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132-20080911-ORA-01-01-BI
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CR 2008/28 (traduction)

CR 2008/28 (translation)

Jeudi 11 septembre 2008 à 10 heures

Thursday 11 September 2008 at 10 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est à présent ouverte pour entendre la

suite du premier tour de plaidoiries de l’Ukra ine et sir MichaelWood, vous pouvez poursuivre

votre exposé.

Sir Michael WOOD : Je vous remercie, Madame le président.

VI. L’ABSENCE D ’UN ACCORD PRÉEXISTANT SUR UNE FRONTIÈRE MARITIME

À TOUTES FINS AUTOUR DE L ’ÎLE DES S ERPENTS
(S UITE)

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, je vous expliquais hier pourquoi la thèse de la

Roumanie sur un accord préexistant relatif à une frontière maritime à toutes fins autour de l’île des

Serpents n’est pas convaincante. La Roumanie ne s’est pas acquittée de la charge qui lui incombe

si elle veut justifier son argument selon lequel déjà en1949, l’Unionsoviétique et la Roumanie

étaient convenues d’une telle frontière.

2. J’ai examiné hier l’interprétation erronée que fait la Roumanie du texte des

procès-verbaux de1949 ainsi que ses conjectures peu convaincantes su r les intentions des

participants aux négociations en1949, et qui ne tenaient nullement compte de l’état du droit

international de la mer à l’époque.

3. Aujourd’hui, après avoir dit quelques mots sur les accords ultérieurs, j’examinerai le

renvoi que fait la Roumanie à des «éléments de preu ve cartographiques». Pour finir, j’énumérerai

brièvement les incohérences entre la thèse de la Roumanie et les accords conclus récemment par les

Parties, en particulier ceux de1997 et2003, ainsi que leurs activités, ou, plutôt dans le cas de la

Roumanie, l’absence d’activités dans la zone pertinente.

iii) le renvoi aux croquis, cartes et accords ultérieurs

Les instruments datant de 1954, 1961, 1963 et 1974

4. Madame le président, la Roumanie a co mmencé par invoquer des accords ultérieurs pour

«confirmer» l’accord dont elle prétend trouver l’ex istence dans les procès-verbaux de1949: il - 3 -

s’agit des accords de1954, 1961, 1963 et1974. Les Parties semblent à présent convenir que ces

accords n’ont apporté aucune modification 1.

5. L’acte de1954 et les procès-verbaux de 1963 et1974 ont simplement effectué des

ajustements techniques de certaines bornes frontière. Le traité de1961 relatif au régime de la

11 frontière a mis à jour et remplacé celui de1949. L’article premier de ce traité a simplement

confirmé la frontière d’Etat convenue en 1949.

6. Le moment est peut-être venu de mentionne r l’argument de la Roumanie, soulevé pour la

première fois dans son mémoire 2, selon lequel les procès-verbaux, ainsi que l’échange de lettres

de1997, sont des «accords en vigueur entre les Etats concernés», au sens du paragraphe4 des

articles74 et83 de la Convention des NationsUni es sur le droit de la mer, de sorte que «les

questions relatives à la délimitation du plateau cont inental [ou de la zone économique exclusive]

sont réglées conformément à cet accord». Mardi de rnier, M. Pellet a avoué «voir mal l’intérêt de

3
cette querelle ». Je suis d’accord avec lui.

7. L’objectif du paragraphe4 des articles74 et83 ne semble pas être immédiatement

apparent. Ce paragraphe était destiné à êt re une disposition de sauvegarde par rapport à

l’article 311 de la Convention, qui concerne la relation entre celle-ci et d’autres accords. Mais, en

tout état de cause, pour ce qui est des procès-verb aux de1949 et d’accords ultérieurs relatifs à la

frontière d’Etat, l’argument invoqué dans les écriture s de la Roumanie échoue au premier obstacle.

Ces instruments ne traitent tout simplement pas de questions relatives à la délimitation du plateau

continental ou de la zone économique exclusive. Il n’y a rien qui relève du champ d’application de

la disposition en question 4. Pour ce qui est de l’échange de lettres de1997, comme l’a expliqué

M. Quéneudec, le seul recours qu’il prévoit en cas d’échec des négociations relatives à délimitation

du plateau continental et de la ZEE est la saisine de la Cour.

1 CR 2008/19, p. 34, par. 39 (Crawford).
2
MR, par. 7.5-7.6.
3
CR 2008/18, p. 44, par. 29 (Pellet).
4 CMU, par. 5.98-5.102, et par. 6.23-6.26. - 4 -

Croquis et cartes : examen général

8. J’en viens à présent à la question des ca rtes. A l’appui de son argument relatif à une

frontière préexistante convenue, dérivant des acco rds de1949, la Roumanie a présenté toute une

série de croquis et cartes dont les dates, la qualité et l’origine varient.

9. La jurisprudence de la Cour nous donne des indications utiles sur le poids à accorder ou

non aux éléments de preuve cartographiques. Dans notre contre-mém oire, nous citons les

paragraphes54 à56 de l’arrêt rendu pa r la Chambre constituée en l’affaire Burkina Faso/Mali

12 (Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), C.I.J.Recueil1986 , p.582-583 (cité au

paragraphe 5.129 du contre-mémoire de l’Ukraine). Par souci de commodité, nous avons reproduit

les paragraphes-clés sous l’onglet 48.

10. La décision de la Chambre dans l’affaire Burkina Faso/Mali est largement reconnue

comme une déclaration classique sur le poids à accorder aux cartes. Vous l’avez récemment citée

dans l’affaire Nicaragua c.Honduras (Délimitation maritime entre le Nicaragua et le Honduras

dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras) , arrêt du 8 octobre 2007, par. 209-219). Dans

Burkina Faso/Mali, la Chambre a évoqué la «réticente ma rquée» avec laquelle les cartes sont

traditionnellement traitées dans les décisions judiciaires ( C.I.J. Recueil1986, p. 583, par. 56). Je

citerai trois phrases extraites du paragraphe 54 de l’arrêt, où la Chambre s’en tient au principe. La

Chambre dit: «en matière de délimitation de frontiè res ou de conflit territorial international, les

cartes ne sont que de simples indications, plus ou moins exactes selon les cas». Elle cite ensuite les

cartes qui «ont été intégrées parmi les éléments qui constituent l'expression de la volonté de l'Etat

ou des Etats concernés». Ainsi en va-t-il, par exemple, «lorsque des cartes sont annexées à un texte

officiel dont elles font partie intégrante». La Chambre poursuit, à la dernière phrase du

paragraphe54: «En dehors de cette hypothèse clai rement définie, les cartes ne sont que des

éléments de preuve extrinsèques, plus ou moins fi ables, plus ou moins suspects, auxquels il peut

être fait appel, parmi d'autres éléments de pre uve de nature circonsta ncielle, pour établir ou

reconstituer la matérialité des faits.» Comme la Chambre le dit au paragraphe56, «la valeur

juridique des cartes reste limitée à celle d'une pr euve concordante qui c onforte une conclusion à

laquelle le juge est parvenu par d'autres moyens, indépendants des cartes» (ibid., p. 583). - 5 -

11. Madame le président, cette prudence était également apparente dans l’affaire Nicaragua

c. Honduras. Dans cette affaire, la Cour a examiné la valeur probante des cartes pour confirmer la

souveraineté sur certaines îles ( Délimitation maritime entre le Nicaragua et le Hondur as dans la

mer des Caraïbes (Nicaragua c.Honduras) , arrêt du 8octobre2007, par.209-219). Aucune des

cartes soumises par les Parties «ne faisait partie d’un instrument juridique en vigueur ni, plus

précisément, d’un traité frontalier conclu entre le Nicaragua et le Honduras» ( ibid., par.218). La

Cour a conclu qu’elle «ne [pouvait ] attacher que peu de valeur juridique aux cartes officielles qui

lui [avaient] été soumises et à celles qui ém an[ai]ent des instituts géographiques cités» (ibid. ,

par. 217).

D12n.s Malaisie/Singapour, quasiment 100cartes ont été soumises à la Cour. Cela

concernait une fois de plus des questions de souveraineté territoriale et non de frontières maritimes,

13 ces deux questions étant très différentes, notamment pour ce qui est de la précision à attendre de la

manière dont elles sont représentées sur des cartes. Dans Malaisie/Singapour, les Parties étaient

convenues «qu’aucune de ces cartes n’établit de titre au sens où le ferait, par exemple, une carte

jointe à un accord de délimitation frontalière» ( Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh,

Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour ), arrêt du 23mai2008, par.267). Vous avez

néanmoins attaché de l’importance à six des car tes, publiées entre1962 et1975, qui contenaient

des annotations que vous avez qualifié de «claires» et «[venant] à l’appui de la thèse de Singapour»

(ibid., par.271). La Cour a ensuite conclu que ces cartes tendaient à indiquer que Singapour

détenait la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh (ibid. , par. 275). Cela étant, il semble

que les cartes invoquées en rapport avec la souvera ineté territoriale n’aient joué qu’un rôle
5
secondaire .

13. Aux fins de la présente affaire, je proposerai de tirer deux conclusions de l’arrêt

Malaisie/Singapour. Premièrement, la Cour a réaffirmé la très importante distinction entre les

cartes jointes à des accords frontaliers et les autres. Ces dernières ne peuve nt qu’avoir une valeur

de confirmation, elles peuvent confirmer un résultat obtenu sur la base d’autres éléments de preuve.

Deuxièmement, les six cartes qui ont été jugées relativement importantes l’ont été parce qu’elles

5
La valeur de ces cartes est brièvement analysée dans l’une des opinions dissidentes, celle du juge ad hoc Dugard
(ibid., par. 24). -66 -

contenaient des annotations que la Cour a jugé es «claires» au regard de la souveraineté de

Singapour sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh. Tout cela est bien loin des cartes invoquées par la

Roumanie en l’espèce. Celles-ci ne se rapportent pas à la souveraineté sur un territoire terrestre.

La plupart d’entre elles n’avaient pas été publiées officiellement par l’Unionsoviétique ou

l’Ukraine. Et celles qui l’avaient été ne contiennent pas d’annotations «claires».

14. Madame le président, j’en viens à présent aux divers croquis et cartes invoqués par la

Roumanie. Nous faisons valoir qu’aucun de ces éléments ne tend à prouver ce qu’affirme à présent

la Roumanie, à savoir qu’en1949, ce pays et l’Un ionsoviétique étaient convenus d’une frontière

maritime s’étendant au-delà de leurs mers territoriales respectives (ou future, dans le cas de la

Roumanie) de 12 milles marins, attribuant ainsi l es zones maritimes que les Parties n’avaient alors

pas revendiquées ou même envisagé de revendiquer.

15. Conformément à votre jurisprudence, je commencerai par examiner ces cartes ou croquis

qui se rapportent d’une certaine manière aux accords de 1949. Trois séries de cartes ou de croquis

14 sont ici en jeu : la carte 134 elle-même ⎯ que vous avez déjà vue --, les croquis reproduits dans les

o o
procès-verbaux relatifs aux bornes frontière individuelles n 438 et n 1439 et les planches I et IV.

La carte 134

16. Commençons donc par la carte (Karta) à laquelle il est fait référence dans le

procès-verbal général, et qui lui est annexée. Il s’agit de la carte 134 [merci de projeter la carte à

l’écran]. Cette carte apparaît maintenant à l’écr an, et elle figure sous l’onglet15 du dossier de

plaidoiries de mardi. La carte134, ayant pour objet de représenter la frontière d’Etat au-delà du

point1439, montre le point approximatif où cette frontière était appelée à prendre fin lorsque,

comme c’était prévu, la Roumanie élargirait sa mer territoriale jusqu’à 12 milles marins.

17. Comme nous le verrons, la frontière suit la limite extérieure de la mer territoriale de

l’Ukraine autour de l’île des Serpents, qui est repr ésentée sur la carte 134, et prend fin en un point

approximativement situé par 30° 02' 18" de latitude est et 45° 5' 25" de longitude nord.

18. Les Parties conviennent, me semble-t-il, que la carte 134 est l’une des cartes à laquelle il

est fait référence au point1 de la liste figurant à la fin du volumeIII du procès-verbal général. -77 -

Cette liste est intitulée «Les documents suivants sont annexés au présent protocole», et le point 1 se

lit comme suit : «Cartes de la frontière d’Etat entre l’URSS et la RPR à l’échelle 1:25 000».

19. Contrairement aux autres cartes ⎯ y compris la carte 133 ⎯, l’échelle de la carte 134 est

en réalité 1:150000, mais cela peut s’expliquer par le fait que, dès lors qu’elle représentait une

zone maritime, il n’était pas nécessaire qu’elle soit à la même échelle que les cartes terrestres. En

revanche, comme je l’ai déjà i ndiqué, personne ne conteste que la carte134 fait partie des cartes

auxquelles il est fait référence sous l’intitulé précité du protocole.

20. Le titre principal figurant en haut de la carte134, à gauche en russe et à droite en

roumain, se lit comme suit: «cartes de la frontière d’Etat [ ⎯de la frontière d’Etat ⎯] entre

l’URSS et la République populaire de Roumanie». J’imagine que cette mention figure également

sur toutes les autres cartes. Entre les titres en russe et en roumain figure un autre titre, dans une

o
police de caractères inférieure (dans les deux langues): «Bornes frontière à partir du n 1438

jusqu’au n o 1439». M. Crawford a réuni ces deux titres pourtant distincts en indiquant, la semaine

dernière, que la carte était intitulée «carte de la frontière d’Etat entr e l’Union des Républiques

socialistes soviétiques et la République populai re de Roumanie de la borne frontière n o 1438 à la

o
borne frontière n 1439», et il en a conclu qu’elle avait pour seul objet de représenter «la frontière
6
15 entre ces deux bornes, rien de plus» . Si la carte avait essentiellement pour objet de représenter

l’emplacement des deux postes frontière, la frontière d’Etat y était également représentée.

21. Ainsi que nous l’avons indiqué dans nos écritures, si la représentation du continent se

poursuit jusqu’à l’extrémité inférieure de la carte, cette dernière représente également la frontière

d’Etat en mer, laquelle prend fin avant d’atteindre le bord inférieur de la carte. Rien n’indique que

la frontière d’Etat était censée se poursuivre au-delà, le long de la limite extérieure de la mer

territoriale. Cela n’est nullement indiqué, que ce soit par des mentions écrites, par une flèche

indiquant la direction souhaitée ou par tout autre moyen. En résumé, la carte134 représente une

frontière qui ne se prolonge que sur une faible dist ance le long de la limite extérieure de la mer

territoriale entourant l’île des Serpents.

6CR 2008/19, p. 30, par. 26. - 8 -

22. La Roumanie a avancé que, si elles av aient voulu accorder de l’importance au point

terminal représenté sur la carte 134, les Parties n’au raient pas hésité à le décrire précisément. Cela

vaut également, bien entendu, pour le fait que les Parties n’ont jamais décrit avec précision ⎯ ni

même mentionné ⎯ dans un quelconque documen t un point terminal tel que le «pointX» de la

Roumanie. Mais il n’est pas difficile de compre ndre pourquoi les Parties n’ont pas, en1949,

indiqué les coordonnées précises du point terminal qu’annonçait la carte134. Les Parties

entendaient établir la frontière d’Etat. Cette « frontière d’Etat» ne devait se prolonger en mer que

jusqu’au point en lequel la limite extérieure de la mer territoriale de 12milles marins de l’Union

soviétique devait couper la limite ex térieure de ce qui allait devenir ⎯ et est devenu peu de temps

après ⎯ la mer territoriale de 12 milles marins de la Roumanie. Tant que cette mer territoriale de

12milles marins n’était pas établie, il n’était pas possible d’indiquer des coordonnées précises du

point d’intersection et ce, bien que son emplacement approximatif ait pu être indiqué sur la carte, et

qu’il l’ait effectivement été.

23. Je ne passerai pas en revue toutes les tentatives de la Roumanie visant à réfuter le fait que

la ligne frontière convenue entre les Parties qui figure sur la carte134 se prolonge sur une faible

distance le long de la limite extérieure de la mer territoriale de l’Ukraine située autour de l’île des

7
Serpents. Nous y avons répondu point par point dans notre contre-mémoire .

24. Le fait est que la ligne fron tière s’arrête bien avant le bord de la carte, alors que la côte

continentale pertinente se poursuit, elle, jusqu’à l’extr émité de la carte. La ligne s’arrête là où elle

s’arrête. La Roumanie n’a fourni aucun élém ent permettant d’avancer que cette ligne devait

néanmoins se poursuivre au-delà.

16 25. La Roumanie soutient que, «en tout état de cause, une telle conclusion [à savoir que le

point terminal de la ligne représenté sur la carte correspondait au point terminal de la frontière

convenue] serait incompatible avec les termes clairs de l’instrument auquel la carte est annexée».

Mais le procès-verbal général de 1949 ne contient aucun «terme clair» indiquant d’une quelconque

manière que le point terminal de la frontière d’Etat serait situé au «point X».

7
CMU, par. 325-3.48. - 9 -

26. La Roumanie affirme ensuite que, dès lors que la carte134 ne représente pas en détail

toutes les caractéristiques du continent, alors même qu’il était tout à fait possible de le faire, il

conviendrait de n’attacher aucune importance à l’espace laissé en blanc entre la fin de la ligne

8
frontière telle que représentée et le bord de la carte . Cet argument ne tient pas compte du fait que

la carte avait pour objet de représenter l’emplacement des bornes de la frontière d’Etat. Il s’agissait

d’une carte représentant une frontière d’Etat. La fro ntière d’Etat y était représentée, ainsi que tout

autre détail pertinent.

27. La comparaison entre trois représentations de la ligne frontière d’Etat le long de la limite

extérieure de la mer territoriale entourant l’île des Serpents est très révélatrice [merci de les projeter

à l’écran]. Ces trois représentations apparaissent actuellement à l’écran, et elles figurent également

sous l’onglet49. Il s’agit [mer ci de les désigner] premièrement, du segment situé le long de la

limite extérieure de la mer territoriale repr ésenté sur la carte134; deuxièmement, du même

segment représenté sur la carte marine présentée par la Roumanie en 1997, lorsqu’elle a notifié ses

lignes de base droites à l’Organisation des Nations Unies; et, troisièmement, du même segment

jusqu’au pointF. Ces trois représentations sont similaires. Les deux dernières sont ont

expressément trait à la limite extérieure de la mer territoriale de la Roumanie. Il semble clair que,

tout en prenant dûment en compte les incertit udes qui entourent l’étendue précisede la mer

territoriale de 12 milles marins de la Roumanie en 1949, et du prolongement de la digue de Sulina,

la carte 134 avait pour objet d’annoncer le même point.

28. M. Crawford a examiné la carte 134 de manière assez détaillée la semaine dernière 9. Il a

même avancé que «[l’]Ukraine fond[ait] toute sa thèse à cet égard sur le fait que la frontière

représentée le long de l’arc de 12milles marins entourant l’île des Serpents sur la carte134

10
n’atteigne pas le bord de ladite carte, laissant ainsi un espace vide» . Tel n’est pas le cas, loin de

là, et j’ai déjà exposé notre argument principal su r cette question, à savoir que, s’il s’agissait de

démontrer l’existence d’une ligne polyvalente conve nue entre les Parties, la Roumanie n’y est pas

parvenue.

8RR, par. 4.57.
9
CR 2008/19, p. 30-31, par. 26-30.
10Ibid., p. 31, par. 29. - 10 -

17 29. En réponse à notre argument selon lequel la frontière qui longe la limite extérieure sur la

carte134 prend approximativement fin à l’emplacement actuel du pointF, M.Crawford a appelé

l’attention sur le fait que la représentation, sur cette même carte, de la frontière d’Etat à l’ouest du

point 1438 ne se prolonge pas jusqu’au point 1437, alors même qu’il existe incontestablement une

frontière entre ces deux points. M.Crawford a indiqué qu’il serait absurde d’avancer que le fait

qu’aucune ligne frontière ne soit représentée à l’ouest signifie que la frontière prend fin là où elle

11
s’arrête sur la carte 134 . En effet, cela serait absurde. La frontière entre les points 1437 et 1438

est représentée sur une autre carte. Sur la carte 133, en l’occurrence. De toute évidence, il n’était

pas nécessaire de représenter sur notre carte la frontière au-delà du point 1437.

[Fin de la projection.]

Croquis figurant dans les procès-verbaux

30. J’aimerais maintenant inviter les Membres de la Cour à se pencher sur les croquis inclus

dans les procès-verbaux spécifiques relatifs aux bornes frontières n s 1438 et 1439 (ils figurent sous

l’onglet 50 du dossier de plaidoiries). Il me suffira de dire quelques mots à ce sujet. M. Crawford

a appelé notre attention sur ces croquis la semaine dernière, vous invitant à en conclure que «[c]e

qui est représenté sur cette carte et sur les croquis considérés conjointement, c’est une frontière

interétatique longeant cet arc de 12milles marins et ne s’arrêtant pas en un quelconque point

12
déterminé ou précisément désigné» . Ainsi que nous l’avons précisé dans nos écritures, les

croquis figurant dans les procès-verbaux spécifiques avaient simplement pour objet de représenter

l’emplacement des bornes frontière, et l’on ne peut guère se fonder dessus à d’autres fins. Aussi ne

pouvons-nous certainement pas souscrire à la thèse de M. Crawford selon laquelle la carte 134, qui

a été établie avec le plus grand soin, devrait, co mme il l’a dit, être «considérée comme secondaire»

13
par rapport à ces croquis .

11
Ibid., p. 31, par. 30.
12
Ibid., p. 28, par. 19, point 3.
13Ibid. - 11 -

Les planches I et V

31. Enfin, pour ce qui concerne les cartes ou croquis de l’époque, la Roumanie a inclus dans

sa réplique les planches I et V, reproduites sous l’ onglet 51 du dossier de plaidoiries. Ces planches

sont présentées comme des «cartes schématiques». Leur échelle est bien inférieure à celle de la

carte134 et des autres cartes illustrant les bornes fr ontières. En fait, ces planches sont établies à

une échelle de 1:1500000 et de 1:500000, respec tivement. Elles ne font pas partie des cartes

désignées comme des «documents…jo ints au présent protocole» dans le procès-verbal général.

14
18 M. Crawford a déclaré qu’elles étaient «contenues dans l’atlas cartographique» . Il est difficile de

bien saisir ce qu’il entendait par là. La réplique indiquait que ces planches avaient été

15
«découvert[es]» depuis l’achèvement du mémoire . En tout état de cause, le texte des

procès-verbaux n’en fait pas concrètement mention.

32. A en croire la Roumanie, «la frontière ent ourant l’île [des Serpents] figure» sur ces deux

planches. Abstraction faite du statut douteux de celles-ci, il n’en est rien. Comme la carte134,

toutes deux ne font qu’illustrer une ligne suivant brièvement la limite extérieure de la mer

territoriale entourant l’île. La Roumanie affirme en outre que les deux planches «montrent

clairement la frontière sur l’arc de 12milles ma rins entourant l’île des Serpents et les zones

appartenant à la Roumanie de l’autre côté de la li gne». Tel n’est tout simplement pas le cas. La

mer territoriale entourant l’île des Serpents appara ît effectivement sur les deux planches, mais ni

l’une ni l’autre n’indique d’aucune façon que la colonne d’eau ou que les fonds marins situés au

sud de la limite extérieure appartiennent à la Roumanie.

33. M.Crawford s’est largement prévalu de ces deux croquis, dans la mesure où ils

représentent une ligne allant un pe u plus loin que celle illustrée sur la carte134. Nous avons

exposé dans notre duplique une pléthore de raisons pour lesquelles ces croquis ne méritent guère de

16
poids, raisons que je ne répéterai pas ici . Je n’en mentionnerai qu’une. En guise de réponse à

tous les points formulés dans la duplique, M. Crawford s’est borné à dire que les croquis

«fai[saien]t partie de l’atlas cartographique, qui lui-même fait partie de l’accord de délimitation

14Ibid., p. 31, par. 31.
15
RR, par. 4.65.
16DU, par. 3.35-3.37. -122 -

d’ensemble» 17. Mais le fait que ces croquis soient «contenu[s]» dans un «atlas cartographique» ne

dit rien de leur portée. Pour s’en faire une idée, il faut s’interroger sur leur but et sur ce que le texte

de l’accord peut éventuellement révéler à leur sujet. En fait, comme nous l’avons exposé dans la

duplique, aucun de ces croquis n’a été établi dans le but d’illustrer la frontière. La planche I visait

à indiquer lequel des deux Etats était chargé d es travaux de démarcation dans chacun des huit

secteurs. La planche V devait simplement constitu er une clé pour recenser les zones représentées

sur les cartes18.

34. De notre point de vue, les planches ne présentent aucun intérêt pour déterminer sur quelle

distance la frontière d’Etat convenue en1949 éta it censée «longer» la limite extérieure entourant

l’île des Serpents. C’est la carte visée dans la partie pertinente du pr ocès-verbal de 1949 — la

19
carte134— qui est de première importance dans ce contexte, ce que la Roumanie semble

elle-même reconnaître.

35. En bref, la Roumanie n’a produit auc un élément de preuve contemporain attestant

l’existence d’un accord sur une frontière mariti me se prolongeant jusqu’au «pointX» qu’elle

revendique, ni même au-delà du point1439. C’est elle qui a accès à la documentation disponible

au sujet du procès-verbal de1949, et c’est elle qui en a possession. Il est révélateur que la

Roumanie ne soit parvenue à produire aucun élém ent de preuve de l’époque démontrant qu’elle

s’était entendue avec l’Union soviétique sur une fr ontière maritime d’application générale suivant

la limite extérieure de la mer territoriale jusqu’au «pointX». Elle admet elle-même que le

procès-verbal de1949 situait la frontière mariti me «sur l’arc de 12milles entourant l’île des

Serpents jusqu’à un point dont les coordonn ées géographiques n’étaient pas précisées. Les

coordonnées géographiques de ce point n’étaient pas non plus précisées dans les accords frontaliers

19
ultérieurs conclus par la Roumanie et l’Union soviétique» . Cela vaut également pour les

procès-verbaux spécifiquement consacrés aux bornes frontières, la Roumanie concédant à cet égard

17CR 2008/19, p. 32, par. 34.
18
DU, par. 3.36 e).
19MR, par. 11.51-11.52. -133 -

qu’«[i]l est vrai que le point term inal de la frontière sur l’arc de cercle entourant l’île des Serpents

n’est spécifié dans aucun des procès-verbaux ni illustré sur aucun croquis» 20.

Les cartes d’autres époques

36. Madame le président, j ’en viens maintenant à la seconde catégorie de cartes, c ’est-à-dire

aux cartes d’autres époques dont la Roumanie se prévaut pour confirmer le résultat qu ’elle prétend

tirer de son interprétation des accords de1949. Aucune de ces cartes n ’est évoquée dans les

accords, ni même dans la correspondance diplomatique échangée entre les Parties. Selon nous, ces

cartes non contemporaines n ’apportent aucune preuve sur le sen s du procès-verbal de 1949. Elles

ne permettent pas non plus d ’établir l’existence d’un quelconque accord ultérieur entre les Parties

sur son interprétation.

37. Je ne passerai pas en revue une par une les cartes figurant dans l ’atlas cartographique de

la Roumanie. Abstraction faite de la carte soviétique 552, déposée tardivement, nous avons exposé

des observations détaillées sur chacune d’elles dans le contre-mémoire 21et dans la duplique .22

20 38. Je formulerai toutefois certaines remarques d ’ordre général au sujet de l ’utilisation des

symboles sur les cartes de navigation (ou «symbologie», pour reprendre le terme utilisé par les

cartographes, je crois). Je dirai ensuite que lques mots sur une ou deux des cartes qui nous

intéressent, en particulier sur la carte soviétique nouvellement introduite, qui date de 1957.

39. Certaines des cartes ont ceci en commun qu ’elles signalent la présence de l’île des

Serpents par ce que j ’appellerai un «crochet» (pour utili ser un terme non technique), que l ’on voit

suivre sur des distances variables la limite exté rieure des 12milles de mer territoriale de l ’île, au

sud et à l’est de cette dernière. La Roum anie semble attacher beaucoup d ’importance à ces

«crochets» (représentés avec des longueurs et de s symboles différents), qui figurent sur certaines

cartes marines (publiées en majorité par des tierces parties ou par la Roumanie elle-même), mais

non sur d ’autres—comme, par exemple, sur l ’édition actuellement disponible de la carte de la

23
zone dressée par l ’Amirauté britannique . La Roumanie tend à prétendre que la présence de ces

20RR, par. 4.43.
21
CMU, par. 5.127-5.215.
22
DU, par. 3.52-3.103.
23Black Sea, Romania and Ukraine. Gura Sfintu Gheorghe to Dnestrovskiy Liman. -144 -

«crochets» «confirme» qu ’il existe déjà entre les Parties une frontière agréée délimitant la mer

territoriale de l’Ukraine, d’une part, et les zones maritimes roumaines d ’autre part. De notre point

de vue, la présence d’un «crochet» sur certaines cartes marines n ’indique rien de tel. Ces cartes

sont l’ouvrage d ’hydrographes et de cartographes, non de juristes et de diplomates. Les

hydrographes et les cartographes ne sont pas nécessairement tous au fait des subtilités des

différends juridiques du moment, si tant est qu’ils en connaissent l’existence.

40. Les premières cartes marines montrant ce «crochet» que la Roumanie ait produites sont

deux cartes de 1957—soit postérieures de quel que huit années aux accords de1949. De

nombreuses raisons pouvaient justifier, en1957, de représenter de façon claire et visible sur les

cartes marines la mer territoriale de 12milles de l ’Union soviétique autour de l ’île des Serpents.

L’une de ces raisons, et non la moindre, pouva it résider dans les préoccupations de l ’Union

soviétique sur le plan de la sécurité. En effet, les cartes marines servent à la navigation, pour des

navires de toutes sortes. Or, l ’île des Serpents est une île de premier plan en mer Noire. Elle

appartenait à l ’une des deux superpuissances, l’Union soviétique. Les premières cartes marines

montrant un «crochet» ont été produites par l’Union soviétique au plus fort de la guerre froide. Les

navires voguant en mer Noire en direction du nor d devaient assurément être avertis, de manière

dénuée d’ambigüité, du fait que l’Union soviétique avait une mer territoriale de 12 milles autour de

l’île des Serpents, mer dans laquelle le passage inoffensif, tel qu ’interprété alors par l’ Union

soviétique, constituait la règle, et non la liberté de navigation. La mer Noire était une zone

21 névralgique. L ’île des Serpents comptait une présence militaire non négligeable. Je rappellerai

que, en1960, lorsqu ’elle ratifia la convention sur la mer territoriale, l ’Union soviétique déclara

que, pour elle, «l’Etat riverain a[vait] le droit d’établir un régime d’autorisation pour le passage des

navires de guerre étrangers dans ses eaux territoriales» 24. La Roumanie fit une déclaration

similaire. Ces pays étaient particulièrement vigilants à l’égard des navires d ’Etats étrangers

approchant de leur mer territori ale, sous-marins compris (qui doi vent naturellement naviguer à la

surface et arborer leur pavillon en mer territoriale) 25. Je note que le décret roumain de 1956 relatif

à la mer territoriale—que nous avons examiné hier — indique que «[l]es navires sous-marins

24
Voir traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
25
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, art. 20. - 15 -

étrangers en immersion dans les eaux territoriales de la République populaire de Roumanie seront

26
poursuivis et détruits sans sommation» . De toute évidence, les Etats concernés ne voulaient pas

que des navires étrangers puissent pénétrer dans leurs eaux territoriales par inadvertance.

41. Les «crochets» de 1957 réapparaissent sur quelques cartes marines u ltérieures. Suivant

l’usage en matière de cartes, marines ou autres, il s ’agit souvent de simples reproductions de cartes

antérieures. D ’ailleurs, je crois comprendre que les services hydrographiques ont coutume de

reprendre les données d’autres services hydrographiques dans le cadre d’accord formels. Cet «effet

de duplication» est inévitable. Les auteurs des cartes marines ne partent pas d ’une feuille blanche.

Ils se basent sur les cartes et les informations existantes.

42. La Roumanie attire également l’attention sur d’autres symboles utilisés sur les différentes

cartes marines qu ’elle a sélectionnées, lesquelles ont été dressées par divers services techniques

pendant une assez longue pé riode. Le mieux que l ’on puisse dire, au sujet de la prolifération des

symboles, c ’est que ces cartes marines sont extrêmement confuses et incohérentes. En outre,

l’utilisation de symboles sur les cartes marines a varié au fil du temps, et elle varie selon les

différentes autorités dont celles-ci émanent; les sy mboles ne constituent pas toujours un indicateur

fiable de la situation réelle. Ce manque de cohérence est amplifié par ce que j’ai appelé l ’«effet de

duplication». Selon moi, les symboles ne peuvent rien révéler d’intéressant aux fins de la présente

affaire. Il est certain que les conclusions radicales que la Roumanie veut en tirer sont injustifiées.

43. Madame le président, la Roumanie se fonde notamment sur un petit nombre de cartes

marines et de publications ukrainiennes. Elle a même récemment soumis à la Cour un livre

d’illustrations intitulé Lighthouses of Ukraine , dans lequel figure l’image d ’un «crochet». Elle a

22 tenté de conférer beaucoup d ’importance aux symboles figurant sur une carte marine ukrainienne

en particulier, qui date de 2001. A ce sujet, je me contenterai de noter que cette carte constitue une

exception. Comme toutes les autres cartes marines, elle sert d’aide à la navigation, non à indiquer

des frontières politiques. Après tout, le cartographe a peut-être été trop loin en interprétant les

«crochets» qu’il avait trouvés sur d es cartes antérieures. Si tel est le cas, il a fait erreur. La Cour

ne dispose d’aucune carte ultérieure comportant des symboles similaires. Quoi qu’il en soit, la

26
MR, annexe 81, art. 8. -166 -

carte marine de 2001 est antérieure en date à la conclusion du traité frontalier de 2003, dans le

cadre duquel les Parties se sont finalement entendues sur les coordonnées du point F; son

éventuelle pertinence n’est plus d’actualité.

44. Madame le président, c’est aller très lo in que d’affirmer que, certaines publications

d’organes techniques ukrainiens ayant, de temps à autre, pu comporter un symbole ambigu, un

«crochet», l’Ukraine a fait une «déclaration allant à l’encontre de ses intérêts». Le «point X» n’a

tout simplement joué aucun rôle dans le cadre des relations diplomatiques des Parties, et il ne peut

devenir soudainement une réalité à cause de sy mboles placés par des cartographes sur quelques

cartes marines. Il ne faut pas oublier que le but essentiel de ces cartes marines était de servir

d’aides à la navigation ou, parfois, de croquis acco mpagnant certains projets, voire, dans un cas,

d’illustration dans le cadre de ce qui ressemble à un «beau livre». Elles n’ont pas été établies à des

fins diplomatiques, ni comme une description officielle des frontières de l’Etat. De toute façon, dès

lors que certaines des cartes marines et publica tions ukrainiennes représentent un «crochet»,

celles-ci semblent toutes renvoyer aux cartes marine s soviétiques de 1957, dont j’ai déjà exposé la

signification probable. La présence d’un «croch et» sur certains croquis et sur certaines cartes

marines ne saurait en aucun cas s’interpréter comme constituant, de la part de l’Ukraine, une

«déclaration allant à l’encontre de ses intérêts», à savoir qu’il aurait bien existé un accord en 1949

sur une frontière maritime préétablie d’application générale, comme la Roumanie presse la Cour de

le croire.

45. J’ai annoncé que je dirai un mot sur la carte soviétique 552, puisqu’elle a été admise

tardivement et qu’elle n’est pas examinée dans nos écritures. Datée de1957, elle constitue la

deuxième édition d’une carte marine soviétique qui fut publiée pour la première fois en1951. Il

s’agit de l’une des deux cartes marines de1957 qu i représentent le «crochet», soit les premières

cartes avec crochet ayant été produites devant la Cour. L’année 1957, comme je l’ai déjà dit, c’est

huitans après les accords de1949. La carte552 n’ajoute rien d’intéressant à la thèse de la

Roumanie. Je rappellerai toutefois que celle-ci n’a pas soumis la version originale de cette carte,

qui date de 1951. A cet égard, vous n’aurez p as oublié que l’autre carte produite par la Roumanie,

une carte soviétique de 1957 — la carte 500 — était là encore une deuxième édition. Or, l’Ukraine

a retrouvé par la suite la première édition de cette carte, soit celle de1951, qui ne représentait - 17 -

23 aucun «crochet». Cette première édition était évid emment plus proche dans le temps des accords

de1949 et, d’après nous, elle a exclu toute valeur que la Roumanie pouvait tenter d’attacher à

l’édition ultérieure de 1957. Malheureusemen t, nous ne sommes pas parvenus à retrouver

l’original de 1951 de la carte produite tardivement — la carte soviétique 552. Mais je me permets

de suggérer que, comme la carte 500, la carte 552 de 1957 n’a absolument aucune valeur pour aider

à interpréter le procès-verbal.

iv) Contradiction entre la thèse de la Roumanie et les propres actes et accords récents des
Parties

46. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant à mon dernier point,

qui sera très bref : la contradiction entre la thèse de la Roumanie fondée sur la préexistence d’une

frontière maritime et ses propres actes, ou son inac tion, et les accords récemment conclus par les

Parties.

47. Selon nous, les propres actions ou inacti ons ultérieures de la Roumanie confirment

l’absence d’accord préexistant entre les Parties qua nt à la délimitation du plateau ou de la zone

économique exclusive ⎯ énumérons-les.

a) Législation

48. Premièrement, comme je l’ai mentionné au début, la propre législation de la Roumanie

confirme que les accords de 1949 n’ont rien fait de plus que de délimiter la mer territoriale. Le

décret sur la mer territoriale de la Roumanie en1956 dispose que «les eaux territoriales de la

Roumanie…sont délimitées en mer Noire par une ligne fixée par accord entre [la Roumanie et

l’Union soviétique]». Le décret sur la zone économique exclusive de la Roumanie en1986,

comme vous le savez, ne fait d’ailleurs aucune réfé rence à un accord en matière de délimitation de

zone économique exclusive.

b) CNUDM

49. Deuxièmement, lors de la troisième confér ence des Nations Unies sur le droit de la mer

dans les annéessoixante-dix et au début des annéesquatre-vingt, la Roumanie s’est efforcée à

maintes reprises d’obtenir une di sposition faisant entrer l’île des Serpents dans le champ du

paragraphe 3 de l’article 121 de la convention. Ma collègue, Mme Malintoppi, exposera les efforts -188 -

ainsi déployés. Ils auraient été sans objet s’il y avait eu un accord préexistant, et sont donc

incompatibles avec la position que la Roumanie adopte à présent.

24 c) Négociations bilatérales

50. Troisièmement, au cours des négociations qui ont abouti à l’échange de lettres de 1997,

exposant les principes de la négociation d’un accord de délimitation, la Roumanie n’a pas fait état

d’un accord préexistant entre les Parties couvrant une partie de la ligne à délimiter. En fait, comme

nous l’avons dit, elle a adopté la position préciséme nt opposée. Le texte de l’échange de lettres

lui-même ne fait bien entendu aucune allusion à un tel accord.

d) Les activités pétrolières et de surveillance des côtes

51. Quatrièmement, Mme Malintoppi examinera pl us tard un peu plus en détail l’importance

des activités pétrolières et de surv eillance des côtes dans la zone pertinente. Il est à noter que

celles-ci n’indiquent nullement, de la part de la Roumanie, la conscience de la préexistence d’une

frontière du plateau continental ou des zones économiques exclusives.

Conclusion

52. Madame le président, Messieurs de la Cour, ma conclusion est simple. La Roumanie n’a

pas satisfait à l’obligation qui lui incombait de prouver, le cas échéant, que les Parties étaient

convenues, en1949 ou par la suite, d’une frontiè re maritime polyvalente longeant la limite

extérieure de la mer territoriale de l’Ukraine aut our de l’île des Serpents jusqu’au «pointX» ou

«dans les parages». Elle n’a produit aucun élément de preuve, encore moins de preuve

incontestable, d’un tel accord. Elle ne pouvait le faire puisqu’un tel accord n’existe pas.

Madame le président, Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé. Je vous remercie de

votre patience. Je vous prierais d’inviter Mme Malintoppi à poursuivre. Je vous remercie. -199 -

Le PRESIDENT : Je vous remercie, sir Michael. Nous appelons à présent Mme Malintoppi.

Mme MALINTOPPI : Je vous remercie, Madame le président.

VII. A CTIVITÉS PÉTROLIÈRES ET DE SURVEILLANCE DES CÔTES

I. Introduction

1. Madame le président, Messieurs de la Cour , c’est un honneur et un grand privilège pour

moi de comparaître à nouveau devant vous et de représenter l’Ukraine en la présente espèce. Il me

revient, ce matin, d’examiner l’argumentation des Pa rties concernant leurs activités pétrolières et

leurs opérations de surveillance des côtes.

25 2. Mais avant d’aborder ces activités, quelques observations liminaires s’imposent à la

lumière des exposés oraux présentés par la Roumanie la semaine dernière.

3. Il est important de souligner que si l’Ukraine attire l’attention sur cette conduite des

Parties, en vue de montrer l’existence d’ une ligne résultant d’un accord tacite ou d’un modus

vivendi. Pour l’Ukraine, cet aspect de l’affaire a une double portée : d’abord et surtout, comme sir

Michael vient de le dire, la conduite des Pa rties est fondamentalement incompatible avec

l’argument de la Roumanie invoquant la préexis tence d’une délimitation ma ritime dans la zone

contestée jusqu’au «pointX»; et, deuxièmem ent, l’absence d’activités comparables de la

Roumanie au moins dans la zone contestée est incompatible avec la revendication formulée en

l’espèce par celle-ci.

4. Dans ces conditions, ce n’est pas un hasard si le concept des effectivités n’a jamais été

mentionné auparavant dans la pré sente affaire par l’une ou l’autre des Parties, au moins jusqu’au

premier tour de plaidoiries de la Roumanie la semaine dernière. L’Ukraine ne revendique pas ses

activités pétrolières et de surveillance des côtes en tant qu’actes à titre de souverain établissant une

ligne de facto , mais en tant qu’éléments qui, selon elle , devraient être pris en compte dans

l’appréciation des demandes des Parties en rapport avec leur conduite réelle.

5. En ce qui concerne le concept de la da te critique, autre concept juridique emprunté aux

différends territoriaux, il a lui aussi été introduit de façon inédite lors du premier tour de plaidoiries - 20 -

de la Roumanie 27. Il est vrai qu’il est fait incidemment référence à une date critique dans la

réplique, mais dans celle-ci la Roumanie fixe la date critique à l’ année 1997, date de l’échange de

lettres de 1997 28. Celle-ci a maintenant été ramenée à nove mbre 1995, date d’un autre échange de

correspondance entre les Parties, mais on ne sait pas pourquoi la Roumanie a changé d’avis.

6. Cette mise en cause de la date critique est inexplicable, non seulement parce que la

question a été introduite par la Roumanie à un stade ta rdif de l’affaire, mais aussi parce que la date

choisie, 1995, est une date sans importance particu lière dans l’histoire du présent différend. Ce

n’est qu’en1997 que les Parties se sont entendues sur les principes applicables à la conduite de

leurs négociations. Il est évident que le différend ne s’est pas cristallisé en 1995, ni même en 1997.

En admettant qu’il y ait bien une date critique, et que cette date ait un rôle à jouer dans la

délimitation maritime, il s’agit de la date de la requête de la Roumanie, à savoir le

16 septembre 2004.

II. Description des activités pertinentes

26 7. Ayant ces avertissements à l’esprit, j’en viens à présent au contexte factuel pertinent.

8. L’Ukraine a montré dans ses pièces de pro cédure que c’est elle et non la Roumanie qui a

octroyé des permis ou effectué des patrouilles de su rveillance de manière régu lière dans la zone à

29
présent contestée par la Roumanie .

a) activités pétrolières et gazières

9. Commençons par les activités pétrolières. Afin d’illustrer l’octroi de permis d’activités

pétrolières par l’Ukraine, notamment en matière d’exploration d’hydro carbures, nous projetons à

l’écran une carte, également reproduite sous l’onglet 52 du dossier des plaidoiries, qui montre les

limites des concessions octroyées par l’Ukraine pour l’exploration du pétrole et du gaz en relation

avec les lignes frontières revendiquées en l’espèce.

10. Les secteurs couverts par les permis ukrainiens ⎯ les blocs Delphin, Olympiiska et

Gubkina ⎯ sont représentés sur la carte. Le bloc Delphin est représenté comme un rectangle qui

27CR 2008/20, p. 60-61, par. 13-15.
28
RR, p. 165, par. 5.106.
29CMU, chap. 8, sect. 2 et DU, chap. 6, sect. 4. - 21 -

chevauche la ligne revendiquée par la Roumanie et se prolonge dans la zone de chevauchement des

revendications des Parties. Les permis se rapportant à ce bloc ont été octroyés en1993, en vertu

d’une concession entre la commission nationale ukrai nienne de la géologie et de l’utilisation des

ressources minérales et une entreprise conjointe entr e le Crimean State Property Fund et la société

30
J. P. Kenny, du Royaume-Uni .

11. La deuxième concession, le bloc Olympiiska, qui s’étend sur quelque 120km 2, a été

accordée à la compagnie ukrainienne Chornomornaftogaz par le ministère de l’écologie et des

ressources naturelles de l’Ukraine en 2001 en vue de l’exploration du pétrole dans une zone située

31
plus près de la limite occidentale du plateau continental de l’Ukraine . La zone considérée est

représentée sur l’écran comme un bloc rectangulaire entièrement situé dans l’espace en litige.

12. En 2003, le ministère de l’écologie et des ressources naturelles de l’Ukraine a accordé

une autre concession à la même compagnie ukrainienne 32. Ce permis concernait des droits relatifs

2
aux hydrocarbures dans le block Gubkina, une zone de 456km située dans la partie nord de

27
l’espace maritime à présent contesté, et qui chevauche la limite méridionale de la mer territoriale de

l’île des Serpents. Ce bloc est présenté comme un rectangle étroit qui chevauche partiellement la

ligne revendiquée par la Roumanie.

13. L’existence de ces concessions démontre qu ’avant et après l’échange de lettres de 1997,

l’Ukraine a autorisé des ac tivités se rapportant à l’exploration de gisements pétroliers et gaziers

dans les zones du plateau continental que revendique la Roumanie en l’espèce.

14. En parfait contraste avec la pratique de l’Ukraine, la Roumanie ne peut invoquer de

conduite comparable. Cela mérite d’être relevé à la lumière de l’argument formulé pour la

première fois en l’espèce selon lequel la Roumanie et l’Union Soviétique étaient convenues

en 1949 que les droits souverains de l’Ukraine su r les zones maritimes devr aient se limiter à l’arc

des 12 milles marins autour de l’île des Serpents, ju squ’au «point X». Si cet accord avait existé, il

aurait surement été pris en compte dans la pr atique ultérieure de la Roumanie en matière

d’opérations pétrolières. Or, la pratique de la Roumanie ne montre rien de la sorte.

30
Cette concession est reproduite à l’annexe 97 du CMU.
31
Cette concession est reproduite à l’annexe 98 du CMU.
3Une copie de cette concession est reproduite dans l’annexe 99 du CMU. -222 -

15. En fait, la Roumanie n’a pas produ it d’accords de concession ou d’autres documents

montrant les termes des concessions qu’elle a accordées en rapport avec des zones offshore en mer

noire. Cependant, la compagnie Petroconsultants a publié une carte en1998 qui montre que la

localisation des blocs apparemment concédés à des compagnies pétrolières roumaines et étrangères

n’a pas de lien avec la ligne revendiquée par la Roumanie en l’espèce.

16. Nous projetons à présent à l’écran une copie de la carte publiée par la compagnie

Petroconsultants, qui est également reproduite sous l’onglet53 (CMU, fig.8.8). Les quatre blocs

concédés par la Roumanie y sont représentés ; il s’agit, en allant du nord au sud, de Pelican, ou

blockXII, qui est représenté comme ayant été octroyé à la compagnie pétrolière britannique

Enterprise Oil, de Isria, qui a été accordé à la compagnie d’Etat roumaine Petrom, de Midia, ou

block XV, accordé à Enterprise Oil et de Neptun, bloc situé au sud-est, accordé à Petrom.

17. Si nous projetons à présent à l’écran la carte montrant les limites des zones de

concessions pétrolières et gazières des Parties da ns la zone de chevauchement des revendications,

33
(cette carte est également reproduite sous l’onglet54) , il ressort que la ligne correspondant à la

limite orientale des concessions octroyées par la Roumanie jusqu’en1998 ne cadre pas avec

l’argument de cette dernière selon lequel son plateau continental s’étend au sud et à l’est de l’arc

défini par la mer territoriale de 12milles marins autour de l’île des Serpents. En fait, comme le

montre cette carte, la limite extérieure de ces zones ne correspond pas du tout à un arc imaginaire
28

décrit par le rayon de 12milles marins et ne coïncide pas avec la ligne revendiquée par la

Roumanie.

18. Dans sa réplique, la Roumanie fait valoir que les concessions reproduites sur cette carte

«ne représentent qu’une petite pa rtie des activités de la Roumanie dans la zone de délimitation» 34.

35
Elle ajoute «qu’elle mène des activités dans cette zone depuis les années soixante» et que «depuis

cette époque, de larges profils sismiques ont été re levés dans une zone dont la limite extérieure

coïncide presque exactement avec la frontière maritime revendiquée par la Roumanie en

3CMU, fig. 8.7.
34
RR, p. 255, par. 7.33.
3RR, p. 256, par. 7.34. - 23 -

36
l’espèce» . Le coagent de la Roumanie a maintenu ce tte position bien qu’il semble à présent faire

remonter le début des prétendues activités d’exploration de la Roumanie aux années soixante 37. Il

convient de mentionner, que, curieusement, la Roumanie cite une source secondaire à l’appui de

cette information : une étude publiée en 2000 par la revue Marine Geology ⎯ au lieu de produire

ses propres documents 38.

19. Les déclarations de la Roumanie restent de simples affirmations étant donné que, et cela

est remarquable, aucun élément de preuve documentaire convaincant n’a été produit pour les

étayer. La carte projetée à l’écran vendredi par le coagent de la Roumanie, et qui avait été

reproduite dans la réplique de ce lle-ci (figure 26), en est un bon exem ple. Nous allons la projeter

de nouveau. Le croquis n’est pas daté et sa source n’est pas indiquée. Le moins que l’on puisse

dire, c’est que ce n’est pas un modèle de clarté étant donné qu’un certain nombre de lignes ont été

superposées sur la carte, ainsi que des symboles représentant des puits d’exploration. On ne sait

pas bien quand les symboles représentant les lignes revendiquées et les «puits» ont été ainsi

superposés. Le document déposé par la Roumanie n’indique nullement quand les prétendus profils

sismiques ont été relevés, par qui ils l’ont été et s ous l’autorité de qui. Le coagent de la Roumanie

n’en a pas dit davantage à ce sujet la semaine derniè re. Il s’est contenté d’affirmer que ces profils

«[étaient] dus aux intenses activités d’exploration menées par la Roumanie au cours des

39
années quatre-vingt et quatre-vingt-dix» .

20. Mais dans la mesure où les activités pétro lières et gazières de la Roumanie peuvent être

établies dans la zone en litige sur la base de s ources provenant de tiers, la limite extérieure de ses

29 40
blocs de concession semble correspondre à ce qui est reproduit à l’écran et sous l’onglet 54 . Si

cela est vrai, comme l’affirme la Roumanie, ce la ne prouve néanmoins pas que «la conduite

roumaine en matière pétrolière et gazière dans la zone de délimitation s’est étendue sur une période

relativement longue (plus de 40ans) et est caractérisée par l’uniformité, la continuité et la

3RR, p. 256, par. 7.34.
37
CR 2008/21, p. 28, par. 30.
38
CR 2008/21, p. 28, par. 30.
3CR 2008/21, p. 28, par. 29.

4CMU, fig. 8-7. -244 -

constance» 41. La localisation des zones de concession de la Roumanie n’ajoute certainement pas

foi à la théorie de celle-ci selon laquelle une fr ontière maritime a été convenue en1949 entre

l’Union soviétique et la Roumanie, jusqu’au «pointX». Si un tel accord préexistant avait

réellement lié les Parties, cette ligne (et les zones situées au sud de celle-ci) aurait dû être

représentée en rapport avec la limite extérieure des concessions. Comme il peut être constaté sur la

carte projetée à l’écran, ce n’ét ait pas le cas. Cette ligne ne correspond pas à celle qui est

revendiquée par la Roumanie en l’espèce.

b) Les activités de la garde côtière

21. Je passe maintenant à un bref exposé des activ ités de la garde côtière de l’Ukraine dans

le secteur qui nous intéresse.

22. Comme cela a été exposé dans les écritur es de l’Ukraine, le 7novembre1995, le

ministère des affaires étrangères de l’Ukraine a informé la Roumanie par les voies diplomatiques

qu’elle était disposée à négocier un accord de délim itation du plateau continental et de la zone

économique exclusive des Parties. Cette lettre préci sait que, dans l’attente de la fixation définitive

de la frontière maritime entre les Parties, la zone économique exclusive de l’Ukraine dans la partie

sud-ouest de la merNoire était délimitée par une ligne provisoire passant par des coordonnées

géographiques spécifiques 42. Il ressort manifestement de la teneur de cette lettre que l’Ukraine

considérait que seuls les secteurs situés au sud et à l’ouest de la ligne définie par ces coordonnées

pouvaient être en litige.

43
23. Comme cela est rappelé dans les écritures des Parties , la Roumanie a répondu à cette

lettre et rejeté cette ligne provisoire au motif qu’e lle n’était pas valable. Cependant, la Roumanie

n’a pas soutenu que, dans sa réponse, elle a dit que la ligne de l’Ukraine n’était pas valable en

raison d’une délimitation maritime antérieure en vi gueur dans le secteur. Au contraire, comme l’a

30 rappelé l’agent de l’Ukraine, selon la Rouman ie, il n’y avait aucun accord de délimitation du

plateau continental ou des zones économiques excl usives entre l’ex-Unionsoviétique et la

Roumanie.

4Ibid., p. 256, par. 7.37.
42
Ibid., annexe 26.
43Ibid., p. 217, par. 8.62 et RR, p. 260, par. 7.41. - 25 -

24. La ligne provisoire a aussi été communiquée aux Etats tiers. Par exemple, à la suite de

plusieurs incidents au cours desquels des pêcheurs bulgares furent interceptés alors qu’il pêchaient

illégalement dans la ZEE de l’Ukra ine, l’ambassade de Bulgarie à Kiev a contacté le ministère des

Affaires étrangères de l’Ukraine, et celle-ci a répondu le 19novembre2002, confirmant que, tant

qu’un accord n’aurait pas été conclu avec la Rouman ie, la limite de la ZEE de l’Ukraine dans la

partie sud-ouest de la mer Noire serait provisoirement constituée par la même ligne 44.

25. Le dossier montre que les négociations av ec la Roumanie se sont poursuivies par la

suite. Il montre aussi que la Roumanie n’a ni manifesté la volonté de patrouiller le secteur situé sur

le côté ukrainien de cette ligne, ni élevé la moindre objection contre le fait que la garde côtière

ukrainienne avait pris seule la responsabilité d’ intercepter les vaisseaux se livrant à des activités

illégales de pêche et, si possible, de les escorter hors de la zone économique exclusive l’Ukraine et,

le cas échéant, de prendre les autres mesures appropriées.

26. Dans ses écritures, l’Ukraine expose plusieurs incidents au cours desquels sa garde

côtière a intercepté des vaisseaux de pêche turcs et bulgares surpris à pêcher illégalement dans sa

ZEE, que revendique maintenant la Roumanie dans la présente procédure.Des preuves

documentaires de ces incidents, notamment des notes diplomatiques des gouvernements respectifs,

ont été déposées avec le contre-mémoire de l’Ukraine 45. De crainte qu’il y ait quelque doute que

ce soit concernant la présence ininterrompue et cons tante de la garde côtière ukrainienne dans ce

secteur, l’Ukraine a aussi déposé avec sa duplique d es déclarations de plusieurs membres de sa

46
garde côtière , qui confirment, sans l’ombre d’un doute, que c’est elle, et non la Roumanie, qui a

exercé ses droits souverains dans la zone économique exclusive, comme le prévoit l’article 73 de la

convention sur le droit de la mer.

27. La carte que l’on voit maintenant à l’écran , et sous l’onglet55, indique les lieux où se

sont produits plusieurs des incidents mettant en cause la garde côtière ukrainienne et les vaisseaux

de pêche turcs et bulgares. Le nombre d’incident s indiqués sur ce schéma illustre la vigilance dont

a fait preuve la garde côtière ukrainienne en matiè re d’interception des vaisseaux appartenant à des

44
CMU, annexe 103.
45
Ibid., annexes 104-110.
46DU, annexes 13-19. - 26 -

31 Etats tiers surpris à se livrer à des activités de pêche illégales dans ces eaux ⎯ activités qui, soit dit

en passant, représentent un manque à gagner considérable pour l’
Ukraine.

28. En revanche, la Roumanie n’a effectué aucune patrouille et aucun vaisseau de pêche

roumain n’a été détecté par l’Ukraine dans ce secteu r jusqu’au 28 avril 2006, lorsqu’un avion de la

police des frontières Ukrainienne a pris en chasse des vaisseaux de pêche roumain, ce qui a amené

la Roumanie à élever des protestations 4. Là encore, cette note de protestation, il faut le dire, ne

contient aucune allusion à une frontière préexistante convenue.

29. Cet intérêt soudain et récent de la part de la Roumanie pour ce secteur, qui ne s’est

manifesté qu’un bon moment après l’introduction de la présente instance, ne change rien au fait

que, avant 2006, l’attitude de la Roumanie était fort différente. Jusqu’à avril 2006, la garde côtière

ukrainienne n’avait jamais eu affaire avec des va isseaux roumains au cours de ses interceptions de

pêcheurs se livrant à des activités illégales et, jusqu’à cette date, l es autorités roumaines ne s’était

jamais opposées de quelque manière que ce fût aux opérations de surveillance de l’Ukraine dans les

secteurs maritimes que revendique maintenant la Roumanie.

30. L’attitude adoptée par la Roumanie en2006 est trop tardive pour influer sur les thèses

juridiques des Parties telles qu’elles furent formulées lorsque la présente instance fut introduite. La

Roumanie ne peut étayer sa position juridique par des actions nouvelles déviant de sa conduite

antérieure. On peut même dire que cette nouvelle conduite de la part de la Roumanie révèle qu’elle

s’est rendu compte, trop tard, que cet aspect de ses arguments est faible et elle a tenté, trop tard, d’y

remédier.

III. Pertinence de ces activités sur le plan juridique

31. Je passe maintenant à la pertinence de ces activités sur le plan juridique.

32. Les éléments de preuve versés au dossier au sujet des activités pétrolières et gazières

⎯et je tiens à vous rappeler qu’ils ont tous été produits par l’Ukraine ⎯ montrent que si

l’Ukraine, depuis l’octroi de la concession Delphin en1993, a accordé des droits sur des blocs

situés dans le secteur qui est en litige, tel n’est pas le cas de la Roumanie. Au contraire, celle-ci, en

ce qui concerne la pratique qu’elle a suivie en matière d’octroi de permis, semble avoir

47
RR, annexe RR37 ; DU, p. 127, par. 6.100 et annexe 12. - 27 -

scrupuleusement respecté la ligne extérieure que l’on voit maintenant à l’écran et qui se trouve

aussi sous l’onglet 54 48.

33. La Roumanie répond aux arguments de l’Uk raine en se fondant surtout sur une analyse

de la pertinence des activités pétrolières et gazi ères sur le plan juridique, au regard de la

32 jurisprudence de la Cour et des tribunaux arbitra ux, et sur le fait que les activités de l’Ukraine ont

fait l’objet de protestations de la part de la Roumanie 49. Celle-ci prétend aussi qu’elle s’est

abstenue d’effectuer des activités d’exploration et d’exploitation dans le secteur parce qu’elle s’est

50
bornée à n’accorder de permis que pour le secteur qui n’était pas en litige .

34. En ce qui concerne la première partie des arguments de la Roumanie, elle s’appuie sur la

jurisprudence, laquelle enseignerait que l’on ne pe ut prendre en compte les concessions pétrolières

en matière de maritime délimitation que si elles révèlent une conduite définie, qui a été menée un

51
certain temps et qui indique l’existen ce d’un accord tacite entre les parties . Cependant, en

l’espèce, comme je viens de l’expliquer, la pertin ence de la pratique suivie par les Parties en

matière de concessions pétrolières ⎯plus précisément, la limite extérieure des blocs de la

Roumanie ⎯ réside dans le fait qu’elle est loin de co nfirmer les prétentions de la Roumanie. Les

caractéristiques de ces pratiques sont aussi pertinentes lorsqu’on les prend en compte de concert

avec les activités et les responsabilités de la garde côtière ukrainienne
⎯lesquelles n’ont fait

l’objet d’aucune protestation de la part de la Roumanie jusqu’à l’introduction de la présente

instance.

35. La Roumanie cherche à minimiser la pertinence des activités de l’Ukraine 52 ; pour ce

faire, elle s’appuie notamment sur l’alinéa f) du paragraphe 4 de l’écha nge de lettres de 1997, dans

lequel les Parties ont convenu qu’elles «s’abstiendront d’ exploiter les ressources minérales de la

zone à délimiter, dont les coordonnées seront étab lies au début des négociations…». Cependant,

les coordonnées d’une telle zone de délimitation n’ont jamais été fixées comme le prévoyait

l’échange de lettres ; cette disposition exclut l’ex ploitation des ressources pétrolières et n’a aucune

48DU, fig. 6.2.

49CR 2008/21, p. 11-15, par. 4-12 et p. 26, par. 24.
50
CR 2008/21, p. 29-30, par. 32-35.
51RR, p. 248, par. 7.7 ; CR 2008/21, p. 16-19, par. 14-19.

52RR, p. 248-249, par. 7.8-7.9. - 28 -

incidence sur les activités d’exploration ; de toute manière, un certain nombre des permis que j’ai

évoqués plus tôt (comme le bloc ukrainien Delphin, et, selon la Roumanie, les blocs roumains) ont

été accordés avant1997, donc avant l’échange de lettres. La pertinence de l’échange de lettres

de 1997 est donc minime.

36. En ce qui concerne l’argument de la Roum anie selon lequel elle «s’est toujours opposée

53
aux activités de l’Ukraine relatives aux hydrocarbures» , ces affirmations sont exagérées puisque

la Roumanie n’a élevé d’objections qu’à deux repr ises seulement. Et en revanche, elle n’a élevé

33 aucune objection relativement à l’exercice ininterrompu par l’Ukraine de ses droits souverains dans

la zone qui est en litige par l’intermédiaire de la garde côtière de celle-ci jusqu’à 2006.

37. La Roumanie prétend elle aussi qu’elle n’a mené aucune activité d’exploration ou

d’exploitation dans le secteur en cause par resp ect de l’«accord amiable» mentionné dans sa note
54
verbale de 1995 .

38. Mais, Madame le président, si cette inactivité librement consentie correspond à la réalité,

elle semble être allée trop loin; en effet, non seulement les prétendues activités de la Roumanie

n’ont rien à voir avec sa présente thèse, mais elles n’ont pas respecté non plus la prétendue

«frontière à toute fin» qui existerait, aux dires de la Roumanie depuis1949. Il est exact que l’on

fait parfois preuve de prudence en matière de c oncessions pétrolières lorsque sont en cours des

négociations sur la délimitation du plateau con tinental et des zones économiques exclusives.

Cependant, si un secteur est déjà délimité, comme le prétend la Roumanie, est-il besoin de suivre

un «comportement prudent» 55?

39. Quant aux patrouilles, seule la garde côtière ukrainienne en a effectué. Seule l’Ukraine a

assumé la charge, dangereuse et coûteuse, de la surveillance des activités illégales de pêche dans le

secteur maritime en litige en l’espèce depuis1995. Ces activités confirment les droits et les

obligations de l’Ukraine à titre d’Etat côtier.

40. La Roumanie a soutenu, au cours du prem ier tour de plaidoiries, que la valeur probante

des affidavits des membres de la garde côtière ukrainienne déposés avec la réplique doit être

53RR, p. 252-255, par. 7.21-7.31.
54
CR 2008/21, p. 29, par. 34.
55CR 2008/21, p. 29-30, par. 35. - 29 -

appréciée au regard du fait qu’ils ont été préparés aux fins de la présente procédure, qu’ils sont

postérieurs aux faits qui y sont relatés et que les déclarants sont des fonctionnaires de l’Etat

ukrainien 56.

41. Cependant, la Roumanie n’a produit aucune preuve similaire réfutant ces déclarations.

Celles-ci sont pertinentes car elles constituen t des témoignages directs des personnes qui ont

concrètement participé aux patrouilles effectuées dans ce secteur, indiquant que les eaux en

question n’étaient exclusivement fréquentées que par des vaisseaux ukrainiens.

34 IV. Conclusion

42. L’Ukraine soutient, Madame le président, Messieurs de la Cour, que les activités

pétrolières et gazières et les interventi ons de la garde-côtière de l’Ukraine ⎯surtout vues de

concert ⎯ sont pertinentes, et ce , pour plusieurs raisons.

43. Premièrement, elles constituent un élément important de la conduite des Parties

subséquente à l’accord de 1949, qui réfute la thèse de la Roumanie quant à l’existence d’un accord

sur une frontière à toutes fins à l’époque.

44. Si la thèse de la Roumanie concernant la teneur de l’accord de1949 est correcte, son

inactivité en matière d’octroi de permis et de su rveillance des côtes dans les secteurs sur lesquels

elle aurait acquis il y a longtemps des droits souverains est alors inexplicable. Est aussi

inexplicable, si l’on doit retenir la thèse de la Roumanie, le fait que la correspondance diplomatique

de la Roumanie versée au dossier est complète ment muette quant à une ligne de délimitation

pré-convenue. Par exemple, la note de la Roumanie de1995 dit sans ambiguïté «qu’il n’existe

aucun accord entre l’Ukraine et la Roumanie portant sur la délimitation des espaces maritimes dans
57
la mer Noire» .

45. Deuxièmement, ces activités sont conformes à la ligne de démarcation de l’Ukraine et il

faut en tenir compte, avec les autres circonstances pertinentes ⎯notamment la géographie

physique ⎯ dans la recherche d’une solution équitabl e. Dans l’arrêt qu’elle a rendu dans les

affaires relatives au Plateau continental de la mer du Nord , la Cour a dit clairement qu’«il n’y a

56
CR 2008/21, p. 32-33, par. 43-44.
57
CMU, annexe 25. -300 -

pas de limites juridiques aux considérations que l es Etats peuvent examiner afin de s’assurer qu’ils

vont appliquer des procédés équitables…» (Plateau continental de la mer du Nord, arrêt,

C.I.J. Recueil 1969, p.50, par.93). Dans l’affaire Tunisie/Libye, la Cour a souligné l’importance

d’appliquer des principes équitables «comme partie intégrante du droit international, et peser les

diverses considérations qu’elle juge pertinent es, de manière à aboutir à un résultat équitable»

(Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J.Recueil1982 , p.59,

par. 71).

46. Troisièmement, la Roumanie a gardé le silence lorsque l’Ukraine a assumé la charge

d’assurer la surveillance du secteur maritime en litige aux fins de prévention des activités de pêche

illégales. La Roumanie n’a pas indiqué de ma nière convaincante pour quelle raison elle n’a pas

élevé d’objection contre la conduite de l’Ukraine, n’a pas fait intervenir sa propre garde côtière ou

35 n’a même pas proposé de patrouiller, en coopéra tion avec l’Ukraine, les eaux qu’elles prétend

maintenant être siennes. Comme l’indiquent les notes diplomatiques déposées avec les écritures de

l’Ukraine, les activités de celle-ci étaient connues des autres Etats de la mer Noire, notamment de

la Bulgarie et de la Turquie.

47. Comme je l’ai dit, il y a particulièrement lieu de noter que la conduite des Parties, et

notamment de la Roumanie, confirme qu’il n’y avait pas d’accord préexistant de délimitation d’une

frontière maritime dans le secteur en litige, comme l’allègue la Roumanie. Autrement dit, la

conduite des Parties constitue un élément additionnel de la présente affaire qui confirme que la

thèse de la Roumanie est le pur produit de son imagination.

Madame le président, Messieurs de la Cour, j’en suis arrivé à la fin de mon bref exposé. Le

moment est peut-être venu de prendre une pau se-café et, je vous propose de donner ensuite la

parole à M. Bundy. Je vous remercie.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Madame Malintoppi. L’audience est levée pour un court

moment.

L’audience est levée de 11 h 20 à 11 h 30. -311 -

Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. Oui, Monsieur Bundy.

M. BUNDY: Je vous remercie.

VIII.L E CARACTÈRE ERRONÉ DE LA LIGNE REVENDIQUÉE PAR LA R OUMANIE

Introduction

1. Madame le président, Messieurs de la Cour. Hier matin et tout à l’heure encore, M. Wood

a expliqué pourquoi l’allégation de la Roumanie selon laquelle il y aurait une frontière préexistante

au large du «pointF», au pointimaginaire X, est dépourvue de fondement, et MmeMalintoppi a

démontré, juste avant la pause, en quoi la revendi cation de la Roumanie était en contradiction avec

la conduite des Parties. La tâche qui m’incombe ce matin consiste à examiner le reste de la thèse

de la Roumanie.

2. Cette thèse porte sur deux segments, appelés secteur1 et secteur2 par la Roumanie. Le

premier secteur est ce que la Roumanie appelle la frontière latérale entre les côtes des Parties, côtes

qu’elle considère comme étant adjacentes. La ligne ainsi revendiquée part du «pointF» en

direction du large, contourne l’île des Serpents en formant un arc décrit par le rayon de 12 milles,

36
correspondant à la mer territoriale de l’île, et se prol onge ensuite à l’est de l’île et du point X. Le

second secteur revendiqué par la Roumanie a, qua nt à lui, une orientation approximativement

nord-sud, et celle-ci le présente comme une ligne d’équidistance entre ce qu’elle considère comme

étant les côtes des Parties se faisant face.

3. S’agissant du premier secteur de la ligne revendiquée par la Roumanie, celle-ci a affirmé

que le «caractère équitable» de sa revendication hist orique d’une frontière maritime autour de l’île

des Serpents était «confirmé par le fait que, même sans tenir compte des divers accords liant la

Roumanie et l’Ukraine, l’application des articles 74 et 83 de la CNUDM de 1982 abouti[ssai]t à un

résultat identique» (MR, par. 11.45).

4. En formulant cet argument, la Roumanie pr end ses désirs pour des réalités. Il va de soi

que le caractère équitable d’une frontière prét endument historique ne saurait être confirmé

lorsqu’une telle frontière n’existe pas, ainsi que M. Wood l’a démontré. - 32 -

5. En outre, comme je le démontrerai, l’ar gument de la Roumanie selon lequel l’application

des principes et règles du droit internationa l relatifs à la délimitation maritime produit,

mirable dictu, presque exactement la même ligne, repose sur une déformation des faits

géographiques et une application erronée du droit aux circonstances de la présente affaire.

6. Il en va de même pour le second secteu r de la ligne revendiquée par la Roumanie ⎯ ligne

des «côtes se faisant face». Cette ligne repose elle aussi sur une inobservation des circonstances

pertinentes caractérisant la zone à délimiter, notamment la disparité marquée existant entre les

longueurs des côtes pertinentes des Parties.

7. J’examinerai tour à tour les faiblesses qui caractérisent chacun des secteurs de la ligne

revendiqués par la Roumanie, en commençant par ce que cette dernière désigne comme la frontière

latérale au nord, puis en examinant sa version de la frontière des côtes «se faisant face» plus au sud.

1. Le premier secteur de la ligne revendiquée par la Roumanie

8. En ce qui concerne le premier secteur de la ligne revendiquée par la Roumanie, la

meilleure façon d’en exposer les faiblesses est d’utiliser les illustrations qu’elle a elle-même

présentées. Le premier graphique auquel je me réfèrerai a été communiqué en tant que figure 29 du

mémoire de la Roumanie : il est actuellement projeté à l’écran et figure sous l’onglet 56 du dossier

de plaidoiries.

[Merci de projeter à l’écran la figure 29 du mémoire de la Roumanie.]

37 9. L’illustration actuellement projetée à l’écran montre une série alambiquée de lignes et de

points portant des lettres de l’alphabet. Je fera i de mon mieux pour démêler cet écheveau et

démontrer en quoi chaque élément de la revendication de la Roumanie dans cette zone est erroné.

10. Pour commencer, à l’ouest, au large des côtes continentales des Parties, la seule portion

de cette frontière maritime qui a été délimitée par les Parties est la frontière d’Etat, y compris la

mer territoriale, de la frontière terrestre et des eaux intérieures jusqu’au pointF, dont les

coordonnées sont expressément mentionnées dans le traité de 2003.

A. La ligne d’équidistance provisoire de la Roumanie

11. La Cour notera également que la Roumanie a tracé une ligne droite, en pointillés, de sa

propre côte continentale en direction de l’est : ce tte ligne est surlignée à l’écran (onglet 56) [merci -333 -

de désigner la ligne avec la flèche sur la carte]. Elle passe environ à 3milles au sud de l’île des

Serpents, puis rejoint une série de points nommés Y1, Y, D et T. La Roumanie qualifie cette ligne

de «ligne d’équidistance entre les côtes adjacentes de la Roumanie et de l’Ukraine», et l’assimile à

sa version de la «ligne d’équidistance provisoire».

12. En tant que telle, cette ligne est sans rapport avec le tracé qui devrait être celui d’une

ligne d’équidistance provisoire correctement constru ite. La ligne d’équidistance de la Roumanie

donne plein effet à la digue de Sulina alors que, da ns le même temps, elle n’accorde aucun effet à

l’île des Serpents, laquelle, comme je l’ai démontré hier, a pourtant une ligne de base. Les points

de base servant à la construction d’une ligne d’éq uidistance seraient-ils, aux yeux de la Roumanie,

quelque chose de subjectif, comme la beauté ? Il ne s’agit pas d’«échanger» la digue de Sulina et

l’île des Serpents, comme M.Cr awford l’a suggéré la semaine dernière (CR2008/21, p.43,

par.23). Il s’agit de chercher à savoir s’il est équitable de donner plein effet à une structure

artificielle et de n’accorder aucun effet à une île naturelle aux fins de tracer la ligne provisoire

d’équidistance.

13. M. Crawford a affirmé que le fait que la digue soit artificielle «[était] dénué[] de

pertinence; l’utilisation de la digue comme point de base [étant] conforme à l’article11 de la

convention sur le droit de la mer», lequel a trait aux insta llations portuaires permanentes

(CR 20081, p. 45, par. 30). Quoi qu’il en soit, utili ser la ligne de base située sur l’île des Serpents

pour obtenir des points de base est également jus tifié en droit international, conformément à
38

l’article5 de la convention de1982, dispositi on qui se rapporte aux lignes de base normales des

côtes.

14. M. Crawford s’est également référé à la sentence Sharjah/Dubaï à l’appui de sa thèse

selon laquelle les ouvrages portuaires peuvent être utilisés comme points de base aux fins de

construire une ligne d’équidistance (CR 2008/ 21, p.45, par. 31). En cette affaire, Sharjah/Dubaï,

les faits étaient toutefois très différents de ceux de la présente espèce.

15. Dans l’affaire Sharjah/Dubaï, les deux parties possédaient des ouvrages portuaires,

lesquels ont été pris en compte par le tribunal arbitral. Les ouvrages portuaires de chacune des

parties mesuraient troiskilomètres ⎯ c’est-à-dire en largeur ⎯ alors que la digue de Sulina, que

j’ai montrée hier, ne fait que 150mètres de large. Les ouvrages portuaires de Dubaï se -344 -

prolongeaient sur 1,5mille ⎯ soit environ2,4km ⎯ vers le large, alors que ceux du Sharjah se

prolongeaient sur quelque0,5mille ⎯ soit un peu moins d’1kilomètre ⎯ vers le large (ILR,

vol. 91, p. 662). La digue de Sulina se prolonge, quant à elle, sur 7,5 km vers le large.

16. Des ouvrages portuaires existaient donc le long des côtes de Dubaï et du Sharjah, et leur

effet sur la ligne d’équidistance était insignifiant ⎯ cela ressort de la carte jointe à la sentence du

tribunal arbitral. Plus proches du continent, les ouvrages portuaires du Sharjah ont eu pour effet de

dévier très légèrement la ligne vers Dubaï. Plus au larg e, les ouvrages portuaires de Dubaï ont

entraîné une déviation similaire, minime, de la ligne en direction du Sharjah. Et comme le tribunal

arbitral l’a indiqué, «la déviation de la ligne par rapport à la «véritable» ou «stricte» ligne

d’équidistance en raison de l’effet donné aux ouvrag es portuaires des deux parties est légère, et la

ligne qui en résulte est à tous égards équitable entre les deux mers territoriales» (ibid, p. 663).

17. Par opposition, la Cour se souviendra du gra phique que j’ai présenté mardi, lequel figure

également sous l’onglet9 du dossier de plaidoiries et illustre l’effet considérable que l’utilisation

de la digue de Sulina exerce sur la ligne d’équidistance de la Roumanie, même sans tenir compte de

l’île des Serpents.

[Merci de projeter à l’écran la diapositive comparative.]

B. La ligne préconisée par la Roumanie au sud et à l’est de l’île des Serpents

18. Au sud de l’île des Serpents, la Roumanie ne préconise ni sa version ni aucune autre

version de l’équidistance. Au lieu de cela, la Roumanie affirme que :

«Eu égard au fait que l’île des Serpents est très proche des côtes adjacentes de la

Roumanie et de l’Ukraine, et à son statut de rocher relevant des dispositions du
39 paragraphe 3 de l’article 121 [de la conven tion], il convient de ne lui accorder aucune
importance aux fins de la délimitati on du plateau continental et des zones
économiques exclusives de la Roumanie et de l’Ukraine. En d’autres termes, le seul

effet de l’île des Serpents est de délim iter une semi-enclave de 12 milles.» (MR,
par. 11.49.)

19. Je reviendrai, à la fin de mon exposé de ce matin, sur l’argument de la Roumanie selon

lequel l’île des Serpents n’a droit qu’à une mer territoriale de 12 milles. Mme Malintoppi répondra

aussi à la thèse avancée par la Roumanie selon laque lle l’île des Serpents n’est rien de plus qu’un

rocher au sens du paragraphe 3 de l’article 121. Pour le moment, je ferai simplement observer que, - 35 -

pour la Roumanie, c’est comme si l’île des Serpents existait isolément en étant coupée du contexte

géographique général qui caractérise cette partie de la mer Noire.

20. A l’est de l’île des Serpents, la ligne préconisée par la Roumanie devient encore plus

imprécise.

21. La Cour constatera sur la carte projet ée à l’écran que la ligne d’équidistance provisoire

de la Roumanie coupe les 12milles de la mer territoriale de l’île des Serpents en un point que la

Roumanie nomme «Y1» [flèche à l’écran désignant ce point]. Ce point n’a, comme je l’ai déjà

indiqué, rien à voir avec une véritable ligne d’équidistance. Il est obtenu en attribuant plein effet à

la digue de Sulina et aucun effet à l’île des Serpents.

22. C’est à partir de là que la Roumanie se heurte à un autre problème embarrassant.

L’argument principal de la Roumanie repose sur l’existence d’une délimitation historique qui

s’étend autour de l’île des Serpents jusqu’au «point X» ⎯ argument auquel Sir Michael a répondu.

Dans son mémoire, la Roumanie a dû reconnaître que le «point X» était en fait un «point dont les

coordonnées géographiques n’étaient pas précisé es [dans les procès-verbaux de 1949]» (MR,

par. 11.51). La Roumanie admet aussi que «[l] es coordonnées géographiques de ce point n’étaient

pas non plus précisées dans les accords frontaliers ultérieurs conclus par la Roumanie et l’Union

soviétique» (MR, par.11.52). Cela n’empêche cependant pas la Roumanie d’affirmer que la

frontière maritime doit passer par le «point X», même si M. Crawford a déclaré l’autre jour : «qu[e

le point X] soit ou non situé précisément là où nous le proposons, il doit se trouver dans les

parages» (CR 2008/21, p. 40, par. 13).

23. Un coup d’Œil sur la carte de la Roumanie projetée à l’écran permet de constater que le

«point Y1» ⎯ celui auquel on abouti sur la base de la ligne d’équidistance de la Roumanie — ne

coïncide pas avec le «point X» : il se trouve au sud de celui-ci. A lui seul, cet écart va à l’encontre

de la thèse de la Roumanie selon laquelle sa ligne d’équidistance provisoire «confirme» d’une

certaine manière le tracé de la ligne frontière historique alléguée.

40 24. La Roumanie est donc confrontée au problème de savoir comment surmonter ce fait

gênant — en d’autres termes, comme relier son «point X» à sa version de la ligne d’équidistance.

En tentant de résoudre ce problème, la Roumanie s’est engagée dans une série de stratagèmes

toujours plus tendancieux les uns que les autres. Avec la permission de la Cour, j’examinerai le -366 -

procédé plutôt alambiqué adopté par la Roumanie pour aboutir à cette ligne, afin de montrer

pourquoi la méthode est, dans son ensemble, fondamentalement erronée.

25. Dans ses écritures, la Roumanie s’est référée à des passages de l’arrêt rendu par la Cour

dans l’affaire Cameroun c. Nigéria pour justifier sa méthode et M. Crawford a fait une observation

similaire vendredi dernier (CR2008/21, p.40, par. 12). Pour mieux comprendre la thèse avancée

par la Roumanie, veuillez vous reporter à la carte pertinente extraite de l’arrêt de la Cour.

[Croquis no 12, C.I.J. Recueil 2002, arrêt Cameroun c. Nigéria, p. 449.]

26. La Roumanie fait valoir que, dans Cameroun c. Nigéria, la Cour avait dû relier la

délimitation établie par un accord historique rela tif à la frontière (la déclaration de Maroua

de 1975) — qui aboutissait au point G sur la carte — au point de départ de la ligne d’équidistance

partant vers le large qui avait été déterminé par la Cour, c’est-à-dire le point X. C’est ce qu’a fait la

Cour en reliant les points G et X par une ligne part ant plein ouest le long d’un azimut de 270°. La

Roumanie affirme ensuite que la Cour devrait fair e plus ou moins la même chose en la présente

espèce en reliant le «point X» de la Roumanie à sa version de ligne d’équidistance. La Roumanie

soutient que «dans des conditions normales», cela pourrait prendre la forme d’une perpendiculaire

entre le «point X» et le pointY1, mais c’est là que, curieusement, la Roumanie ne suit pas cette

méthode.

27. Je reviendrai sur la ligne de la Roum anie dans un moment, mais il est important

d’indiquer pourquoi le problème qui se posait à la Cour dans Cameroun c. Nigéria n’est pas du tout

comparable au problème qui se pose en la présente espèce.

28. Contrairement à la présente espèce, le point G dont il était question dans Cameroun

c. Nigéria était un point qui avait été déterminé et expressément reconnu par les parties dans un

instrument de délimitation internationale qui avait, selon la Cour, force exécutoire. L’accord en

question — la déclaration de Maroua de 1975 — disp osait que «les deux chefs d’Etat du Nigéria et

du Cameroun se sont mis d’accord pour prolonger le tracé de la frontière maritime entre les deux

o
pays du point 12 au point G, sur la carte marine n 3433 annexée à la présente déclaration».

41 29. L’accord de Maroua de 1975 disposait donc qu’il avait pour objet la délimitation de la

frontière maritime jusqu’au point G dont il définissait et indiquait expressément les coordonnées. -377 -

Celles-ci ont également été expressément détermin ées et indiquées dans le dispositif de l’arrêt

rendu par la Cour en l’affaire (C.I.J. Recueil 2002, p. 456, par. 325 IV B)).

30. Ainsi que sir Michael l’a démontré, rien de tel n’existe en la présente espèce en ce qui

concerne le «point X» préconisé par la Roumanie. Il n’y a aucun accord de délimitation au-delà du

pointF, ni entre la Roumanie et l’Union sovié tique, ni entre la Roumanie et l’Ukraine. Le

«point X» n’est mentionné nulle part dans aucun instrument et, comme la Roumanie l’a elle-même

reconnu, ses coordonnées ne sont précisées nulle pa rt. Il n’y a simplement pas de frontière

préexistante jusqu’au «point X» et aucun «point X». Il s’ensuit que la méthode adoptée par la Cour

dans l’affaire Cameroun c. Nigéria pour relier les pointsG et X n’entre pas en ligne de compte

dans la présente espèce.

31. Ce qui est également frappant, c’est que, après avoir présenté Cameroun c.Nigéria

comme le précédent pertinent, la Roumanie écarte ensuite la méthode suivie par la Cour dans cette

affaire au profit d’une autre ligne qu’elle fait apparaître comme par enchantement. En effet, si nous

revenons sur la manière dont la Roumanie illustre sa thèse [projeter à nouveau la figure29 du

mémoire de la Roumanie à l’écran], la Cour cons tatera que la ligne revendiquée par la Roumanie

ne part pas du sud du «point X» vers le pointY1 ; au lieu de cela, elle s’étend dans la direction

est-sud-est jusqu’à un autre point établi de manière artificielle nommé «point Y» [indiquer le point

Y sur la carte].

32. En d’autres termes, après avoir d’abord mal tracé la ligne d’équidistance provisoire qui

attribue un plein effet à la digue de Sulina et aucun à l’île des Serpents, la Roumanie revendique

davantage que cette ligne d’équidistance —une re vendication qui inclut la zone triangulaire qui

apparaît à présent en rouge sur la carte projetée à l’écran [flèche indiquant la zone hachurée].

33. La manière dont la Roumanie justifie cette méthode et son choix d’arriver au point Y est

on ne peut plus fantaisiste. Pour reprendre les termes de la Roumanie :

[Projeter la citation à l’écran.]

«Cette solution entraînerait l’attribution à la Roumanie d’un espace maritime
d’environ 68 km , ce qui équivaut approximativemen t à la surface que celle-ci a

perdue en raison de l’écart injustifié pa r rapport à l’équidistance opéré lors de la
délimitation des mers territoriales de la Roumanie et de l’URSS, un facteur qu’il faut
garder à l’esprit pour apprécier l’équité générale de la solution adoptée.» (MR,
par. 11.72.) -388 -

42 34. En d’autres termes, la Roumanie reve ndique une tranche supplémentaire de plateau

continental et de zone économique exclusive à l’est de l’île des Serpents à titre de dédommagement

pour les zones qu’elle estime avoir «perdues» lors de la délimitation de sa mer territoriale avec

l’ex-Union soviétique en1949. La zone dite «p erdue» apparaît à présent en bleu à l’écran, ainsi

que sur le graphique qui trouve sous l’onglet 57 [flè che]. La Roumanie présente cette zone sur sa

propre carte comme la «zone maritime perdue par la Roumanie en conséquence de l’établissement

de la frontière de1949». Et la Roumanie estime apparemment qu’elle peut à présent prétendre à

une forme de dédommagement pour les accords qu’elle a signés dans le passé. C’est ce que l’agent

de la Roumanie a clairement indiqué la semaine dernière dans son exposé liminaire, lorsqu’il s’est

penché très longuement sur les prétendues «injustices » que la Roumanie dit avoir subies de la part

de l’Union soviétique (CR 2008/18, p. 22-25, par. 23-31).

35. Hormis le fait que la Roumanie n’a «perdu» aucune zone maritime en1949, l’accord

de 1949 était déterminé par un traité valide signé par deux Etats. La Roumanie n’a invoqué aucune

des causes de nullité énoncées dans la partie V de la convention de Vienne sur le droit des traités.

Et le traité de 1949 a été réaffirmé à de nombreuses occasions ⎯ le plus récemment en 2003. La

manière dont elle justifie actuellement sa demande n’est vraiment rien de plus qu’une tentative

maladroitement dissimulée de défendre une sorte de «justice distributive» d’inspiration politique.

L’Ukraine l’a souligné dans s on contre-mémoire (par.4.15-4.19). Et, comme l’Ukraine l’a

également fait observer dans l’affaire Tunisie/Libye, la Cour a fermement rejeté la thèse selon

laquelle une délimitation maritime devrait reposer sur la justice distributive. Comme l’a indiqué la

Cour au sujet de sa tâche — et je cite un extrait du paragraphe 71 de l’arrêt :

[Projeter la citation à l’écran.]

«[E]lle [la Cour] doit appliquer les principes équitables comme partie intégrante
du droit international et peser soigneusement les diverses considérations qu’elle juge

pertinentes, de manière à aboutir à un résultat équitable. Certes, il n’existe pas de
règles rigides quant au poids exact à attr ibuer à chaque élément de l’espèce; on est
cependant fort loin de l’exercice d’un pouvoi r discrétionnaire ou de la conciliation. Il
ne s’agit pas non plus d’un recours à la justice distributive.» ( C.I.J. Recueil 1982,

p. 60, par. 71.)

36. En réponse à la conclusion du contre-mémoire de l’Ukraine, la Roumanie a présenté

encore une autre idée pour justifier sa ligne. Après avoir admis que le «point X» n’avait jamais été - 39 -

défini dans aucun accord entre les Parties, la Roumanie a avancé dans sa réplique un argument

inédit que M. Crawford a également fait valoir vendred i dernier. Dans le droit fil de cet argument,

43
la Roumanie soutient que «le point X représente l’intersection de l’arc de[s] 12milles marins

entourant l’île des Serpents et d’une ligne tr acée à partir du dernier point de la frontière

terrestre-fluviale entre la Roumanie et l’Union so viétique sur un relèvement perpendiculaire au

segment fermant la baie de Musura» (RR, par. 4.97). Cette nouvelle idée est illustrée dans la

réplique de la Roumanie, à la figureRR21 — à présent projetée à l’écran [fig.RR21 à l’écran].

M.Crawford a affirmé que le point où cette nouvelle ligne traverse l’arc des 12milles autour de

l’île des Serpents correspond au «point X» (CR 2008/21, p. 39, par. 10).

37. Madame le président, Messieurs de la C our, une fois encore, nos contradicteurs non

seulement réécrivent l’histoire mais remodèlent aussi la géographie.

38. Du point de vue historique, rien ne prouve que l’Union soviétique ou la Roumanie aient

accordé la moindre attention, ou se soient jamais référées, à la ligne perpendiculaire de la

Roumanie lorsqu’elles ont défini leur frontière ét atique en 1949, ou que l’Ukraine et la Roumanie

songeaient à une perpendiculaire de ce type lorsqu ’elles ont signé les accords de 1997 et 2003. La

théorie de la perpendiculaire avancée par la Ro umanie n’est rien de plus qu’une tentative ex post

facto de justifier quelque chose qui autrement serait complètement infondé —l’emplacement du

«point X». Je me répète, mais le «point X» ne repose sur aucun moyen de fait ou de droit, et n’était

certainement pas le résultat matériel du tracé d’une ligne perpendiculaire, que ce soit en1949 ou

ultérieurement.

39. Du point de vue géographi que, la version de la directi on générale de la côte que

préconise la Roumanie et à partir de laquelle elle a tracé sa ligne perpendiculaire rouge révèle sa

myopie. La ligne rouge que vous voyez sur la ca rte ne peut même pas aspirer à représenter la

direction générale des côtes des Parties dans cette zone. Elle coupe une partie de la côte de

l’Ukraine, prend en compte l’extrémité de la digue de Sulina faisant face au large comme si elle

seule représentait la direction géné rale de la côte, et ne saurait aspirer à refléter la direction

générale des côtes des deux Parties.

40. Si des lignes perpendiculaires à la direction générale de la côte de vaient avoir la moindre

pertinence en la présente espèce, ces lignes devraient être tracées de manière à représenter -400 -

fidèlement l’orientation géographi que véritable des côtes des Parties. Une ligne bien pensée,

représentant la direction générale des côtes des Parties dans cette zone aurait pour tracé celui qui

figure à présent sur la carte et que cous pouvez au ssi voir sous l’onglet 58 [superposer un nouveau

«front côtier» sur la figure RR21 de la Roumanie]. Même s’il est fait pour l’instant abstraction de

la présence de l’île des Serpen ts, passerait au sud de l’arc d es 12milles que la Roumanie trace
44

autour de l’île des Serpents et n’approcherait nullement l’un des autres points indiqué par la

Roumanie, qu’il s’agisse des points nommés «X», «Y», «Y1», «D» ou «T».

[Projeter à nouveau la figure MR 29 à l’écran.]

41. Il est tout à fait patent que les points «X»et «Y» sont tous deux sortis de l’imagination

de la Roumanie et que celle-ci ne justifie nu llement l’emplacement du pointY, se contentant

d’affirmer qu’il se trouve «environ au milieu» de sa ligne d’équidistance située entre les points Y1

et T.

42. Voilà qui me ramène à la version roum aine de l’équidistance, étant donné que les

pointsY, D, et T qui se trouvent sur sa ligne sont tous présentés comme étant situés sur la ligne

d’équidistance provisoire.

[Projeter la figure MR 28 à l’écran.]

43. La carte qui apparaît à présent à l’écran est la figure 28 du mémoire de la Roumanie.

Elle est intitulée «La ligne d’équidistance entre les côtes adjacentes pertinentes de la Roumanie et

de l’Ukraine» et elle indique les points de base qui commandent le tracé de la ligne d’équidistance

de la Roumanie — elle figure aussi sous l’onglet 59.

44. Ainsi que le constatera la Cour, tout le tracé de cette ligne est commandé par un point de

base unique situé sur la digue de Sulina. La distance entre la frontière terrestre séparant les

deux Parties et la digue de Sulina est très courte — elle ne représente pas plus de 5 milles marins.

Pourtant, ce segment de côte très limité —en fait, juste un point de celui-ci, qui n’est pas même

situé sur la côte, mais plutôt à l’extr émité d’un ouvrage construit par l’homme ⎯ commande

l’ensemble du tracé de la ligne préconisée par la Roumanie dans le premier secteur qui donne sur le

large. Dans son exposé de mardi dernier, M. Crawford a présenté une carte (onglet IV-3) sur

laquelle cette ligne était intitulée « ligne d’équidistance entre les côtes continentales». Il aur
ait, à

mon avis, été plus pertinent de l’appeler la «li gne d’équidistance partant de la digue de Sulina», -411 -

étant donné que l’unique point de base permettant à la Roumanie de tracer la ligne se trouve à

l’extrémité de la digue.

45. Plusieurs points importants ressortent de cette analyse de la géographie côtière.

⎯ Premièrement, la longueur de la côte ukrainienne pertinente da ns cette zone — celle que la

Roumanie pose comme pertinente pour sa frontiè re latérale — est sensiblement plus longue

que ne l’est la côte roumaine correspondante, mê me si l’on considère que celle-ci s’étend de la

frontière terrestre avec l’Ukraine jusqu’à la péninsule de Sacalin.

45 ⎯ Deuxièmement, une ligne tracée perpendiculairemen t à la direction générale de la côte des

Parties se projette en direction du sud-est comme on peut le voir sur l’illustration à l’écran, et

non en direction de l’est comme la Roumanie voudrait le faire croire à la Cour [ajouter une

ligne perpendiculaire à la façade côtière].

⎯ Troisièmement, les versions roumaines de l’équidistance produisent un effet d’amputation

marqué de la projection du front côtier ukrainien au nord de la frontière terrestre. Si la

méthode de la Roumanie accorde au segment tr ès court — très court — de côte roumaine

autour de la digue de Sulina une projection plein est, la projection de la côte beaucoup plus

longue de l’Ukraine est amputée malgré sa longueur plus importante.

⎯ Quatrièmement, l’effet d’amputation produit par la ligne de la Roumanie est encore plus

marqué si l’île des Serpents est incluse dans l’équation, comme elle devrait l’être. La

Roumanie ne tient manifestement pas compte de l’île des Serpents dans le tracé de sa ligne

d’équidistance. Mais l’île des Serpents fait pa rtie de la géographie côtière de l’Ukraine et

devrait certainement se voir accorder plus de poids qu’un ouvrage construit par l’homme

présentant les caractéristiques de la digue de Sulina.

46. Tous ces éléments entament la légitimité de la première partie de la ligne préconisée par

la Roumanie. Pourtant, il y a encore un autre point important ; et la ligne présente une importante

anomalie qui mérite l’attention. En effet, non seulement la ligne de la Roumanie empiète sur

l’extension ou la projection de la côte de l’Ukraine faisant face au sud-est — la côte juste au-dessus

de la frontière terrestre —, mais elle produit aussi un effet d’amputation de la projection de la côte

ukrainienne qui fait face au sud après Odessa. -422 -

47. Il s’agit là du long segment côtier que la Roumanie tente péniblement de supprimer

depuis le début de la présente instance. Ainsi que l’a montré l’Ukraine, sa côte faisant face au sud

génère des droits maritimes dans toute la zone pertinente qui ne sont pas moins valables que les

droits générés par les autres côtes des Parties. J’ai déjà fait observer que les droits sur les

200 milles marins que ce segment côtier ukrainien faisant face au sud faisait naître s’étendent bien

au sud de la ligne préconisée par la Roumanie reliant les points X, Y, D et T. Cela dit, cette portion

de la ligne préconisée par la Roumanie, qui relie ces points, est parallèle à la côte ukrainienne

faisant face au sud, la coupant ainsi de front de son prolongement naturel, pour reprendre les termes

employés par M. Lowe.

48. Il est, là aussi, révélateur que la Rouman ie n’ait pas pris cette partie de la côte

ukrainienne en compte. D’une part, la Roumanie part du principe que sa très courte côte faisant

face à l’est, ainsi que la digue de Sulina, ont droit à une projection maritime s’étendant plein est et

46 à l’est de l’île des Serpents. D’autre part, la Roumanie refuse de procéder de la même manière

avec la côte ukrainienne faisant face à l’est qui est beaucoup plus longue, et avec sa côte faisant

face au sud et à l’île des Serpents.

49. Toute application impartiale de la rè gle des principes équitables doit respecter la

géographie de la zone à délimiter et doit acco rder, sur une base équitable, l’importance qui

convient aux côtes des Parties. La ligne préconisée par la Roumanie ne le fait pas. Non seulement

elle ne tient pas compte du long segment cô tier ukrainien qui se trouve entre Odessa et le

capTarkhankut, mais elle ne reflète pas non plus la différence considérable entre les longueurs

totales des côtes des Parties qui jouxtent la zone à délimiter. Si, au départ, la Roumanie a mal

calculé la ligne d’équidistance provisoire, le fait qu’elle n’ait ensuite pas tenu compte des

différences marquées dans les longueurs des côtes per tinentes des Parties et de la configuration de

ces côtes aggrave le caractère inéquitable de la ligne qu’elle préconise.

2. Le second secteur de la ligne revendiquée par la Roumanie

50. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant au second secteur de

la ligne revendiquée par la Roumanie — ayant examiné la portion latérale, je passe au second volet

de la délimitation, que la Roumanie qualifie de délimitation entre «côtes se faisant face». Il s’agit -433 -

là, je me répète, de la ligne qui s’étend au s ud du pointT de la Roumanie et qui serait située à

équidistance entre les côtes des Parties situées face-à-face. Comme pour le premier secteur de la

Roumanie, cette partie de la ligne qu’elle propose souffre également de nombreuses failles.

[Projeter à l’écran la figure MR 30]

51. La carte à l’écran est, une fois encore, tirée du mémoire de la Roumanie et montre

comment celle-ci a conçu la partie initiale du second secteur de sa ligne au sud du pointT.

L’intérêt de cette figure tient selon moi au fait que si, sur la côte ukrainienne, les points de base

commandant cette partie de la ligne roumaine s ont désormais situés de l’autre côté de la mer

Noire—au niveau du cap Tarkhankut, en Crim ée—, du côté roumain, en revanche, la ligne

demeure déterminée par un seul pointde base qui est situé à l’extrémité en mer de la digue de

Sulina. En outre, la Roumanie continue de faire abstraction de la présence de l’île des Serpents aux

fins de l’équidistance.

52. C’est seulement plus au sud—comme l’indique la carte à l’écran [projection à l’écran

de la figure MR32], également produite sous l’ onglet60—que la digue de Sulina cesse de

47 constituer le pointde base pertinent de la Roum anie, et qu’elle est re mplacée par un deuxième

point de base situé sur la péninsule de Sacalin, après laquelle la côte roumaine s’enfonce nettement

vers l’ouest. La partie de la ligne revendiquée par la Roumanie qui est déterminée par cet unique

point de base — la digue de Sulina — est signalée en rouge sur la carte versée à votre dossier. Au

sud de la péninsule de Sacalin, la côte roumaine n’offre aucun pointde base pour la ligne de

délimitation de la Roumanie. En fait, l’essentiel de cette partie de la côte roumaine donne en

réalité sur le sud et sur le sud-est. Pourtant, cela n’empêche pas la Roumanie de considérer ce

tronçon entier de son littoral comme une côte pertinente.

53. Côté ukrainien, la Roumanie situe les points de base pertinents au niveau des caps

Tarkhankut et Khersones. M.Lowe a naturelle ment raison de dire que les points de base ne

génèrent pas de zones maritimes, contrairement au littoral (CR2008/21, p.56, par.19). Et, a-t-il

ajouté, «chaque segment de la ligne de côte pertinente doit pouvoir générer ses propres zones

maritimes» (CR 2008/21, p. 62, par. 52).

54. Le problème est que, en adoptant une vision si étroite de la géographie, la Roumanie

empêche justement de longs segments de la côte ukr ainienne de générer de telles zones. Ainsi que -444 -

je l’ai relevé hier, tout comme la côte des Etats-Unis située à l’arrière du golfe du Maine a été jugée

pertinente par la chambre pour aboutir à une délimitation équitable dans l’ensemble du golfe et

assez avant dans l’océan Atlantique, la côte ukr ainienne devrait de même être prise ici en

considération dans son intégralité pour le tracé général de la ligne de délimitation.

55. Lorsqu’elle en vient au secteur de sa ligne relatif aux côtes «se faisant face», la

Roumanie compte une seconde fois comme une côte pertinente la portion de son littoral qui va de

sa frontière terrestre avec l’Ukraine à la péninsule de Sacalin. Elle a déjà utilisé cette portion pour

sa côte adjacente, ce qui ne l’empêche pas d’ en tenir compte une nouvelle fois pour sa côte

opposée. Toutefois, elle ajoute alors à ce bout de côte le reste de son littoral descendant jusqu’à sa

frontière terrestre avec la Bulgarie. L’Ukraine, en revanche, est réduite à sa côte faisant face à

l’ouest le long de la Crimée, entre le cap Tarkhank ut et le cap Khersones, et n’est là encore pas

autorisée à tenir compte de sa propre côte donnant sur le sud—dont certaines parties sont tout

aussi proches de la ligne revendi quée par la Roumanie que la côte roumaine située au sud de la

péninsule de Sacalin, comme je l’ai montré avec une projection lors de mon exposé liminaire de

mardi.

56. Pour l’Ukraine, tourner ainsi à son propre avantage les réalités géographiques qui nous

occupent dans la présente affaire est incompatible avec une délimitation fondée sur l’application de

48 principes équitables. Pour procéder comme il convien t, tant afin d’établir la ligne d’équidistance

provisoire que de déterminer s’il existe d’éventuelles circonstances pertinentes justifiant d’infléchir

cette ligne, il faut «comparer ce qui est comparable».

57. Si la Roumanie veut utiliser la digue de Sulina aux fins de l’équidistance, elle doit alors

être au moins prête à accorder à l’île des Serpents un traitement similaire, sinon plus favorable. Si

elle veut considérer sa côte entière, de l’Ukrain e jusqu’à la Bulgarie, co mme une côte pertinente

pour la délimitation car, d’après elle, celle-ci jouxte de manière générale la z one à délimiter, alors

elle doit aussi être prête à accepter que toute la côte de l’Ukraine donnant sur la même zone

générale soit également traitée en tant que côte pertinente. En revanche , si la Roumanie veut

exclure l’ensemble de la côte ukrainienne donnant sur le sud au motif que celle-ci serait trop

éloignée ou orientée dans la mauvaise direction, alors elle doit également être prête à exclure sa

propre côte située au sud de la péninsule de Saca lin. Cette côte est elle aussi orientée dans une -455 -

direction différente et j’ai montré qu’elle était également éloignée de la ligne revendiquée. Enfin,

si la Roumanie veut se servir de son petit bout de côte situé entre la fr ontière terrestre avec

l’Ukraine et la péninsule de Sacalin à deux reprises — une fois pour établir sa frontière latérale et

une seconde fois pour sa frontière opposée—, alors elle doit être prête à reconnaître qu’il existe

une différence fondamentale dans la longueur globa le des côtes des Parties, ce qui justifie un

infléchissement de la ligne d’équidistance provisoire.

58. Lorsqu’une approche équilibrée est adoptée, et même en laissant pour le moment de côté

la conduite des Parties que Mme Malintoppi a relatée plus tôt, il en ressort deux éléments essentiels

qui, d’après l’Ukraine, constituent des circonsta nces auxquelles il faudra accorder le poids voulu

dans la recherche d’une solution équitable.

59. La première circonstance est la nette diffé rence de longueur qui existe entre les côtes

pertinentes des Parties donnant sur la zone à déli miter. Il s’agit là d’un fait géographique qui

subsiste même s’il est fait abstraction de l’île des Serpents. Pourtant, aucun des secteurs de la ligne

revendiquée par la Roumanie ne rend compte de cette circonstance importante.

60. La seconde circonstance tient à la présence de l’île des Serpents. Bien que l’affaire ne

porte pas sur l’île des Serpents prise isolément, contrairement à ce que la Roumanie paraît croire,

cette île constitue un fait indissociable de la géogra phie côtière de l’Ukraine. Et il semble évident

49 qu’une formation naturelle telle que l’île des Se rpents ne saurait se voir attribuer moins d’effet

qu’une structure artificielle comme la digue de Sulina ou qu’une langue de sable telle que la

péninsule de Sacalin.

3. Le titre juridique des îles

61. Madame le président, Messieurs de la Cour, cela m’amène à la dernière partie de mon

exposé dans laquelle j’examinerai l’argument de la Roumanie selon lequel l’île des Serpents étant

une petite île, elle ne peut avoir droit qu’à un e mer territoriale de 12milles marins, sans plateau

continental ni zone économique exclusive.

62. A l’appui de cet argument, la Roumanie s’est référée, tant dans ses écritures que dans ses

exposés oraux de la semaine dernière, à une série de précédents judiciaires et d’exemples de

pratique étatique dans lesquels les petites îles se sont vues accorder un effet limité à des fins de - 46 -

délimitation maritime. Dans certains cas, de petites îles se sont vues attribuer ce qu’on appelle

communément un «demi-effet». Tel a été le cas, par exemple, des Sorlingues dans l’arbitrage

franco-britannique, des Kerkennah, même si le demi -effet était d’un autre ordre, dans l’affaire

Tunisie/Libye, et de l’île Seal, autre version encore du demi-effet dans l’affaire du Golfe du Maine.

63. Dans d’autres exemples cités par la Roum anie, tels que les îles anglo-normandes dans

l’arbitrage franco-britannique, et l’île d’Abu Musa dans l’arbitrage Sharjah/Dubaï, les îles ont

bénéficié d’enclaves partielles.

64. Dans d’autres cas encore, tels que Libye/Malte, s’agissant du rocher Filfla situé au large

de la côte méridionale de Malte, ou d’une très petite barre sablonneuse nommée Qit’at Jaradah qui

était en jeu dans l’affaire Qatar c.Bahreïn , de très petites formations n’ont eu aucun effet sur la

ligne de délimitation.

65. L’Ukraine a bien entendu parfaitement connaissance de ces précédents. Elle a également

connaissance des exemples de pratique étatique cités dans les écritures de la Roumanie, qui

montrent que le principe d’équidistance n’a parfo is pas été pleinement appliqué dans le cas de

petites îles. Dans son contre-mémoire, l’Ukraine a examiné tous les exemples cités dans les

écritures de la Roumanie. Et, de surcroît, elle a présenté d’autres exemples de pratique étatique:

dans nombre d’entre eux, il a été attribué plein effet ou quasiment plein effet à de petites îles. Je

prierais respectueusement la Cour de se référe r aux pages 48 à 64 du contre -mémoire de l’Ukraine

où ces exemples sont examinés en détail.

50 66. Le point important, toutefois ⎯et c’est un point qui est visiblement méconnu dans les

écritures de la Roumanie ⎯ est que chaque situation de délim itation est unique et que chaque

affaire doit être appréciée à la lumière des faits et des circonstances géographiques qui lui sont

propres. Pour rappeler ce que la Cour a dit dans l’affaire Tunisie/Libye : «à coup sûr il est

virtuellement impossible, dans une délimitation, d’aboutir à une solution équitable en

méconnaissant les circonstan ces propres à la région» ( Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya

arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 60, par. 72).

[Carte de la partie nord-ouest de la mer noire.]

67. Autant que la Roumanie souhaite que la C our pense le contraire, la présente instance ne

concerne pas essentiellement l’île des Serpents. Elle porte sur la délimitation à effectuer dans toute - 47 -

la partie nord-ouest de la mer Noire. Ici, comme vous le verrez sur n’importe quelle carte de la

région, le facteur véritablement prééminent est la position géographique prédominante de la côte

continentale ukrainienne. Quelle que soit la manière dont on mesure ces côtes, en tenant compte de

leurs sinuosités, de leurs façades côtières, en utili sant le système des lignes de base droites institué

par les deux Parties, la côte ukrainienne est nettement plus longue que celle de la Roumanie.

68. L’île des Serpents est à l’évidence située dans la zone entourée par ces côtes. Mais elle

n’est qu’un élément parmi d’autres de la relation côtière d’ensemble des Parties.

69. En ce qui concerne le tracé de la ligne d’équidistance provisoire, M.Pellet a admis

qu’une telle ligne devrait être une ligne «dont tous les points sont équidistants des points les plus

proches des lignes de base à partir desquels est me surée la largeur de la mer territoriale de chacun

des deux Etats» (CR2008/20, p.15, par.12). Cette formule est extraite mot pour mot de

l’article 15 de la convention sur le droit de la mer et c’est celle que la Cour a citée dans les affaires

Qatar c. Bahreïn et Cameroun c. Nigéria.

70. Madame le président, Messieurs de la Cour, les Parties ne sont pas d’accord sur un grand

nombre de sujets dans la présente affair e. Mais elles le sont sur un point ⎯et sur un point très

important. Si l’on admet que l’île des Serpents a une ligne de base ⎯comme j’espère l’avoir

démontré hier ⎯ alors selon la formule acceptée par les deux Parties, cette ligne de base doit

générer les points de base pertinents pour la construction de la ligne d’équidistance provisoire.

71. Cela étant, il n’est pas utile de répéter les exemples où, par le passé, de petites îles ont été
51

utilisées pour le tracé d’une ligne d’équidistance provisoire, comme cela a été le cas, par exemple,

des Sorlingues dans l’arbitrage franco-britannique, ou bien ceux dans lesquels elles ne l’ont pas été,

comme dans certains exemples cités par M.Pellet la semaine dernière. Les Parties conviennent

que la ligne d’équidistance provisoire devrait être tracée à partir des points les plus proches situés

sur les lignes de base à partir desquelles se mesurent leurs mers territoriales respectives.

72. Par conséquent, la question importante consiste à apprécier l’ensemble des circonstances

pertinentes caractérisant la zone à délimiter aux fi ns d’établir si celles-ci justifient un déplacement

de la ligne d’équidistance provisoire. Ces circ onstances ne tiennent pas compte exclusivement de

l’île des Serpents mais, ce qui est plus important, de la relation d’ensemble des côtes continentales

des Parties. - 48 -

73. Jeudi dernier, M.Pellet a examiné un certain nombre d’affaires dans lesquelles des îles

se sont vues accorder un effet limité à des fins de délimitation. Toutefois, l’essentiel, dirais-je, est

que ⎯peut-être à l’exception de l’affaire du Golfe du Maine ⎯ aucun des exemples cités par

M.Pellet ne concernait une situation géographique d’ensemble un tant soit peu comparable à la

présente affaire.

74. La première affaire citée par mon éminent collègue est l’arbitrage franco-britannique

(CR 2008/20, p. 24, par. 36). Mais la situati on géographique des îles anglo-normandes dans le cas

considéré ne ressemble aucunement à celle de l’île des Serpents en l’espèce. Les îles

anglo-normandes se trouvaient «du mauvais côté», pour ainsi dire, d’une ligne médiane située entre

des côtes opposées approximativement de même longueur . Ici, l’île des Serpents ne se trouve pas

«du mauvais côté» d’une ligne médiane, et la côte continentale de l’Ukraine ⎯ contrairement à la

situation dans l’arbitrage franco-britannique ⎯ est quelque quatre fois plus longue que la côte

continentale de la Roumanie.

75. Dans l’affaire Tunisie/Libye, dans laquelle les îles Kerkennah se sont vues accorder une

sorte de «demi-effet», la situation géographique n’entraînait pas non plus une circonscription de la

zone pertinente par les côtes des parties dont la longueur était sensiblement différente. Dans

celle-ci, la Cour n’a pas eu besoin d’ajuster la ligne ⎯en fait, l’équidistance n’a joué aucun rôle

dans le tracé de la ligne. Cette affaire, qui figure dans le dossier de plaidoiries de notre adversaire,

est citée à titre d’exemple d’îles qui n’ont pas été prises en compte dans le tracé de la ligne

d’équidistance provisoire. Il n’y avait pas de ligne d’équidistance provisoire dans Libye/Tunisie.

La Cour n’a jamais examiné ce point. De plus, dans cette affaire, la Cour n’avait pas besoin

52 d’ajuster la ligne pour tenir compte d’une disparité entre les longueurs des côtes des Parties. La

situation est très différente en la présente espèce.

76. M. Pellet note que, dans l’arrêt Libye/Malte, il n’a été donné aucun effet à Filfla

(CR2008/20, p.25, par.36). Cela est évidemme nt correct. Mais Filfla était sans conteste un

rocher, et lorsque la Cour en a fait abstraction lo rsqu’elle a effectué la délimitation, cela a eu un

effet négligeable sur la ligne médiane ajust ée. Le fait important dans cette affaire ⎯ et qui

justifiait d’emblée l’ajustement de la ligne médiane ⎯ était la différence marquée entre les

longueurs des côtes pertinentes générales des partie s. Tel est le cas en l’occurrence, il y a une -499 -

différence marquée entre les longueurs des côtes pe rtinentes des Parties. Les mêmes facteurs

étaient en jeu dans l’affaire Jan Mayen, où, là encore, la ligne médi ane fut ajustée en faveur de

l’Etat dont la côte était plus longue, et dans l’arbitrage Barbad/Trinidad et Tobago, où l’ajustement

fut fait pour la même raison.

77. Dans l’affaire Sharjah/Dubai, citée par M.Pellet (CR2008/20, p.25, par.36) il

s’agissait essentiellement d’une délimitation entre Etats ayant des côtes adjacentes, sans aucune

échancrure. Aucune partie dans cette affaire n’avait de côte entourant le secteur de délimitation

sur trois côtés. Là encore, la situation n’est pas comparable aux données géographiques de la

présente espèce.

78. Dans l’affaire Eritrée/Yemen, il s’agissait de côtes de longueur à peu près équivalente qui

n’appelait pas d’ajustement de ce qui était sinon une ligne d’équidistance entre les masses

continentales des Parties donnant plein effet aux îl es situées près du continent. Il ne s’agissait pas

d’une affaire où la côte d’un Etat entourait trois côtés du secteur en cause et était nettement plus

longue que celle de l’autre partie. Et dans l’affaire Nicaragua c. Honduras, il s’agissait aussi d’une

configuration géographique très différente de celle qui est en cause en la présente espèce ; j’espère

que cela fut visuellement clair lorsque j’ai projeté hier la «no-man’s zone» sur la carte.

79. Mon collègue a ensuite cité l’affaire Qatar c. Bahreïn, où il n’a pas été tenu compte de la

très petite île ⎯ et qui n’était en fait qu’un banc de sable ⎯ de Qit’at Jaradah aux fins

d’équidistance (CR 2008/20, p. 25, par. 36). Là en core, la configuration géographique en jeu dans

cette affaire n’a rien à voir avec la présente affair e, où la côte d’une partie entoure trois côtés du

secteur à délimiter.

80. Il y a un autre point concernant l’affaire Qatar c. Bahreïn que je voudrais souligner : la

ligne de délimitation passait en fait entre Qit’at Jaradah et un haut-fond découvrant appelé

53 Fasht ad Dibal. La Cour a alors noté que la laisse de basse mer d’un haut-fond découvrant situé à

l’intérieur de la mer territoriale de la masse continentale de l’Etat peut être utilisé comme ligne de

base servant à mesurer la largeur de la mer territoriale. Fasht ad Dibal répondait à cette exigence et

avait donc une ligne de base, en dépit du fait qu’il s’agissait d’un haut-fond découvrant. Comme je

l’ai dit, la ligne de délimitati on qu’a prononcée la Cour dans cette affaire passait en fait entre - 50 -

Qit’at Jaradah d’une part, et Fasht ad Dibal d’autre part. Là encore, en l’espèce, les faits sont fort

différents.

81. M. Pellet a ensuite cité l’affaire Golfe du Maine, dans laquelle la Chambre a conclu qu’il

fallait accorder à l’île Seal une sorte de «demi- effet» (CR2008/20, p.32, par.53). Cependant,

l’effet réduit qui a été donné à l’île Seal dans ce tte affaire n’avait pour objectif que la tracé de la

ligne de fermeture au travers du golfe, et le déplacement du point où la ligne de délimitation

coupait cette ligne de fermeture : on passait d’un rapport de 1,38 à 1 en faveur des Etats-Unis à un

rapport de 1,32 à 1 (I.C.J. Reports 1984, p.337, par.222). Comme l’a noté la Chambre, l’effet

pratique de ce léger déplacement fut, pour reprendre ses propres termes, «limité» (ibid.).

82. Le point le plus impor tant à retenir de l’affaire Golfe du Maine, comme je l’ai souligné

hier, est que la Chambre a pris en compte l’intégralité des côtes le long du golfe du Maine, et même

des parties importantes de la baie de Fundy, à titr e de côtes pertinentes, et pris en compte une

différence entre les longueurs côtières de 1,38 à 1 ⎯ très inférieure à celle que nous avons en

l’espèce, 4 à 1 ⎯ cette différence justifiait l’important ajustement de la ligne d’équidistance.

4. Conclusions

83. Madame le président, Messieurs de la Cour, demain, M. Quéneudec fera des

observations sur la pertinence de ce genre de facteurs et le poids à leur donner lorsqu’il s’exprimera

sur la ligne de délimitation préconisée par l’Ukraine demain.

84. Pour ma part, ce matin, j’espère que j’ai bien exposé la manière dont les deux «secteurs»

de la ligne revendiquée par la Roumanie sont fondés sur des constructions artificielles et une

approche sélective des réalités géographiques. Le «point X» est un point fictif, et la tentative de la

Roumanie de la justifier à poste riori par des motifs géométriques est déplacée. Le reste de la

mixture de la Roumanie n’a rien de convaincant non plus. La ligne d’équidistance de la Romanie

54 est incorrectement tracée ; en outre, elle ne tient p as compte de la nette différence qui existe entre

les longueurs des côtes pertinentes des Parties, à la fo is en ce qui concerne la partie latérale de la

frontière et la frontière prise dans son ensemble ; l’approche de la Rouman ie, donc, est contraire à

la jurisprudence. - 51 -

85. Je remercie infiniment la Cour de son a ttention, et je vous sau rais gré, madame le

président, de bien vouloir redonner la parole à Mme Malintoppi. Merci.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur Bundy. Je donne maintenant la parole à

Mme Malintoppi.

Mme MALINTOPPI : Je vous remercie, Madame le président.

IX. L ES CIRCONSTANCES NON -PERTINENTES DE LA R OUMANIE :LA MER N OIRE COMME MER

FERMÉE OU SEMI -FERMÉE ,LES ACCORDS DE DÉLIMITATION QUI S ’Y RAPPORTENT
ET L’IMPORTANCE DE L ’ÎLE DES SERPENTS

A. Introduction

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, dans ses écritures et dans ses plaidoiries, la

Roumanie met l’accent sur certains aspects de la délimitation maritime avec l’Ukraine qui

58
constitueraient les seules circonstances «spéciales» qui doivent être prises en compte en l’espèce .

2. Dans son mémoire, la Roumanie a soutenu que le caractère fermé de la mer Noire et les

accords de délimitation maritime conclus relativement à celle-ci jusqu’à présent sont les seuls

59
éléments qui constituent des circonstances «pertinentes» ou «spéciales» .

3. Dans sa réplique, et lors de son premier de plaidoiries la semaine dernière, la Roumanie a

ajouté l’île des Serpents à sa liste de circonstances pertinentes, et soutenu qu’il ne doit être reconnu

à celle-ci une bande de mer territoriale de 12 milles au maximum 6.

4. A ce sujet, je m’exprimerai d’abord sur les arguments de la Roumanie relatifs à la nature

fermée ou semi-fermée de la mer Noire; deuxièmement, la pertinence des autres accords de

délimitation conclus par les Etats de la mer Noire en la présente espèce; troisièmement,

l’importance de l’île des Serpents, notamment du fait qu’il ne s’agit pas d’un «rocher» au sens de la

définition du paragraphe 3) de l’article 121 de la convention sur le droit de la mer.

58
MR, p. 108-129 et RR, p. 188-245.
59
MR, p. 128-129, par. 8.126 (h).
60RR, p. 188-189, par. 6.1-6.5; CR 2008/20, p. 38-39, par. 66 et p. 39-40, par. 3-4. -522 -

B. Les arguments de la Roumanie relatifs au caractère fermé ou semi-fermé
de la mer Noire
55

5. S’agissant du premier point, la Roumanie insiste beaucoup pour qualifier la mer Noire de

mer fermée ou semi-fermée ainsi que sur l’importance des accords de délimitation maritime

conclus antérieurement entre certains Etats riverains de la mer Noire en ce qu’ils détermineraient la

méthode applicable aux fins de la délimitation en la présente espèce: équidistance non ajustée, à

l’exception de l’arc des 12 milles autour de l’île des Serpents.

6. Les arguments de la Roumanie ne sont étayés ni en droit ni par le contexte factuel.

7. Sur le plan juridique, il n’existe aucun régime spécial régissant les délimitations effectuées

dans une mer fermée ou semi-fermée, qui procéderait simplement de leur caractère «fermé» ou

«semi-fermé». La partie IX de la convention sur le droit de la me r, qui traite des mers fermées ou

semi-fermées, ne prévoit pas de méthode de délimitation particuliè re devant être appliquée à de

telles zones. L’article122 ⎯qui a été reproduit pour votre commodité dans le dossier de

plaidoiries sous l’onglet 61 ⎯ contient la définition suivante :

«Aux fins de la Convention, on entend par «mer fermée ou semi-fermée» un
golfe, un bassin ou une mer entouré par plusieurs Etats et relié à une autre mer ou à
l’océan par un passage étroit, ou constitué, entièrement ou principalement par les mers
territoriales et zones économiques exclusives de plusieurs Etats.»

8. Outre cette définition généra le, l’article 123 de la convention ⎯ la seule autre disposition

contenue dans la partie IX ⎯ invite les Etats riverains d’une mer fermée ou semi-fermée à coopérer

entre eux pour la gestion et la conservation des ressources biologiques et du milieu marin. Mis à

part ces dispositions, il n’existe, aux termes de la co nvention sur le droit de la mer, aucune règle

particulière régissant les mers fermées ou semi-fermées et aucune règle spécifique s’appliquant aux

délimitations maritimes effectuées dans de telles zon es. Dès lors, les délimitations effectuées dans

des mers fermées ou semi-fermées, pour ce qui c oncerne le plateau continental et les zones

économiques exclusives, restent régies par les articles74 et 83 de la Convention ⎯ lesquels,

comme nous le savons, ne prévoient aucune exception pour les mers fermées ou semi-fermées.

9. La Roumanie se fonde sur les affaires Tunisie/Libye et Libye/Malte en ce qu’elles

étaieraient son affirmation selon laquelle les mers fermées doivent être considérées comme des

61
«circonstances spéciales» en matière de délimitation maritime . Ces affaires n’étayent cependant

56 61
MR, p. 70, par. 6.26-6.28 ; RR, p. 204, par. 6.48. - 53 -

en rien la thèse de la Roumanie, puisque le caractère semi-fermé de la mer Méditerranée ⎯ tout

comme, d’ailleurs, les délimitations maritimes préexistantes dans cette zone ⎯ n’a joué aucun rôle

dans la méthode de délimitation retenue par la Cour dans chacune d’entre elles.

10. En l’affaire Tunisie/Libye, la Cour a souligné que, en matière de délimitation maritime, il

importait de partir de la situ ation géographique telle qu’elle se présente,et notamment «de

l’étendue et des caractéristiques de la région à considérer aux fins de la délimitation» ( Plateau

continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 82, par. 114). Il n’a

aucunement été indiqué dans l’arrêt que le caractèr e semi-fermé de la Méd iterranée, ni, d’ailleurs,

l’existence d’autres accords de délimitation da ns cette mer constituaient des circonstances

pertinentes déterminant la méthode de délimitation devant être employée entre la Tunisie et la

Libye aux fins de parvenir à un résultat équitable.

11. En réalité, la décision de la Cour éta it fondée sur un ensemble de considérations

géographiques et historiques propres à cette affaire, y compris le comportement des parties

elles-mêmes. S’il a pu être fait mention dans l’arrêt des intérêts de certains Etats tiers, c’était à une

toute autre fin, à savoir pour limiter la zone sur la quelle la délimitation avait une incidence, compte

tenu des prétentions existantes ou éventuelles desdits Etats ( ibid, p. 91-34, par. 130, 131, 133 B.5)

et C.3)).

12. S’agissant de Libye/Malte, la Roumanie affirme que, dans cette affaire, le caractère

semi-fermé de la mer Méditerranée était «un fact eur à prendre en compte pour obtenir un résultat

équitable, et a influé sur l’ampleur de l’ajustement de la frontière vers le nord» 62. Cela est faux : la

Roumanie interprète mal cet aspect de l’arrêt de la Cour et ce, à deux égards.

13. Premièrement, la décision de la Cour ne portait pas principalement sur le caractère

semi-fermé de la Méditerranée en tant que tel, ni sur l’exis tence d’une méthode de délimitation qui

aurait été adoptée par d’autres Etats dans le cadre de leurs accords bilatéraux, mais sur le fait que

Malte avait une côte de faible éte ndue faisant face à la côte bien plus longue de la Libye. Il

s’agissait là d’une circonstance pertinente impor tante qui a beaucoup pesé sur la décision de la

Cour consistant à ajuster la ligne médiane vers le nord en direction de l’Etat ayant la côte la moins

62
RR, p. 204, par. 6.48. - 54 -

longue, ce que la Roumanie omet de mentionner. Il s’agit là également d’un aspect essentiel de la

présente délimitation qui devrait, de la même manière, jouer un rôle primordial aux fins de parvenir

à un résultat équitable.

57

C. Le rôle des accords de délimitation existants en mer Noire aux fins de la
présente délimitation

14. J’en viens maintenant à l’examen du rôle des accords de délimitation existants en mer

Noire aux fins de la présente délimitation.

15. M. Pellet a déclaré la semaine dernière que les arguments de la Roumanie relatifs au

caractère semi-fermé de la mer Noire et aux acco rds de délimitation conclus à ce jour dans cette

zone étaient indissociablement liés. Son argument consistait à dire que c’est précisément en raison

du caractère semi-fermé de la mer Noire que les accords de délimitation entre d’autres Etats

riverains de cette mer sont importants et doivent être pris en compte 63. Dans ses écritures, et par la

voix de son coagent, lors de sa première inte rvention, la Roumanie a, en réalité, poussé ce

raisonnement bien plus loin.

16. Dans sa réplique, la Roumanie a affirmé que le caractère fermé de la mer Noire

constituait un facteur si déterminant qu ’une nouvelle délimitation maritime ⎯ telle que la

présente ⎯ ne saurait s’écarter des méthodes déjà u tilisées dans des accords de délimitations

existants 6. Autrement dit, la Roumanie considér ait que les accords de délimitation maritime

existants en mer Noire entraient non seulement dans la catégorie des circonstances pertinentes mais

imposaient également une méthode particulière à la Cour. La Roumanie a également soutenu que,

dans la mesure où les accords de délimitation exis tants en mer Noire étaient «fondés sur l’idée que

la ligne d’équidistance entraîne un résultat équitable» en dépit des disparités dans la longueur des

côtes, «un déplacement important … par rapport à la ligne d’équidistance» risquerait d’aboutir à

des résultats inéquitables en la présente espèce 6.

17. Mardi dernier, le coagent de la Rouman ie est allé jusqu’à dire: «there must be

consistency among the delimitation methods used— the use in new delimitations of methods

63CR 2008/20, p. 30, par. 47.
64
RR, p. 201-201, par. 6.37.
65RR, p. 205, par. 6.50. -555 -

greatly at variance with those already used is very likely to lead to inequitable results incompatible

with existing delimitations» 66.

18. Autrement dit, la Roumanie insiste sur le fait que ⎯ afin d’aboutir à un résultat équitable

en la présente affaire ⎯ la Cour doit appliquer la méthode utili sée dans le cadre des deux

délimitations maritimes déjà effectuées en mer Noire, lesquelles sont promues au rang de «true

delimitation practice» 6. Il a également été indiqué que cette «pratique» était susceptible d’être

58 étendue à un troisième accord, puisque M.Crawfo rd a annoncé la semaine dernière qu’il était

probable que les négociations actuellement en cours entre la Roumanie et la Bulgarie aboutissent à

68
un accord fondé sur une méthode similaire . Cet accord n’est cependant pas encore conclu, nous

ne sommes pas au fait de ce qui est négocié, et seul l’ avenir nous dira si un accord est bel et bien

signé, et sur quelle base.

19. L’Ukraine conteste les allégations de la Roumanie d’un point de vue juridique. Etant

69
donné que nous avons déjà examiné ces arguments de manière détaillée dans nos écritures , je me

contenterai de formuler quelques observations.

20. D’une manière générale, des accords bilaté raux ne sauraient être conclus au détriment

des droits de tierces parties et, en tant que tels, les accords de délimitation maritime existant en

mer Noire ne sauraient avoir une incidence sur le présent différend. Il serait de surcroît inapproprié

d’utiliser les méthodes employées par des Etats tiers dans le cadre de leurs accords de délimitation

maritime en tant que précédents automatiquement applicables à la présente délimitation, car nous

ne disposons d’aucune informa tion quant aux facteurs qui ont conduit au résultat final desdites

délimitations et que nous n’avons pas connaissa nce de toutes les considérations politiques,

économiques et autres ⎯ ou du quid pro quos ⎯ qui ont présidé à ces délimitations particulières.

21. Toute délimitation doit partir des faits particuliers caractérisant l’espèce, notamment les

côtes bordant la zone pertinente. Chaque accord de délimitation a ses particularités, et une

technique donnée de délimitation peut être justif iée dans un cas particulier afin de prendre en

66CR 2008/18, p. 58, par. 33.
67
CR 2008/18, p. 55, par. 19.
68
CR 2008/18, p. 60, par. 2.
69CMU, p. 43-64, par. 4.33-4.68 ; RR, p. 98-106, par. 6.4-6.33. -566 -

compte différentes considérations, lesquelles peuve nt être dictées par le contexte géographique,

politique ou autre. Dès lors, il est erroné d’attr ibuer aux délimitations maritimes antérieurement

conclues entre des Etats tiers en mer Noire un quelconque statut privilégié aux fins de la présente

délimitation.

22. Les accords de délimitation existant en mer Noire sont actuellement projetés à l’écran. Il

s’agit d’une carte qui a été produite par M.Bundy dans le cadre de sa pr ésentation générale de

l’affaire. Elle figure également sous l’onglet 5. Les côtes des Etats tiers bordant la mer Noire sont

dépourvues de pertinence aux fins de la délimitation entre l’Ukraine et la Roumanie et n’ont,

partant, aucune incidence sur la méthode ⎯ ou les méthodes ⎯ de délimitation appropriée entre

l’Ukraine et la Roumanie. La présence d’Etats tiers n’est pertinente que dans la mesure où la Cour

59 pourrait avoir à faire preuve de prudence en détermin ant le point terminal précis de la ligne de

délimitation afin d’éviter de causer un éventuel préjudice aux Etats situés à la périphérie de la zone

de délimitation. Hormis cela, les délimitations ma ritimes existant en mer Noire n’ont aucun rôle à

jouer en la présente affaire.

23. La conclusion selon laquelle les accords de délimitation ne sauraient, en eux-mêmes,

créer des règles générales de dro it international rendant une méthode particulière obligatoire est

étayée par la jurisprudence mettant en cause des Et ats bordant des mers fermées ou semi-fermées.

Dès 1969, dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, la Cour a énoncé des critères

stricts pour que la pratique étatique établie da ns le cadre d’accords de délimitation puisse acquérir

une pertinence juridique. La Cour a indiqué ce qui suit :

«Non seulement les actes considérés doivent représenter une pratique constante,

mais en outre ils doivent témoigner, par leur nature ou la manière dont ils sont
accomplis, de la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l’exercice
d’une règle de droit. La nécessité de pa reilles convictions, c’est-à-dire l’existence
d’un élément subjectif, est imp licite dans la notion même d’ opinio juris sive

necessitatis. Les Etats intéressés doivent avoir le sentiment de se conformer à ce qui
équivaut à une obligation juridique. Ni la fréquence ni même le caractère habituel des
actes ne suffisent.» ( Plateau continental de la mer du Nord, arrêt,
C.I.J. Recueil 1969, p. 44, par. 77.)

24. La Roumanie n’en tient aucun compte de cette considération, c’est-à-dire de ce que le

recours à une méthode particulière de délimitati on a pu être motivé par des facteurs qui ne sont - 57 -

connus que des parties contractantes concernées et peuvent être totalement dépourvus de pertinence

aux fins de la présente délimitation.

25. En l’affaire Libye/Malte, les parties ont abondamment déba ttu de la pertinence de la

pratique étatique en matière de délimitation mar itime, notamment en ce qui concerne le statut de

l’équidistance en droit international à l’époque. Si la Cour a reconnu que la pratique étatique

pouvait être importante en ce qu’elle était une indi cation «des critères normaux de l’équité», elle a

néanmoins rejeté la thèse selon laquelle la pratique étatique générale pouvait rendre obligatoire une

quelconque méthode. Ainsi que la Cour l’a fait ob server: «quelle que soit l’interprétation qu’on

puisse en donner, cette pratique ne suffit pas à prouver l’existence d’une règle prescrivant le

recours à l’équidistance ou à toute autre méthode tenue pour obligatoire» ( Plateau continental

(Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 38, par. 44).

26. La Cour a au contraire insisté sur le fait qu’«il ne saurait être question de refaire

complètement la géographie ni de rectifier les inégalités de la nature…la méthode retenue et les

résultats qu’elle produit devant respecter la situation géographique réelle» (ibid., p. 45, par. 57).

Madame le président, j’en suis arrivée à un point où je pourrais, avec votre permission,

m’arrêter pour aujourd’hui et reprendre demain la suite de mon exposé.

60 Le PRESIDENT: Madame Malintoppi, vous savez mieux que personne ce qui nous attend

demain et, si tel est votre sentiment, la séance est maintenant levée et reprendra demain matin pour

la suite du premier tour de plaidoiries de l’Ukraine.

La séance est maintenant levée.

L’audience est levée à 12 h 50.

___________-588 -

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