CrY
CR 2008/10 (traduction)
CR 2008/10 (translation)
Mardi 27 mai 2008 à 16 h 30
Tuesday 27 May 2008 at 4.30 p.m. - 2 -
8 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour est aujourd’hui
réunie pour entendre le premier tour des plaidoiri es de la Croatie. Avant de donner la parole à
l’agent de la Croatie, la Cour estime nécessaire de rappeler encore une fois aux Parties que
l’instruction de procédure VI prévoit que lors de l’examen des exceptions d’incompétence ou
d’irrecevabilité, la procédure orale doit se borner à des exposés sur les exceptions.
Je donne à présent la parole à S. Exc. M. Ivan Šimonović, agent de la Croatie.
ŠIM.ONOVI Ć :
A. Introduction
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est la première fois que la Croatie se
présente devant la Cour. Le Gouvernement de la République de Croatie éprouve un grand respect
pour la Cour qui a pour rôle de régler les diffé rends entre les Etats et de tenir ceux-ci pour
responsables de leur comportement. La possibilit é de recourir à une juridiction internationale
hautement qualifiée et impartiale est essentielle pour le maintien de la paix internationale, de la
stabilité et de l’état de droit. C’est un honneur de représenter la Croatie en qualité d’agent devant
la Cour.
B. L’importance de cette affaire pour la Croatie
2. Madame le président, Messieurs de la Cour, l’affaire que la Croatie cherche à vous
soumettre porte sur le génocide, le crime par ex cellence. Elle fait inte rvenir la responsabilité
étatique pour génocide, les relations politiques sensi bles en Europe du sud-est et de très nombreux
éléments de preuve factuels. Et il ne s’agit p as seulement de n’importe quelle preuve —mais de
témoignages des souffrances des hommes causés par le génocide commis en Croatie entre1991
et 1995.
3. Si la Croatie avait pu traiter les problèmes relatifs à cette affaire d’une autre manière, elle
l’aurait certainement fait, mais il ne semble malh eureusement pas exister d’autre voie. Nous en
appelons à la compréhension de la Cour et au fait qu’elle a pleinement conscience de constituer, en
ce qui concerne les demandes exposées dans notre requête, notre dernier recours. - 3 -
4. Il est vrai que le Tribunal pénal pour l’ ex-Yougoslavie a examiné de nombreuses atrocités
particulières commises au cours des hostilités. Nous ne sous-estimons pas son rôle. Mais, de l’avis
de la Croatie, ces procédures péna les n’ont pas montré clairement le cadre d’ensemble dans lequel
9 ces atrocités ont été commises. Si l’affaire Miloševi ć avait abouti à une déclaration de culpabilité
et à une condamnation, il en aurait peut-être été au trement. Mais ce ne fut pas le cas. Le cadre
d’ensemble des événements, le projet unique visant à créer une Grande Serbie grâce aux territoires
pris en Croatie et en Bosnie-Herzégovine par le moyen du nettoyage ethnique de la population non
serbe a été examiné par le TPIY dans certaines affaires, mais il n’a pas été révélé dans son
intégralité. Selon la Croatie, le projet de Miloševi ć visant à créer une Grande Serbie, fondé sur
l’occupation et le nettoyage ethnique dans certain es parties de la Croatie et de la Bosnie,
comprenait le recours organisé et systématique à des actes criminels contre la population civile,
assimilables à des actes de génocide, partout et à chaque fois que cela servait ces objectifs (ainsi
que la Cour l’a déjà établi dans le cas de Srebrenica).
5. En soumettant cette affaire à la Cour, la Croatie ne se soucie pas seulement du passé mais
aussi de l’avenir. L’établissement des faits, leur qualification juridique et la reconnaissance de la
responsabilité juridique prépareront le terrain d’ une paix durable, de la stabilité et de bonnes
relations de voisinage entre la République de Croatie et la Serb ie, ainsi que le futur européen
1
commun invoqué hier par le défendeur F.
6. Madame le président, Messieurs de la Cour, l’objectif de ma plaidoirie d’aujourd’hui est
de replacer notre affaire sur la compétence et la recevabilité dans son contexte juridique et
d’indiquer les exposés que vous entendrez de la part de mes collègues.
7. En exposant le cours des événements, je ne répéterai pas l’évolution de cette affaire telle
que vous, Madame le président, ai nsi que le défendeur l’avez présentée. Toutefois, je ne saurais
m’empêcher de noter que l’inconstance du défendeur , au double plan de la diplomatie et de la
pratique judiciaire, a placé la Cour dans une position exceptionnellement difficile.
1CR 2008/8, p. 20, par. 16-17 (Varady). - 4 -
8. Mais, si je peux me permettre, il serait exceptionnel et même étrange que la Cour se soit
déclarée compétente, en 2007, pour connaître d es demandes concernant un génocide présentées
contre le défendeur rela tivement à des événements situés d’un cô té de la frontière et qu’elle se
déclare incompétente, en 2008, s’agissant de dema ndes présentées contre le même défendeur et se
rapportant aux événements connexes qui se sont déro ulés à quelques kilomètres de l’autre côté de
la même frontière.
10 C. Les trois exceptions préliminaires
9. Je vais à présent mentionner brièvement les exceptions préliminaires à la compétence de la
Cour soumises par le défendeur.
a) La compétence ratione personae
10. Selon la première exception préliminaire, la Cour n’est pas compétente ratione personae.
Comme je viens de l’indiquer, cela ne saurait êt re exact. Vous ne pouvez pas être compétents
ratione personae une année et ne pas l’être, l’année suivante, à l’égard du même Etat. Vous avez
jugé l’affaire de la Bosnie : vous ne sauriez refuser de trancher aussi celle de la Croatie.
11. Mes collègues, MM. Sands et Crawford, ex amineront les questions juridiques relatives à
la compétence de la Cour ainsi qu’à la qualité des Parties pour ester devant la Cour au moment du
dépôt de la requête. Permettez-moi, cependant, de faire quelques observations quant à la question
des liens de fait entre les affaires de génocide croate et bosniaque.
o
[Carte n 1 — La République fédérative socialiste de Yougoslavie]
12. Madame le président, Messieurs de la Cour, comme vous le savez parfaitement, la
République fédérative socialiste de Yougoslavie (RFSY) se composait de six républiques et de
deux provinces autonomes. Comme vous pouvez le voir sur l’écran et à l’onglet 1 du dossier de
plaidoiries, elles sont représentées en différentes couleurs. Pendant le processus de dissolution de
la RFSY, les six républiques sont toutes devenues d es Etats indépendants. Je vais m’attacher, dans
cette plaidoirie, à examiner les sorts étroitement liés des Etats voisins que sont la Croatie et la
Bosnie-Herzégovine.
o
[Carte n 2 — La Croatie et la Bosnie-Herzégovine] - 5 -
13. La Croatie et la Bosnie-Herzégovine ne s ont pas seulement des pays voisins : du fait de
circonstances historiques —comme vous pouvez le voir à présent sur l’écran et à l’onglet 2 du
dossier de plaidoiries— elles partagent une longue frontière et sont interdépendantes en ce qui
concerne le transport, l’économie, la politique et la sécurité. Il n’est pas surprenant que, au cours
de leur histoire, les sorts de la Croatie et de lBosnie-Herzégovine aient ét é étroitement liés. Ce
fut également le cas pendant la dissolution de l’ex-Yougoslavie et durant le conflit qui a
accompagné celle-ci, lorsqu’elles furent victimes de la même agression et des mêmes tentatives
visant à s’emparer de leur territoire et à les intégr er à la prétendue «Grande Serbie». Les parties
occupées du territoire étaient soumises au nettoyage ethnique, lequel a parfois atteint le niveau du
génocide, commis avec l’intention qui caractérise ce crime.
11 14. Ce que je vais présenter maintenant est une courte étude de cas qui démontre clairement
que les génocides en Croatie et en Bosnie-Her zégovine constituaient de ux facettes d’un même
problème. Si la Cour a reconnu sa compétence en ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine, elle
devrait la reconnaître également s’agissant de la Croatie.
o
[Carte n 3 — Zone où s’exerçait la responsabilité du corps de Banja Luka]
15. Le territoire de la RFSY relevait de la responsabilité de différentes sections de la JNA —
l’armée nationale yougoslave. Les zones de res ponsabilité ne coïncidaient pas avec les frontières
des républiques. Sur l’écran et à l’onglet3 de votre dossier, vous pouvez voir la zone de
responsabilité du corps de Banja Luka, représentée en orange. Elle couvrait des parties de la
Croatie et de la Bosnie-Herzégovine.
o
[Carte n 4 — Prisonniers de Hrvatska Kostajnica, en Croatie, détenus à Manja ča, en
Bosnie-Herzégovine]
16. Les actes génocides commis dans la zone de responsabilité du corps de la JNA de Banja
Luka ont été largement relatés. La frontière en tre la Croatie et la Bosnie ne représentait pas un
obstacle à cet égard.
17. Après que le corps de Banja Luka eut occupé Hrvatska Kostajnica, en Croatie, en
septembre 1991, la zone environnante a été gravement touchée. Par exemple, dans le village voisin
de Kostrići, littéralement tous les habitants, le plus jeune était âgé de 3 ans et le plus âgé de 93 ans, - 6 -
furent assassinés uniquement parce qu’ils étaient Croates F. Dans le mémoire, nous avons
également indiqué que certains prisonniers de Hrvatska Kostajnica, en Croatie, étaient détenus dans
un camp de prisonniers à Manjača, en Bosnie-Herzégovine, comme vous pouvez le voir sur l’écran
3
et à l’onglet4 F. Au printemps1992, lorsque la Bosnie est également devenue la victime de
l’agression serbe, les détenus de Croatie furent rejoints par des Croates et des musulmans de
Bosnie-Herzégovine. Ils furent agressés et souve nt tués par les mêmes auteurs, au cours de la
même période, comme des victimes du même plan global visant à créer une Grande Serbie nettoyée
des non-Serbes, qu’ils soient Croates de Croatie ou Croates et musulmans de Bosnie.
o
[Carte n 5 —Prisonniers de Prijedor, en Bosnie -Herzégovine, tués et enterrés à Hrvatska
Kostajnica, en Croatie]
18. Des actes génocides ont eu lieu dans le se cteur relevant de la responsabilité du corps de
Banja Luka, en particulier dans la région de Prijedor, le long de la frontière avec la Croatie.
Comme le démontre la carte sur l’écran et à l’onglet 5 du dossier de plaidoiries, au printemps 1992,
12 des personnes fuyant le génocide dans cette région de Bosnie-Herzégovine furent faites
prisonnières et assassinées à Hrvatska Kostajnica, un e partie occupée de la Croatie qui relevait du
secteur de responsabilité du corps de Banja Luka.
o
[Carte n 6 — Lieux où furent accomplis des actes génocides dans le secteur de la responsabilité du
corps de Banja Luka des deux côtés de la frontière]
19. La carte de l’onglet 6 montre des sit es où des atrocités furent commises entre1991
4
et 1995 dans le secteur de la responsabilité du corps de Banja Luka, des deux côtés de la frontière F.
Elles ont été commises successivement, voire simultanément, dans le secteur de responsabilité de la
même unité militaire, et elles sont imputables au défendeur.
20. Madame le président, Messieurs de la Cour, pour toutes ces raisons, il serait bien étrange
de considérer différemment la question de la compétence de la Cour selon qu’il s’agit de la Croatie
ou de la Bosnie-Herzégovine. Cette similitude concerne non seulement le fond mais aussi la
position juridictionnelle. Il est vrai que, dans son arrêt du 27février2007, la Cour a fondé sa
2
Mémoire de la Croatie (MC), vol. I, 2001, p. 260.
3
Ibid., p. 259.
4
L’identification des sites est issue des pièces écrites de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine. - 7 -
compétence sur l’autorité de la chose jugée. Mais décider qu’une question est res judicata entre les
deux Etats, ce n’est pas accepter que la décision de 1996 était essentiellement erronée, ni même le
laisser entendre. La Cour n’en a pas décidé ainsi. Elle aurait tort — avec tout le respect que je lui
dois— d’en décider ainsi à présent. Il serait erroné de votre part de décider que seule la
Bosnie-Herzégovine bénéficiait de la protection de la convention sur le génocide — ce modèle de
convention universelle — pendant les années 1990. Non seulement une telle décision ferait naître
un doute sur la justesse de vos arrêts de1996 et 2003, mais elle affaiblirait également celui
de 2007.
21. En outre, une telle décision servirait exclusiv ement les intérêts de l’Etat défendeur et ne
contribuerait pas à une extension de la politique publique internationale . Tout au long des
années1990, le défendeur —ce même Etat aute ur de la déclaration du 27avril1992— a
constamment reconnu qu’il était par tie à la convention sur le génoc ide et qu’il était lié par les
obligations qui lui incombaient en vertu de la c onvention. Il prétend à présent que tout cela est
faux et sans effet, désavouant ainsi son propre comportement.
b) Responsabilités pour des actes ou omissions antérieurs au 27 avril 1992
22. Madame le président, Messieurs de la Cour, selon la deuxième exception soulevée par le
défendeur, la requête est irrecevable pour autant qu’elle renvoie à des actes ou omissions antérieurs
au 27avril1992. Premièrement, je tiens à pr éciser que cette exception ne concerne pas les
13 nombreux actes et omissions qui ont eu lieu dans les territoires occupés après le 27avril1992 et
dont le mémoire fait état. Elle ne concerne pas non plus le fait que le défe ndeur n’a pas traduit en
justice les auteurs des crimes commis antérieurement à cette date.
23. Deuxièmement, pour la Croatie, cette exce ption n’a pas trait à la recevabilité de la
requête mais porte sur le fond, c’est-à-dire sur la question de savoir si la Serbie est ou n’est pas
responsable des actes et omissions énumérés dans le mémoire, et elle devrait donc être examinée à
un stade ultérieur de la procédure.
24. Troisièmement, et ce qui est le plus important, un Etat ne saurait invoquer le changement
de nom de forces placées sous la même autor ité politique et sous les mêmes direction et
commandement militaires pour échapper à sa responsab ilité internationale. Le défendeur a déjà - 8 -
signalé le changement d’appellation et de cadre juri dique de la Serbie actuelle. Sans revenir sur ce
qui a été dit, je tiens juste à souligner qu’un Etat ne saurait se soustraire à sa responsabilité pour des
actes de cette gravité par un simple changement d’appellation.
25. Madame le président, Messieurs de la Cour, M. Crawford examinera demain les éléments
juridiques liés à la deuxième exception prélimin aire. Aujourd’hui, je voudrais me pencher
brièvement sur certains éléments de fait important s. Puisque le défendeur ne conteste pas le lien
existant entre l’actuelle République de Serbie et la RFY, je considérerai essentiellement la
continuité du contrôle exercé sur ce qui restait de la RFSY et sur la RFY pour le compte du même
groupe politique : à savoir M. Milošević et ses collaborateurs.
26. Dans notre mémoire, nous avons clai rement démontré le processus par lequel
M. Milošević a pris le contrôle de ce qui restait de la République fédérale socialiste de Yougoslavie
5
et de ses forces armées F. La continuité du contrôle politique et militaire entre ce qui restait de la
RFSY et la RFY est également reflétée par la c ontinuité des dirigeants politiques et militaires, qui
étaient les mêmes personnes.
27. Le défendeur prétend que ce qui restait de la Yougoslavie n’éta it pas sous domination
serbe parce qu’en 1991, le président de la présidence collective, M.Stipe Mesi ć, et le premier
6
ministre, M.Ante Markovi ć, étaient croates F. Les faits suivants —traités dans le mémoire—
montrent quelle était leur véritable position :
14 ⎯ Le 11 septembre 1991, M. Mesić a donné l’ordre aux soldats de la JNA, qui était déjà engagée
dans des hostilités contre la Croatie, de rentrer da ns leurs casernes. Lorsque cet ordre officiel
et contraignant émanant du commandant suprême des forces armées n’a pas été exécuté,
M. Marković, le président du conseil exécutif fédé ral, a exigé la démission de Kadijevi ć, le
7
secrétaire d’Etat fédéral à la défense. Il ne s’est rien passé F.
5 MC, vol. 1, 2001, chap. 2 et 3.
6 Exceptions préliminaires de la République fédérale de Yougoslavie, 2002, p.101 et 110. Voir également
CR 2008/8, p. 58, par. 11 (Djerić).
7 MC, vol. 1, 2001, p. 64-65. - 9 -
⎯ Lors d’une rencontre avec le président de la Croatie à Zagreb le 7octobre1991, Mesi ć et
Marković ont tous deux été la cible d’une attaque à la roquette lancée par un avion de guerre de
la JNA. Après cette attaque, dont ils ont par ch ance réchappé, ils n’ont pas pu établir qui en
8
était responsable, et ont peu après renoncé à leurs hautes, mais inutiles, fonctions F.
⎯ Et comme si cela ne suffisait pas, en octobre 1991, M.Mesi ć se vit refuser son traitement
présidentiel ainsi que son per diem alors qu’il assistait à une conférence internationale sur la
9
paix à La Haye F. Voilà qui en dit long sur son contrôle effectif !
28. Dans nos observations écrites sur les exceptions du défendeur, nous avons plus
amplement démontré la continuité et le degré du contrôle exercé par les mêmes forces politiques et
10
militaires au sein de ce qui restait de la RFSY et de la RFY F . Les éléments de preuve produits
dans le cadre des affaires portées devant le TPI Y confirment pleinement nos conclusions. Depuis
au moins octobre1991, les autor ités serbes dirigées par M.Miloševi ć avaient un contrôle effectif
sur l’ensemble des forces serbes qui ont pris part à l’agression et à l’occupation de la République
11
de Croatie F F.
c) Recevabilité et pertinence des conclusions de la Croatie
29. Madame le président, Messieurs de la C our, dans sa troisième exception préliminaire, le
défendeur prétend que certaines des conclusions spécifiques du demandeur sont irrecevables et sans
objet.
30. Je souhaiterais qu’au moins certaines de nos conclusions soient sans objet, mais elles ne
le sont pas. L’examen de cette question appartient de droit au fond, mais puisque le défendeur l’a
soulevée et s’y est longuement arrêté, je me sens tenu de l’aborder au moins brièvement.
15 31. Il est vrai que les autorités serbes ont réalisé des progrès en ce qui concerne la poursuite
pénale des auteurs de crimes de guerre, la comm unication d’informations sur les personnes portées
disparues et la restitution des biens culturels volés. Mais outre qu’il est trop tard, c’est trop peu.
8 OEC, 2003, p. 30.
9 MC, vol. 5, appendice 4, p. 87.
10 OEC, 2003, p. 19-31.
11 Le procureur c. Babić, affaire n IT-03-12-S, chambre de première instance, jugement du 29 juin 2004, par. 14,
Le procureur c.Miloševi ć, affaire n IT-02-54-T, compte rendu d’audience du 3décembre2002, p.13737, 13740 et
o
137444, Le procureur c.Miloševi ć, affaioe n IT-02-54-T, second acte d’accusa tion modifié du 28juillet2004,
par. 25-26, Le procureur c. Martić, affaire n IT-95-11-T, décision du 12 juillet 2007, par. 141-142. - 10 -
32. Aucune poursuite n’a encore été engagée pour la plupart des crimes bien documentés
dont le mémoire fait état. Des 74 auteurs de dive rs actes de génocide, dont les noms et prénoms
sont mentionnés noir sur blanc dans notre mémoir e avec le nom des témoins et des victimes de
leurs crimes, combien de ceux qui vivent en Serbie ont-ils été poursuivis ?
33. Pour autant que je sache, ils ne sont qu ’une poignée, si nous comptons ceux qui sont
poursuivis pour le massacre de Lovas dans le cadre de la procédure qui s’est ouverte il y a
seulement un mois. Il semble plausible de pen ser que la programmation de la présente procédure
orale a fortement encouragé l’ouverture de l’affaire Lovas. Cela est positif, mais outre qu’il est
trop tard, c’est trop peu. Les quelques criminels qui ont été poursuivis par la justice serbe sont tous
des membres subalternes des forces armées. Nature llement, ils n’ont pas été accusés de génocide.
Si un certain nombre de criminels mentionnés dans le mémoire ont été accusés de génocide par les
autorités croates, ils demeurent hors d’atteinte, vraisemblablement en Serbie.
34. Madame le président, Messieurs de la Cour , le défendeur affirme que la demande de la
Croatie tendant à recevoir des renseignements su r la localisation des citoyens croates portés
disparus par suite des actes de génocide est devenue sans objet. Selon le défendeur, cette demande
est «sans objet parce que les renseignements dont di spose la Serbie ont déjà été communiqués à la
12
Croatie» F .
35. En proclamant que cette demande est sans objet, le défendeur se montre plutôt indifférent
à ce que ressentent les familles des personnes disparues. La République de Croatie recherche
toujours 1185 personnes, dont la disparition est im putée aux forces serbes qui étaient placées sous
le commandement et le contrôle de M. Milošević.
36. Il est vrai que, comme le défendeur en rend fièrement compte, après 2002, la Serbie a
enfin commencé à procéder à des exhumations. C’es t ce que réclame la Croatie depuis 1998 sur la
base d’accords bilatéraux, mais les exhumations n’ont commencé qu’après que la Croatie a déposé
son mémoire en 2001, et elles avancent très lentement.
12CR 2008/9, p. 25, par. 65 (Zimmermann). - 11 -
16 37. Le défendeur a aussi ra ison de dire qu’il existe des instruments et des dispositifs
13
bilatéraux et multilatéraux en vue de recherch er et de localiser les personnes disparues F . Le
problème n’est pas qu’ils ne sont pas assez nombreux mais qu’ils ne sont pas assez efficaces.
38. Enfin, on ne voit pas très bien comment le défendeur peut soutenir que tous les
14
renseignements dont dispose la Serbie ont déjà été communiqués à la Croatie F , compte tenu des
éléments suivants :
⎯ après de nombreuses années de négociations, d es protocoles médico-légaux ont enfin été
communiqués à la Croatie, mais uniquement pour la zone de Vukovar. Pour toutes les autres
zones occupées de Croatie, nous n’avons pas reçu le moindre protocole ;
⎯ la documentation de l’hôpital de Vukovar saisie en 1991 n’a toujours pas été restituée. Après
que des caméras de télévision serbes ont, par inadvertance, révélé l’existence de cette
documentation, cela n’est même pas contesté par le défendeur ;
⎯ aux réunions tenues entre les commissions charg ées de la recherche des personnes disparues,
les procédures devant le TPIY sont systématiquement mises en avant pour justifier la
communication de la documentation pertinente.
39. En ce qui concerne les biens culturels, il est vrai que plus de 25000objets ont été
restitués par la Serbie. Toutefois, 27 942 objets, soit un nombre encore plus élevé, n’ont toujours
pas été restitués. Ce fait, à lui seul, en dit suffisamment long non seulement sur l’étendue des
dommages causés par la guerre, mais aussi sur le degré de coopération dans ce domaine.
40. Madame le président, Messieurs de la Cour , permettez-moi de conclure sur la troisième
exception préliminaire. Nos conclusions ne sont ni irrecevables ni sans objet. Bien au contraire,
chaque jour, le défendeur conti nue de violer la convention sur le génocide en ne punissant pas les
responsables, en ne communiquant pas les rensei gnements sur les personnes disparues et en ne
restituant pas les biens culturels saisis en Croatie pendant l’occupation de ce pays.
13
Ibid., p. 26, par. 65 et suiv. (Zimmermann).
14
CR 2008/9, p. 25, par. 65 (Zimmerman). - 12 -
D. Les plaidoiries de la Croatie dans ses grandes lignes
41. Permettez-moi enfin de présenter à la Cour la manière dont nous nous proposons de
répondre aux arguments avancés lundi par le défendeur.
17 42. Ma collègue AndrejaMetelko-Zgombi ć parlera en premier. Elle montrera en quoi la
Croatie était en droit de faire fond — comme elle l’a fait — sur le raisonnement que la Cour a suivi
dans son arrêt de 1996 sur les exceptions préliminaires.
43. M.Sands prendra ensuite la parole et dé montrera que le défendeur était, à toutes les
périodes pertinentes, lié par l’ensemble des dispositions de la convention sur le génocide, y compris
l’articleIX. Il montrera clairement que la convention sur le génocide ne cesse pas —comme
semble l’indiquer le défendeur ⎯ de s’appliquer au moment le plus critique. Madame le président,
nos plaidoiries de cet après-midi s’achèveront sur cet exposé.
44. Demain, M. Crawford démontrera que ⎯ sur la base de la convention sur le génocide en
tant que droit applicable ⎯ l’Etat défendeur est res ponsable envers la Croatie ⎯ comme il l’était
envers la Bosnie-Herzégovine ⎯ pour toutes les violations de la Convention qui ont été commises
depuis le début du conflit, dont la Croatie a été le théâtre. En fait, M. Sands établira la continuité
du droit applicable et M.Crawford, la conti nuité de la responsabilité du défendeur pour les
violations de ce droit.
45. Nous nous penc herons ensuite sur les questions de l’accès et examinerons les
paragraphes1 et2 de l’article35, sur lesquels le défendeur est manifestement resté silencieux.
Madame le président, si vous le permettez, M. Sands interviendra à nouveau pour montrer que le
défendeur jouissait incontestablement, même si les autres Etats successeurs, y compris la Croatie,
s’y opposaient, d’un statut particulier au sein de l’Organisation des Nations Unies tout au long des
annéesquatre-vingt-dix. Ce statut sui generis ne correspondait peut-être pas à la qualité de
membre à part entière de l’ONU, mais il n’en a pas moins suffit à lui donner accès à la Cour
conformément aux instruments applicables et à la pratique même de la Cour à cette époque. - 13 -
46. Enfin, M.Crawford fera valoir que la convention sur le génocide était —et est
toujours ⎯ un «traité en vigueur» au sens du paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la Cour. Il
montrera également que toutes les conditions permettant d’établir la compétence de la Cour étaient
— que les autres arguments soient ou non fondés — réunies dès le 1novembre 2000, et que cette
compétence, établie au plus tardà cette date, n’a pas été pedue par suite de développements
ultérieurs.
47. Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention.
18 48. Je vous demande à présent de bien voul oir appeler ma collègue Mme Metelko-Zgombi ć,
conseiller juridique principal au ministère des affa ires étrangères, qui poursuivra les plaidoiries de
la Croatie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Šimonovi ć. J’appelle à présent
Mme Metelko-Zgombić.
MmEeTELKO-ZGOMBI Ć :
P ERTINENCE DE L ’AFFAIRE B OSNIE -HERZÉGOVINE C . SERBIE
1. Madame le président, Messieurs de la Cour, plaise à la Cour, j’ai l’honneur et le privilège
de comparaître devant vous pour la première foiaux fins de représenter le Gouvernement de la
République de Croatie dans cette affaire importante.
1. Introduction
2. Je m’attacherai aujourd’hui à démontrer que les faits essentiels de la présente espèce sont
si inextricablement liés à ceux dl’affaire introduite par la Bosn ie-Herzégovine (l’affaire de la
Bosnie) que l’on ne saurait s’écarter, en droit ou par principe, où il a été conclu que la Cour avait
compétence en l’espèce. Contrairement à ce que ledéfendeur a soutenu hier, les arrêts que vous
avez rendus en l’affaire de la Bosnie en1996, 2003 et2007 sont d’une grande pertinence pour la
présente procédure et donnent des orientations pour le règlement de cette affaire. - 14 -
3. Madame le président, les faits de ces deux affaires sont très connexes. Même théâtre des
hostilités; des liens géographiques, politiques, milita ires et logistiques très étroits. Il serait
anormal que ces événements connexes survenus d es deux côtés de la frontière soient traités
différemment à des fins juridictionnelles.
4. Les éléments juridiques sont également anal ogues. Le défendeur est le même, la période
est presque la même; même chef de demande, même absence —à l’époque considérée— de
réserve juridictionnelle. Aucune autre affaire port ée devant la Cour n’a été en corrélation et en
relation si étroites avec la présente affaire que l’affaire de la Bosnie.
5. La dynamique temporelle des mesures prises dans les deux affaires portées devant la Cour
atteste ce lien étroit. La déclaration conjointe d es deux agents, en ce qui concerne leur coopération
15
19 dans la procédure engagée devant la Cour, a été signée en 2000 F . La Croatie a prêté attention aux
décisions de la Cour lors de chaque phase de l’affaire de la Bosnie et a agi en conséquence. Lors
du dépôt de sa requête et de son mémoire, et à tous moments, la Croatie s’est fondée sur les
décisions de la Cour en l’affaire de la Bosnie. A des fins de cohérence, de sécurité juridique et de
prévisibilité, la Cour doit adopter la même approche dans ces deux affaires.
6. Et, enfin, le défendeur n’a contesté son stat ut aux termes de la c onvention sur le génocide
qu’après que la Croatie eut déposé son mémoire. C’ est seulement alors qu’il a modifié sa position.
A présent, le défendeur tente de détourner so n adhésion à l’Organisation des NationsUnies
en2000, depuis longtemps attendue, afin d’échappe r à toute responsabilité quant aux faits qui se
sont produits avant cette date, aux termes de la convention sur le génocide à laquelle — M. Sands
le montrera — il était partie à toutes les époques pertinentes.
7. Ainsi que plusieurs membres de la Cour l’ont indiqué dans une déclaration commune à
l’occasion des affaires de l’ OTAN en 2004, la cohérence est l’essence même du raisonnement
judiciaire. Cela est d’autant plus vrai «s’agissant d’affaires connexes», selon leur expression
15Déclaration conjointe de l’ambassadeur Muhamed Sacirbey et de l’ambassadeur Ivan Simonovic, 12 juin 2000,
MC, annexe 13. - 15 -
(Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Mont énégro c.Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J.Recueil 2004, p.330: déclaration commune de M.le juge Ranjeva, vice-président, et
de MM.les juges Guillaume, Higgins, Koojimans, Al-Khasawneh, Buergenthal et Elaraby). La
Croatie prie respectueusement la Cour de se conformer à ce principe dans cette affaire «connexe».
2. Similitude des faits
8. Les faits de l’espèce relèvent du fond de l’affaire. Toutefois, à ce stade de la procédure, il
convient d’attirer l’attention de la Cour sur certa ins des éléments au vu desquels ces deux affaires
sont «connexes».
9. Les deux Etats, la Croatie et la Bosn ie-Herzégovine, ont été victimes de la même
agression et des actes identiques ont été perpétrés à leur encontre. Après la déclaration de leur
indépendance en 1991 et 1992, ils ont été attaqués par des forces relevant du même
commandement, composées de vestiges de la JNA contrôlée par le défendeur et d’unités de défense
territoriale serbes locales égalemen t contrôlées par lui. Des entités serbes autoproclamées en
Croatie — la prétendue République de Srpska Krajina — et en Bosnie-Herzégovine — la prétendue
20 Republika Srpska— collaborèrent sur toutes ces ques tions. Elles firent abstraction des frontières
internationales : la Croatie et la Bosnie-Herzégovi ne devinrent partie intégrante d’un seul et même
grand théâtre d’hostilités.
3. La similitude des éléments juridiques
10. Les affaires de la Bosnie et de la Croatie ont également des liens juridiques étroits qui les
rendent en effet juridiquement indissociables.
11. La Croatie a déposé sa requête en juillet 1999 et présenté son mémoire le 14 mars 2001.
A cette époque, la Cour s’était depuis longtemps déclarée compétente en l’affaire de la Bosnie.
Lors de la phase de la procédure relative aux mesu res conservatoires, la Cour avait conclu qu’elle
avait compétence prima facie , tant rationae personae que rationae materiae , aux termes de
l’article IX de la convention sur le génocide. La compétence de la Cour en vertu de cet article fut
confirmée dans l’arrêt de 1996, celle-ci pouvant ainsi procéder à l’examen du fond de l’affaire. - 16 -
L’arrêt de 1996 (affaire de la Bosnie)
12. Lors des plaidoiries d’hier, le défendeur a admis — il ne pouvait faire autrement — que
dans l’arrêt de1996, la Cour ava it déjà conclu que le défendeur ét ait lié par la convention sur le
génocide. L’argument selon lequel cette question n’ a pas été soulevée par les Parties, à savoir par
le défendeur, est sans valeur. La RFY en tant que défendeur aurait pu le faire si elle l’avait jugé
nécessaire. Au lieu de cela, s’abstenant de tout e action, le défendeur confirma qu’il acceptait la
conclusion de la Cour. Et c’est pourquoi, en tre autres, cette conclusion de1996 revêt une
importance particulière. Bien que les décisions de la Cour ne lient que les parties et n’aient donc
que l’autorité de la chose jugée, vos conclusions sont d’une grande pertinence. Il est impossible de
concevoir que le même défendeur soit considéré co mme étant lié par la convention sur le génocide
dans un cas et pas dans l’autre. Vous avez conclu que la convention sur le génocide liait l’Etat
défendeur. Ce faisant, vous avez invoqué la déclaration officielle faite lors de la proclamation de la
République fédérale de Yougoslavie le 27 avril 1992.
13. De plus, vous avez souligné que l’inten tion du défendeur d’être lié par les traités
internationaux auxquels l’ex-Yougoslavie était partie avait été confirmée et notifiée officiellement
au Secrétaire général de l’Organisation d es NationsUnies, dépositaire des traités des
NationsUnies, par la Note officielle du 27av ril1992 adressée par la mission permanente de
21 Yougoslavie. Vous avez ainsi conc lu que le défendeur était partie à la convention sur le génocide
le 20 mars 1993, date du dépôt de la requête en l’affaire de la Bosnie.
14. La Cour a également précisé l’étendue de sa compétence ratione temporis. Elle a fait
observer que la convention sur le génocide — et en particulier l’article IX — ne comportait pas de
clause qui avait pour objet ou effet de limiter l’étendue de sa compétence ratione temporis, et que
les parties n’avaient pas formulé de réserve à cet effet. C’est une conclusion importante pour la
présente espèce: la Cour s’est déclarée compéten te pour donner effet à la convention sur le
génocide s’agissant d’actes survenus depuis le début du conflit en Bosnie-Herzégovine. Cette seule
conclusion devrait écarter la seconde exception préliminaire du défendeur. - 17 -
15. Après l’arrêt de 1996 et avant que la situ ation de fait ou de droit n’évolue, la Croatie
déposa sa requête en la présente espèce le 2 juille t 1999. Aucun changement ne se produisit entre
le 20mars1993 et le 2juillet1999. Si cette phase de la procédure avait alors abouti à une
décision, on peut présumer que la Cour aurait adopté la même approche qu’en 1996.
4. La situation entre-temps
16. Que s’est-il passé depuis? Rien de totalement imprévu. Comme vous l’avez fait
observer, il restait uniquement à savoir en 1996 si et à quel moment le défendeur demanderait et
obtiendrait la qualité de membre de l’Organisati on des NationsUnies. Ainsi, en vertu des
résolutions pertinentes de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, la RFY fut admise à
l’Organisation des Nations Unies en novembre 2000, en tant que nouvel Etat Membre.
17. Le défendeur s’appuya sur cet élémen t, attendu depuis longtemps pourtant, pour
introduire plusieurs instances devant cette Cour. Sur cette base, le défendeur déposa une requête en
revision de l’arrêt de 1996 en l’affaire de la Bosnie et, ultérieurement, en 2002, déposa certaines
exceptions préliminaires dans la présente espèce.
L’arrêt de 2003 (affaire de la Bosnie)
18. Madame le président, en février 2003, la Co ur a rejeté la demande de révision de l’arrêt
de1996 présentée par le défendeur. Elle a conclu que nul fait nouveau au sens de l’article61 du
Statut n’avait été établi depuis le prononcé de l’arrêt de 1996.
22 19. Mais il ne s’agissait pas seulement de révision, comme l’a prétendu le défendeur hier.
La Cour a examiné avec soin la qualité de la RFY à la lumière des nouveaux développements
(Application de la convention pour la préven tion et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine cS . erbie-et-Monténégro) , arrêt du 2févrie2007, par1. 09), et ses
conclusions sont pertinentes à la présente procédure.
20. C’était la première fois que la Cour avait l’occasion de se prononcer à nouveau sur sa
compétence à la lumière de l’admission du défendeur à l’ONU. En fait, vous avez été invités à le
faire par le défendeur.
21. La question du droit d’ester devant la Cour reste en principe toujours posée tout au long
de la procédure, «quand bien même cette ques tion n’aurait pas été soulevée par les parties» ( ibid., - 18 -
par. 122), comme vous l’avez rappelé dans l’arrêt de 2007. Et c’est exactement ce qui s’est produit
en 2003. Vous avez examiné les faits en détail et vous avez conclu que vous n’aviez nulle raison de
décliner votre compétence.
22. Dans votre arrêt de Revision, vous avez signalé que, lorsque l’arrêt de 1996 a été rendu,
la situation qui prévalait était celle qui avait été créée par la résolution47/1 de l’Assemblée
générale. La Cour a rappelé que, même à l’époque, en1996, elle était tout à fait consciente de
l’ambiguïté de la qualité (sui generis), qui était celle de la RFY au sein de l’ONU. Vous avez
rappelé que la résolution47/1 de l’assemblée géné rale n’a eu aucune incidence sur le droit du
défendeur d’ester devant la Cour ou d’être par tie à un différend devant elle. Vous avez signalé
qu’elle n’avait aucune incidence sur la position du défendeur en ce qui concerne la convention sur
le génocide (arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 31, par. 70). La Serbie conteste maintenant ce jugement,
de manière subreptice.
23. Dans l’arrêt de 2003, vous avez «gelé» la situation sui generis du défendeur qui prévalait
de 1992 à 2000 (jusqu’à l’admission de la RFY à l’Organisation des Nations Unies), et vous avez
fermement observé que :
«[L]a résolution 55/12 de l’A ssemblée générale en date du 1 ernovembre 2000
ne peut avoir rétroactivement modifié la situation sui generis dans laquelle se trouvait
la RFY vis-à-vis de l’Organisation des Na tionsUnies pendant la période1992-2000,
ni sa situation à l’égard du Statut de la C our et de la convention sur le génocide.»
Ibid., par. 71.
24. Il est exact, comme l’a dit hier le défende ur, que l’arrêt de 2003 n’a pas réglé la question
de la qualité du défendeur vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies. Mais il est tout aussi vrai
que cet arrêt dit clairement que le seul élément pe rtinent en ce qui a trait à la qualité de la RFY
23 pour la période allant de 1992 à 200 0 était le fait que sa qualité était sui generis à l’époque et que
les développements ultérieurs ne pouvaient la modifier de quelque manière que ce fût.
25. Ainsi, vous avez confirmé que le défe ndeur pouvait ester devant la Cour de 1992 à 2000
et que cette conclusion valait toujours malgré l’ad mission ultérieure de celui-ci par l’Organisation
des NationsUnies en 2000. Avec tout le respect qui est dû à la Cour, il est difficile de voir sur
quelle base vous pourriez maintenant suivre une approc he autre que celle qui a été suivie au sujet
de la requête présentée par la Croatie à cette époque. Les faits et le droit sont identiques. - 19 -
L’arrêt de 2004 (les affaires relatives aux Bombardements de l’OTAN)
26. Parallèlement aux procédur es intentées dans les affaires relatives à la Bosnie et à la
Croatie, où la RFY était le défendeur, la RFY a elle-même engagé des procédures au titre de la
convention sur le génocide contre certains Etats memb res de l’OTAN. Mais il était manifeste, dès
le moment du dépôt de la requête en 1999 que la RFY ne pouvait établir la compétence de la Cour,
à quelque titre que ce fût.
27. On pourrait d’ailleurs voir dans la requête de la RFY dans les affaires relatives à l’OTAN
une grossière tentative de détourne ment de la convention sur le génoc ide. Le fait que la RFY, en
qualité de demandeur, a soulevé la question de la compétence de la Cour dans ces affaires est
remarquable: aucun Etat demandeur n’avait a uparavant élevé une objection concernant la
compétence de la Cour dans le cadre d’une demande qu’il avait lui-même introduite ! Pourtant, tel
est bien ce qui s’est produit dans cette affaire.
28. Madame le président, Messieurs de la Cour, je ne ferai pas d’observations sur
l’enseignement des arrêts de 2004 ; c’est M. Crawford qui le fera demain.
L’arrêt de 2007 (sur le fond dans l’affaire relative à la Bosnie)
29. Cependant, je voudrais faire de brèves observations sur l’arrêt de2007 rendu dans
l’affaire sur la Bosnie. Vous avez confirmé vos conclusions et décisions antérieures au sujet de la
compétence dans cette affaire. Vous avez rappelé que, à l’époque, la RFY était dans une situation
sui generis, ce qui comprenait le droit d’ester devant la Cour, et que celle-ci ne pouvait être
modifiée de manière rétroactive: vous avez donc confirmé votre position en ce qui a trait à la
compétence.
30. Mais vous en avez dit beaucoup plus dans l’ arrêt de 2007. Vous avez insisté sur le fait
que le principe de l’autorité de la chose jugée n’exclut en aucune manière le réexamen de la
question de savoir si un Etat peut s’adresser à la Cour si vous avez jugé que cela était nécessaire.
Vous vous êtes exprimés en ces termes précis :
24 «[S]i la Cour estime, dans une affaire particulière, que les conditions relatives à
la capacité des parties à se présenter devant elle ne sont pas remplies, alors que les
conditions de sa compétence ratione materiae le sont, elle doit, quand bien même
cette question n’aurait pas été soulevée par les parties, constater que les premières
conditions font défaut et en déduire qu ’elle ne saurait, pour cette raison, avoir
compétence pour statuer sur le fond du différend.» (Application de la convention pour - 20 -
la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 27 février 2007, par. 122.)
Vous vous êtes ensuite penché sur le fond.
31. Par ces observations bien précises, vous av ez exposé votre position sur le droit d’ester
devant la Cour du défendeur et confirmé la position que vous avi ez prise antérieurement, à savoir
que le défendeur avait ce droit. Sinon, vous n’auriez pas poursuivi l’instruction de l’affaire au fond.
32. On peut donc dire que, dans s on arrêt de 1996, la Cour a indiqué qu’ apparemment, le
défendeur pouvait se présenter devant la Cour, mais elle a confirmé son droit d’ester devant la Cour
dans son arrêt de 2007.
33. La Croatie fait respectueusement valoir que la confirmation, par la Cour, de sa
jurisprudence antérieure, c’es-à-dire de l’approche suivie dans l’arrêt de 2007, est indiscutablement
pertinente en la présente espèce.
L’admission de la RFY à l’Organisation des Nations Unies en 2000
34. J’en arrive aux observations de la RFY concernant les conséquences de son admission à
er
l’Organisation des NationsUnies, en qualité de nouveau Membre le 1 novembre 2000. Selon la
Serbie, ce changement a produit des conséquences im portantes. Les faits auraient changé, de sorte
que la RFY n’aurait pas perpétué la personnalité de la RFSY; par consé quent, on prétend que la
RFY n’était plus traitée comme membre de l’Organisation des NationsUnies avant le
1ernovembre 2000, donc la Serbie ne pouvait être considérée comme ayant été partie au Statut de la
Cour, et donc elle n’était pas partie à la convention sur le génocide. La Serbie a créé elle-même, en
modifiant sa position politique, dont les effets ser aient rétroactifs, les conditions mêmes qu’elle
invoque maintenant pour tenter d’établir que la Cour n’a pas compétence en la présente espèce.
Les difficultés posées par cette thèse sont évidentes.
a) La qualité de Membre de l’ONU de la RFY en 2000 n’a aucune incidence sur la qualité de
partie à la convention sur le génocide du défendeur
35. Madame le président, vu ce changement de position et en prétendant que rien dans la
convention sur le génocide ne donne compétence à la Cour en la présente espèce, le défendeur
25 essaie de manière flagrante de fuir ses respon sabilités pour ses agissements commis ces dernières
années, qui entrent dans les prévisions de la convention. - 21 -
36. Madame le président, Messieurs de la Cour, s’il y a une population qui mérite la
protection prévue par la convention sur le génocide, c’est bien celle qui a vécu les événements qui
ont eu lieu à la fin1991. M.Sands reviendra sur ce point. A ce stade, je dirai simplement ceci:
comment peut-on prétendre que la Cour a compét ence pour connaître d’un différend relatif à des
faits qui se sont produits d’un côté de la frontiè re, le côté bosniaque, mais n’a pas compétence
relativement à des faits connexes qui se sont pr oduits au même moment à seulement quelques
kilomètres de distance, du côté croate ? Il suffit de penser à ces événements — ces événements qui
se sont vraiment produits — pour comprendre les dangers que comporte cette approche.
37. Cette position nouvelle qui est celle du défe ndeur depuis 2000, est aussi contredite par
ses propres actions et comportement. En voici trois exemples. Premièrement, au cours de la
période allant de 1992 à 2000, le défendeur a agi en qualité de partie à un certain nombre de traités
auxquels l’ex-RFSY était partie, notamment à la convention sur le génocide; d’ailleurs elle a
insisté pour être traitée comme telle dans plusieurs conférences internationales et d’autres
colloques. Deuxièmement, le défendeur a présen té une demande reconventionnelle en se fondant
sur les conclusions de la Cour dans l’arrêt sur la Bosnie, selon lesquelles la convention sur le
génocide lui donnait compétence. Troisièmement, le défendeur a même déposé un certain nombre
de demandes contre les Etats membres de l’OTAN en 1999, soutenant qu’à cet égard, la Cour avait
compétence au titre de la convention sur le génoc ide. Ultérieurement, ayant modifié sa position
politique, ayant informé la Cour qu’il ne cherchait plus à invoquer ces motifs, il a choisi de ne pas
se désister de ces instances mais plutôt de demander à la Cour de se prononcer sur sa compétence.
38. Madame le président, l’admission offi cielle de la RFY à l’Organisation des
NationsUnies en2000 ne pouvait la libérer des obligations prévues par les traités auxquels la
RFSY était partie. La RFY a été admise à titre de nouveau Membre de l’ONU, et non pas en tant
qu’Etat nouvellement indépendant qui est libre de choisir les traités auxquels il est disposé à se
soumettre. Le défendeur a suivi ce principe pour tous les trait és autres que la convention sur le
génocide. Sa prétendue accession à celle-ci, assortie d’une réserve quant à l’articleIX, ne peut
avoir aucun effet ⎯comme l’a déclaré la Croatie dans l’objection déposée auprès du Secrétaire
général. Chose certaine, elle ne peut avoir d’effet rétrospectif. Avec la dissolution de la RFSY, ses
26 obligations juridiques furent assumées par la RF Y, comme ce fut le cas pour tous les autres Etats - 22 -
successeurs. La note diplomatique du 27avr il1992 communiquée au Secrétaire général l’a
confirmé sans ambiguïté et sans réserves. S’il y a des vices de forme entachant cette notification à
l’ONU, comme le soutient le défendeur, ils sont sans effet vu son comportement ultérieur.
b) L’admission de la RFY à l’ONU n’a eu aucune incidence sur sa situation sui generis de
1992 à 2000
39. Dans ses plaidoiries, le défendeur a soutenu que l’admission de la RFY à l’ONU a mis
fin à sa situation sui generis à l’égard de celle-ci et il a dit clairement que, lors du dépôt de la
requête de la Croatie, la Serbie n’était pas membre de l’ONU, et donc pas partie au Statut de la
Cour ; en conséquence elle n’avait pas le droit d’est er devant la Cour. Le défendeur fait valoir que
ces développements ultérieurs ont un effet rétroactif.
40. Il est exact que la qualité du défendeur de 1992 à 2000 était matière à controverse. Il n’a
dit rien de nouveau lorsqu’il a cité la lettre conjointe du 27 mai 1999 qu’ont signée tous les autres
Etats successeurs de l’ex-RFSY. La Cour en éta it tout à fait consciente. Elle a noté en2003 que
tous les autres Etats successeurs «s’opposèrent systématiquement à l’affirmation de la RFY selon
laquelle celle-ci assurait la con tinuité de l’Etat et de la personnalité juridique et politique
internationale de l’ex-RFSY» ( arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 18, par. 35). La Croatie, ainsi que les
autres Etats successeurs, se sont opposés à toute pr étention du défendeur de se faire traiter
différemment des autres; la Cour est probablemen t au courant du fait qu’il fait valoir la même
prétention devant d’autres fors, selon ce qui l’arrange. Par contraste, l’objectif de la Croatie est
resté le même : assurer l’égalité de traitement de tous les Etats successeurs de l’ex-RFSY.
41. Cependant, en l’espèce, ce qui est vraiment important est qu’aucune de ces actions n’a
fini par éclaircir la situation du défendeur pour la période allant de 1992 à2000. En raison de
circonstances politiques particulières, le défendeur a conservé à cette époque sa qualité sui generis.
C’est une chose que le défendeur aimerait bien oublier maintenant. Grâce à cette qualité, il a pu
jouir de certains avantages dont jouissent les Membres de l’ONU, notamment du droit d’ester
devant la Cour à l’époque. Cela ressort clairement de la résolution 47/1 de l’Assemblée générale et
de la lettre du Conseil juridique du 29 septembre 1992 ( ibid., p. 16, par. 29-30 ; p. 31, par. 70), des
27 observations de la Cour ainsi que de sa pratique même qui montre que, à maintes reprises, elle a
autorisé le défendeur à se présenter devant elle. - 23 -
42. Cela est bien établi et aucun développement ne peut y changer quoi que ce soit. La
conclusion de la Cour est incontournable pour to us: ces développements n’ont eu aucun effet
rétroactif dans ses arrêts rendus relativement à la Bosnie.
5. Conclusion
43. Madame le président, Messieurs de la Cour, pour les raisons que j’ai exposées, la Croatie
fait respectueusement valoir que la Cour doit rejeter les objections préliminaires que le défendeur a
présentées et confirmer qu’elle a compétence en la présente espèce, tout comme dans l’affaire de la
Bosnie. Je vous invite maintenant à appeler M. Sands à la barre. Merci.
Le PRESIDENT: Je vous reme rcie, Madame Meltelko-Zgombić. J’appelle à présent
M. Sands.
M. SANDS :
I. NTRODUCTION
1. Madame le président, Messieurs de la Cour , c’est un privilège pour moi de plaider devant
vous au nom du Gouvernement croate dans cette importante affaire.
2. Ma tâche cet après-midi consistera à montrer que l’Etat défendeur était —à tous les
moments pertinents— lié par l’intégralité de la c onvention sur le génocide. Il s’agit là, bien sûr,
d’une conclusion qui devrait découler inévitablem ent d’une succession d’arrê ts et d’ordonnances
rendus par la Cour sur une période de presque 15ans, et il peut sembler curieux que nous ayions
besoin de revenir sur cette question en l’espèce. Pourtant nous le faisons car, comme nous l’avons
entendu hier, la Serbie a mis la relation entre le défendeur et la Convention au cŒur de sa thèse. En
ce qui concerne la compétence, a déclaré le M. Varady à la Cour, «la seule question qui se pose est
16
celle des liens entre le défendeur et la convention sur le génocide» F . A l’écouter plaider il est
devenu tout à fait clair hier que la véritable cible de la Serbie est l’arrêt rendu récemment par la
28 Cour dans l’affaire de la Bosnie : la Serbie souhaiterait obtenir un arrêt lui permettant de réduire au
16CR 2008/9, p. 34, par.11 (Varady). - 24 -
minimum l’effet de l’arrêt Bosnie, de le neutraliser et, finale ment, de l’abandonner comme une
anomalie.
3. Aussi notre conclusion sur la convention sur le génocide est-elle simple : la convention sur
le génocide était en vigueur entre la Croatie et la RFY le 2juillet1999 et ses dispositions étaient
applicables au territoire de la Croatie à tous les moments pertinents depuis «le début du conflit», et
à tous les actes de la RFY qui violaient ses prescriptions strictes.
4. Les faits essentiels sont clairs. A tous égards pertinents, la présence espèce est identique à
l’affaire de la Bosnie-Herzégovine, dans laquelle la Cour a jugé, en1996 et de nouveau en2007,
qu’elle était compétente et qu’il n’y avait pas d’obstacle à l’accès. Les conséquences d’un
changement de position aujourd’hui—pour la Conven tion, pour les victimes, pour l’état de droit
au plan international et pour la Cour — n’ont pas besoin d’être explicitées.
II.LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE ÉTAIT EN VIGUEUR POUR LES DEUX PARTIES
A TOUS LES MOMENTS PERTINENTS
5. La question temporelle est claire : la Convention a été continuellement en vigueur pour les
deux parties à tous les moments pertinen ts. La continuité est une condition sine qua non pour que
les objectifs de la Convention puissent être réalis és. L’approche adoptée par la Cour en1951
demeure pertinente ( Réserves à la convention pour la p révention et la répression du crime de
génocide, avis consultatif, C.I.J.Recueil1951 , p.15). La Convention n‘est pas un instrument
ordinaire, dont l’application peut être suspendue et reprise dans les moments de troubles et de
traumatisme profonds. Son article premier confirme une obligation existante, à savoir que le
génocide est un crime international qu’il convient de prévenir. En 1951, la Cour a conclu que les
NationsUnies avaient l’intention «de condamner et de réprimer le génocide» parce que celui-ci
bouleverse la conscience humaine. Selon la Cour , pour une convention de ce type, «on ne saurait
parler d’avantages ou de désavantages indivi duels des Etats, non plus que d’un équilibre
contractuel à maintenir entre les droits et les charges» ( ibid., p. 23) et, bien entendu, les principes
de la Convention sont reconnus comme obligean t les Etats «même en dehors de tout lien
conventionnel». Cet avis de 1951 a été cité longue ment dans les ordonnances et arrêts de la Cour
de993, 1996, 2003 et 2007 (voir notamment C.I.J. Recueil 1993, p2.3, p4.9
C.I.J. Recueil 1996, p.611-612 et 616, C.I.J. Recueil 2003, p.29 et Application de la convention - 25 -
29 pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, par. 161 et 194). Il ne peut y avoir aucun doute
quant à l’importance particulière de la convention de1948, et à la nécessité de l’appliquer le plus
largement possible, dans le temps comme dans l’espace.
6. La convention sur le génocide était en vigueur, sans réserve, pour les deux Etats, à tous les
moments pertinents. L’argument de la Serbie sel on lequel la Cour n’est p as compétente parce que
la RFY n’est devenue partie à la convention sur le génocide que par son «instrument d’adhésion»
du 12 mars 2001, moyennant une réserve à l’article IX — est profondément déplaisant. Déplaisant
parce qu’il méconnaît ce qu’à dit la Cour, et dépl aisant parce qu’il apparaît motivé par l’intention
d’écarter l’application de la convention là où e lle est le plus nécessaire. En formulant une
objection à la réserve accompagnant «l’acte d’adhésion» de la RFY, la Suède a fait observer que
cette réserve à l’article IX était «formulée trop tard» et «entachée de nullité». Ceci est assurément
exact.
7. La date cruciale, aux fins de la compéten ce, est le 2juillet1999. A cette date, tant la
Croatie que la RFY étaient liées par la convention sur le génocide, y compris l’articleIX. Elles
étaient liées en tant qu’Etats successeurs de la République fédérative socialiste de Yougoslavie
depuis la date de dissolution de celle-ci. Rien de ce que la RFY a fait après le 2 juillet 1999 n’a pu
changer cela.
8. La chronologie est claire. La RFSY a signé la convention sur le génocide le
11décembre1948. Le 29août1950, elle a dépos é son instrument de ratification, sans aucune
réserve. A compter de ce jour, la Convention s’est appliquée sur l’ensemble du territoire de la
RFSY, y compris sur tout ce qui devait devenir la RFY et la Croatie. Aussi longtemps que la
RFSY a continué d’exister, elle est demeurée liée par les termes de la conve ntion sur le génocide.
Lorsqu’elle a été dissoute, les nouveaux Etats qui lui ont succédé sont devenus liés à leur tour.
9. La Croatie a succédé à la convention sur le génocide par notification de succession datée
du 12octobre1992 avec effet à compter du 8 octobr e 1991, lorsqu’elle a assumé la responsabilité
de son territoire. L’intention était d’éviter tout e solution de continuité —dans le temps ou dans - 26 -
17
l’espace — dans l’application de la Convention F F. C’est également alors, à l’automne de 1991, que
M.Milosevic a assumé le contrôle —et la res ponsabilité— de ce qui restait de la Yougoslavie,
comme ceci est pleinement expliqué dans le mémoire de la Croatie. Durant les sept années qui ont
30 suivi, il n’y a pas eu de changement pertinent en fait ou en droit. Aucun Etat, pas même l’Etat
défendeur, n’a formulé d’objection à la succession de la Croatie à la Convention. Comme la Cour
l’a noté dans l’affaire de la Bosnie-Herzégovine, rien n’empêche un Etat de devenir partie à une
convention par voie de succession (Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 611, par. 20, et p. 612, par. 24 ; voir également l’opinion individuelle de
M. le juge Parra-Aranguren, p. 656, par. 2).
10. Le 27 avril 1992, la RFY a fait une importante proclamation. Elle a déclaré que la RFY
«assurant la continuité de l’Etat et de la pers onnalité juridique et politique internationale de la
République fédérative socialiste de Yougoslavie, respectera strictement tous les engagements que
la République fédérative socialiste de You goslavie a pris à l’échelon international».
M. Zimmermann nous a dit hier que cette déclaration ne doit avoir aucun effet parce qu’elle n’a pas
été faite dans les formes. Elle aurait été fa ite par des personnes ou pa r un organe n’ayant pas
18
qualité pour la faire F . L’argument est vraiment curieux. La décision d’honorer les traités
internationaux de la RFSY a été confirmée par not e officielle en date du même jour de la mission
permanente du défendeur auprès de l’Organisation des NationsUnies F9. Le défendeur a invoqué
cette déclaration dans des procédures devant la Cour . La Cour a elle-même fait fond sur elle (voir
notamment Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
17
La Bosnie-Herzégovine, la Slovénie et l’ex-République de Macédoine ont procédé à des notifications
comparables.
18
CR 2008/8, p. 37, par. 28-35.
19
Pour le texte de la déclaration et de la note adressée à l’ONU, voir Demande en revision de l’arrêt du
11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’ Application de la convention pour la pr évention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c.Y ougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c.Bosnie -Herzégovine), arrêt,
C.I.J. Recueil 2003, p. 14-15. - 27 -
(Bosnie-Herzégovine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II),
p. 610, par. 17). La Croatie a le droit de faire fond sur elle. La Serbie ne peut aujourd’hui essayer
de se soustraire à l’engagement solennel qu’elle a pris il y a de si nombreuses années et sur lequel
la Cour et la Croatie ont fait fond.
11. La Cour a conclu bien avant le 2 juillet 1999 que la RFY était partie à la convention sur
le génocide. Premièrement, en juin1993, dans sa première ordonnance sur la demande en
indication de mesure mesures con servatoires dans l’affaire de la Bosnie-Herzégovine, la Cour est
partie du principe que la RFSY av ait été partie à la convention sur le génocide et que la RFY était
alors partie à cette Convention (Application de la convention pour la prévention et la répression du
31
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Y ougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance du
8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p.14, par.21 et 22 et p.16, par.26). Deuxièmement, dans son
arrêt de 1996, la Cour a confirmé que la RFY éta it liée par les dispositions de la Convention à la
date de l’introduction de la requête de la Bosnie-Herzégovine (le 20 mars 1993) (Application de la
convention pour la prévention et la répressi on du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c.Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1996 (II) , p.610, par.17). Enfin,
troisièmement, le 2juin1999, juste un mois avant que la Croatie n’introdui se sa requête, dans
l’ordonnance qu’elle a rendue sur la demande en indication de mesures conservatoires dans les
affaires de la Licéité de l’emploi de la force , la Cour a noté qu’il était incontesté que la
Yougoslavie était partie à la convention sur le génocide sans aucune réserve (Licéité de l’emploi de
la force (Yougoslavie cB . elgique), mesure s conservatoires, ordonnance du 2 jui1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 137, par. 37 ; ibid., Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro
c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt du 15 décembre 2004, p.324, par.114) F0. Rien n’a
changé entre cette date et le 2 juillet 1999.
12. La Croatie a tenu compte des ordonnances rendues sur la demande en indication de
mesures conservatoires et de l’arrêt de 1996. Elle s’est appuyée sur le raisonnement de la Cour
comme faisant autorité. Elle pouvait raisonnablement compter que la Cour, suivant un principe de
certitude juridique, adopterait le même raisonnement dans les affaires futures lorsque les faits en
20Dans son arrêt de 2004 sur les exceptions préliminaires, déclinant sa compétence, la Cour n’a pas tranché le
point de savoir si la RFY ét ait partie à la convention sur le génociavril1999 lorsque cette instance avait été
introduite. - 28 -
cause étaient, à toutes fins utiles, identiques. Elle voit mal comment la Cour pourrait maintenant
conclure que la Bosnie et la RFY étaient parties à la convention sur le génocide en juillet 1999 mais
que la Croatie et la RFY ne l’étaient pas. L’admission ultérieure de la RFY à l’ONU, et sa
prétendue «adhésion» à la convention sur le génocid e après le dépôt par la Croatie de son mémoire
ne sauraient entraîner de modification rétroactive.
32 13. De fait, la Cour a maintenu la même pos ition sur ce point vital. Dans son arrêt de 2003
sur la demande en revision, elle a conclu que la résolution 47/1 de l’ Assemblée générale des
Nations Unies (1992) «ne touchait pas … à la situation de la RFY au regard de la convention sur le
génocide» (Demande en revision de l’arrêt du 11juillet1996 en l’affaire relative à l’ Application
de la convention pour la prévention et la répr ession du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c.ougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie Bc.osnie-Herzégovine), arrêt,
C.I.J. Recueil 2003, p. 31, par. 70). De même, elle a j ugé que la résolution 55/12 adoptée en 2000
«ne pouvait avoir rétroactivement modifié la situation [de la RFY] à l’égard … de la convention sur
le génocide» ( ibid., par.71). Sur ce point, la position de la Cour n’a pas changé dans son arrêt
de 2004 (Licéité de l’emploi de la force (Serbie -et-Monténégro c.Pays-Bas), exceptions
préliminaires, arrêt du 15 décembre 2004, p. 1055, par. 113) . Et dans son arrêt de 2007, la Cour a
conclu «que le principe de l’au torité de la chose jugée interdit toute remise en question de la
décision contenue dans l’arrêt de 1996» ( Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro) , arrêt du
26 février 2007, par. 140). Malgré ces prononcés absolument limpides, la Serbie s’obstinait hier
encore de rouvrir le débat. De fait, elle a pa ssé beaucoup plus de temps —et formulé davantage
d’arguments — sur la convention sur le génocide qu e sur l’article 35 du Statut, dont elle a à peine
parlé. Dans votre lettre du 6mai2008, Madame le président, vous demandiez aux Parties de
plaider la question de l’accès. La Cour n’a pas invité les Parties à plaider sur la convention sur le
génocide. Or celle-ci a été au centre des plaidoiries d’hier, et ceci est extrêmement révélateur quant
aux véritables objectifs de la Serbie. - 29 -
III. SUCCESSION AUX TRAITÉS EN GÉNÉRAL
14. La position de la Cour est conforme aux pr incipes reflétés à l’article 34 de la convention
21
de Vienne de 1978 sur la succession d’Etats en matière de traités F F. L’ex-RFSY a ratifié ce traité le
22
28avril1980, et la Croatie et la RFY y sont devenues parties par succession F . L’article34,
consacré à la succession d’Etats en cas de séparation de parties d’un Etat, indique clairement que
lorsqu’une partie du territoire d’un Etat s’en sép are pour former un ou plusieurs Etats, que l’Etat
prédécesseur continue ou non d’exister, «a) tout traité en vigueur à la date de la succession d’Etats
à l’égard de l’ensemble du territoire de l’Etat prédécesseur reste en vigueur à l’égard de chaque
Etat successeur ainsi formé».
33 15. Cette règle est particulièrement important e pour les traités comme la convention sur le
génocide. Le représentant de ce qui était alors l’Union soviétique a très bien expliqué pourquoi
en 1977. Il a déclaré :
«[L]es traités de caractère universel présentent donc un intérêt primordial pour
l’ensemble de la communauté internationa le, et, en particulier, pour les Etats
nouvellement indépendants. Il est donc dans l’intérêt non seulement des Etats
nouvellement indépendants, mais de la communauté internationale toute entière, qu’un
tel traité ne cesse pas d’être en vigueur lors de l’accession d’un nouvel Etat à
l’indépendance.» F23F
Il est difficile de concevoir traité de caractère plus universel que la convention sur le génocide.
IV. S UCCESSION AUX TRAITÉS RELATIFS AUX DROITS DE L ’HOMME
16. Il est généralement admis que la popul ation d’un territoire qui a bénéficié de la
protection de certains traités relatifs aux droits de l’homme ne peut être privée des droits dont elle a
24
ainsi joui par le seul fait d’une succession d’Etats touchant ce territoire F . L’importance de ce
principe — du point de vue politique comme juridiqu e — tient au fait que les violations massives
des droits de l’homme se produisent souvent aux époques d’instabilité politique grave qui
accompagne les successions d’Etats. L’intérêt de la continuité de ces obligations est évident: le
21
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1946, p. 3. Entrée en vigueur le 6 novembre 1996.
22
La Croatie (le 22 octobre 1992) et la RFY (le 12 ma rs 2001) y sont devenues parties par succession.
http://untreaty.un.org/ENGLISH/bible/englishinternetbible/partI/chapter… (site consulté le
17 mars 2008).
23Vingt-quatrième séance, 22 avril 1977, Documents officiels, vol. 1, p. 164, par. 2.
24Voir, par exemple, M.Kamminga, «State Su ccession in respect of Human Rights Treaties», EJIL, vol.7
(1996), p. 469, avec des renvois à la pratique des Etats et la doctrine. - 30 -
non-respect des droits de l’homme durant les périodes de succession aggrave les tensions, les
atrocités et les flux de réfugiés, et met en péril la paix et la sécurité internationales. Ce principe
s’applique à tous les aspects des traités en que stion, y compris les dispositions relatives au
règlement des différends comme l’ar ticle IX. Nous avons noté avec in térêt l’effort fait hier par la
Serbie pour séparer d’une manière ou d’une au tre l’articleIX du reste de la Convention F5. Nous
avons noté avec un intérêt égal, Madame le prési dent, que la Serbie ne citait aucun précédent à
l’appui de cette troublante proposition. La continu ité des obligations découlant des traités relatifs
aux droits de l’homme —et des mécanismes co nçus pour en assurer le respect— est à ces
moments là d’une importance fondamentale.
17. Il s’agit d’un principe sur lequel ont insisté des organes d’organisations internationales et
34 des organes de surveillance de l’application des traités F6F. Entre 1993 et 1995, la Commission des
droits de l’homme de l’ONU a adopté trois résoluti ons successives sur le sujet, à l’initiative de la
Fédération de Russie. Ces résolutions unanimes ont reconnu le «caractère particulier» des traités
de droits de l’homme et le fait qu’ils «continua ient de s’appliquer» aux Etats successeurs. La
Commission des droits de l’homme de l’ONU a demandé aux Etats successeurs qui ne l’avaient pas
encore fait de « confirmer aux dépositaires compétents qu’ils continuent d’être liés par les
obligations prévues par les traités internationaux relatif s aux droits de l’homme» F7. Les organes
chargés de surveiller l’application des traités rela tifs aux droits de l’homme ont adopté la même
position. En 1994, la cinquième réunion des présidents des organes créés en vertu d’instruments
internationaux relatifs aux droits de l’homme a déclaré que les Etats successeurs étaient
«automatiquement liés» par les obligations énoncées dans les traités relatifs aux droits de l’homme
à partir de la date de leur accession à l’indé pendance et sans qu’une déclaration de confirmation
faite par le nouveau gouvernement de l’Etat successeur soit nécessaire F8.
25 Voir, par exemple, CR2008/8, p.34, par.14-15, p. 41, par.57-58 et 60 (Zimmermann); CR2008/8, p.48,
par. 19 et suiv. et par. 36 (Varady).
26 Voir, par exemple, M. Kamminga, «State Succe ssion in respect of Human Rights Treaties», EJIL, vol.7
(1996), p. 469, avec des renvois à la pratique des Etats et la doctrine.
27 Résolutions 1993/23, 1994/16 et 1995/18 citées dans le rapport préliminaire, M.Menno T.Kamminga,
«Human Rights Treaties and State Succession» , séminaire UNIDEM, «Le statut des traités internationaux relatifs aux
droits de l’homme», Coimbra (Portugal), 7-8 octobre 2005, à l’adresse: http://www.ve nice.coe.int/docs/2005/CDL-
UD(2005)013rep-e.asp (consulté le 17 mars 2008) ; les italiques sont de nous.
28 Rapport de la cinquième réunion des présidents des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs
aux droits de l’homme, 19/10/94, A/49/537. - 31 -
18. M. Weeramantry a relevé l’importance particulière de ces principes en ce qui concerne la
convention sur le génocide ( C.I.J. Recueil 1996, p.595, opinion individuelle de M.Weeramantry,
p.645). Il serait «extrêmement dangereux», écriva it-il, de considérer que le démembrement d’un
Etat fait table rase des traités et obligations en matière des droits de l’homme de l’Etat prédécesseur
(ibid., p.651). Il est difficile de ne pas part ager cette opinion, ou d’imaginer une raison pour
laquelle le maintien en applicati on de la convention sur le génocid e à un territoire particulier ne
devrait pas également être lié à un droit d’accès à la Cour: la Cour est, après tout, l’ultime
gardienne des droits et obligations énoncés da ns la Convention. La RFY a succédé à la
Convention, y compris son article IX.
V. IL NE PEUT Y AVOIR D ’INTERRUPTION DE LA PROTECTION OFFERTE PAR
LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
19. Madame le président, Messieurs de la C our, je vais maintenant me pencher sur la
question de l’application de la convention sur le génocide dans le temps, à laquelle la Serbie a
29
consacré hier un temps considérable F . Dans l’arrêt Bosnie-Herzégovine, constatant que la
35 Convention ne contenait pas de clause limitant temp orellement sa compétence, la Cour a rejeté la
thèse du défendeur, qui aurait abouti à une interruption de la protection fournie par la Convention.
La Cour a jugé qu’elle avait «compétence en l’ espèce pour assurer l’application de la convention
sur le génocide aux faits pertinents qui se sont dé roulés depuis le début du conflit dont la Bosnie-
Herzégovine a été le théâtre» (C.I.J. Recueil 1996, p. 617, par. 34 ; les italiques sont de nous).
20. Pourquoi le même principe ne serait-il pas également applicable dans la présente
instance? Puisque la convention sur le génocide a été continuellement applicable sur l’ensemble
du territoire de l’ex-RFSY depuis 1950, sur quelle base pourrait-on affirmer qu’elle n’était pas en
permanence applicable durant le conflit, y compris durant la période antérieure au 27avril1992?
Adopter une approche différente aujourd’hui introduirait une énorme incertitude dans le droit. Cela
remettrait en cause l’applicabilité de cette Convention et de conventions comparables pour d’autres
conflits à l’avenir. La notion même d’état de droit en serait ainsi ébranlée. Bien entendu, aucune
des parties n’avait, en juillet 1999, fait de réserve entendant limiter la compétence ratione temporis
29Voir, par exemple, CR 2008/9, p. 13, par. 1-49 (Zimmermann). - 32 -
de la Cour. Je renvois à la déclaration vigour euse faite par M.Shahabuddeen en1996, selon
laquelle l’application de la Convention depuis «l e début du conflit» empêchera une «interruption
inévitable de la protection que la convention su r le génocide accordait auparavant à tous les
«groupes humains» qui vivaient dans l’ex-[RFSY]» ( C.I.J. Recueil 1996, opinion individuelle de
M. Shahabuddeen, p. 635); «les arguments géné raux concernant la succession aux traités peuvent
être laissés de côté en faveur d’une approche reposant sur les caractéristiques particulières de la
convention sur le génocide» ( ibid., p.634). Sa conclusion est tout aussi décisive et applicable en
l’espèce. Tout comme l’est l’accent mis par M.Parra-Aranguren sur le principe qui veut que les
règles régissant l’extinction d’un traité ou la susp ension de son application comme conséquence de
sa violation «ne s’appliquent pas aux dispositions relatives à la protection de la personne humaine
contenues dans des traités de caractère humanitaire» ( ibid., opinion individuelle de
M.Parra-Aranguren, p.657. Cette question a au ssi été évoquée dans l’opinion individuelle de
M.Elaraby dans l’affaire Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 363, par. 17).
21. Il ne doit pas y avoir d’interruptions dans l’application de la convention sur le génocide.
Il ne peut y en avoir. Il n’y en a pas. Les argume nts avancés hier par M. Zimmermann au sujet de
l’application de la Convention dans le temps étaient essentiellement les mêmes que ceux formulés
36 par la RFY, il y a plus de dix ans, dans l’affaire de la Bosnie-Herzégovine. La Cour les a rejetés au
paragraphe34 de son arrêt de 1996. Il se peut que certains points qu’il a soulevés concernent
l’attribution et qu’ils doivent être tranchés durant la phase du fond : M. Crawford en parlera plus en
détail. Mais nous n’avons entendu aucune raison qui justifierait que la Cour s’écarte de l’approche
qu’elle a adoptée en 1996, lorsqu’elle a conclu que la Convention ne contenait aucune clause
limitant son champ d’application ratione temporis, qu’aucune partie n’avait fait de réserve à cette
fin et qu’attribuer à la Convention une large application ratione temporis était conforme à son objet
et à son but. Pour une Convention comme celle-ci, un traité de caractère déclaratoire qui consacre
des règles juridiques universelles, on peut assurément affirmer que le principe selon lequel il ne
doit y avoir aucune interruption dans son applicatio n vaut quel que soit le caractère ou la nature de
la succession. - 33 -
VI. L E COMPORTEMENT DE LA SERBIE DÉMONTRE QU ’ELLE ÉTAIT LIÉE PAR
LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
22. Madame le président, Messieurs de la Cour, après avoir pendant de nombreuses années
maintenu la même position dans les procédures a uxquelles il a été partie devant la Cour, le
défendeur a brusquement changé de cap en e xposant hier sa nouvelle thèse. Selon celle-ci,
contraire à l’approche adoptée par la Cour, le défendeur ne serait devenu partie à la convention sur
le génocide qu’en mars 2001.
23. Pourtant, en avril1992 déjà, il affirma it qu’il respecterait strictement tous les
engagements pris par la R FSY à l’échelon international F0. La déclaration en question englobe à
l’évidence la convention sur le génocide. La Se rbie s’est présentée devant vous comme défendeur
et comme demandeur. Elle a partic ipé activement à l’affaire de la Bosnie. Elle a par deux fois
demandé des mesures conservatoires. Elle a répondu à des demandes par des demandes
reconventionnelles. Elle a nommé un juge ad hoc et, jusqu’à son change ment d’attitude en 2001,
elle a à maintes reprises affirmé et proclamé sans ambiguïté sa qualité de partie à la convention sur
le génocide. La Croatie avait le droit de fa ire fond sur la position adoptée par la RFY en
juillet 1999, et elle a le droit de le faire aujourd’hui.
24. Il n’y aucune ambiguïté dans la position du défendeur vis-à-vis de la convention jusqu’à
la fin de 2000. C’est alors que le gouvernement a changé. C’est alors que de nouvelles politiques
37 furent appliquées. Et c’est alors que la RFY cessa de dire qu’elle assurait la continuité de l’Etat et
qu’elle demanda à être admise à l’ONU ; elle adhé ra délibérément à la convention sur le génocide,
avec une réserve ; elle déposa une demande en revi sion devant la Cour et elle renonça à sa base de
compétence dans les affaires concernant l’ OTAN. Elle fait maintenant valoir que sa déclaration
antérieure ⎯ et la confirmation ultérieure de celle-ci ⎯ sont sans effet. El le voudrait que tous ses
actes, de 1992 à 2000, soient considérés comme effacés.
25. Madame le président, Messieurs de la Cour , cet argument n’est guère attrayant. Quelles
que soient les conséquences de l’admission offi cielle de la RFY à l’ONU en qualité de membre
en 2000 (une question dont je traiterai demain), ce tte admission n’a pas affecté son statut juridique
de successeur aux obligations conventionnelles de la RFSY. Avec la dissolution de la RFSY
30RFY, déclaration du 27 avril 1992, par. 1 (signet 1 du dossier de plaidoiries de la Serbie). - 34 -
⎯ qui a pris la forme d’un processus, comme la Serbie l’a reconnu hier ⎯ F1Felle a, en tant qu’Etat
successeur de la RFSY, assumé les obligations juridiques de celle-ci (voir Licéité de l’emploi de la
force (Yougoslavie c.Belgique) , arrêt du 15décembre2004, opinion individuelle de M.Elaraby,
p. 367, par. 8 en ce sens).
VII. L A RÉSERVE DE LA S ERBIE N ’A PAS D ’EFFET RÉTROACTIF
26. Enfin, je vais me pencher sur les consé quences de la prétendue adhésion de la RFY à la
convention sur le génocide. La Croatie a déposé son mémoire le 1 ermars2001. Cette date est
importante, comme M. Crawford l’expliquera le moment venu. Quelques jours plus tard, par une
notification datée du 6mars2001, déposée auprès du Secrétaire général de l’ONU, la RFY a
indiqué son intention d’adhérer à la conventio n sur le génocide —avec effet à compter du
12mars2001 (pour le texte de la notification d’adhésion voir Demande en revision de l’arrêt du
11juillet1996 en l’affaire relative à l’Applica tion de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégov ine c.Yougoslavie), exceptions préliminaires
(Yougoslavie c.Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J.Recueil2003, p.24-25). La notification
comprenait une réserve à l’articleIX, visant à exclure la compétence de la Cour en l’absence du
consentement spécifique et exprès de la RFY donné dans chaque cas.
38 27. La Croatie a formulé une objection. Elle l’a fait au motif qu’en qualité d’Etat successeur
32
de la RFSY, la RFY était déjà liée par la convention F , et elle a formulé une objection expresse à la
33
réserve de la RFY à l’article IX F . Il est frappant que le jour où la RFY a prétendu «adhérer» à la
convention sur le génocide, elle a notifié sa «succession» à un grand nombre de conventions
31 Voir par exemple CR 2008/8, p. 57, par. 10 (Djerić).
32 Exceptions préliminaires de la RFY, annexe7, p.35. D’autres Etat s ont formulé des objections à cette
adhésions, y compris la Bosnie et la Suède, voir Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 25).
33 Ibid. La Croatie déclarait :
«Le Gouvernement de la République de Croatie fa it en outre une objection à la réserve formulée
par la [RFY] à l’articleIX de la [convention sur le génocide] et considère que cette réserve est
incompatible avec l’objet et le but de la convention. Le Gouvernement de la République de Croatie
considère que la convention sur le génocide, et notamme nt son articleIX, sont pleinement en vigueur et
exécutoires entre la République de Croatie et la [RFY].
Le Gouvernement de la République de Croatie estime que ni le procéd é spécieux par lequel la
[RFY] entend devenir partie à la [c onvention sur le génocide] de faç on non rétroactive ni sa spécieuse
réserve n’ont d’effet juridique sur la compétence de la [CIJ] dans la procédure en instance que la
République de Croatie a introduite contre la [RFY] en application de la convention sur le génocide.» - 35 -
déposées auprès du Secrétaire général de l’ONU. Pa rmi tous les traités et conventions déposés
auprès de ce dernier elle a choisi un seul instrument ⎯la convention sur le génocide ⎯ pour
déposer un instrument d’adhésion assorti d’une réserve ( Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (B osnie-Herzégovine c.Serbie-et-Monténégro) ,
arrêt du 26 février 2007, opinion individuelle de M. Tomka, par. 34 et 35).
28. Ces considérations indiquent qu’il n’y a qu’une voie possible: la Cour ne devrait
attacher aucun effet juridique à la notification d’adhésion à la convention sur le génocide de la
RFY. Elle devrait au contraire partir de l’hypo thèse qui a toujours été la sienne que la Serbie est
liée par la convention, par l’effet de la règl e coutumière de la succession de plein droit ( ibid. ; voir
également Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c.Belgique) , arrêt du 15décembre2004,
opinion individuelle de M. Elaraby, p. 368, par. 12).
VIII. C ONCLUSION
29. Madame le président, Messieurs de la Cour , les déclarations et le comportement de la
Yougoslavie au cours des quinze dernières années ont été contradictoires. Toutefois, en ce qui
concerne la date critique —le 2 juillet 1999—, les faits sont incontestés et le droit est clair.
M. Varady, l’agent de la Serbie, a déclaré qu’en ce qui concerne la compétence «la seule question
qui se pose est celle des liens entre le dé fendeur et la convention sur le génocide» F4. Sur cette
39
question, la question clé, la Cour a été claire, et nous espérons qu’elle continuera à l’être. Quant à
la situation qui existait le 2 juillet 199, trois points peuvent être soulignés :
⎯ premièrement, les deux Etats étaient parties à la convention, sans aucune réserve ;
⎯ deuxièmement, il n’y avait pas de limitation temporelle ni spatiale susceptible
d’empêcher la convention de conférer des dro its et d’imposer des obligations aux parties
depuis le début du conflit, et à tous moments par la suite ; et
⎯ troisièmement, la réserve tardive faite pa r la Serbie en mars2001 ne pouvait pas avoir
d’effet rétroactif et elle n’en a aucun.
34CR 2008/9, p. 34, par. 11 (Varady). - 36 -
30. Madame le président, Messieurs de la Cour , prenons M.Varady au mot: s’il ne réussit
pas à vous persuader sur ce qui est selon lui la ques tion clé —les liens entre le défendeur et la
convention sur le génocide—, alors, selon sa th èse, les arguments serbes sur la compétence
tombent d’eux-mêmes. Nous ne voyons pas comment la thèse de la Serbie en ce qui concerne la
convention sur le génocide peut être acceptée sans causer d’énormes dommages à l’état de droit au
plan international. Je vous remercie de votre atte ntion, Madame le président. Ceci met fin à mon
exposé et aux plaidoiries de la Croatie pour aujourd’hui.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Sa nds. Ainsi s’achèvent les plaidoiries de la
Croatie pour aujourd’hui ; la Cour reprendra ses audiences à 10heures demain pour la suite du
premier tour de plaidoiries de la Croatie.
La Cour se retire.
L’audience est levée à 18 heures.
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Traduction