CrY
CR 2008/13 (traduction)
CR 2008/13 (translation)
Vendredi 30 mai 2008 à 10 heures
Friday 30 May 2008 at 10 a.m. - 2 -
8 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour est aujourd’hui
réunie pour entendre le second tour des plaidoiries de la Croatie et je donne maintenant la parole à
S. Exc. M. Šimonovic, agent de la Croatie.
Je pensais que M. Šimonovic tiendrait à présenter l’équipe du second tour mais en fait, nous
entendrons dès à présent M. Sands.
M. SANDS :
1. Je vous remercie. Madame le président, M essieurs de la Cour, nous relevons que, hier, la
Serbie s’est finalement sentie capable de répondre à l’invitation figurant dans la lettre du greffier
du 6mai dernier. Nous pensions qu’elle le ferait lundi et nous avons écouté avec admiration les
résultats de la préparation et des recherches qui ont tant bien que mal été effectuées dans la très
courte période comprise entre la clôture de notre premier tour de plaidoiries et l’ouverture de son
deuxième tour, hier matin. Quoiqu’il en so it, nous sommes bien entendu heureux de pouvoir
répondre à ce qui a été dit hier. Une réponse relativement brève suffira.
2. Je commencerai par me penche r sur l’application de la conve ntion sur le génocide, et sur
la question de l’accès à la Cour aux termes du pa ragraphe1 de l’article35. M.Crawford
s’exprimera ensuite sur la question de l’arrêt Mavrommatis, sur le paragraphe2 de l’article35 et
sur un aspect résiduel de la thèse de la Serbie c oncernant la non-rétroactivité. L’agent de la
Croatie, l’ambassadeur Simonovic, se penchera en suite brièvement sur la troisième exception
préliminaire de la Serbie avant de faire quelques observations fina les. Madame le président, nous
pensons avoir terminé dans une heure et demie, il se pourrait donc, selon ce que vous souhaitez
faire, qu’il ne soit pas nécessaire de poursuivre après la pause.
Le PRESIDENT : Oui, Monsieur Sands, nous supposions que nous ne ferions pas de pause.
M. SANDS :
3. Avant de passer aux deux questions que j’ai cernées, je voudrais faire quelques
observations préliminaires.
La4. première concerne les positions politiques qu’a adoptées la Croatie au cours des
années1990. Nul n’ignore que la Croatie, ai nsi que tous les autres Etats successeurs de - 3 -
l’ex-RFSY, étaient fermement d’avis que les cinq Etats successeurs devaient être traités sur un pied
9
d’égalité. Il ne s’agissait pas d’opportunisme po litique, comme l’a laissé entendre le conseil de la
1
Serbie F. Il s’agissait d’une question de principe.
5. Voilà qui m’amène à une deuxième observation préliminaire: les conséquences de votre
arrêt de 1996. Quelle que soit la question de principe qui a pu insp irer la position politique qu’elle
a adoptée et quelle que soit son appréciation de la situation juridique, la Croatie devait tenir
pleinement compte des décisions de la Cour, qui fo nt autorité, puisqu’elle est l’organe judiciaire
principal de l’Organisation des Nations Unies, et de planifier l’avenir en conséquence. Après 1996,
la Croatie aurait pu faire l’autruche et ne pas teni r compte de votre arrêt, ce qu’elle a évidemment
décidé de ne pas faire. Comment peut-on la criti quer pour cette raison ? Da ns l’arrêt de 1996, la
Cour a tiré d’importantes conclusions de droit: par exemple, que la RFY était liée par la
convention sur le génocide; que l’article35 du St atut de la Cour n’empêchait nullement la RFY
d’avoir accès à la Cour ; et que, comme vous l’avez expliqué par la suite, la RFY avait des rapports
sui generis avec l’Organisation des NationsUnie. La Croatie a étudié avec soin ces décisions,
comme elle était tenue de le faire. Elle les a prises en compte puisqu’elles faisaient autorité,
notamment au cours de la période d’examen attentif auquel elle s’est livrée avant de décider si elle
devait engager la présente procédure. Elle a pr is cette importante décision en se fondant sur les
avis qui lui ont été donnés et votre arrêt de 1996 en était la pierre angulaire. Imaginez si vous aviez
rendu une décision différente ⎯ou si la Cour s’était déclarée incompétente ou que l’accès à la
Cour était exclu par l’article35 ⎯ cela aussi aurait, cela va de soi, constitué un facteur très
important au moment où la Croatie a décidé de quelle manière elle allait procéder. Mais tel n’a pas
été le cas et, maintenant, la Serbie dit que la Croatie accorde trop d’importance à l’arrêt de 1996 FF.
Et elle soutient sans vraiment expliciter sa position que, vu les positions prises par la Croatie par le
passé, le défendeur n’a pas le droit d’ester devant la Cour ou que la Cour ne peut exercer sa
3
compétence F. Mais pourquoi? Lorsqu’une juridiction de ce genre parle ⎯surtout la Cour
1
CR 2008/12, p. 12-13 (Varady).
2
CR 2008/12, voir notamment p. 44-46 (Zimmermann).
3CR 2008/12, p. 11-13, par. 8, 12-14. - 4 -
internationale de Justice ⎯, les Membres de l’Organisation des NationsUnies lui doivent un
respect absolu et ceux-ci peuvent, en retour, au mo ins se fier à l’approche suivie par la Cour après
des années d’examen, d’examen attentif, et plusieurs tours de plaidoiries écrites et orales.
10 6. Le défendeur cherche maintenant à minimi ser la jurisprudence de la Cour. D’après
M.Varady, les six décisions de la Cour ⎯cette longue et impressionnante liste d’affaires ⎯ se
4
réduisent en fait à une seule, l’arrêt de1996 F. Et celui-ci, dit-il, ne porte pas vraiment sur les
questions soulevées dans la présente instance, puisque la qualification de la déclaration de 1992 et
5
de la note qui l’accompagnait n’y était pas examinée F. En toute déférence, cela n’est pas correct :
la déclaration de1992 et la note sont mentionnées dans toutes les décisions relatives à
l’affaire Bosnie. Nous ne comprenons tout simplement pas comment on peut nier que ces
documents constituaient des éléments juridiquement pertinents sur lesquels la Cour s’est appuyée
pour conclure que la RFY était lié e par la convention sur le génoc ide. D’ailleurs, la RFY l’a
elle-même reconnu ⎯de manière implicite, il est vrai ⎯ dans une note diplomatique qu’elle a
communiquée à la Croatie le 19février1997, après le prononcé de l’arrêt. Cette note disait que
l’arrêt de 1996 «a déclaré que la République fédérale de Yougoslavie était partie contractante à la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, même si celle-ci n’avait
déposé aucun acte de succession ou d’accession à cette convention.» F.
7. Cela m’amène à notre troisième observa tion préliminaire: nous n’avons pas pu nous
empêcher de relever le fil conducteur d’un bon nom bre des arguments avancés par la Serbie : elle
insiste pour faire prévaloir la forme sur le fond. Selon elle, on ne peut s’appuyer sur la déclaration
7
de 1992 parce que certaines cond itions de forme font défaut F. Cet argument n’est pas nouveau, et
il a déjà été rejeté. Certaines des modalités de form e n’ont, d’après la Serbie, pas été suivies. Cet
argument a lui aussi déjà été invoqué, et il a aussi été rejeté. Les conditions de forme énoncées à
l’article35 n’ont pas été rempli es, notamment en ce qui concerne la qualité de Membre de
l’Organisation des NationsUnies. Là encore, on parle de la forme au détriment du fond. Là
4 CR 2008/12, p. 63, par. 15 (Varady).
5 Ibid., par. 16.
6 Documents nouveaux produits devant la Cour avant l’ouverture de la procédure orale.
7 CR 2008/12, p. 38-39, par. 32, 34 (Zimmermann). - 5 -
encore, un argument qui n’a pas été retenu. On ne saurait reprocher à la Serbie un manque de
persistance. Pourtant, si l’on se fie à son approche, on croirait que le droit international n’est qu’un
ensemble de catégories juridiques qui servent à éti queter et apprécier les actes des Etats. Ce n’est
pas le cas.
11 La convention sur le génocide
8. J’en viens maintenant à la convention sur le génocide, et à la question de son applicabilité.
M. Zimmermann s’est exprimé sur ce point, et j’espère qu’il m’excusera si j’extrais de son exposé
les trois éléments qui nous ont semblés en être constitutifs.
9. La première question qu’il a abordée est la suivante: la RFY était-elle liée par la
convention sur le génocide le 2 ju illet 1999 ? Sa réponse est négative F. Et il nous reproche notre
manque de clarté quant aux éléments que nous avons avancés à l’appui de notre thèse opposée. On
pourrait dire que, à ce sujet, notre cristal était flou et manquait de limpidité. La Croatie s’en
étonne, nous estimions en effet avoir fait preuve de cohérence dans notre approche. Dans la
requête du 2juillet1999, la Croatie s’est appuyé sur les règles et principes généraux du droit
international en ce qui concerne la question de la succession. Et mardi, j’ai rappelé cette position
au nom de la Croatie, et j’ai cité les textes faisant autorité à l’appui de cette thèse. Bien entendu, la
Croatie peut subsidiairement fair e fond sur la déclaration de la RFY du 27avril1992, comme la
Cour semble l’avoir fait dans son arrêt de 1996.
«[L’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie] a signé la c onvention
sur le génocide le 11décembre1948 et a dé posé son instrument de ratification, sans
réserves, le 29août1950. Lors de la pr oclamation de la République fédérative de
Yougoslavie, le 27 avril 1992, une déclaration formelle a été adoptée en son nom, aux
termes de laquelle :
«La République fédérative de Yougos lavie, assurant la continuité
de l’Etat et de la personnalité juridi que et politique internationale de la
République fédérative socialiste de Yougoslavie, respectera strictement
tous les engagements que la Répub lique fédérative socialiste de
Yougoslavie a pris à l’échelon international.»
L’intention ainsi exprimée par la Yougo slavie de demeurer liée par les traités
internationaux auxquels était partie l’ ex-Yougoslavie a été confirmée dans une note
officielle du 27 avril 1992 adressée au Secrétaire général par la mission permanente de
la Yougoslavie auprès des Nations Unies.»
8 CR 2008/12, p. 40, par. 36. - 6 -
La Serbie soutient à présent que la Croatie ne peut invoquer cette déclaration puisqu’elle ne
s’est jamais référée à la note. Avec tout le respect dû, cela est faux et cet argument reflète ⎯ là
encore ⎯ le formalisme excessif de la Serbie. Lorsque la Croatie a invoqué l’arrêt de la Cour
de 1996, que faisait-elle, sinon s’appuyer sur la déclaration de la RFY ?
10. M. Zimmermann affectionne les étiquettes juridiques. Pour lui, le droit n’est rien d’autre
qu’un ensemble de questions techniques. Il s’agit de catégoriser les faits, de dire si les étiquettes
9
12 s’appliquent ou non et, à partir de là, de tirer ou non telle ou telle conséquence F. Le droit
international pourrait être ainsi, mais il ne l’ est pas. Evidemment, nous pourrions mordre à
l’hameçon et nous livrer à une savante discussion su r les mérites et les carences des différentes
thèses qui existent en matière de succession. M. Zimmermann a demandé sur quel fondement
10
précis la RFY est devenue un Etat successeur? F F Quel est le jour précis où la succession a eu
lieu? a-t-il demandé. Nous n’avons pas exposé clairement notre méthode, a-t-il dit. Nous
convenons que la question de la méthode peut avoir son importance, mais pas dans cette salle, pas
en l’espèce, pas pour cette question. Ces questions sont in téressantes sur le plan théorique, mais
c’est tout ce qu’elles sont: d es questions théoriques. Et mê me si nous devions débattre de
questions théoriques, nous voudrions le faire avec plus de soins que l’a fait M. Zimmermann en ce
qui concerne les autorités citées, et éviter de fair e valoir des arguments contradictoires. Hier, par
exemple, il a dit à la Cour que l’article 34 de la convention de Vienne sur la succession d’États en
matière de traités ne correspondait pa s au droit international coutumier F1Fet que la majorité des
Etats ne l’acceptait pas F2. Il n’a même pas cité son propre ouvrage à titre doctrinal et pour cause :
il y dit que la règle énoncée à l’article 34 reflète un principe qui, en ce qui concerne l’éclatement
complet d’un Etat (ce qui est arrivéà la RFSY) ⎯et je le cite ⎯ «était déjà, en1978,
profondément enraciné dans la pratique des Etats» F3.
9 CR 2008/12, p. 32, par. 7 et p. 33, par. 10.
10CR 2008/12, p. 31.
11CR 2008/12, p. 34, par. 16.
12CR 2008/12, p. 34, par. 17.
13A. Zimmermann, Habilitationsschrift, Staatennachfolge in völkerrechtliche Verträge : Zugleich ein Beitrag zu
den Möglichkeiten und Grenzen völkerrechtlicher Kodifikation (Springer, 2000), p. 860 cité dans l’affaire Bosnie, arrêt
du 26 février 2007, opinion individuelle du juge Tomka, p. 15. - 7 -
11. La vérité est qu’en dépit de tous ces ar guments théoriques, vu l’argument qu’a fait valoir
la Serbie cette semaine, elle doit faire face à un obstacle immense, insurmontable ⎯ on pourrait
dire le Mont Everest des obstacles ⎯ qu’il n’a pas même commencé à aborder, à savoir que vous
avez jugé que la RFY était liée par la c onvention dès le début du conflit entre la
Bosnie-Herzégovine et la RFY à pas moins de six reprises ⎯en1993 (deux fois), en1996,
en 1999, en 2003 et en 2007.
12. Vous n’avez pas changé de cap dans votre arrêt de 2004 : vous avez simplement conclu
que vous n’aviez pas à vous prononcer sur cette question ( Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c B.elgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.IR.ecuei2l004 ,
p3. 13-314, par. 87-88). Si la Conventio n liait la RFY dans ses relations avec la
13 Bosnie-Herzégovine au cours de cette période, elle la liait forcément dans ses relations avec la
Croatie au cours de la même période. La Serbie semble n’avoir rien à répondre à cela. Il n’y a eu
aucune modification de fond sur le plan juridique de mars1993 à juillet1999 . Le conseil de la
Serbie n’a relevé aucune modification ⎯ pas la moindre ⎯ au cours de cette période. L’Etat du
droit au 2 juillet était exactement le même qu’ au 20 mars 1993. Quinze ans après avoir jugé pour
la première fois que la RFY était liée pa r la Convention, la Serbie vous demande ⎯ à nouveau ⎯
de changer de cap. L’objectif réel de cette revendication est tout à fait clair à nos yeux.
13. L’arrêt de la Cour en 1996 sur l’appli cabilité ininterrompue de la convention sur le
génocide était raisonnable, pragmatique et just e. Autant que M.Zimmermann puisse souhaiter
nous voir habiter un monde où chaque Etat énonce, avec une précision absolue, la base de chacune
de ses actions ⎯telles que le calendrier et les modalités de sa succession à certaines obligations
conventionnelles ⎯ une approche catégorielle du droit international, pourrions-nous dire ⎯ la
réalité est toute autre, comme nous le savons tous ici. L’infinie sagesse du droit international réside
dans sa souplesse, sa capacité à s’adapter à de nouvelles circonstances imprévues tout en
maintenant sa cohésion et le strict respect d es principes. Les Etats sont pragmatiques,
l’Organisation des NationsUnies est pragmatique, comme elle l’a été au cours des années
quatre-vingt-dix, la Cour a été pragmatique, le syst ème du droit international est pragmatique. Là - 8 -
encore, la Serbie privilégie la forme au fond. Le fond en l’espèce désigne l’attitude de la RFY
⎯ ni plus, ni moins ⎯ et cette attitude devait être liée par la Convention. La raison qui la motivait
n’est pas un élément juridiquement important.
14. M. Zimmermann a mentionné l’expérience monténégrine plus récente. Lorsque le temps
de l’indépendance est venu pour le Monténégro, le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies
avait peut-être acquis de l’expérience et encouragé cet Etat à faire des déclarations plus précises.
En tout état de cause, ce que le Monténégro peut avoir fait en2006 ne saurait avoir de
conséquences juridiques pour la succession de la RFY au début des années quatre-vingt-dix, pas
plus que des décisions politiques prises à la fin de l’année 2000 ne peuvent influer rétroactivement
sur la situation juridique qui prévalait le 2 juillet 1999.
15. En résumé, il n’est pas douteux que la convention sur le génocide liait la RFY
le 2 juillet 1999.
16. La deuxième question découlant de l’argum entation de M. Zimmermann est la suivante :
la RFY était-elle liée par l’article IX de la convention sur le génocide à la date critique ? Il devrait
être très simple d’y répondre. De la même mani ère que vous avez conclu à six reprises que la
14 Convention avait force obligatoire à cette date, vous avez indiqué que l’article IX reconnaissait la
compétence de la Cour à l’égard de la RFY à la date de dépôt de la requête de la
Bosnie-Herzégovine. La Serbie vous invite à présen t à renverser cette décision. Elle affirme que
sa déclaration de1992 ne peut être invoquée ⎯pour des raisons de forme ⎯ et que les clauses
compromissoires ne peuvent faire l’objet d’une succession automatique. Sur quel fondement?
M.Zimmermann n’a cité aucun nom. Il a renvo yé la Cour à l’exposé écrit des exceptions
14
préliminaires du défendeur F . Nous nous sommes penchés consciencieusement sur ces sources.
Elles sont très peu nombreuses ; aucune n’est pertinente. Je vous donnerai deux ou trois exemples :
l’une des sources alléguées est l’avis du Conseille r juridique de l’Organisation des NationsUnies
15
en1974, rapporté par M.Schachter F . Mais cette objection à la succession concernait des traités
politiques, tels que des traités de règlement pacifique et non des traités comme la convention sur le
génocide, qui relève de la cat égorie des accords «essentiellement … non-politiques visant à une
14CR 2008/12, p. 36.
15
RFY, exceptions préliminaires, annexe 38. - 9 -
application universelle». La seconde source invoquée par le défendeur est l’ annuaire1974 de la
16
Commission du droit international F , qui donne à penser qu’il ne serait pas juste d’imposer des
obligations par voie de succession à des « Etats nouvellement indépendants ». On pouvait le
comprendre dans le contexte de la décolonisa tion, mais nous ne nous trouvons pas dans cette
situation et la RFY n’était pas un Etat nouvellement indépendant. Cette source ne va donc pas non
plus dans le sens souhaité. En réalité, aucune des rares sources mentionnées ne concerne un traité
tel que la convention sur le génocide. A y voir de près, la Serbie n’a en fait aucune source à
invoquer.
17. En conclusion : il n’est pas douteux que le 2 juillet 1999, la RFY était liée par l’article IX
de la convention sur le génocide. Juger le c ontraire équivaudrait à renverser quinze années de
jurisprudence et à remettre en question le fondeme nt des décisions de la Cour dans l’affaire
introduite par la Bosnie-Herzégovine.
18. Ce qui nous amène à la troisième questi on: en admettant que la RFY était liée par la
Convention, y compris son article IX, la Cour est -elle compétente pour connaître d’événements qui
se sont produits avant le27avril1992, date à laque lle, selon la Serbie, la RFY a vu le jour? La
Serbie dit non, au motif que le contraire entraîne rait l’application rétroactive de la Convention à
15
une époque antérieure à l’existence de la RFY en tant qu’Etat. Je ne répéterai pas maintenant les
arguments que nous avons avancés en réponse à celui de la Serbie sur cette question. Nous l’avons
respectueusement qualifié de déplaisant mardi, il l’est toujours aujourd’hui vendredi.
19. Nous sommes très critiqués pour avoir dit cela. Mais l’argument est déplaisant parce
qu’il pose plusieurs problèmes et qu’il sape tout le système de protection des droits de l’homme
que le monde s’est efforcé de bâtir avec tant de peine ces soixante dernières années. Il a aussi le
défaut d’être totalement incompatible avec l’appréciation que fait la Serbie elle-même de son statut
et des conditions de sa création. Par exemple, en décembre1991, la Communauté européenne a
invité les six Républiques yougoslaves à répondre à une invitation qu’elle avait faite dans une
déclaration sur les principes directeurs de la r econnaissance de nouveaux Etats en Europe orientale
et en Union soviétique. Le 23décembre1991, la Serbie a décliné l’invita tion, répondant qu’elle
16RFY, exceptions préliminaires, annexe 24. - 10 -
avait automatiquement acquis le statut d’Etat in ternationalement reconnu dès le Congrès de Berlin
17
de 1878 et qu’elle n’était pas intéressée par la sécession F . La Serbie considérait donc certainement
qu’elle avait acquis, à un certain degré, une pe rsonnalité internationale avant même1992. La
position adoptée par la Serbie devant la Cour la semaine dernière débouche inévitablement sur une
interruption dans l’application et l’exécution de la Convention. La Serbie n’a pas expliqué
comment éviter une telle interruption dans le te mps, entre la dissolution de la RFSY (qui a
commencé lors de la proclamation de l’indépe ndance des deux Républiques constitutives) et
l’accession à l’indépendance de la RFY ; et elle semble incapable d’apporter une réponse à ce point
absolument essentiel. A la fin du mois de novembre 1991, la Commission Badinter était en mesure
de conclure que la RFSY était en voie de dissolution, et inversement que la RFY ⎯ sous la
direction de Milosevic et avec l’aide de la JNA, parmi d’autres entités d’Etat ⎯ était à l’état
naissant. M. Crawford reviendra sur ce point en temps voulu, mais qu’il suffise pour le moment de
noter que selon la position de la Serbie, cette période vitale serait une période pendant laquelle la
force exécutoire de la co nvention sur le génocide aurait cessé de s’ appliquer. Cela ne peut être
ainsi, Madame le président, pour les raisons juridiques précisément identifiées par la Cour dans son
arrêt de 1996.
20. Quel est l’argument invoqué par la Serbie à l’appui de cette demande ? Elle se fonde sur
une lecture très particulière du pa ragraphe34 de votre arrêt de1 996. Ce paragraphe, affirme la
16 Serbie, indique clairement que la Cour n’est compétente ratione temporis qu’à compter du
27avril1992. Mais cela n’est pas vrai. Le paragr aphe34 doit être lu à la lumière de la requête
déposée par la Bosnie-Herzégovine, mais aussi des arguments, y compris le mémoire daté
du 15 avril 1994, et des comptes rendus des audi ences tenues ici même de février à mai 2006. Ces
documents indiquent que la Cour est partie du principe selon lequel elle avait compétence pour
connaître de «faits pertinents qui se sont déroulés depuis le début du conflit dont la
Bosnie-Herzégovine a été le théâtre». Il est certes vrai que la Cour n’a pas précisé la date exacte de
ce conflit, mais il ressort clairement des plaidoiri es que les deux parties considéraient qu’il s’était
déroulé sur une période s’étendant avant et après le 27 avril 1992. Quelques exemples confirment
17Roland Rich (1993) : «Recognition of States: The Collapse of Yugoslavia and the Soviet Union», 4 EJIL,
p. 47. - 11 -
que les parties devant cette Cour ont adopté la même approche que cel le du TPIY, qui a depuis
longtemps établi que le conflit avec la Bosnie-Her zégovine et le conflit avec la Croatie avaient
commencé en1991, bien avant la proclamation de la RFY du 27avril1992. La requête de la
Bosnie-Herzégovine en date du 20 mars 1993, par ex emple, cite plusieurs actes ayant eu lieu bien
avant cette date: par exemple, une attaque des forces serbes et le blocage du trafic en
18
Bosnie-Herzégovine le 3mars1992 F F; des attaques répandues dans toute la Bosnie-Herzégovine
19
les 4 et 5 avril 1992 F ;Fla prise de Zvornik, en Bosnie orientale, par les forces serbes, le
20 21
10 avril 1992 F ; l’intensification des attaques le22avril1992 F . Chacun de ces actes, et bien
d’autres, étant intervenu bien avant la date butoir juridictionnelle alléguée par la Serbie.
21. La suite du mémoire de la Bosnie dans ce tte affaire expose des faits du même ordre. Il
relate une attaque ayant eu lieu au début d’avril 1992 dans laquelle mille civils musulmans ont été
22
tués par des forces paramilitaires serbes à Bijeljina F . Il mentionne un certain nombre de foyers de
tension critiques entre le 27 mars et le 8 avril 1992, dont certaines attaques lancées par les «Tigres»
d’Arkan au nord et à l’est et par les unités de la JNA au sud, à l’ouest et au nord-ouest, toutes
destinées à surveiller les principaux po ints d’entrée en Bosnie-Herzégovine F3. Manifestement, la
Bosnie-Herzégovine considérait les actes antéri eurs au 27avril1992 comme relevant de la
17 compétence de la Cour. La RFY a-t-elle contesté ces actes, a-t-elle affirmé qu’ils ne relevaient pas
de la compétence de la Cour au motif qu’ils ét aient intervenus rétroactivement avant la naissance
supposée de la RFY ? Apparemment pas.
22. Qu’a fait la Cour? Au paragraphe34 de l’arrêt de1996 , la Cour rejette expressément
l’argument de la Yougoslavie selon lequel elle ne pe ut connaître que de faits postérieurs aux dates
auxquelles la Convention aurait pu devenir applicable entre les Parties, dont celle du 27 avril 1992.
Il n’est donc pas surprenant que l’arrêt de2007 fasse également état d’év énements ayant eu lieu
avant le 27 avril 1992. Nulle part dans l’arrêt ⎯ dans ce que j’ai lu en tous cas ⎯ la Cour ne trace
18Requête de la Bosnie en date du 20 mars 1993, par. 87A.
19Ibid.,par. 87B.
20Ibid., par. 87A
21
Ibid.
22
Mémoire de la Bosnie-Herzégovine, 15 avril 1994, p. 30, par. 2.2.2.2.
23
Ibid., p. 72, par. 2.3.5.2. - 12 -
une ligne sur le calendrier et ne dit : «oh, nous ne sommes compétents qu’après le 27 avril 1992, il
est donc inutile de nous pencher sur des faits intervenus avant cette da te et d’apprécier ces faits».
Au contraire. La Cour a identifié et apprécié l es actes antérieurs à cette date. Elle renvoie à des
décisions du TPIY dans lesquelles le conflit est ré puté avoir commencé en 1991. Elle fait état de
l’établissement de la République serbe de Bosn ie-Herzégovine (ultérieurement Republika Srpska),
le 9 janvier 1992 (Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), p. 84, par. 233). Elle mentionne le conflit armé qui
a éclaté à Sarajevo au début d’avril 1992, ains i que les 56 000 personnes blessées à Sarajevo dans
la période antérieure à la déclaration du défendeur du 27avril1992. Nulle part dans l’arrêt, pour
autant que nous le sachions, la Cour n’affirme s’être limitée à des faits intervenus après le
27 avril 1992 pour l’appréciation du crime de génocide.
23. Madame le président, Messieurs de la C our, l’argument de la rétroactivité n’a aucun
fondement et est incompatible avec vos usages. Si vous acceptez les arguments de la Serbie sur
l’application de la convention sur le génocide, ou une quelconque partie d’entre eux, vous rejetterez
votre propre jurisprudence constituée dans six d écisions en l’espace de quatorze ans. On n’ose
imaginer les conséquences. Nous vous invitons à re jeter l’argument de la Serbie et à le faire de
manière décisive.
Paragraphe 1 de l’article 35
24. J’en viens maintenant au paragraphe 1 de l’article 35, à savoir la question de l’adhésion
de la RFY à l’Organisation des Nations Unies et de son accès à la Cour. Il est vraiment frappant de
18 constater le peu de choses que la Serbie a eu à dire sur ce point. M.Varady n’a consacré que
quelques minutes à cet argument, synthéti sé dans deux pages de la transcription F4. Madame le
président, je me conformerai à votre demande: nous ne nous répéterons pas, et nous nous
limiterons au seul argument soulevé par la Serbie sur cette question. Je peux donc être très bref.
25. La Serbie s’est essentiellement limitée à ce point: selon elle, la Croatie ne peut faire
valoir que le défendeur avait accès à la Cour en vertu du paragraphe1 de l’article35 car elle a
modifié sa position sur la question. La Serbie affirme qu’après s’être opposée à l’idée que la RFY
24CR 2008/12, p. 13-15. - 13 -
était membre de l’Organisation des NationsUnies en 1999, la Croatie a accepté cette idée; mais
c’est là tout son argument. Et c’est déformer la position de la Croatie : être disposé à accepter que
la RFY possédait certains des attributs d’un Etat membre ⎯ dont le droit d’accès à la Cour ⎯ ne
revient pas à accepter qu’elle était membre de l’Organisation des NationsUnies. Nulle
incohérence dans la position de la Croatie, surtout lorsque l’on tient compte de l’arrêt rendu par la
Cour en 1996 que la Croatie ne pouvait à l’évidence ignorer.
26. Madame le président, cet argument aurait pu être plus décisif si la Serbie avait
effectivement choisi de répondre aux arguments que j’ai av ancés mardi. Elle ne l’a pas fait. Nous
affirmons respectueusement qu’elle n’a pas non plus écouté assez attentivement ce que nous avons
dit. La position de la Croatie était, et demeure, que la RFY n’était pas membre de l’Organisation
des Nations Unies entre 1992 et 2000 : au lieu de cela, elle avait un statut sui generis ⎯ comme le
qualifie la Cour ⎯, qui lui conférait des attributs de membre. Quel est le sens attribué à ce statut
par la Serbie ? Nous n’en avons absolument aucune idée, car là encore la Serbie s’est tue. Elle n’a
pas répondu à notre argument selon lequel ces attri buts comportaient un droit d’accès à la Cour.
Elle n’a pas répondu à notre argument selon lequel cette conclusion découlait logiquement du fait
qu’aucune résolution équivalente à celle qui concernait la participation aux activités de
l’Assemblée générale et du Con seil économique et social n’av ait pas été adoptée en ce qui
concerne le droit d’accès à la Cour. Sur ce point également, la Serbie n’a dit mot. En réalité, elle
n’a dit mot sur aucun des points que nous avons soulevés. Elle n’a tout simplement apporté aucune
réponse de fond. Nous avons dû no us contenter de simples affirma tions, et de ce silence, nous
soutenons que la Cour devrait tirer ses propres conclusions.
19 27. Et pourtant, la re lation particulière entre [l’ONU et] la RFY, et maintenant la Serbie,
semble perdurer. M.Varady a dit à la Cour que «tout le monde a accepté la position que [la
Croatie] défendait» FF. Mais pas tout à fait, semble-t-il. Certains croient encore à cette relation
spéciale. [Planche 11 a) à l’écran.] Même aujourd’hui, dans certains cas, le site Internet de
l’Organisation des Nations Unies fait une distinc tion entre les différents Etats successeurs. Sur les
membres du Conseil de sécurité, par exemple, s’ag issant de la Serbie, il indique parfois «Voir
25CR 2008/12, p. 14, par. 15. - 14 -
Yougoslavie», tandis que pour la Croatie, ce que v ous verrez sur la planche suivante [nouvelle
planche 11 b) à l’écran], on ne fait pas le même lien. Pour votre convenance, les planches montrant
le site Internet de l’Organisation des Nations Unies figurent dans votre dossier de plaidoiries sous
l’onglet 11. [Fin de la planche.]
28. Et cela ne concerne pas uniquement le passé. Une décision récente du Gouvernement
serbe, confirmée par le Parlemen t de la République de Serbie , proclame fièrement que «la
République de Serbie est un Etat internationaleme nt reconnu, l’un des fondateurs et un membre de
26
l’Organisation des Nations Unies, ainsi que de plusieurs autres organisations internationales» F . Et
même plus récemment, dans une déclaration du 18 février 2008, la Cour suprême de Serbie a répété
cette position, déclarant que la République de Serbie était un Etat souverain et «l’un des fondateurs
27
de l’Organisation des Nations Unies» F . Les relations particulières, le statut sui generis, semblent
perdurer même aujourd’hui, du moins aux yeux de certains organes de Serbie.
29. Madame le président, Messieurs de la Cour, je crains de ne pouvoir vous apporter
davantage de précisions. Mercredi, nous avons présenté nos arguments sur la signification et l’effet
des relations sui generis. Ils n’ont pas été réfutés. Selon no us, le paragraphe1 de l’article35
n’empêche pas la RFY d’avoir eu accès à la Cour le 2 juillet 1999, pas plus qu’aujourd’hui.
Conclusion
30. Madame le président, Messieurs de la Cour , je peux terminer sur une marque d’accord.
20 Lundi, M.Varady a dit à la Cour que: «la seule question qui se pose est cel le des liens entre le
défendeur et la convention sur le génocide» F28. Il ne s’est pas rétracté jeudi. Cette déclaration
succincte est sûrement juste, et j’espère que nous avons montré que la question du lien entre le
défendeur et la Convention le 2 juillet 1999 n’aboutit qu’à une seule conclusion, dont tout découle
logiquement: en particulier, le rejet de l’argumen t de la Serbie sur la compétence en vertu de
26Voir : Assemblée nationale de la République de Serbie,
http ://parlament.sr.gov.yu/content/lat/atka/akta-detalji.asp ?Id=470&t=Z#(en serbe), Gouvernement de la République de
Serbie, http ://www.srbija.sr.gov.yu/kosovo-metohija/index.php ?id=43159 (en anglais).
27Voir : Cour suprême de Serbie (en serbe uniquement),
http ://www.vrhovni.sud.srbija.yu/code/navigate.php ?Id=731&newsld=304&bigText=ture&offset= .
28
CR 2008/9, p. 34, par. 11. - 15 -
l’articleIX et sur la question de l’accès en vertudu paragraphe1 de l’article35; mais aussi la
sauvegarde de votre jurisprudence constante en l’affaire de laBosnie et les enseignements qu’il
convient d’en tirer.
31. Madame le président, ainsi s’achève mon exposé. Je vous remercie à nouveau, ainsi que
les membres de la Cour, de m’avoir accordé votre a ttention, et je vous prie d’appeler M. Crawford
à la barre.
Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Sands. J’appelle maintenant à la barre M. Crawford.
M. CRAWFORD : Madame le président, Messieurs de la Cour.
21 A CCÈS DE LA SERBIE À LA C OUR
Introduction
1. Au cours de cet exposé, j’examinerai certains aspects relatifs à chacune des trois
exceptions préliminaires.
⎯ Tout d’abord, en ce qui concerne la prem ière exception préliminaire, je répondrai aux
arguments formulés hier au sujet du paragraphe 2 de l’article35 —c’est-à-dire la disposition
relative aux traités en vigueur— et du principe Mavrommatis. Ce faisant, je répondrai à la
question posée plus tôt dans la semaine par Monsieur le juge Abraham.
⎯ Ensuite, en ce qui concerne la deuxième excepti on préliminaire, je démontrerai que la thèse du
défendeur selon laquelle aucune responsabilité pour un comportement antérieur au
27 avril 1992 ne saurait lui être attribuée doit être écartée en tant qu’exception d’irrecevabilité ;
en effet, cet argument relève de toute évidence du fond de la présente espèce.
⎯ Enfin, je dirai quelques mots, très rapidement, au sujet de la dernière question relative à la
recevabilité, formulée dans la troisième exception préliminaire.
Première exception préliminaire : compétence ratione personae
a) Paragraphe 2 de l’article 35 : traités en vigueur
2. S’agissant, tout d’abord, du paragraphe 2 de l’article 35, mon intention n’est pas de répéter
mon exposé très détaillé de l’autre jour. Je me contenterai de formuler plusieurs observations — en - 16 -
veillant bien à les distinguer les unes des au tres—, en réponse à l’exposé que M. Djeri ć nous a
présenté hier, exposé fort brillant et bien préparé.
3. Je commencerai par un point de détail : je n’ ai pas dit que la question du paragraphe 2 de
l’article 35 n’avait pas été abordée dans les affaires OTAN. Ce que j’ai dit, c’est que la Serbie, le
demandeur, n’avait pas tiré argument de cette dispos ition. Si elle avait vraiment souhaité que la
Cour se déclare compétente en ces affaires, elle aurait dû se prévaloir du paragraphe2 de
l’article35. Mais elle n’en a rien fait. Cert ains des défendeurs en ont, eux, tiré argument. A
l’époque, la Cour a donc entendu la thèse de l’in applicabilité de cette disposition. Ce n’est que
cette semaine qu’elle a, pour la première fois, entendu la thèse contraire, à savoir celle de son
applicabilité. Au paragraphe93 de son arrêt ⎯ j’ai retenu, à titre d’ex emple, l’affaire de la
Belgique ⎯, la Cour a rappelé que les défendeurs avaient exposé leur thèse sur ce point :
«La Cour note que le demandeur, dans la présente instance, n’a en
fait pas prétendu que la Cour lui était ouverte en vertu du paragraphe 2 de
l’article 35, et n’a fondé son droit d’accès à la Cour que sur le seul paragraphe 1 de
l’article en question. Cependant, dans certaines des affaires relatives à la Licéité de
l’emploi de la force , dont la présente, le défendeur a…soulevé la question de
l’applicabilité de ce paragraphe2, à l’ap pui de son affirmation selon laquelle la
Serbie-et-Monténégro ne pouvait pas se prévaloir de ladite disposition». ( Licéité de
l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 315, par. 93.)
En fait, la Cour a jugé qu’il lui fallait examiner la question du paragraphe 2, alors même que le
demandeur ne s’en était pas prévalu, inversant ainsi la règle par laquelle elle s’assure
habituellement qu’elle a compétence. Jusqu’alors, personne n’estimait qu’il incombait à la Cour de
s’assurer de sa compétence lorsque le demandeur n’invoquait pas de base de compétence
particulière, mais vous avez choisi de le faire.
4. J’en viens maintenant à l’examen au fond du paragraphe 2 de l’article 35, et je dois dire
que je ne suis plus très sûr de l’interprétation sur laquelle le défendeur se fonde aujourd’hui.
Considère-t-il que seuls les traités anciens sont visés, à savoir ceux qui étaient en vigueur à la date
à laquelle a été adopté le Statut (auquel cas l’explication qui a été avancée au sujet de l’affaire de la
Haute-Silésie ne tient pas)? Ou bien que cette di sposition ne vise que des traités pouvant être
considérés comme ayant trait au règlement du c onflit (auquel cas la Cour, dans les affaires OTAN,
s’est trompée sur le compte de la Serbie puisqu’e lle n’a pas fait droit à une telle exception)? Le - 17 -
paragraphe 2 de l’article 35 du Statut a-t-il la même signification qu’à l’époque de la CPJI (auquel
cas le Statut particulier de la présente Cour en ve rtu de la Charte est dépourvu de pertinence) ? Ou
bien ladite disposition a-t-elle une signification différente (auquel cas les travaux préparatoires du
Statut de la CPJI et la pratique de cette derniè re sont dépourvus de pertinence)? Tout cela n’est
pas clair.
22 Djeri. ć n’a pas cherché —sauf sur un point — à suivre mon analyse des travaux
préparatoires du paragraphe2 de l’article35. Au cours de mon intervention de mercredi, j’ai
démontré ce qui suit :
1) La première version du paragraphe 2 de l’article 35 — il s’agissait à l’époque de l’article 32 —
fut présentée à la suite de critiques formulées par la Grande-Bretagne selon lesquelles la version
antérieure, qui ne prévoyait l’accès à la Cour que par l’intermédiaire du conseil, n’abordait pas
la question des traités déjà conclus ou devant être conclus avec les puissances centrales.
2) Au cours des débats, aucun des participants ne considéra qu’il n’était question que des traités de
paix déjà conclus. Ceux-ci furent expliciteme nt évoqués comme de simples exemples, tant par
M.Ricci-Busati, dans ses nombreux commentaires, que par M.Hagerup. D’ailleurs, dans la
version revisée de l’article32 —présentée par M.Hagerup—, figurait l’expression «par
exemple», ce qui n’était peut-être pas très bien rédigé, mais avait au moins le mérite d’être clair.
3) Lorsque le paragraphe 2 de l’ article 35 fut finalement adopté, les rédacteurs avaient écarté une
disposition prévoyant la juridiction obligatoire de la Cour mais escomptaient la conclusion
future d’un traité général d’arbitrage dans le cadre duquel la Cour aurait joué un rôle. Pour que
ce projet puisse voir le jour, il devait recueillir l’adhésion la plus large possible.
4) A ce stade, il apparaissait clairement que d’importants Etats ne seraient pas, pendant un certain
temps encore —pour ne pas dire jamais—, parties au Pacte de la Société des Nations.
Pourtant, il était essentiel qu’ils participent au règlement pacifique des différends par la Cour
dont il était alors question.
5) Il n’était pas prévu que l’accès à la Cour soit limité aux seuls Etats membres de la Société des
Nations ni à ceux qui avaient reçu l’autorisation du conseil. L’accès par le biais des traités en
vigueur constituait une alternative à l’accès par l’intermédiaire du conseil. - 18 -
DjMeri . ć affirme que rien ne prouve que M. Fromageot, dans sa réponse à MaxHuber,
parlait bien de ce qui est aujourd’hui le paragraphe 2 de l’article 35. Permettez-moi de formuler les
observations suivantes :
1) Il n’y eut pas de débat distinct sur ce qui est au jourd’hui le paragraphe 1 de l’article 36, et qui
était alors le projet d’article33. Les trois pr ojets d’articles32 à34 que j’ai projetés à l’écran
mercredi furent présentés ensemble et débattus ensemble.
2) Si MaxHuber avait voulu parler du paragraphe2 de l’article36 ⎯c’est-à-dire du projet
d’article 33 ⎯, il aurait employé l’expression «traités et conventions en vigueur», laquelle était
l’expression figurant dans cet article et celle qui figure aujourd’hui au paragraphe1 de
l’article 36. Mais il ne l’a pas fait ; il a empl oyé l’expression «traités en vigueur», laquelle était
tirée du projet d’article 32 et correspond au libellé de ce qui est aujourd’hui le paragraphe 2 de
l’article 35.
23 3) Max Huber n’était pas totalement ignorant. Il n’avait pas de raison de s’interroger sur le fait de
savoir si l’expression «traités et conventions en vigueur» figurant dans ce qui est aujourd’hui le
paragraphe 2 de l’article 36 signifiait traités et c onventions alors en vigueur. Il était tout à fait
évident que cela signifiait traités en vigueur à chaque époque considérée. Le débat portait alors
sur les traités de paix, traités auxquels certain s Etats non membres de la Société des Nations
étaient parties et qui prévoyaient la juridiction de la Cour.
4) C’est précisément ainsi que M. Hagerup a, par la suite, expliqué ce point dans son rapport à la
Troisième Commission ; c’est sur cette base que ce rapport a été approuvé par les organes de la
Société des Nations et ce, bien que l’expression «sous réserve des dispositions particulières des
traités en vigueur» ⎯ selon la formule employée à l’époque de la réponse de M. Fromageot ⎯
ait finalement été retenue.
7. Mercredi, j’ai évoqué la pratique des Etat s à l’époque de la Sociét é des Nations. Il ne
saurait y avoir de doute que le traité de Lausanne , lorsqu’il a finalement été adopté en1923, était
considéré comme un «traité en vigueur» au sens du para graphe 2 de l’article 35. A cet égard, j’ai
cité l’ouvrage de Fachiri. M. Djeri ć n’a, quant à lui, nullement men tionné le traité de Lausanne ni
les commentaires qui s’y rapportent. L’article44 d udit traité prévoyait que les différends relatifs
aux minorités seraient soumis à la Cour permanente. Imaginez que, en1925, la Grèce ait porté - 19 -
devant la Cour un différend l’opposant à la Turqui e relativement à certaines minorités, mais que la
Cour se soit déclarée incompétente au motif que la Turquie n’avait pas déposé de déclaration en
vertu de la résolution du Conseil de 1922 ! La Turquie a choisi de déposer une déclaration spéciale
aux fins de l’affaire du Lotus — même si ladite déclaration n’a pas été déposée préalablement, ainsi
que la résolution l’exigeait. Mais que ce serait-il passé si elle avait refusé de se conformer à la
résolution —comme on peut tout à fait imaginer qu’elle aurait pu le faire dans l’hypothèse où
l’affaire aurait été introduite par la Grèce relativement à certaines minorités et non par la France au
sujet d’une querelle concernant le lieutenant Demons? La Cour aurait-elle dû se déclarer
incompétente ? A l’évidence, la réponse est non.
8. Mais la question n’est pas seulement ce lle du traité de Lausa nne de 1923 ou de la
convention de 1922 sur la Haute-Silésie: de nombre ux traités prévoyant la juridiction de la Cour
ont été conclus avec des Etats non membres de la Société des Nations. Je vous renvoie à la liste
des traités que vous trouverez dans votre dossier, sous l’onglet 12. Je ne prétendrai pas qu’elle est
exhaustive, même si je dois reconnaître qu’elle a ét é assez longue à établir. Dans la partie A, vous
trouverez la liste des traités conclus avec des Et ats non membres de la Société des Nations après
l’adoption du Statut de la CPJI. Cette liste con tient des traités fort importants qui, pour beaucoup,
permettent de retracer l’histoire du droit international dans les années 1920 : le traité de 1924 relatif
à la délimitation frontalière entre l’Allemagne et la France, les traités de Locarno (que M. Djeri ć a
également passés sous silence), un traité d’arbitrag e conclu par la suite entre l’Allemagne et les
24
Pays-Bas, de nombreux traités de la Turquie et de l’Islande, un traité d’amitié gréco-turque
de 1930, etc. La Cour devait-elle faire fi de ces traités ainsi que du précédent de la Haute-Silésie ?
Là encore, la réponse est évidemment non.
9. Je relèverai également que, à partir du milieu des années 1920, s’est posé le problème des
Etats susceptibles de se retirer de la Société des Nations, parmi lesquels le Brésil et le Costa Rica.
Dans la partie B, je donne simplement deux exemples de traités brésiliens prévoyant la compétence
de la CPJI, lesquels sont restés en vigueur après que le Brésil s’est retiré de la Société des Nations.
Certes, le Brésil a probablement continué à avoir accès à la Cour puisqu’il figurait dans l’annexe du - 20 -
pacte — et ce, bien qu’il ait dénoncé ledit pacte —, mais l’Allemagne, qui s’est retirée plus tard de
la Société des Nations, n’y figurait pas, ni le CostaRica, lequel s’est retiré de la Société des
Nations en 1925.
10. M. Djerić s’est référé aux débats qui ont eu lie u au sein de la Cour permanente en 1926
au sujet de la revision du Règlement. Le cont exte de ces débats ressort du procès-verbal de la
huitièmeséance de la session en question, lequel figure dans votre dossier, sous l’onglet13
(C.P.J.I. sérieD, Addendum au n°2 , p.75-77). Je vous renvoie en pa rticulier à la page75. Le
greffier, M. Hammarskjöld, qui allait par la suite devenir juge, indiqua que, en l’affaire Wimbledon,
«il a[vait] été décidé que l’obliga tion dont il s’agi[ssait] [c’est-à -dire l’obligation — je rappellerai
que le sujet évoqué était l’appli cation de la résolution du Con seil—, l’obligation d’accepter la
juridiction de la Cour conformément à ladite résolution] ne pouvait être imposée qu’à la Partie
demanderesse, et non à la Partie défenderesse».
Voilà un cas de figure. J’en évoquerai un deuxiè me, qui pourrait bien différer du premier. En
l’affaire Wimbledon, le défendeur était l’Allemagne, laquelle n’avait pas accès à la Cour sauf en
vertu du paragraphe2 de l’article 35. L’Allemagne n’a jamais fait de déclaration en vertu de la
résolution du Conseil — à dessein ou non, je n’ai pas été en mesure d’obtenir cette information —,
mais il se trouve qu’elle ne l’a pas fait. La raison de la remarque de Hammarskjöld est évidente : si
un défendeur pouvait priver d’effe t une obligation conventionnelle prévoyant de soumettre un
différend à la Cour en refusant simplement de fair e une déclaration en vertu de la résolution du
Conseil de sécurité, alors le traité en question serait inopérant. La résolution du Conseil prévoyait
une démarche volontaire. Ainsi que je l’ai indiqué mercredi, la Turquie, en l’affaire du Lotus, s’est
laissée convaincre de faire une déclaration partic ulière, mais que ce serait-il passé si elle avait
refusé? Le compromis aurait-il alors été rendu inopérant par l’acte unilatéral du défendeur?
Voilà qui nous ramène à l’arbitrage du XIX esiècle.
11. Tel est le contexte du débat qui a eu lieu à la vingt-deuxième séance et dont a parlé hier
25
o
M. Djerić ( C.P.J.I. SériesD, Addendum au n 2, p.104-107). Il convient de formuler les
observations suivantes :
1) Le juge Anzilotti estimait que le paragraphe 2 de l’article 35 devait être limité aux accords «qui
devai[en]t être considéré[s] comme un complément du traité de Versaille s». Cette formulation - 21 -
est assez curieuse, parce qu’il aurait dû être question des accords devant être considérés comme
un complément du traité de Versailles, du traité de Trianon, du traité de Saint Germain-en-Laye,
ou encore du traité de Sèvres, qui étaient déjà c onclus mais pas encore ratifiés. Les ajouts au
paragraphe2 de l’article35 aura ient été pour le moins longs, mais tel était bien son point de
vue. Toutefois, sa véritable proposition ⎯ la proposition dont débattait la Cour ⎯ était neutre à
cet égard, et faisait simplement référence au «cas où une déclaration conforme à la résolution
du Conseil serait requise» (ibid., p. 105), sans préciser quand.
2) Le président, Max Huber, indiqua que, si l’on tenait compte du rapport Hagerup, «l’on
p[ouvai]t bien arriver à l’interpré tation large de l’article 35 du St atut adoptée par la Cour dans
l’affaire de la Haute-Silésie» (ibid., p. 106). Il ajouta par aille urs que la question de savoir si
«une déclaration [était] ou non requise» ne devr ait être tranchée que si elle se posait ( ibid.,
p. 106). Et c’est ce qui fut fait.
3) Manley Hudson précise, à juste titre, que, «lor s de la révision de son Règlement en1926, la
Cour semble avoir préféré ne pas trancher la question du sens de l’expression «traités en
29
vigueur»» F .
12. Il est vrai que d’aucuns préconisaient de contraindre les Etats à opter pour ce que
j’appellerai la voie du Conseil, soit en devenant Me mbre de la Société des Nations, soit en faisant
une déclaration en vertu de la résolution de son Conseil. Manley Hudson lui-même était de cet avis
⎯ mais il était alors un ardent défenseur de l’adhésion des Etats-Unis d’Amérique à la Société des
Nations, ou au moins au Statut de la Cour. Ce nonobstant, son point de vue était loin d’être
catégorique :
«L’expression «traités en vigueur» de l’article35 est-elle équivalente à
l’expression «traités et conventions en vigue ur» de l’article36? Il ne saurait faire
aucun doute que cette deuxième expression fa it référence au futur. L’expression
figurant à l’article 35 est-elle analogue à l’ expression «un traité ou une convention en
vigueur» de l’article37? Il ne semble guè re probable que cette dernière soit valable
pour une durée indéterminée. [Hudson pa rle de l’article37, lequel était une
disposition transitoire]. L’article 35 pourrait avoir eu [pourrait avoir eu] pour objet de
26 garantir les dispositions figurant dans les tr aités de paix conclus avec la Turquie;
toutefois, le traité de Lausanne n’a été signé que le 24 juillet 1923…» F0F
29 M. O. Hudson, The Permanent Court of International Justice. A Treatise (New York), McMillan, 1934,
p. 349.
30 Ibid. - 22 -
Hudson a bien cerné le problème. Evoquant ensuite les affaires Wimbledon et de la Haute-Silésie,
auxquelles l’Allemagne était partie, ainsi que la révision du Règlement de 1926, il poursuit :
«S’il était donné plein effet à cette décision [Hudson fait référence à l’affaire de
la Haute-Silésie], deux Etats pourraient tourner les conditions posées par le Conseil en
concluant un traité ; de fait, si les compromis figuraient parmi les traités en vigueur, la
résolution du Conseil pourrait ne jamais s’appliquer. Il apparaît, dès lors,
manifestement nécessaire d’interpréter de manière restrictive cette disposition de
l’article35; elle doit être limitée aux tra ités relatifs au règlement du conflit et la
solution proposée dans l’affaire de Certain31intérêts allemands en Haute-Silésie
polonaise ne devrait pas faire jurisprudence.» F F
Voilà ce que Hudson a indiqué. Il ne se réfère ni à l’opinion du jugeFromageot, ni au
rapportHagerup, ni aux traités de Locarno. Ce rtes, il est vrai qu’il a écrit cela juste avant que
l’Allemagne ne se retire de la Société des Nations.
13. Il convient de formuler les observations ci-après relativement à cet important passage de
l’ouvrage magistral de Hudson.
1) Ses vues étaient, ainsi qu’il le reconnait, c ontraires à la seule décision alors rendue, à savoir
celle de l’affaire de la Haute-Silésie.
2) Ses vues sont plus ou moins exprimées de lege ferenda: «il apparaît peu probable…»; «ne
devrait pas faire jurisprudence».
3) Il n’aborde pas le fait que, lors de la réd action du paragraphe2 de l’article35, l’accès par le
biais du Conseil ou par le biais des traités en vigueur avaient clairement été envisagés ⎯ et
effectivement énoncés ⎯ comme d’autres solutions possibles. Les pouvoirs du Conseil, tels
qu’exprimés, ne devaient pas prévaloir sur les traités en vigueur: il s’agissait de deux voies
différentes. Permettez-moi de souligner qu’il n’existait pas, dans le Pacte de la Société des
Nations, d’équivalent à l’article103 de la Ch arte. L’idée qu’une résolution du Conseil puisse
prévaloir sur un traité en vigueur n’était ab solument pas envisagée par les rédacteurs du
paragraphe 2 de l’article 35 du Statut.
4) Je n’ai trouvé aucun texte datant de l’entre-guerre qui limiterait le paragr aphe 2 de l’article 35
aux traités déjà entrés en vigueur en septembre 1921.
5) Brochant sur le tout, le fait de limiter le pa ragraphe2 de l’article35 «aux traités relatifs au
règlement du conflit» ou aux accords consid éré[s] comme un complément du traité de
31Ibid. - 23 -
27 Versailles [et des autres traités]» revient à réécrire complètement l’article, et va bien au-delà du
recours légitime aux travaux préparatoires af in d’interpréter un traité. Cela revient à substituer
au libellé de l’article une lecture des travaux préparatoires,dont j’ai démontré qu’elle était
erronée. A supposer, arguendo, que l’expression «traités en vigueur» puisse signifier «traités
déjà en vigueur», l’ensemble des auteurs fais ant autorité à l’égard du Statut de la Cour
permanente ⎯sans exception aucune ⎯ sont opposés à cette lecture, y compris Anzilotti et
Hudson. De surcroît, ainsi que je l’ai dém ontré, si la décision rendue dans les affaires OTAN
devait être confirmée, l’article devrait d’ores et déjà être réécrit. En effet, cette disposition
devrait se lire «traités qui étaient en vigueur en 194 5 et le sont toujours». Or, tel n’est pas non
plus le cas. M. Djerić n’a pas non plus tenté de réfuter cet argument.
14. M. Djerić a, en revanche, défendu le scénario catastrophe : le ciel va nous tomber sur la
tête, a-t-il indiqué ⎯comme dirait Astérix ⎯ s’il est possible de faire fi, par le biais d’un traité,
d’une résolution du Conseil de la Société des Na tions. Ainsi que l’a indiqué Hudson, «si les
compromis figuraient parmi les traités en vigueur, la résolution du Conseil pourrait ne jamais
s’appliquer». Quelle tragédie ! Deux Etats ⎯ il doit s’agir d’Etats, conformément au paragraphe 1
de l’article34 ⎯ conviennent dans un traité juridiquement contraignant de recourir à la Cour et
non à l’arbitrage. Cela a naturellement pour coro laire qu’ils s’engagent à s’estimer liés par la
décision. Il incombe à la Cour de répartir les frais de procédure : le Conseil n’a pas le pouvoir de
faire appliquer la décision, mais il ne disposait de toute façon d’aucun pouvoir de cette nature.
Aucune tierce partie n’est lésée; il n’est pas possible de recourir à la clause facultative ⎯ car il
faut, pour cela, avoir la qualité de membre. On peut comprendre la position de principe, selon
laquelle il était préférable de contraindr e les Etats à opter pour la voie du Conseil ⎯ tel était le
point de vue du BaronDescamps à une époque où la préoccupation était d’accroître autant que
possible le nombre de membres de la Société des Nations. Toutefois, lorsqu’il est apparu que cela
ne fonctionnerait pas, une autre stratégie a été adoptée ⎯et il s’agit là de l’élément essentiel ⎯
une autre stratégie a été adoptée, laquelle ouvrait l’accès à la Cour par le biais de traités en vigueur,
faute de mieux dans un souci d’universalité. Le point de vue défendu par le Baron Descamps a été
clairement écarté lors de la ré daction du paragraphe2 de l’artic le35 au profit d’une approche - 24 -
favorisant l’accès des puissances centrales ⎯aussi bien en tant que demandeur que
défendeur ⎯relativement des traités conclus ou devant l’être et ce, comme mode d’accès direct
alternatif à l’accès par le biais du Conseil.
15. Madame le président, Messieurs de la Cour, pour l’ensemble de ces raisons,
l’interprétation restrictive ⎯et je dois même dire destructrice ⎯ du paragraphe2 de l’article35
doit être écartée.
28 b) L’argument Mavrommatis
16. J’en viens maintenant à mon deuxième point, l’argument Mavrommatis. J’ai développé
ce principe de manière assez approfondie mercredi et ne vais pas répéter dans le détail ce que j’ai
er
dit. Le 1 novembre 2000, les quatre conditions pour que la Cour ait compétence étaient réunies et
ce, selon nous, de manière incontestable. Première ment: la saisine; deuxièmement: l’existence
d’un chef de demande ; troisièmement : l’acceptation de la compétence ; quatrièmement : l’accès à
la Cour. Le défendeur, par la voix de M. Varady, en réfute trois. La deuxième et la troisième se
résument à la question de savoir si la convention sur le génocide est ou non restée, sans solution de
continuité, en vigueur à l’égard du défendeur depuis le début du conflit ⎯.Sands a déjà examiné
cette question ⎯ il s’agit de la plus importante excep tion d’incompétence du défendeur en
l’espèce. J’admets que cette exception ne saurait être écartée au moyen du principe Mavrommatis.
Si le défendeur n’est devenu par tie à la Convention que le 11 mars 2000, et indépendamment de la
validité de sa réserve, alors il n’a pas pu être satisfait au principe Mavrommatis à une date
antérieure. Ce nonobstant, le défendeur était évid emment partie à la convention sur le génocide
en 1999, et n’avait formulé aucune réserve, ainsi que vous l’avez déjà indiqué. Et il était partie à
cette Convention par voie de succession au début du conflit, stare decisis.
17. Ne reste donc plus que la question de la saisine, en novembre 2000, ce qui explique
pourquoi M.Varady a tenté hier, désespérément, de démontrer que la Cour ne saurait avoir été
saisie en l’espèce. Que nous puissions nous passionner pour la question de la saisine en dit long
sur les internationalistes, et M. Varady, sans contest e, en est un. Autrement dit, il a indiqué que - 25 -
l’affaire avait été irrégulièrement inscrite au rôle de la Cour. Ce faisant, il évacue allègrement une
décennie entière de procédure de cet Etat ⎯ le défendeur ⎯ dont l’on imagine le coût, à savoir les
40 pièces présentées à la Cour que j’ai énumérées l’autre jour.
18. Entre les Etats pouvant, en vertu du paragra phe1 de l’article34, comparaître devant la
Cour, un titre apparent de juridiction suffit toutefoi s à la saisine de cette dernière et ce, sans que
n’entre en ligne de compte le caractère plausi ble ou non de la base de compétence, et aussi
prévisible que soit son éventuel rejet. Evidemme nt, en la présente espèce, rien de tout cela ne
s’applique. Il existe une solide base de compétence prima facie, soit en vertu du paragraphe 1 de
l’article 35 soit en vertu de son paragraphe 2, et le rejet de notre demande pour des motifs liés à la
compétence n’est aucunement prévisible, du moins de notre point de vue. Mais cela est dépourvu
de pertinence : il y a bien eu saisine.
29 19. Vous avez agi, dans les affaires OTAN, en partant —à bon droit— du principe que la
Cour avait été saisie. Lorsqu’il est ressorti de l’argumentation développée dans le cadre des
affaires mettant en cause les Etats-Unis et l’Es pagne qu’il n’existait aucune base de compétence,
vous avez rayé ces affaires du rôle, encore une fois tout à fait à bon droit. Mais vous faisiez-là acte
de compétence de la compétence, vous ne remettiez nullement en question celle-ci. Il n’a à aucun
moment été avancé que les affaires n’auraient pas dû être inscrites au rôle de la Cour.
20. En la présente espèce, il est franchement absurde de laisser entendre que vous n’auriez
pas la compétence de la compétence, ou que la re quête de la Croatie serait, pour telle ou telle
raison, nulle et non avenue. Cela montre à quelles extrémités le défendeur est contraint de recourir
pour étayer l’affirmation selon laquelle il n’aurait p as eu qualité pour ester devant la Cour dans les
années 1990. Ainsi que l’a fait remarquer le juge Schwebel dans l’affaire de la Demande d’examen
de la situation, si la Cour n’est pas saisie de l’affaire, pourquoi avez-vous revêtu vos toges ?
21. Cette position a des origines anciennes, et plonge au cŒur de la doctrine de la
compétence de la compétence, essentielle au règlement judiciaire moderne, et essentielle à la Cour.
Dans l’affaire du Lotus, ainsi que je l’ai dit, la Cour permanente s’est estimée saisie avant même
que la Turquie n’eût fait sa déclara tion en vertu de la résolution du Con seil. Il va de soi, je le dis
er
très respectueusement, que la Cour était saisie de la présente affaire le 1 novembre 2000, date à
laquelle le défendeur avait, à tous points de vue, qualité pour ester devant la Cour. - 26 -
22. M.Varady a soutenu que le principe Mavrommatis ne s’appliquait pas à des questions
fondamentales telles que l’accès à la Cour. Mais rien ne vient étayer ce point de vue. La condition
sine qua non est d’avoir qualité d’Etat, ainsi qu’énoncé au paragraphe 1 de l’article 34 : tout autre
obstacle peut être surmonté par des mesures de procédure telles que le respect de la résolution 9 I)
du Conseil de sécurité. Il est, soit dit en p assant, assez étrange d’associer le respect de la
résolution9I) du Conseil de sécurité à une questi on de qualité. Tout Etat, quel qu’il soit, est en
droit de faire une déclaration et cette déclarati on lui donne incontestablement accès à la Cour en
vertu de la seconde voie d’accès visée au paragraphe 2 de l’article 35. Il est étrange de considérer
qu’un Etat se confèrerait certaine qualité en fai sant une déclaration qu’aucun autre Etat ne peut
l’empêcher de faire. Un défaut de qualité auque l je pourrais remédier en faisant une déclaration
unilatérale serait, en vérité, un bien singulier défaut !
23. Je voudrais noter que ni M. Varady ni M. Djeri ć n’ont relevé l’argument selon lequel la
Croatie aurait assurément pu réintroduire cette même instance le jour où elle a déposé son
mémoire. Le dépôt du mémoire revenait claireme nt à confirmer notre requête — il s’agit là d’une
étape fondamentale de la procédure qui a nécessairement une portée juridique. Imaginons qu’il ait
été mis fin au traité bilatéral d’amitié, de commerce et de navigation en l’affaire du Nicaragua
avant que le Nicaragua n’eût déposé son mémoire ⎯il y fut en réalité mis fin à une date
30 ultérieure ⎯, ce traité eût-il pu être invoqué par le Nicar agua après son extinction ? La réponse ne
fait aucun doute : non. Le dépôt du mémoire a incontestablement une portée juridique.
24. Madame le président, Messieurs de la C our, je suis, d’une certaine façon, désolé de
n’avoir rien à ajouter sur ce point, car il s’agit ⎯ dans les circonstances soumises à la Cour ⎯ de la
façon la plus simple et la plus directe, de loin, d’asseoir votre compétence sans infirmer, ou paraître
infirmer, une décision antérieure. Il n’y a pas de contradiction avec l’affaire Bosnie, puisqu’il
s’agit là d’un autre moyen de parvenir à une même destination, et que le droit international admet
que l’on puisse établir la compétence par des chemins détournés. Il n’y a pas davantage
contradiction avec les affaires OTAN : le principe Mavrommatis ne s’appliquait nullement dans ces
dernières, puisque l’ensemble des conditions nécessa ires à l’établissement de la compétence n’y
furent à aucun moment réunies. Pour ces raisons, je vous reco mmanderais donc, très
respectueusement, de retenir ce principe. - 27 -
c) La question du juge Abraham
25. Cela me mène à la question du juge Abra ham : le fait que la Serbie a été demanderesse
dans les affaires OTAN, mais est défenderesse en la présente espèce, a-t-il une incidence? A
l’évidence, il ne change pas la donne dans l es conditions normales auxquelles la Cour est ouverte
aux Etats visées à l’article 35, qui s’appliquent réciproquement au demandeur et au défendeur, ainsi
qu’énoncé tant au paragraphe 1 qu’au paragraphe 2. Il me faut préciser que l’accent a été mis, lors
de la genèse du paragraphe 2 de l’article 35, sur la nécessité d’assurer que les puissances centrales
bénéficieraient d’une égalité de traitement ; elles n’étaient pas cen sées être uniquement
défenderesses ⎯du reste, dans l’affaire de la Haute-Silésie polonaise, l’Allemagne fut bien sûr
demanderesse. Il se pourrait toutefois qu’il y ait une incidence, au moins concrètement,
lorsqu’entre en jeu le principe Mavrommatis. Ce principe n’aurait à aucun moment, ainsi que je
l’ai dit, pu s’appliquer dans les affaires OTAN, puisque les conditions auxquelles la Cour aurait pu
avoir compétence n’ont à aucun moment été réunies. Mais un défendeur attrait dans le cadre d’une
instance qu’il n’estime pas motivée peut toujours indiquer, à un stade très précoce, qu’il ne
renoncera à invoquer aucune des conditions non remplies ⎯ ainsi que l’ont fait l’Espagne et les
Etats-Unis dans les affaires OTAN au stade des mesures conservatoires, ou que l’a fait la France
dans l’affaire de la Demande d’examen de la situation . Dès lors qu’il l’a indiqué, la Cour devra
peut-être, à la première occasion qui lui est offe rte, tenir audience pour déterminer si certains
éléments font défaut ⎯c’est ce qu’elle a fait en l’affaire Nouvelle-Zélande c.France . Une fois
cela avéré, la Cour agira en conséquence et se dessai sira de l’affaire, d’office au besoin. Mais si
l’Etat défendeur renonce à invoquer telle ou telle condition faisant défaut, comme ce fut le cas pour
31 les Etats-Unis dans l’affaire des Ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc , s’il fait une
déclaration en vertu d’une résolution du Conseil de sécurité — ce qui, à en croire le défendeur, a dû
être le cas de la Turquie dans l’affaire du Lotus—, ou encore s’il devient entre-temps partie au
Statut ou à la Charte —comme c’est le cas en l’espèce—, alors les conditions pour que la
compétence de la Cour soit établie se trouvent réunies et le défendeur qui, par définition, est à
l’origine de cette nouvelle situati on, ne peut plus élever d’objection. Par ailleurs, entamer une - 28 -
procédure revient en soi à écarter tout motif d’incompétence qu’il est du ressort du demandeur
d’écarter. Un demandeur ne saurait dire une chose et son contraire au sujet de sa propre
requête ⎯ encore que cela ne semble guère gêner le défendeur en l’espèce —, de même qu’un Etat
ne saurait invoquer l’immunité dans le cadre d’ une affaire qu’il a lui-même portée devant un
tribunal national.
26. Je n’ai pas entendu la Serbie répondre hier à la question du juge Abraham. La Croatie se
réserve le droit de faire des commentaires sur la réponse qu’elle pourrait apporter ultérieurement
dans le délai fixé par la Cour.
Deuxième exception préliminaire : la responsabilité avant le 27 avril 1992
27. J’en viens maintenant à la deuxième ex ception préliminaire. L’argument du défendeur à
cet égard ressemble à une série de problèmes logiques qu’aurait posés un maître d’école ⎯ rien de
plus. Je me suis demandé si nous n’étions pas dans un préau plutôt que dans une salle d’audience.
Et je crains que ce ne soit M.Zimmerman qui ait contaminé l’agent, M.Varady, avec son
logicisme pathologique. Et je vois bien comment cela a pu se produire: M.Zimmerman est
lui-même très atteint !
28. Mais, dans l’esprit de l’académie, perme ttez-moi d’illustrer le problème en posant une
hypothèse d’école. Imaginons qu’un Etat partie sans réserve à la convention sur le génocide
recouvre une région ethniquement mixte. Un mouve ment rebelle de cette région, représentant une
ethnie, entend faire sécession et massacre bon nomb re d’autres habitants de la région au motif
qu’ils appartiennent à une ethnie différente. Les survivants sont contraints à fuir et, ainsi épurée, la
province se déclare indépendante. Mais à la dir ection de l’ancien mouvement rebelle en succède
une plus respectable ⎯ il s’agit, à ce stade, du gouvernement ⎯ et ce gouvernement annonce que
le nouvel Etat succédera à la convention sur le gé nocide sans réserve. Selon M.Zimmerman, il
n’en serait pas moins logiquement impossible de tenir ce nouvel Etat pour responsable de la
conduite du mouvement. Ce dernier ne pourrait être lié par la convention sur le génocide et le
nouvel Etat ne pourrait l’être non plus avant d’avoi r officiellement vu le jour. Au lieu d’une
32 succession au traité garante de continuité, cette approche engendre inévitablement une solution de
continuité ⎯ mais, après tout, la logique nous l’impose et il ne saurait donc en être autrement. - 29 -
29. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est là une logique formaliste, divorcée de
la réalité.
30. Mais M.Varady a bien mentionné l’ar ticle10 des articles de la Commission du droit
international, qui, en toute logique, ne devrait pas s’appliquer aux traités, quoi que puisse en penser
M.Zimmerman. Et, citant Rosenne, il a bien concédé qu’un Etat pouvait voir sa responsabilité
engagée à raison d’une violation d’un traité co mmise avant d’avoir déclaré son indépendance,
encore qu’avec les précautions d’usage ⎯ Rosenne est un auteur prudent. Il aurait tout aussi bien
pu citer à cet égard M. Brownlie, auteur autrement moins prudent. J’ai cité M. Brownlie, mercredi,
mais sans, apparemment, susciter d’engoue ment de la part de la Yougoslavie ⎯ le fait est, en tout
état de cause, qu’il n’a pas été mentionné hier ! Et la décision de la commission des réclamations
entre l’Ethiopie et l’Erythrée ad mettant l’existence d’une nationalité érythréenne avant la tenue du
référendum n’a pas davantage été mentionnée. M.Zimmerman ne nous a pas dit comment cette
décision pourrait être conciliée avec ses impératifs catégoriques.
31. Mais dès lors qu’on admet ce point ⎯ que ce soit à la suite de Rosenne ou de Brownlie,
et quelques précautions que l’on prenne ⎯ dès lors qu’on accepte qu’un Etat peut se voir attribuer
des actes commis avant son accession à l’indépendance, on sort du domaine de la recevabilité pour
entrer dans celui du fond ⎯ et la question, dès lors, devient essentiellement une question de faits et
d’appréciation. Or, la Cour aura noté qu’après avoi r cité Rosenne, l’agent ne s’est pas contenté de
quelques incursions sur le pourtour de l’océan des fa its ; non, il y a plongé tout habillé et s’est mis
à nager furieusement. Je crains de devoir, en dé pit de vos instructions, Madame le président, le
suivre un petit peu, ne serait-ce que pour m’assurer qu’il ne s’est pas noyé.
32. M. Varady a affirmé qu’il n’y avait à Belgrade aucun mouvement aspirant à créer un Etat
serbe indépendant. Il a prétendu qu’il n’existait ab solument pas de mouvement ayant pour objectif
la création de la République fé dérale de Yougoslavie. Appa remment, la RFY aurait été une
création spontanée, apparue ex nihilo le 27avril1992 après que tous, en RFSY, ont, sans raison
apparente, tiré leur révérence et abandonné le part i. Mais bien sûr, les éléments abondent qui
tendent à prouver l’existence d’un mouvement nati onal serbe visant à la création du Grande Serbie
⎯un point dont nous vous demandons simplement de prendre note, à ce stade, puisqu’il serait
prématuré de statuer sur les faits. - 30 -
33 33. Je citerai, à titre d’exemple, un certain Vojislav Šešelj, qui s’adressa le
23novembre1991 aux membres d’ un groupe paramilitaire, dans la ville de Benkovac, dans la
région occupée de la Croatie, en ces termes (la citation figure dans les écritures) :
«Nous ne pouvons pas traverser les fron tières serbes avec une armée serbe!
Voulez-vous nous attirer une opération du type «tempête du désert» ici?... Je veux
une armée serbe lorsque j’aurai un Etat serbe ! Pour l’instant, nous désirons fixer les
frontières. Diplomatiquement, notre situa tion est défendable, car nous aspirons à une
Yougoslavie sans les Slovènes et les Croat es. Mêler armée et politique n’est pas
souhaitable... Nous devons combattre pour une Serbie couvrant l’ensemble des
territoires serbes ! Nous appellerons cette Serbie «Yougoslavie» tant que cela va dans
32
notre intérêt.» F F
34. En mars1991, un certain SlobodanMiloševi ć, en sa qualité de président de la Serbie,
affirma ceci :
«La présidence de la RSFY, qui est également le commandement suprême des
forces armées de la Yougoslavie, était source d’obstruction au travail de la JNA, qui a
l’obligation et les moyens de préserver les c itoyens de la guerre, qu’elle soit civile ou
de conquête…J’ai ordonné la mobilisa tion des forces de réserve du MUP de la
République de Serbie et la création, d’urgence, de forces de police supplémentaires de
la République de Serbie. J’ai demandé au Gouvernement de la République de Serbie
d’engager les préparatifs nécessaires en vue de la constitution de forces additionnelles,
en nombre tel qu’elles seraient capables d’assurer la protection des intérêts de la
République de Serbie et du peuple serbe… L es citoyens de Serbie doivent savoir que
la République de Serbie est en mesure d’assu rer pleinement la protection des intérêts
de la République, de l’ensemble de ses ressortissants et du peuple serbe.» F3F
[Traduction du Greffe.]
Le PRESIDENT : Monsieur Crawford, je crois que vous courez le risque de passer certaines
bornes.
M.CRAWFORD: Je l’ai senti en effet, il s’agit d’un discours quelque peu rhétorique. Et
qui dit rhétorique…
Le PRESIDENT : Je pense que vous avez fait comprendre que vous n’étiez pas d’accord, en
fournissant un exemple.
32MC, 1 ermars 2001, vol.5, app.2, par.42-43. Transcri ption d’une séquence vidéo montrant VojislavŠešelj
haranguant des membres d’un groupe paramilitaire à Benkov ac, dans la région occupée de la Croatie, le
23 novembre 1991. Cette séquence a été filmée par les membres de ce groupe eux-mêmes.
33 o
TPIYeraffaire n IT-02-54-T, pièce P328, onglet 29, versée au dossi er par le biais de la déclaration déposée par
Stipe Mesic, 1 octobre 2002. - 31 -
M. CRAWFORD :
35. Selon M.Varady, il ne s’agissait pas là d’un mouvement. Rendons-en grâce au ciel:
qu’il nous préserve de tels non-mouvements !
34 36. Bien sûr, dans les cas couverts par le pa ragraphe2 de l’article10 des articles de la
Commission du droit international ⎯ ou par le principe énoncé en d’autres termes par Rosenne et
Brownlie ⎯, il existe ⎯ ou du moins, il existe normalement — une autorité concurrente ; le cas de
l’Erythrée fait quelque peu figure d’exception à cet égard. La question se résume alors à celle du
contrôle effectif.
37. Les affaires portées devant le TPIY offre nt d’autres éléments allant dans ce sens ⎯ voir
le deuxième acte d’accusation modifié contre Momcilo Perisic, en date du 25 février 2008, pour ne
34
citer qu’un exemple F .
VaM3.d.y ⎯me voici revenu, Madame le présiden t, sur la terre ferme! M.Varady,
donc, nous a donné une interprétation tout à fait in édite de l’expression «parvenir à créer un nouvel
Etat». Il semblait lui prêter le sens de «parvenir à atteindre tous ses objectifs dans le cadre de la
création d’un nouvel Etat». Madame le président, peu d’entre nous atteignent tous les objectifs
qu’ils se sont fixés dans la vie, et cela est vrai aussi (et, même pourrait-on dire, à fortiori) en ce qui
concerne les mouvements aspirant à créer un nouve l Etat. Le mouvement nationaliste a débouché
en fin de compte sur la création de la République fédérale de Yougoslavie, regroupant la Serbie et
le Monténégro ; il n’est pas parvenu à se voir universellement reconnaître la qualité de continuateur
de la RFSY. Toutefois, que le mouvement national serbe ait en définitive débouché sur un Etat
circonscrit dans les anciennes frontières de la Se rbie et doté d’un nouveau nom, en lieu et place de
l’Etat auquel il aspirait ⎯ doté de frontières différentes et du même nom ⎯ ne change rien au fait
qu’il a effectivement créé cet Etat et que cet Etat ⎯ l’Etat défendeur ⎯ porte la responsabilité
d’actes internationalement illicites qui ont été commis dans le cadre de ce processus et lui sont
attribuables en vertu du droit international.
39. Enfin, M. Varady a affirmé que la Commi ssion du droit international n’avait pas en tête
le cas sui generis de la RFY lorsqu’elle a ré digé le paragraphe2 de l’ article10. Néanmoins, le
34IT-04-81-PT, 5 février 2008, par. 6-7. - 32 -
monde des mouvements «insurrectionnels ou autres» est des plus variés, et le paragraphe10 du
commentaire de la CDI indique que «[c]ette te rminologie [«insurrectionnel ou autre»] reflète
l’existence d’une plus grande variété de mouvements dont l’action peut aboutir à la formation d’un
nouvel Etat». La catégorie dont ils relèvent n’est pas fermée.
40. Pour ces raisons, l’invocation par le dema ndeur d’une responsabilité au regard de la
Convention applicable au début du conflit en Croati e, est recevable. C’est là le seul point qu’il
vous faille trancher.
Troisième exception préliminaire n o3 : recevabilité de la demande 2 a)
42. Madame le président, Messieurs les membres du Tribunal,
Le PRESIDENT : Vous ai-je entendu dire «membres du Tribunal», Monsieur Crawford ?
35 M. CRAWFORD : Je suis désolé, permettez-moi de me reprendre. Je n’avais pas en tête le
Tribunal.
Madame le président, Messieurs de la Cour, j’ aimerais à présent dire un mot au sujet de la
recevabilité de la demande contenue au point 2 a) des conclusions présentées par la Croatie dans
son mémoire, tendant à «traduire devant l’auto rité judiciaire compétente» les personnes sur
lesquelles pèse une très forte présomption d’avoir commis des actes de génocide. La Serbie
soutient que, en vertu de l’articleVI, elle n’est responsable qu’à l’égard des personnes ayant
commis des actes de génocide en Serbie. Deux réponses simples à cela. Premièrement, les
personnes, en Serbie, sur lesquelles pèse de ma nière certaine une présomption d’avoir commis des
actes de génocide en Croatie peuvent néanmoins être traduites en justice devant le TPIY ⎯ il s’agit
là d’un tribunal ⎯, et la Serbie aurait toujours, dans de telles circonstances, des obligations à
honorer. Deuxièmement, le membre de phrase «l’act e a été commis» tel qu’il figure à l’article VI,
renvoie ⎯ affirmons-nous ⎯ à l’acte dont est accusée la personne dont il est question ⎯ pas à
l’acte global de génocide, mais à l’acte dont est accusée cette personne. Sans cela, savoir où a été
commis le génocide serait une tâche extraordinairement ardue ⎯ lorsque des crimes sont commis - 33 -
dans un contexte transfrontalier, la question est comp lexe, et dépend en grande partie des faits. La
première demande de réparation de la Croatie n’est, en conséquence, pas irrecevable. Le sort qui
lui sera réservé au fond dépendra des faits.
Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie une fois de plus de votre
attention. Je voudrais vous prier, Madame le prési dent, d’appeler à la barre l’agent de la Croatie,
qui clora notre réplique et présentera nos conclusions.
Le PRESIDENT: Je vous remerc ie, Monsieur Crawford. J’a ppelle maintenant à la barre
M. Šimonović.
ŠIMM.ONOVI Ć :
O BSERVATIONS FINALES
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie beaucoup de la patience dont
vous avez fait preuve pendant la semaine qui vient de s’écouler dans le cadre de cette affaire
complexe. Dans mes observations finales, j’essaierai d’être concis et d’aller droit à l’essentiel.
2. Je crois que pendant les deux tours de plaidoi ries, en sa qualité de requérant, la Croatie est
parvenue à aborder toutes les questions pertinen tes et à répondre à toutes celles qui ont été posées
par la Cour comme par le défe ndeur. Nous avons prouvé que la convention sur le génocide
s’appliquait à tous les moments pertinents et que le requérant et le défendeur avaient tous deux
accès là Cour. Nous avons également démontré que les conclusions du requérant étaient fondées
36 sur des faits et sur le droit, en particuliersur la convention sur le génocide, ce qui les rend
recevables. J’aimerais juste apporter quelques précisions.
Omission de chefs d’accusation de génocide par le TPIY
3. Si le défendeur a reconnu que de nombre ux crimes de guerre avaient été commis pendant
le conflit en Croatie, il a douté que ces crimes constituent des actes de génocide. A l’appui de cette
thèse, il a soutenu essentiellement que le TPIY n’av ait pas formulé de chefs d’accusation pour le
génocide commis en Croatie. - 34 -
4. Tout d’abord, cette question relève du fond. Madame le président, il est très difficile de
l’examiner tout en se conformant aux instructions de la Cour au sujet de cette audience. Mais je
ferai de mon mieux.
5. Le TPIY est un organe subsidiaire des Nati ons Unies chargé de poursuivre les crimes de
guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide commis pendant le conflit dans
l’ex-Yougoslavie. Disposant de moyens limités, et ayant recueilli un grand nombre d’éléments de
preuve sur les crimes de guerre, cette instance a dû, selon son appréciation, décider quels crimes
commis dans l’ex-Yougoslavie elle devrait poursu ivre. Nous ne tenons pas à nous perdre en
conjectures sur les raisons qui ont poussé le procureur à ne pas mettre en cause des hauts
responsables militaires serbes pour des crimes commis en Croatie, parmi lesquels pourraient figurer
des actes de génocide. Certains de ces officiers, tels que Ratko Mladi ć, qui ont commis des crimes
en Croatie comme en Bosnie-Herzégovine, ont été uniquement accusés d’avoir perpétré des actes
de génocide dans ce dernier pays. Quelles que soient les raisons qui ont motivé la décision du
procureur du TPIY, je voudrais vous rappeler les faits suivants :
6. Madame le président, c’est dans l’arrêt rendu en l’affaire Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro que cette Cour, en sa qualité de principal organe judiciaire chargé d’établir
la responsabilité des Etats, et d’un des principaux organes des Nations Unies, a conclu ce qui suit :
«un Etat peut voir sa responsabilité engagée en vertu de la Convention pour génocide et complicité
de génocide, sans qu’un individu ait été reconnu coupable de ce crime ou d’un crime connexe»
(Application de la convention pour la préven tion et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro) , arrêt du 27février2007, par.182). En rendant
cette décision, la Cour était visiblement consciente des contraintes auxquelles était soumis le TPIY,
et de son propre rôle.
37 7. La Croatie a mis en cause un certain nom bre de personnes pour des actes de génocide
(mentionnés dans notre mémoire), citant les noms en tiers de victimes et de témoins, ainsi que les
auteurs de ces actes, dont la plupart, peut-on supposer, se trouvent actuellement en Serbie.
8. D’autres organes des Nations Unies ont explic itement fait part de leurs préoccupations au
sujet de la qualification des crimes de guerre commis en Croatie et en Bosnie-Herzégovine du point
de vue de la convention sur le génocide. - 35 -
⎯ Au cours de sa deuxième session extraordinaire de 1992, la commission des droits de l’homme
des Nations Unies a déclaré ce qui suit au paragr aphe 12 du dispositif de sa résolution : «Invite
tous les Etats à examiner la mesure dans la quelle les actes commis en Bosnie-Herzégovine et
en Croatie constituent un génocide au sens de la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide.» F5F
⎯ L’Assemblée générale a réitéré cette invitation au paragraphe 16 du dispositif de sa résolution
sur la situation des droits de l’homme sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, adoptée la même
année F36.
Madame le président, Messieurs de la Cour , la République de Croatie se sent obligée de
répondre à cet appel. Selon nous, parce qu’elle est l’un des principaux organes des Nations Unies,
la Cour de justice est le forum approprié pour examiner ces questions.
Contexte des affaires OTAN
9. Madame le président, Messieurs de la C our, lors du premier et du second tours de nos
plaidoiries, nous avons clairement démontré que le raisonnement de la Cour s’agissant de sa
compétence dans les affaires relatives au génocide était cohérent et constant, à une exception près :
l’arrêt qu’elle a rendu dans les affaires OTAN.
10. Tout d’abord, les affaires OTAN étaient inhabituelles. Ou plutôt, c’est le comportement
du demandeur dans ces affaires qui était extrêmemen t inhabituel. Dès le début, il était en effet
évident que la RFY n’avait aucun argument à faire valoir contre les pays de l’OTAN. Néanmoins,
bien que tout à fait conscient de leur inc onsistance juridique, le régime de Milošević a introduit les
procédures en question. Son but n’était pas de les gagner, mais :
⎯ de les utiliser à des fins de propagande ; et
38 ⎯ de nuire aux instances introduites par la Bosnie-H erzégovine et la Croatie contre la RFY pour
génocide.
35 Deuxième session extraordinaire de la commission des droits de l’homme, situation des droits de l’homme sur
er
le territoire de l’ancienne Yougoslavie, 30 novembre et 1 décembre 1992.
36 Résolution A/RES/47/147 sur la situation des droits de l’homme dans le territoire de l’ex-Yougoslavie, adoptée
par l’Assemblée générale le 18 décembre 1992. - 36 -
11. Conscient des divers points faibles de sa thèse, y compris en matière de compétence, le
demandeur n’a alors pas déployé les efforts habituel s aux fins d’établir la compétence de la Cour.
Il a, en réalité, fait tout le contraire, puisqu’il a lui-même soulevé l’incompétence de cette dernière.
12. La requête de la RFY dans les affaires OTAN pourrait effectivement être considérée
comme une grossière tentative de détourner la Conve ntion sur le génocide. Le fait que la RFY, le
demandeur, a elle-même soulevé la question de la compétence de la Cour dans ces affaires révèle
l’absurdité de la situation: aucun demande ur n’avait jusqu’alors soulevé une exception
d’incompétence à l’égard de sa propre requête.
13. Hier, le défendeur a insisté sur le fait que la question du paragraphe 2 de l’article 35 avait
été examinée dans les affaires OTAN. Je souhaiterais rappeler à la Cour que, en ces affaires, seuls
certains des défendeurs en ont tiré argument, mais pas la Serbie, le demandeur. Les arguments
relatifs au paragraphe 2 de l’article 35 présentés par M. Crawford expriment donc, pour la première
fois, le point de vue du demandeur. Il en va de même du principe Mavromatis, bien qu’il ait été
examiné au moins par un membre de la Cour dans la décision de 2007.
14. Lorsqu’il a comparé les décisions sur le défaut de compétence de la Cour dans les
affaires OTAN et la possibilité de fonder sa compétence dans l’affaire de la Croatie, le défendeur a
laissé entendre que des réponses différentes à la qu estion de la compétence risquaient d’être
données à la Serbie. Tout d’abord, pour de s raisons présentées de manière détaillée par
M.Crawford, les situations ne sont pas les même s d’un point de vue juridique. Ensuite, compte
tenu de son propre comportement, la Serbie mérite ces deux réponses différentes.
15. La réponse à la question de M. le juge Abraham: quelle différence y-a-t-il entre la
Serbie-et-Monténégro, demandeur dans les affaires OTAN, et la Serbie, défendeur en la présente
espèce, eu égard à l’accès à la Cour au sens de l’article35 du Statut ⎯devrait être formulée
suivant le même raisonnement. M.Crawford a exposé en détail les différences juridiques. Je
souhaiterais les remplacer dans leur contexte.
16. Dans les affaires OTAN, la Serbie-et-Monténégro était un demandeur qui ne se
comportait pas comme tel. Lorsqu’il était question de la compétence, elle agissait comme un
défendeur. Dans ces affaires, il n’y avait que des défendeurs: il n’y avait aucun véritable
demandeur. La différence est que, en la présente espèce, la Croatie est un véritable demandeur. - 37 -
39 17. Madame le président, messieurs de la Cour , la frontière entre le souci de respecter les
formes juridiques et celui d’éviter le formalisme juridique est parfois ténue. Opter pour le principe
Mavromatis est une bonne façon de sortir de ce dilemme. Ce principe n’a pas été invoqué par la
Serbie-et-Monténégro en tant que demandeur dans les affaires OTAN et ce, probablement pour de
bonnes raisons. Cela ne signifie cependant pas qu’ il ne devrait pas être appliqué alors qu’il est
invoqué par le demandeur en la présente affa ire. Les affaires ayant trait à un génocide ⎯ qui sont
des affaires graves ⎯ devraient, autant que faire se peut, être jugées au fond.
Défaut d’objet des conclusions
18. Je considère que, dès le premier tour de plaidoiries, nous avons démontré que nos
conclusions n’étaient ni irrecevables ni dépourvues d’objet. M. Crawford a examiné la question de
l’irrecevabilité et j’ai, pour ma part, traité clle du défaut d’objet. Contrairement à lundi, nous
n’avons entendu hier que très peu de choses con cernant le prétendu défaut d’objet de nos
conclusions. J’aimerais conclure sur ce point en indiquant que la présente procédure a d’ores et
déjà eu une incidence positive sur certaines dema ndes qui y sont énoncées, à savoir les poursuites
engagées contre des personnes ayant commis des crim es, la recherche de personnes disparues et la
restitution de biens culturels. Si la pression résu ltant des accusations de génocide aide à atteindre
certains résultats, il n’en reste pas moins que le chemin est encore long pour que la Croatie
obtienne satisfaction.
19. Lesdits résultats ne sauraient justifier qu’il soit mis un terme à la présente instance. Bien
au contraire, ils démontrent l’importance que revêt sa poursuite afin de satisfaire aux demandes
formulées dans nos conclusions.
20. Pour la Croatie, il est de la plus grande importance que ces demandes soient satisfaites et
le plus tôt sera le mieux. Nous souhaitons que lesdites demande s deviennent sans objet le plus
rapidement possible. Mais d’ici-là, la présente affaire continuera à jouer un rôle important.
Répercussions de la présente espèce
21. En la présente espèce, la Croatie, en défendant ses propres intérêts, défend également des
intérêts plus larges ainsi que des principes généraux. - 38 -
⎯ Si la Cour devait se déclarer incompétente en l’affaire de la Croatie, cela aurait certainement
des conséquences négatives pour l’affaire de la Bosnie, en laquelle a été rendu le premier arrêt
de l’histoire établissant la responsabilité d’un Etat pour génocide. Si la Cour n’a pas
40 compétence à l’égard de la Croatie, non seuleme nt les ordonnances et décisions qu’elle a
rendues en 1993 et 1996 sur la compétence ser ont considérées par beaucoup comme erronées,
mais il en ira de même de l’arrêt rendu au fond en 2007.
⎯ La Serbie n’a pas encore eu à faire face à sa responsabilité pour les souffrances infligées en
Croatie entre1991 et1995. L’établissement de la vérité et la responsabilité concernant les
événements passés ⎯y compris la responsabilité de l’Etat ⎯ est essentiel pour une paix
durable, pour la stabilité et la coopération dans l’Europe du sud-est et pour l’avenir européen
de cette région.
⎯ En affirmant avec force que la convention sur le génocide et d’autres instruments humanitaires
ou relatifs aux droits de l’hom me ont une portée étendue et s’appliquent sans solution de
continuité, la Croatie cherche à défendre les intérêts des populations civiles exposées aux crises
et aux conflits, lesquels caractérisent les pr ocessus de dissolution et l’émergence de nouveaux
Etats.
22. Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention. Ainsi
s’achève le second tour de plaidoiries de la Croatie . Si vous le permettez, je vais maintenant
donner lecture des conclusions finales de la Croatie.
Conclusions
23. Sur la base des faits et des arguments juridiques présentés dans nos observations écrites
—et tels qu’exposés au cours des présentes audiences ⎯ la République de Croatie prie
respectueusement la Cour internationale de Justice de :
a) rejeter les première, deuxième et troisième exceptions préliminaires de la Serbie, à l’exception
de la partie de la deuxième exception qui por te sur la demande tendant à ce que M.Slobodan
Milošević soit traduit en justice et, en conséquence, de
b) dire et juger qu’elle est compétente pour st atuer sur la requête déposée par la République de
Croatie le 2 juillet 1999. - 39 -
Je vous remercie, Madame le président.
LE PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Šimonovi ć. La Cour prend note des
conclusions finales dont vous venez de donner lecture au nom de la Croatie.
41 Voilà qui nous amène à la fin des audiences consacrées aux exceptions préliminaires
soulevées par la Serbie. Je tiens à remercier les agents, conseils et avocats pour leurs exposés.
Conformément à la pratique, je prierai les agen ts des deux Parties de bien vouloir rester à la
disposition de la Cour pour tous renseigneme nts complémentaires dont celle-ci pourrait avoir
besoin et, sous cette réserve, je déclare close la procédure orale en l’affaire relative à l’ Application
de la convention pour la prévention et la répres sion du crime de génocide (Croatie c. Serbie) . La
Cour va maintenant se retirer pour délibérer. Les ag ents des Parties seront avisés en temps utile de
la date à laquelle la Cour rendra son arrêt.
La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, je déclare la séance levée.
L’audience est levée à 11 h 40.
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Traduction