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130-20071123-ORA-01-01-BI
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MASI

CR 2007/31 (traduction)

CR 2007/31 (translation)

Vendredi 23 novembre à 15 heures

Friday 23 November at 3 p.m. - 2 -

12 Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. L’audience est

ouverte. Avant de donner la parole aux représentants de la Malaisie, je voudrais brièvement rendre

hommage a un ancien éminent membre de la Cour, qui est décédé dans la nuit du 17 au

18 novembre.

Le juge Raghunandan Swarup Pathak est né en 1924 à Bareilly, Inde. Après des études de

droit et de sciences politiques à l’Université Allahabad, il exerça en tant qu’avocat devant la Cour

suprême de l’Inde avant d’être nommé juge à la haute cour d’Allahabad et ensuite à la Cour

suprême de l’Inde. De 1986 à 1989, juste avant son élection à la Cour, il occupa les fonctions de

Chief Justice de l’Inde. Il fut un membre actif et très respecté de la Cour de 1989 à 1991.

Laissez-moi dire également combien j’ai été attristé d’apprendre que Julio González Campos

était décédé dans la nuit du 20 au 21 novembre. Il a plaidé de nombreuses fois devant la Cour, et a

été désigné en tant que juge ad hoc en l’affaire relative au Différend territorial et maritime entre le

Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras) , mais a dû

démissionner l’année dernière pour raisons de santé. González Cam pos est né en 1932 à Séville,

Espagne. Il a eu une longue et brillante carrièr e universitaire consacrée principalement au droit

international tant privé que public. Il occupa de hautes fonctions universitaires dans son pays et fut

également membre de la Cour constitutionnelle espagnole.

Puis-je vous inviter à vous lever pour observer une minute de silence, en hommage à feu le

juge Pathak et feu le professeur González Campos.

La Cour observe une minute de silence.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de prési dent: Veuillez vous asseoir. Nous allons

maintenant entamer l’audience d’aujourd’hui et je donne la parole sans tarder à M. Crawford.

Vous avez la parole. - 3 -

13 M. CRAWFORD :

E FFECTIVITÉS PENDANT LA PÉRIODE BRITANNIQUE

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, avant toute chose je voudrais remercier

Mme Michelle Bradfield pour l’aide qu’elle m’a apportée dans la préparation de cette plaidoirie.

2. Il m’incombe aujourd’hui d’examiner les effectivités pendant la période britannique, par

laquelle j’entends, pour des raisons de commod ité, la période allant de 1851 à la fin des

années soixante du XX esiècle.

3. Monsieur le président, compte tenu des r ecommandations que vous nous avez faites à la

fin du premier tour sur la longueur des plaidoiries présentées en réplique 1, je me propose de faire

un exposé proportionné aux éléments nouveaux introdu its par Singapour cette semaine, et non à la

véhémence avec laquelle ses conseils les ont présentés. Je pourrai donc être très bref. Je vais

aborder quatre sujets: premièrement, les prétendu es effectivités de la Grande-Bretagne relatives

aux phares; deuxièmement, les incidences du différend de 1861 concernant la pêche;

troisièmement, les lois britanniques et singapour iennes ; quatrièmement, l’appréciation globale que

l’on peut faire du comportement de la Grande-Bretagne pendant cette longue période.

1. Les prétendues «effectivités relatives aux phares» de la Grande-Bretagne

4. La semaine dernière, j’ai expliqué que l’utilisation par un Etat du territoire de l’Etat

2
d’accueil, avec le consentement de ce dernier, est sans effet juridique . Cette utilisation n’est plus

considérée comme «contraire» aux fins de l’acqui sition de la souveraineté. M.Bundy n’a pas

3
attaqué le principe ⎯il a soigneusement évité de l’admettre, aussi élémentaire soit-il . Il s’est

efforcé plutôt de distinguer certains des exemples que j’avais cités, au motif qu’il existait des

arrangements écrits détaillés dans ces cas…

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Excusez-moi de vous interrompre.

Pourriez-vous parler un peu plus lentement ?

1CR 2007/27, p. 68.
2
Ibid., p. 62-63, par. 1-3.
3CR 2007/29, p. 15, par. 28 (Bundy). - 4 -

M. CRAWDORD: Oui, certainement. Il y avait dans ces cas des arrangements écrits

détaillés qui ne s’étendaient pas, comme celui qui nous intéresse ici, sur une période de
4
14 cent trente ans . Bien sûr, les faits diffèrent d’un cas à l’autre, mais le principe de base reste le

même: des activités menées avec le consentement de l’Etat d’accueil ne sont pas contraires à la

souveraineté territoriale aux fins de l’acquisition de la souveraineté. En outre, le degré de formalité

des arrangements en question est fonction des relations entre les deux Etats, de la dimension et de

l’importance du territoire concerné et, surtout, de la date : les arrangements plus anciens tendent à

être beaucoup moins formels et détaillés. L’éventail d es possibilités apparaît dans le préambule de

la loi de 1843 relative à la juridiction à l’étranger ⎯ dont les dispositions sont reprises dans la loi

plus connue de1890, qui l’a remplacée. Ces dispositions mentionnaient la juridiction

extraterritoriale «acquise par traité, capitulation, donation, tolérance, usage et autres moyens

licites», énumération succincte mais complète , qui couvre non seulement les arrangements

conventionnels détaillés, mais beaucoup d’autres situations. Le degré de détail ou de formalisme

est indifférent en droit international : le principe est que l’exercice consensuel du pouvoir ou de la

juridiction ne constitue pas un comportement cont raire ou hostile à l’Etat hôte. En fait, moins

l’arrangement est détaillé, plus l’Etat d’accueil devra s’en remettre à la protection du droit

international général. Toute l’ argumentation de Singapour concerna nt les effectivités pendant la

période britannique repose sur l’idée que le Johor n’avait pas consenti à la construction et à la

l’exploitation du phare. Dès lors qu’il est ét abli que le Johor avait bel et bien donné son

consentement, la situation n’est plus la même, et s’appesantir sur les détails de la construction et de

l’exploitation du phare, comme l’ont fait MM. Brown lie et Bundy, est complètement inutile. Les

Britanniques l’avaient parfaitement compris, c’est pourquoi à aucun moment ils n’avaient émis de

revendication formelle sur PBP, à aucun moment ils n’avaient déployé le drapeau de l’Union ou

publié des cartes présentant l’île comme une dépendance de Singapour. Le grand maître de la loge

«Zetland in the East» n’avait pas davantage le pouvoir de revendiquer un territoire pour la

Couronne par une formule vague que le secrétaire d’Etat par intérim du Johor n’avait celui de céder

une partie du territoire du Johor en signant une lettre.

4
CR 2007/29, par. 29 (Bundy). - 5 -

2. L’incident de 1861 concernant la pêche

5. Le second point que j’aborderai est l’incident de 1861 concernant la pêche. Sir Elihu nous

a expliqué la semaine dernière que la corr espondance relative à un certain nombre d’incidents

survenus peu après 1860 et impliquant des pêcheu rs montre deux choses: premièrement, que la

Grande-Bretagne n’avait pas reve ndiqué d’eaux au-delà de la limite des 10milles autour de

Singapour et, deuxièmement, que la lettre du colonel Ca venagh du 15mai1861 au temenggong

5
montre que le gouverneur ne revendiqua it pas les eaux de PBP comme britanniques . La première

préoccupation du gouverneur était la crainte que des résidents de Singapour n’aient à payer des

taxes pour pêcher dans les eaux de Singapour, c’est -à-dire à l’intérieur des 10 milles marins autour

15 de l’île principale. Quand il est apparu claireme nt que les activités de pêche en question s’étaient

déroulées, non pas dans les eaux de Singapour ma is autour de PBP, l’attitude du gouverneur a

changé du tout au tout, son souci étant alors celui d’éviter qu’un règlement en principe valide soit

appliqué de manière abusive. A aucun moment , le gouverneur n’a parlé des eaux entourant PBP

comme des eaux de la colonie.

6. M. Chao a répondu lundi que, au contraire, cette correspondance «démontre très

clairement que les Singapouriens concernés et les autorités britanniques de Singapour considéraient

que le temenggong n’avait ni juridiction ni autor ité dans les environs de Pedra Branca». A son

avis, les pêcheurs chinois avaient menti en disan t qu’ils pêchaient à proximité de PBP et non dans

les eaux peu profondes proches d’un village de Johor, parce qu’ils craignaient que, sinon, les

6
autorités britanniques ne cherchent pas à obtenir réparation po
ur eux . Leur mensonge, selon lui,

confirme la théorie de la juridiction de Singapour.

7. La Malaisie a examiné cet argument dans sa réplique, et ce qu’elle y a dit s’applique

également à l’analyse de M.Chao. Il n’y a pas de contradiction dans les documents. Il n’y a

aucune raison de penser que les pêcheurs chinoi s aient menti sur l’endroit où ils avaient pêché ce

jour-là et où ils pêchaient normalement, «un peu au-delà de Pulo Pikong et de ce côté-ci de Pedro

Branco». Les pêcheurs avaien t demandé l’assistance des autorités de Singapour pour qu’elles les

protègent à la fois des agressions des sujets du temenggong et des taxes excessives qu’on leur

5
CR 2007/26, p. 49-50, par. 49-50 (Lauterpatch).
6
CR 2007/28, p. 35, par. 27 : RS, app. B, par. 20. - 6 -

faisait payer pour les laisser pêcher. Le colonel Cavenagh, à la lecture de l
a plainte des Chinois,

avait compris que l’agression avait eu lieu dans l es parages de PBP, et sa réponse fut de dire au

temenggong de s’occuper de l’incident. Cette réaction contraste avec la manière dont les

Britanniques traitaient les incidents de pêche se pr oduisant dans la limite des 10milles autour de

Singapour: dans ces cas-là, les autorités britanniques rappelaient au contraire au temenggong, de

façon on ne peut plus nette, que lui-même et s es sujets n’avaient aucun pouvoir sur les sujets

britanniques dans les eaux singapouriennes. La le ttre de Cavenagh montre clairement qu’il ne

considérait pas comme britanniques les eaux ent ourant PBP. Rien dans la correspondance

n’indique non plus, contrairement à ce qui est dit da ns les lettres concernant les permis et droits de

pêche du temenggong dans les eaux singapouriennes, que le temenggong n’avait pas le droit

d’appliquer un système de permis ou d’imposer d es taxes pour la pêche pratiquée «un peu au-delà

de Pulo Pikong et de ce côté-ci de Pedro Branco».

16
3. Les lois britanniques et singapouriennes avant 1980

8. Je vais maintenant aborder mon troisièm e point, c’est-à-dire les lois britanniques et

singapouriennes qu’invoque Singapour. En réalité, soit ces lois sont neutres, soit elles appuient la

position de la Malaisie.

Les lois de 1982 et 1854

9. Singapour s’efforce de brouiller le sens tr ès clair des lois de 1852 et 1854 établissant le

système des phares des détroits et prévoyant la pe rception de droits de phare pour couvrir le coût

du phare Horsburgh et d’autres phares.

10. M.Bundy a soutenu que l’on pouvait attach er de l’importance au fait que la loi faisait

une différence entre PBP et 2½ Fathom Bank, différence qui s’expliquait parce que la

Grande-Bretagne avait la souveraineté sur PBP ma is pas sur le phare de 2½ Fathom Bank Light,

qui était un feu flottant. Je ne vais pas répéter ce qu’il a dit, sa déclaration figure au paragraphe 40

de son intervention (CR2007/29, p.17). Certes, le libellé n’est pas le même dans les deux cas,

mais l’explication que donne M.Bundy ⎯à savoir que la Grande-Bre tagne avait la souveraineté

7
CR 2007/29, p. 17, par. 39 (Bundy). - 7 -

sur PBP mais pas sur le phare du 2 ½ Fathom Bank ⎯ ne peut être inspirée que par une crise aiguë

de «Pedrobranquisme». Un feu flottant, comme un navire-phare, n’est pas une installation fixe:

c’est une installation mobile, et il est inutile de légiférer spécifiquement sur les biens qui s’y

trouvent. Qu’il soit situé en haute mer ou dans les eaux territoriales, il appartient, comme un

navire, à la personne qui l’a installé. Tout ce que le législateur avait à faire, c’est pourvoir à sa

gestion.

11. L’explication de M. Bundy se heurte à un autre obstacle, à savoir l’ordonnance de 1912,

abolissant en partie la loi de 1854. L’article 3 de cette ordonnance, qui est très semblable à l’article

des lois de 1852 et de 1854 attribuant au gouvernement la propriété du phare Horsburgh, est ainsi

conçu :

«Le phare connu sous le nom de phare Horsburgh, qui est situé sur l’îlot
rocheux appelé Pedra Branca, à l’entrée est du détroit de Singapour, ainsi que tous

autres phares à présent érigés dans les détr oits de Malacca et de Singapour ou à
proximité de ceux-ci, avec leurs dépendances et l’ensemble des installations,
instruments et mobilier qui leur sont accessoires, demeurent la propriété du
gouvernement et lui sont pleinement dévolus.» 8

En 1912, Singapour administrait cinq phares, dont deux étaient construits sur son propre territoire

⎯le phare Sultan Shoal et le phare Fort Canning ⎯ et trois ne l’étaient pas ⎯celui de Pulau

17
Pisang, celui du cap Rachado et le phare Horsburgh. Cet article du texte de1912 que je viens de

vous lire s’appliquait également aux cinq phares. Il est clair que la proprié té des cinq phares était

dévolue au gouvernement, sans égard à la s ouveraineté. En outre, cette ordonnance est

manifestement extraterritoriale dans ses effets, du moins en partie. Cela montre que la prétendue

doctrine de l’incompétence législative extraterritoriale de la colonie ⎯c’est bien la première fois

que j’entends un Français invoquer la doctrine de l’incompétence législative extraterritoriale de la

colonie, doctrine de portée façon extrêmement in certaine et qui n’est apparue en droit britannique

qu’en 1891 ⎯ ne s’est jamais appliquée à la législation concernant la propriété des installations des

phares des détroits, à quelque pays qu’appartînt le te rritoire sur lequel ces phares étaient situés. Et

je renvoie la Cour à l’analyse pénétrante faite de cette doctrine par M. O’Connell dans la Law

Quaterly Review 9.

8
MM, vol. 3, annexe 90.
9Voir D. P. O’Connell, «The Doctrine of Colonial Extra-Territorial Legislative Incompetence» (1959)

75 LQR 318, 324. - 8 -

12. De toute façon, les termes employés dans les lois et ordonnances n’étaient pas

applicables à un feu flottant. Les lois de 1852 et 1854 mentionnent le «phare ainsi que les

dépendances s’y rattachant ou occupées pour ses besoins», etc 10. Un feu flottant ne présente pas

ces caractéristiques. La loi de 1912 n’inclut dava ntage les feux ou balises dans son article sur la

dévolution de la propriété.

13. La semaine dernière, sirElihu a parlé de la loi de 1843 relative à la juridiction à

l’étranger, qui permettait à la Grande-Bretagne de légiférer avec effet extraterritorial 11. A cela

aussi, M. Bundy a opposé deux arguments.

14. J’ai déjà relevé que cette loi mentionnait les «pouvoirs et juridictions acquis par traité,

capitulation, donation, tolérance, usage et autres mo yens licites». Nous avons montré que le Johor

avait donné l’autorisation de construire et exploite r le phare. La loi a vocation à s’appliquer à ce

cas.

15. Deuxièmement, M. Bundy déclare que la loi de 1852 ne renvoyait pas à la loi relative à

la juridiction à l’étranger. Mais, en common law, une loi n’a pas besoin pour être valide de citer la

source de compétence, de manière exacte ou non, co mme l’a relevé lord Hoffman dans le contexte

de la loi britannique sur les établissements dans l’affaire de l’
Ile de Pitcairn 1. L’ordonnance de

Singapour de 1912 ne cite pas la source de comp étence, mais nul ne conteste qu’elle a certains

effets extraterritoriaux.

18 16. Ceux d’entre vous qui souha iteraient approfondir cette qu estion quelque peu ésotérique

trouveront dans le dossier de plaidoiries une liste des textes législatifs relatifs aux Indes établie

sous les ordres du gouvernement de l’Inde. Vous y trouverez ⎯ sous l’onglet 117 ⎯ plusieurs

mentions de la loi relative à la juridicti on à l’étranger: le gouvernement de l’Inde avait

manifestement compétence pour agir en vertu de la loi de 1843, ce qui était très raisonnable vu la

grande diversité des arrangements relevant de la rubrique «Indes britanniques».

10MM, vol. 3, annexes 84 et 85.
11
CR 2007/24, p. 49-50, par. 53 ; CR 2007/26, p. 46, par. 36-37 (Lauterpacht).
12(2006) UKPC 47, par. 11 - 9 -

La législation sur les droits de phare

17. Je vais maintenant passer à la législati on sur les droits de phare. M. Bundy a essayé de

semer le doute sur le sens des textes de 1957 et 1958, pourtant dépourvus d’ambiguïté 1. La

question concerne le changement de rédaction intervenu entre les deux textes, celui de 1957 parlant

des «aides à la navigation dans les eaux de la colonie», celui de 1958 parlant des phares, feux

flottants, balises et autres aides à la navi gation «à Singapour», les phares de Pedra Branca

⎯ Horsburgh ⎯ et de Pulau Pisang, qui ne se trouvent pas sur le territoire de Singapour, étant cités

à part.

14
18. M. Bundy a invoqué une lettre du Master Attendant de Singapour . La lettre de Rickard

est d’une confusion absolue: son auteur parle du phare comme s’il s’ag issait d’un territoire

souverain, distinct des rochers sur lesquels il est co nstruit. De toute façon, cette lettre ne saurait

l’emporter sur les termes très clairs de la loi.

19. Deuxièmement, M. Bundy invoque les explications données à l’assemblée législative de

Singapour au sujet des modifications apportées à la rédaction du texte 15. La déclaration qu’il cite

ne mentionne pas PBP, mais seulement Pulau Pisang. Une déclaration qui ne mentionne pas l’effet

de la nouvelle rédaction à l’égard de PBP et du pha re Horsburgh n’a aucune espèce de pertinence

16
ici. Même selon les principes modernes d’interprétation des lois en droit anglais ⎯ pour ne rien

dire des principes qui étaient applicables à l’époque ⎯, elle ne peut pas être utilisée pour modifier

ou altérer le sens clair d’un texte tel qu’il ressort de ses termes mêmes.

20. Les deux textes parlent d’eux-mêmes. Ils ne sont pas la preuve de la souveraineté sur

PBP, bien au contraire. De plus, comme je l’ai dit, c’était à la Grande-Bretagne, puis à Singapour,

de revendiquer la souveraineté sur PBP ⎯et l’on ne revendique p as la souveraineté par une

19 correspondance interne avec un Master Attendant. Mettre dans le même sac Horsburgh et Pulau

Pisang, en les distinguant des phares de Si ngapour, est une curieuse façon d’émettre une

revendication de souveraineté sur un territoire.

13CR 2007/29, p. 20-21, par. 52-55 (Bundy).
14
Dossier de plaidoiries de Singapour, onglet 26
15
Ibid., onglet 27.
16Voir Pepper (Inspector of Taxes) c. Hart (1993) AC 593. - 10 -

4. Une appréciation globale du comportement britannique pendant cent quinze ans

21. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, Singapour se plaît à évoquer les

cent cinquante ans d’administration du phare Horsburgh. Mais en fait, pendant plus des deux tiers

de cette période, Singapour relevait de la Grande-Bretagne, et il es t évident que celle-ci n’a jamais

annexé ni revendiqué l’île et qu’e lle ne s’est jamais comportée comme si elle avait la souveraineté

17
sur elle. Telle est la base de l’appréciation de Pavitt que je vous ai citée la semaine dernière .

22. M.Bundy a écarté cet argument d’une seule phrase, sans doute parce qu’il ne pouvait

guère en dire plus long. Pavitt, le directeur de la marine de Singapour, faisait une distinction entre

les aides à la navigation dans les eaux singapouriennes et les aides à la navigation à Pedra Branca et

à Pulau Pisang, poursuivant ainsi: «Dans les eaux de Singapour, le conseil entretient les phares

18 19
Raffles, Sultan Shoal et Fullerton…» Je ne répéterai pas ce que j’ai dit la semaine dernière : il

suffit de dire que le sens est clair et net.

23. M. Bundy invoque une lettre de l’assistant de Pavitt pour réfuter l’opinion de ce dernier,

cherchant en fait à imposer les vues du subordonné à celles de son supérieur expérimenté. Mais,

même s’il y avait désaccord, ce qui compte c’est que c’est l’opinion de Pavitt qui a été diffusée par

le conseil des droits de pha re de Singapour. Les commentaires de son subordonné, à usage

purement interne, n’ont jamais été rendus publics jusqu’à la réplique de Singapour dans la présente

espèce. Et ce qui compte aussi, et surtout, dans ce contexte, c’est précisément l’opinion connue du

public, les positions prises publiquement par Singapour ou ses représentants officiels, qui montrent

comment était perçu le rôle de Singapour en ta nt qu’exploitant de phare et/ou en tant que

souverain. En cela, l’attitude de la Grande-Breta gne est restée constante, et celle de Singapour

ensuite est restée constante jusqu’à la date critique ⎯et, pour ce qui est des cartes et des textes

législatifs, bien après cette date.

17
CR 2007/26, p. 69-70, par. 47-51.
18
MM, annexe 74.
19CR 2007/26, p. 69-70, par. 47-51. - 11 -

Conclusion
20
24. Monsieur le président, Messieurs de la C our, Singapour a essayé de réfuter le fait que la

Grande-Bretagne n’avait eu l’intention d’acquérir la souverainetsur PBP et qu’elle ne l’avait

d’ailleurs jamais fait. Cependant, on en trouve la preuve évidente partout dans le dossier.

Monsieur le président, pourriez-vous maintenant donner la parole à NicoSchrijver, qui

poursuivra l’exposé de la Malaisie ?

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, M. Crawford, pour

votre exposé. Je donne maintenant la parole à M. Schrijver, pour qu’il poursuive les plaidoiries de

la Malaisie.

M. SCHRIJVER: Merci, Monsieur le président.

L A CONDUITE DE LA M ALAISIE ET LA PRATIQUE DES E TATS TIERS CONFIRMENT
LE TITRE DE LA M ALAISE SUR LES TROIS FORMATIONS

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, j’aurai aujourd’hui l’honneur de vous

entretenir de trois questions en réponse aux e xposés que Singapour a présentés dans son second

tour de plaidoiries. J’aborderai, premièrement, la conduite de la Malaisie; deuxièmement, la

conduite observée par les Etats tiers ou ayant fait intervenir ces derniers ; et troisièmement, le statut

distinct de Middle Rocks et de South Ledge.

I. La conduite de la Malaisie.

2. Mme Malintoppi parle d’un «manque foncier de cohérence» 20dans les pièces de la

Malaisie, à savoir que nous cherc hons à apporter la preuve à la fo is d’un titre originaire et d’une

conduite reflétant l’exercice de la souveraineté sur les trois formations. Monsieur le président, la

Malaisie ne voit pas pourquoi cela est contradictoire.

3. Au premier tour des plaidoiries, j’ai distingué cinq grandes catégories d’activités

caractérisant la conduite de lMalaisie à l’égard des trois form ations. Ces catégories sont les

suivantes :

⎯ la conclusion de divers traités relatifs aux frontières maritimes et aux ressources marines ;

20
CR 2007/29, p. 25, par. 2. - 12 -

⎯ l’octroi de concessions pétrolières ;

⎯ l’établissement de cartes et de graphiques ;

21 ⎯ l’adoption de textes de loi ; et

⎯ la réglementation des activités de pêche et le maintien de l’ordre en mer 21.

22
4. Au second tour des plaidoiries, Singapour a qualifié d’«épisodes» les activités menées

par la Malaisie dans chacune de ces catégories ; cependant Monsieur le président, à l’exception de

l’administration effective du phare, les préte ndues effectivités britanniques ou singapouriennes

étaient tout aussi épisodiques ⎯ c’était du moins certainement le cas avant la date critique.

5. Monsieur le président, je répondrai à présent aux critiques que formule Mme Malintoppi à

propos des exemples que nous avons cités pour chacune de ces catégories.

6. En ce qui concerne la conclusion de traités, nous apprécions différemment la pertinence de

23
l’accord sur le plateau continental conc lu entre l’Indonésie et la Malaisie . L’accord fut conclu

en1969, alors que ⎯conformément à la tendance générale qui se faisait jour dans le droit de la

mer ⎯ presque tous les Etats côtiers de la région avaient établi une mer territoriale de 12milles

marins : l’Indonésie dès 1960, la Thaïlande en 1966 et la Malaisie en 1969. Singapour ne le fit pas

car cela n’était pas nécessaire étant donné ses eaux territoriales semi-fermées. Le point11 ⎯ le

point déterminant dans nos pourparlers en vue de l’accord de 1969 sur le plateau continental ⎯ est

à 6,4 milles marins de PBP ⎯ soit déjà bien à l’intérieur de la mer territoriale de 12 milles marins

engendrée par l’île.

7. Mme Malintoppi prétend que l’accord de 196 9 «ne porte sur aucune des îles en litige qui

24
n’y sont pas mentionnées» . Mais la question suivante se pose alors immédiatement : Pourquoi le

seraient-elles? L’accord, qui contient seuleme nt huit articles, concerne une vaste étendue

maritime ; il ne mentionne aucune île. Mme Malintoppi déclare : «En n’incluant pas la zone autour

de PedraBranca, les parties à l’accord ont reconnu que l’île ne relevait de la souveraineté ni de

l’une ni de l’autre.» 25. C’est là un effort d’imagina tion remarquable, pour deux raisons.

21CR 2007/29, p. 12, par. 4.

22Ibid., p. 26, par. 4.
23
CR 2007/29, p. 28, par. 11 et CR 2007/27, p. 12-14, par. 5-8.
24CR 2007/29, p. 28, par. 11.

25Ibid. - 13 -

Premièrement, l’article1 de l’accord dispose que: «[L]a délimitation du plateau continental entre

la Malaisie et l’Indonésie dans le détroit de Ma lacca et la mer de Chine méridionale est constituée

26
22 par…» Deuxièmement, les eaux entourant les trois formations sont couvertes par l’accord.

8. Est-il vrai que l’accord ne concernait pas les trois formations et les eaux environnantes,

ainsi que l’affirme Singapour ? A l’écran ⎯ et le graphique figure également sous l’onglet 178 de

votre dossier ⎯, nous pouvons voir le secteur de patrouilleF5 de la marine singapourienne et les

endroits où eurent lieu les incidents maritimes, ains i que le point 11 de la frontière maritime fixée

par l’accord Indonésie-Malaisie de 1969 relatif au plateau continental. Ni en 1969, ni en1975,

Singapour n’a protesté contre un empiétement de l’accord sur les eaux territoriales de PBP. La

raison en est simple : à l’époque, Singapour n’estima it pas avoir le moindre intérêt territorial dans

la zone couverte par cet accord.

La9. deuxième catégorie que j’ai distinguée concerna it l’octroi de concessions pétrolières 27.

Mardi, Singapour a fait valoir que «[n]i PedraBranca ni SouthLedge ni MiddleRocks ne sont

mentionnés à aucun moment dans l’accord» 28. Une fois de plus, je pose la question : pourquoi le

seraient-ils? La zone couverte par la con cession comprenait les trois formations, comme vous

pouvez maintenant le voir à l’écran ⎯ le graphique figure égalemen t sous l’onglet 179 du dossier

de plaidoiries.

29
L1a0. troisième catégorie concernait l’établissement de cartes et de graphiques . A titre

d’exemple, j’ai mentionné l’importante lettre de promulgation du contre-amiral Thanabalasingam,

et les cartes qui lui étaient jointes. Selon Singa pour, «on peut difficilement décrire cette lettre et

30
ses annexes comme étant une «manifestation de souveraineté» sur PedraBranca» . Singapour

prétend en outre que cette lettre ne cadre pas avec la conduite de la Malais ie, celle-ci n’ayant pas

demandé que le pavillon déployé sur le phare Horsburgh soit abaissé comme elle l’avait fait pour le

phare de PulauPisang 31. Mon collègue, sirElihu, a déjà expliqué que le cas de PulauPisang

26 MM, vol. 2, annexe 16.

27 CR 2007/27, p. 14-16, par. 9-15.
28
CR 2007/29, p. 28, par. 12.
29
CR 2007/27, p. 16-17, par. 16-21.
30 CR 2007/29, p. 29, par. 14.

31 Ibid. - 14 -

n’avait rien à voir avec celui du phare Horsburgh. Et, s’agissant de la lettre de 1968, elle était

adressée à tout le personnel de la marine et aux commandants de flotte, pour exécution. Le texte de

32
23 la lettre et les cartes qui lui étaient jointes étai ent disponibles sur tous les navires de la marine .

Les trois formations s’y trouvaient incluses. A ce titre, la lettre constitue donc bien une

manifestation supplémentaire de l’exercice, par la Malaisie, de sa souveraineté sur ses îles, ses

rochers, ses hauts-fonds découvrants et ses zones maritimes.

La1. quatrième catégorie concernait la pr omulgation de textes de loi 33, en particulier

l’ordonnance de 1969 sur l’état d’urgence (pouvoirs essentiels), qui porta officiellement la mer

territoriale de la Malaisie de3 à 12milles ma rins. Mardi dernier, Singapour s’est à nouveau

lamentée à ce sujet, pour dire que «PedraBran ca et ses formations connexes» n’y sont pas

34
mentionnées . Et je repose la question : Pourquoi le seraient-elles ? Aucun des quelque mille cent

îles et rochers qui se trouvent sous souveraineté malaisienne n’est men tionné. Singapour affirme

en outre que l’ordonnance ne fait pas mention «du territoire à partir duquel la mer territoriale doit

être mesurée» 35. Mais l’ordonnance mentionnait expressément, et comportait même en annexe, les

articles pertinents de la convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë, y compris

ceux qui traitaient du tracé de points de base.

12. Enfin, la cinquième catégorie portait sur la réglementation des activités de pê
che et le

36
maintien de l’ordre en mer . Les réglementations officielles de la Malaisie s’appliquaient

également aux eaux des trois formations. La mari ne et la police maritime malaisiennes étaient

chargées de les faire r especter. Une fois de plus, Singapour affirme qu’il n’existe pas de preuves

documentaires de réglementation des activités de pêche ou d’activités de patrouilles spécifiquement

liées à Pedra Branca 37. Certes, Monsieur le président, il ne s’agit pas d’une zone faisant l’objet de

rapports quotidiens mais ⎯ainsi qu’en témoignent, dans leur s déclarations sous serment, le

32Déclaration sous serment du contre-a miral (à la retraite) Dato’ Karalasingam Thanabalasingam, CMM, vol. 2,
annexe 4, p. 23, par. 69.

33CR 2007/27, p. 17-18, par. 22-24.
34
CR 2007/29, p. 29, par. 15.
35
Ibid., p. 29, par. 16.
36Voir CR 2007/27, p. 18, par. 25-27.

37CR 2007/29, p. 30, par. 17-18. - 15 -

38
contre-amiral Thanabalasingam et les deux pêcheurs ⎯des patrouilles et des activités de pêche

s’y déroulaient bel et bien. Quant à l’effet juridi que d’actes privés, tels que la pêche, la Malaisie

n’a nullement affirmé que ces actes constituaient des exemples de conduite à titre de souverain. Ils

illustrent, en réalité, le fait que les usagers économiques de la zone considéraient les eaux entourant

les trois formations comme malaisiennes. A ce titre, ils sont pertinents aux fins de la présente

espèce.

24
II. Pratique d’Etats tiers ou faisant intervenir des Etats tiers

13. Monsieur le président, permettez-mo i maintenant de répondre aux arguments de

Singapour relatifs à la conduite observée par des Etat s tiers ou ayant fait intervenir des Etats tiers.

Pour commencer, j’aimerais qu’il soit pris acte de ce que, y compris dans cette dernière phase de la

procédure, Singapour n’a pas fourni à la Cour le moindre exemple d’une reconnaissance par un

Etat tiers de sa prétendue souveraineté sur l’une ni, encore moins, sur deux ou l’ensemble des trois

formations. Nous pouvons donc maintenant conclure sans risque d’erreur qu’aucun tiers n’a jamais

formulé une telle reconnaissance. Le seul élém ent de preuve allégué, que Singapour ne cesse de

mentionner, est le communiqué de presse publié en 2005 par les Philippines au sujet de la collision

survenue entre deux navires «au large de Pedra Branca, à Singapour» 39. Mon éminente collègue,

Mme Malintoppi, prétend que «ce doc ument reconnaît que Pedra Branca fait partie du territoire de

40
Singapour» . Hormis le fait que cet incident isolé est survenu vingt cinq ans après la date critique,

MmeMalintoppi a choisi de ne pas répondre à ma question visant à clarifier le sens de cette

prétendue «reconnaissance», terme qui n’est pas utilisé par les Philippines mais seulement par

Singapour elle-même.

14. Mme Malintoppi a également commenté différents documents néerlandais, dont certains

datent du XIX e siècle mais d’autres remontent même au XVII e41. Singapour continue de prétendre

que l’épisode particulier de1850 «[est] la pre uve que les Néerlandais considéraient que la

38
Déclaration sous serment du contre-a miral (à la retraite) Dato’ Karalasingam Thanabalasingam, CMM, vol. 2,
annexe 4, p. 26-27, par. 76-81 ; déclaration sous serment d’Idris Bin Yusof [tra duction française réalisée à partir de la
traduction anglaise], CMM, vol.2, annexe 5, p.4, par.14; déclaration souserment de SabanBinAhmad [traduction
française réalisée à partir de la traduction anglaise], CMM, vol. 2, annexe 6, p. 4, par. 12.
39
CR 2007/29, p. 33, par. 27.
40Ibid.

41CR 2007/29, p. 31-32, par. 21 et 23. - 16 -

42
Grande-Bretagne avait la souveraineté sur Pedra Branca» . Monsieur le président, nul n’est

besoin de répéter les quatre arguments que j’ai soutenus lors du premier tour et qui démontrent que

la lettre néerlandaise de 1850 ne constitue certainement pas un acte de reconnaissance ⎯ lettre qui,

43
soit dit en passant, n’émanait pas du résident néerlandais, un fonctionnaire de haut rang à Riau ,

mais du secrétaire néerlandais à Batavia, contrairement à ce que MmeMalintoppi a indiqué,

commettant en cela une légère erreur. Il est t out à fait disproportionné de comparer cette brève

correspondance ⎯cette brève correspondance interne entr e deux fonctionnaires néerlandais au

sujet de la question secondaire d’un surcroît de dépense occasionné par des travaux en cours ⎯ à la

lettre de promulgation officielle adressée en 1968 par le contre-amiral Thanabalasingam à tout son

état-major au sujet de l’étendue des eaux territoriales de la Malaisie.

15. Par ailleurs, Mme Malintoppi m’oblige à faire une observation sur la traduction et le sens

44
du mot néerlandais grondgebied . Sa traduction en français par territoire n’est pas fautive, mais il

25 convient de relever que le mot grondgebied a un sens plutôt générique et peut tout aussi bien être

traduit par zone. L’édition de1864 ⎯c’est-à-dire celle de l’époque considérée ⎯ du nouveau

dictionnaire de la langue néerlandaise (Nieuw Woordenboek der Nederlandsche Taal) , ouvrage

consulté à la Bibliothèque royale, donne d’autres sens du mot grondgebied, tels que circonscription

45
ou municipalité . Mon collègue sirElihu n’avait donc pas tort lorsqu’il a utilisé l’expression

«faisant partie de la sphère d’influence britannique» 46.

16. De plus, il n’est tout simplement pas vrai que nous «a[yons] commodément passé sous

silence» la lettre de1655 adressée par le gouve rneur néerlandais de Malacca à la Compagnie

néerlandaise des Indes orientales à Batavia 47. M. Crawford a fort bien répondu sur ce point lors de

48
notre premier tour de plaidoiries . L’élément principal de sa réponse ⎯réponse que je ne

reprendrai pas ici ⎯ était que, même si la traduction de Singapour était plus précise, la lettre

42CR 2007/29, p. 31, par. 22.

43CR 2007/29, p. 31, par. 21.
44
Ibid., p. 31, par. 22.
45
I. M. Calisch and N. S. Calisch, Nieuw woordenboek der Nederlandsche taal, Tiel: H. C. A. Campagne (1864).
46CR 2007/26, p. 21, par. 45 (Lauterpacht) ; CR 2007/29, p. 31, par. 22 (Malintoppi).

47CR 2007/29, p. 31, par. 23.

48Voir CR 2007/24, p. 61-2, par. 14 - 17 -

néerlandaise de1655 démontrait que «les Néerlandai s prenaient soin de ne pas contrarier le

souverain de Johor, parce qu’il contrôlait les Or angLaut qui pouvaient gravement perturber la
49
navigation lorsqu’ils ne pêchaient pas» .

17. Pour ce qui concerne la pratique de la Grande-Bretagne, je serai très bref: que ce soit

avant ou après l’indépendance de Singapour, il n’exis te pas l’ombre d’une preuve attestant que la

Grande-Bretagne aurait considéré les trois forma tions comme faisant partie de Singapour. Point

final !

18. Quant à la pratique ⎯ l’intéressante pratique ⎯ de l’ Indonésie au cours de la période

moderne, le fait est tout simpleme nt que ce pays, lorsqu’il a conclu trois importants traités relatifs

aux frontières maritimes avec ses voisins, était conv aincu que PulauBatuPuteh, MiddleRocks et

South Ledge appartenaient à la Malaisie ⎯ je fais ici référence à l’accord de 1969 entre l’Indonésie

et la Malaisie relatif à la délimitation du plateau continental entre les deux pays, à l’accord de 1970

entre l’Indonésie et la Malaisie relatif aux mers territoriales et à l’accord de 1973 ⎯ notez bien son

intitulé ⎯ définissant les limites des mers territoriales de l’Indonésie et de la République de

Singapour.

26 19. Il ressort de ces instruments que l’Indonési e n’a jamais considéré qu’un Etat autre que la

Malaisie détenait la souveraineté sur les trois fo rmations. Ainsi que votre devancière, la Cour

permanente de justice internationale, l’a fait observer en 1933 dans l’affaire du Groënland oriental

au sujet des traités conclus par le Danemark avec des Etats tiers, «[d]ans la mesure où ces traités

viennent à l’appui de la reconnaissance de sa souveraineté sur le Groënland en général, le

Danemark a le droit de se fonder sur eux.» (Statut juridique du Groë nland oriental, arrêt, 1933,
o
C.P.J.I. sérieA/B n 53, p.52). De la même manière, la Malaisie a le droit de se fonder sur des

traités qui viennent à l’appui de la reconnaissan ce de son titre originaire sur PulauBatuPuteh,

Middle Rocks et South Ledge.

20. Enfin, Monsieur le président, Singapour n’a pas jugé bon de répondre à l’examen assez

détaillé par la Malaisie de la coopération interétatique dans les détroits en vue d’assurer la sécurité

en mer ainsi que la sûreté de la navigation et du commerce dans leur ensemble, et de protéger et

49
Voir CR 2007/24, p. 62, par. 15 - 18 -

préserver l’environnement marin dans la zone de coopération, y compris les eaux pertinentes

situées autour de Pulau Batu Puteh 50.

III. LE STATUT DISTINCT DE M IDDLE R OCKS ET DE SOUTH L EDGE

21. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, pour clore mon exposé, je voudrais en venir

à la question du statut distinct de MiddleRocks et de SouthLedge. Au huitième point de sa

plaidoirie, M.Koh a réaffirmé que, «pour des ra isons de proximité, ainsi que pour des raisons

géologiques, historiques et juridiques, les trois form ations [étaient] indissociables et d[evaient] être

51
considérées ensemble» . Comme le sait M.Koh, le chiffre huit (« ba», en chinois) est

généralement porte-bonheur. Mais pas cette fois.

22. Tout d’abord, la proximité, ainsi que nous l’avons démontré lors du premier tour, ne

52
constitue pas un argument . M.Chao a néanmoins affirmé que, sur cette question, j’avais «cité

tout à fait à tort» un passage de la sentence arbitrale rendue en l’affaire Erythrée/Yémen 53.

Toutefois, l’appréciation de Singapour quant à la pertinence de cette sentence passe à côté de

l’essentiel. PBP, MiddleRocks et SouthLedge se trouvent clairement en dehors de la zone des

12 milles de la côte de Singapour. Pour Singapour, la question de la proximité ne se pose pas. Si

les trois formations avaient été situées à l’intérieu r de la zone côtière de Singapour, celle-ci aurait

pu soutenir qu’elles lui appartenaient. Mais, ains i que l’a fait observer le tribunal arbitral dans

27
l’affaire Erythrée/Yémen, «il n’existe pas de présomption analogue en dehors de la zone côtière, où

la propriété des îles devient manifestement litigieuse» 54. Et, en l’espèce, Monsieur le président, la

souveraineté sur PBP, MiddleRocks et South Ledge est «manifestement litigieuse». Aussi

Singapour ne peut-elle prétendre mesurer ses eaux te rritoriales à partir de PBP si sa souveraineté à

l’égard de cette dernière n’est pas établie.

50CR 2007/27, p. 29, par. 61.
51
CR 2007/29, p. 58-59, par. 9.
52
CR 2007/26, p. 27, par. 16.
53CR 2007/28, p. 23, par. 18.

54Erythrée/Yémen, sentence du tribunal arbitral dans la première étape de la procédure (Souveraineté territoriale
et champ du différend), 9 octobre 1998, Permanent Court of Arbitration Award Series, vol. 1, p. 423, par. 474. - 19 -

23. Pour ce qui est de la géologie, Singapour a raison d’indiquer que «la question n’est pas

de savoir si PedraBranca, MiddleRocks, S outhLedge et Singapour constituent un groupe» 55. Si

tel était le cas, en effet, Singapour pourrait chercher à satisfaire son évidente aspiration à devenir un

Etat archipélagique au titre de la partieIV de la convention de1982 sur le droit de la mer.

Toutefois, la seule question qui se pose est celle de savoir si PBP forme un groupe avec

MiddleRocks et SouthLedge. Ainsi que l’a souten u la Malaisie, une telle conclusion ne saurait

être inférée du simple fait que les trois formations sont constituées du même type de roche et,

contrairement à ce qu’affirme Singapour, l’argument n’est pas dépourvu de pertinence, selon lequel

les mêmes caractéristiques géologiques peuvent se retrouver aussi bien sur le continent que sur

d’autres formations maritimes de la région, dont des rochers situés à PointRomania et à Pulau

Bintan, en Indonésie.

24. Et, en ce qui concerne la navigation, Singapour a, lors du second tour de plaidoiries,

avancé un nouvel argument, affirmant que «ce qui dé termine l’existence d’un chenal navigable,

56
c’est que le trafic maritime commercial puisse emprunter cette voie sans risque» . A ce stade,

Monsieur le président, l’argumentation de Singa pour devient, pour reprendre ses propres termes 57,

«surréaliste». Car cela reviendrait à affirmer qu’un chenal ne serait na vigable qu’à la condition

d’être praticable par des pétroliers ou des vra quiers d’un tonnage donné. Monsieur le président, ce

serait subordonner la description des caractéristiques physiques d’un chenal à des considérations

purement économiques, substituer le commerce à la nature! Singapour affirme ensuite

58
qu’«[a]ucun marin averti ne conduirait de navire commercial dans de telles eaux» . Toutefois, si

les navires commerciaux ne passent pas par les eaux situées entre PBP, MiddleRocks et

SouthLedge, c’est pour la simple raison qu’i l est plus court, pour eux, de couper par

Middle Channel.

28 25. S’agissant du passage entre Middle Rocks et South Ledge, Singapour convient à présent

qu’il existe un chenal navigable. Toutefois, elle prétend maintenant que ce passage n’est praticable

55CR 2007/28, p. 23-24, par. 20.
56
Ibid., p. 24, par. 22.
57
Ibid.
58Ibid., p. 24, par. 23. - 20 -

«que si les deux formations sont bien visibles, de manière à ce qu’un navigateur puisse passer à vue

59
au large de SouthLedge». Et, à marée haute, affirme-t-elle, il serait dangereux . Singapour,

cependant, ne tient pas compte du fait que la question qui importe, avant tout, en matière de

praticabilité d’un chenal, est celle de la profondeur. Et le chenal est assurément plus profond à

marée haute qu’à marée basse. C’est aussi simple que ça. Et que South Ledge soit ou non visible

ne peut guère entrer en ligne de compte à une époque où la plupart des navires sont équipés de GPS

et autres aides à la navigation.

26. En résumé, les trois formations ne part agent pas nécessairement le même sort. Aux

termes du compromis conclu entre les Parties, la Cour a été priée de trancher la question de la

souveraineté, respectivement, sur Pulau Batu Pute h, Middle Rocks et South Ledge, et non celle de

la souveraineté sur ces trois formations en tant que groupe. Le Johor détenait un titre originaire sur

chacune des trois formations individuellement.

27. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé, montrant que la

conduite de la Malaisie et la pratique d’Etats tiers confirment que celle-ci détient le titre originaire

sur PBP, MiddleRocks et SouthLedge. Je vous remercie de la bienve illante attention que vous

avez bien voulu me prêter, au cours de ces dernières semaines, et vous prierais respectueusement,

Monsieur le président, d’appeler à la barre mon collègue, M. Kohen.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, Monsieur Schrijver,

de votre exposé, et j’appelle à la barre M. Kohen. Monsieur Kohen, vous avez la parole.

KMOr. EN:

T HE NEW GROUNDS FOR S INGAPORE ’S CLAIMS

1. Mr. President, Members of the Court, in its second round of pleadings, Singapore found

itself obliged to develop a new legal argume nt. Although formally, the “lawful taking of

possession on behalf of the British Crown” is still there, the emphasis is no longer on the

acquisition of an original title by Great Britain toterra nullius. No. Now, it is a question of

29 either the abandonment by Malaysia of its origin al title, or the establishment of sovereignty by

59
CR 2007/28, p. 24-25, par. 25. - 21 -

purported effectivités which are supposed to prevail not only over Malaysia’s original title, but even

over a potential original title of the Sultan of Riau-Lingga 60! So it is not at all surprising that

Singapore now invites you to decide the case w ithout pronouncing on the original titles which the

61
Parties themselves have put forward .

2. I understand the opposing Party’s doubts re garding the title it invoked. Malaysia does not

share those fears. The Court will judge the logic and relevance of one or other of the titles claimed

by the Parties.

3. I now propose to examine what in Singapore’ s view is the centrepiece of its case: the

letter from the Acting State Secretary of Johor of 21September1953, which Singapore wrongly

characterizes as a disclaimer of the ancient title 62and as recognition of an original British title 63.

We note, however, that Singapore is not claiming for this letter the status of a title or even a root of

64
title .

A. The 1953 correspondence

4. Singapore is confronted by a number of insurmountable problems when it comes to

deriving the benefits it claims from this exchange of correspondence. These problems are:

(a) the nature of the correspondents themselves;

(b) the information transmitted by the person requesting the information;

(c) the content of the reply; and

(d) the conduct of the parties after the exchange of correspondence.

(a) The nature of the correspondents

5. It is important to note the originally tr iangular nature of this correspondence. Singapore’s

Colonial Secretary addressed himself to the British Adviser in Johor, who in turn addressed himself

to the Acting State Secretary of Johor. The status of the persons concerned is quite distinctive. It

should not be forgotten that Singapore was a British colony, while Johor, as a component of the

60
CR 2007/28, p. 46, para. 21.
61
CR 2007/29, p. 51, para. 26.
6Ibid., p. 41, para. 1 and p. 47, para. 16.

6Ibid.,p. 47, para. 17.

6Ibid., p. 47, para. 16. - 22 -

30 Federation of Malaysia, was an entity protected by the United Kingdom. As was clearly explained

by Tan Sri Gani yesterday, questions re lating to the conduct of foreign affairs ⎯ including

relations with the components of the British Empire ⎯ did not come under the authority of the

65
members of the Federation . Questions of territorial sovereignty ⎯ a point that scarcely needs to

be made before this Court ⎯ pertain to a State’s foreign affairs. For, despite what might have been

believed by a local colonial official, and despite the fact that the protector State of one (the

Federation of Malaya) and the colonial power of the other (Singapore) are one and the same ⎯ the

United Kingdom ⎯ Johor and Singapore were not components of the same State.

6. Alain Pellet himself affirmed that it w as for the Chief Secretary of the Federation of

66
Malaya to reply to the letter . Unfortunately for Singapore, it was neither he nor even another

authority of the Federation who replied, but rather the Acting State Secretary of Johor. This factor

is already decisive for the purpose of depriving the Acting State Secretary’s answer of any legal

value in so far as territorial sovereignty is c oncerned. We are therefore far removed from a

situation such as that of the Norwegian Minister fo r Foreign Affairs Ihlen in relation to the Danish

Ambassador in the case concerning Eastern Greenland (Legal Status of Eastern Greenland,

Judgment, 1933, P.C.I.J. Series A/B, No. 53, p. 71). If there is a comparison, it should if anything

be with the “Hoffman letter” in the Gulf of Maine case, whose analysis by this Court has already

been cited by my friends Nico Schrijver and Penelope Nevill 67( Delimitation of the Maritime

Boundary in the Gulf of Maine Area, Judgment, I.C.J. Reports 1984, pp. 307-308, para. 139).

(b) The Information transmitted by the person requesting the information

7. Singapore recognizes that the request for information in Higham’s letter of 12 June 1953

was based on a false premise: that Pulau Batu Pute h had been ceded by Johor in 1844. It is the

opposing Party itself which invokes the existence of an error. But Singapore tells you that “this

error stems from the erroneous handwritten insertion ‘Pedra Branca’ on an annex which, in fact,

6CR 2007/30.
66
CR 2007/29, p. 43, para. 8.
6CR 2007/27, p. 22, para. 36 (Schrijver); p. 35, para. 19 (Nevill). - 23 -

68
31 related to Peak Rock” . Not at all, Mr. President. It is Higham’s letter itself that says so. I quote

the relevant passages of the letter, which you have in your folders at tab 180:

“Ce rocher se trouve apparemment à l’ extérieur des limites du territoire cédé à
la Compagnie des Indes orientales par le sultan Hussain et le dato tumunggong dans le

traité de 1824 (voir extrait sousA). Cependant, il en était fait mention dans une
dépêche du gouverneur de Singapo ur datée du28novembre 1844 (voir extrait sous
«B»)).” 69

8. Thus, the error is found in the request for in formation itself, not simply in the annex or by

reason of the fact that someone specified in that annex that “this Rock” meant “Pedra Branca”.

Furthermore, whether one reads that annex with or without the insertion “[Pedra Branca]”, the

result is the same. The letter suggests that J ohor ceded Pedra Branca in 1844. The fundamental

fact, which vitiates the request for information itsel f and thus the response which it elicits, is that

Higham’s letter was premised on erroneous information. In fact, there is nothing extraordinary in a

civil servant of a protected State trusting what his adviser from the protector State tells him. The

United Kingdom could not profit from a reply obta ined from one of its protected subjects on the

basis of false information which it had transmitted to him. In fact, I raised this during the first

70
round, but Singapore preferred not to analyse this essential element of the question in its second

round.

(c) The content of the reply

9. As we know, the terse response, without any e xplanation, either as to the substance or as

71
to the action taken, is that “the Johore Government does not claim ownership of Pedra Branca” .

10. Singapore insists that the word “own ership” must be understood as synonymous with

72
“sovereignty” . As a basis for this, the opposing Party refers to what is a mere desire expressed by

certain colonial civil servants in Singapore, name ly, the possibility that the Colony should extend

its territorial waters. But what counts in inte rpreting the reply is rather the course of action

suggested to the Acting State Secretary of Johor. Indeed, the Secretary to the British Adviser in

6CR 2007/29, p. 43, para. 6.
69
Letter from J. D. Higham to the British Advisor to Johor of 12 June 1953 (MM, Vol. 3, Ann. 67; MS, Vol. 6,
Ann. 93); emphasis added.
70
CR 2007/25, p. 61, para. 84 ; CR 2007/29, pp. 42-43, para. 6.
7MM, Vol. 3, Ann. 68 ; MM, Vol. 6, Ann. 96.

7CR 2007/29, p. 44, para. 9. - 24 -

Johor indicates that the State Secretary would like to consult the Comm issioner for Lands and
32

Mines and also the Chief Surveyor. He also refers ⎯ though vaguely ⎯ to any existing archives,
73
but the fact is that the only authorities concerned who are specifically named are these two .

11. Mr. President, one does not consult th e Commissioner for Lands and Mines and the

Chief Surveyor on matters of sovereignty. I repeat, the question of sovereignty was not even

within the authority of the Secretary of State. The only thing on which the Commissioner for

Lands and the Chief Surveyor could give an opinion was, precisely, ownership, not sovereignty.

We will be told that in the case of Pulau Pisang ther e was an indenture. Need there have been one

on PBP too? No, Mr. President. We saw it in respect of Pulau Pisang: between 1885, the year of

the Sultan’s permission, and 1900, the year of the indenture, there was only the Sultan’s permission

for the construction of the lighthouse, although that does not mean that Johor was the sovereign of

the island and Great Britain the owner of the light house and related installations. Malaysia has

already explained to you the reasons for this i ndenture and I will not revert to this matter 74. It

could not therefore be deduced from the mere abse nce of an indenture that Johor did not have

sovereignty over PBP.

12. The Acting State Secretary’s reply can onl y be read as designating what the word means

in legal terms. Ownership, not sovereignty. More over, this is not the first time the question of the

ownership of an entire island has been aired before this Court. The question was also raised in the

case concerning the El Salvador/Honduras dispute, where the sale by Honduras of the El Tigre and

Zacate Grande islands to the United States nationals is mentioned, more or less contemporaneously

with the construction of the Horsburgh lighthouse. Of course, it was a matter of ownership not

sovereignty, which remained Honduran ( Land, Island and Maritime Frontier Dispute

(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening), Judgment, I.C.J. Reports 1992, p. 568, para. 352).

33 13. The most that Singapore can conclude fro m this letter is therefore that Johor did not

claim ownership of the island, where the presence of the lighthouse in fact left no other available

land.

73MS, Vol. 6, Ann. 95.
74
CR 2007/26, p. 43, para. 26; see also MR, paras. 319-323. - 25 -

14. Let us pursue the analysis. Let us suppose for a moment, that our friends and opponents

are right, quod non, and that the word “ownership” should be read as “sovereignty”. Let us

suppose again, quod non, that the Acting State Secretary of Johor could bind his State, which was

already a member of a federation, and therefore bind the Federation itself. That is really a lot to

assume, Mr.President, but let us nonetheless pursue the exercise. Let us compare then what the

Acting State Secretary of Johor said in 1953 with the analysis that this Court made in the

Interhandel case sixyears later. The Court did not accord importance to a clear position adopted

during the diplomatic exchanges by one of the Pa rties and to its detriment, but which did not

correspond to the reality. Indeed, Switzerland claimed that the United States itself had admitted

that the Interhandel Company had exhausted local remedies. According to the Court:

34 “It is true that the representatives of the Government of the United
States
expressed this opinion on several occasions, in particular in the memorandum annexed
to the Note of the Secretary of State of January 11th, 1957. This opinion was based

upon a view which has proved unfounded. In fact, the proceedings which Interhandel
had instituted before the courts of the United States were then in progress.”
(Interhandel (Switzerland v. United States of America), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 1959, p. 27.)

15. It is a Note from the United States Secretary of State (and therefore from a person

specially authorized to represent the United States, including for the purposes of concluding treaties

on its behalf). I suppose that, despite the fact th at the names of the two functions are identical, our

friends from Singapore would not have us believe th at the Acting State Secretary of Johor had the

same prerogatives at the international level as th e Secretary of State of the United States of

America! Even if his remarks could be ascribed the significance Singapore claims, its assertion

would then be “an opinion which turned out to be unfounded”. Witness the ensuing conduct, of

both Malaysia and Singapore, as we will see in a few moments.

16. Nor did the Court, in the Gulf of Maine case, accept that the United States assertions,

though these were clear regarding the median line as the criterion for delimitation, had settled once

and for all the position of the Government in Washington:

“it may be correct that the attitude of the United States on maritime boundaries with
its Canadian neighbour, until the end of th e 1960s, revealed uncertainties and a fair
degree of inconsistency. Notwithstanding th is, the facts advanced by Canada do not

warrant the conclusion that the United St ates Government ther eby recognized the
median line once and for all as a boundary between the respective jurisdictions over
the continental shelf.” ( Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine - 26 -

Area (Canada/United States of America), Judgment, I.C.J. Reports 1984 , p.307,
para. 138; emphasis added. )

17. What then of the alleged abandonment by Johor of its title, that Singapore believes it

discerns here? In the Fisheries case, the Court placed the standard of proof very high for the

purposes of demonstrating an abandonment of one ’s own position or acquiescence in that of the

other Party: “it is impossible to rely upon a few words taken from a single note to draw the

conclusion that the Norwegian Government had abandoned a pos ition which its earlier official

documents had clearly indicated” ( Fisheries (United Kingdom v. Norway), Judgment, I.C.J.

Reports 1951, p. 138).

18. I know what the objection of our Singapor ean friends will be: what previous attitude,

they will ask us. Neither more nor less, Member s of the Court, than the permission granted by

Johor to erect the Horsburgh lighthouse. Ultim ately it is also a question of good faith. One

hundred and fifty years operating a lighthouse one has been given permission to build changes

nothing with regard to the existing legal situation.

19. In the same Fisheries case,

“[t]he Court consider[ed] that too much im portance need not be attached to the few

uncertainties or contradictions, real or apparent, which the United Kingdom
Government claims to have discovered in Norwegian practice. They may be easily
understood in the light of the variety of the facts and conditions prevailing in the long

period which has elapsed since 1812, and are not such as to modify the conclusions
reached by the Court.” (Ibid.)

20. There are still other territorial cases which have been brought before this Court in which

questions of sovereignty and ownership were present, sometimes intermingled ⎯ but between

which you have always differentiated. I have already mentioned the Frontier Dispute

(Benin/Niger) 75 regarding the ownership of bridges. Today I will add the following quotation

drawn from your Judgment in the case concerning Sovereignty over Certain Frontier Land

(Belgium/Netherlands), which may in certain respects be of great interest in this case:

“The weight to be attached to the acts relied upon by the Netherlands must be
determined against the background of the co mplex system of intermingled enclaves
35 which existed. The difficulties confronting Belgium in detecting encroachments upon,

and in exercising, its sove reignty over these two plots, surrounded as they were by
Netherlands territory, are manifest. The acts relied upon are largely of a routine and
administrative character performed by local officials and a consequence of the

inclusion by the Netherlands of the disputed plots in its Survey, contrary to the

75
CR 2007/27, p. 59, para. 40. - 27 -

Boundary Convention.” ( Sovereignty over Certain Frontier Land

(Belgium/Netherlands), Judgment, I.C.J. Reports 1959, p2 .29; see MR,
paras. 289-292.)

(d) The subsequent conduct of the Parties shows that nothing changed in relation to the original
title

21. Singapore claims that the context of Higham’s letter is the possibility of extending

Singapore’s territorial waters to include within it the waters around PBP. For us, it is rather what

the Acting Secretary of State was asked to do: to make enquiries with the Commissioner of Lands

and Mines and the Chief Surveyor.

22. Let us suppose for an instant, for the purposes of the pleadings, that Singapore were

correct on this point. Assessing the attitude of the parties on maritime spaces would then be of the

greatest importance. If it is true that Johor ha d relinquished its title of sovereignty and that

Singapore had relied on this relinquishment, the ensuing conduct of the Parties should indicate this.

Let us therefore consider what each Party did. The colonial power first, then Singapore, on the one

hand; the Federation of Malaya before and after independence in 1957 and its transformation into

Malaysia in 1965 on the other.

23. What happened with regard to the mar itime areas? Did the colonial power extend

Singapore’s territorial sea to include the waters around PBP, as unsuccessfully claimed by the two

British agents? No. Did Singapore extend its te rritorial sea after independence? No. Did

Singapore include the waters around PBP during its delimitation of the territorial sea with

76
Indonesia in the Singapore Strait ? Not at all. On the contrary, the Singaporean legislation on

lighthouses continued to treat the situation of the Horsburgh and Pulau Pisang lighthouses together,

thereby differentiating them from those in Singap ore’s territorial waters, as shown by the Light

77
Dues (Amendment) Ordinance 1958 and the Singapore Light Dues Act 1969 .

36 24. And what about on the other side of the Johor Strait? Malaysia included the waters

around the three features in its territorial sea, as evinced by then CommodoreThanabelasingam’s

letter of promulgation in 1968 7. And, Mr. President, if there is a State which has taken account of

7CR 2007/26, p. 71, para. 56.
77
CR 2007/26, pp. 56-57, para. 4.
7MM, Ann. 76. - 28 -

PBP for measuring the extent of its continental sh elf, that State is Malaysia, not Singapore, as

demonstrated by the fact that point11 of the 1969delimitation with Indonesia in fact lies

6.4nautical miles from the island, PBP being the closest land to point11 79. Added to this is the

fact that only one State has included the three features which are the object of this dispute, in a

1968 oil concession and that State is, once again, Malaysia 80.

25. Subsequent practice in the sphere of maritime spaces thus warrants two conclusions

regarding the 1953 correspondence:

(a) that, far from having relinquished its soverei gnty over PBP, Middle Rocks and South Ledge,

Malaysia has exercised it in a way which, given their small size and nature, could not be more

significant: by taking account of them for establishing the extent of its maritime areas;

(b) that first the colonial power, then the indepe ndent authorities and lastly the authorities of the

Republic of Singapore, always turned a deaf ear to the wishes of the Chief Surveyor and the

Master Attendant, expressed before and after the exchange of correspondence. In reality,

contrary to their wishes, Singapore never procla imed, or claimed before the critical date a

territorial sea around Pulau Batu Puteh.

26. The similarity between Singapore’s claim of relinquishment by Malaysia due to the

correspondence of 1953 and the Nigerian claim of the abandonment by Cameroon of title to

Bakassi is striking, the difference being that Singapore cannot even boast any real effectivité prior

to the critical date. This Court rejected the Nigerian argument referring to negotiations for the

delimitation of the maritime spaces and the granting of oil concessions by the Cameroon

Government, “again evidencing that it had not abandoned title in the face of the significant

37
Nigerian presence in Bakassi or any Nigerian effectivités contra legem ” ( Land and Maritime

Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria: Equatorial Guinea intervening),

Judgment, I.C.J. Reports 2002, p. 416, para. 223).

27. The subsequent conduct of the Parties w ith regard to maritime spaces thus serves as a

categorical refutation of Singapore’s argument of the relinquishment of Malaysian sovereignty. On

79
Agreement Between the Government of the Republic of Indonesia and the Government of Malaysia Relating to
the Delimitation of the Continental Shelves between the Two Countries, 27 Oct. 1969; MM, Vol. 2, Ann. 16.
80
CR 2007/27, pp. 14-16, paras. 9-15. - 29 -

the contrary, this conduct demonstrates not only that Malaysia has exercised its sovereignty over

PBP, Middle Rocks and South Ledge, but also th at Singapore did not act as sovereign, or react

when Malaysia did so.

28. Let us now consider my friend Alain Pellet’s efforts to try and e xplain the words used by

81
the Attorney-General, “we can claim [Pedra Branca] as Singapore territory” . First, he incorrectly

translated this sentence, claiming that in French it means “nous avons une revendication [we have a

claim]”. Mr. President, during the past two weeks I have from time to time inflicted my English on

you, for which I apologize, but I believe I can safely claim that the correct translation of “we can

claim [Pedra Branca]” is rather “nous pouvons revendiquer [Pedra Branca]”, not “nous avons une

revendication” (“we have a claim”). The truth, at this final stage of the pleadings, we already

know: there was not even any claim of soverei gnty since the British Government never had any

intention of acquiring sovereignty over PBP.

Monsieur le président, peut-être souhaiteriez-vous que j’arrête là.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Oui, je voudrais bien que nous

observions une courte pause de dix minutes. Je vous remercie.

L’audience est suspendue de 16 h 25 à 16 h 55.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Veuillez vous asseoir. J’avais omis

de vous remercier, M. Kohen, pour votre plaidoirie et je le fais tardivement. A présent … Oh, vous

n’avez pas fini. Veuillez m’excuser !

38 Mr. KOHEN:

B. There was neither abandonment of the title nor
acquiescence to any Singaporean claim

29. Mr. President, the conditions laid down by international law for establishing such an

abandonment are strict, as the case law shows. First, abandonment must not to be presumed;

second, it must be interpreted restrictively and limite d to the specific object in view; third, even

81
CR 2007/29, p. 45, paras. 11-12. - 30 -

accepting the possibility of tacit abandonment, it must be inferred from facts which do not admit of

82
any other interpretation in the circumstances concerned . The Lighthouses in Crete and Samos

and the Eastern Greenland cases, from which the Parties have liberally quoted here, contain

examples in the field of territorial sovereignty where the Court rejected the idea of a relinquishment

or abandonment ( Lighthouses in Crete and Samos, Judgment, 1937, P.C.I.J., SeriesA/B, No.71 ,

pp. 103-104; Legal Status of Eastern Greenland, Judgment, 1933, P.C.I.J., SeriesA/B, No.53 ,

p. 47).

30. In the present case, the purported abandonment of 1953 is not abandonment. Let me

summarize:

⎯ firstly, the Acting Secretary of State of Johor did not have the capacity to bind anyone at all in

the matter of territorial sovereignty;

⎯ secondly, the request made by Higham, indicating that J ohor had ceded PBP in 1844 therefore

contained a serious error which strips that act of any legal effectiveness;

⎯ thirdly, the Acting Secretary of State, having made enquiries with the Commissioner for Lands

and Mines and the Chief Surveyor, reports that Johor did not have ownership of Pedra Branca;

⎯ fourthly, the subsequent practice of the Parties shows that not only did the Federation of

Malaya and Malaysia not abandon the original title over Johor, but on the contrary exercised it.

This practice also shows that, despite the wishes of the Chief Surveyor and the Master

Attendant of Singapore, the competent authoriti es never extended Singapore’s territorial sea

around the waters of Pedra Branca. The same a pplies to Mr.Chao’s distant predecessor, the
39

Attorney-General: “we can claim Pedra Branca” he said, but the fact is that neither the United

Kingdom nor Singapore did so.

31. Why was it that the authorities of the time, in the 1950s that is, did not do so? Perhaps

the explanation lies in the view put forward by the United Kingdom itself in the Minquiers and

Ecrehos (France/United Kingdom) case. The British Government disregarded navigational aids as

having any legal value for the purposes of sovereignty. It also explained that it had no reason to

82
Campbell case (Portugal/United Kingdom), Arbitral Award of 10 June 1931 (RIAA, Vol. II, p. 1156). - 31 -

protest at France’s lighting and buoying on Minquiers, even inside the 3-nautical-mile limit of the

islands.

32. Here is the explanation:

“Le Gouvernement de Sa Majesté n’a pas fait d’objection à la mise en place de
ces bouées, ne souhaitant pas, sauf en cas d’absolue nécessité et pour répondre à une
revendication directe de droit, affirmer la souveraineté britannique pour s’opposer à un

travail d’utilité publique qui ne porte aucunément préjudice aux intérêts britanniques.”
(C.I.J. Mémoires, Minquiers et Ecréhous (Royaume-Uni/France) , vol. 1, p. 555
(Extrait du mémorandum du Foreign Office en date du 17 août 1905 adressé au

Gouvernement français et cité par le Royaume-Uni dans sa réplique du
3 novembre 1952.))

33. This position of the British Government set out before the Court corresponds to the same

period as the 1953 correspondence. The lack of reaction by the competent British authorities to the

calls by certain local civil servants to extend s overeignty to PBP owing to the operation of the

lighthouse is therefore more understandable. E qually understandable is why there was no follow

up to this unorthodox exchange of correspondence. One can also understand why the argument

based on the lack of protest over a period of 130years put forward by RodmanBundy has no

83
relevance . We insist: as the correct official British position shows, there was nothing to protest

about. One and a half centuries operating the lighthouse does not warrant the transformation of a

title of ownership into a title of sovereignty.

34. Claiming such a unilateral inversion of title is tantamount to undermining the very basis

of mutual trust between States and turns legal securi ty on its head. I have already referred to the

situation in which a mandatory power sought unilatera lly to transform its title of administrator into

84
a title of sovereignty and the manner in which this Court rejected this claim .

40 35. It would be superfluous to repeat here the now classic dictum on the relation between

titles and effectivités which you systematically apply in your case law on territorial disputes

(Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), Judgment, I.C.J. Reports 1986 , pp.586-587,

para.63). I will merely say that Singapore’s invitation to you to decide the case on the basis of

alleged effectivités, under cover of reliance on a supposed lack of title or an imprecise title, ill

83
CR 2007/29, p. 23, para. 62.
84
CR 2007/25, pp. 62-63, para. 89. - 32 -

conceals its objective of overturning the solution you have found where the facts do not correspond

to the law ⎯ that the holder of the title should be given preference.

“T.hinciple ex injuria jus non oritur is sustained by the Cour.t.”

(Gabčíkovo-Nagymaros Project (Hungary/Slovak ia), Judgment, I.C.J. Reports 1997 , p.76,

para.133), you declared a decade ago. No one can validly rely on conduct which exceeds the

scope of his powers to create new powers, to transform an act contrary to law into law. Neither the

1953exchange of correspondence, nor the subsequent conduct of the Parties have modified the

legal situation which existed when the Horsbur gh lighthouse was built, namely, that Johor was

sovereign over Pulau Batu Puteh, Middle Rocks and South Ledge.

37. Thank you Mr. President. May I ask you give the floor to my colleague Penelope Nevill.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Je vous remercie, M. Kohen, pour

votre plaidoirie et je donne la parole à Mme Nevill. Vous avez la parole, Madame.

Mme NEVILL :

L A CONDUITE ET LES ÉLÉMENTS DE PREUVE CARTOGRAPHIQUES DE S INGAPOUR

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je répondrai aujourd’hui, dans mon bref

exposé, aux arguments contenus dans la réponse de Singapour, sur sa conduite après 1965 ainsi que

sur les éléments de preuve cartographiques.

41 I. La conduite de Singapour n’est pas pertinente

2. Singapour a répliqué en indiquant que M. Crawford «a[vait] tiré à boulets rouges» sur sa

85
conduite, comme si elle avait marqué un point . Mais notre feu nourri s’explique par la

multiplicité des cibles. Singapour a accompli de nombreuses activités liées à la gestion du phare,

ainsi qu’un nombre très limité d’activités qui, selon elle, sont sans rapport avec celui-ci. Elle n’a

cessé d’en faire largement état, fort longuement ⎯comme pour compenser, par les déclarations

publiques de son conseil, la rareté et le caractè re confidentiel des faits. La Malaisie a répondu en

détail à ces arguments relatifs à la conduite da ns ses pièces écrites et dans ses plaidoiries e⎯ la

Cour sera soulagée de l’entendre ⎯ n’entend pas le faire à nouveau.

85
CR 2007/29, p. 20, par. 50 (Bundy). - 33 -

3. Singapour tente d’ériger ses activités liées au phare en actes de souveraineté; ainsi

évoque-t-elle les protestations diplomatiques de la Malaisie concernant l’installation d’une station

radarVTIS (Vessel Traffic Information System) en 1989 et d’une aire d’atterrissage pour

hélicoptères en 1991, en les comparant à l’absence de protestation contre ces mêmes activités avant

1980 86. M.Bundy a dit que l’expérience s’acquier t lorsqu’on n’en a plus besoin. C’est

effectivement seulement après l’apparition du di fférend en 1980 que la Malaisie découvrit que

Singapour considérait ses activités d’administ ration du phare comme une conduite à titre de

souverain. L’idée que Singapour se fa isait de la nature de ses ac tivités sur PBP était contraire à

celle de la Malaisie. Au vu de la nature du différend, qui était alors apparu, il n’est guère

surprenant que la Malaisie ait protesté contre ce tte conduite. Selon Singa pour, la Malaisie a tort

quand elle ne proteste pas et tort quand elle prot este. Mais Singapour ne peut transformer ces

activités liées au phare, non souveraines, en activités souveraines par quelque conclusion

a contrario qu’elle tirerait de protestations ainsi élevées.

4. Sur la base des protestations émises après la date critique, M. Bundy poursuit en affirmant

que la constellation d’activités menées par Si ngapour suffit amplement à prouver que celle-ci

considérait détenir la souveraineté sur PBP. Le problème, pour Singapour, est que si elle estimait

effectivement détenir la souveraineté sur PBP, et non uniquement exploiter le phare qui s’y

trouvait, elle ne l’a pas vraiment montré. En fait, on pourrait dire qu’elle ne l’a pas montré du tout.

Ainsi que nous l’avons indiqué, PBP n’appara ît comme territoire singapourien ni dans la

délimitation de la mer territoriale de Singapour avec l’Indonésie, ni dans la législation de

42 Singapour relative aux droits de phare de 1969, ni dans aucune autre représentation d’elle-même

après 1965 et avant 1980.

5. Répliquant à l’argument selon lequel e lle n’avait pas, dans son accord de 1973 avec

l’Indonésie, délimité de mer territoriale dans la région de PBP, Singapour invoque une «étude de

Charney et Alexander sur les frontières maritimes, qui fait autorité en la matière», parue en 1993 87.

Bien que la Malaisie ait déjà répondu aux arguments avancés pa r Singapour dans ses pièces de

86
CR 2007/29, p.22-23, par. 59 (Bundy).
87
Ibid., p. 25, par. 32 (Malintoppi). - 34 -

88
procédure écrite , la réponse de Singapour appelle quelques commentaires. Il convient tout

d’abord de relever que l’étude de Charney et Alexan der a été publiée bien après la date critique, et

que les auteurs font état du différend de Singapour et de la Malaisie à propos de PBP en des termes

89
qui donnent à penser que cette information leur est parvenue par le biais de Singapour ⎯ mais

c’est là un point sans importance. Le point essen tiel est que le renvoi par Singapour à un texte

secondaire de 1993 sur les frontières maritimes internationales ne saurait expliquer qu’elle n’ait pas

délimité ses mers territoriales avec l’Indonésie dans la région de PBP ou réservé sa position à cet

égard dans l’accord proprement dit. Si PBP, avec MiddleRocks et SouthLedge, était considérée

par Singapour comme située à l’entrée du détroit de Singapour, comme elle le dit 90, l’accord aurait

alors délimité la mer territoriale qui la sépare de Pulau Bintan en Indonésie. Après tout, le titre

complet de l’accord est «Accord définissant les limites des mers territoriales de l’Indonésie et de la

République de Singapour dans le détroit de Singapour» 91. Soulignons par ailleurs que le conflit de

revendications maritimes n’était aucunement prévisible : en 1973, l’Indonésie avait déjà fait valoir

une mer territoriale de 12 milles marins. Singapour ne peut indiquer aucun élément de l’accord

proprement dit à l’appui de l’argument selon lequel la délimitation future était laissée en suspens 92.

6. En ce qui concerne la déclaration de Pa vitt selon laquelle PBP n’était pas située dans les

eaux de Singapour, Singapour réplique que celui-ci n’a jamais dit que Pedra Branca appartenait à la

93
Malaisie . C’est ainsi passer sous silence le fait que Pavitt ⎯alors directeur de la marine de

43 Singapour depuis de nombreuses années ⎯ a bien déclaré que l’île n’appartenait pas à Singapour,

en dépit de ce que son assistant pouvait ou pouva it ne pas penser, ainsi que la correspondance

interne le laisse entendre. Ce que Pavitt a déclaré dans un document publié par le conseil des droits

94
de phare de Singapour est clair : il indique que PBP ne se trouve pas dans les eaux de Singapour.

88
RM, vol. 1, par. 324-328.
89
CMS, par.6.70, citant J.Charney et L.Alexander (dir. publ.), International Maritime Boundaries , vol.1
(1993), p. 1050.
90
Par exemple, CR 2007/20, p. 18, par. 8, p. 19, par. 13 (Koh), p. 26, par. 19 (Chao).
91MM, vol. 2, annexe 18.

92CR 2007/29, p. 32, par. 25 (Malintoppi).

93Ibid., p. 22, par. 57 (Bundy).
94
Voir CR 2007/26, p. 66-70, par. 47-48 (Crawford). - 35 -

7. Dans sa réplique, Singapour n’explique pas non plus pourquoi, dans les représentations de

son territoire, PBP ne figure pas dans les listes de ses îles et îlots dressées par les Singapore Facts

and Pictures et d’autres publications. Au lieu de cela, elle cite la sentence de Taba dans laquelle le

tribunal a déclaré, concernant l’omi ssion d’une borne frontière dans le Statistical Yearbook for

Egypt de 1909, que la valeur probato ire de ces publications était faible 95. Dans cette affaire,

cependant, la borne frontière égypto-israélienne revendiquée par l’Egypte figurait sur les cartes et

les carnets de triangulation publiés par l’Egypt e et la Grande-Bretagne à l’époque du mandat 96.

Pour paraphraser Oscar Wilde, omettre une borne frontière de l’édition d’un annuaire peut être

considéré comme une malchance ; omettre une île entière de toutes les listes d’îles et de toutes les

cartes de votre propre territoire pe ndant plus de cent quarante ans relève d’autre c hose que de la

simple négligence. L’effet probant cumulatif de ces omissions doit être considérable.

8. Si l’on compare les conduites de Singapour et de la Malaisie après1965, Singapour ne

peut indiquer aucune concession pétrolière accordée dans la région de PBP, ne peut indiquer aucun

document, interne ou autre, représentant PBP et les deux formations dans les eaux de Singapour, ne

peut indiquer aucune législation sur les eaux terri toriales incluant les eaux de PBP, et ne peut

indiquer aucune délimitation avec des Etats tiers tena nt compte de PBP, ni même de réserve de

droits à cet égard.

II. Les éléments de preuve cartographiques

9. S’agissant maintenant des éléments de pr euve cartographiques, Singapour soutient que la

Malaisie fait montre d’incohérence dans leur traite ment lorsque, d’une part, elle invite la Cour à

leur attribuer un certain poids pour peu qu’ils lui semblent étayer sa thèse, et que, d’autre part, elle

l’invite à ne pas tenir compte des six cartes malaisiennes qui, selon Singapour, représentent PBP

97
comme appartenant à Singapour . Cette dernière a mal compris l’argument de la Malaisie. Ce

que la Malaisie a dit, c’est que, en réalité, ce que ces cartes figurent comme appartenant à
44

Singapour, ce n’est pas PBP mais le phare Horsburgh. Dès lors qu’elles ont été établies dans le but

de représenter cette formation sur les cartes topogr aphiques de la partie sud-est du Johor, et de

95CR 2007/29, p. 21, par. 56 (Bundy), sentence du 11 septembre 1986, 27 ILM 1427.
96
Ibid., par. 235, p. 120.
97Ibid., p. 33, par. 28 (Malintoppi). - 36 -

refléter le fait que les cartographes estimaient que PBP, MiddleRocks et SouthLedge

appartenaient au Johor, ces cartes montrent en effet Batu Puteh comme faisan t partie de la Malaya,

puis de la Malaisie. Elles n’étayent donc p as la thèse de Singapour dans la mesure où,

contrairement à ce que cette dernière ne cesse d’ affirmer, elles ne peuvent pas être considérées

comme des déclarations non équivoques d’attribution politique ou comme des faits géographiques.

10. Il est donc faux de répondre, comme l’ a fait Singapour en réponse à nos arguments, que

«[l]e point de désaccord entre les Parties concer ne le rôle qu’il convient d’attribuer à celles des

98
cartes officielles établies par la Malaisie qui confortent la thèse de Singapour» , car il ne s’agit pas

d’un simple désaccord sur le rôle qu’il convient d’attribuer à ces cartes d’un point de vue juridique.

Toutefois, les sources faisant autorité sur l esquelles s’appuie Singapour appellent plusieurs

remarques. Singapour cite l’appréciation fo rmulée par MaxHuber dans la sentence de l’ Ile de

Palmas sur les cartes en général. A l’évidence, elle souhaite que la Cour concentre son attention

sur l’un des aspects de ce commentaire, à savoir que les cartes officielles présenteraient un intérêt

particulier lorsqu’elles n’affirment pas la souve raineté du gouvernement qui les a publiées. Parmi

les cartes produites par les Etats-Unis d’Amérique en l’affaire susmentionnée figuraient des cartes

publiées par les Pays-Bas, sur lesquelles l’île de Palmas était exclue des possessions

néerlandaises 99. Néanmoins, en dépit de ce commentaire général sur le poids de telles cartes,

100
celles-ci n’ont, en fin de compte, eu aucune incidence sur l’issue de l’affaire . Singapour a de

nouveau évoqué la question des notes d’avertissem ent examinée dans la sentence rendue par la

101
commission de délimitation des frontières en l’affaire Erythrée/Ethiopie . La question qui se

posait était celle de la recevabilité des cartes, le tribunal ayant conclu la discussion à laquelle

Singapour fait référence en indiquant que, bien qu’une note d’avertissement puisse avoir une

incidence sur le poids à attribuer aux cartes, elle ne saurait emporter l’irrecevabilité du

document 102. Or, en la présente espèce, jamais la Malaisie n’a contesté la recevabilité des cartes

98
CR 2007/29, p. 34, par. 29 (Malintoppi).
99
Ile de Palmas (Pays-Bas/Etats-Unis d’Amérique), 4 avril 1928, RSA, vol. II, p. 853-854.
100Ibid., p. 853-854.

101CR 2007/29, p. 38-39, par. 45 (Malintoppi).
102
Décision de la commission de délimitation des frontière s entre l’Erythrée et l’Ethiopie concernant la
délimitation de la frontière entre l’Etat d’Erythréet la République fédérale démocratique d’Ethiopie , décision du
1 janvier 2001, reproduite dans ILM , vol. 41, p. 1077, par. 3.28. - 37 -

«allant à l’encontre de ses propres intérêts». Elle a même reproduit les cartes en question dans son

mémoire.

45 11. Enfin, s’agissant du fait qu’aucune carte singapourienne antérieure à 1995 ne représente

PBP comme faisant partie du territoire de Singapour , cette dernière répond que les cartes n’ont pas

un caractère politique, que PBP est très petite et qu’ elle est inhabitée, que la portée géographique

des cartes est limitée et que, en tout état de cause, aucune des cartes singapouriennes n’attribue

103
PBP à la Malaisie . Pas un seul de ces arguments ne saurait dissimuler ⎯ ni expliquer ⎯ le fait

que Singapour n’a pas publié la moindre carte, de caractère politique ou non, représentant PBP,

Middle Rocks et South Ledge comme lui appartenant.

12. Si, comme nous l’avons démontré, la Malaisie détient le titre originaire sur PBP, et si le

phare Horsburgh a été construit et entretenu avec l’ autorisation du Johor, il faut que Singapour ait,

à un certain moment avant la date critique, revendiqué PBP. Le fait est qu’elle ne l’a jamais fait ⎯

et l’absence totale de cartes si ngapouriennes antérieures à 1995 en est une indication, parmi tant

d’autres.

13. En résumé, la conduite de Singapour à l’ égard de PBP n’étaye pas sa revendication de

souveraineté, ce que confirme le fait qu’elle n’a pas, que ce soit en établi ssant des cartes ou dans

bien d’autres domaines de toute première impor tance, agi d’une manière indiquant qu’elle

considérait détenir la souveraineté sur PBP, Middle Rocks et South Ledge.

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention. Monsieur

le président, puis-je vous prier de bien vouloir appeler à la barre M. Crawford ?

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Je vous remercie, MadameNevill,

pour votre plaidoirie et donne maintenant la parole à M. Crawford.

103
CR 2007/29, p. 38, par. 43 (Malintoppi) ; p. 58, par. 8 (Koh). - 38 -

M. CRAWFORD :

Monsieur le président, il ne faut jamais se fi er aux promesses d’un conseil! Hier, je vous

avais assuré que nous finirions tôt. Je crains que le temps gagné n’ait déjà été perdu et vous

voudrez bien m’en excuser. Je m’exprimerai néan moins de manière relativ ement lente, même si

cela doit m’amener à déborder quelque peu sur l’heure du dîner.

L ES PRÉTENTIONS DES P ARTIES ET LA JURISPRUDENCE DE LA C OUR

1. Au cours de son second tour de plaidoiries, cette semaine, Singapour s’est donnée

beaucoup de peine pour vous convaincre que les préten tions de la Malaisie ét aient sans précédent.

M.Bundy a donné à entendre que la Cour n’avait jamais tranché en faveur d’un Etat se trouvant

46 dans la situation de la Malaisie04. Je me propose, Monsieur le président, Messieurs de la Cour, de

répondre à cette affirmation en vous entretenant de la jurisprudence de la Cour et en apportant un

éclairage à partir de votre jurisprudence sur la question du titre originaire. Pour cela, je

commencerai par me pencher sur l’affaire de l’Ile de Palmas, puis j’examinerai les quatre décisions

les plus pertinentes rendues par la Cour en matière contentieuse.

Première partie : la jurisprudence relative au titre originaire

105
Ile de Palmas (1928)

2. Commençons donc par l’affaire de l’Ile de Palmas . Cette affaire a, bien évidemment, été

jugée à une époque où la tendance était à accord er peu d’importance à l’idée d’une personnalité

juridique des royaumes indigènes ⎯ des royaumes indigènes non européens, devrais-je dire ⎯, et

où les effectivités postcoloniales étaient parfois perç ues comme la seule considération pertinente.

Néanmoins, de même que les Britanniques av aient coutume de traiter avec des souverains

autochtones tels que le temenggong ou l’imam de Mu scat, et d’acquérir la souveraineté des mains,

et non contre la volonté, de ces souverains, de même les arbitres prenaient-ils en compte ces

transactions, qu’elles aient été qualifiées de traités ou de contrats. Celles-ci constituaient

elles-mêmes des effectivités des Etats ou entités indigè nes. Le traité Crawfurd est une effectivité

104
CR 2007/28, p. 63-4, par. 9 (Bundy) ; CR 2007/29, p. 13, par. 25 (Bundy).
10Arbitrage relatif à l’île de Palmas, RSA, vol. II, p. 829. Traduction française in Ch. Rousseau, Revue générale
de droit international public, t. XLII, 1935, p. 180. - 39 -

de notre Johor et non du sultan de Lingga ⎯et c’est la raison pour laquelle Singapour lui a

consacré si peu de temps, cette semaine. Et néanmoins, vous êtes priés de déclarer ⎯ par

Singapour, qui descend en droite ligne du traité Crawfurd ⎯ que le Johor doit être si

remarquablement efficace au cŒur du détroit, to ut en étant à ce point inefficace et absent à son

débouché oriental !

3. En bref, pour asseoir leur souveraineté, les puissances présentes da ns cette région avaient

recours à des accords de cession conclus avec les autorités locales. C’est ce qui a amené

Max Huber à affirmer, dans l’affaire de l’Ile de Palmas : «Depuis l’époque des découvertes jusqu’à

une date récente, le territoire co lonial a été très souvent acquis, en particulier dans les Indes

orientales, au moyen de contrats passés avec les autorités indigènes.» 106 Dans ladite affaire,

l’élément décisif fut que les Néerlandais purent prouver que les îles voisines de celle de Palmas

⎯ et elles n’en étaient pas si proches ⎯ relevaient de leur suzeraineté en vertu de contrats conclus

entre la Compagnie des Indes orientales néerlandais es et les princes locaux, et que l’île de Palmas

(Miangas) dépendait de ces princes 107. L’île de Palmas est une île isolée, située au beau milieu de
47

l’océan, comme vous pouvez le voir à l’écran. Mais elle n’était pas terra nullius, et elle fut

attribuée aux Pays-Bas principalement parce qu’elle relevait d’un «contrat…passé…avec les

autorités indigènes».

Minquiers et Ecréhous (1953)

4. J’en viens maintenant à la première de vos décisions que je vais passer en revue ⎯ l’arrêt

rendu par la Cour en l’affaire des Minquiers et des Ecréhous (arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 47). Un

arrêt qui doit peut-être sa notoriété à la déclaration suivante, citée par Singapour : «Ce qui … a une

importance décisive, ce ne sont pas des présomp tions indirectes déduites d’événements du moyen

âge, mais les preuves se rapportant directement à la possession des groupes des Ecréhous et des

Minquiers.» ( Ibid., p.57.) Vous faisiez dans ce passage la distinction entre «présomptions

indirectes» et «preuves directes», et cette distin ction est bien sûr entièrement fondée, mais n’en

appelle pas moins les observations suivantes.

106
Ibid., p. 858.
107
Ibid., p. 857, 865-869. - 40 -

5. En ce qui concerne l’affaire des Minquiers et des Ecréhous elle-même :

⎯ Premièrement, en dépit de cette observation, la Cour a prêté une grande attention aux

documents et aux transactions du Moyen Age, ycompris les transactions régies par le droit

féodal, et non par le droit international. Je relè ve en particulier votre analyse de la charte

de 1203, qui, autant que je sache, représente l’analyse par une cour moderne de l’institution de

franche aumône qui fasse le plus autorité (ibid., p. 60-62).

⎯ Deuxièmement, la Cour n’a pas hésité à tirer de ces transactions des conclusions qui influèrent

sur l’issue de l’affaire, pour autant que ces déductions étaient «nécessaires ou naturelles» ( ibid,

p. 66).

⎯ Troisièmement, les Parties étaient d’accord pour affirmer, et la Cour a reconnu, que les îles et

rochers en question n’étaient pas terrae nullius (ibid., p. 52-53).

⎯ Quatrièmement, le démembrement du duché de Normandie en 1204 ⎯ une date qui n’est pas

récente ⎯ ne pouvait être présumé avoir établi un titr e originaire français. Mais cette

conclusion ne reposait sur aucun principe app licable à priori; elle découlait du caractère

incomplet, temporaire et partiel de ce dé membrement, ainsi que de nombreux traités qui

avaient suivi et qui démentaient l’existence d’un tel titre (ibid., p. 57).

⎯ Cinquièmement, la France ne détenait donc pas le titre originaire. La Grande-Bretagne

détenait, bel et bien , le titre originaire sur les deux groupes, et ce titre, pour ce qui était des

48 Ecréhous, remontait au Moyen Age. Son titre fut expressément confirmé (ibid ., p.67

(Ecréhous) ; ibid., p.70 (Minquiers)). Puisque tant le titre originaire que les effectivités

prépondérantes étaient en faveur de la Grande-Bretagne, la question d’un éventuel conflit entre

ces deux éléments ne se posa pas.

6. Dans l’affaire qui nous occupe, à la différence de celle des Minquiers et des Ecréhous :

a) Premièrement, nous nous intéress ons à la première moitié du XIX esiècle, et à des transactions

régies par le droit international, et non par le droit féodal ou par le droit coutumier de l’adat.

b) Deuxièmement, nombreuses sont les sources de preuves disponibles, dont des documents

d’experts soumis par la Malaisie, pour ce qui est de l’histoire.

c) Troisièmement, il est manifeste ⎯et je le dis avec tout le respect que je dois à mes

contradicteurs ⎯, que PBP n’était pas terra nullius. - 41 -

d) Quatrièmement, le démembrement de l’ancien royaume de Johor est bien documenté, et s’est

accompagné de transactions qui reconnaissaient le titre originaire détenu par le Johor sur les

îles du détroit. Il fut entièrement mis en Œ uvre. La perpétuation de cette situation fut

expressément reconnue, d’abord par la Grande-Bretagne en 1927, puis par Singapour en 1995.

108
Libye/Tchad (1994)

7. J’en viens maintenant à la deuxième affaire, l’affaire Libye/Tchad. Peu de temps me suffit

pour celle-ci. La Libye affirmait détenir par voi e de succession un titre originaire sur des terres

situées au sud d’une ligne décrite dans un traité conclu en 1899 entre la Grande-Bretagne et la

France, que cette dernière avait représent ée unilatéralement sur la carte dite du Livre jaune. Le

Tchad contestait l’existence d’un titre originaire, bien qu’il ait fini ⎯par la voix de son conseil,

Mme Higgins ⎯ par admettre que la zone en litige, une zone vaste et reculée, n’était pas terra

nullius. Mais la Cour a constaté qu’il existait un tr aité postérieur, conclu entre la Libye et la

France, qui reprenait la ligne du Livre jaune ; ce titre conventionnel a réglé la question, l’emportant

109
sur le status quo ante juridique, quel qu’il ait pu être, dans les régions revendiquées par la Libye .

La Cour a énuméré, non sans que cela ait semblé alors être l’expression d’un grand contentement

de soi, toutes les questions qu’elle n’avait pas à trancher. J’y reviendrai lorsque j’évoquerai celles

que, en revanche, il lui incombe, selon nous et avec tout le respect que nous lui devons, de trancher

en l’espèce.

49 Indonésie/Malaisie (2002) 110

8. J’en viens à l’affaire suivante, l’affaire Indonésie/Malaisie. Non content d’avoir été

conseil de l’Indonésie dans cette affaire, M. Pellet a ensuite agi, plus ou moins en qualité de conseil

de la Malaisie ⎯ mais sans honoraires me semble-t-il ! Il vous a présenté un long exposé sur cette

111
affaire . J’avais déjà analysé les principales différences existant entre les deux affaires et je ne

vais pas répéter ce que j’avais dit 112. Je voudrais juste relever un contraste, que montre l’histoire

108Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 6
109
Ibid., p. 38-39 (par. 76).
110
Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 625.
111CR 2007/29, p. 47-56, par. 18-39.

112CR 2007/27, p. 64, par. 5. - 42 -

de deux traités. Dans l’affaire Indonésie/Malaisie, la Malaisie revendiquait un titre en tant que

successeur d’une tierce partie, les Etats-Unis, sur le f ondement d’un traité, le traité de 1930, dont à

la fois les Etats-Unis et la Grande-Bretagne estimaient qu’il affectait les deux îles en litige. Mais

l’Indonésie n’était pas partie au traité de 1930 et la Cour a, conformément à la règle pacta tertiis,

protégé cette dernière des effets de cet instrument. Il s’ensuivit que la Malaisie a, pour ainsi dire,

dû prouver le bien-fondé de son titre contre l’Indonésie de novo ⎯ ce que nous avons fait, dans une

large mesure parce que l’histoire des relations dans la région montrait une présence britannique

puis malaisienne d’une part et une absence néerlandaise puis indonésienne de l’autre dans ces îles

éloignées et peu connues. En re vanche, dans la présente affaire ⎯ dès lors qu’il est établi que les

Sultanats de Lingga et de Johor ont respecté la délimitation des sphères d’influence fixées par le

traité anglo-néerlandais ⎯, il n’existe aucune tierce partie . Cette délimitation excluait les trois

formations de la sphère d’infl uence néerlandaise et les incluait corrélativement dans la sphère

britannique. Cela ressort clairement de la conduite adoptée par toutes les parties intéressées. Il y

eut ensuite subdivision de la sphère britannique, immédiatement effectuée par la conclusion, entre

l’honorable Compagnie des Indes orientales et le Johor, du traité Crawfurd, traité qui portait sur les

îles situées dans le détroit et qui laissait les trois formations au Johor. Toutes ces transactions sont

opposables à Singapour en tant que successeur de la Grande-Bretagne: le contraste est tout à fait

évident.

Nicaragua c. Honduras (2007)

9. Venons-en au tout dernier arrêt rendu par la Cour, en l’affaire Nicaragua c. Honduras. La

question de savoir si de petites îles situées au large des côtes étaient terrae nullius s’était posée

dans ladite affaire aussi et vous avez dit :

«[L]a simple invocation du principe de l’uti possidetis juris ne fournit pas en soi
une réponse claire quant à la souveraineté sur les îles en litige. Si les îles ne sont pas

terrae nullius, ainsi que le reconnaissent les deux Parties et qu’il est communément
admis, l’on ne peut que présumer qu’elles relevaient de la Couronne espagnole.
Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que le successeur en ce qui concerne les
50 îles en litige ne pourrait être que le Honduras, du fait que celui ci est le seul Etat à
113
avoir formellement revendiqué un tel statut.»

113
Différend territorial et maritime entre le Nicaragle Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), arrêt du 8 octobre 2007, par. 158 ; les italiques sont de nous. - 43 -

Il est «communément admis» que les îles situées au large, telles que celles en litige dans cette

affaire, lesquelles étaient plus éloignées des cô tes que PBP, de petite taille et apparemment

inconnues du Nicaragua même dans sa requête, n’étaient pas terra nullius en 1821. «L’on ne peut

que présumer qu’elles relevaient de la Couronne espagnole». Pour quoi? Parce que l’Espagne

avait souveraineté sur le continent. Ce postulat s’applique-t-il seulement à une puissance coloniale

telle que l’Espagne ? Non à de vieux Etats non euro péens tels que le Johor ? Y a-t-il la moindre

raison de penser que ce postulat vaut uniquement pou r l’Amérique latine, ou dans le contexte de

l’uti possidetis , et non pour l’Asie? Le problème qui se posait dans l’affaire Nicaragua

c. Honduras était que l’Espagne n’avait pas attribué ces îles à l’une ou l’autre de ses divisions

administratives. Dans la présente espèce, le traité anglo-néerlandais exclut tout possible débat sur

la question de savoir lequel des deux sultans détenait la souveraineté.

Quelques conclusions sur la jurisprudence

10. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, c’est un exposé condensé de la

jurisprudence que je vous ai présenté, plus condensé que je ne l’ aurais souhaité, mais

permettez-moi de tirer quelques conclusions générales de ce bref aperçu.

a) Premièrement, chaque affaire dépend de ses propres faits et des demandes formulées; chaque

affaire est unique et doit être tranchée selon les circonstances qui lui sont propres. La nécessité

pour chaque partie de prouver le bien-fondé de ses prétentions ⎯ applicable aussi bien dans les

affaires introduites par compromi s que par requête unilatérale ⎯ ne crée pas, de jure ou de

facto, une présomption contre le titre originaire. C’est l’Etat qui détient le meilleur titre qui

l’emporte, c’est aussi simple que cela.

b) Deuxièmement, si l’une ou l’autre partie détie nt un titre incontestable opposable à la partie

adverse, la Cour donne alors immédiatement effet, à ce titre, tout en ne tenant pas compte de

tout autre titre originaire antérieur, que celui-ci soit né d’une occupation de terra nullius, de

droits autochtones acquis de longue date, ou de tout autre manière. C’est ce que la Cour a fait

dans l’affaire Libye/Tchad.

c) Troisièmement, comme vous l’avez dit dans l’affaire du Sahara occidental , le mode

d’occupation n’est pris en compte que dans le cas de terra nullius. Le critère à appliquer à une - 44 -

terra nullius est le critère énoncé dans l’avis rendu dans ladite affaire, celui de l’organisation

sociale et politique.

51 d) Quatrièmement, dans les cas où le territoire en question n’est pas terra nullius, il faut encore

démontrer que le territoire se situe à l’intérieu r des frontières de l’Etat demandeur ou de son

prédécesseur: il pourrait, après tout, avoir appart enu à une tierce partie, que celle-ci existe

toujours ou non.

e) Cinquièmement, si cela ne peut pas être démont ré, et que, de ce fait, la position des deux Etats

demandeurs est la même au regard du titre, c’est alors le poids des effectivités qui l’emporte :

114
cette règle a été énoncée par la Chambre de la Cour en l’affaire Burkina Faso/Mali . Ainsi,

dans l’affaire Indonésie/Malaisie, la Malaisie n’avait pas pu démontrer que les deux îles

relevaient du Sultanat de Sulu, partant, de l’Espagne et, partant, des Etats-Unis; par

conséquent, il n’a pas pu être démontré que le traité de1930, auquel l’Indonésie n’était pas

partie et dont cette dernière n’avait pas connaissance, constituait le fondement du titre

britannique, et, partant, du titre malaisien. L es effectivités l’ont donc emporté même s’il

importe également de noter à cet égard que l’hist oire des relations entre la Grande-Bretagne et

les Etats-Unis au sujet des îles a considérable ment clarifié la question de l’administration

effective des ces dernières pendant une longue période 115.

11. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la Malaisie a montré que la

Grande-Bretagne et les Pays-Bas agirent sur la base d’une scission du Sultanat de Johor, qui

s’étendait au nord et au sud des détroits et à l’est et à l’ouest de ceux-ci également. Les critères en

vertu desquels s’effectua cette scission sont énoncés à l’article XII du traité anglo-néerlandais. Le

sultan de Lingga et le Sultanat de Johor se conformèrent, à n’en pas douter contre leur gré, à cette

scission qui, quelques années après 1824, était devenue effective dans la région. Elle servit de

critère d’attribution territoriale entre les sphèr es néerlandaise et britannique que toutes les parties

concernées respectèrent. Dans la sphère britannique, Johor comprenait toutes les îles se trouvant au

large de ses côtes, y compris ce lles situées à des distances considér ables, assurément au-delà de

3 milles marins. Tels sont les enseignements à tirer de la sentence Ord, tout à fait comme dans le

114
C.I.J. Recueil 1986, p. 586-587, par. 63.
115
C.I.J. Recueil 2002, p. 683-684, par. 142. - 45 -

cas des îles Kuria Mura que je vous ai montrées hier . Mais, c’est surtout le principal enseignement

à retenir du traité Crawfurd. En refusant de rec onnaître aux autorités du Johor la capacité de régler

les questions relatives aux îles des détroits, y comp ris les îles inhabitées situées à plus de 3 milles

au large des côtes, Singapour rejette à la fois la pratique britannique et son propre héritage.

12. Dans sa réplique, Singapour répond de deux manières à cet argument clé.

13. D’abord, elle souligne la nécessité d’une mention explicite des îles revendiquées 11.

Cela dit, elles sont mentionnées et présentées de façon exp licite comme relevant du Johor, par

exemple sur la carte officielle néerlandaise de 1842 et dans l’article du Singapore Free Press de
52

1843. Comme Marcelo Kohen l’a montré, les Britanniques en avaient pris acte lorsqu’ils

demandèrent l’autorisation de cons truire le phare. Mais, Monsie ur le président, Messieurs les

juges, combien de fois faut-il mentionner un groupe de rochers pour ne plus risquer de le perdre

aussitôt qu’un officier de la marine du pays voisin le plus proche s’y présente avec un drapeau ? Il

n’y a pas de présomption de terra nullius ; il n’y a pas de présomption de perte de territoire ⎯ en

fait, la présomption va dans le sens opposé. Une fois qu’il ressort clairement des documents et des

circonstances, que des formations en particulier font partie d’un Etat ⎯notamment d’un Etat

indigène ⎯, alors il peut être fait recours à d’autres descriptions plus générales pour conforter ce

fait. La mention «tou[te]s les îles» ⎯expression qui revenait comme un refrain dans les

117
déclarations que je vous ai présentées l’autre jour ⎯ demeure valable si ces déclarations portent

littéralement ou par une claire déduction sur la région où se trouve le groupe de rochers. Il faut que

les formations en question soient identifiées de manière suffisamment claire comme faisant partie

de l’Etat; et supposons, pour les besoins de l’ argumentation, que même les petites formations

géographiques doivent être mentionnées avec précision ⎯ bien qu’à mon avis il n’y ait pas lieu de

partir de pareille présomption. Mais même si l’on partait de cette présomption, ces formations sont

en l’espèce mentionnées dans des documents officiels et des déclarations fiables de l’époque. Et,

dans ce cas, des descriptions générales concordantes de l’étendue de l’Etat peuvent aussi être prises

en compte. Celles-ci ne perdent pas leur caractère probant parce qu’un groupe de rochers

116
CR 2007/20, p. 47, par. 7 (Pellet) ; CR 2007/21, p. 10-11, par. 36-37 (Pellet) ; CR 2007/28, p. 40-42, par. 9-12
(Pellet) ; CR 2007/28, p. 64, par. 13 (Bundy).
117
CR 2007/25, p. 18-22, par. 23-29. - 46 -

quelconque n’y est pas expressément mentionné, étant donné qu’il y est incontestablement inclus et

que cette conclusion est corroborée par la manière dont des formations situées au large de la

péninsule malaise furent traitées auparavant et par la suite par le traité Crawfurd et la sentence Ord.

Les conseils de Singapour se disent doués pour les add itions ; en fait, leur véritable spécialité, c’est

la soustraction, la minimisation, la réduction des éléments de preuve, leur réduction jusqu’à

l’absurde.

14. Singapour s’appuie ensuite sur l’argument du caractère indéterminé du titre. Par

exemple, son agent, M.Koh, a déclaré: «[S]i la Cour devait juger que le titre sur PedraBranca

était indéterminé à cette époque [1847-1851]…, Singapour a clairement démontré qu’elle avait

souveraineté.» 118 Il est cependant nécessaire de faire la distinction entre un caractère indéterminé

véritable ⎯lorsqu’une proposition nécessaire ne peut absolument être établie ⎯ et un argument

qui se fonde sur l’indétermination, destiné à saper des conclusions raisonnablement tirées des

éléments de preuve soumis à la Cour. La Cour ne craint pas les déductions. Le premier type

d’indétermination est acceptable et conforme à ce que la Chambre a dit dans l’affaire Burkina

53
Faso/Mali et à ce que vous avez fait dans l’affaire Nicaragua c.Honduras . Dans Nicaragua

c. Honduras, il s’agissait d’une véritable indétermination, parce qu’aucune des deux Parties n’a pu

démontrer ce que le principe de l’ uti possidetis signifiait pour les îlots situés au large. Comparez

cela à une situation où un ensemble d’éléments soumis à la Cour conduit à une conclusion précise

sur la base de l’hypothèse la plus probable. Le dossier n’est pas vide: la thèse est défendable

⎯ tout est défendable pour les collègue s de l’autre côté de la barre ⎯, mais la balance penche très

nettement d’un côté, plutôt que de l’autre Il est tout à fait mal venu à ce stade, de la part d’une

Partie qui n’a plus d’argument à faire valoir su r le fond, d’invoquer l’indétermination pour croquer

une seconde fois la cerise ou ⎯comme le dirait M. Bundy ⎯ croquer une deuxième fois la

pomme ! Après tout, l’argumentation de Singapour est construite sur des déductions, comme l’a

reconnu M. Brownlie 119. Déterminer la souveraineté sur de très petites formations n’équivaut pas à

un verdict de culpabilité dans une affaire pénale et il ne peut être question d’un critère de la preuve

allant au-delà de tout doute raisonnable. Des conseils talentueux peuve nt jeter le doute sur

118
CR 2007/29, p. 59, par. 10 (Koh).
119
CR 2007/21, p. 35, par. 5. - 47 -

pratiquement n’importe quelle thèse. Une approche consistant à se servir de l’indétermination

comme d’un joker dans le débat judiciaire ag irait comme un solvant puissant sur la souveraineté

territoriale.

15. En outre, comme vous l’avez remarqué, lo rsqu’il s’agit de compar er les effectivités,

quelques éléments suffisent plutôt, et il peut exister ⎯ce qui est généralement le cas ⎯ des

effectivités des deux côtés. Il serait incongru qu’u n critère particulièrement strict soit appliqué à

des questions de titre principal ⎯la première étape de la comparaison établie dans l’affaire

Burkina Faso/Mali ⎯ et qu’un critère beaucoup plus soupl e et moins précis soit appliqué à la

seconde étape de la comparaison des effectivités. Le même critère ⎯ une démonstration

raisonnable qui prenne en compte une comparai son entre l’ensemble des preuves disponibles ⎯

devrait être appliqué aux deux étapes.

Partie II. Les points à prendre en considération par la Cour

16. Monsieur le président, Messieurs de la C our, voilà qui me conduit à la seconde partie de

ma plaidoirie, qui sera heureusement plus brève. Il y a, à notre avis, sept points que la Cour devrait

prendre en considération dans la présente affaire. Ils sont énumérés dans le tableau que vous voyez

à l’écran et figurent sous l’onglet 183 de votre dossier. Permettez-moi de commenter le tableau

pour vous.

17. Pour les raisons que j’ai i ndiquées en me référant à l’affaire Libye/Tchad, la toute

première question est de savoir si l’une ou l’autr e Partie détient un titre opposable à l’autre. Les

deux Parties s’accordent à dire que la réponse est non. Deux commentaires s’imposent :

⎯ Premièrement, Singapour ne s’appuie pas expressément sur un titre conventionnel découlant
54

des consentements donnés par le Johor en 1844, l esquels ne constituaient pas une cession, ou

de la lettre de 1953, laquelle ne constituait ni une cession ni un fondement de titre.

⎯ Deuxièmement, même dans les cas où il n’y a au cun titre conventionnel, la Cour est attentive

aux questions que les traités conclus par les autorités compétentes peuvent soulever au sujet de

toute revendication d’un titre originai re. En appliquant le critère du Sahara occidental, vous

avez pris en compte aussi bien les relations externes que les relations internes. Là, les - 48 -

conséquences des traités de 1824 étayent ⎯ solidement ⎯ le titre originaire du Johor. Mais,

bien entendu, elles ne le créent pas.

18. En ce qui concerne la de uxième question, celle de la terra nullius, dans aucun des cinq

cas que j’ai examinés il n’était soutenu ou affirmé que le territoire en question était terra nullius. A

fortiori, on n’a jamais considéré qu’une demande reposant sur une occupation licite l’emportait sur

le titre originaire.

19. En ce qui concerne la troisième question, nous avons expliqué longuement que, si PBP

n’était pas terra nullius en 1824 ni en 1847, elle doit avoir a ppartenu au Johor. Ce cas de figure

n’est pas indéterminé au sens de l’analyse à laqu elle j’ai procédé ci-dessus, et selon le sens propre

du terme. Bien entendu, Singapour déclare qu’il est indéterminé, mais c’est parce que, pour elle, la

Malaisie revendique tout simplement un titre qui appartient déjà licitement à Singapour.

20. En ce qui concerne la quatrième question ⎯PBP se trouvait-elle dans la zone

britannique en vertu du traité anglo-néerlandais de 1824 ⎯, l’affirmation de Singapour selon

laquelle PBP se trouve dans la zone néerlandaise est fantaisiste et ne concorde pas avec d’autres

aspects de l’argument. Elle révèle jusqu’où l’a en traînée le fait de reconnaître la difficulté de sa

position.

21. En ce qui concerne les cinquième et septième questions ⎯ y a-t-il eu consentement aux

principales effectivités en l’espèce, cette question cruciale et celle de la «confirmation du titre» ⎯,

ont été traitées avec autorité par mon collègue Marcelo Kohen.

22. En ce qui concerne la sixième question ⎯celle de savoir si ont été formulées

publiquement des prétentions à la souveraineté avant la date critique ⎯, nous avons démontré de

manière incontestable l’absence de toute revendication publique de souveraineté sur PBP par la

Grande-Bretagne avant 1962, et pa r Singapour dans la période comp rise entre sa séparation de la

Malaisie et la date critique. Que peut répondre Singapour, sinon produire dans sa réplique des

lettres de fonctionnaires subalternes qui n’avaient jamais été publiées auparavant ? Cela étant, tout

d’abord, il n’y a jamais eu de possession de fait.

55 23. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je voudrais respectueusement soutenir qu’il

est à la fois logique et fondé du point de vue ju ridique de poser ces questions dans cet ordre.

Singapour les mélange pour les embrouiller: par exemple, la «prise de possession légale» de - 49 -

M.Brownlie est un concept hybride inspiré des ques tions2 et 6. S’il ne peut y avoir, au sens

juridique du terme, d’occupation de formations qui n’étaient pas des terrae nullius , il peut exercer

un contrôle sur une terra nullius sans aucune intention d’en acquérir la souveraineté. L’approche

adoptée par M. Brownlie échoue sur les deux plans.

24. Les conseils de Singapour ont tenté cette semaine de vous impressionner en déclarant

qu’une décision en faveur de la Malaisie sera it sans précédent. Il en serait de même pour une

décision en faveur de Singapour. Aucun Etat se déclarant propriétaire «de droit ou de fait» ⎯ pour

reprendre la formule de lord Clarendon dans l’ex trait que j’ai cité hier et qui se trouve sous

l’onglet 167 ⎯ n’a jamais été considéré comme ayant perdu ses droits en donnant simplement son

consentement à un autre Etat d’utiliser son territoire. Il n’existe aucun exemple d’un Etat affirmant

que ce qu’il qualifie de terra nullius doit être interprété comme relevant de sa souveraineté si le

territoire n’est pas véritablement une terra nullius. A d’autres égards, aussi, la cause de Singapour

est sans précédent.

25. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, des juges auxquels est adressée une mise en

garde contre la création de précéd ents y répondent généralement avec vigueur: «c’est là notre

fonction». Je voudrais respectueusement dire que cela constitue la réponse appropriée.

26. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre attention.

Monsieur le président, je vous prie d’appeler à la barre l’agent qui va clore l’argumentation de la

Malaisie et présenter formellement ses conclusions.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Je vous remercie de votre exposé

M.Crawford. J’appelle à présent à la barre S. Exc. Tan Sri Abdul Kadir Mohamad, agent de la

Malaisie, pour l’exposé de conclusion de la Malaisie.

M. KADIR :

EXPOSÉ FINAL DE L AGENT DE LA M ALAISIE

1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, la délégation de la Malaisie se félicite

d’avoir eu la possibilité, pendant ces trois semaines, de vous exposer sa position, à savoir que la

souveraineté sur PulauBatuPuteh, MiddleRocks et SouthLedge lui appartient. Je ne chercherai - 50 -

pas, dans ces observations finales, à résumer une fois de plus les nombreux arguments déjà exposés

56 par le conseil de la Malaisie. Il me faut, en revanche, répondre à quelques-uns des points soulevés

cette semaine par M. Jayakumar.

Concernant la carte de 1979.

2. M.Jayakumar a laissé entendre que la carte de la Malaisie datant de1979 était un défi à

«l’ordre juridique existant» 12. Plus tard, l’agent de Singapour, M.Koh, a poussé l’ironie jusqu’à

121
parler de notre «fameuse carte» . Il s’agissait en fait, pour la Malaisie, d’essayer de représenter,

sur une carte précise, les frontières de ses eaux terr itoriales et de son plateau continental compte

tenu de celles convenues avec les pays voisins, de la pratique coutumière en matière de délimitation

des frontières et des principes de droit interna tional applicables. Le télégramme adressé le

20 décembre 1979 par le ministre des affaires ét rangères aux missions diplomatiques malaisiennes

à l’étranger visait à informer celles-ci que la carte ne constituait pas de la part de la Malaisie

l’expression d’un fait accompli mais une façon de faire connaître sa position, tout en manifestant la

volonté expresse de négocier toute question non résolu e. Le fait est que nous avons hérité de la

période coloniale de questions sans réponse à l’égard de l’ensemble de nos sept voisins ⎯ et

l’évolution du droit en matière de juridiction sur les espaces maritimes en a ajouté d’autres.

Existe-t-il d’autres manières de résoudre les questions maritimes et frontalières qu’en exposant une

position après avoir dûment examiné la question et en offrant de négocier les points non résolus ?

Il s’agit d’un processus long mais méthodique. En revanche, Singapour n’a jamais publié de carte

montrant ce qu’elle revendique à présent et a négoc ié, tant avec la Malaisie qu’avec l’Indonésie,

des accords qui ne tiennent pas compte de la fron tière maritime sur laquelle elle fait maintenant

porter ses revendications. Il est loisible à la Cour d’apprécier laquelle de ces deux manières de

procéder est préférable.

3. Quant à la stabilité des relations que la Malaisie entretient, en particulier, avec l’Indonésie,

le fait est qu’une décision en faveur de Singapour imposerait un autre régime maritime dans la

région qui aurait des conséquences sur la délimita tion des espaces maritimes et la juridiction sur

ceux-ci qui sont en vigueur entre la Malaisie et l’Indonésie. Une telle décision exigerait également

120
CR 2007/28, p. 15, par. 18 (Jayakumar).
121
CR 2007/29, p. 58, par. 5 (Koh). - 51 -

de procéder à une nouvelle délimitation de la mer territoriale entre Singapour et l’Indonésie, malgré

le fait qu’elles ont précédemment conclu un accord à ce sujet. D’où le silence de Singapour

concernant ses revendications maritimes.

4. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi d’aborder à présent

l’exploitation du phare et les projets de Singapour c oncernant les trois formations. J’ai dit, au

premier tour de plaidoiries, et je le répète ma intenant, que la Malaisie ne souhaite aucunement

modifier le statu quo existant concernant l’exploitation du phareHorsburgh. M.Jayakumar a fait

122
57 allusion à la possibilité que «quelque tort [ait été causé] dans l’histoire» , mais tel ne fut pas le

cas. Je rappellerai qu’une demande avait été adressée au Johor afin qu’il donne son consentement à

la construction et à l’exploitation du phare, que ce consentement avait été accordé de plein gré et

que rien n’a changé à cet égard. Le problème est d’origine récente. Singapour a modifié la

politique appliquée pendant longtemps par les Britanniques ⎯ ainsi qu’il ressort de l’ouvrage de

Pavitt 123et de la propre loi de Singapour de 1969 relative aux droits de phare 124. Singapour veut

redéfinir son statut sur Pulau Batu Puteh en re vendiquant la souveraineté non seulement sur Pulau

Batu Puteh mais également sur Middle Rocks et South Ledge.

5. Lorsque M.Jayakumar affirme que la présente instance ne porte pas sur le droit

125
d’exploiter le phare , la question se pose alors de savoir sur quoi elle porte. Nous vous avons

parlé des projets de Singapour visant à gagner des terres ; tout ce que Singapour trouve à répondre,

126
c’est que «[r]espectueuse du droit, Singapour est fière de son action en la matière» . On ne

trouve aucun démenti particulier concernant ces projets ⎯et je ferai observer que la Malaisie ne

fut même pas consultée par Singapour lorsque cette dernière entama ses travaux majeurs visant à

gagner des terres dans le détroit du Johor sans se soucier des frontières de la Malaisie ni de

l’environnement maritime. Et, à présent M.Pe llet, le conseil de Si ngapour, parle des trois

127
formations comme constituant un «archipel» ⎯ autre idée contestable, que Singapour n’a jamais

122CR 2007/28, p. 15, par. 16 (Jayakumar).

123CR 2007/26, p. 68, par. 47 (Crawford).

124CR 2007/26, p. 56, par. 5 (Crawford).
125
CR 2007/28, p. 18, par. 31 (Jayakumar).
126CR 2007/28, p. 16, par. 21 (Jayakumar).

127CR 2007/23, p. 52, par. 13 (Pellet). - 52 -

évoquée auparavant. La Cour comprendra donc, je l’espère, nos inquiétudes ⎯ inquiétudes que

Singapour n’a absolument pas cherché à examiner devant vous et qu’elle a, en réalité, aggravées.

6. Quant à la présence militaire de Singapour, premièrement, celle-ci admet avoir introduit

sur PulauBatuPuteh du matériel radar et de communication militaire, et, deuxièmement, la

prétendue zone de patrouille F5 de 1975 n’a absolument aucun rapport particulier avec

PulauBatuPuteh. Ce n’est que depuis 1986 qu ’a été mise en place autour de celle-ci une

surveillance 24 heures sur 24. Le but est de transf ormer la zone située autour des trois formations

en zone interdite. M. Jayakumar a indiqué, «Singa pour n’a jamais arrêté aucun pêcheur malaisien

dans les eaux de Pedra Branca» 128. Il ne s’agit pas ici de savoir si un pêcheur malaisien a jamais

58 été arrêté, il s’agit du fait que les pêcheurs du Johor sont face à une totale interdiction de pêcher

près de Pulau Batu Puteh, qu’il leur est interdit de chercher refuge sur l’île en cas de mauvais temps

et qu’ils sont privés de leurs zones de pêche traditionnelles.

7. Quant à l’importante lettre par laquelle avait été transmise la demande d’autorisation

visant la construction d’un phare sur le territo ire du Johor qui fut présentée par le gouverneur

Butterworth, nous savons désormais que Singapour ne dispose pas des lettres en question du

gouverneur. L’offre de procéder à un troisième tour de consultations ⎯ que M. Jayakumar a

129
mentionnée lundi ⎯ ne constituait de toute évidence p as une réponse à la demande précise

formulée par la Malaisie en 1994. La Malaisie ne dispose pas non plus des lettres de Butterworth,

comme nous l’avons dit dans nos pièces de procé dure écrite. Selon toute probabilité, les lettres

furent reçues par le sultan et le temenggong à Singapour, où ils résidaient à l’époque. Ces

résidences à Singapour ont disparu. Les chercheu rs malaisiens ont fouillé sans succès tous les

palais du Johor ainsi que les archives royales. D onc, les propos tenus par not re conseil la semaine

dernière au sujet de la lettre constituent ce qui se rapproche le plus des faits, ce qui permet à la

Cour de s’en approcher au plus près; je renvoie, à ce sujet, aux déclarations de sir

130 131
Elihu Lauterpacht et de M. Kohen .

128CR 2007/28, p. 17, par. 27 (Jayakumar).

129CR 2007/28, p. 14, par. 13 (Jayakumar).
130
CR 2007/24, p. 42, par. 35 (Lauterpacht).
131CR 2007/25, p. 10-15, par. 25-34 (Kohen). - 53 -

8. Il y a ensuite la question de la lettre, de 1953, du secrétaire d’Etat par intérim du Johor.

Cette lettre n’était manifestement ni un instrument de cession ni une «déclaration de non

revendication» de souveraineté et ce, en raison des termes qui y étaient employés, mais aussi du fait

que le secrétaire d’Etat par intérim du Johor n’était tout simplement pas habilité à accomplir de tels

actes. La lettre ne fut pas non plus considérée comme telle à l’époque : aucune des Parties ne lui

donna jamais effet. La propre incertitude de Singapour à propos de la lettre ⎯ qui est, notamment,

qualifiée de confirmation, de renonciation, d’aba ndon, de déclaration de non revendication ou

comme relevant de l’estoppel ⎯ montre que Singapour n’est pas parvenue à se déterminer quant au

statut de celle-ci. En réalité, la lettre de 1953 n’en avait aucun.

Me voici parvenu au terme de ma plaidoirie, et j’en viendrai à présent aux conclusions

finales.

9. Monsieur le président, Messieurs les jug es, comme vous l’aurez observé, la Malaisie a

cherché à présenter son dossier de manière exhaustiv e et équitable. Ses intérêts vitaux en matière

de sécurité et de coopération dans la région des détroits sont ceux que j’ai déjà mentionnés. Mais

elle accorde un égal intérêt au maintien de relations pacifiques et amicales entre les Etats, fondées

sur le respect du droit international. C’est là un aspect particulièrement important des relations
59

entre voisins immédiats tels que la Malaisie et Singapour. Telle est la raison pour laquelle la

Malaisie a fait appel à la Cour pour parvenir à un règlement pacifique du différend relatif à Pulau

Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge.

10. Nos amis et collègues de la Partie a dverse ont présenté de nombreuses allégations à

l’encontre de la Malaisie. J’ai mentionné certa ins points soulevés lundi dernier par M. Jayakumar,

qui ne pouvaient demeurer sans réponse. La Ma laisie réserve sa position en ce qui concerne ceux

que je n’ai pas traités expressément.

11. Monsieur le président, Messieurs les juges, au nom du Gouvernement de la Malaisie, des

conseils de la Malaisie et du coagent, je voudrais, en ma qualité d’agent, remercier la Cour de son

attention et de son intérêt tout au long des c es audiences ainsi que le personnel du Greffe pour son

efficacité. Nous voudrions, de même, remercier les interprètes pour la qualité de leur travail.

12. Je donne à présent lecture des conclusions finales de la Malaisie :

La Malaisie prie respectueusement la Cour de dire et juger que la souveraineté sur : - 54 -

a) Pedra Branca/Pulau Batu Puteh;

b) Middle Rocks ; et

c) SouthLedge,

appartient à la Malaisie.

Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je vous remercie.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Je remercie l’éminent agent de la

Malaisie. La Cour prend acte d es conclusions finales que vous avez lues au nom de la Malaisie

comme elle a pris acte, le jeudi 20 novembre, des conclusions finales de Singapour.

J’ai été informé par le juge Keith qu’il souhaitait poser une question, qui s’adresse, je crois, à

Singapour. Je lui donne la parole.

Juge KEITH: Je vous remercie, Monsieur le président. Quelle réponse Singapour

souhaite-t-elle éventuellement apporter à la conclusion présentée hier par l’ Attorney-General de la

Malaisie en rapport exprès avec les dispositions de l’ accord relatif au Johor et de celui relatif à la

Fédération de Malaya, tous deux de 1948 ? Il est dit, dans cette conclusion, que le secrétaire d’Etat

par intérim du Johor, et je cite : «n’était nulleme nt habilité à écrire la lettre de 1953 et n’avait pas
60

juridiquement qualité pour ce faire, pas davantag e qu’il n’était autorisé à renoncer à un titre, à

déclarer n’en pas revendiquer ou à en confirmer un sur quelque partie du territoire du Johor que ce

fût». Je vous remercie, Monsieur le président.

Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Merci, Monsieur Keith. Le texte écrit

de cette question sera communiqué aux Parties dans les plus brefs délais. Il est demandé à

Singapour de répondre par écrit dans le délai d’une semaine à compter de la clôture de la présente

procédure orale, c’est-à-dire le vendredi 30 nove mbre 2007 au plus tard. Toutes observations que

la Malaisie pourrait souhaiter fair e, conformément à l’article72 du règlement de la Cour, sur la

réponse de Singapour pourront être présentées au plus tard le vendredi 7 décembre 2007.

Voilà qui nous amène au terme de ces trois semaines d’audiences consacrées aux plaidoiries

en la présente espèce. Je tiens à adresser mes remerciements aux agents, conseils et avocats pour

leurs exposés. Conformément à la pratique habitu elle, je prierai les deux agents de rester à la - 55 -

disposition de la Cour pour tous renseigneme nts complémentaires dont celle-ci pourrait avoir

besoin. Sous cette réserve, je déclare close la procédure orale en l’affaire relative à la Souveraineté

sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour).

La Cour va à présent se retirer pour délibérer. Les agents des Parties seront avisés en temps

utile de la date à laquelle la Cour rendra son arrêt.

La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, la séance est levée. Je vous

remercie.

L’audience est levée à 18 h 5.

___________

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