de «détruire le groupe en tant
qu’entité séparée et distincte» peut se manifester de manière autre que par le meurtre, notamment
par «le transfert forcé d’une population» 91. Celui-ci risque, poursuit la Cour, de mener «à la
92
destruction physique ou biologique du groupe», du groupe en tant que tel , et ce, ⎯ et je cite une
nouvelle fois la Cour ⎯ «lorsque le transfert est effectué de telle manière que le groupe n’est plus
en mesure de se reconstituer ⎯ notamment lorsqu’il y a séparation des membres. Une fois encore,
le nettoyage ethnique ainsi effect ué et dans ce but, équivaut à un génocide.» Dans de telles
36 hypothèses, la Chambre de première instance a est imé que «le transfert forcé d’individus pouvait
conduire à la destruction matérie lle du groupe, dans la mesure où le groupe cesse d’exister en tant
93
que groupe, ou du moins, cesse d’exister dans sa forme antérieure» .
23. L’expression «nettoyage ethnique» est le nom paradoxal et terrible sous lequel un tel
transfert forcé est désormais connu. Il s’agit là de l’une des diverses manières dont il a été estimé,
d’un point de vue juridique, qu’un génocide avait été commis. C’est l’une des manières de rendre
impossible l’existence d’un groupe en tant que grou pe. Lors de l’audience consacrée à la fixation
de sa peine, Mme Biljana Plavši ć, coprésidente de la Republika Srpska, a indiqué avoir «acquis la
conviction et être consciente que plusieurs millie rs de personnes innocentes avaient été victimes
91Ibid., par. 665
92
Ibid., par. 666.
93Ibid. - 31 -
d’un effort organisé et systématique visant à ch asser les Musulmans et les Croates du territoire
revendiqué par les Serbes» 94. Elle en a accepté la responsabilité «entière et inconditionnelle» 95.
Elle a également exprimé du remords ⎯remords que le défendeur n’a, quant à lui, toujours pas
exprimé. Aussi, il ne nous reste plus qu’à espérer que cette Cour aura une influence sur le cŒur et
l’âme de ceux qui ne sont pas encore en mesure de se réconcilier avec leurs victimes et leur propre
humanité.
24. En Bosnie, dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, le nettoyage ethnique
était plus qu’une violation du droit humanitaire: c’ était un génocide. Très clairement, le concept
de destruction d’un groupe n’est pas, par nature , limité au fait de tuer les membres d’un groupe,
mais englobe également tout autre acte destiné à amoindrir les chances de survie d’un groupe en
tant qu’entité distincte, en réduisant sa capacité à survivre en tant que tel. Le TPIY a adopté une
définition du génocide qui, comme cel a est rappelé dans l’affaire Blagojević, «englobe la
destruction intentionnelle de l’existence sociale du groupe» 9. La Chambre de première instance a
estimé, en examinant les détails de l’affaire, que l’auteur avait, «en définitive, eu l’intention de
97
provoquer la destruction des Musulmans de Bosnie de Srebrenica» , et ce non seulement en tuant
les hommes de ce groupe, mais également en procédant au «transfert forcé des femmes, des enfants
et des personnes âgées», ce qui est «une manifestation de l’intention spécifique d’éliminer la
population musulmane de Bosnie de l’enclave de Srebrenica» 98. La chambre a indiqué qu’il
convenait de considérer que les auteurs savaient que «le meurtre des hommes, associé au transfert
37
forcé des femmes, des enfants et des personnes âgées, conduirait inévitablement à la disparition
physique de la population musulmane de Bosnie» et qu’ils avaient manif esté, «par ces actes,
99
l’intention claire de détruire physiquement ce groupe» .
25. La Chambre de première instance du TPIY en l’affaire Blagojević a également déduit
l’existence d’une intention génocide des éléments de preuve attestant que, la majorité des hommes
94Plavšić, ibid., par. 72.
95
Ibid., par. 71.
96 o
TPIY, Le procureur c. Blagojević, affaire n IT-02-60-T, arrêt du 17 janvier 2005, par. 664.
97Ibid., par. 674.
98Ibid., par. 675.
99Ibid., par. 677. - 32 -
musulmans de Srebrenica ayant été tués ou portés disparus, leurs épouses seraient, compte tenu des
règles de leur communauté 100, dans l’impossibilité de se remarier et de fonder de nouveaux foyers.
Dès lors, le fait de tuer autant d’hommes a eu de graves conséquences en matière de procréation.
Les juges du TPIY ont estimé que les auteurs de ces crimes en étaient conscients lorsqu’ils se sont
101
lancés dans leur entreprise génocide .
26. Bien que cette intention soit la seule conclusion que l’on puisse déduire des actes
commis, il n’est quasiment pas nécessaire de la dé duire lorsqu’elle ressort directement des propos
des auteurs. Le TPIY a admis comme établi que , en «mars1995, les dirigeants politiques et
militaires de la Republika Srpska ont donné des ordres appelant, notamment, à créer «une situation
insoutenable d’insécurité totale, ne laissant auc un espoir de survie ou de vie future» pour les
habitants [musulmans] de Srebrenica» 102. Que pourrait-on trouver comme illustration plus simple
de l’intention génocide et destructrice des autorités de Pale ?
27. Si ces affaires sont citées ici, c’est qu’elles sont pertinentes pour la définition du droit en
matière de génocide telle qu’énoncée par le Tribuna l pénal pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal
pénal pour le Rwanda. Au Tribunal pour l’ex-Y ougoslavie, les juges ont clairement fait savoir
qu’il est approprié de tirer des déductions de faits prouvés. Les preuves de meurtres ciblés, mais
aussi de la perpétration d’autres types d’actes qui visent à contraindre une population à abandonner
ses domiciles, ses mosquées et ses écoles et qui ont pour but de détruire son tissu social et culturel,
puis de la disperser sur des territoires étrangers ap rès l’avoir maltraitée et battue, sont également
indicatrices de l’intention de détruire cette popula tion en tant que peuple, et de transformer les
personnes qui la composent en personnes déracinées, démoralisées et déplacées à la fois dans leur
propre pays et à l’étranger.
38 28. Dans les affaires citées, les juges du TPIY ont attribué ces actes aux forces et autorités
serbes de Bosnie qui comparaissaient devant eux en qualité d’accusées. Mais ils ne les ont
100Ibid., par. 595
101Ibid., par. 595.
102 o
Le procureur c. Dragan Obrenović, affaire n IT-02-60/2-S, jugement du 10 décembre 2003, par.27. Cette
citation est fondée sur les instrctions données pa r Radovan Karadži ć dans la «Directive opérationnelle07» du
commandement suprême des forces armées de la Republika Srpska, en date du 8 mars 1995, lequel est cité comme établi
par le TPIY dans plusieurs affa ires, notamment dans l’affaire Obrenović, mais également dans l’affaire Le procureur
c. Momir Nikolić, affaire nT-02-60/1-S, 2 décembre 2003, par. 29. - 33 -
assurément pas attribués à elles seules, car les autorités de Belgrade, comme nous le montrerons,
ont elles aussi participé délibérément à ce génocide et l’ont facilité. Nous vous le prouverons lors
des plaidoiries qui vont commencer demain, et qui seront consacrées à l’attribution des crimes.
Pour l’instant, je souhaiterais simplement soulig ner l’unanimité avec laquelle la jurisprudence sur
le génocide stipule que les actes d’une extrême violence et d’intimidation, les actes visant à détruire
la cohésion sociale d’une communauté, à déplacer et disperser cette communauté, sont eux aussi
constitutifs d’un génocide, et de manière aussi certaine que s’il s’agissait de meurtres.
29. Il vaut la peine à cet égard de rappeler le jugement Blagojević en le citant un peu plus
longuement :
«La chambre de première instance juge à cet égard que la destruction physique
ou biologique d’un groupe n’implique pas nécessairement la mort des membres de ce
groupe. Si le massacre d’un nombre importa nt de membres du groupe peut être le
moyen le plus direct de détruire celui-ci, d’autres actes ou séries d’actes peuvent aussi
conduire à ce résultat. Un groupe est dé fini par ses membres, mais aussi par son
histoire, ses coutumes, par le lien unissant se s membres et celui qu’ils entretiennent
avec leur terre et avec d’autres groupes. La chambre de première instance considère
que la destruction physique ou biologique d’un groupe est la conséquence probable de
son transfert forcé lorsque celui-ci s’effectue de telle façon que le groupe ne peut se
reconstituer, en particulier en cas de séparation de ses membres. Dans ses
circonstances la chambre de première instance estime que le transfert forcé peut
conduire à la destruction matérielle du groupe, dans la mesure où celui-ci cesse
103
d’exister en tant que groupe ou, du moins, tel qu’il était défini.»
Les juges ont ajouté qu’il ne s’agissait nullement pour eux de militer en fa veur de la notion de
génocide culturel, mais bien de préciser la signification de la destruction génocide elle-même.
30. Les deux tribunaux pénaux ad hoc ont également précisé qu’il fallait que l’intention
génocide soit une intention de procéder à la dest ruction universelle de l’ intégralité d’une race,
d’une ethnie ou d’un groupe religieux, objectif hab ituellement hors de portée des moyens dont
disposent les auteurs de crimes les plus remplis de haine. L’intention peut être circonscrite à
l’attaque des principaux éléments socioculturels qui structurent le groupe. Une entreprise plus
circonscrite de ce type reste encore de type gé nocide. Comme l’a noté dans son rapport de 1992 la
103
Ibid., par. 666. - 34 -
commission d’experts des Nations Unies créée en application de la résolution780 du Conseil de
sécurité en vue d’examiner les preuves de génoc ide: l’extermination des dirigeants d’un groupe
ciblé peut être une composante importante d’un programme de destruction plus général.
«Si les dirigeants d’un groupe sont exterminés et si, en même temps ou peu
après, un nombre relativement élevé de membres du groupe sont tués ou soumis à
d’autres atrocités, par exemple expulsés en masse ou forcés de fuir, il faut envisager
39 les diverses violations dans leur ensemble afin d’interpréter les dispositions de la
104
convention dans un esprit conforme à son but.»
La notion d’«ensemble des violations» est l’une de celles adoptées par le TPIY, par exemple dans
105
l’affaire Krstić , et elle mérite assurément un examen attentif par votre Cour.
31. De même, l’intention de détruire un groupe «en tout ou en partie» n’a-t-elle pas besoin
d’être universelle au sens géographique du terme. Comme l’a souligné le Tribunal dans l’affaire
Krstić, «l’intention d’exterminer un groupe dans une zone géographique réduite telle qu’une région
d’un pays, ou même une municipalité, peut mériter la qualification de génocide» 106. «Il n’y a pas
besoin que les auteurs du génocide cherchent à ex terminer la totalité d’ un groupe protégé par la
convention, il suffit qu’ils considèrent la pa rtie du groupe dont ils cherchent à se débarrasser
107
comme une entité distincte qui doit être éliminée en tant que telle.» Dans son jugement sur
l’affaire Jelisić, le TPIY a également considéré que le génocide pouvait très bien être perpétré dans
une zone géographique réduite. 108 Dans l’affaire Ruzindana 109, les juges du Tribunal pour le
Rwanda ont déclaré souscrire à l’opinion de la commission du droit international selon laquelle
«l’intention ne doit pas nécessairement être l’an éantissement complet du groupe, dans le monde
entier.» Nous avons démontré, et nous le prouverons encore, que le génocide perpétré en Bosnie a
été un acte concerté, perpétré par différents moyens, visant à exterminer, en tant que telle, la
communauté musulmane de Bosnie dans les parti es de la Bosnie-Herzégovine dont il était prévu
qu’elles tombent sous le contrôle exclusif des Serbes.
104Nations Unies, doc. S/1994/674, par. 94.
105 o
TPIY, Le procureur c. Radislav Krstić, affaire n IT-98-33-T, arrêt, 2 août 2001, par. 587.
106
Ibid., par. 589.
107Ibid., par. 590.
108TPIY, Le procureur c. Jelisić, par. 83.
109TPIR, Le procureur c. Kayishema et Ruzindana, Chambre de première instance, par. 95. - 35 -
32. La même intention d’exterminer un groupe pe ut être déduite de façon évidente lorsqu’il
existe un schéma de viols concertés.
33. Dans nos plaidoiries, plus tard au cours de cette journée, ma collègue MmeStern aura
l’occasion de démontrer l’existence d’un tel schéma de viols systématiques. Elle démontrera que
dans le cas de la Bosnie c’est là un fait indubitable. En droit, ce schéma de viols systématiques, de
même que les meurtres et les déplacements systém atiques de population, a été considéré par les
tribunaux pénaux comme un moyen d’extermination d’un groupe.
34. Nous démontrerons qu’il y avait une intentio n claire et systématique dans la destruction
des lieux de culte et d’enseignement musulmans. Individuellement, l’incendie d’une mosquée ou
40 d’une bibliothèque est un acte de pillage. En droit, toutefois, la destruction concertée de toutes les
mosquées, ou presque toutes, sur le territoire d’une population constitue la preuve d’une intention
de perpétrer un génocide. Dans la décision Plavsić, le Tribunal parle de huit cent
cinquante villages dévastés «au point d’en devenir inhabitables» après avoir été «pillés, mis à sac et
détruits» par les forces serbes, et de la destru ction «de plus de cent mosquées…et sept églises
110
catholiques.» Si l’on considère globalement ces actes extrêmement nombreux, et si on leur
adjoint les autres types de meurtres, tortures, vi ols et déplacements forcés systématiques, ils
autorisent ⎯ou plutôt ils obligent ⎯ à en déduire qu’ils constituent la preuve d’une intention de
détruire l’histoire, la culture et la vie intell ectuelle qui fondent la cohésion du groupe. Dans
l’affaire Krstić, le Tribunal a estimé que de simples a ttaques contre la culture d’un groupe ne
sauraient constituer le fondement d’une accusation de génocide. La Chambre de première instance
a toutefois fait remarquer que «la destruction ph ysique ou biologique [d’un groupe] s’accompagne
souvent d’atteintes aux biens et symboles culturels et religieux du groupe pris pour cible, atteintes
dont il pourra légitimement être tenu compte p our établir l’intention de détruire le groupe
physiquement». En l’espèce, le Tribunal a donc considéré «la destruction délibérée de mosquées et
de maisons appartenant aux membres du groupe co mme une preuve de l’intention de détruire ce
groupe» 11.
110
TPIY, Le procureur c. Plavsić, Chambre de première instance, par. 43-44.
111
Ibid., par. 580. - 36 -
35. L’article II de la convention stipule que le génocide s’entend également d’une atteinte
grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe.
36. Là encore, les tribunaux ont contribué à l’ét ablissement de la jurisprudence. Tant le
112 113
TPIR que le TPIY ont rendu un nombre impressionnant de conclusions faisant jurisprudence,
selon lesquelles l’«atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale» doit être interprétée comme
incluant «les tortures, les traitements inhumains ou dégradants, les violences sexuelles, y compris
les viols, les interrogatoires accompagnés de sévices, les menaces de mort et d’expulsion» ainsi que
tous les autres actes de cruauté représentant «une expérience traumatisante qui laisse des séquelles
durables, voire permanentes» 114. Dans la décision du TPIY relative à l’examen de l’acte
d’accusation contre Karadži ć et Mladi ć, il a été déclaré que le traitement cruel, les tortures, les
viols et les expulsions pouvaient constituer une atte inte grave à l’intégrité physique ou mentale des
41 membres d’un groupe susceptible d’êt re considérée comme un génocide 115. Cette question est
résumée comme suit dans le jugement prononcé en 2004 par le TPIY dans l’affaire Brdanin :
««Porter une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale» [comme moyen
de perpétrer un génocide tel que ce terme est défini par la convention sur le génocide]
doit s’interpréter comme incluant, entre autr es, les tortures, les traitements inhumains
ou dégradants, les violences sexuelles y compris les viols, les interrogatoires
accompagnés de sévices, les menaces de mort ainsi que les atteintes à la santé ou les
actes provoquant la défiguration ou des lésions graves, dont sont victimes les membres
du groupe national, ethnique, racial ou religieux ciblé.» 116
La preuve des incroyables sévices infligés à ces pris onniers par les miliciens serbes et les gardiens
des camps satisfait à toute norme raisonnable défini ssant les conditions à remplir pour que de tels
actes soient qualifiés d’«atteinte gr ave à l’intégrité physique ou mentale». De l’ampleur et de la
112
Voir TPIY, Le procureur c. Rutaganda , jugement de première instance, par.51; Le procureur c. Musema ,
jugement de première instance, par.156; Le procureur c. Bagilishema , jugement de première instance, par.59; Le
procureur c. Gacumbitsi , jugement de première instance, par.291; Le procureur c. Kajelijeli , jugement de première
instance, par. 815.
113TPIY, Le procureur c. Krsti ć, jugement de première in stance, par.513 et 516; Le procureur c. Blagojevi ć,
jugement de première instance, par. 644-647.
114TPIY, Le procureur c. Blagojević, jugement de première instance, par. 646-647.
115 os
TPIY, Le procureur c. Radovan Karadžić et Ratko Mladić, affaires n IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61, examen
des actes d’accusation en application de l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, 11 juillet 1996, par. 93.
116 o
er TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdanin , affaire n IT-99-36-T, Chambre de première instanceII,
1 septembre 2004, par. 690 [traduction du Greffe]. - 37 -
portée de ces sévices, il est impossible de ne pas déduire l’intention de porter des atteintes de ce
type. Et du fait que les sévices ainsi infligés soie nt concentrés sur un groupe ethnique et religieux,
il est impossible de ne pas déduire l’intention de les transformer en génocide.
37. Selon le TPIR, l’atteinte grave à l’inté grité physique et mentale englobe les mesures
visant à tuer non pas immédiatement mais à terme, telles que la soumission de personnes à un
régime alimentaire de subsistance, l’expulsion systématique des logements, l’obligation d’effectuer
un travail excessif, la privation de logement s décents, de vêtements, des services médicaux
117
indispensables et des moyens d’hygiène minimum .
38. En d’autres termes, ces actes constituent la composante sanglante du génocide, à chaque
fois qu’ils sont intentionnellement commis en vue de «détruire» la capacité d’exister d’une
communauté. La coprésidente Biljana Plavši ć a volontairement confirmé , dans sa déposition, les
preuves fournies par d’autres témoins, ainsi que pa r le procureur, de «l’ampleur et [de] la
planification des crimes commis, [du] nombre de victimes, [du] temps qu’a duré le comportement
criminel, [des] violences qui ont accompagné les crimes et [de] leur caractère systématique et
118
répétitif» . Dans sa déclaration devant le TPIY, elle a reconnu :
«Bien qu’à de nombreuses reprises, on m’ait rapporté que des traitements cruels
et inhumains étaient infligés à des non-Serb es, j’ai refusé de le croire ou même de
diligenter des enquêtes…Aveuglés par la peur d’être à nouveau victimes, nous
sommes devenus des bourreaux.» 119
42 39. Que les Serbes, pendant la plus grande par tie de l’histoire européenne, aient souffert et
aient été des victimes, ne fait auc un doute. Mais comme Biljana Plavši ć l’a elle-même admis,
explication ne vaut pas justification. Vous av ez devant vous, Mesdames et Messieurs les juges de
la Cour, d’amples preuves d’une pratique systématique et répétitive de tortures et autres violences.
Vous pouvez sans coup férir en conclure, comme l’ on fait les Tribunaux pour le Rwanda et la
Yougoslavie, que l’intention d’anéantir un groupe est la seule déduction logique possible que l’on
peut tirer de la prévalence systématique de ces pra tiques. Ce que l’on peut déduire de ces actes de
haine, inéluctablement et sans que l’on puisse leur trouver aucune excuse, est qu’il y a eu génocide.
117TPIR, Le procureur c. Jean-Paul Akayesu, affaire n ICTR-96-4-T, jugement, 2 septembre 1998, par. 505-506.
118
TPIY, Le procureur c. Plavšić, Chambre de première instance, par. 56.
119Ibid., par. 51. - 38 -
«En tout ou en partie»
40. La jurisprudence sur le génocide, en pleine évolution, apporte également des
éclaircissements quant à la signification de l’expressi on «en tout ou en partie». L’article2 de la
convention définit le génocide comme l’intention de détruire un groupe en tout ou en partie. La
convention, élaborée après l’holocauste en Europe, n’ avait pas été conçue dans le but de traiter de
questions insignifiantes. Pour pouvoir être qua lifiés de génocide, les actes doivent avoir été
commis avec l’intention d’exterminer un nombr e de personnes important appartenant au groupe
ciblé. La Commission du droit international, en dressant la liste des crimes sanctionnés pénalement
par le droit international, a précisé dans son rapport que «le crime de génocide, par sa nature même,
120
implique l’intention de détruire au moins une partie substantielle du groupe visé» . Dans l’affaire
Krstić, la Chambre d’appel du TPIY a déclaré: «l’intention génocidaire…est présente lorsqu’il
s’avère que l’auteur présumé avait l’intention de détruire au moins une pa rtie substantielle du
121
groupe protégé» . La Chambre d’appel a ensuite expliqué qu’en l’espèce le «groupe protégé»
était «la population musulmane de Srebrenica» 122et non, bien entendu, tous les Musulmans de
Bosnie-Herzégovine, ou de l’ex-Yougoslavie, ou d’Europe. Le Tribunal a considéré que les
meurtres des hommes et des adol escents devaient être considér és comme un moyen, pour leurs
43 auteurs, de s’assurer que l’ensemble du groupe ⎯ c’est-à-dire, de l’avis des juges, les Musulmans
123
de la région de Srebrenica ⎯ ne pourrait pas se perpétuer .
41. Dans l’affaire Krstić 12, la Chambre d’appel a conclu le 19 avril 2004 que pour
déterminer si les meurtres commis au sein de la population visée peuvent être considérés comme
constitutifs d’un génocide, il faut prendre en consid ération la proportion de cette population qui en
est victime mais aussi l’importance et le rôle di rigeant des victimes au sein du groupe. Nous vous
avons présenté, Mesdames et Messieurs de la C our, les conclusions que le TPIY a tirées de la
politique délibérée d’extermination des dirigeants religieux, culturels et intellectuels des groupes
visés.
120
Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-huitième session,
6 mai-26 juillet 1996, p. 89.
121 o
TPIY, Le procureur c. Krstić, affaire n IT-98-33-A, jugement en appel, 19 avril 2004, par. 12.
122
Ibid., par. 19.
123Ibid., par. 17.
124Ibid., par. 8-14. - 39 -
42. Nous vous apporterons des preuves du ciblage délibéré de la population musulmane,
organisé de façon à tuer autant de personnes que né cessaire, et à détruire autant de biens qu’il le
faut, pour empêcher la perpétuation de la comm unauté musulmane dans les zones dans lesquelles
les Serbes souhaitaient établir leur Etat «ethnique ment nettoyé». La création de la Republika
Srpska, zone géographiquem ent contiguë à la Serbie et purement serbe, nécessitait, dans l’esprit
des auteurs des crimes, de tuer ⎯ non pas tous les Musulmans, p as même tous les Musulmans de
Srebrenica ⎯ mais tous les hommes et adolescents musulmans ou en tous cas le plus grand nombre
possible d’entre eux. L’intention a été la même en ce qui concerne la vallée de la Drina. Cette
politique de meurtre et de destruction cibl ée constitue, selon le TPIY, un anéantissement
intentionnel «de tout ou partie» de la communauté musulmane de cette zone, de nature à satisfaire
aux critères stricts de la convention sur le gé nocide. Comme l’a dit le TPIY dans l’affaire Krstić,
ceux qui ont massacré les hommes serbes «savaien t…que ces meurtres, conjugués au transfert
forcé des femmes, des enfants et des personnes âgé es, entraîneraient inévitablement la disparition
125
physique de la population musulmane de Bosnie qui habitait à Srebrenica» .
43. «En tout ou en partie» est dès lors une norme qui, comme nous l’avons démontré, et
comme nous continuerons à le démontrer, n’est que trop bien satisfaite par les preuves écrasantes
de l’extermination ciblée ⎯ au moyen de meurtres, de viols, de la torture, des expulsions de force
et par une destruction systématique des dom iciles, mosquées, écoles et bibliothèques
musulmanes ⎯ dans les zones désignées par les auteurs de ces crimes comme devant être
«nettoyées», d’importantes communautés musulmanes qui faisaient obstacle à leur plan d’annexion
de ces zones à la Grande Serbie.
44 44. Il ne ressort pas de la convention que pour satisfaire la condition «en tout ou en partie» il
faille prouver qu’il y avait une intention de tuer tout Musulman en Bosnie-Herzégovine. La
«partie» que les auteurs des crimes cherchaient à ex terminer était celle qui faisait obstacle à leur
rêve d’un Etat serbe, un Etat de tous les Serbes, un Etat d’hégémonie et de contiguïté serbe.
Comme l’a indiqué le Tribunal dans l’affaire Krstić, l’intention d’exterminer la communauté
musulmane de Bosnie a été réalisée par une combin aison de moyens: le meurtre, la torture, les
125
Ibid., par. 595. - 40 -
expulsions forcées, le viol. Et comme l’a conc lu le Tribunal, dans la mesure où ces moyens,
combinés, ont servi à exterminer la communaut é musulmane de Bosnie-Herzégovine dans les
parties du pays convoitées par les auteurs de ces cr imes, la définition de la convention s’applique.
Comme l’a déclaré le TPIY dans l’affaire Brdanin, «la jurisprudence du Tribunal confirme
l’opportunité de l’approche perme ttant de considérer qu’il y a gé nocide même lorsque l’intention
126
spécifique d’exterminer un groupe, en partie, ne s’applique qu’à une zone géographique limitée» .
La Cour voudra certainement prendre en compte cette définition des conditions à satisfaire pour
que la convention s’applique.
«Comme tel»
45. Dans l’affaire Musema, le TPIR a précisé que l’expression «comme tel» utilisée dans la
définition du génocide figurant dans la conven tion signifie l’extermination d’un groupe «en tant
que tel».
«Concrètement, pour être constitutif de génocide l’un desdits actes incriminés
doit avoir été commis à l’encontre d’un ou plusieurs individus, parce que cet individu
ou ces individus étaient membres d’un groupe spécifique et en raison même de leur
appartenance audit groupe. Aussi, la victime de l’acte est choisie non pas en fonction
de son identité individuelle, mais bien en raison de son appartenance nationale,
ethnique, raciale ou religieuse. Elle est donc un membre du groupe, choisi en tant que
tel, ce qui signifie en définitive que la victime du crime de génocide est, par-delà
l’individu, le groupe lui-même.» 127
46. En d’autres termes, comme l’a dit le Tri bunal pour le Rwanda en 1999 dans l’affaire
Rutaganda, les actes incriminés doivent avoir été commis «à l’encontre d’un ou plusieurs
individus, parce que cet individu ou ces individus étaient membres d’un groupe spécifique et en
raison même de leur appartenance audit groupe» 128. Il ne fait pas de doute que les meurtres, les
expulsions, les tortures, les viols et les spolia tions systématiques commis en Bosnie-Herzégovine
n’étaient pas le résultat d’une quelconque animosité contre des victimes individuelles, mais bien
45
126TPIY, Le procureur c. Radoslav Brdanin , affaire noIT-99-36-T, Chambre de première instanceII,
1erseptembre 2004, par. 703 [traduction du Greffe].
127TPIR, Le procureur c. Musema , affaire n ICTR-96-13-A, Chambre de premiè re instance I, 27janvier2000,
par. 165.
128TPIR, Le procureur c. Rutaganda, affaire n ICTR-96-3-T, jugement, 6 décembre 1999. - 41 -
une attaque contre des personnes, des institutions et des lieux, en raison précisément de leur
identification à un groupe : la communauté musulman e de Bosnie ou une partie spécifique de cette
communauté, ou la communauté croate.
47. Quant au terme «groupe», il a été considéré dans l’affaire Akayesu 129, comme se
rapportant à l’ensemble des personnes dont l’appartenance au groupe se fait d’office, par naissance,
et ne peut normalement être remise en cause par ses membres. L’Etat de Bosnie-Herzégovine, en
l’espèce, remplit manifestement toutes les conditi ons nécessaires pour représenter les groupes de
victimes constitués de personnes qui sont ses citoyens . L’Etat souverain de Bosnie-Herzégovine a
le droit, aux termes de la conve ntion sur le génocide, telle qu’elle a été interprétée par le Tribunal
pénal pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal pour le Rwanda, de demander l’ouverture de cette
procédure au nom de ceux de ses citoyens qui ont été tués ou ont subi d’autres atteintes ou torts
considérables du fait des actes d’un autre Etat, et qui ont été tués uniquement parce qu’ils
appartenaient à un groupe ethnique ou religieux de Bosnie, perçu par cet autre Etat comme faisant
obstacle à ses projets de domination sur des pa rties de ce qui était reconnu par la communauté
internationale comme une composante ⎯comme la plus grande des composantes ⎯ du territoire
de la Bosnie. Leur intention était d’exterm iner ces groupes obstructionnistes en visant leurs
membres.
48. La jurisprudence du Tribunal pour le Rwanda fait une distinction claire entre les crimes
commis contre ces citoyens du fait de leur identité de groupe et les autres types de sévices. Par
exemple, un litige entre personnes ou entre commun autés sur une question relative à un droit de
propriété sur des terres ou des ressources peut déboucher sur des atrocités et même des massacres à
grande échelle. Une distinction claire et nette ex iste cependant aujourd’hui, en droit, entre une
attaque contre une communauté dans le but de la priver d’une ressource et une attaque visant à
porter atteinte à son droit à l’existence. Les événements qui se sont produits en
Bosnie-Herzégovine pendant les années1990 appa rtiennent manifestement à cette deuxième
catégorie.
129
Ibid., par. 511. - 42 -
49. Le TPIY a interprété la convention de la même façon que le Tribunal pour le Rwanda,
par exemple en faisant une distinction entre les actes relevant de sa juridiction parce qu’ils
constituent des crimes contre l’humanité et ceux qui en relèvent parce qu’ils sont constitutifs d’un
génocide. Dans l’affaire Jelesić, le TPIY a déclaré que le génocide est distinct de la persécution,
un crime contre l’humanité, en ce sens que dans ce dernier cas, l’auteur choisit les victimes en
raison du groupe auquel elles appar tiennent mais ne cherche pas forcément à exterminer leur
46 communauté. Il ne fait pas de doute, en ce qui concerne les Musulmans de Bosnie et les Croates de
Bosnie, qu’ils ont été choisis pour être victimes de meurtres, de viols et de tortures de masse non
seulement en raison de leur appartenance à un grou pe et de leur rôle da ns ce groupe, mais parce
que les auteurs de ces crimes visaient à exterminer ce groupe. Ces actes ont été commis parce que
les victimes visées n’étaient pas des personnes individuelles mais le groupe comme tel.
50. Dans nos plaidoiries, nous cherchons à bien faire ressortir le fait que les crimes perpétrés
contre les Musulmans et autres non-Serbes de Bosn ie étaient motivés par l’intention d’exterminer
leur groupe. Ces personnes ont été tuées, violées, torturées et obligées de s’enfuir de leurs
domiciles incendiés parce que le but recherché ét ait la destruction de leurs communautés comme
telles. Il est exact que de nombreux crimes dont des personnes ont été accusées devant le TPIY ont
fait l’objet de poursuites en tant que crimes ponctuel s contre l’humanité. Mais cela s’explique par
le fait que le Tribunal a un mandat limité et que par conséquent chaque dé fendeur ne peut être
accusé devant lui que des actes individuels qu’il a commis. Devant cette Cour, dont la compétence
est bien plus large, nous demandons que les pièc es du puzzle soient regroupées afin de démontrer
qu’il ne s’agissait pas d’actes aléatoires, mais d’ éléments constitutifs d’une entreprise criminelle
commune qui, considérée dans sa globalité, peut sans peine être qualifiée de génocide.
Madame la présidente, voilà qui conclut ma plaidoirie de ce matin. Je vous demande à
présent respectueusement de bien vouloir appeler ma collègue, Mme Brigitte Stern.
Le PRESIDENT: Je vous remercie Monsieur Franck, je donne à présent la parole à
M. Stern. - 43 -
Ms STERN: Madam President, Members of the Court.
1. The case before you today is a landmark, I even venture to say a seminal moment, in the
fight against the absolute evil of genocid e committed against fellow human beings ⎯ equals but
perceived as so different that their very humanity is denied. In this case, a State, for the first time
in human history, a State is pursuing another Stat e, before the highest international court, for
genocide committed against a group making up part of its population. In this case a State, Bosnia
and Herzegovina, represented by my colleagues an d myself, is asking the Court to find another
State, one of its neighbours, Serbia and Monten egro, responsible for genocide and to make it
assume the consequences of its acts.
47 2. To go by Elie Wiesel, this courtroom should today be the centre of the universe. In his
speech upon accepting the Nobel Peace Prize in 1986, he stated, and I quote: “Wherever men or
women are persecuted because of their race, religion or political views, that place must ⎯ at that
moment ⎯ become the centre of the universe.” 130
3. Here at this focal point where we now stand, asking the Court to judge Serbia and
Montenegro responsible for acts of genocide comm itted in Bosnia and Herz egovina, I must first
guide you down a difficult, painful path, a path tr odden for the most part by thousands of Bosnian
women, but also by Bosnian men, and also by Bosnian children, slightly over ten years ago.
4. In the decision on the review of the indictments of Karadžić and Mladić, handed down on
11July1996 under Article61, the International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia
(ICTY) stated: “the Trial Chamber considers that, among the methods of ‘ethnic cleansing’, sexual
assaults warrant special attention owing to their systematic nature and the gravity of the suffering
thereby inflicted on civilians” 131.
5. It is precisely on such sexual violence, of which rape is undoubtedly the most serious
manifestation 13, that I am going to focus my attention. And my task in the coming hours is to
show you that we are confronted not with th e sexual assault and rape which unfortunately
130
Speech by E. Wiesel, reprinted in the New York Times, 11 December 1986.
13ICTY, Prosecutor v. Radovan Karadžić and Ratko Mladić, cases No. IT-95-5-R61 and IT-95-18-R61, Review
of the Indictments pursuant to Rule 61 of the Rules of Procedure and Evidence, 11 July 1996, para. 64 (emphasis added).
13ICTY, Prosecutor v. Anto Furundzija , case No. IT-95-17/1-T10, Tr ial ChambeIrI, Judgement,
10 December 1998, para. 175. - 44 -
accompany all conflicts, but with a full-fledged pol icy of sexual violence which was an integral,
possibly even crucial, part of the genocidal et hnic cleansing which targeted non-Serbs, specifically
the Muslims of Bosnia and Herzegovina.
6. To that end, I shall begin by reciting a litany of horrors and I apologize in advance for this.
The facts are brutal. The facts are violent. But these are the facts and you should know them. The
first part of my statement will therefore be devoted to recalling the facts, some already set out in
48 our Reply but also, and most importantly, all tho se which have come to light and been established
since that time by international courts, in partic ular in the judgments of the Criminal Tribunal for
the former Yugoslavia (ICTY) (I).
7. I shall then show that these acts constitute the genocide which took place. True, neither
sexual violence in general nor rape nor forced pre gnancy is mentioned by name in Article II of the
Genocide Convention, from which I shall not quote again even once, since it is by now etched in
everyone’s memory. Although sexual violence is not included expressis verbis in the language of
ArticleII, I do not think it will be very diffi cult to convince you, in the second part of my
argument, that, in the light of the context in which such acts were committed, sexual assault and
rape can fall within the five legal categories of acts constituting genocide under ArticleII of the
Genocide Convention (II).
8. But, as we all know, the commission of the terrible acts cited in ArticleII is not enough
for there to be genocide. There must of course be an additional element, which accounts for all the
horror and uniqueness of genocide, which gives it its “unique nature” 133. These various acts must
have been carried out, as you know, with “intent to destroy, in whole or in part, a national, ethnical,
racial or religious group, as such”. The importa nce of genocidal intent in characterizing acts as
genocide can never be overstated. The final part of my argument will therefore deal with genocidal
intent, which, as we shall see, underlies the act s of sexual violence committed in Bosnia and
Herzegovina (III).
The PRESIDENT: MsStern, could I ask you to assist the interpreters by speaking a little
more slowly?
133
ICTY, Prosecutor v. Milomir Staki ć, case No.IT-97-24-T, Trial Chamber II, Judgement, 31July2003,
para. 520. - 45 -
Ms STERN: Yes, Madam President, I will try.
49 I. T HE FACTS (FACTUAL BASIS FOR DETERMINING THAT GENOCIDE HAS BEEN COMMITTED )
9. The first observation to be made is that the acts, the instances of sexual violence, are great
in number and it is impossible to catalogue all of th ese grim events exhaustiv ely here before you.
Rape and sexual assault were committed on a then unprecedented scale, as noted by
Cherif Bassiouni, President of the Commission of Experts, whose report was used, inter alia, as the
basis for creating the ICTY, when he stated that “[t]he conflict in the former Yugoslavia has taken
sexual violence to new levels” 134.
10. I am therefore going to present to you only the main themes which leap out to anyone
pondering the countless instances of sexual violen ce which occurred in Bosnia, which I shall
illustrate by a few examples, so that the pictur e I am going to paint for you does not remain an
intellectual construct but takes incarnate form in the pain of those ⎯ female and male ⎯ who
suffered the abuse. I shall not revisit in detail th e more than 30pages in the Republic of Bosnia
and Herzegovina’s Reply of 23 April 1998, 30pages devoted to describing the numerous sexual
assaults involved in this case before the Court; I sh all merely recall a particular incident now and
then and shall endeavour instead to draw the Cour t’s attention to facts which have recently either
come to light or been confirmed.
11. But I must first address, even if there will be no need to dwell on this, the inadmissible
allegations made by Serbia and Montenegro in its Re joinder, in which it tries its best, yet again, to
disprove the facts of sexual violence, which it only deigns to consider under the heading, as telling
135
as it is insulting, of “alleged rapes” .
13Cherif Bassiouni, “Sexual Violence” (“Sexual Violence, an Invisible Weapon of War in the former
Yugoslavia”), Occasional Paper No.1, International Human Ri ghts Law Institute, DePaul University College of Law,
1996, p. 2 (Ann. 71 of the Reply).
13Rejoinder of Serbia and Montenegro, 22 February 1999, para. 3.3.5: “Alleged Rapes”. - 46 -
12. Aside from challenging some inform ation sources presented in our Reply ⎯ a challenge
based on a forced or incomplete reading and inte rpretation of the actual statements quoted and to
which there is no need to return ⎯ Serbia and Montenegro, to disprove the existence of rape and
sexual assault, was able to find only one expedient: that of launching into a vehement criticism of
50 the ICTY Prosecutor’s impartiality in drafting the indictments. Thus, it argued that the prosecution
136
followed a “policy of double standards” in assessing the facts, contending that the charges were
more serious when against Serbs than when agai nst Bosniaks. While Bosnia does not intend to
enter into a debate with the Respondent on this point, which is of no significance in the present
proceedings, it still must examine later on the conclusion drawn from this, that it is to say our
opponent’s denial of the truth of the facts established in the indictments, which it judges to be, in its
137
own words, “little credible” .
13. Bosnia and Herzegovina wishes to make cl ear that it has never claimed that indictments
have the weight of final judgments.
14. But no matter: Serbia and Montenegro’s allegations are now just as unfounded as they
are pointless. Nobody here can be unaware that the indictments cited by Bosnia and Herzegovina
in its Reply have in the meantime been supported and corroborated by final judgments and that the
criminal acts alleged in them have thus been so lidly proved. Thus, if we limit ourselves just to
ICTY case law, the Reply cited ten indictments, two decisions reviewing indictments pursuant to
Article 61 and one judgment, that rendered in the Tadić case. But by now, as we all know, many
judgments have been handed down; you will find citations to them in the footnotes to this
statement.
15. Having said that, I shall begin this horrifying account by taking as just such an example
138
the facts established by the ICTY in the Kunarac, Kovac and Vukovi ć case , which has been
called “the rape-camp case” [l’affaire du camp des viols] ; I would point out that, even though the
136
Rejoinder of Serbia and Montenegro, 22 February 1999, para. 3.3.5.6.
137
Rejoinder of Serbia and Montenegro, 22 February 1999, para. 3.3.5.36.
13Prosecutor v. Dagoljub Kunarac, Radomir Kovac and Zoran Vukovi ć, cases Nos. IT-96-23 and IT-96-23/1,
Trial Chamber II, Judgement, 22 February 2001. - 47 -
case is not about a detention camp proper, it has ne vertheless been given this name because the
entire city of Foča and its surroundings became a giant arena, in houses, in schools, in gymnasiums,
of rape and sexual assault.
16. My reason for choosing this case is that it is a particularly revealing example, even if far
from an isolated one, of the way in which ethni c cleansing was carried out and above all of the
manner in which rape was used as part of ethnic cleansing. According to the ICTY, many women
51
were
“raped repeatedly. Serb soldiers or polic emen would come to these detention centres,
select one or more women, take them out and rape them. Many women and girls,
139
including 16 of the Prosecution witnesses, were raped in that way” .
17. Specific examples of rape and sexual assault abound in this judgment. I shall not go
through the whole grim list and shall cite only a few particularly characteristic and appalling
instances:
“FWS-62 described how, one night, the woman sleeping next to her was raped
in full view of the other detainees and her ten-year old son at her side.” 140
“FWS-95 roughly estimated that during the entire period of her detention at
both Fo ča High School and Partizan, that is, about 40 days, she was raped
141
approximately 150 times.”
“FWS-95 stated that the night before she and the other detainees were released
from Partizan, she was taken out together with FWS-90, brought t142 stadium and
raped by many soldiers, mostly by two at the same time.”
“FWS-75 . . . and A. B., a girl aged 12 y ears at the time, were . . . taken to a[n]
apartment . . . FWS-75 and A. B. spent about 20 days in this apartment during which
they were constantly raped by the two occupants of the apartment... In
mid-November, the two women were taken to a house . . . They stayed in this house
for approximately 20 days during which they were continually raped by a group of
soldiers. This group of soldiers subseque ntly took them to yet another apartment
where they continued to rape them for about two weeks... A.B. was sold for
200 DM and never seen again.” 143
139Prosecutor v. Dagoljub Kunarac et al., ibid., para. 574.
140
ICTY, Prosecutor v. Dagoljub Kunarac, Radomir Kovac and Zoran Vukovi ć, cases Nos.IT-96-23 and
IT-96-23/1, Trial Chamber II, Judgement, 22 February 2001, para. 30.
141
Ibid., para. 37.
142Ibid., para. 39.
143Ibid., para. 42. - 48 -
18. This case is merely one example of a stra tegy followed over and over again. If we
wished to describe the sexual violence which to ok place in Bosnia and Herzegovina in a single
sentence ⎯ but one laden with meaning ⎯ I would simply say that sexual assault was practised
very extensively, in all spheres and segments of Muslim society in Bosnia, repeatedly, throughout
Bosnia, and, above all, with unprecedented violence and perversity.
52 Sexual violence was practised very extensively
19. But, as you know, figures, dry and abstract as they are, do not fully reflect the pain which
they record, even though they do constitute a point of reference for measuring it.
The figures on sexual violence
20. I am not about to engage in a duel of figures. I shall simply refer to the Special
Rapporteur of the Commission on Human Rights, which, under the direction of
MrT. adeuszMazowiecki, stated that there were “likely to have been...pproximately
144
12,000 incidents of rape” . But that conclusion is beside the point as far as this case is concerned.
Underestimating incidents of sexual violence
21. Figures do not convey reality and, moreover, the figures advanced, startling as they may
be, very likely fall short of the reality. It is indeed a matter of public knowledge, and
TadeuszMazowiecki noted this in his report, that “[r]ape is among the most under-reported
crimes” 14. In most cases, women who have been rape d take refuge behind a wall of silence, and
perhaps even more so in Muslim society than in others. The disg race, shame, and even fear of
reprisals, which accompany rape often lead them to prefer the anguish of silence to the release that
can come with reporting what they went through. Amnesty International has clearly highlighted
this phenomenon, in a report on sexual violence in Bosnia and Herzegovina, which states: “Some
women, it seems, feel they must obliterate the experience from their memory; others feel degraded
and ashamed or fear that they would suffer soci al stigma should they disclose what has been done
144
United Nations, Situation of Human Rights in the Te rritory of the former Yugoslavia , report submitted by
Mr. adeusz Mazowiecki, Special Rapporteur of th e Commission on Human Rights, doc. /CN.4/1993/50,
10 February 1993, Ann. II, p. 67, para. 30.
145Reply of Bosnia and Herzegovina, 23 April 1998, Chap. 7, para. 25. - 49 -
to them” 146. An unmarried woman who has been raped f ears that she will no longer be able to find
a husband, a married woman who has been raped ap prehends the looks she might receive from her
husband and children, both fear rejection by their community. That, it seems to me, is a sufficient
53 explanation why Bosnia is not seeking to impress th e Court with statistics, which, whatever they
might be, would in any event likely fall well short of the truth.
The challenge to the evidence of sexual violence
22. A truth ⎯ the truth of rape and sexual assault ⎯ which the Respondent strove to deny in
its Counter-Memorial by challenging the evidence of sexual violence: specifically, the Respondent
maintained that Bosnia and Herzegovina had fa iled to submit evidence of the consequences of
sexual violence and that it had therefore not been proved. Specifically, Serbia and Montenegro
insisted on evidence of immediate and longer term consequences of rape and sexual assault.
Among the immediate consequences, Serbia and Montenegro demanded that Bosnia submit
evidence of “injuries of the vagina or rectum as a result of coercive insertion of objects into them
[and of] sexually transmitted diseases” 147; in respect of later consequences, Serbia and Montenegro
demanded that Bosnia and Herzegovina provide evidence of the following:
“[I]n men: there have to be scars on the penis . . . , testicles atrophy, changes on
the seminal duct and prostate gland, incl uding sterility; in women: scars on the
exterior genital organs, vagina or uterus, . . . ; in both sexes: fissure of the anus . . . ,
148
damaged mucous membrane and vascular tissue, etc.”
Bosnia and Herzegovina would like to express before the Court its indignation at this defence.
What effrontery to deny the existence of rape an d sexual abuse in the face of countless statements
from victims: why would they have spoken of rape if it were not true, given the well-known
phenomenon of the shame attaching to the victim of such a violation? What impudence then to
demand physical evidence when it is obviously not necessary to prove rape; rape can take hold in
the flesh and mind of the victim without leaving any visible trace. Rape is rape, whatever the
physical vestiges. Bosnia and Herzegovina will therefore not venture down this path, the inanity of
which appears ultimately to have been recognized by Serbia and Montenegro itself, since this
146
Amnesty International Report, Bosnia and Herzegovina: Rape and Sexual Abuse by Armed Forces, Index AI:
EUR 63/01/93, January 1993, pp. 1-2 (Reply, Ann. 77).
147
See Counter-Memorial of Serbia and Montenegro, para. 1.3.4.3.
14Ibid. - 50 -
argument ⎯ as fallacious in fact as it is wrong in law ⎯ was not pursued in its Rejoinder, even
54 though it has not explicitly retracted it. To bring this factitious debate begun by the Respondent to
a close, I shall simply quote from the Bradnin case, in which the ICTY stated in the most
unequivocal terms:
“‘Causing serious bodily or me ntal harm’ in sub-paragraph ( b) is understood to
mean, inter alia, acts of torture, inhumane or degrading treatment, sexual violence
149
including rape . . . The harm inflicted need not be permanent and irremediable.”
Having disposed of this non-argument, I am now going to show that sexual violence was
practised against all sectors of Bosnia’s Muslim community.
Sexual violence was committed against all sectors
of Muslim society in Bosnia
Rape and sexual assault were committed primarily against Muslim women in Bosnia
23. Rape and sexual assault were widespread, co mmitted against women of all ages: against
13-, 14-, 17-year-old teenagers, who were thus br utally introduced to sexuality, against newly-wed
women and new mothers whose womanhood was inevitably crushed, but also against old women
over the age of 80, “who had to face death with the burden of this last indecent offence” 150and
even ⎯ I can barely bring myself to say this ⎯ little girls between the ages of four and seven.
I shall show in a few minutes that the sexua l violence perpetrated against women followed a
pattern which made it genocidal in nature. Women suffered sexual violence both outside the
camps, particularly when cities and villages were taken by Serb forces, and during their internment
in the camps, where rape was even more frequent 151. While women, including very young women,
girls, even little girls, were definitely the main victims of sexual violence, men were not spared, as
I just said.
149
ICTY, Prosecutor v. Radoslav Bradnin, case No. IT-99-36-T, Trial Chamber II, Judgement, 1 September 2004,
para.690. See also ICTY, Prosecutor v. Milomir Staki ć, case No.IT-97-24-T, Trial ChamberII, Judgement,
31 July 2003, para. 516.
150
Reply of Bosnia and Herzegovina, 23 April 1998, Chap. 7, para. 45.
15Reply of Bosnia and Herzegovina, 23 April 1998, Chap. 7, paras. 60-80. - 51 -
55 Sexual violence was also committed against Muslim men in Bosnia
24. Sexual violence against men was perpetrated essentially in the detention camps. There is
much testimony describing sexual violence of all kinds practised against men 15, sometimes father
and son, sometimes two brothers. As noted in the Reply, “[s]exual assaults against men took
mainly two forms: one is coerced sexual activity with other men, the other is aggression against
153
their virility” . Of course, an overall pattern, as indisputably exists in respect of sexual violence
against women, such an overall pattern is less easily discerned in respect of sexual violence against
men, if only because there were, as I have just stated, fewer instances of it. But does that mean that
no account should be taken of them in a case in wh ich genocide is charged? I think not. I think
not, because acts of sexual violence between non-Serb men, in particular Bosnian Muslims, which
might not qualify as acts of genocide if considered separately do become such acts when they are
analysed as part of the overall pattern of genocide, within which they easily fall, above all in a
Muslim cultural context.
Sexual violence was also committed repeatedly
25. It is obvious that rape and sexual assau lt were not limited to sporadic acts between
perpetrators and their victims. Indeed, many ra pes were committed by several aggressors at the
same time against one and the same victim. T hus, for example, as the ICTY corroborated in the
“rape camp” case which I have already mentioned, gang rapes occurred; I quote the Tribunal:
“For the most part, the Appellants in this case were convicted of raping women
held in de facto military headquarters, detention centres and apartments maintained as
soldiers’ residences... Typically, the women were raped by more th154one
perpetrator and with a regularity that is nearly inconceivable.”
56 26. While the commission of rape and sexual ass ault was at its highest in 1992, the policy of
rape as an instrument of terror nevertheless c ontinued well afterwards, as shown by the periodic
reports by the Special Rapporteur appointed by the United Nations Commission on Human Rights;
the reports submitted in 1993, 1994, 1995 and even 1996 invariably note that such acts continued to
152
ICTY, Prosecutor v. Milomir Staki ć, case No.IT-97-24-T, Judgement, Trial Chamber II, 31 July 2003,
para. 241.
153
Reply of Bosnia and Herzegovina, 23 April 1998, Chap. 7, para. 54.
15Prosecutor v. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac and Zoran Vukovic, cases Nos. IT-96-23 and IT-96-23/1-A,
Appeals Chamber, Judgement, 12 June 2002, para. 132 (emphasis added). - 52 -
be committed 15. In 1996, the General Assembly of the United Nations thus continued to
“[e]xpress . . . its outrage that the systematic practice of rape has been used as a weapon of war and
an instrument of ethnic cleansing against wome n and children in the Republic of Bosnia and
156
Herzegovina” . Madam President, Members of the Court, the General Assembly itself has said
so: in Bosnia the systematic practice of rape wa s used as an instrument of ethnic cleansing, in
other words as an instrument of genocide.
Sexual violence took place throughout Bosnia
27. This ethnic cleansing, in which sexua l violence played a central role, occurred
everywhere in Bosnia, throughout the entire terr itory. First, sexual violence accompanied attacks
on towns and villages.
Sexual violence accompanied attacks on towns and villages
28. At those times it took the form of a full-fledged strategy of intimidation and terrorization
of the inhabitants to force them to flee and aba ndon their homes. The events connected with the
Kunarac case which I have already cited illustrate the violence committed in the municipality of
Foča. I could say the same in respect of many other towns but you have already heard lengthy
descriptions of this since the beginning of the week and I shall not revisit it. I shall however simply
recall several names which should bring to mind what you have already heard.
Sexual violence raged above all in the camps
29. And sexual violence raged above all in the detention camps to which the non-Serb
population, particularly the Muslim population, wh ich had not yet fled was transferred. These
57 camps were set up in a number of areas, as my colleague Magda Karagiannakis has explained to
you.
155
See the Reply of Bosnia and Herzegovina, 23 April 1998, Chap. 7, paras. 88-92.
156United Nations, doc.A/RES/50/192, “Rape and abuse of wome n in the areas of armed conflict in the former
Yugoslavia”, 22 December 1995, para. 2. - 53 -
30. Rape and sexual assault were thus regularly practiced in the Luka detention centre, in the
municipality of Brcko 15.
31. They were also committed in the Prijedor region, location of the notorious detention
camps of Omarska, Keraterm, Trnopolje. They were also committed in the region of Bosanski
Samac, they were also committed in the municipa lity of Vlasenica, location of the grisly camp of
Susica, the commandant of which, Dragan Nikoli ć, admitted in his guilty plea to having raped
women himself. I could go on with this litany, but I shall stop here.
32. Over and above the fact that we would like to be able to convince ourselves that this was
an exhaustive list, what I want above all, Madam President, Members of the Court, is to show the
Court that all of the judgments ⎯ all of them ⎯ dealing with the events in these camps have made
a particular point of stressing that the rapes and acts of sexual violence were committed with
discriminatory intent towards the women because they were Muslim 158.
The acts of sexual violence were committed with incredible violence and depravity
33. Madam President, Members of the Court, I cannot conceal from you, before closing this
presentation of the facts, that the acts of sexual violence were committed with unprecedented
violence and depravity. Although a bald statement of the facts is sometim es sufficient in itself to
disclose the full cruelty and depravity with which rapes and acts of sexual violence were committed
in Bosnia, thereby enabling the intensity of the physical suffering and humiliation to be
comprehended, Bosnia and Herzegovina does not in tend, in the limited time allotted to it, to
produce an exhaustive ⎯ and inevitably sordid ⎯ catalogue.
15ICTY, Prosecutor v. Slobodan Milošević, case No.IT-02-54-T, Trial Cham ber I, Decision on Motion for
Judgement of Acquittal, 16 June 2004, para.159; Prosecutor v. Rando Cesic, case No.IT-95-10/1-5, Trial ChamberI,
Sentencing Judgement, 11 March 2004, para. 13.
158
ICTY, Prosecutor v. Radoslvan Bradnin, case No. IT-99-36T, Trial Chambe r II, Judgement, 1 September
2004, para. 518; ICTY, Prosecutor v. Milomir Stakić, case No. IT-97-24-T, Judgement, Trial Chamber II, 31 July 2003,
para. 806; ICTY, Prosecutor v. Momcilo Krajisnik, Trial Chamber I, Decision on Third and Fourth Prosecution Motions
for Judicial Notice of Adjudicated F acts, 24 March 2005, paras.607-608 (in hs general submissions regarding the
Kunarać case). - 54 -
58 34. Thus I have deliberately refrained fro m dwelling at length on details of the sexual
mutilations that some victims suffered, on the fact that on certain occasions brothers or parents
159
were forced to enter into sexual relations with each other in public ; on rapes of women
160 161
committed in front of their infant children ; on gang rapes ; on the fact that the most diverse
objects were used for purposes of sexual penetration, to cite only “ramming a police truncheon in
162 163
the anus of a detainee” , which was rightly regarded by the ICTY as an “act of torture” . It goes
without saying that the terms “rape” and “sexua l violence” which I use in my presentation are
sometimes manifestly insufficient to describe the brutality and depravity of acts that are real acts of
sexual “torture”.
35. The example that follows, from the Stakić case, concerning rap es and acts of sexual
violence committed in the Omarska camp, gives an insight into the conditions, particularly
degrading and humiliating for the victims, in whic h some rapes and acts of sexual violence were
committed. I cite a passage from this case:
“Witness G [I make it clear that witness G is a woman] was taken into an office
at the police station where there were five men wearing various uniforms. ‘Lugar’
ordered her to undress. She did so very sl owly, putting her clothes on the table. She
was having her period that day. One of the men insulted her; he ordered her to lie on
the table and spread her legs. ‘Lugar’, who w as at the side of the table, ordered her to
stretch out so that she had a knife under her throat. Two men then beat her repeatedly,
one armed with a belt, the other with a bat, while insulting her. After the first blow
the knife slipped. She wept; the men turn ed the music volume up full. One of them
164
said that she ought to be refreshed and urinated on her.” [Translation by the
Registry.]
159
ICTY, Prosecutor v. Rando Cesi ć, case No. IT-95-10/1-5, Trial Ch amber I, Sentencing Judgement,
11 March 2004, para. 13.
16ICTY, Prosecutor v. Dagoljub Kunara ć, Radomir Kova ć and Zoran Vukovi ć, cases Nos.IT-96-23 and
IT-96-23/1, Trial Chamber II, Judgement, 22 February 2001, para. 30.
16ICTY, Prosecutor v. Slobodan Milošević, case No. IT-02-54-T, Trial Chamber I, Decision on Motion for
Judgement of Acquittal, 16 June 2004, para. 200.
16ICTY, Prosecutor v. Blagaje Simi ć, Miroslav Tadi ć, Simo Zari ć, case No.IT-95-9-T, Trial ChamberII,
Judgement, 17 October 2003, para. 728.
16Ibid., para. 772.
164
ICTY, Prosecutor v. Milomir Staki ć, case No. IT-97-24-T, Judgement, Tr ial Chamber II, 31 July 2003,
para. 236. - 55 -
36. If the Court needed convincing further, all that would be needed would be to refer back
here to the sadly notorious case of the sexual crue lty inflicted on Fikret Harambasic, which caused
59 his death, and which was considered in 1977 by the ICTY in the Tadić case. The ICTY account
stresses the barbarity of the acts when it shows that “G” and “H” were compelled to commit acts of
sexual violence on Fikret Harambasic 16. This stresses the barbarity of the acts , especially if one
bears in mind the fact that behind the abstract fo rms of “H” and “G” are beings of flesh and blood.
I am reading the account in the Tadić decision:
“Witness ‘H’ was ordered to lick his naked bottom and ‘G’ to suck his penis
and then to bite his testicles. Meanwhile a group of men in uniform stood around the
inspection pit watching and shouting to bite ha rder. All three were then made to get
out of the pit onto the hangar floor and w itness ‘H’ was threatened with a knife that
both his eyes would be cut out if he did not hold Fikret Harambasic’s mouth closed to
prevent him from screaming; ‘G’ was then made to lie between the naked
Fikret Harambasic’s legs and, while the latte r struggled, hit and bite his genitals. ‘G’
then bit off one of Fikret Harambasic’s tes ticles and spat it out and was told he was
free to leave. Witness ‘H’ was ordered to drag Fikret Harambasic to a nearby table,
where he then stood beside him and was then ordered to return to his room, which he
166
did. Fikret Harambasic has not been seen or heard of since.”
37. We close this sordid catalogue at this point, because even the language of the brief
extract just presented is quite sufficient to give the Court a glimpse of the physical and mental
sufferings and the humiliations that these heinous acts must have caused the victims.
38. In view of all the preceding considera tions, Bosnia and Herzegovina stresses that the
general features of the rapes and acts of sexual violence committed throughout its territory that I
have just described to the Court are enough to show, Madam President, Members of the Court, that
the rapes and acts of sexual violence committed on the non-Serb population, in particular the
Muslim population, of Bosnia and Herzegovina can obviously and properly not be regarded ⎯ if
one dares to use the expression ⎯ as the “collateral damage” inherent in any war, in any armed
conflict. The rapes and acts of sexual violence ar e now established facts. They no longer have to
be proved: they are public knowledge, even if they are above all a private wound.
165
ICTY, Prosecutor v. Dusko Tadić alias “Dule”, case No. IT-94-1-T, Trial Chamber, Judgement, 7 May 1997,
para. 198.
166
Ibid., para. 206. - 56 -
Madam President, I have now completed my presentation of the facts.
60 Le PRESIDENT: Je vous remercie, Madame Ster n. La Cour va à présent se retirer et
reprendra l’audience à 15 heures, cet après-midi.
The Court rose at 1.05 p.m.
___________
Translation