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CR 2008/30 (traduction)

CR 2008/30 (translation)

Lundi 15 septembre 2008 à 10 heures

Monday 15 September 2008 at 10 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’audience est maintenant ouverte. La Cour se

réunie aujourd’hui pour entendre le second tour de plaidoiries de la Roumanie. La Roumanie

s’adressera à la Cour aujourd’hui jusqu’à treize heures ainsi que demain, de dix heures à

treize heures. Je donne à présent la parole à l’agent de la Roumanie, Monsieur Aurescu.

M. AURESCU : Je vous remercie, Madame le président.

I. ISCOURS INTRODUCTIF DE L ’AGENT DE LA R OUMANIE

Observations préliminaires

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est un honneur pour moi, en ma qualité

d’agent de la Roumanie, d’ouvrir ce second tour des plaidoiries de la Roumanie.

2. Nous avons écouté avec beaucoup d’atten tion les arguments que l’Ukraine a exposés la

semaine dernière. Ils n’ont pas, selon nous, réussi à donner quelque éclaircissement juridique sur

les questions en suspens entre l es Parties. La Roumanie va répondre aujourd’hui et demain et

montrer que la délimitation que mon pays soumet à la Cour respecte pleinement le droit

international sur la délimitation ma ritime ainsi que la méthode mise au point par la Cour dans sa

jurisprudence et qu’elle est par conséquent équitable pour les deux Parties à la présente instance.

3. Madame le président, la ligne de délimitation proposée par la Roumanie dans ses écritures

et au cours du premier tour de plaidoiries est corr ectement construite et pa rfaitement raisonnable.

Elle est justifiée à la fois par des arguments juridiques précis et par les éléments de preuve.

Présentation de la ligne revendiquée par la Ro umanie et des principaux arguments en sa

faveur
o
[Projection n 1 : la ligne revendiquée par la Roumanie.]

4. La ligne revendiquée par la Roumanie ⎯elle apparaît à présent à l’écran et vous la

trouverez représentée sous l’onglet1 du dossier de plaidoiries ⎯ part du point terminal de la

frontière d’Etat avec l’Ukraine ⎯ le point F ⎯ et suit l’arc de cercle de la mer territoriale de

12milles marins autour de l’île des Serpents jusqu’au pointX. Puis, elle suit la ligne

d’équidistance entre les côtes adjacentes pertinentes des deux pays jusqu’au point T, à partir duquel - 3 -

elle longe, en direction du sud, la ligne médiane entre les côtes pertinentes qui se font face de la

Roumanie et de l’Ukraine.

11 5. La configuration qui est proposée de cette ligne dans la zone de délimitation, au voisinage

de l’île des Serpents, trouve en sa faveur au moins trois arguments convergents. Ces arguments ne

sont pas présentés à titre subsidiaire, comme l’a avancé M.Wood 1 la semaine dernière. Si des

arguments sont présentés à titre subsidiaire, cela veut dire que ceux qui ont été utilisés

précédemment ne sont pas justes: lorsque les arguments sont autonomes, ils doivent tous être

justes ⎯et nous estimons qu’ils le sont tous. Ce ne sont pas des arguments que nous avons

imaginés pour la présente instance. Ils sont le pr oduit inévitable d’une analyse juridique juste des

faits. Tous ces arguments établissent ⎯considérés séparément et ensemble ⎯ que la formation

maritime appelée l’île des Serpents ne devrait pas être prise en compte pour le tracé de la ligne de

délimitation entre les espaces maritimes des Parties, à l’exception de la mer territoriale de 12 milles

2
qu’elle a déjà. Contrairement à ce qu ’a soutenu le conseil de l’Ukraine , ils ne témoignent pas de

la faiblesse mais bien de la force de la position de la Roumanie.

6. Voici les raisons pour les quelles la ligne définitive devra it constituer une semi-enclave

autour de l’île des Serpents suivant cette méthode :

Premièrement, il existe déjà une délimitation partielle entre la Roumanie et l’ex-Union

soviétique, établie par un accord en vigueur entre la Roumanie et l’Ukraine, que confirment grand

nombre d’éléments de preuve cartographiques, parmi lesquels on compte des cartes et des

graphiques publiés officiellement par des institutions étatiques de l’Ukraine.

Deuxièmement, la position géographique éloignée, la taille et la nature de l’île des Serpents

ne justifient pas de la prendre en compte en ta nt que côte pertinente pour le tracé de la ligne

d’équidistance provisoire et ne lui donne droit à au cun avantage au-delà de la mer territoriale de

12 milles dont elle bénéficie déjà.

Troisièmement, l’île des Serpents n’est rien d’ autre qu’un rocher au sens du paragraphe 3 de

l’article121 de la Convention des NationsUnies sur le droit de la mer (CNUDM) qui ne peut

bénéficier d’un plateau continental ou d’une zone économique exclusive qui lui soit propre, car ses

1
CR 2008/26, p. 44, par. 8 (Wood).
2
Ibid. - 4 -

caractéristiques naturelles ne sauraient se prêter à l’habitation humaine ni à la vie économique. La

conduite récente de l’Ukraine consistant à «mode rniser» l’île des Serpents, ses objectifs et les

intentions qu’elle révèle montrent claire ment que l’Ukraine admet elle-même que les

caractéristiques naturelles de ce tte formation maritime sont celles d’un rocher au sens du

paragraphe 3 de l’article 121 de la CNUDM.

12 En outre, pour que la délimitation maritime à effectuer en l’espèce soit comme il se doit

équitable, il convient également de tenir compte du fait qu’il ne faudrait pas amplifier davantage les

effets inéquitables du transfert de l’île des Se rpents en1948, effectué dans les conditions

juridiquement douteuses que j’ai exposées dans mon discours introductif il y a deux semaines, ni

ceux de la manière arbitraire dont la frontière ma ritime a été établie en 1949, en accordant à l’île

des Serpents un avantage supplémentaire à celui déjà produit ⎯ la zone maritime des 12 milles qui

l’entoure. Il faut, de même, prendre en compte le compromis juridique accepté par les Parties

lorsqu’elles ont conclu le traité de bon voisinage de 1997 ains i que son accord additionnel ⎯ dans

lequel l’Ukraine consent à ce que l’île des Serpents ne puisse jouer d’autre rôle dans la délimitation

que celui qui est énoncé au paragraphe 3 de l’article 121 de la CNUDM.

7. Madame le président, je vais brièvement exposer comment s’articule l’argumentation de la

Roumanie que je viens de présenter et réfuter certains arguments de l’Ukraine. Mes collègues

achèveront cette réfutation lors des interventions ultérieures d’aujourd’hui et de demain.

8. La délimitation partielle, convenue entre la Roumanie et l’exURSS en 1949, qui suivait

un arc de cercle d’un rayon de 12milles autour de l’île des Serpents, fut confirmée dans des

documents ultérieurs de même na ture en 1954, 1963, 1974 et est actuellement en vigueur entre la

Roumanie et le successeur de l’URSS, l’Ukraine. Cette délimitation fut décidée dans un traité dont

l’Ukraine n’a jamais contesté la validité ⎯ même devant la Cour. Ce s documents ne constituaient

pas ⎯contrairement à ce que le conseil de l’Ukra ine a tenté d’affirmer dans son discours du

9 septembre 2008 3 ⎯ des traités moins officiels que les autres accords signés par les Parties,

malgré leur caractère assez technique. Une lect ure rapide des annexes des écritures des deux

Parties où ces documents ont été insérés permet de constater qu’ils ont été rédigés soigneusement,

3
CR 2008/24, p. 40-41, par. 21-22 (Wood). - 5 -

en deux originaux et dans les deux langues officielles des Parties 4. Ils ont été dûment signés et

approuvés, comme tout autre traité. Leur objet et leur but ⎯la délimitation terrestre, fluviale et

maritime et le tracé de la frontière ⎯ étaient extrêmement importants et il n’est pas surprenant que

les Parties les aient considérés avec autant d’attention. Ils n’avaient pas et n’ont pas la nature d’un

accord tacite, comme l’a affirmé de manière erronée le conseil de l’Ukraine 5. Leurs textes sont

clairs et bien que l’Ukraine ait tenté de plonger la Cour dans la perplexité en lui soumettant

13 différentes interprétations des traductions fournies par les Parties ou par le Greffe, elles convergent

toutes dans le même sens. La frontière convenue entre, d’une part, la zone de 12 milles de l’île des

Serpents et, d’autre part, les espaces maritimes de la Roumanie, suit cet arc de cercle autour de

cette formation maritime ⎯ et je cite le texte de tous ces accords ⎯ «laissant l’île des serpents du

côté de l’URSS» 6, aujourd’hui l’Ukraine. Madame le président, l’Ukraine ne saurait modifier

l’interprétation incontestable de ces textes.

9. Indépendamment de l’existen ce de cette délimitation partielle ⎯que l’on ne saurait nier

d’un point de vue juridique ⎯, les nombreux exemples tirés de la pratique étatique et de la

jurisprudence internationale que la Roumanie a présentés montrent que les formations maritimes se

trouvant dans une situation comparab le à celle de l’île des Serpents ⎯sans importance dans le

contexte géographique de la zone, isolée de la côte continentale de l’Ukraine et ne faisant pas partie

intégrante de cette côte ⎯ ne doivent pas être utilisées dans la première phase de construction de la

ligne de délimitation afin de géné rer des points de base et ne doivent finalement se voir accorder

qu’un effet minimal sur la ligne de délimitation ⎯à savoir, une mer territoriale de 12milles au

plus. Toute thèse différente produirait une altération manifeste du résultat du processus de

délimitation, créant ainsi une délimitation inéquitabl e. Malgré les déclarations répétées du conseil

de l’Ukraine la semaine dernière, il n’a pu être démontré que l’île des Serpents fait partie intégrante

de la côte de l’Ukraine.

10. Comme je l’ai montré le 3septembre2008, la réalité géographique et le grand nombre

d’éléments de preuve ⎯issus de diverses sources, dont les propres annexes des écritures de

4Voir MR, annexes 13, 14, 15, 17, 19, 20, 21.
5
CR 2008/26, p. 50-51, par. 25-28 (Wood).
6Voir MR, annexes 13, 17, 19, 21, 22. - 6 -

l’Ukraine ⎯ prouvent sans l’ombre d’un doute que l’île des Serpents n’est rien qu’une petite

protubérance rocheuse qui ne saurait se prêter à l’ habitation humaine ou à la vie économique. Elle

relève donc de la catégorie des îles mentionnée au paragraphe 3 de l’article 121 de la CNUDM ⎯ à

savoir, celles qui n’ont droit ni à un plateau continental ni à une ZEE.

11. En outre, comme je l’ai démontré le 4septembre, toutes les activités menées par

l’Ukraine dans son Village Potemkine de la mer Noire non seulement ne sont pas parvenues à

transformer les caractéristiques factuelles et juri diques de l’île des Serpents mais constituent

également, de la part de l’Ukraine, une déclarati on convaincante allant à l’encontre de ses intérêts

suivant laquelle les caractéristiques naturelles de l’ île des Serpents ne lui permettent pas de se

prêter à l’habitation humaine ou à la vie économique. En effet, toutes ces mesures ont été prises

après la date critique et ne constituent pas la su ite de mesures antérieures, postérieures à la
14

première décision du 18décembre1995 ⎯comme l’a confirmé le conseil de l’Ukraine le

12 septembre 2008 7. Elles n’ont été prises que dans l’unique objectif d’essayer d’améliorer la

position juridique de l’Ukraine dans son différend avec la Roumanie. Ces mesures n’ont pas atteint

leur but car les conditions naturelles adverses sur l’île des Serpents ne permettent pas une telle

transformation et n’ont pas d’effet juridique. Elles ne peuvent être prises en compte pour décider

de la solution équitable, en l’espèce, en matière de délimitation maritime.

12. Je voudrais souligner que l’Ukraine, dans ses exposés de la semaine dernière, n’a pas

contesté la validité des nombreux éléments de pr euve présentés par la Roumanie qui démontrent

que la réalité factuelle de l’île des Serpents est celle d’un rocher qui ne peut se prêter à l’habitation

humaine ou à la vie économique; les auteurs de l’Antiquité, les nombreuses sources roumaines

datant d’une période où le rôle de l’île des Se rpents dans un processus de délimitation maritime

n’était pas en cause, de même que les éléments de preuve qui vont dans le même sens que les

annexes que l’Ukraine elle-même a insérées dans ses écritures viennent démontrer cette réalité.

Elle n’a pas non plus examiné le rejet par la R oumanie des arguments qu’elle a présentés dans sa

duplique. Le conseil de l’Ukraine s’est contenté de répéter les mêmes idées sans substance tirées

de la duplique, sans y ajouter quoi que ce soit.

7
CR 2008/29, p. 12, par. 35 (Malintoppi). - 7 -

13. Au lieu d’examiner les nombreux éléments de preuve présentés, l’Ukraine s’est appuyée

sur une nouvelle traduction intéressée et irrecevable de ses propres annexes, dont elle «découvre»

maintenant qu’elles auraient été mal traduit es par l’Ukraine elle-même lorsqu’elles ont été

8
soumises à la Cour, encore une fois par l’Ukraine, en tant qu’éléments de preuve . Elle a cité

9 10
l’agent de la Roumanie de manière erronée . Elle a rejeté comme peu fiables les différents

exposés convergents des articles de presse ukrainien s qui confirment ces faits: l’île des Serpents

n’est rien qu’un rocher inhabitable, qui ne sau rait se prêter à une vie économique même la plus

élémentaire.

14. Dans son discours de la semaine dernière, l’agent de l’ Ukraine a soutenu premièrement

qu’«[i]l [était] déplacé de la part de la Roumanie de profiter de la présente procédure pour tenter de

mettre en cause les droits de l’Uk raine sur son territoire souverain» 11 et, deuxièmement, que le

protocole de1948, par lequel l’URSS s’est emparée illégalement de l’île d es Serpents, n’était pas
15

illégitime ou inique, et n’est pas contraire aux dispositi ons du traité de paix de Paris. L’agent de

l’Ukraine a ajouté que le protocole était un instru ment valide et contraignant dont l’effet a été

confirmé par de nombreux accords ultérieurs dûment ratifiés par le parlement roumain

12
«contrairement à l’impression donnée par l’agent de la Roumanie» .

15. S’agissant du premier point, comme je l’ai clairement indiqué à l’ouverture du premier

13
tour de plaidoiries de la Roumanie, il n’y a pas de revendications territoriales entre les Parties et

la Roumanie ne cherche pas, maintenant, devant la Cour, à faire annuler les injustices de 1948 et

1949 bien qu’elles soient hautement contestables 14. Mais, la Roumanie tient surtout à ce que l’on

n’amplifie pas davantage les effe ts inéquitables que ces injustices passées ont déjà produits en

permettant à l’île des Serpents de générer des espaces maritimes au-delà de la mer territoriale de

12 milles qu’elle a aujourd’hui en conséquence de ces transactions illicites. Quant au second point,

8CR 2008/29, p. 13-14, par. 41-42 (Malintoppi).
9
CR 2008/29, p. 14, par. 43 (Malintoppi) contre CR 2008/20, p. 56, par. 6 (Aurescu).
10
CR 2008/29, p. 14, par. 44 (Malintoppi).
11CR 2008/24, p. 11, par. 6 (Vassylenko).

12Ibid.

13CR 2008/18, p. 13, par. 6 (Aurescu).
14
CR 2008/18, p. 25, par. 30 (Aurescu). - 8 -

je prie respectueusement la Cour de se reporter aux arguments que j’ai exposés le

15
2 septembre 2008 . Le protocole de 1948 était censé préciser la ligne de la frontière d’Etat, en

apparence conformément au traité de paix, mais il a, en réalité, modifié la frontière en violation de

ce document. En effet, en contradiction manifest e avec l’article premier du traité de paix, suivant

lequel il était clair que l’île des Serpents rele vait de la souveraineté roumaine, l’alinéa b) de

l’article premier du protocole se lit comme suit: «L’île de Zmiinyi (Serpilor)… fera partie de

l’URSS.» 16 De même, en vertu de son article4, le protocole n’a pas été soumis à ratification, ce

qui était extrêmement inhabituel pour cette sort e de documents sensibles traitant de questions

frontalières et, en outre, de cessions de territoires.

16. Toujours en ce qui concerne la même ques tion, l’agent de l’Ukraine a indiqué qu’elle

«répugn[ait] à ressasser des arguments historiques qui ne présentent aucun intérêt pour la mission

17
actuelle de la Cour» . Madame le président, la présentation, par la Roumanie, de ces faits

historiques a réellement une importance en l’espèce, car ils sont intrinsèquement liés au contexte

du présent différend que vous devez trancher. Les fa its historiques ne sauraient être négligés car

leur interprétation peut aider à formuler la me illeure réponse de droit inte rnational aux problèmes

16
que celui-ci doit résoudre, en particulier lorsque ces faits constituent des violations du droit

international. De même, il ne serait pas éthique d’étendre les effets produits par des violations

manifestes du droit international. Ainsi qu’ il est énoncé dans la CNUDM et que vous l’avez

continuellement indiqué dans votre jurisprudence, toute solution de délimitation maritime doit être

équitable. Cette solution ne peut pas ne pas teni r compte de ce qu’il serait à la fois contraire à

l’éthique et inique d’amplifier encore les effets déjà inéquita bles de la conduite illégale de

l’ex-URSS, dont l’Ukraine, son successeur, a déjà tiré les bénéfices.

17. L’agent de l’Ukraine a également indiqué qu’il n’y avait eu aucun accord «tout compris»

en 1997 :

«J’étais moi-même à la tête de la délégation ukrainienne au stade final des
négociations qui ont débouché sur le traité et sur l’échange de lettres de 1997. Aucun

accord n’a été «passé» au-delà du cadre formel de ces instruments,…ni le texte de

15CR 2008/18, p. 22-24, par. 24-27 (Aurescu).
16
Dossier des plaidoiries de l’Ukraine, onglet 12 ; les italiques sont de nous.
17CR 2008/24, p. 12, par. 8 (Vassylenko) ; les italiques sont de nous. - 9 -

l’échange de lettres, ni celui de la déclar ation unilatérale n’établissent d’accord «tout
18
compris»…»

18. Madame le président, j’ai déjà présenté, dans ma plaidoirie du 2 septembre, le contexte et

les termes du compromis juridique bilaté ral de 1997. En fait, ledit compromis a été obtenu,

en 1997, lorsque le traité de bon voisinage et l’accord additionnel ont été conclus et que le chef de

la délégation ukrainienne pour les négociations ⎯ déjà depuis 1996 ⎯ était M. Anton Buteiko, le

second agent désigné par l’Ukraine en l’espèce. En ce qui concerne le second argument, ceux

d’entre nous qui ont négocié et conclu des accords savent parfaitement bien qu’il n’est pas dans la

pratique de préciser explicitement dans le texte de ceux-ci qu’un certain accord «tout compris» a

été conclu : ce point ressort du contexte et de la conduite des parties tels que le corrobore le texte

de l’accord.

19. C’est précisément le cas de l’accord de 1997. Le contexte réside clairement dans

l’intervention du ministre roumain des affair es étrangères devant le sénat roumain le

19
4décembre1995, que j’ai citée dans mon exposé du 2septembre , un élément de preuve que

l’Ukraine a elle-même soumis da ns les annexes de son contre-m émoire, mais dont son agent a

négligé de parler dans son exposé de la semaine de rnière. La conduite de l’Ukraine est également

évidente: bien que sa propre pratique diploma tique consiste à réagir assez rapidement aux

positions de la Roumanie ⎯ par exemple, dans le cas de la d éclaration que cette dernière a publiée

lorsque le traité sur le régime de la frontière a été signé en 2003 et est entré en vigueur en 2004 ⎯,

l’Ukraine ne s’est pas opposée à ce que la Roumanie ratifie la CNUDM en 1996 et n’a pas non plus

17 réagi à cette ratification, de même lorsque le tra ité de bon voisinage et l’accord additionnel ont été

signés en 1997 et sont entrés en vigueur en octobre 1997 et, en 1999, lorsque l’Ukraine est devenue

partie à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Enfin et surtout, le texte de l’accord

additionnel de 1997 s’accorde avec le contexte et la conduite mentionnés. La Roumanie y a

accepté le statu quo territorial, tandis que l’Ukraine a consenti à ce que le premier principe de

délimitation du paragraphe4 soit l’article121 de la CNUDM, à une époque où elle n’était pas

partie à la convention sur le droit de la mer, ma is était parfaitement consciente de l’interprétation

donnée par la Roumanie à cet article. En effet, le conseil de l’Ukraine a reconnu, dans son exposé

18
CR 2008/24, p. 12-13, par. 11-12 (Vassylenko).
19
CR 2008/18, p. 25-26, par. 32-36 (Aurescu). - 10 -

20
du 9 septembre 2008 , que la position de la Roumanie, selon laquelle «le droit à des espaces

maritimes générés par l’île devait être limité à la mer territoriale de 12milles marins convenue

en 1949», était bien connue déjà lors des négociations entre la Roumanie et l’URSS. Il a poursuivit

ainsi: «Il n’y avait là rien de nouveau. Cette position roumaine explique … les … efforts que la

Roumanie a faits … lors de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer» en ce

qui concerne le paragraphe 3 de l’article 121 2.

Analyse générale des arguments avancés par l’Ukraine à l’appui de la ligne qu’elle

revendique

20. Madame le président, M.Crawford examin era la ligne revendiquée par l’Ukraine dans

quelques minutes, ce qui représente à peu près tout le temps que M.Quéneudec a consacré à la

question la semaine dernière 22. Toutefois, en ce qui concerne les arguments avancés à l’appui de

cette ligne, il n’est pas exagéré de dire que la seu le «règle» à laquelle le raisonnement de l’Ukraine

obéisse dans la présente affaire est la «répétition» , règle d’or des publicitaires. J’ai recensé pas

moins de soixante-huit mentions, par les conseils de l’Ukraine, de la «disparité très marquée entre

la longueur des côtes» ou d’autres formules si milaires. Cela équivaut pratiquement à une

fréquence d’une fois toutes les dix minutes de plaidoiries, ce qui, je pense, constitue un record dans

une procédure de délimitation maritime. Mais outre les piètres arguments que l’Ukraine a formulés

pour démontrer que sa côte entière devait être considérée comme pertinente — ce que ni le droit, ni

la géographie ne permettent de soutenir en l’ espèce—, l’Ukraine n’a ab solument pas expliqué

comment sa ligne «d’équidistance» provisoire avait glissé pour aboutir au tracé final qu’elle

propose en tant que solution équitable.

21. L’Ukraine n’a pas davantage indiqué pour quoi la ligne de délimitation qu’elle propose

coïncide parfaitement avec celle qu’elle prôna it lors des négociations, qui résultait d’une

18 «méthode» manifestement contraire aux principes de délimitation adoptés par les Parties en 1997,

23
comme je l’ai démontré dans le premier exposé que j’ai fait lors du premier tour de la Roumanie .

20CR 2008/24, p. 45, par. 40 (Wood).
21
Ibid.
22
CR 2008/29, p. 43, par. 105-109 (Quéneudec).
23CR 2008/18, p. 22, par. 21 (Aurescu). - 11 -

La seule explication est que non seulement cette ligne, mais aussi celle que l’Ukraine défend en

l’instance, ne traduisent pas une application corr ecte de la méthode de délimitation mise au point

par la Cour.

22. Madame le président, l’Ukraine s’évertue à détourner l’attention de la Cour de son

manque d’arguments sur la construction de sa ligne p our la focaliser sur la question de la longueur

des côtes, qui constitue à présent l’alpha et l’om éga de sa thèse, son mantra: selon l’Ukraine,

celle-ci jouerait un rôle considérable — à la fois comme circonstance pertinente alléguée et comme

principal facteur justifiant, lors de l’application du critère d’équité, la ligne proposée par l’Ukraine.

Pas plus que le glissement mystérieux de sa ligne «d’équidistance» mal construite, cette tentative

de détourner l’attention ne peut porter ses fruits. L’Ukraine prétend à présent que l’île des Serpents

n’est pas au cŒur de sa thèse, et que c’est la Roum anie qui insiste dessus. Mais si l’on applique la

propre méthode de l’Ukraine, l’île des Serpents joue bien un rôle de premier plan, et le plus

important, car cette méthode consiste à commencer par tracer la ligne d’équidistance provisoire

entre l’île des Serpents et l’ensemble du littoral roumain. Ainsi, les 300mètres de côtes d’un

rocher minuscule, isolé et sans lien avec la côte c ontinentale sont substitués à presque toute la côte

continentale de l’Ukraine ! Et pourtant, l’Ukraine veut utiliser cette même côte dans son intégralité

lors des étapes suivantes de la délimitation. Toutefois, comme la Roumanie le démontrera

aujourd’hui et demain, cette tentative ne trouve aucun fondement dans le droit international

applicable.

23. Un autre mantra ukrainien concerne la di gue de Sulina. L’Ukra ine n’a pas ménagé ses

efforts pour placer l’île des Serpents sur un pied d’ég alité avec la digue de Sulina, tout en écartant

cependant l’importance juridique de cette dernière. Là encore, la ré pétition était la règle d’or. Il a

été dit à pas moins de trente-cinq reprises — soit, en moyenne, une fois toutes les vingt minutes de

plaidoiries—que la digue de Sulina était un ouvrag e artificiel très saillant par rapport à la côte.

Nous montrerons dans le cadre de notre démonstration en quoi cette allégation est dénuée de

fondement.

24. Madame le président, il existe un célèb re sketch, tiré des écrits d’un grand auteur

roumain, qui met en scène un professeur interrogean t son élève. Il est connu comme le sketch du

«concombre». Permettez-moi de vous le raconter. Le professeur demande à son élève de réciter sa - 12 -

19 leçon sur les tomates. Et l’élève répond: «La tomate est un légume, comme le concombre. Le

concombre appartient à l’espèce végétale des cu curbitacées et se compose à quatre-vingt-dix pour

cent d’eau». Puis le professeur demande à l’élève ce qu’est une pomme de terre. Celui-ci répond :

«Eh bien, la pomme de terre est un légume, comme le concombre, qui se compose à

quatre-vingt-dix pour cent d’eau». Alors le professeur demande à l’élève ce qu’il sait au sujet des

mathématiques. Et l’élève de répondre que les mathématiques sont une science, tout comme la

biologie qui a trait aux légumes , dont le concombre, qui se compose à quatre-vingt-dix pour cent

d’eau». Quelle que soit la question du professe ur à l’élève, celui-ci parle uniquement du

concombre ! C’est ainsi que l’Ukraine procède ici. Quoi qu’elle puisse tenter de soutenir dans la

présente affaire, nous en revenons toujours au même concombre—sa prétendue prédominance

côtière. Mais contrairement à celui du sketch, le «concombre» de l’Ukraine n’a pas droit à toute

l’eau que celle-ci veut lui faire produire.

Le plan des exposés du second tour de la Roumanie

25. Madame le président, je vais rapidement donner les grands traits des exposés que la

Roumanie va présenter aujourd’hui et demain. M.Crawford, qui, si vous le voulez bien,

interviendra après moi, démontrera que la ligne revendiquée par l’Ukraine et l’interprétation que

celle-ci livre au sujet des côtes et de la zone pertinentes sont dénuées de fondement. Mon collègue

et ami Cosmin Dinescu, le coagent de la Roum anie, examinera ensuite brièvement l’argument

ukrainien relatif aux effectivités. Puis ce sera de nouveau le tour de M. Crawford, qui traitera les

arguments opposés par l’Ukraine à la délimitation partie lle préexistant autour de l’île des Serpents.

Simon Olleson complètera cette présentation en se penchant sur le re jet par l’Ukraine des

nombreuses cartes et cartes marines qui ont été produites par la Roumanie. La dernière

intervention d’aujourd’hui se rapportera aux argume nts formulés par l’Ukraine contre l’utilisation

de la digue de Sulina dans le cadre de la présen te délimitation, et c’est DanielMüller qui s’en

chargera.

26. Demain, M. Lowe présentera la construction de la ligne d’équidistance de la Roumanie et

M.Pellet analysera la question des circonstances pertinentes en l’espèce. M.Lowe appliquera

ensuite le critère de proportionnalité à la ligne proposée par la Roumanie, ce qui révèlera le - 13 -

caractère équitable de celle-ci. Je conclurai nos plaidoiries en exposant les conclusions de la

Roumanie.

27. Madame le président, ainsi s’achève ma pr ésentation. Je remercie la Cour pour son

attention et la prie de bien vouloir appeler M. Crawford à la barre pour qu’il poursuive la

démonstration de la Roumanie.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsie ur Aurescu. Nous appelons maintenant

M. Crawford à la barre.

M. CRAWFORD :
20

II. La ligne préconisée par l’Ukraine dans le contexte des côtes pertinentes
et de la zone pertinente

Introduction

1. Madame le président, Messieurs de la C our, ce qu’il y a eu de remarquable dans les

plaidoiries de l’Ukraine de la semaine dernière, c’était la réticence de celle-ci en ce qui concerne la

ligne qu’elle préconise. Au moment de la pa use déjeuner de jeudi —après trois jours de

plaidoiries—, elle n’avait toujours pas avancé le moindre élément à l’appui de cette ligne. Cette

24
dernière n’avait été projetée à l’écran qu’une fois par M. Bundy (onglet 10) . Mme Malintoppi l’a

présentée pendant quelques minutes, certes, mais elle n’a pas tenté de la justifier.

2. En revanche, c’est une armée de conseils qui s’est mise à contester mes arguments au sujet

de l’accord de1949. M.Bundy, M. MichaelWood et MmeMalintoppi s’y sont successivement

attaqués. Ensemble, ils ont consacré trois fois plus de temps à contester mes arguments qu’il ne

m’en a fallu pour les élaborer ! Peut-être étaient- ils un peu préoccupés par les trente et une cartes

présentant une frontière maritime autour de l’île ! Quoi qu’il en soit, ils ont fait preuve d’une

timidité extrême dans la présentation de leur ligne . Le point X a pu leur sembler mystérieux — et

25
pourtant, il figure pratiquement au même endroit sur dix-neuf de nos cartes . Cela dit, la manière

24CR 2008/24, p. 34, par. 67 (Bundy).

25MR, annexe16, carte soviétique no552 (1957) (dossier de plaidoiriede la Roumanie au premier tour,
onglet V-17) ; MR, annexe 18 ; MR, annexe 19 ; MR, annexe20; MR, annexe21; MR, annexe23; MR, annexe25;
MR, annexe 26 ; MR, annexe 27 ; MR, annexe 31 ; MR, annexe 32 ; MR, annexe 33 ; MR, annexe 35 ; MR, annexe 36 ;
MR, annexe 38 ; MR, annexe 39 ; MR, annexe 41 ; Lighthouses of Ukraine, p. 50 (dossier de plaidoiries de la Roumanie
au premier tour, onglet V-1). - 14 -

dont ils sont parvenus à la ligne qu’ils préconisen t est et demeure bien pl us mystérieuse. Ils

semblaient jouer à «Il court, il court, le furet» avec la question centrale de leur demande.

3. Si bien que, vendredi, nous retenions not re souffle pour entendre ce qui, assurément, allait

être l’exposé détaillé et la justification de leur ligne définitive. M.Quéneudec était censé parler

pendant 80 minutes — enfin, le créneau prévu avait l’avantage d’être suffisant.

4. Mais qu’a fait M. Quéneudec ? Il a parlé de la digue de Sulina, du promontoire méconnu

du capTarkankhut et des trois points de base ni chés à 300mètres l’un de l’autre sur l’île des

Serpents ; de tout, sauf de la vraie question.

[Délimitation finale selon l’Ukraine — onglet 83 du dossier de plaidoiries de l’Ukraine.]

21 5. Nous avons attendu… Les pauses café se sont succédé. Ensuite, vendredi, à

12heures12, après plus de dix heures de plaidoiries, la ligne de l’Ukraine a été justifiée. Cette

justification a duré trois minutes 26. La ligne a été projetée à l’écran pendant 63secondes

(onglet 83). Vous pouvez la voir à l’écran à présent, au cas où vous l’auriez manquée.

6. Et comment M.Quéneudec a-t-il justifié la ligne? Je vais le citer. Si généralement on

résume les arguments développés par les conseils devant la Cour, je vais —car ce sera en

l’occurrence plus rationnel — employer ses propres term es et répéter in extenso ce qu’il a dit. Il a

déclaré, et cela ne sera pas long :

«L’un des moyens de prendre en compte, selon une formule souple et pratique,
l’ensemble des circonstances pertinentes consiste à faire subir à la ligne d’équidistance

provisoire un glissement [un glissement] vers l’ouest à partir du pointB, afin de
parvenir à un tracé qui tienne pleinement compte de la très grande disproportion de
longueur des côtes.

Dans ce mouvement de glissement de la ligne provisoire, il est suggéré
d’éliminer le saillant constitué par le point C, de sorte qu’au-delà du point B la ligne
de délimitation soit constituée par une ligne droite suivant l’azimut de 156 . o

Ce glissement de la ligne d’équidistance en direction de la côte de la Roumanie
ne correspond à aucun ratio mathématique. Il représente un ajustement d’une certaine

importance, sans doute ; mais il n’est entouré d’aucun «mystère» … En alignant ainsi
la ligne provisoire d’équidistance sur une ligne droite, l’Ukraine a été mue par un
souci de simplification, en même temps que par un désir de parvenir à un tracé
présentant un intérêt pratique.» 27

Voilà ; c’est tout, rassurez-vous !

26
CR 2008/29, p. 43, par. 106-108 (Quéneudec).
27
CR 2008/29, p. 43, par. 106-108 (Quéneudec). - 15 -

7. Dans ce passage, M. Quéneudec a fait observer, pour toute justification, ce qui suit :

⎯ Premièrement, une manière d’ajuster la ligne, c’ est de la déplacer vers l’ouest «selon une

formule souple et pratique».

⎯ Deuxièmement, elle devrait être déplacée «à partir du point B».

⎯ Troisièmement, le coude constitué par le point C devrait être éliminé.

⎯ Quatrièmement, «[c]e glissement … ne correspond à aucun ratio mathématique».

⎯ Cinquièmement, la ligne est droite, ce qui est là aussi pratique.

8. Certains de ces éléments sont vrai s: la ligne est un azimut —mais pourquoi cet

azimut-là ? Le coude au point C est éliminé — mais à quoi bon l’éliminer ? Si on l’avait conservé,

22 la proportionnalité mathématique d es zones par rapport aux côtes aurait été plus exacte. La ligne

s’écarte du point B — mais pourquoi pas du point F ? Le procédé est éminemment souple. Il est,

en effet, d’une souplesse extrême. Le choix de chacun de ces éléments aurait pu être différent, et

aucune raison n’est invoquée pour justifier une ligne par rapport à une autre. Il y a effectivement,

comme vous le savez, une marge irréductible d’ appréciation et de discrétion en délimitation

maritime —mais le tracé d’une ligne de cette ampleur et de cet effet doit reposer sur une base

quelconque.

9. Voilà pourtant, dans son inté gralité, la manière dont l’Ukraine justifie l’emplacement de

sa ligne au bout de 12heures. Un «glissement»! C’est M.Quéneudec qui, par ses mots, s’est

laissé glisser.

10. Madame le président, Messieurs de la Cour, il y a, du point de vue de l’analyse

scientifique, une conséquence importante de la pusillanimité avec laquelle l’Ukraine présente sa

ligne. Si, comme nous le supposons, l’Ukraine re vient sur ces questions au second tour, proposant

ou semblant indiquer une autre ligne que celle qu’elle revendique, la Roumanie n’aura pas été en

mesure de répondre. Si c’est à travers des arguments contradictoires que la Cour peut constater la

règle de droit applicable, le refus d’une partie d’exposer sa thèse — qui peut être décisive — prive

la Cour de l’assistance qui lui est due par les deux Parties.

11. Madame le président, Messieurs de la Cour, le but de cet exposé est double.

Premièrement, j’analyserai la ligne revendiquée par l’Ukraine et je montrerai qu’elle n’est - 16 -

nullement justifiée en droit de délimitation mar itime et dans la pratique liée à celle-ci.

Deuxièmement, je reviendrai sur la question des côtes pertinentes et des zones pertinentes.

12. Les deux questions sont liées. La thèse de l’Ukraine peut se résumer comme suit : elle

soutient que l’ajustement d’une ligne d’équidistance est nécessaire en raison de la disproportion des

côtes pertinentes, disproportion qu’elle amplifie ensuite en se servant de l’île des Serpents comme

d’une loupe —en procédant à un ajustement suppl émentaire d’une ligne provisoire dont l’île des

Serpents constitue l’élément écrasant. Un problème que pose d’emblée la thèse de l’Ukraine, c’est

qu’elle s’appuie sur les mauvaises côtes et les mauvaises zones pertinentes. Mais, même si elle

avait raison dans les deux cas, la manière dont elle les utilise est fondamentalement incorrecte. En

effet, comme nous l’avons entendu de la bouche de M.Quéneudec vendredi, aucune méthode ne

trouve grâce à ses yeux, si ce n’est celle de la virevolte et de la glissade sur la piste de dance.

13. Mais ces deux questions sont également di stinctes. La ligne préconisée par l’Ukraine ne

saurait être défendue par des conseils aussi chevronnés que les siens ; ils ne sauraient sérieusement

la maintenir, et elle tombera bientôt aux oubliettes de l’histoire de la délimitation. Mais les côtes et

23 zones pertinentes restent un problème, ce dont conviennent les Parties. La présente espèce pose

une question inédite à la Cour. Comme délimiter une frontière maritime dans une zone réduite

lorsque les côtes de l’une des Parties sont plus longues? La réponse de l’Ukraine dépend

⎯ entièrement ⎯ de la présence fortuite d’une île minuscule dont il se trouve qu’elle lui

appartient. Mais la disparité entre les longueurs de côtes ⎯sur laquelle je reviendrai dans un

moment ⎯ n’a rien à voir avec l’île des Serpents. L’île des Serpents n’apporte rien à ces longueurs

28
de côtes . Il pourrait y avoir une douzaine d’îles des Serpents autour d’Odessa et personne ne les

considérerait comme ayant la moindre pertinen ce pour une délimitation au large du delta du

Danube. C’est un principe de délimitation difficile à saisir que celui qui consiste à dire qu’un Etat

qui a une minuscule île au voisinage de la frontière terrestre peut s’en servir pour dévier

massivement la ligne simplement parce qu’il se tro uve que l’Etat a des côtes plus longues au loin.

Il n’y a aucun précédent en délimitation maritime en vertu duquel une île qui posséderait la faculté

d’agrandir les côtes avec lesquelles elles n’a pas le moindre lien géographique.

28
Cf. CR 2008/19, p. 12, par. 8 (Crawford) ; cf. CR 2008/29, p. 32, par. 50 (Quéneudec). - 17 -

14. Normalement, il n’est pas tenu compte d’une île qui se trouve juste en face des côtes

d’un autre Etat, ou son importance est au moins fortement diminuée. C’est ce qui s’est produit

pour des îles inhabitées de grande taille, telles que les îles Anglo-Normandes. Et aussi lorsque de

petites îles sont situées près de la ligne d’équidi stance de la côte principale, comme les cayes

honduriennes. Dans le cas des côtes adjacentes, ce qui est déterminant, ce n’est pas que l’île se

trouve du «mauvais côté» de la li gne; il suffit que l’emplacement de l’île par rapport à la façade

côtière continentale ait un effet disproportionné. Le protocole de Moscou du 4 février 1948 décrit à

juste titre l’île des Serpents comme étant «située en merNoire, à l’est de l’embouchure du

Danube» 29. La possession accidentelle d’une île minuscule par l’un ou l’autre des Etats côtiers

dans des situations de ce type ne saurait aboutir à des différences aussi importantes que celle

préconisée par l’Ukraine.

15. La question se pose donc de la manière suivante: comment la méthode courante de

délimitation maritime peut-elle être appliquée dans cette situatio n géographique s’il n’est pas tenu

compte de l’île des Serpents ? Une fois qu’il est répondu à cette question, il est possible de poser

une seconde question: compte tenu de la présence de l’île des Serpents, la ligne ainsi tracée peut

devoir être modifiée. Si la Roumanie a raison de di re que la zone maritime attribuée à l’île est de

12milles et pas plus, la seconde question se règle d’elle-même ⎯vous superposez la ligne des

12milles. La même réponse vaudrait pour parvenir à un résultat équitable dans tous les cas de

24
figure. Aucune île de cette taille ne pourrait ma tériellement avoir le moindre effet supplémentaire

sur une délimitation qui autrement serait équitable pour les parties ⎯ à moins de juger qu’en

obtenant 12 milles l’Etat obtiendrait trop !

16. Cela dit, l’Ukraine ne pose jamais la première question, si ce n’est de manière indirecte

par ses références répétées à la décision rendue par la Chambre dans l’affaire du Golfe du Maine,

une affaire qu’elle ne cesse d’analyser. Je reviendrai brièvement sur l’affaire du Golfe du Maine,

mais pour le moment je veux simplement faire observer que l’Ukraine n’a en aucune manière

justifié de manière cohérente l’em placement de la ligne qu’elle préconise ni d’aucune autre ligne.

29
CMU, annexe 24. - 18 -

Tout ce qu’elle a fait, si l’on considère les trois minutes de glissade de M. Quéneudec de vendredi,

c’est se jeter aux pieds de la Cour pour implorer son indulgence.

La ligne ajustée de l’Ukraine

17. Madame le Président, Messieurs de la Cour, vous aurez peut-être noté que je n’ai pas fait

de commentaire sur le quatrième point de M.Qu éneudec, à savoir son affirmation selon laquelle

30
«ce glissement…ne correspond à aucun ratio mathématique» . M.Bundy a, pour sa part,

vigoureusement contesté que la revendication de l’Ukraine corresponde à un ratio mathématique,

31
reconnaissant que cela ne serait pas une bonne méthode . Il est assez amusant d’entendre le

conseil nier avec tant d’énergie que l’Ukraine a it fait quelque chose pour une raison particulière,

une raison interdite —en l’occurrence, ajuste r sa ligne provisoire en fonction d’un ratio

mathématique —, surtout lorsque aucune autre justification n’est donnée.

[Onglet 2 : construction de la ligne préconisée par l’Ukraine.]

18. Mais le fait que «ce glissement … ne co rrespond à aucun ratio mathématique» n’est qu’à

moitié vrai. En effet, la ligne préconisée pa r l’Ukraine que vous voyez en ce moment est

rigoureusement la même que celle qui a été présen tée lors des négociations, et nous savons fort

bien comment cette dernière avait été construite . Comme vous pouvez le voir à l’écran (onglet2

du dossier de plaidoiries), elle l’avait été en divi sant en deux l’écart entre la ligne d’équidistance

provisoire donnant plein effet à l’île des Serpents ⎯ c’est-à-dire la ligne qui apparaît en pointillés

rouges ⎯ et celle qui représente le rapport entre les côtes, c’est-à-dire la ligne bleue orientée

pratiquement plein sud à partir du pointF. La ligne préconisée par l’Ukraine pendant les

négociations était une ligne qui divisait en deux l’écart entre ces deux lignes.

25 19. Certes, en matière de délimitation mariti me, il n’est pas rare que, lorsqu’on passe de la

négociation au règlement judiciaire, une partie confirme pour l’essentiel le raisonnement qui

sous-tend sa position, tout en la modifiant quelque peu. Les juridictions sont sensibilisées aux

revendications exagérées, dans la mesure où une solution de compromis entre les lignes

préconisées par deux parties tend à favoriser l’Etat qui a formulé la revendication la plus extrême.

30
CR 2008/29, p. 43, par. 108 (Quéneudec).
31
CR 2008/28, p. 29, par. 42 (Bundy). - 19 -

Il est toutefois plus rare qu’une partie fasse ce que l’Ukraine a fait en comparaissant devant la

Cour, à savoir confirmer sa ligne tout en renonçant aux raisons qui l’avaient conduite à la

préconiser, c’est-à-dire les raisons qui sous-tendent ladite ligne. Mais la coïncidence entre les deux

lignes de l’Ukraine est révélatrice, et elle si gnifie que la ligne que l’Ukraine préconise donne un

demi effet à sa ligne du rapport entre les côtes, en partant d’une ligne donnant plein effet à l’île des

Serpents. Pour le résumer en une phrase, on pourra it dire qu’il s’agit de l’inéquitable au service de

l’inadmissible.

20. Je ferai une dernière observation concernant la ligne proposée par l’Ukraine. Nous avons

entendu beaucoup de choses la semaine dernière au sujet du littoral de la Roumanie situé en retrait,

au sud-ouest de la péninsule de Sacalin et se prol ongeant jusqu’à la frontière avec la Bulgarie. Je

l’analyserai un peu plus en détail dans un instant, mais il a été dit qu’il faisait face au sud-est, à la

Bulgarie et à la Turquie, et qu’il n’était guère pertinent aux fins de la présente délimitation 32. La

remarque que je voudrais faire est la suivante: les deux lignes que l’Ukraine a utilisées pour

construire la ligne qu’elle pr éconise ne tiennent pas compte ⎯ ne tiennent aucun compte ⎯ de la

configuration de la côte méridionale de la Ro umanie. La ligne d’équidistance provisoire de

l’Ukraine n’est fonction d’aucun point de base situé au sud de la péninsule de Sacalin. Sa ligne du

rapport entre les côtes n’est pas non plus fonction de la configuration de la côte: elle serait la

même, voire plus exagérée encore, si le littoral de la Roumanie était orienté plein sud à partir de la

péninsule de Sacalin, puisque, dans cette hypoth èse, ce littoral serait encore moins étendu. Un

autre leitmotiv de l’Ukraine est «la configuration côtière, la c onfiguration côtière…» ⎯ alors

même qu’elle ne tient aucun compte de cette configuration pour construire sa ligne ⎯, sauf

lorsqu’il s’agit de l’île des Serpents, point de départ de cette méthode tout à fait inadmissible.

[Fin onglet 2.]

Les côtes pertinentes et les zones pertinentes

21. Madame le Président, Messieurs de la Cour , j’en viens maintenant à la deuxième partie

de mon exposé, à savoir la détermination des côtes pertinentes et des zones pertinentes.

[Onglet 3 : les côtes des Parties se faisant face à partir du point Z.]

32
CR 2008/28, p. 47, par. 52 ; p. 48, par. 57 (Bundy). - 20 -

26 22. Comme je l’ai dit, l’Ukraine s’est surtout intéressée, la semaine dernière, à la partie

septentrionale de la délimitation, et notamment aux segments3 à 7 ⎯en dépit du fait qu’aucune

délimitation ne doit être effectuée entre ces segmen ts. Dans le même temp s, elle n’a pas daigné

tenir compte de notre côte méridionale; à cet égard, vous vous rappellerez le graphique de

M.Bundy figurant sous l’onglet22 du dossier de plaidoiries de l’Ukraine. Aussi est-il utile de

commencer au sud, au tripoint entre l’Ukraine, la Roumanie et la Turquie. Nous l’avons appelé

pointZ. Ce point est convenu entre les Par ties puisqu’il s’agit du point terminal des lignes

d’équidistance provisoire tracées par elles.

23. M.Bundy a dit que la côte méridionale de la Roumanie était, pour l’essentiel, orientée

dans la mauvaise direction; les flèches qui apparaissent à l’écran sont les siennes. Mais, comme

vous pouvez le voir, on peut tout à fait se livrer au même exercice avec le littoral de la Crimée ⎯ à

savoir le segment 8 —, qui fait face à cette côte de la Roumanie. Certaines portions de ce littoral

font face à la Turquie, d’autres à la Bulgarie, d’ autres encore à la Roumanie. Cela étant, en

examinant ces lignes côtières, trois observations s’imposent. Premièrement, on distingue aisément

les côtes qui se font face. Deuxièmement, ce sont des côtes dont l’orientation et la configuration

sont similaires. Troisièmement, elles sont à peu près de même l ongueur. Si la délimitation devait

être effectuée uniquement entre ces côtes, cela appe llerait très clairement une ligne d’équidistance,

et il n’y aurait aucune raison de l’ajuster.

24. J’ouvre une parenthèse pour relever que, mê me dans ce cas de figure, entre des littoraux

plus ou moins égaux et se faisant face, le glisse ment de M.Quéneudec a un effet prononcé. La

ligne préconisée par l’Ukraine est située à plusieurs milles marins à l’ouest, et elle s’oriente encore

plus vers le nord-ouest en direction du delta. Et cela, entre des côtes qui se font manifestement

face.

25. En suivant la ligne d’équidistance vers le nord, nous atteignons rapidement un point,

situé en deçà de la latitude de Constan ţa, et nettement en deçà de celle du cap Sarych, où la ligne

d’équidistance de l’Ukraine fondée sur l’île des Serp ents prend effet. Cela se produit en un point

où les côtes dominantes sont toujours les côtes se fa isant face que je viens de mettre en évidence.

Nous sommes bien loin d’un tripoint défini à par tir d’une quelconque côte située au nord du delta. - 21 -

Et pourtant, les côtes qui se font face et demeurent dominantes dans cette partie de la délimitation

ont cessé d’être pertinentes aux fins de la ligne de l’Ukraine.

[Fin onglet 3.]

[Onglet 4 : l’île des Serpents telle qu’elle a été représentée (1).]

26. Il convient toutefois de noter que, à l’échelle du bassin occidental de la mer Noire, l’île

des Serpents est tout à fait insignifiante et ce, en dépit du fait qu’elle a cet effet de transmission des

côtes septentrionales. Nos contradicteurs et amis ont entrepris de représenter l’île des Serpents de
27

différentes manières. Symbolisée par le point noir en touré de vert qui figurait sous l’onglet5 de

leur dossier de plaidoiries, elle s’étend sur 6,3 ki lomètres carrés et a un périmètre de 9 kilomètres.

Cela doit être comparé avec l’île telle qu’elle est en réalité et qui, avec 17hectares, est environ

37fois plus petite que le point en question. A l’échelle de cette carte, on ne pourrait pas la

distinguer.

[Fin onglet 4.]

[Onglet 5 : l’île des Serpents telle qu’elle a été représentée (2).]

27. L’île des Serpents nous a également été pr ésentée à l’aide de cercles concentriques de

couleur verte, comme sous l’onglet4. Le cer cle vert extérieur représente une superficie de

103 km 2, soit 620fois supérieure à celle de l’île. En saisissant à quel point elle est petite à ces

échelles, on comprend mieux combien son effet est important sur la ligne d’équidistance calculée à

partir de tous les points de base. La Cour n’ ignore pas ce que l’on dit en matière immobilière:

l’emplacement, l’emplacement, l’emplacement... Et pourtant, la ligne d’équidistance calculée à

partir de tous les points de base n’est pas celle que l’Ukraine préconise, cette dernière étant située

bien plus à l’ouest.

[Fin onglet 5.]

[Onglet 6 : la délimitation entre les côtes adjacentes.]

Les côtes pertinentes

28. J’en viens maintenant à la question des côtes adjacentes pertinentes, qui apparaissent

actuellement à l’écran. Bien que l’Ukraine ait reconnu la distinction entre côtes adjacentes et côtes

se faisant face dans des traités multilatéraux et bila téraux ainsi que dans sa propre législation, elle - 22 -

la rejette aux fins de la présente délimitation; il suffit en effet de diviser sa ligne côtière d’une

manière ou d’une autre pour que sa thèse soit anéantie. Vous avez entendu M.Bundy dire, «les

côtes, toutes les côtes, rien que les côtes» 33. Il est vrai que le principe fondamental en matière de

délimitation maritime est le même en ce qui concerne les côtes adjacentes et les côtes qui se font

face: il est énoncé en tant que tel dans la conven tion de1982. Il est également vrai que, dans

certaines situations, des côtes manifestement situées au sein d’une zone de délimitation ne peuvent

aisément être considérées comme soit adjacen tes, soit se faisant face; cela vaut tout

particulièrement pour les petites îles. Il existe néanmoins des différences pratiques importantes

entre les deux. Par exemple, les irrégularités côtières sont moins perturbantes lorsque les côtes se

font face que lorsqu’elle sont adjacentes : les côt es adjacentes amplifient les différences, alors que

les côtes qui se font face les réduisent. Aussi ma intenons-nous notre analyse des côtes pertinentes

présentée la semaine dernière, dès lors qu’elle constitue une appréciation raisonnable des côtes

adjacentes pertinentes, appréciation conforme à la ju risprudence de la Cour. En particulier, il ne

suffit pas, pour prétendre que des côtes sont pertin entes, de constater qu’elles sont situées à moins

28
de 400 milles marins l’une de l’autr e et génèrent donc des droits qui se chevauchent. En effet, tel

était le cas de certaines côtes qui ont été jugées non pertinentes aussi bien dans l’affaire Jan Mayen

que dans l’affaire Tunisie/Lybie 34.

[Fin onglet 6.]

29. L’Ukraine a abordé la question des côtes pertinentes iniquement en invoquant l’affaire

du Golfe du Maine , à laquelle elle se raccroche comme à une bouée de secours. En réalité, elle

transpose le Golfe du Maine dans le bassin occidental de la mer Noire. Elle affirme que celui-ci est

dominé sur ses trois côtés par ses côtes, la Roum anie en étant réduite à se recroqueviller dans un

coin. Ce n’est plus le «Golfe du Maine» mais le «Golfe de l’Ukraine».

[Onglet 7 : le «Golfe de l’Ukraine» : possibles lignes de fermeture.]

30. La conception qu’a l’Ukraine du «Golfe de l’Ukraine» et du rôle secondaire de la

Roumanie ressort du graphique actuellement projeté à l’écran, lequel figure sous l’onglet7 du

33
CR2008/28, p.51-53, par.73-82 (Bundy); voir également CR2008/26, p.21-25, par.8-24 (Bundy);
CR 2008/26, p. 21-22, par. 5-14 (Bundy).
34
CR 2008/18, p. 65-66, par. 15 et 16 ; p. 69, par. 23-25 (Crawford). - 23 -

dossier de plaidoiries. L’autre jour, M. Bundy a tracé une ligne de fermeture entre le cap Sarych et

35
Vama Veche, à la frontière avec la Bulgarie . Rien ne le justifie cependant et je souhaiterais, à cet

égard, formuler les observations suivantes.

a) D’un point de vue toponymique, le bassin nor d-ouest de la mer Noire n’est pas considéré

comme une entité à part entière et n’a pas de nom propre.

b) Les géographes n’ont cependant pas hésité à donner des noms aux golfes, baies et même aux

mers situés en mer Noire qui cons tituent des entités à part entière ⎯comme le golfe de

Karkinits’ka, par exemple, un golfe, s’il en est un.

c) Hormis dans certains cas particuliers nettement définis ⎯ et le golfe du Maine en était un ⎯, il

est arbitraire de tracer des lignes de fermetur e dans des espaces maritimes couvrant plusieurs

centaines de milles marins, notamment lorsqu’auc une règle conventionnelle n’existe. La ligne

que M.Bundy a tracée n’a absolument aucune signification en droit de la mer, et

particulièrement en matière de délimitation mar itime. S’il fallait néanmoins distinguer ici une

sous-zone géographique, la ligne de fermeture ne serait pas celle tracée par M. Bundy, mais une

ligne qui relierait, selon nous, le cap Khersones à la péninsule de Sacalin. Une fois cette ligne

tracée, comme cela apparaît à l’écran, la première chose que l’on voit, c’est que la majeure

partie de la côte de la Roumanie est située à l’extérieur de ladite ligne et qu’elle fait face,

29 par-delà la mer Noire tout entière, à l’extrémité mé ridionale de la péninsule de Crimée et, plus

loin encore, aux côtes de la Russie et de la Géorgie.

d) En résumé, la Roumanie, en tant qu’Etat côtier de la mer Noire fait entièrement face au large.

Elle ne saurait être confinée par les lignes de fermeture ukrainiennes, tracées arbitrairement, où

par le fantasme ukrainien de domination locale.

[Fin de l’onglet 7.]

[Onglet 8 : le golfe du Maine.]

31. Bien que l’Ukraine ait fait grand cas de l’analogie avec l’affaire du Golfe du Maine, les

observations suivantes s’imposent au sujet de la décision rendue par la Chambre de la Cour. Je

35
CR 2008/29, p. 50, par. 32-35 (Bundy). - 24 -

commencerai par quelques remarques relatives à la configuration côtiè re, laquelle doit être

expliquée afin de comprendre l’affaire :

a) Le golfe du Maine est une entité exceptionnelleme nt bien définie. Il est, pour l’essentiel,

rectangulaire (à l’exception de la baie de Fundy).

b) Son embouchure est plus large que profonde.

c) Au-delà de la ligne de fermeture symbolique du golfe, les côtes du Canada et des Etats-Unis

bordant l’Atlantique sont alignées avec la ligne de fermeture: autrement dit, elles forment un

angle d’environ 90° avec les côtes se faisant face situées à l’intérieur du golfe. Elles ne font pas

du tout face à l’intérieur du golfe et sont manifestement dépourvues de pertinence aux fins de la

délimitation des eaux, non seulement à l’intérieur du golfe, mais aussi au sud-est de la ligne de

fermeture sur laquelle elles n’empiètent pas.

d) On ne peut qu’émettre des hypothèses sur ce que la délimitation aurait été si les côtes se faisant

face des Etats-Unis ou du Canada s’étaient prolongées dans l’océanAtlantique. Or, tel est

précisément le cas de la côte méridionale de la Roumanie en la présente espèce.

32. S’agissant de la décision elle-même, je souhaiterais formuler cinq observations :

a) Il s’agit d’une décision rendue par une chambre, et non par la Cour dans sa formation plénière.

b) Il s’agit d’un cas isolé en matière de délimitation, seule affaire dans laque lle le rapport entre les

côtes a engendré un ajustement précis de la ligne de fermeture.

c) Cette opération, aussi originale voire par trop recherchée qu’elle puisse paraître aujourd’hui, n’a

été possible qu’en raison de la combinaison de deux facteurs spécifiques: premièrement, la

forme rectangulaire du golfe lui-même; deuxièmement, l’absence de toute façade maritime

pertinente appartenant aux Parties en dehors du golfe susceptible d’avoir une incidence sur

l’attribution de certaines zones de ZEE dans l’ Atlantique, au-delà de la ligne de fermeture

symbolique du golfe. Autrement dit, les zones pertinentes de ZEE dans l’Atlantique étaient,

dans ce cas particulier, manifestement attribuables aux côtes situées à l’intérieur du golfe et
30
pouvaient, partant, être divisées conformément au rapport entre les longueurs de ces côtes.

Dans ce cas particulier, ce rapport pouvait créer ou générer un transfert à des eaux plus

éloignées. - 25 -

d) Cette situation est unique. Elle n’a jamais été rencontrée de nouveau, et ne se retrouve

assurément pas en la présente espèce.

e) En réalité, la ligne effectivement tracée par la Chambre de la Cour ne s’écartait guère d’une

ligne d’équidistance. La ligne tracée, qui ne prenait pas en compte une petite île canadienne,

favorisait légèrement le Canada, Etat possédant la façade maritime la plus courte à l’intérieur du

golfe.

33. S’agissant des côtes pertinentes, en raison de l’emplacement de la frontière terrestre,

aucune des côtes situées à l’intérieur du golfe n’était manifestement dépourvue de pertinence (à

l’exception des côtes intérieures de la baie de Fundy), de même qu’aucune des côtes situées à

l’extérieur du golfe n’était pertinente aux fins de la délimitation. La question de la baie de Fundy a

néanmoins suscité le désaccord, si ce n’est la dissidence, du JugeSchwebel ( C.I.J. Recueil 1984,

p. 354-357).

34. M.Bundy invoque l’affaire du Golfe du Maine afin de démontrer que, en la présente

espèce, le segment7 ⎯à savoir la côte du golfe de Ka rkinits’ka orientée vers le nord ⎯ est

36
pertinente . Les deux situations sont cependant complètement différentes. Ce que M.Bundy

appelle l’«arrière» de la baie de Fundy, ou l’«arrière» de la Nouvelle-Ecosse, n’était que l’«arrière»

tel que vu depuis l’Atlantique. Cette zone faisait directement face à la frontière terrestre. Si la

frontière terrestre entre les deux Etats avait été située juste au nord du cap Cod, il est peu probable

que les côtes de la baie de Fundy aient revêtu une quelconque pertinence.

35. Quoi qu’il en soit, notre situation est complètement différente et les côtes opposées du

golfe de Karkinits’ka, très éloignées de la frontière terrestre et de la zone de délimitation, ne

sauraient en aucun cas être pertinentes en l’espèce. En outre, une ligne de fermeture tracée au

milieu du golfe de Karkinits’ka ou à un endroit quelconque de celui-ci ne saurait pas non plus être

considérée comme un substitut à la côte pertinente.

[Fin de l’onglet n o8.]

[Onglet n o 9 : représentations de la côte ukrainienne faisant face au sud.]

36
CR 2008/26, p. 35, par. 65; p. 36, par. 70 (Bundy); CR 2008/28, p. 47, par. 54 (Bundy). - 26 -

36. J’en viens à la question de la côte de l’ Ukraine faisant face au sud, à savoir la portion

occidentale du segment6. Ainsi que je l’ai i ndiqué lors du premier tour, cette partie, bien

qu’éloignée de la zone à délimiter, est orientée vers le large du bassin occidental de la mer Noire.

Elle est donc située en moyenne ⎯la côte occidentale du segment6 ⎯ à une distance d’environ
31

100milles marins de l’île des Serpents et cette zone est, en moyenne, située à bien moins de

100 milles marins des autres portions de la côte ukrainienne.

37. Il est cependant vrai que la côte de la Roumanie faisant face à l’est située dans le delta et

la côte de l’Ukraine faisant face au sud sont susceptibles d’engendrer des droits qui se chevauchent.

En réalité, la côte de l’Ukraine orientée vers le sud est également susceptible d’engendrer des droits

chevauchant ceux des côtes de la Bu lgarie et de la Turquie: cela ne la rend toutefois pertinente

vis-à-vis d’aucun des ces Etats. S’il devait néanmoins y avoir en théorie une délimitation entre la

côte du delta de la Roumanie et la côte de l’Uk raine faisant face au sud, la ligne de délimitation

serait située nettement au nord, et serait totalement dépourvue de pertinence à l’égard de la zone en

litige en la présente affaire.

38. La semaine dernière, M Bundy a projeté le graphique 3, lequel représente des projections

du segment 6. Il est étrange que les vagues de délimitation ⎯ si je puis m’exprimer ainsi ⎯ soient

assez puissantes pour atteindre la péninsule de Cr imée mais pas pour atteindre la zone du delta,

plus éloignée. Les vagues de délimitation semb lent s’affaiblir au fur et à mesure qu’elles

progressent.

39. En soi, ce graphique suffit à démontrer l’absence de pertinence des côtes du golfe de

Karkinits’ka faisant face au nord aux fins de la délimitation, côtes contre lesquelles les vagues de

délimitation engendrées par le segment 6 se brisent violemment.

[Fin de l’onglet 9.]

[Onglet 10 : représentations de toutes les côtes de l’Ukraine.]

40. Et tel est bien ce qui importe. Le segment 6 n’est pas dépourvu d’opposition ; il est en

compétition avec d’autres côtes ukrainiennes, bi en plus proches, comme vous pouvez le voir

actuellement à l’écran. Les vagues de délimita tion se rencontrent et rebondissent; et cela donne

37
CR 2008/26, p. 28-29, par. 42 (Bundy). - 27 -

naissance à … l’équidistance ! Il ne s’agit certain ement pas d’une démultiplication de la force du

segment6 par le biais de l’île des Serpents, bien que telle soit l’analy se que l’Ukraine fait de

l’affaire. Ce graphique est frappant ⎯et je profite de ce que vous l’examiniez pour remercier

l’équipe technique de la Roum anie, laquelle participe à la c oupe du monde cartographique en

affrontant une équipe de niveau international !

[Fin de l’onglet 10.]

[Onglet 11 : comparaison des côtes pertinentes des Parties.]

[Onglet 11 : Comparaison des zones pertinentes des Parties]

32 Zones pertinentes

41. Madame le président, Messieurs de la C our, j’en viens enfin à la question des zones

pertinentes, que l’Ukraine compare utilement dans un graphique exposé sous l’onglet 11 du dossier

de plaidoiries.

42. Ce que j’ai dit plus haut sur les segments 3 à 7 établit la non-pertinence des zones situées

au nord, notamment des eaux autour d’Odessa et de celles qui se trouvent à l’intérieur du golfe de

38
Karkinits’ka. Je ne répéterai pas ce que j’ai dit à leur propos lors du premier tour .

43. En ce qui concerne la prétendue «zone insignifiante» au sud-ouest, l’Ukraine attribue très

gentiment à la Roumanie des zones situées au sud de la ligne d’équidistance provisoire entre la

Roumanie et la Bulgarie. Cela a pour effet, si l’on applique la mé thode de délimitation de

l’Ukraine, d’augmenter les zones attribuées en théorie à la Roumanie, aux dépens de celle-ci; un

cadeau empoisonné donc. Nous affirmons que la zone pertinente est limitée soit par des

délimitations effectives avec des Etats tiers soit, en l’absence de délimitation, par une ligne

d’équidistance provisoire.

44. Toutefois, le désaccord de loin le plus important porte sur le triangle sud-est, que nous

incluons mais que l’Ukraine cherche à exclure. L’Ukraine fait valoir que cette zone a été délimitée

avec la Turquie, et qu’elle n’est pas revendiquée par la Roumanie 39. Mais certaines zones peuvent

être pertinentes pour plusieurs délimitations ⎯ comme dans Tunisie/Libye et Libye/Malte, où une

38
CR 2008/18, p. 65-66, par. 15 et 16 ; p. 69, par. 23-25 (Crawford).
39CR 2008/24, p. 25, par. 25 ; p. 36, par. 73 (Bundy); CR 2008/26, p. 40, par. 87-88 (Bundy); CR 2008/29, p.

47, par. 17-19 (Bundy). - 28 -

partie des espaces à considérer se chevauchait. Et que telle ou telle z one soit revendiquée ou non

n’a pas d’importance aux fins de la déterminati on de zones pertinentes; par exemple, des zones

très proches de la côte d’un Etat ne seront pas revendiquées par l’autre mais feront certainement

partie de la zone pertinente à des fins de délimitation. Ainsi l’Ukraine considère-t-elle à juste titre

que les zones de Constanţa sont pertinentes pour la délimitation, bien qu’elle ne les revendique pas.

[Fin de l’onglet 11]

[Onglet 12 : comparaison des zones pertinentes des Parties]

45. Ces deux graphiques montrent très clairement que le triangle sud-est est pertinent ici, à

l’exception de son extrémité. Le premier de ces graphiques ⎯l’onglet12 de votre dossier de

plaidoiries ⎯ est une projection de 200 milles partant des cô tes roumaines au nord et au sud de la

péninsule de Sacalin : celles-ci font directement face à la zone en question, sans qu’aucune façade

côtière ne s’interpose ni ne les masque.

[Fin de l’onglet 12]

33 [Onglet 13 : comparaison des zones pertinentes des Parties]

46. Le second graphique ⎯ l’onglet 13 de votre dossier de plaidoiries ⎯ est une projection

vers l’est de la côte méridionale de la Roumanie au-delà de Vama Veche. Ce secteur, comme je

l’ai expliqué, se trouve à l’extrême sud de la latitude du cap Sarych et fait directement face à l’est.

Contrairement au graphique précédent, il ne couvre pas toute la zone que l’Ukraine prétend

exclure, mais la plus grande partie. Le fait que l’Ukraine considère comme pertinent le triangle

équivalent à l’ouest, mais pas à l’est, crée une asymétrie manifeste.

47. Madame le président, Messieurs de la Cour, pour ces raisons, les longueurs côtières

pertinentes ainsi que les zones pertinentes en l’esp èce sont telles que précis ées par la Roumanie.

Mes collègues exposeront demain les conséquences que votre conclusion sur ce point aura ⎯ ou

n’aura pas ⎯ pour la délimitation.

[Fin de l’onglet 13]

Conclusions

48. Madame le président, Messieurs de la Cour, les affaires de délimitation maritime sont des

affaires d’ajustements mineurs, même lorsqu’ il existe de grandes différences de longueurs - 29 -

côtières: c’est ce que montre, par exemple, l’affaire Jan Mayen. C’est ce que montre aussi la

décision de tribunal arbitral dans l’affaire Barbade/Trinité-et-Tobago, où une différence importante

des longueurs côtières n’a donné lieu qu’à un ajusteme nt très mineur dans la délimitation finale.

Cette décision a été très bien accueillie ⎯ sauf, peut-être, par les conseils qui ont perdu ! L’affaire

du golfe du Maine est la seule pour laquelle l’applicati on d’une stricte proportion arithmétique a

conduit à s’écarter légèrement de la ligne d’équidi stance ; elle ne fait donc pas exception à la règle

selon laquelle la délimitation donne lieu à des ajus tements mineurs. Pour les raisons que j’ai

données, la décision de la Chambre n’est d’aucune pertinence en l’espèce.

Madame le président, ainsi s’achève cette par tie de mon exposé. Je vous prierais d’appeler

M. Dinescu à poursuivre.

LE PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Crawford. La Cour appelle maintenant

Monsieur Dinescu.

34 M. DINESCU : Je vous remercie beaucoup, Madame le président.

III.L A NON -PERTINENCE D ’« ACTIVITÉS ÉTATIQUES » DANS LA ZONE DE DÉLIMITATION

I. Introduction et considérations générales

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, dans ses écritures, l’Ukraine a fait valoir que

40
les prétendues «activités étatiques dans la zone pertinente» constituaient une circonstance

pertinente qui militait en faveur de la ligne de délimitation proposée 41. Ces activités ont été

42
abordées dans les sections consacrées aux circ onstances pertinentes dans le contre-mémoire et

dans la duplique 43. Et les résumés figurant à la fin du c ontre-mémoire et de la duplique incluent

44
aussi ces activités parmi les circonstances pertinentes .

2. S’écartant apparemment de sa position initiale, l’Ukraine a changé de tactique dans les

plaidoiries. Pour citer le conseil de l’Ukraine, Mme Malintoppi, les activités pétrolières et gazières

40CMU, chapitre 8, section 2, p. 201-206.

41Voir CMU, p. 213, par. 8.41 ; également DU, p. 119, par. 6.74.
42
CMU, chapitre 8, section 2, p. 212-219.
43DU, chapitre 6, section 4, p. 119-132.

44Voir CMU, p. 253, par. 11.1 (viii) ; également DU, p. 153, par. 9.3 (xii). - 30 -

ainsi que les opérations de surveillance des côtes de l’Ukraine «constituent un élément important de

la conduite des Parties subséquente à l’accord de 1949, qui réfute la thèse de la Roumanie quant à

45
l’existence d’un accord sur une frontière à toutes fins à l’époque» . Cette idée est apparue

plusieurs fois dans les plaidoiries de l’Ukraine la semaine dernière, tandi s que la «vieille» idée

selon laquelle les activités des Etats peuvent être considérées comme une circonstance pertinente

pour la délimitation n’a été abordée qu’une seule fois 46.

3. La nouvelle allégation que l’ Ukraine a formulée en l’espèce est aussi intenable que la

précédente.

4. Je répondrai dans les prochaines minutes à cette nouvelle allégation ukrainienne et je

mentionnerai également brièvement d’autres aspects qui, après l’exposé qu’a fait l’Ukraine

vendredi dernier, doivent être clarifiés. Avant cela, deux observations s’imposent.

35 5. La première touche aux conséquences d es dispositions de l’accord additionnel de 1997

pour la question des activités étatiques. Vendredi dernier, le conseil de l’Ukraine a tenté de

minimiser la pertinence de l’accord additionnel pour notre affaire, mais aucun des arguments

juridiques présentés par la Roumanie n’a été contesté. De son côté, MmeMalintoppi a fait deux

déclarations inexactes quant aux faits, à savoir qu’ «un certain nombre» des permis ukrainiens ont

été accordés avant la conc lusion de l’accord additionnel 47, et que de toute façon, les coordonnées

de la zone en question, celle où les activités pé trolières des deux Parties étaient couvertes par le

régime juridique spécial de l’accord additionnel, n’avaient jamais été fixées 48.

6. Le «nombre» de permis accordés par l’ Ukraine avant 1997 s’élève, en fait, à un ⎯ le bloc

Delphin. Bien entendu, exprimé en pourcentage, ce nombre est effectivement important ⎯ puisque

l’activité pétrolière de l’Ukraine se limite à seulement trois concessions !

7. En ce qui concerne la définition de la zone contestée, MmeMalintoppi s’est encore

trompée: cette zone a bien été définie sur la base des lignes revendiquées par les Parties au tout

début du processus de négociations, et a été reconfirmée plusieurs fois durant ce processus. En fait,

45CR 2008/28, p. 34, par. 43.
46
Voir CR 2008/28, p. 34, par. 45.
47
Voir CR 2008/28, p. 32, par. 35.
48Ibid. - 31 -

les lignes revendiquées par les Partie s étaient bien connues même avant ⎯comme le prouve

l’échange de correspondance diplomatique de 19 95, par laquelle les deux Etats se communiquent

leurs prétentions maritimes. J’ai examiné en détail cet échange diplomatique de 1995 lors du

premier tour de plaidoiries de la Roumanie et je ne répéterai pas ce que j’y ai dit 49.

8. Ma seconde remarque concerne la date criti que. Fait surprenant, l’Ukraine est arrivée à la

conclusion suivante : «en admettant qu’il y ait bien une date critique, et que cette date ait un rôle à

jouer dans la délimitation maritime , il s’agit de la date de la requê te de la Roumanie, à savoir le

16 septembre 2004» 50.

9. Madame le président, Messieurs de la C our, dans tout différend, il faut une date

d’apparition, une date de cristallisation. Ainsi, tout différend a une date critique. Cette observation

s’applique à toutes sortes de différends et la dé limitation maritime n’est pas une exception. Mon

36 collègue M. Daniel Müller a expliqué au cours du premier tour que pour ce qui est de la pertinence

51
de la date critique, la délimitation maritime ne se distingue guère de son homologue terrestre .

10. L’importance de la date critique dans les différends maritimes est confirmée par l’affaire

Nicaragua c. Honduras. Dans l’arrêt rendu en octobre de l’a nnée dernière, la Cour a dit : «dans le

contexte d’un différend portant sur une délimita tion maritime ou d’un différend relatif à la

souveraineté sur un territoire, l’importa nce de la date critique consiste… (Différend territorial et

maritime entre le Nicaragua et le H onduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras),

arrêt du 8octobre 2007, par.117). Je ne m’y atta rderai pas davantage, ce paragraphe extrait de

52
l’arrêt de 2007 ayant déjà été cité et analysé dans nos plaidoiries il y a deux semaines .

11. De toute évidence, il n’est pas toujours facile d’établir la date critique. Les différentes

vues exposées par les Parties dans Nicaragua c. Honduras en sont un exemple. Toutefois, l’affaire

qui nous intéresse est différente. Dans notre cas, il serait assez étonnant de considérer que le

différend s’est fait jour en 2004, quand la Roumanie a saisi la Cour. De même, il ne serait pas

fondé de dire que le différend s’est cristallisé en 1997, à la date de la conclusion de l’accord

49Voir CR 2008/21, p. 22-23, par. 8-10.
50
Voir CR 2008/28, p. 25, par 6.
51
Voir CR 2008/21, p. 17-18, par. 17.
52Voir CR 2008/21, p. 117-118 (Müller) ; p. 22, par. 17 (Dinescu). - 32 -

additionnel, et cela ressort clairement du libellé dudit accord. A ce propos, j’aimerais corriger une

autre erreur de l’Ukraine : dans notre réplique, nous n’avons pas choisi 1997 comme date critique,

nous avons dit plus précisément que la date de l’ac cord additionnel était «la date critique la plus

53
récente possible en l’espèce ». L’échange de correspondance di plomatique de 1995 n’a pas non

plus révélé le différend pour la pr emière fois : il a simplement confirmé son existence et sa portée.

En fait, la réalité a été présentée très éloquemment par l’agent de l’Ukraine dans ses remarques

liminaires mardi dernier, quand il a fait référence aux négociations relatives à la délimitation qui se

sont déroulées dans le passé: «Etat successeur de l’URSS, [l’Ukraine] a hérité avec la Roumanie

d’un épineux problème 54».

12. En conclusion, le différend est antérieur à l’indépendance de l’Ukraine. Cependant, aux

fins de la présente affaire, et au regard des ac tivités ultérieures invoquées par l’Ukraine, et je pense

ici aux «activités étatiques» menées dans la zone en litige et aux activités menées sur l’île des

Serpents, il suffit de dire qu’en tout état de cause, la date critique la plus récente possible est 1995.

37
II. L’allégation de l’Ukraine selon laquelle les activités étatiques menées dans la zone en litige
prouvent la non-existence d’un accord antérieur relatif à l’île des Serpents

13. Madame le président, Messieurs de la C our, j’aborde à présent la nouvelle interprétation

que fait l’Ukraine des «activités étatiques» menées dans la zone en litige, à savoir qu’elles

constituent un élément qui «réfute la thèse de la Roumanie quant à l’existence d’un accord sur une

55
frontière à toutes fins» , conclu en 1949. Contrairement à l’affirmation précédente (à savoir que

les activités étatiques constituent une circonstance pertinente), qui mettait l’accent sur les activités

ukrainiennes, dans cette nouvelle pièce, le rôle pr incipal est attribué aux activités roumaines ou,

comme l’Ukraine veut nous le faire croire, à leur non-existence.

14. Cela est fondé sur une supposition erronée, à l’image d’autres ar guments qu’invoque la

partie adverse pour contester la validité et le sens des procès-verbaux de 1949.

53RR, p. 165, par. 5.106.
54
CR 2008/24, p. 13, par. 14.
55CR 2008/28, p. 34, par. 43. - 33 -

15. Cette supposition erronée réside dans le fait que les concessions accordées par la

Roumanie après 1990 représentent les seules activités étatiques entreprises par ce pays dans la zone

en litige.

[Projection n 1 : les activités de la Roumanie dans la zone à délimiter]

16. La figure projetée à l’écran et reproduite sous l’onglet III-1 du dossier des plaidoiries est

une illustration précise des activités de la Roumanie dans la zone à délimiter. La semaine dernière,

l’Ukraine a critiqué cette carte, disant qu’elle n’était pas datée, qu’aucune source n’avait été

indiquée, et que ce n’était pas un modèle de clarté 56. En fait, cette carte a été produite par la

Roumanie dans ses écritures dans le but de présenter les secteurs couverts par toutes les activités

menées dans la zone à délimiter sur une période de plus de quarante ans, sur la base d’informations

fournies par les organismes compétents de la Roumanie. Pour ce qui est de la clarté, la carte

comprend une légende qui indique très clairement le sens des lignes et des points : ils représentent

des profils sismiques relevés par la Roumanie à divers moments et des puits d’exploration forés par

la Roumanie.

17. D’autre part, si dans ses pièces de procédure écrite, l’Ukraine nous accuse de faire des

allégations qui sont «difficiles à concilier av ec les données publiées réunies par Petroconsultants,

un cabinet de consultants indépendant 57», elle est à présent peu satisfaite des données fournies par

la Roumanie, extraits de publications spécialisé es aussi dignes de foi et aussi indépendantes que

38 Petroconsultants. Jeudi dernier, MmeMalintoppi a jugé bon de mentionner que «la Roumanie

citait une source secondaire à l’appui de cette in formation», en invoquant des études publiées dans

la revue Marine Geology 58. En réalité, ces études indépendantes témoignent des activités de la

Roumanie dans la zone en litige.

[Fin de la projection n o 1]

[Projection n 2: secteurs couverts par les profils sismiques industriels de la Roumanie (traits

épais) relevés en 1970-1971 et 1981-1988, par les profils sismiques de haute résolution réalisés
dans le cadre des croisières de recherche de 1992, 1993 et 1994 (traits fins) et par les trous de
forage1Ovidiu et 13Heraclea (extraits de Upper Quaternary water level history and

sedimentation in the northwestern Black Sea, Marine Geology 167(2000), p.127-146, également

56
CR 2008/28, p. 28, par. 19.
57
RU, p. 125, par. 6.93.
58CR 2008/28, p. 28, par. 18. - 34 -

disponibslur ht:t/p/www.geo.edu.ro/s gr/mod/downloads/PDF/Winguth-MarGeo-2000-167-
127.pdf, p. 129)]

18. Ainsi, les auteurs d’une étude publi ée en 2000 ont eux-mêmes indiqué avoir utilisé

comme source «l’analyse et l’interprétation de quelq ue 3300km de profils sismiques industriels

multicanaux obtenus en 1970–71, 19 81–88 et 1994, et publiés par les sociétés d’exploration

59
roumaines PETROMAR et PROSPECTIUNI» . La figure projetée (qui est également reproduite

sous l’onglet III-2 de vos dossiers) illustre le secteur couvert par ces activités d’exploration menées

par la Roumanie.

[Fin de la projection n o 2]

[Projection n o3: secteur exploré par les sociétés roumaines Petrom et GeoEcoMar et par

l’expédition conjointe franco-roumaine BlaSON (extrait de «The Danube submarine canyon (Black
Sea) : morphology and sedimentary processes», Marine Geology 206 (2004) 249-265, p. 251)]

19. Une autre étude 6, publiée dans la même revue spécialisée en 2004, montre un autre

secteur exploré par la Roumanie, seule et en co llaboration avec une société française, à divers

périodes. Les profils roumains publiés par les co mpagnies roumaines sont le résultat des activités

d’explorations antérieures de la Roumanie, alors que l’exploration conjointe franco-roumaine date

de 1998 61. La zone couverte par ces activités d’exploration est à présent représentée à l’écran et

reproduite sous l’onglet III-3 du dossier des plaidoiries.

o
39 [Fin de la projection n 3]

[Projection n 4 : secteur couvert par les activités d’exploration présentées dans les études intitulées

«Upper Quaternary water level history and sed imentation in the northwestern Black Sea», Marine
Geology 167 (2000), p. 127-146 et «The Danube submarine canyon (Black Sea) : morphology and
sedimentary processes», Marine Geology 206 (2004), p. 249-265 et zone en litige]

20. Madame le président, Messieurs de la Cour, vous voyez à présent superposés à l’écran

les secteurs couverts par les activités d’explor ation de la Roumanie, auxquels nous avons

également superposé le secteur à présent contesté. Il est clair que le secteur couvert par les

activités de la Roumanie coïncide pratiquement avec toute la zone maritime revendiquée par

celle-ci, y compris les espaces maritimes situés im médiatement au sud de la frontière maritime

59«Upper Quaternary water leve l history and sedimentation in the northwestern Black SMarine Geology

167(2000), p.127-146, également disponible sur http://www.geo.edu.ro/sgr/mod/downloads/PDF/Winguth-MarGeo-
2000-167-127.pdf, p. 128.
60«The Danube submarine canyon (Black Sea) : morphology and sedimentary processes», Marine Geology
206 (2004), p. 249-265.

61Voir «Messinian event in the Black Sea: Evidence of a Messinian erosional surface», Marine Geology
244 (2007), p. 150 - 35 -

établie sur l’arc d’un rayon de 12milles marins au tour de l’île des Serpents. Cela montre le

caractère erroné de l’affirmation de l’Ukraine selon laquelle les activités menées par la Roumanie

dans la zone considérée ne coïncident pas avec la frontière maritime établie sur l’arc d’un rayon de

12 milles marins qui entoure l’île des Serpents.

o
[Fin de la projection n 4.]

[Reprise de la projection n o 1.]

21. Pour ce qui est des secteurs couverts pa r les concessions accordées par la Roumanie

après 1990, que l’Ukraine cite beaucoup, nous av ons expliqué que cela était l’expression de la

prudence dont a fait preuve la Roumanie en octroyant des concessions dans le cadre des

62
négociations relatives à la délimitation maritime qui étaient alors en cours .

22. Dans sa réponse, MmeMalintoppi demande de manière rhétorique: «si un secteur est

déjà délimité, comme le prétend la Roumanie, est-il besoin de suivre un «comportement

prudent 63?» et cite la note verbale de la Roumanie de 1995 selon laquelle aucun accord sur la

64
délimitation entre la Roumanie et l’Ukraine n’a été conclu .

23. Madame le président, il y a deux semain es, j’ai brièvement a bordé l’histoire des

négociations sur la délimitation entre la Roumanie et l’ex-URSS, puis l’Ukraine, après

l’indépendance de celle-ci, et j’ai exposé les rais ons qui ont poussé la Roumanie à faire preuve de

prudence dans l’octroi des concessions pétrolièr es ou gazières. Comme il ressort des documents

relatifs aux négociations roumano- soviétiques, reproduits dans les annexes du mémoire de la
40
Roumanie 65, à la fin des années 1970, l’Union Soviétique a commencé à contester la validité et le

sens des procès-verbaux de 1949, ce qui a condu it le chef de la délégation roumaine aux

négociations tenues en 1987 à réaffirmer clairement la position de la Roumanie :

«[n]os gouvernements définirent en 1949 une ligne de délimitation sui generis qui

confirma le transfert de l’île des Serpents à l’URSS et dota celle-ci en partie
expressément et en partie implicitement, d’un espace maritime semi-circulaire d’un
rayon de 12milles, dont la limite extéri eure sur le segment séparant les eaux
66
roumaines des eaux soviétiques reçut les caractéristiques d’une frontière d’Etat .»

62Voir CR 2008/21, p. 29-30, par 32-35.

63CR 2008/28, p. 33, par. 38.
64
Voir CR 2008/28, p. 34, par. 44.
65Voir MR, Annexes MR 28-MR 31.

66MR, Annexe MR 31. - 36 -

24. Cette contestation des accords de 1949 a conduit au rattachement des espaces situés au

sud de la frontière maritime qui longe l’arc d’un rayon de 12milles marins autour de l’île des

Serpents au secteur en litige entre la Roumanie et l’URSS, et par conséque nt, à la zone où la

Roumanie s’est abstenue, après 1990, d’octroyer des concessions–– même si elle a poursuivi ses

activités d’exploration dans cette zone, comme je vi ens de le montrer. Cependant, qu’une partie,

l’URSS, ait, à partir d’un moment, contesté la validité des accords de 1949 ne signifie pas que ces

accords n’existent pas ou ne devraient pas être pris en compte. Le professeur Crawford va revenir

sur ce point sous peu.

[Fin de la projection n° 1]

Madame le président, il me reste encore deux pages, puis-je continuer ?

Le PRESIDENT : Je vous en prie.

M. DINESCU : Je vous remercie.

III.Les activités menées par l’Ukraine dans la zone en litige concernant le pétrole et la
surveillance des côtes

25. Je passe maintenant aux activités invoquées par l’Ukraine. Ce thème ne prendra guère de

temps, l’Ukraine n’ayant rien ajouté de neuf au tableau.

[Projection 5 : la zone en litige et les concessions ukrainiennes]

26. En ce qui concerne ses activités gazières et pétrolières—dont voici une illustration à

l’écran—, l’Ukraine n’a rien ajouté à ce qu’elle avait produit dans ses écritures. Nos

contradicteurs continuent de soutenir que «ces activités sont conformes à la ligne de démarcation

41 de l’Ukraine» 67, mais un simple coup d’Œil à la carte, à leur emplacement, suffit à prouver le

contraire. Le conseil de l’Ukraine a aussi a ffirmé que la Roumanie n’avait protesté «qu’à deux

reprises seulement» 68contre les activités ukrainiennes en matière d’hydrocarbures. Mais, dans sa

réplique, la Roumanie a produit des éléments de preuve au sujet de la correspondance diplomatique

qu’elle a adressée à l’Ukraine entre2001 et2006 69. Il faut y ajouter la note verbale roumaine

67CR 2008/28, p. 34, par. 45.
68
CR 2008/28, p. 32, par. 36.
69Voir RR, p. 252-255, par. 7.21-7.30. - 37 -

70
de 1995 , ainsi que le document roumain antéri eur dont il est fait état dans cette

note ⎯ l’aide-mémoire adressé en 1993 à l’Ukraine pa r la Roumanie, après que celle-ci eut appris

que l’Ukraine entendait accorder la concession Delphin.

27. MmeMalintoppi n’a pas davantage contesté nos conclusions sur la pertinence de

l’accord additionnel relatif aux activités pétrolières et gazières des Parties, si ce n’est en ce qui

concerne ces deux questions mineures que j’ai évoquées au début de mon intervention; nos

conclusions restent donc valables.

[Fin de la projection 5.]

28. Pour en venir aux patrouilles navales — ou, comme l’Ukraine les appelle maintenant, les

«activités de surveillance des côtes»—, celles-ci ont toutes été menées après la date critique et

toutes, sauf une, après l’entrée en vigueur de l’accord additionnel de1997. Partant, nos

conclusions n’ont pas été réfutées.

29. L’Ukraine exhume des pièces de procédur e écrite son argument relatif à l’existence

71
d’une prétendue «ligne provisoire» de délimitation entre la Roumanie et elle, qui correspond à

celle qu’elle revendique et aurait été portée à la connaissance de la Roumanie et d’Etats tiers. Mais

72
l’Ukraine admet volontiers que cette «ligne provisoire» n’a jamais été acceptée par la Roumanie .

30. D’ailleurs, le fait que cette ligne ait ét é portée à la connaissance d’autres Etats ne revêt

pas la moindre pertinence pour la présente affair e. Aucun Etat n’a jamais reconnu la «ligne

provisoire» ukrainienne 73.

31. Le conseil de l’Ukraine a également invoqué un incident de 2006 concernant un avion de

la police des frontières ukrainienne et des batea ux de pêche roumains. Comme l’Ukraine l’admet,

la Roumanie a réagi à cet incident par une note ve rbale, qui figure à l’annexe37 de sa réplique.

42 Cet incident—qui, soit dit en passant, a eu lie u bien après la date critique—n’a aucune

pertinence dans le cadre de la présente instance.

70CMU, vol. 3, annexe 25.
71
Voir CR 2008/28, p. 29-30, par. 22-24.
72
Voir CR 2008/28, p. 29, par. 23.
73Voir RR, p. 260-263, par. 7.43-7.48. - 38 -

IV. Conclusion

32. Madame le président, Messieurs de la Cour, face à l’ensemble des éléments concernant

les «activités étatiques» menées dans la zone en litige, une seule conclusion claire peut être

formulée : l’Ukraine n’a pas démontré que ces activit és étatiques satisfaisaient, en fait ou en droit,

aux critères nécessaires pour les transformer en une circonstance pertinente capable d’influer sur

notre délimitation.

L’Ukraine n’est absolument pas parvenue non plus à asseoir sa nouvelle thèse, selon laquelle

les activités en question pourraient battre en brèche l’argument de la Roumanie qui se rapporte aux

procès-verbaux de 1949.

Pour paraphraser l’éminent conseil de l’Ukraine, toutes les allégations ukrainiennes relatives

aux activités étatiques dans la z one pertinente ne sont rien d’autre qu’un «pur produit de
74
l’imagination de l’Ukraine» .

Madame le président, Messieur s de la Cour, je vous remerc ie pour la patience avec laquelle

vous m’avez écouté. Madame le président, je pense que le moment serait bien choisi pour marquer

notre pause. Si vous le permettez, M. Crawford poursuivra ensuite la présentation de la Roumanie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Dinescu. La Cour va maintenant se retirer.

L’audience est suspendue de 11 h 30 à 11 h 45.

M. CRAWFORD :

La frontière délimitée autour de l’île des Serpents

Madame la présidente, Messieurs de la Cour, je vais maintenant me pencher sur la frontière

délimitée autour de l’île des Serpents, et répondre au grand nom bre d’arguments avancés à cet

égard par M. Michael Wood.

[Projection : carte ukrainienne de 2001 (MR A 23)]

74
Voir CR 2008/28, p. 35, par. 47. - 39 -

L’argument n’est pas nouveau
43

2. M. Wood a notamment fait valoir qu’il s’agissait d’un argument nouveau, inventé par les

conseils pour les besoins de l’espèce 7. On sentait qu’il était particulièrement satisfait de pouvoir

crier «argument nouveau, argument nouveau» ⎯ comme cet espagnol de ja dis proclamant : «qu’il

n’y ait plus rien de nouveau !» Malheureusement pour M. Wood ⎯ j’ai presque envie de l’appeler

Don Miguel ⎯ l’argument n’est pas nouveau. Il incombe souvent aux conseils de clarifier et de

développer des positions prises par des diplomates et gouvernements qui, certes, et au désespoir de

leurs conseillers juridiques, ne sont pas toujours des modèles de cohérence. Mais il y a néanmoins

des transactions auxquelles la Cour donne effe t à moins qu’il n’ait été renoncé aux droits

correspondants ou que ceux-ci aient été abandonnés. Et le fait est que l’argument concernant

l’accord de 1949 a été développé sur la base des documents disponibles. La Cour apprendra avec

soulagement que nous n’avons pas fabriqué les cartes de toutes pièces ! Je n’ai jamais rencontré le

cartographe ukrainien qui a établi la carte de 200 1 que vous pouvez voir sur vos écrans (il s’agit de

76
l’ongletV-1 de votre dossier de plaidoiries) ni le cartographe allemand qui a en toute

indépendance représenté la même frontière en1991 77. Ce que montrent ces cartes est clair et

n’était pas nouveau. Mon collègue M.Olleson, qui avec votre permission Madame le président,

prendra la parole après moi, se penchera sur l es spéculations de M. W ood concernant les cartes

⎯ au sujet desquelles M. Wood lui-même a émis quelques idées nouvelles.

[Fin de la projection.]

3. Mais ce ne sont pas seulement les cartes qui montrent qu’il ne s’agit pas d’un argument

nouveau. M. Wood a évoqué le compte rendu des négociations tenues avec l’Union soviétique en

octobre1997: mon collègue, M.Dinescu, en a lu le passage pertinent et je n’y reviendrai pas. Il

montre de manière tout à fait claire que tous les éléments essentiels de la thèse roumaine étaient

déjà en place à l’époque. Ce qui relève du rêve dans tout cela est l’argument de l’Ukraine

concernant la mer territoriale «future» de la Rouman ie, qui est apparu pour la première fois dans le

contre-mémoire.

75CR 2008/26, p. 46, par. 9 (x) (Wood).
76
CMU, annexe MR A 23.
77CMU, annexe MR A 41. - 40 -

4. Je souhaite également appeler votre attention sur la carte qui figurait dans la notification

adressée en 1997 par la Roumanie au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, sur laquelle

étaient représentés les points de base à partir desquels sa mer territoriale était mesurée. L’Ukraine

semble avoir eu des difficultés dans ses écritures 78 à reproduire cette carte avec les couleurs

voulues, même si ses écritures sont par ailleurs très colorées. Une reproduction fidèle de cette carte

telle qu’elle a été adressée au Secrétariat figure maintenant à l’écran 79. Vous pouvez y voir la ligne
44

indiquant la limite extérieure de la mer territoriale, la première des lignes parallèles à la côte, et la

mer territoriale est colorée en rose. Désolé, cela ne figure pas sur mon écran, ce qui signifie qu’elle

n’est pas non plus sur le vôtre. Je vous fais m es excuses. Ce document est la figure23 de la

réplique de la Roumanie, et je suis désolé que nous ayons ce pe tit problème. Les week-ends de

travail ne sont pas toujours fructueux. Mais je vous renvoie à la réplique de la Roumanie,

figure23, et vous y verrez qu’il y a une ligne indiqu ant la limite extérieure de la mer territoriale,

laquelle est colorée en rose. La zone contigüe est quant à elle colorée en vert. En haut de cette

carte, dans le secteur de l’île des Serpents, vous pouvez clairement voir que le point le plus

septentrional de la limite extérieure de la mer te rritoriale est situé sur un arc autour de l’île des

Serpents. Cette carte a été présentée en 1997 ; l’Ukraine n’a jamais formulé aucune objection à son

encontre. C’est un nouvel exemple qui montre qu’il ne s’agissait pas d’un argument nouveau.

La prétendue renonciation de la Roumanie

5. On vient ensuite nous dire que la Roumanie a renoncé aux droits qu’elle tient de l’accord

de 1949 ⎯ ou du moins a reconnu qu’elle n’en avait auc un. Dans ce contexte, j’appelle l’attention

80 81
sur la note verbale du 28juillet1995, citée aussi bien par M. Wood que par Mme Malintoppi .

Ces derniers ont déclaré que la Roumanie av ait expressément reconnu qu’il n’y avait pas de

délimitation convenue. La phrase citée par l’Ukrain e est la suivante: «il n’existe aucun accord

entre l’Ukraine et la Roumanie portant sur la délimitation des espaces maritimes dans la

merNoire». Nous avons fourni une autre traduc tion de la note verbale en question, qui devrait

78CMU, figures 5.13 et 5.14.
79
RR, figure 23.
80
CR 2008/24, p. 58, par. 51 (Wood) ; CR 2008/26, p. 43, par. 4 (Wood).
81CR 2008/28, p. 34, par. 44 (Malintoppi). - 41 -

figurer sous l’ongletIV-4 de votre dossier. Co rrectement traduit, le passage en question se lit:

«Puisqu’aucun accord n’a été conclu entre la Roumanie et l’Ukraine sur la délimitation des espaces

maritimes en mer Noire, la partie roumaine…», etc. Cette formule vise clairement l’absence

d’accord entre les Parties en ce qui concerne la dé limitation du plateau continental et de la zone

économique exclusive dans leur ensemble. Il ne signifie pas que la Roumanie admettait que les

accords de1949, conclus avec l’Union soviétique, non avec l’Ukraine, n’avaient pas délimité une

partie de la frontière.

45 6. L’Ukraine invoque à maintes reprises l’acco rd de1997, et le fait qu’il ne mentionnait

82
aucun frontière convenue aut our de l’île des Serpents . Je note qu’à d’autres égards, elle ignore

cet accord de1997. Je me pencherai sur ce point lorsque j’en arriverai à la question de la

compétence, à la fin du présent exposé.

7. Il est exact, comme l’a expliqué M.Dinescu, que des négociations ont eu lieu avec

l’Union soviétique et avec l’Ukra ine lors desquelles d’autres solutions qu’une semi-enclave autour

de l’île des Serpents ont été envisagées. Mais lors de négociations, des offres de règlement peuvent

être faites qui s’écartent de la position juridique de l’Etat qui fait ces offres. Ceci se fait sur une

base «sans préjudice», et rien ne doit être déduit d’ un tel comportement quant à la solidité de la

position juridique sous-jacente.

Charge de la preuve

8. J’en viens maintenant à la charge de la preuve. En huitoccasions la semaine dernière,

M. Wood a souligné que la Roumanie avait «la ch arge» voire «la «lourde charge» de montrer qu’il

83
existait une frontière convenue . Pour lui: «Il appartient à la Roumanie, la Partie qui fait valoir

l’existence d’un accord, de le prouver» 84.

9. Dans ce contexte, M. Wood a à maintes reprises évoqué votre d écision dans l’affaire

Nicaragua c.Honduras dans laquelle vous avez affirmé que «[l]’établisssement d’une frontière

maritime permanente [était] une question de grande importance, et un accord ne [devait] pas être

82
CR2008/24, p.12, par.9 (Vassylenko); p.28, par.36 (Bundy) ; p. 47, par. 50 et 49, par. 60 ; CR 2008/26,
p. 44, par. 9 i) (Wood) ; CR 2008/28, p. 24, par. 50 (Wood).
83CR2008/24, p.37, par.2 (Wood); CR2008/26, p.43, pa r.5 et 6; p.44, par.7 et 9 (Wood); CR2008/28,

p. 10, par. 1 ; 16, par. 28 ; 24, par. 52 (Wood).
84CR 2008/26, p. 43, par. 5 (Wood). - 42 -

présumé facilement» (Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la

85
mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras) , arrêt du 8 octobre 2007, par. 253) . Bien entendu, il

s’agit d’une affaire dans laquelle il vous était demandé s’il existait un accord tacite entre les parties

au sujet de la délimitation. Il y a eu des affaires comparables dans lesquelles on a essayé de

déduire l’existence d’un accord de la pratique ⎯la pratique pétrolière dans l’affaire Cameroun

c. Nigéria, par exemple ( Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria

(Cameroun c.Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J.R
ecueil2002 , p.447,

par. 302-304).

10. Mais la présente affaire est différent e. A écouter M. Wood, avec ses références
46

constantes à des «charges» et «réponses à donne r», on pouvait penser qu’il s’agissait d’une

question de preuve de l’existence d’un accord ⎯que la Roumanie avait fait apparaître un accord

non existant concernant la frontière maritime aut our de l’île des Serpents, accord dont il n’y aurait

aucune trace dans le dossier.

11. Mais, manifestement, il y avait un accord; de fait, il y a un certain nombre d’accords

⎯ils vous sont déjà familiers. Etant donné que ces accord existent et obligent les parties, la

question n’est plus une question de preuve. Il ne s’agit pas d’une qu estion de preuve, ni de charge

de la preuve, ni de déduire l’existen ce d’un accord. Il s’agit d’une question d’ interprétation des

accords qui lient les parties. Qu’établissent, interprétés comme il convient, les procès-verbaux

de 1949 et les accords postérieurs ?

12. Aux fins de l’interprétation, il n’y a aucune présomption dans un sens ou dans un autre

de ce que les Parties sont convenues : un tel princi pe spécial d’interprétation restrictive des accords

de délimitation n’est étayé ni par la doctrine ni par la jurisprudence, et il ne serait pas justifié. La

question est tout simplement la suivante : «qu’est-ce qui a été convenu ?».

La «frontière d’Etat»

13. A cet égard, la première question à laquelle il faut répondre est la suivante: «y avait-il

une frontière convenue au-delà de la mer territori ale de 6milles marins de la Roumanie telle

qu’elle existait lorsque les procès-verbaux de 1949 ont été conclus ?» . La réponse à cette question

85
Voir CR 2008/24, p. 37, par. 3 (Wood) ; CR 2008/26, p. 43, par. 5 et 6 ; et p. 51, par. 27-28 (Wood). - 43 -

est incontestablement: «oui» ⎯il avait été convenu que la frontière s’étendait au-delà de la mer

territoriale, comme je vous l’ai montré lors du pr emier tour de plaidoiries. Sur les croquis annexés

aux procès-verbaux individuels de 1989, la frontière est représentée à l’aide de même symbole sur

toute sa longueur, et des indicateurs d’attribution à la Roumanie et à l’Union soviétique sont

clairement visibles de part et d’autre de la li gne en des points situés bien en dehors de la mer

territoriale roumaine. Ceci est vrai, notamment, de la carte 134. A n’en pas douter, il y avait une

frontière convenue au-delà des zones qui sont maintenant sous la souveraineté de la Roumanie.

L’idée que les accords de1989 et les accords ulté rieurs ont seulement délimité une «frontière

d’Etat» séparant des zones relevant de la souveraineté des deux Etats est incorrecte.

14. M. Wood a tenté d’éviter ce point évident en déclarant en plusieurs occasions que les

Parties ont dû avoir à l’esprit la mer territoriale «f uture» de la Roumanie, ou l’extension future de

la mer territoriale à 12milles marins. Il est même allé jusqu’à dire que le point terminal de la

47 prétendue frontière convenue figurant sur la carte134 n’était pas identifié au moyen de

coordonnées «sans doute parce que la Roumanie n’av ait pas encore élargi sa mer territoriale à

86
12 milles marins» . «Sans doute» ! Apparemment, «sans doute» suffit à l’Ukraine.

15. Ayant ainsi deviné les motivations des Pa rties, M. Wood a alors suggéré que le point

marquant l’étendue de l’arc autour de l’île des Se rpents sur la carte 134 était le même (ou presque

le même) 87 que le point F, le point convenu en 2003 ; c’ était selon lui le point que la Roumanie et

l’URSS avaient dû avoir à l’esprit. Mais comme je l’ai expliqué durant le premier tour de

plaidoiries de la Roumanie, ceci ne peut être exact 8. Je ferai simplement quatre observations :

⎯ premièrement, absolument rien n’indique, dans les procès-verbaux de 1949 ou ailleurs, que les

parties avaient à l’esprit une mer territoriale «future» de la Roumanie ;

⎯ deuxièmement, si la délimitati on ne les concernait que jusqu’à 12milles marins du continent,

on aurait pu s’attendre à ce que cela soit indiqué d’une manière ou d’une autre dans le texte des

procès-verbaux de 1949. Or, cela n’y est pas indiqué ;

86
CR 2008/24, p. 38, par. 9 ; et p. 41, par. 24 (Wood) ; CR 2008/26, p. 44, par. 9 ii) (Wood) ; CR 2008/28, p. 13,
par. 84 (Wood) ; voir aussi CR 2008/26, p. 48, par. 17 (Wood).
87
CR 2008/24, p. 38, par. 9 (Wood).
88CR 2008/19, p. 48-49, par. 97-109 (Crawford). - 44 -

⎯ troisièmement, les attributions d’espaces maritimes aussi bien sur les cartes que sur les croquis

sont incompatibles avec cette thèse. Elles s ont coupées par la limite extérieure de la mer

territoriale «future» de 12milles marins sur la base de la géographi e côtière, telle qu’elle

existait en 1949 ;

⎯ quatrièmement, l’idée que le point terminal de la carte 134 était censé refléter la mer territoriale

«future» de la Roumanie ne semble pas compatible avec cette géographie côtière. J’ai déjà

89
expliqué comment la digue de Sulina av ait été allongée au fil des ans depuis1949 . La mer

territoriale «future» de 12milles marins de la Roumanie, même si la Roumanie et l’URSS

l’avaient à l’esprit à l’époque, au rait coupé l’arc de 12milles marins à plus d’un mille au

nord-ouest du point innommé qui figure sur la carte134. Mais une distance de 12milles

marins mesurée depuis l’extrémité de la di gue de Sulina ne constituait pas un mystère à

l’époque : les parties connaissaient la géographi e côtière, et elles disposaient des compétences

techniques pour procéder aux mesures. Si elles avaient voulu dessiner ce point, on peut

supposer qu’elles l’auraient fait correctement.

48 16. Ainsi, selon les propres arguments de l’Uk raine, la Roumanie et l’URSS ont fixé une

portion substantielle de la frontière au delà de la mer territoriale «future» de 12 milles. L’argument

de M. Wood selon lequel dans le traité de2003 l’Ukraine et la Roumanie n’ont fait que

«reconfirm[er] la délimitation de leur mer terr itoriale qui avait été convenue en1949 et déjà

confirmée en1961» 90 est intenable. Ce n’est tout simpleme nt pas vrai que la frontière jusqu’au

point F a été convenue en 1949 en tant que frontière entre les mers territoriales. Le point F n’a pas

pu être envisagé en 1949.

17. Ceci met à mal l’argument soigneusement construit par M. Wood, à savoir qu’il faut

distinguer entre les instruments relatifs à la fron tière d’Etat et ceux relatifs à la délimitation des

zones économiques exclusives et du plateau continental.

18. Je note en passant que l’argument initial de l’ Ukraine, selon lequel les parties, au-delà de

la mer territoriale de 6milles, avait délimité la limite extérieure de la zone 12milles de

89
CR 2008/19, p. 49, par. 106 (Crawford).
90
CR 2008/24, p. 38, par. 11 (Wood). - 45 -

l’Unionsoviétique, de l’autre côté de laquelle se trouvait la haute mer 91, a disparu sans laisser de

trace.

L’effet des accords de 1949

19. Quel était donc, du point de vue de l’interp rétation, l’effet de l’accord de1949? J’ai

montré que l’URSS et la Roumanie sont convenues d’au moins un secteur de la frontière au-delà de

la mer territoriale telle qu’elle existait à l’époque. Ceci ressort clairement du texte des accords.

20. M. Wood tente de semer la confusion en évoquant les différences dans les traductions

fournies 92. Mais la traduction exacte de l’expression «zone frontière maritime» ou «bande frontière

maritime» n’a aucun impact sur la question de «l’étendue» de la frontière; quelle que soit la

traduction que l’on préfère, il est clair qu’une zone de 12 milles a été établie, et que du point de vue

de l’Unionsoviétique, elle constitu ait une frontière d’Etat avec la Roumanie de l’autre côté. Les

questions centrales qui demeurent sont de savoir s’il s’agissait d’une frontière à toutes fins et

jusqu’où elle s’étendait. Permettez-moi de commencer par cette dernière question ; je passerai à la

première sous peu.

21. L’Ukraine admet que la frontière convenue se poursuit au-delà de la borne

frontière 1439. M. Wood, tout en maintenant l’ argument de l’Ukraine selon lequel la première des

deux phrases figurant dans le procès-verbal gé néral de1949 a trait da ns son intégralité à

l’emplacement de la borne frontière1439, a expressément admis que la seconde phrase «semble

49
concerner le prolongement de la frontière autour de la limite extérieure de la mer territoriale, en ce

qu’elle indique que cette frontière suit ou longe la limite» 93. Et ceci est exact. Le libellé du

procès-verbal est clair ⎯ la frontière suit la limite extérieure de la zone de 12 milles marins.

22. La question suivante est celle de savoir jusqu’où allait cette frontière convenue. Selon

nous, elle faisait tout le tour de l’île. C’est ce qu’une zone de 12 milles autour d’une île minuscule

doit inévitablement faire. La Roumanie a admis qu’il existait une telle zone. Ceci signifie qu’elle

était délimitée ; il n’y a aucun mystère dans le mot «délimitée».

91CMU, par. 5.66 ; DU, par. 3.76-384.
92
CR 2008/26, p. 52, par. 33 et p. 53-54, par. 40 (Wood).
93CR 2008/26, p. 53, par. 39 (Wood). - 46 -

94
23. Malgré les protestations de M. Wood , et mis à part les arguments scientifiques reposant

sur la charge de la preuve, l’argument ukrainien est entièrement fondé sur l’hypothèse ukrainienne

relative à l’étendue de la frontière représentée su r la carte 134, et sur sa spéculation selon laquelle

l’intention était seulement de délimiter une front ière découlant d’une mer territoriale roumaine

«future» à partir de la côte continentale. J’ai déjà répondu à cette spéculation.

24. Je vais me pencher brièvement sur des ar guments subsidiaires avancés par l’Ukraine au

sujet de la carte 134 :

⎯ Premièrement, il est fait référence à ce qui serait le seul objet et seul but du procès-verbal et de

la carte 134 95 ; il s’agirait uniquement d’une «démarcati on». Mais il est clair que l’URSS et la

Roumanie sont aussi convenues d’une frontière délimitée au-delà de la dernière borne frontière

démarquée ⎯ ceci ressort à l’évidence du document. Le procès-verbal ne concernait donc pas

que la démarcation.

⎯ Deuxièmement, M. Wood s’est plaint que j’avais déformé le titre de la carte 134 lorsque j’avais

déclaré qu’il fallait comprendre les mentions y figur ant comme signifiant que le but de la carte

96
était de décrire la frontière entre ces deux bornes frontière, et rien de plus . Je ne pense pas

avoir déformé quoi que ce soit ⎯ le titre est clair. Quoi qu’il en soit, M. Wood a admis que «la

carte avait essentiellement pour objet de représen ter l’emplacement de postes frontière». Il a

ajouté un peu à contrecŒur que «la frontière d’Etat y était également représentée» ; il n’a pas

dit que l’objet et le but de la carte134 étaient de représenter la frontière d’Etat au-delà de la

borne frontière 1439. Il n’en demeure pas moin s que le but exprès de la carte 134 se limitait à

50
décrire les bornes frontière pertinentes et la fron tière entre elles. Rien n’indique, nulle part,

que la carte 134 établissait l’étendue de la frontière le long de l’arc de 12 milles.

⎯ Troisièmement, M. Wood était confronté au fait que la frontière représentée sur la carte 134 ne

va pas, à l’ouest, jusqu’à la borne frontière 1437. Son explication était que la section

correspondante de la frontière était représentée sur une autre carte 97. Mais lorsque l’on

94 CR 2008/28, p. 16, par. 28 (Wood).
95
CR 2008/26, p. 53, par. 39 (Wood).
96 CR 2008/28, p. 14-15, par. 20 (Wood).

97 CR 2008/28, p. 17, par. 29 (Wood). - 47 -

interprète la carte134, ce qu’elle représente à l’autre extrémité de la ligne qui y figure ⎯ un

autre vide ⎯ explique ce qui s’est passé à l’est.

25. Quant à l’argument selon lequel la Roumanie et l’Ukraine en concluant le traité frontalier

de2003 sont par là même convenues qu’il n’y av ait pas de délimitation au-delà de ce point 98, le

traité de 2003 ne dit rien de tel. Le différend qui divisait les Parties au-delà des 12 milles était déjà

ancien en2003. En2003, les Parties, raisonnablement, sont convenues de ce qu’elles pouvaient

convenir, sans préjudice de leurs positions juridique s respectives au-delà du point F, au moins sur

une mer territoriale ⎯ il ne s’agissait pas d’un accord exclusif.

26. Incidemment, je relève qu’il n’est pas tout à fait exact de dire qu’en 2003 les Parties ont

fixé le pointF indéfiniment. Vendredi, M. Quéneudec a utilement évoqué le paragraphe de

l’article premier du traité de 2003 qui stipule que les mers territoriales des Parties «auront toujours,

aux points de jonction de leurs limites extérieur es, une largeur de 12milles marins». Le texte

dispose ensuite que le pointF pe ut être recalculé par la commiss ion mixte de démarcation de la

99
frontière si les points de base changent en raison de «phénomènes naturels» . Manifestement, les

Parties envisageaient que dans certaines circonstan ces le point F pourrait être déplacé vers le large

le long de l’arc de 12 milles. Or ceci ne serait pas possible si le point F était un point de départ fixe

pour la limite de la zone économique exclusive ukrainienne vers le sud.

Planches I et V

27. Je vais maintenant examiner les planches I et V. Vous vous souviendrez de ces planches,

qui étaient la conclusion selon laquelle les Parti es n’entendaient pas, avec la carte134, limiter

l’étendue de la frontière au-delà de la borne frontière1439. M. Wood a dit que ces planches «ne

font pas partie des cartes désignées comme des «doc uments … joints au présent protocole» dans le

procès-verbal général», et qu’on saisissait mal ce que signifiait le fait qu’elles étaient «contenues

51 100 101
dans l’atlas cartographique»» . Selon lui, elles avaient un «statut douteux» .

98CR 2008/24, p. 27-28, par. 27-37 (Bundy) ; p. 49-50, par. 60 (Wood).
99
CMU, annexe 3, citée dans CR 2008/29, p. 34, par. 46 (Quéneudec).
100CR 2008/28, p. 17-18, par. 31 (Wood).

101CR 2008/28, p. 18, par. 32 (Wood). - 48 -

28. Nous avons fait figurer dans votre dossier, sous l’ongletIV-5, une reproduction des

premières pages du catalogue qui a été présenté par la Roumanie ⎯une traduction de la page de

titre et de la table des matières suit. Comme le montre la page de titre, ces pages sont tirées d’un

album de cartes ⎯le «catalogue» qui était annexé au pr ocès-verbal général de1949. La page

suivante est la table des matières ⎯vous verrez en lisant la traduction que la première entrée

correspond à la plancheI, le tracé de la frontière d’Etat entre les deux Etats. La seconde entrée

correspond aux planches II à V, quatre cartes qui m ontrent à quelle carte correspondent les bornes

frontières; la plancheV est la dernière de ces planches et elle représente la frontière à l’est aux

voisinages des côtes des Parties. Suit alors une entrée pour les 134 cartes, décrivant l’emplacement

des bornes frontières, dont la dernière est la carte134. Si vous continuez, vous verrez les

planchesI àV telles qu’elles figuraient dans le catalogue puis le commencement de la série de

cartes. Le statut des planches I à V n’est en aucune manière douteux ; ces planches figuraient dans

le catalogue de cartes annexé au procès-verbal. Nous ne disons pas qu’il s’agit de cartes de

délimitation, mais nous disons qu’ elles sont pertinentes s’agissant de déterminer l’intention des

Parties lorsqu’elles ont établi la carte 134.

La terminologie utilisée dans les procès-verbaux de 1949

29. M. Wood a établi un lien entre les termes utilisés dans le texte russe du procès-verbal

de1949 pour l’expression traduite par «zone frontière maritime» par la Roumanie et le fait que,

selon le professeur Butler, il s’agit d’un des termes utilisés par le législateur soviétique «pour

désigner les eaux qui baignent les eaux soviétiques» 10.

30. Ce que M. Wood n’a pas évoqué est l’argument que j’ai avancé lors du premier tour de

plaidoiries, en me référant à un article du ProfesseurButler. Un argument comparable figure au

début de l’extrait sur lequel M. Wood a appelé votre attention, et l’ensemble du chapitre de

l’ouvrage de Butler mérite d’être lu avec attention en ce qu’il décrit les divers courants doctrinaux

tant en Russie prérévolutionnaire qu’ultérieurement en Union soviétique. En1949, l’Union

soviétique ne formulait pas de revendication générale sur une mer territoriale telle que cette notion

52 a été consacrée dans la convention de Genè ve de1958. Cela n’est arrivé qu’en1960 ⎯ pourtant

102
CR 2008/26, p. 54-55, par. 44 (Wood). - 49 -

dans des accords ultérieurs, jusqu’à 1974, le terme plus général continue d’être utilisé pour la zone

de l’île des Serpents.

L’accord de 1949 au regard du droit international applicable

31. Je vais maintenant examiner un autre argu ment de M. Wood, à savoir celui qui concerne

l’accord de 1949 au regard du dr oit international applicable. C itant la sentence rendue par lord

Asquith dans l’affaire Abu Dhabi, M. Wood dit, qu’en 1949 les parties n’ont pu prendre aucun

103
engagement quant à des revendications au-delà de 12 milles marins . A cet égard, on peut

formuler les observations suivantes ⎯ elles sont au nombre de six :

1) La proclamation Truman a été publiée le 29 septembre 1945 104. Elle avait été bien préparée et a

été bien reçue. L’Union soviétique a été consu ltée à l’avance et a dit que dans son principe la

proclamation ne lui posait aucune difficulté.

2) En fait, en 1916, le tsar avait déclaré que la souveraineté de la Russie s’étendait aux îles

inhabitées de la mer arctique, revendications formulées expressément au motif que ces îles

étaient «la continuation du plateau continental» ; cette revendication a été reprise par le

105
Gouvernement soviétique en 1924 .

3) Le premier traité bilatéral traitant des ress ources maritimes a été le traité de 1942 relatif au

golfe de Paria 106. Il partageait le contrôle exclusif des «régions sous-marines» du golfe,

définies comme«le fond de la mer et le sous-sol en dehors des eaux territoriales des Hautes

Parties contractantes». Et il a abouti à l’annexi on ultérieure de ces régions sous-marines par le

gouvernement de sa Majesté.

4) Les Etats du golfe persique on fait diverses proclamations concernant des zones de plateau

continental en 1949 107.

103
CR 2008/26, p. 56, par. 49 (Wood).
104Proclamation with respect to the Natural Resources of the Subsoil and Sea Bad of the Continental Shelf,

(1946), AJIL, vol. 40, supl.45.
105V.L. Lakthine, Rights over the Arctic (1928), 43-5, cité dans Young, (1948) 849-50.

106LNTS, vol.205, p. 121.
107
Pour des details, voir R. Young,«Further Claims to the areas beneath the High Seas», (1949), AJIL, vol.43,
p. 790. - 50 -

5) En 1950, à la Commission du droit international, le professeur Brierly ⎯ qui est loin d’être un

radical en matière d’élaboration de normes juridiques ⎯ a conclu que«le plateau continental

appartenait de plein droit à l’Etat du littoral», une opinion que d’autres membres de la

commission partageaient, qu’aucun ne rejetait vigoureusement et qui fut reflétée dans le rapport

de la commission sur ses travaux de cette année-là, 1950 108.

53 6) En 1951, la commission a adopté les projets d’ar ticle1à3 sur le plateau continental, et ces

dispositions ont finalement été incorporées dans la convention de 1958 sans modification

109
importante .

32. La question n’est pas de savoir si la doctrine du plateau continental avait acquis en 1949

⎯et je cite lord Asquith ⎯ «les caractéristiques fondamentales ou le statut définitif d’une règle

établie du droit international» 110. Incidemment, cette question était aussi totalement dénuée de

pertinence s’agissant de la question que lord Asquith devait trancher et qui concernait

l’interprétation d’une concession de 1939. C es observations très souvent citées sont des

obiter dicta. Notre argument est différent; il s’agit de savoir si des gouvernements informés

peuvent avoir compris un accord de 1949 relatif à une zone frontière mar itime autour d’une île

minuscule comme une délimitation non limitée à la mer territoriale. La réponse est qu’ils ont

assurément pu le faire. Il échet de noter que la concession octroyée en 1949 par le souverain d’Abu

Dhabi à une société pétrolière rivale a, en fait, été confirmée dans la sentence Abu Dhabi ⎯ il

s’agissait, comme c’est souvent le cas, d’un différend entre compagnies pétrolières concurrentes.

33. Nous en revenons donc à la question de l’interprétation. L’Union soviétique a accepté en

1949 une zone frontière maritime de 12 milles autour de l’île des Serpents sans aucune réserve

quant à d’autres revendications au sud. Nous admettons librement que l’Union soviétique se

considérait comme ayant souveraineté sur cette zone frontière maritime. Mais le fait est que, de

l’autre côté de cette ligne, des zones maritimes ont été attribuées à la Roumanie sur des cartes

conventionnelles, des zones qui allaient au-delà de la mer territoriale de la Roumanie telle qu’elle

existait à l’époque, voire telle qu’elle était envisagée. Des cartes officielles postérieures

108Voir Annuaire de la Commission du droit international , 1951/1, p. 227-229, par. 8 a) (Brierly), 37 (Hudson),
40 (Amado). Voir également Annuaire de la Commission du droit international, 1950, vol. II, p. 384-385.
109
Annuaire de la Commission du droit international, 1951, vol. II, p. 141-142.
110Arbitrage Abu Dhabi (1951) ILR, vol. 18, p. 155. - 51 -

représentent la ligne de la frontière d’Etat co mme délimitant un domaine soviétique et un domaine

roumain, même au sud-est de l’île. Cette position a été réaffirmée dans des traités ultérieurs, là

encore sans réserve au sujet d’autres revendications au sud. Dans ces circonstances, la Roumanie

pouvait comprendre, et a effectivement compris, qu’une délimitation à toutes fins avait été

convenue.

Le point X

34. Madame le président, Messieurs de la Cour, je vais maintenant parler du point X. C’est

le point où la frontière maritime à délimiter entre le s Parties s’écarte de la zone frontière maritime

54 de 12 milles marins autour de l’île des Serpents. Comme je l’ai déjà dit ce matin ⎯ je finis comme

je commence ⎯ il faut se poser deux questions dans la présente affaire, et il s’agit de questions

différentes. Toute la stratégie de l’Ukraine vise en l’ espèce à éviter l’analyse, qu’elle remplace par

le mantra: «nous avons de longues côtes, nous avons de longues côtes». Une délimitation de

frontière maritime cohérente exige une analyse, et non l’amalgame de choses différentes. Nous

avons eu beaucoup d’analyses destructives la semaine dernière; d’analyses constructives, nous

n’en avons pratiquement pas eu.

35. Je le répète, la Cour doit répondre à de ux questions. Premièrement, quel effet doit-on

donner à cette configuration côtière indépendamment de l’île des Serpents ? L’Ukraine est muette

sur ce point. Deuxièmement, quel effet doit-on donner à l’île en tant que telle. L’Ukraine n’en dit

rien. Nous répondons comme suit à ces deux questions. S’agissant de la première, une ligne

d’équidistance entre les côtes continentales est le point de départ. Comme nous disons qu’une telle

ligne est équitable dans les circonstances présentes, c’est également le point d’arrivée. Quant à la

seconde question, il y a ⎯je suis tenté de dire «évidemment» ⎯ une zone frontière maritime de

12milles marins autour de l’île des Serpents. Le pointX est le point où les deux lignes se

rencontrent. La frontière de la zone de12milles autour de l’île des Serpents telle qu’elle est

représentée sur toutes les cartes ⎯il y en a dix-neuf qui vont jusque là ⎯ s’arrête à un certain

point ; c’est le point X, situé à l’est de l’île. A partir de là, la frontière se déplace pour rencontrer la

ligne d’équidistance entre les côtes continentales. - 52 -

36. Permettez-moi de présenter cela différemment; nous ne disons pas que la Roumanie et

l’Union soviétique sont parvenues, en 1949, à un accord quant aux droits à des espaces maritimes

générés par les côtes continentales au-delà de 12 milles. Leurs préoccupa tions dans la partie

pertinente du procès-verbal général et des procès-verbaux individuels étaient exclusivement l’île.

Comme le montre les cartes, la frontière de l’arc de 12 milles s’arrête plein est de l’île des Serpents,

à l’endroit où nous l’avons proposé. Mais le point où la frontière s’arrête est un point de détail

qu’il vous appartient de déterminer. Que la ligne d’équidistance coupe bien l’arc de 12milles

convenu autour de l’île des Serpents est une nécessi té géométrique de la situation, aussi sûr que

quelque chose peut l’être dans le monde incertain de la délimitation maritime.

Compétence

37. Ceci m’amène, finalement, à l’argument relatif à la compétence. Je ne m’y arrêterai pas

longtemps, parce que M. Wood a été extrêmement br ef. Tout en maintenant officiellement la

position de l’Ukraine, il en a été réduit, face à l’attaque lancée par M. Pellet la première semaine, à

55 protester de la bonne foi de l’Ukraine dans son interprétation de la l’alinéa h) du paragraphe4 de

l’accord additionnel. Il a reconnu que le compromis dans l’arbitrage anglo-britannique était

différent. Il accorde maintenant à cette décision (si défavorable à l’Ukraine à d’autres égards) un

poids plus limité: elle «offre l’exemple d’un tribunal qui, dans une affaire de délimitation, a pris

soin de rester dans les limites de la compétence conférée par l’accord des Parties» 111. Finalement,

il a minimisé l’importance de la question au motif que, dans le cas de l’Ukraine, la ligne se poursuit

simplement en direction du sud-est à partir du pointF: ceci, bien entendu, relève du fond, et ne

112
concerne pas la compétence .

38. Madame le président, Messieurs de la Cour, avec tout le respect dû à cet argument

avancé avec de moins en moins de conviction, il est clair que vous avez compétence en vertu de

l’alinéa h) du paragraphe4 pour ne donner aucun effet à l’île des Serpents au-delà des 12milles

⎯ et ceci est vrai quelles qu’en soient les raisons. Un compromis prévoyant de vous soumettre « le

problème de la délimitation du plateau continental et des zones économiques exclusives» englobe

111
CR 2008/26, p. 49, par. 21 (Wood).
112
CR 2008/26, p. 49, par. 22 (Wood). - 53 -

toute délimitation conformément au droit interna tional, que ce soit en raison de l’accord de 1949,

de l’article121, paragraphe3 de la convention de 1982 ou du droit général de la délimitation.

L’idée qu’en 1997 la Roumanie a tacitement re noncé à sa position de longue date selon laquelle

l’île des Serpents n’avait aucun effet au-delà de 12milles est franchement extravagante ⎯ et

d’autant plus que l’accord additionnel de 1997 vise expressément l’article121. A un niveau plus

général, l’idée que vous avez compétence pour enclav er l’île à demi à une distance de 12,5 milles

mais non à 12milles n’est absolument pas défe ndable. Enclaver ou semi-enclaver des îles

minuscules est une technique bien établie en matière de délimitation : elle n’est pas exclue par un

mandat général aux fins de délimiter la zone économique exclusive et le plateau continental.

39. Ceci répond également à l’argument de l’Ukra ine en ce qui concerne le paragraphe 4 des

articles74 et 83 de la convention de 1982 11. Un accord entre deux Etats qui a délimité une mer

territoriale de 12milles autour d’une île minuscule à l’intérieur de la zone économique exclusive

ou du plateau continental d’un autre Etat serait un accord auquel le paragraphe 4 des articles 74 et

83 s’applique, et il en serait ainsi même si c’est tout ce que faisait l’accord.

56
Conclusions

40. Madame le président, Messieurs de la Cour, en résumé :

1) L’accord de 1949 a délimité ⎯ce qui revient à dire défini ⎯ une zone frontière maritime de

12 milles autour de l’île des Serpents. Cette z one était opposable à la Roumanie à compter de

cette date, et elle a été confirmée à maintes reprises.

2) Il ne peut y avoir de zone de 12milles sans une frontière, et la frontière de la zone a été à

maintes reprises représentée sur des cartes, y compris des cartes conventionnelles, comme se

poursuivant au-delà du point1439 et au-delà du point terminal innommé représenté sur la

carte 134 ; en bref, cette frontière délimitait le domaine de l’île vis-à-vis de la Roumanie.

3) Cette zone, et la frontière qui l’entoure, fait le tour de l’île et coupe la ligne de délimitation

tracée à partir des côtes continentales adjacentes des Parties, où que cette ligne soit tracée.

4) La Cour est compétente pour déclarer que le tracé de la frontière est tel que nous l’avons décrit.

113
CR 2008/28, p. 11, par. 6-7 (Wood). - 54 -

Madame le président, avec votre permission, mon collègue, M.SimonOlleson, va

maintenant répondre aux arguments formulés au sujet des cartes postérieures par M. Wood.

Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Mons ieurCrawford. Je donne la parole à

Monsieur Olleson.

M. OLLESON :

V. L A FRONTIÈRE MARITIME AUTOUR DE L ’ÎLE DES S ERPENTS TELLE QU ’ILLUSTRÉE PAR LES

ÉLÉMENTS DE PREUVE CARTOGRAPHIQUES

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est un honneur que de paraître devant la

Cour; c’est également un honneur que d’avoir été ch argé de cette partie de la présentation de la

Roumanie concernant les éléments de preuve car tographiques. M.Crawford a déjà examiné les

arguments relatifs aux cartes décrivant la frontière convenue qui faisaient partie des procès-verbaux

de 1949. Je m’intéresserai pour ma part aux cartes que la Roumanie invoque à titre de preuve

confirmant et corroborant ses arguments sur l’effet des procès-verbaux de 1949.

2. Comme dans son contre-m émoire et dans sa duplique, l’Ukraine demeure manifestement

gênée par les éléments de pre uve cartographiques. M. Michael Wood a avancé plusieurs raisons

pour inciter la Cour à éprouver certaines réticenc es face aux différentes cartes et à leur description,

pourtant claire, de la frontière maritime convenue.

57 3. Mais il s’est lui-même montré réticent à vous présenter la moindre illustration de la

frontière maritime convenue —aucune des cartes invoquées par la Roumanie comme illustrant la

frontière convenue, en tout ou en partie, ne vous a été présentée. De surcroît, il n’a pas été en

mesure de vous présenter une seule carte ultérieure qui contredise la thèse de la Roumanie quant à

l’étendue de la frontière convenue.

4. Les éléments de preuve cartographiques milite nt tous dans le même sens. En outre, une

grande partie des cartes en question a été produite par l’Ukraine et avant elle, par l’Union

soviétique.

5. M. Wood n’a pas essayé de contester directement ce fait. Il a plutôt lancé une attaque

détournée contre les preuves cartographiques sur plusieurs fronts ; d’une manière générale, il a dit - 55 -

que les cartes invoquées par la Roumanie étaient des exemples de «duplicata» de cartes marines

114
antérieures , en particulier des cartes marines sovié tiques de 1957 ou, sinon, qu’elles illustraient

la fantaisie des cartographes concernés. Tel serait spécialement le cas des cartes officielles qui ne

servent pas la thèse de l’Ukraine et ont été produites par les propres organes de cet Etat.

6. En ce qui concerne le premier point, les premières cartes marines qui aient été retrouvées

par l’une et l’autre des Parties sont celles qui ont été produites par l’Union soviétique en 1957, peu

après la conclusion des accords de 1949. Il est ré vélateur en soi que l’Union soviétique ait produit

en 1957, juste un an après que la Roumanie eut étendu sa mer territoriale de 6 à 12 milles, une carte

marine sur laquelle la frontière se prolongeait tout autour de l’île des Serpents. Cela indique une

nouvelle fois, s’il en était encore besoin, que l’ar gument de l’Ukraine relatif à la «future» mer

territoriale ne tient pas.

7. De plus, le fait que les données géographiques puissent être partagées
entre Etats ne

signifie pas que les services hydrographiques d’un Etat ne se livrent pas à un examen critique de

ces données, ou ne font pas leurs propres études et recherches avant d’établir leurs propres cartes

marines. De surcroît, l’idée que les autres cartes seraient d’une certaine façon toutes basées sur les

cartes soviétiques de 1957 n’est étayée par aucune preuve. Ces cartes, bien qu’unanimes sur le

point qui nous intéresse, sont loin d’être identiques.

8. Quant au deuxième argument de M. Wood, le fait même que l’Ukraine cherche à prendre

ses distances par rapport aux cartes marines produites par l’Union soviétique, et à fortiori par

rapport à celles de ses propres cartographes, témoigne de son embarras. Toujours est-il que

chacune des cartes où figure la frontière convenue produites par l’Union soviétique (et ce sur une

58 période allant de 1957 à 1985) et par l’Ukraine (de 2000 à 2007) émane des organes compétents de

l’Etat concerné. Ce ne sont pas des cartes du secteur privé.

9. Vous avez vu au premier tour une illustration, extraite de l’ouvrage intitulé Lighthouses of

Ukraine publié en 2007, qui montrait clairement une fr ontière maritime, indifférenciée sur toute sa

longueur, s’étendant autour de l’île des Serpents jusqu’à un point situé à l’est ; M. Wood en a été

réduit à tourner cette carte en dérision en la prétendant tirée de ce qui semblait être un «livre

114
CR 2008/28, p. 21, par. 41. - 56 -

115 116
d’illustrations» ou un «beau livre» . Il est vrai qu’il s’agit là d’un fort bel ouvrage — mais il

n’y a rien de mal à quelques ornements. Ce qui importe ici, toutefois, c’est que l’ouvrage en

question a été établi par le service hydrographique de l’Ukraine, qui fait partie du ministère des

transports et des communications de cet Etat.

[Projection : carte marine intitulée «Partie occidentale de la Mer Noire d’Odessa à l’embouchure de

Sulina», produite par la section «Ukrmorcartogr aphia» de l’Institut hydrographique ukrainien
(2001) [Carte MR A 23]).

10. De même, les autres cartes produites par l’Union soviétique et par l’Ukraine émanent

toutes d’organes de l’Etat: je n’examinerai qu’un exemple, à savoir la carte intitulée «Partie

occidentale de la Mer Noire d’Odessa à l’embouchure de Sulina», en date de 2001 117, qui vous a

118
déjà été présentée et que M. Wood a qualifiée d’«exception» . Elle figurait sous l’onglet V-20 au

premier tour et se trouve sous l’onglet V-1 de votre dossier d’aujourd’hui. Cette carte marine a été

établie par la section «Ukrmorcartographia» de l’Institut hydrographique ukrainien. De plus,

comme vous pouvez le voir sur l’agrandissement , elle a été imprimée par l’imprimerie

cartographique militaire Kyiv’ska. Des indications de provenance similaires figurent sur l’autre

119
carte ukrainienne, publiée en 2003, qui n’est pas identique .

[Fin de la projection]

11. L’ensemble des cartes produites par l’Union soviétique et par l’Ukraine montre la

frontière convenue — décrite avec le même symbole sur toute sa longueur — comme allant au-delà

du dernier point indiqué sur la carte 134. Le plus souvent, on voit la frontiè re se prolonger autour

de l’île des Serpents jusqu’au point situé à l’est de l’île. Cela vaut également pour les onze cartes

roumaines, qui datent de 1958 à 2003.

59 12. En définitive, M. Wood a paru impossible à satisfaire. Il s’est plaint lorsque les cartes

étaient différentes, mais aussi lorsqu’elles étaien t pareilles. Non content de s’insurger contre

l’incohérence, il s’est également insurgé contre la cohérence !

115CR 2008/28, p. 21, par. 43.

116CR 2008/28, p. 22, par. 44.
117
MR, carte MR A 23.
118CR 2008/28, p. 22, par. 43.

119MR, carte MR A 25. - 57 -

13. Madame le président, Messieurs de la Cour, dans la première partie de cette présentation,

j’examinerai brièvement la manière dont il co nvient de traiter les éléments de preuve

cartographiques.

14. Dans le cadre de la deuxième partie, je démontrerai que les cartes dont la Roumanie se

prévaut, qui montrent à la fois le «crochet» de M. Wood et l’îlot, sont cohérentes et se confortent

mutuellement.

15. Enfin, je répondrai de manière plus détaillée aux diverses attaques détournées de

M. Wood contre les éléments de preuve cartographiques.

I. Eléments de preuve cartographiques : l’approche adéquate

16. Si l’on examine d’abord l’approche adéquate concernant les éléments de preuve

cartographiques, il est admis que seuls les croquis, planches et cartes faisant partie des divers

procès-verbaux peuvent être considérés comme des cartes conventionnelles.

17. M. Wood a renvoyé la Cour au di ctum de la Chambre dans l’affaire du Différend

frontalier (Burkina Faso/Mali), en se contentant toutefois de ne citer que des parties des passages

pertinents 12. En particulier, il ne s’est pas étendu sur le fait que, selon la Chambre, les cartes

annexées aux accords frontaliers ne constituaient qu’un exemple de cartes qui «participent de

l’expression de la volonté de l’Etat» ( Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali),

arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 582 (par. 54) ; les italiques sont de nous).

18. Il a également cherché à distinguer la décision rendue récemment par la Cour en l’affaire

Malaisie/Singapour, au motif que les six cartes, que vous avez jugées importantes, contenaient des

annotations explicites quant à la souveraineté de Singapour sur Pedra Branca 121. Mais les cartes en

la présente espèce sont claires et uniformes, comme je le m ontrerai dans la seconde partie de mon

exposé.

19. Ainsi que vous l’avez indiqué dans l’affaire Malaisie/Singapour, les cartes qui

participent de «l’expression de la volonté de l’Etat» peuvent être pertinentes non seulement

lorsqu’elles font partie d’un accord frontalier, dont elles font partie intégrante, mais aussi, par

120
CR 2008/28, p. 11-12, par. 9-10 (Wood).
121CR 2008/28, p. 12-13, par. 12 (Wood). - 58 -

60 exemple, lorsqu’elles constituent une déclaration manifeste allant à l’encontre des intérêts de l’Etat

dont elles émanent. Comme vous l’avez également précisé, il n’est pas nécessaire à cet effet que

ladite déclaration figure dans un traité ou qu’elle soit faite lors de négociations entre Etats

(Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge

(Malaisie/Singapour), arrêt du 23 mai 2008, par. 271 ; Différend frontalier (Bénin/Niger), arrêt,

C.I.J. Recueil 2005, p.119, par.44). M. Wood a par ailleurs passé sous silence la question des

déclarations allant à l’encontre des intérêts de l’Etat dont elles émanent; c’est pourtant sur cette

base que vous avez accordé de l’importance aux a nnotations explicites figurant sur les six cartes

dans l’affaire Malaisie/Singapour.

20. En outre, ainsi que la commission de délimitation des frontières en l’affaire

Erythrée/Ethiopie l’a fait observer dans un passage que vous avez cité avec approbation dans l’arrêt

rendu en l’affaire Malaisie/Singapour :

«La carte reste une indication de fait géogr aphique, en particulier lorsque l’Etat

désavantagé l’a lui-même établie et distri buée, même contre ses propres intérêts.»
(Souveraienté sur Pedra Branca, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour) ,
arrêt du 23 mai 2008, par. 271, citant la décision relative à la délimitation des

frontières entre l’Etat d’Erythrée et République fédérale démocratique d’Ethiopie,
13 avril 2002, par. 3.28.)

Le conseil de l’Ukraine a cherché à distingue r les affaires de souveraineté territoriale de

celles de délimitation maritime : tel a été le sujet de la litanie de M. Wood à propos de la «frontière

122
d’Etat», que vous avez longuement entendue mardi dernier et en plusieurs autres occasions . En

tout état de cause, une carte qui décrit le point de vue de l’Etat dont elle émane sur le tracé d’une

frontière maritime peut être considérée tout aussi pertinente et concordante qu’une carte exprimant

son point de vue en matière de souveraineté sur un territoire.

II. L’uniformité des éléments de preuve cartographiques décrivant la frontière convenue
autour de l’île des Serpents

21. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à la seconde partie de

mon exposé, dans laquelle je démontrerai briè vement que les diverses cartes invoquées par la

122
CR 2008/24, p. 36-50, par. 1-61, passim (Wood) ; et voir, par exemple, CR 2008/26, p. 42, par. 1 ; 43, par. 5 ;
44, par. 9 (ii) ; 48, par. 17 ; p. 52, par. 32 ; 53, par. 39 (Wood) ; CR 2008/28, p. 11, par. 5 ; 14, par. 20 et 22 (Wood) ; voir
aussi, par exemple, CR 2008/24, p. 12, par. 9 ; 26, par. 28 et 29 ; 27-28, par. 35 ; 29, par. 38 (Bundy). - 59 -

Roumanie montrent de manière parfaitement uniforme que la frontière convenue s’étend au-delà du

point F et autour de l’île des Serpents.

22. Les trente et une cartes soumises par la Roumanie concordent bel et bien dans leur

description de la frontière convenue autour de l’île des Serpents. Bien que M. Wood n’ait pas eu

envie de vous les montrer, comme je l’ai dit, la description qu’il a donnée de la frontière convenue,

qui suit le tracé d’un «crochet», était divertissante. Toutefois, elle n’était pas non plus tout à fait
61

exacte. Certaines cartes montrent des crochets, d’autres des cercles tout autour de l’île; ici,

l’analogie piratesque pertinente est le nŒud coulant.

23. Même lorsque les cartes en question ne repr ésentent pas la totalité de la frontière parce

que la ligne est interrompue par le bord de la carte, elles restent concordantes avec la thèse de la

Roumanie. En particulier, et quel que soit l’Etat dont elles émanent, elles sont toutes concordantes

lorsqu’elles montrent que les frontières s’étendent au-delà du point F.

[Projection : cartes soviétiques détaillées.]

24. Pour le démontrer, je commencerai par quelques-unes des cartes soviétiques ⎯ qui

figurent sous l’ongletV-2 du dossier de plaidoiries. Vous voyez maintenant en détail l’une des
123
cartes à grande échelle établies par la ma rine soviétique de la merNoire en1957 , qui montre

toute l’étendue de l’arc de 12 milles-- le «crochet» de M. Wood ⎯ autour de l’île des Serpents.

On découvre maintenant, à mesure qu’elle appa raît, l’autre carte de1957, qui figurait sous

l’ongletV-17 du dossier de plaidoiries lors du premier tour. Bien qu’elle soit établie à une autre

échelle et qu’elle couvre d’autres espaces de la me rNoire, la description du «crochet» est très

similaire, même si sur la deuxième carte, l’étendue de ce dernier se trouve amputée à l’est.

25. Apparaît maintenant à l’écran en détail une autre carte soviétique, datant cette fois

de 1982 124 ; elle ne fait pas partie des cartes que M. Crawford vous a montrées lors du premier tour.

Ce que l’on peut remarquer, c’est que même si la partie méridionale de la frontière est amputée par

le bord inférieur de la carte, il est clair que l’ Unionsoviétique considérait pourtant que celle-ci

s’étendait jusqu’au sud de l’île des Serpents ⎯ comme vous le voyez, l’arc ⎯ le point du crochet

de M. Wood ⎯ réapparaît au bon endroit à l’est, en direction du nord.

123
CM, annexe RMA 16.
124
CM, annexe RMA 18. - 60 -

125
26. La dernière carte soviétique que je vous montre, qui date de 1983 , est cette fois coupée

à l’ouest. Bien que ni le continent ni aucune partie de la frontière de la mer territoriale n’y figurent,

elle n’en décrit pas moins, elle aussi, la fr ontière convenue comme longeant l’arc de 12milles

jusqu’à un point situé à l’est de l’île des Serpents.

[Fin de la projection.]

[Projection : agrandissement de cartes roumaine.]

62 27. J’en viens maintenant à quelqu es unes des cartes de la Roumanie ⎯il s’agit de

l’onglet V-3 du dossier de plaidoiries. Est actue llement projeté à l’écran un agrandissement de la

plus ancienne carte roumaine que les Parties vous ont présentée ; elle date de 1958 126 et représente

l’intégralité du «crochet» de M. Wood.

La Roumanie a également établi des cartes sur lesquelles la frontière était tronquée. Est

127
maintenant projeté à l’écran un agrandissement d’une autre carte roumaine, datant de 1970 . La

partie orientale de la frontière convenue y est tr onquée; cette carte démontre néanmoins clairement

que la Roumanie considérait que la frontière convenue se prolongeait bien au-delà du point

128
représenté sur la carte 134. Sur cette autre carte roumaine, laquelle date de 1982 , la frontière est

également tronquée par le bord de la carte, bien que, en l’occurrence, ce soit un peu plus à l’ouest.

28. A l’est, la frontière se prolonge toutefois tout le long. Cela est confirmé par d’autres

cartes roumaines à plus grande échelle qui représente nt la frontière convenue dans son intégralité ;

pour prendre un dernier exemple, est actuellement projeté un agrandissement d’une carte roumaine

datant de 1995, laquelle montre le «crochet» en entier 12.

[Fin de la projection.]

[Projection : cartes ukrainiennes.]

29. J’en viens, pour finir, aux cartes ukrainiennes. Celles-ci sont claires, aucune n’est

tronquée, et elles montrent toutes l’intégralité de la frontière convenue, la quelle part du point

terminal de la frontière terrestre/fluviale, passe pa r les points1438 et 1439, puis longe l’extérieur

12CM, annexe RMA 20.

12CM, annexe 26, atlas cartographique MR.
127
CM, annexe 28, atlas cartographique MR.
12CM, annexe 29, atlas cartographique MR.

12CM, annexe 32, atlas cartographique MR. - 61 -

de la zone des 12milles autour de l’île des Serpents, jusqu’à un point situé nettement au-delà du

point F et ce, jusqu’à l’extrémité du crochet de M. Wood.

130
La première carte Ukrain ienne, laquelle date de 2000 , représente l’arc des 12milles

jusqu’à un point situé à l’est de l’île des Serpents ; il en va de même d’une carte datant de 2003 131.

132
30. La dernière carte que je vous montrerai, qui date de 2001 , est celle représentant l’arc

des 12 milles au nord de l’île des Serpents au moyen du symbole international utilisé pour la limite

63
extérieure de la mer territoriale. Vous vous souvi endrez que la frontière qui part de la frontière

terrestre/fluviale et suit le tracé du «crochet» jusqu’au point situé à l’est de l’île ⎯ où elle prend fin

sur les autres cartes ⎯ est représentée par le symbole utilisé pour les frontières maritimes

internationales.

31. Madame le Président, Messieurs de la Cour, cela m’amène à la troisième partie de mon

exposé et aux diverses critiques formulées par M. Wood à l’égard des éléments de preuve

cartographiques.

32. Lorsqu’il a examiné les «symboles» utili sés sur les cartes, Mr. Wood a laissé entendre

que la «prolifération des symboles» attestait un certain degré de «confusion et d’incohérence» 133.

33. Les critiques de M. Wood sur ce point sont dépourvues de fondement. Certes, il existe

une certaine fluctuation dans le s symboles utilisés pour représenter la frontière d’une carte à

l’autre ; cela est dû, au moins en partie, à l’évol ution des conventions cartographiques au cours des

quelque cinquante années pendant lesquelles ces ca rtes ont été établies. Il n’y a toutefois ni

confusion ni incohérence. Chacune des cartes, sans exception, utilise un seul et même symbole

pour représenter le tracé de la frontière maritime que constitue le «crochet», et ce avec constance

aussi bien sur toute sa longueur ⎯jusqu’à un point situ é à l’est de l’île ⎯ que lorsque la

représentation est tronquée par le bord de la carte , d’une manière indiquant que la frontière se

prolonge jusque là.

13CM, annexe 21, atlas cartographique MR.
131
CM, annexe 25, atlas cartographique MR.
132
CM, annexe 23, atlas cartographique MR.
13CR 2008_28, p. 21, par. 42 (Wood). - 62 -

34. La seule carte sur laquelle un symbole différent est utilisé le long de l’arc des 12 milles

entourant l’île des Serpents est la carte ukrainienne de 2001 ⎯ il s’agit de la carte que l’Ukraine a

en réalité tenté de désavouer parce qu’elle ava it été établie par un cartographe totalement

indépendant. Sur cette carte, si les symboles sont effectivement différents, la raison en est claire.

Comme pour les autres cartes, un seul et même sym bole est utilisé tout le long du «crochet» et ce,

jusqu’au point situé à l’est de l’île des Serpents ; à partir de ce point, en direction du nord, un autre

symbole ⎯un symbole différent ⎯ est utilisé pour représenter l’arc des 12milles le long de la

limite extérieure de la mer territoriale.

35. M.Wood a avancé un certain nombre de raisons pour lesquelles l’Union Soviétique

aurait établi des cartes représentant le «crochet» en 1957; il a parlé de sous-marins, de droit de

passage inoffensif, et d’une «présence militaire non négligeable» sur l’île des Serpents 134.

64 36. Aucun élément de preuve n’a été présenté à cet égard — là encore, comme pour d’autres

aspects de la thèse de l’Ukraine, il s’agissait de pures conjectures. Et cette affirmation est en

contradiction avec le fait que la frontière a été représentée par un seul et même symbole sur toute sa

longueur. Je rappellerai que, en 1956, c’est-à-dire avant que les cartes de 1957 ne soient établies,

la Roumanie a étendu sa mer territoriale de 6 à 12 milles marins. Comme M. Crawford l’a indiqué

précédemment, le point d’intersection de cette mer territoriale de 12 milles avec la zone entourant

l’île des Serpents n’aurait pas été difficile à déte rminer ; il aurait suffi de mesurer une distance de

12milles à partir du point de base pertinent s itué sur la côte roumaine. Et pourtant, les

cartographes de l’Union soviétique ont utilisé le même symbole sur toute la longueur de la frontière

convenue.

37. Quoi qu’il en soit, l’hypothèse selon laquelle , en 1957, les cartographes de la marine

soviétique auraient voulu créer une sorte de zone de sécurité autour de l’île est également

contredite par le fait qu’ils ne sont pas allés assez loin. Si la représentation du crochet situé au-delà

de la nouvelle mer territoriale de 12milles marins de la Roumanie avait effectivement obéi à des

considérations militaires ou de sécu rité, la frontière aurait dû être représentée sur tout le pourtour

de l’île afin d’indiquer également la limite exté rieure de cette zone de «sécurité» au nord. Un

134
CR 2008_28, p. 20-21, par. 40 (Wood). - 63 -

cercle longeant l’arc des 12milles aurait suffi. En effet, les forces de sécurité soviétiques se

seraient certainement tout autant inquiétées de sous-marins en provenance d’Odessa que de

sous-marins faisant route vers Odessa ! De plus, si l’hypothèse de M. Wood était fondée, on aurait

pu s’attendre à ce qu’une zone de sécurité simila ire soit représentée le long des côtes continentales

soviétiques. Tel n’est cependant pas le cas sur les cartes de 1957.

38. L’autre affirmation de M. Wood, à savoir que la représentation du crochet sur les cartes

ultérieures renvoie aux cartes soviétiques, que tous les autres Etats se sont contentés de «copier» les

cartes soviétiques de 1957, n’est elle aussi qu’une pure conjecture 135. Les cartes présentées par la

Roumanie ont des échelles très variables, et elles représentent différentes zones de la mer Noire. Il

ne s’agit pas de simples copies.

39. De surcroît, en tentant de prendr e ses distances avec les cartes établies par

l’Unionsoviétique et par elle-même, l’Ukrain e laisse entendre qu’on ne saurait se fonder sur ces

cartes car elles ont été tracées non par des jurist es ou des diplomates mais par des hydrographes ou

des cartographes 136 —pour paraphraser Kipling, sans le droit, la voie est ouverte à la barbarie.

Pourtant, il s’agit là de cartes de navigation dont to ut indique qu’elles ont été établies avec le plus

grand soin. Tel est, par exemple, le cas de la carte ukrainienne de 2001. En outre, les frontières

maritimes ne sont pas seulement pertinentes dans l’univers obscur des conseillers juridiques; les

navigateurs ont, eux aussi, besoin d’informations précises.

65 40. En définitive, l’Ukraine en est réduite à dire en substance: «Bien que nos instituts

cartographiques officiels aient établi et publié à pl usieurs reprises des cartes marines officielles sur

lesquelles est représentée une frontière, ce n’est pa s vraiment ce que nous voulions dire». Et

pourtant, ainsi que la Cour l’a indiqué au sujet des cartes marines officielles de la France qui étaient

en litige en l’affaire des Minquiers et Ecréhous , une carte publiée par un Etat sur laquelle est

représentée une frontière sans qu’aucune réserve ne soit exprimée doit être considérée comme «la

preuve des vues officielles [de l’Etat] à l’époque» (affaire des Minquiers et des Ecréhous

(France/Royaume-Uni), C.I.J. Recueil 1953, p.71). La Cour n’a nullement précisé qu’il serait

135
CR 2008/28, p. 21, par. 41 (Wood).
136
CR 2008/28, p. 20, par. 39 (Wood). - 64 -

nécessaire de vérifier que la carte établie l’Etat en question correspondait véritablement à ses

intentions.

Conclusion

41. Madame le président, Messieurs de la Cour , en conclusion, les différentes cartes que la

Roumanie vous a présentées confirment sa positi on au sujet des accords de 1949 ainsi que son

interprétation — tout comme celle de l’Union soviétique, puis de l’Ukraine — à cet égard ;

⎯ ces cartes représentent toujours la frontière tlle que convenue dans les procès-verbaux de

1949 ;

⎯ cette frontière y est toujours représentée comme ayant la même nature sur toute sa longueur, y

compris au-delà de la mer territoriale de la Roumanie ;

⎯ la frontière y est toujours représentée comme se poursuivant jusqu’à un point situé à l’est de

l’île des Serpents, bien au-delà du point où prend fin la frontière représentée sur la carte 134.

42. De plus, les cartes établies par l’Uni on soviétique, puis par l’Ukraine, constituent

clairement une série de déclarations allant à l’encontre de leurs intérêts et ce, sur une période

prolongée.

Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention. Madame le

président, puis-je vous demander d’appeler à la barre M. Daniel Müller ?

Le PRESIDENT: Merci, MonsieurOlleson. Nous appelons main tenant à la barre

Monsieur Müller.

MMÜr. LER:

VI. T HE SULINA DYKE

1. Madam President, Members of the Court, it is hardly surprising that Ukraine has again

tried to discredit the use of the Sulina dyke as a b ase point for the construction of the equidistance

137
line, as it had already attempted to do in the written phase Mr. Bundy would have had you
66
believe that Romania is making the “Serpents’ Island case” ⎯ which in our view it is not and

137
CMU, p. 26, para. 3.53; p. 37, paras. 4.13-4.14. See aRomania (RR), pp. 50-553, paras. 3.66-
3.73. - 65 -

138
should not be ⎯ into the Sulina dyke case ⎯ which it certainly is not either, any more than it is

the Sacalin peninsula case or the Cape Khersones case.

2. And yet you must have heard the subliminal messages from the other side throughout the

Ukrainian presentation last week: Ukraine, while using the Sulina dyke for the construction of its

line representing, in its opinion, equidistance betw een the Parties’ coasts, endeavours to cast doubt

139
on the relevance of the dyke in the delimitation because it is “artificial” or because it is

“man-made” 14. Mr. Bundy has suggested on several o ccasions that perhaps this is a special

141
circumstance , but without drawing the practical conclusions from it as regards the construction

of Ukraine’s so-called “equitable” line. Much ado about nothing!

3. A quick résumé of four points will suffi ce to dispel the doubts created by Ukraine

regarding this part of the Romanian coast.

The Sulina dyke constitutes harbour works within the meaning of Article11 of the
Montego Bay Convention

[Slide No. 1: satellite photograph of the Sulina dyke]

4. Professor Quéneudec seems to be in agreemen t on this point, but could not resist allowing

142
some uncertainty to remain . And yet nothing seems clearer: the Sulina dyke constitutes

outermost permanent harbour works which form an integral part of a harbour system (that of the

port of Sulina), to adopt the wording of Article 11of the Convention.

67 5. As you can see from the slide now on the screen ⎯ showing the dyke from the sea ⎯ the

double dyke constitutes the point of entry to the port of Sulina which establishes the link between

Black Sea traffic and Danube traffic. Without the dyke the port of Sulina could no longer be used

from the sea, and the port, which is still not c onnected to the Romanian road system, would be

nothing but a dead end of little importance. Howeve r, the port has not lost its importance, but is

138
CR 2008/24, p. 15, para. 22 (Bundy).
139CR 2008/24, p. 31, para. 48, p. 31, para. 52 (Bundy); CR 2008/26, p. 27, para. 34, pp. 41-42, para. 94 (Bundy);

CR 2008/28, p. 37, para. 12, p. 49, para. 60 (Bundy); CR 2008/29, p. 34, para. 60 (Quéneudec).
140CR 2008/24, p. 15, para. 22 (Vassylenko) , p. 30, para. 48, p. 31, para. 52, p. 33, para. 59 (Bundy);
CR 2008/28, p. 44, para. 44, p. 45, para. 45 (Bundy); CR 2008/29, p. 31, para. 11 (Malintoppi).

141CR 2008/24, p. 31, para. 48, p. 33, para. 59 (Bundy)CR 2008/26, p. 27, para. 34 (Bundy); CR 2008/28,
p. 37, para. 12 (Bundy).

142CR 2008/29, p. 35, paras. 61-62 (Quéneudec). - 66 -

still the nerve centre of the mariti me arm of the Danube as defined by the Belgrade Convention;

143
about 2,500,000 tonnes of goods pass through it every year . And although the dyke might have

looked very small on the photograph which Messrs. Bundy and Quéneudec showed you last week,

it is 150 m wide, allowing large ships to enter the port.

6. The definition of the term “harbour works” given by the United Nations Division for

144
Ocean Affairs and the Law of the Sea expressly includes dykes (sea walls) protecting the port or

its works. In addition, the Sulina dyke is not “off-shore”, but it is connected to the shore; neither is

it an artificial island, which makes the exclus ion clauses in Article11 of the Montego Bay

Convention inoperative in respect of it.

7. The description of the Sulina dyke and its status in relation to the Convention are

indisputable. With its lighthouse and the buoy s marking its entrance it constitutes permanent

works forming an integral part of the harbour system of the port of Sulina. Moreover, the

145
1948procès-verbal expressly stated the fact, referring to the “dyke of the port of Sulina” . By

virtue of this description, and this is my second point, Madam President, the Sulina dyke is de jure

and de facto an integral part of the Romanian coast.

68
The Sulina dyke is de jure and de facto an integral part of the Romanian coast

Firs.t, de jure, because the 1982 Convention says so very clearly: “the outermost

permanent harbour works which form an integral part of the harbour system are regarded as

forming part of the coast” (Article 11 of the Convention). As part of the Romanian coast, the dyke,

or more precisely its “outermost” point, is integrated into the system of normal baselines, straight

or mixed.

Sec9o.ndly, de facto, or rather de naturae (sic), because, as you can see again on the satellite

image on the screen, the dyke is integrated into the general configuration of the coast, which

continues northwards along the sandy island. This continuity can be seen particularly clearly when

143
River Administration of the Lower Danube (Galati, Romani a), Data traffic ships on maritime Danube, on line:
http://www.afdj.ro/statistics_en.html.
14United Nations, Division for Ocean Affairs and the Law of the Sea, The law of the sea: baselines:

examination of provisions relating to baselines in the United Nations Convention on the Law of the Sea , United Nations,
New York, 1989, Glossary (No. 38).
14See RR, Ann. RR2. - 67 -

Ukraine’s (straight) baselines on the other side of the small bay north of Sulina are taken into

account. This line, which is now on the screen, does not show any abrupt or noteworthy change.

10. But there is one other point, Members of the Court, to which I wish to draw your

attention. Although the Sulina dyke is an artificia l, man-made construction, the necessity for it is

dictated by nature and the particular natural circ umstances in the Danube delta. As you stated last

year regarding the Coco River in the case concerning Nicaragua v. Honduras, “[a]ll deltas are by

definition geographical accidents of an unstable na ture and suffer changes in size and form in

relatively short periods of time” (Territorial and Maritime Dispute between Nicaragua and

Honduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Honduras), Judgment of 8 October 2007, para. 32).

Alluvial deposition in the delta by the Danube is a major problem and indeed is what gave rise to

the construction of the double dyke starting in1856 to provide entry to the port and the Sulina arm.

The steady advance of the land made successive extensions necessary; these were finished in

146
1980 ⎯ i.e., incidentally, well before the cr itical date, whether it is set at 1995 or ⎯ which is

extraordinary ⎯ at 2004 14. Thus the end of the dyke is in no sense arbitrarily fixed; it does no

69 more than anticipate the configuration of the coast as it will be in a few years. You have already

seen the sandy island which has formed and continues to develop north of the dyke. You can also

see on this other satellite photograph showing the d yke from the sea that the water on both sides of

the dyke is already very shallow, for the greater gratification of the pelicans. There are even two

islands, formed naturally by the delta phenomenon, along the southern part of the dyke, on which a

lighthouse and a weather station have been built. [Slide No. 2: map MR A 37 ⎯ then detail on the

Sulina dyke.] One cannot fail to note, on the chart published by the Russian Federation Defence

Ministry Department of Navigation and Oceanograp hy in 1994, that the depths marked around the

dyke do not exceed three metres. It can also be seen on the same chart that already in 1994 the

entrance to the dyke was surrounded by fresh deposits.

[End slide No. 2]

11. In no way, therefore, Madam President, are these harbour works specifically created to

support or improve Romania’s position before the Court or for the delimitation process in general.

146
CR 2008/20, p. 60, para. 14 (Aurescu); CR 2008/21, pp. 22-23, paras. 5-10 (Dinescu).
147
CR 2008/28, p. 25, para. 6 (Malintoppi). - 68 -

So the 5 km of the dyke that extend into the sea ⎯ and it is only 5 km even though the total length

of the dyke is 7.5km ⎯ have been dictated by nature and do no more than anticipate the future

configuration of the Romanian coast, of which the dyke is an integral part.

12. So the Sulina dyke, as part of the coast, is perfectly capable of generating maritime areas

and of being used as a base point, unlik e Serpents’ Island which, though natural ⎯ which in this

case is synonymous with “hostile” ⎯ is not part of the Ukrainian coast. And to come to the third

point in my demonstration, the base point on th e end of the dyke has been duly notified and

expressly acknowledged by Ukraine, unlike the th ree base points chosen by Ukraine on the

coastline of Serpents’ Island.

The base point on the end of the dyke has been duly notified and expressly acknowledged by
Ukraine

13. In discharging its obligation pursuant to Article 16 of the Montego Bay Convention,

Romania has duly communicated and notified its baseline system resulting from the Act

concerning the Legal Regime of th e Internal Waters, the Territori al Sea and the Contiguous Zone
70
of 7 August 1990. This text not only states in its first Article that the baseline includes “the straight

lines which join the most advanced points of the coast, including . . . other permanent harbour

installations” 148; by its geographical coordinates it also defines point 2 at the end of the Sulina

149
dyke . Neither Ukraine nor any other State has protested against this notification. Moreover,

Ukraine has indeed also notifie d harbour works as constituting base points for the construction of

150
its baseline in the Sea of Azov . Ukraine also fails to mention that it has itself used the endpoint

of the Sulina dyke ⎯ our point 2 ⎯ for the construction of its firs t base point in its 1992 baseline

151
notification .

14. Furthermore, Madam President, Ukraine ha s recognized point 2. Its counsel explained

last week that both the construction of the star ting-point of the delimitation which is before

148RR, Ann. 3. For the French translation, see Bulletin de droit de la mer, No. 19, 1991, p. 11.
149
Ibid. (Annex). For the French translation, see Bulletin de droit de la mer, No. 19, 1991, p. 23.
150Bulletin de droit de la mer, No. 36, 1998, p. 54 (para. 11).

151Ibid., p. 52 (para.1). See also http://www.un.g/Depts/los/LEGISLATIONAND TREATIES/PDFFILES/
UKR_1992_CoordinatesBlackSea.pdf. - 69 -

152
you ⎯ called point F by Romania and expressly agreed by the 2003 Treaty on Relations ⎯ and

the so-called equidistance line proposed by Ukraine 15, are based on point 2, i.e., the outermost

point of the dyke, as base point. This comes as no surprise, because the determination of point 2 as

the base point is not only legitimate, but ⎯ and this is my fourth and last point ⎯ use of the Sulina

dyke for the delimitation is also corroborated by jurisprudence and State practice.

Use of the Sulina dyke for the delimitation is also corroborated by jurisprudence and State
practice

15. In its Reply, Romania cited on this subj ect the arbitral award in the case concerning

Delimitation between Dubai and Sharjah , which confirms very clearly that “there is a body of

practice, and of conventional law, in which full effect has been given to harbour works in the

construction of frontal maritime boundaries as between opposing States” 154 and that this principle
71
155
also applies to delimitation between States with adjacent coasts . The Tribunal, applying these

principles to the case before it, included the harbour works of Dubai and Sharjah in calculating the

equidistance line.

[Slide No. 3: satellite photograph of the port of Zeebrugge, Belgium]

16. This is certainly neither the time nor th e place for an in-depth examination of State

practice concerning harbour works. Nevertheless, I would like to show you an example not far

from here: the port of Zeebrugge, a few kilometres from Bruges in Belgium. As you can see on the

screen, the harbour works project about three kilo metres into the sea on a coast which, apart from

these works, is quite simply straight. It is obvious that taking this base point into account has of

necessity an appreciable influence on any delimita tion. And yet the agreement on delimitation of

the territorial sea between Belgium and the Ne therlands signed in 1996 states unambiguously in

Article 2:

152
CR 2008/26, p. 47, para. 12 ( Wood).
153CR 2008/29, p. 35, para. 62 (Quéneudec).

154Award of 19 October 1981, ILR., Vol. 91, p. 662 [translation by the Registry: “dans la pratique comme dans
les règles du droit conventionnel, il a été donné plein et à des installations portuaires dans l’établissement des
frontières maritimes entre Etats se faisant face”].

155Ibid. - 70 -

“The boundary, consisting of the points indicated in Article 1[which sets out the
delimitation line], is based on the principle of equidistance from a maximum base line,
namely the low water mark along the shoreline. Account has been taken of the
156
seaward extension of the port of Zeebrugge in Belgium . . .”

However, this small projection which, unlike th e Sulina dyke, clearly deviates from the general

direction of the coast, has not only been used for delimitation of the adjacent coasts of the

neighbouring Kingdom but also, together with the Ostend harbour works, for delimitation with the

opposing British coast 15.

[End slide No. 3]

17. Madam President, Members of the Court, the present case is certainly not the Sulina

dyke case. However, the dyke has its place in it. It constitutes permanent harbour works for the

port of Sulina and is an integral part of the Roma nian coast. Romania is therefore entitled to rely

72 on this base point for the purposes of the delimitation and to give full effect to it, despite the

Ukrainian innuendos.

18. Members of the Court, this concludes my presentation and I thank you for your kind

attention.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, M. Müller. Votre exposé met un terme à l’audience de

ce matin. Elle reprendra demain matin à 10 heures. L’audience est levée.

L’audience est levée à 13 heures.

___________

15UNTS, Vol. 2051, p. 190 (I-35449) [“The boundary, consisting of the points indicated in Article 1, is based on
the principle of equidistance from a maximum base line, na mely the low water mark along the shoreline. Account has

been taken of the seaward extension of the port of Zeebrugge in Belgium . . .”].
15D.H. Anderson, “Recent Boundary Agreements in the Southern North Sea”, Int’l & Comp LQ, Vol. 41, 1992,
p. 418.

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