MASI
CR 2007/28 (traduction)
CR 2007/28 (translation)
Lundi 19 novembre 2007 à 10 heures
Monday 19 November 2007 at 10 a.m. - 2 -
12 Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. L’audience est
ouverte et je donne la parole à M. Jayakumar. Vous avez la parole.
M. JAYAKUMAR :
1. Monsieur le président et Messieurs de la Cour, c’est pour moi un honneur d’entamer le
second tour de plaidoiries de Singapour.
Diversions de la Malaisie
2. Lors de notre premier tour de plaidoiri es, nous avons axé nos exposés uniquement sur les
questions de droit et de fait opposant les Par ties. Nous nous sommes soigneusement gardés de
soulever des questions extrinsèques qui pouvaient compromettre l’intégrité de la procédure
engagée devant la Cour. Etant donné les bonnes relations existant entre les deux pays, nous en
attendions autant de la part de la Malaisie.
3. Nous sommes donc surpris et déçus que, dans le cadre de ses plaidoiries, la Malaisie ait
formulé contre Singapour une série d’allégations et d’insinuations qui, sauf contredit, seraient de
nature à mettre en doute ou à entamer l’intégrité de Singapour, ou pourraient instiller dans l’esprit
des membres de la Cour l’idée qu’une décision fa vorable à Singapour risquerait d’avoir de graves
conséquences pour les relations dans la région.
4. Dès lors, il ne serait pas juste que Singa pour débute son second tour de plaidoiries sans
répondre à ces observations dénuées de pertinence et préjudiciables. En effet, la Malaisie a
notamment :
⎯ insinué que Singapour pouvait avoir caché une lettre à la Cour ;
⎯ allégué que Singapour bouleve rsait l’ordre juridique existant, et que la stabilité dans la région
serait ébranlée si la souveraineté sur Pedra Branca était attribuée à Singapour ;
⎯ prêté à Singapour de sombres desseins ;
⎯ accusé Singapour d’avoir envoyé tardivement s es forces navales à Pedra Branca et usé de
méthodes agressives pour asseoir sa prétention ; et
⎯ généreusement «offert» de continuer à respecter le «droit» de Singapour d’exploiter le phare
s’il était statué en faveur de la Malaisie. - 3 -
13 5. Ce matin, je suis donc contraint de souligne r combien les allégations de la Malaisie sont
dénuées de fondement et tendancieuses et je dois faire une mise au point. Mes confrères, qui
s’exprimeront après moi, examineront en détail les autres questions soulevées par la Malaisie.
L’insinuation de la Malaisie relative à la dissimulation d’une lettre
6. Permettez-moi de commencer par l’insinuation la plus choquante. Au cours des audiences
de la semaine dernière, sir Elihu Lauterpacht a insinué que Singapour aurait pu «délibérément
dissimuler» les lettres de 1844 dans lesquelles Butterworth présenta sa requête au sultan et au
temenggong de Johor.
7. Pour reprendre les termes de sir Elihu Lauterpacht :
«Comme de nombreux autres documents en la présente affaire, ces lettres
étaient certainement, à l’origine, conser vées dans les archives de Singapour. La
Malaisie a demandé que cette dernière les produise, sans obtenir de réponse. Dès lors,
il nous faut envisager deux hypothèses qui pe uvent être déduites de la correspondance
disponible, considérée dans son ensemble, et je me garderai bien d’en évoquer une
1
troisième, à savoir que Singapour ait pu délibérément dissimuler ces lettres.»
8. Cette «non-déclaration» savamment conçue a été formulée en public, ce après que les
deux Parties eurent déclaré dans leurs écritures ne pas pouvoir trouver les lettres et que Singapour
2
l’eut répété lors de son premier tour de plaidoiries .
9. L’agent de la Malaisie a également affi rmé que, en 1994, la Malaisie avait demandé à
3
Singapour de lui fournir copie de la lettre mais que celle-ci n’avait pas répondu à sa demande .
10. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, Singapour ne détient pas de copie des
lettres de Butterworth. Elle les a cherchées au f il des ans, dans différentes archives, mais ses
efforts sont restés vains. En fait, j’ai moi-même pris part à la recherche à l’époque où j’étais doyen
de la faculté de droit et professeur.
11. Il est de notoriété publique que les archives de Singapour sont incomplètes. Dans son
récit historique intitulé The Straits Settlements , dont la Malaisie a elle aussi tiré des extraits la
semaine dernière pour les verser à ses propres do ssiers de plaidoiries, Mary Turnbull indique très
clairement que, dans une série de dossiers des archives de Singapour , de nombreux volumes
1 CR 2007/24, p. 42, par. 35 (Lauterpacht).
2
CMS, p. 88, par. 5.41 ; CR 2007/21, p. 28, par. 54 (Pellet).
3 CR 2007/24, p. 14-15, par. 18 (Kadir). - 4 -
4
manquent ou sont dans un piètre état . Les extraits pertinents peuvent être consultés sous l’onglet 1
14 de votre dossier de plaidoiries. Quoi qu’il en so it, la Malaisie n’ignore certainement pas que des
copies sur microfilm des archives de Singapour sont disponibles dans plusieurs institutions hors de
Singapour. Par exemple, la copie sur microfilm de la série des «lettres adressées aux chefs
indigènes par le gouverneur» entre 1817 et 1872 a ét é acquise par l’Université Monash en 1961.
Les lettres de Butterworth manquent également dans cette copie sur microfilm.
12. En fait, Singapour a déjà expliqué dans ses écritures pourquoi ses archives étaient
5
incomplètes . C’est ce qui la conduisit en 1953 à demander au gouvernement du Johor s’il
disposait éventuellement de documents concernant Pedra Branca.
13. Ensuite, il est faux de prétendre que Singapour n’a pas répondu à la demande de la
Malaisie. Après le deuxième tour de consultations bilatérales entr e Singapour et la Malaisie, qui
eut lieu en janvier 1994, la Malaisie adressa à Singapour une note diplomatique en mai 1994 dans
laquelle elle lui demanda copie de divers documents. Singapour répondit oralement à cette requête
en juin 1994, par l’intermédiaire de son haut Commissariat à Kuala Lumpur, en demandant si la
Malaisie entendait poursuivre par voie de correspondance les travaux réalisés dans le cadre des
consultations bilatérales, et proposa que les Parties organisent plutôt un troisième tour de
consultations bilatérales à cet effet. Finalement, il ne fut pas donné suite à l’idée d’un troisième
tour de consultations, les deux gouvernements ay ant décidé, en septembre 1994, de vous soumettre
6
leur différend .
14 Enfin, examinons les faits. Pourquoi la Ma laisie dit-elle que les documents en question
7
«étaient certainement, à l’origine, conservé[s] dans les archives de Singapour» . Pourquoi ? C’est
au sultan Ali et au temenggong de Johor que cette lettre était destinée. Ne serait-il pas plus logique
que la version originale des lettres se trouve au Johor, non à Si ngapour ? Or, la Malaisie a indiqué
ne pas disposer des lettres elle non plus, ce que Singapour a pour sa part accepté de bonne foi.
4 C. M. Turnbull, The Straits Settlements 1826-67 ⎯ Indian Presidency to Crown Colony (1972), p. 392-393.
5
CMS, p. 194, par. 7.25.
6 MS, p. 26, par. 4.9 ; MS, annexe 192.
7 CR 2007/24, p. 42, par. 35 (Lauterpacht). - 5 -
15 L’allégation de la Malaisie selon laque lle Singapour chercherait à bouleverser les
arrangements établis de longue date
15. J’en viens maintenant à l’allégation de la Malaisie selon laquelle Singapour «cherche …
à bouleverser les arrangements établis de longue date dans les détroits» 8et à «renverser les accords
9
qui ont été conclus voilà plus de cent cinquante ans entre le Johor et la Grande-Bretagne» .
16. Là encore, avec ces allégations, la Malaisie cherche à se faire passer pour la victime et à
faire croire à la Cour que Singapour lui aurait causé que lque tort dans l’histoire. En fait, c’est la
Malaisie qui tente de bouleverser le statu quo en revendiquant soudainement le titre sur
PedraBranca après cent trente ans d’inaction, face à la souveraineté que Singapour a exercée sur
l’île.
17. C’est ce qui ressort très clairement du télégramme du 20décembre1979 10par lequel la
Malaisie informa toutes ses missions à l’étranger que sa carte de 1979 toucherait :
⎯ la Thaïlande,
⎯ le Vietnam,
⎯ Singapour,
⎯ l’Indonésie,
⎯ le Brunéi,
⎯ les Philippines, et
⎯ la Chine.
Une carte, sept pays touchés.
18. Ainsi que la Malaisie l’avait pressenti, sa carte a effectivement suscité des protestations
11
de la part de l’ensemble de ces sept pays . Il est alors permis de s’interroger: Qui cherche à
bouleverser l’ordre juridique existant ?
19. L’agent de la Malaisie a aussi déclaré que, si la Cour statuait en faveur de Singapour, la
12
stabilité de la relation de la Malaisie avec l’Indonésie serait ébranlée . Il s’agit-là d’une nouvelle
8
Ibid., CR 2007/24, p. 16, par. 31 (Kadir).
9
Ibid., CR 2007/24, p. 13, par. 8 (Kadir).
10Dossier de plaidoiries de la Malaisie, onglet 17.
11R. Haller-Trost, The Contested Maritime and Territorial Boundaries of Malaysia ⎯An International Law
Perspective (1998).
12CR 2007/24, p. 18, par.41 (Kadir). - 6 -
tentative visant à influencer la Cour avec des considérations qui sont dénuées de pertinence et de
fondement.
16
Les sombres desseins prêtés à Singapour par la Malaisie
20. L’agent de la Malaisie a également attribué de sombres desseins à Singapour. Il postule
que Singapour pourrait viser à gagner des terres auto ur de Pedra Branca afin de créer un «domaine
maritime» 13 risquant de porter atteinte à l’envir onnement, à la navigation et à la sécurité 14. Il a
15
également allégué que Singapour voulait établir une «présence militaire» .
21. En invoquant l’incidence d’éventuels projets visant à gagner des terres, la Malaisie verse
dans l’alarmisme. Respectueuse du droit, Singapour est fière de son action en la matière.
22. La prospérité économique de Singapour et, en fait, sa survie même tiennent à son statut
de grand port d’escale, qui repose lui-même sur la fl uidité du trafic maritime dans le détroit de
Singapour. Nous n’avons jamais pris et nous ne prendrons jamais la moindre mesure qui soit
susceptible de menacer le milieu marin, la sécurité de la navigation et la sécurité dans le détroit de
Singapour.
23. La Malaisie a aussi accusé Singapour d’avoir adopté dans la présente instance «une
16
attitude plus colonialiste que la puissance coloniale elle-même» . Cette accusation, ainsi que
l’allégation de la Malaisie selon laquelle Singapour tenterait de créer un «domaine maritime» 17sur
Pedra Branca, sont ridicules. Pas plus tard que jeudi dernier, la Malaisie a taxé Pedra Branca de
minuscule rocher qui, par rapport à Pulau Pisang, était comme ce que «l’ongle d’un petit doigt est à
la main tout entière» 18.
13Ibid., p. 16, par. 33 (Kadir).
14
Ibid., p. 17, par. 37 (Kadir).
15
Ibid., p. 18, par. 43 (Kadir).
16CR 2007/27, p. 61, par. 48 (Kohen).
17CR 2007/24, p. 16, par. 33 (Kadir).
18CR 2007/26, p. 44, par. 29 (Lauterpacht). - 7 -
L’accusation de la Malaisie concernant les méthodes de la marine de Singapour
24. Ensuite, la Malaisie tire grief de la «p résence militaire» de Si ngapour, qu’elle accuse
d’avoir envoyé ses forces navales sur Pedra Branca en 1986, bien après la date critique, suscitant
19
des tensions dans le secteur et chassant les pêcheurs malais .
25. Monsieur le président et Messieurs de la Cour, la présence navale de Singapour autour de
Pedra Branca ne constitue pas une nouveauté. Depuis 1975, lorsque la marine britannique se retira
17 de Singapour, la marine singapourienne a établi un secteur de patrouille bien précis autour de
Pedra Branca et y patrouille régulièrement.
26. La présence de la marine de Singapour autour de Pedra Branca ne diffère en rien de sa
présence dans toutes les autres parties de son territoire. Elle a toujours été pacifique, non
conflictuelle et a amélioré la sécurité et la sûreté dans le secteur. En ce qui concerne sa politique à
l’égard des pêcheurs situés dans les eaux de Pedr a Branca, Singapour l’a clairement exprimée dans
la note diplomatique en date du 16 juin 1989 qu’elle a adressée à la Malaisie :
«Les patrouilles de la police maritime et de la marine de Singapour découvrent
souvent, dans les eaux territoriales de Singa pour, des bateaux malaisiens pêchant dans
de prétendues zones de pêche traditionnelles et n’en a jamais saisi aucun. Chaque fois
que cela s’avère possible, la patrouille permet la poursuite de la pêche. Lorsque cela
s’avère impossible ⎯pour des raisons de sécurité ou autres ⎯ les autorités de
Singapour demandent aux bateaux concernés de quitter les lieux mais s’abstiennent de
20
les saisir.»
Cette note figure sous l’onglet 2 du dossier de plaidoiries.
27. Monsieur le président, Singapour n’a jama is arrêté aucun pêcheur malaisien dans les
eaux de Pedra Branca. Au contraire, c’est la Malaisie qui a arrêté des bateaux de pêche
21
singapouriens de manière agressive et engendré des tensions , notamment en ayant recours à la
force physique contre des pêcheurs singapouriens dans le voisinage de Pedra Branca 22. Tout cela
est illustré dans les écritures de Singapour et peut également être constaté sous l’onglet 3 du dossier
de plaidoiries.
28. En ce qui concerne les critiques de la Malaisie selon lesquelles les fonctionnaires
malaisiens ne pouvaient s’appr ocher de Pedra Branca sans se heurter à l’opposition des forces
19CR 2007/24, p. 17, par. 38 (Kadir).
20
MS, annexe 160.
21
MS, annexe 160 ; MS, annexes 175 et 177.
22MS, annexe 182. - 8 -
navales de Singapour 23, je tiens à rappeler à mes amis de Ma laisie que, il y a bien longtemps de
cela, en 1989, Singapour avait fait savoir à celle-ci qu’elle serait heureuse d’inviter des
fonctionnaires malaisiens à se rendre sur Pedra Branca s’ils le souhaitaient 24. Cette invitation
figure sous l’onglet 4 du dossier de plaidoiries.
18 L’«offre» de la Malaisie de continuer à respecter Singapour en tant qu’exploitante du phare
29. Enfin, tentant une nouvelle fois de l’in fluencer avec des considérations extrinsèques,
l’agent de la Malaisie a indiqué à la Cour que la Malaisie avait toujours respecté la position qui
était celle de Singapour en tant qu’exploitante du phare Horsburgh, et a tenu à préciser qu’elle
25
continuerait .
30. La Malaisie n’a pas besoin ⎯et certainement aucune raison ⎯ de le faire. Les droits
que Singapour détient à l’égard de Pedra Branca s ont ceux d’un pays ayant souveraineté sur l’île,
non ceux d’un exploitant de phare. Les activités de Singapour concernant Pedra Branca vont bien
au-delà de l’exploitation d’un phare. Elles comprennent divers actes accomplis à titre de souverain
sur l’île et dans les eaux territoriales de celle-ci. La souveraineté de Singapour sur Pedra Branca a
été reconnue comme telle par la Malaisie, jusqu’en décembre 1979.
31. Les questions dont la Cour est saisie, telles qu’elles ont été arrêtées par les deux pays
dans le compromis, concernent la souveraineté. La présente instance ne porte pas sur le droit
d’exploiter le phare Horsburgh.
32. Monsieur le président et Messieurs de la Cour, Singapour n’a pas eu d’autre choix que de
réfuter les allégations et insinuations sans fondement de la Malaisie. Et c’est avec de grandes
réticences que je l’ai fait. Tout Etat estant deva nt la Cour dans le cadre d’un quelconque différend
fera évidemment tout ce qu’il peut pour convain cre celle-ci de lui donner gain de cause. C’est
parfaitement légitime. Toutefois, il faut chercher à l’emporter en exposant des faits objectifs et des
arguments juridiques convaincants, non en ayant r ecours à des déclarations politiques infondées et
en attaquant l’intégrité de la Partie adverse par des insinuations.
23CR 2007/24, p. 17-18, par. 38 (Kadir).
24
MS, annexe 163.
25CR 2007/24, p. 18, par. 43 (Kadir). - 9 -
33. Cela dit, permettez-moi de conclure en répétant ce que l’agent de Singapour a déclaré le
6novembre, à savoir que les deux pa ys sont convenus de vous soumettre leur affaire au lieu de
26
laisser le différend envenimer leurs rela tions, qui sont dans l’ensemble bonnes . Je ne doute pas
que nos pays soient l’un et l’autre déterminés à préserver ces relations amicales et pacifiques.
34. Monsieur le président, Messieurs de la C our, je vous remercie de votre patience et de
votre attention. Je vous prie ma intenant de bien vouloir inviter l’ Attorney-General, M.Chao, à
prendre la parole devant vous.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, M. Jayakumar, pour
votre exposé et j’appelle l’Attorney-General, M. Chao, à la barre.
19 M. CHAO :
LE CADRE GÉOGRAPHIQUE . M IDDLE ROCK ET SOUTH LEDGE
Introduction
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, ma plaidoirie portera sur deux points. Je me
pencherai d’abord sur la question de la proximité de Pedra Branca par rapport à la côte de Johor. Je
répondrai ensuite aux arguments avancés par la Malaisie au sujet de Middle Rocks et South Ledge.
I. Le cadre géographique — la proximité
2. M. Kohen a consacré une partie importante de sa plaidoirie de mercredi dernier à tenter de
vous convaincre que Pedra Branca se trouvait «à proximité de Point Romania», reprenant
l’expression utilisée dans la lettre du temenggong de Johor au gouverneur Butterworth du
27 28
25 novembre 1844 . Il vous a montré la carte de J. T. Thomson de 1851 et en a tiré l’argument
plutôt curieux selon lequel Pedra Branca et les îles Romania —puisqu’elles se trouvaient sur la
même carte — faisaient partie de la prétendue «région» de Romania et se trouvaient donc proches
les unes des autres2.
26CR 2007/20, p. 16, par. 3 (Koh).
27
CR 2007/25, p. 49-52, par. 43-53.
28CMS, atlas cartographique, carte 8.
29CR 2007/25, p. 50, par. 48. - 10 -
3. La carte de 1851 démontre en fait exactement le contraire de ce que M. Kohen affirme. Il
vous suffit de regarder la carte projetée à l’écran et de vous reporter à l’onglet5 de votre dossier
pour constater que, dans l’optique de Thomson, étant donné que Peak Rock était l’endroit prévu
pour construire le phare «à proximité de Poin t Romania» en 1844, Pedra Branca — qui se trouvait
à une distance près de six fois supérieure de Po int Romania que ne l’est Peak Rock — ne pouvait
être considérée par le gouvernement colonial britannique comme étant située «à proximité de Point
Romania». Et n’oublions pas que le seul document contemporain officiel dans lequel il est
question de la distance entre Pedra Branca et la côte du Johor est la lettre du 26août1846 du
gouverneur Butterworth, dans laquelle il explique sa préférence initiale pour Peak Rock et non pour
Pedra Branca pour y construire le phare en rais on de — je cite — «son éloignement de Singapour
30
et du continent» .
20 4. M.Kohen a accusé Singapour de garder ce qu’il a appelé «un silence absolu» 31 sur la
rubrique du journal de John Crawfurd consacrée à Point Romania en 1818, d ont je vous cite un
extrait : «Romania constitue la partie orientale du détroit de Singapour ; l’entrée est divisée en deux
chenaux par un groupe de rochers, dont le plus important, qui culmine à 20pieds au-dessus du
32
niveau de la mer, a été nommé Pedro Branca par les Portugais.»
Mais quels sont les points de cette observa tion que Singapour aurait dû réfuter? Point
Romania et les îles Romania se trouvent à l’entrée orientale du détroit de Singapour, et Pedra
Branca divise l’entrée du détroit en deux chenaux, Middle Channel et South Channel. Crawfurd ne
parle pas d’une «région» de Romania, comme le pr étend la Malaisie. La prétendue «région» est
sortie tout droit de l’imagination de celle-ci.
5. La Malaisie indique au ssi que Singapour a usé de ce qu’elle qualifie de «tactique
photographique» parce que nous n’avons pas produi t de photographie montrant Pedra Branca avec
33
la côte du Johor en toile de fond . La semaine dernière, en tentant de faire passer un message
subliminal au sujet de la proximité entre Pedra Branca et la côte continentale du Johor, la Malaisie
30MS, vol. 2, annexe 16, p. 135.
31
CR 2007/25, p. 50, par. 46-48.
32
MM, vol. 3, annexe 23.
33CR 2007/25, p. 51, par. 51. - 11 -
a produit la photographie qui apparaît à l’écran 3. C’est celle qui figure à l’onglet 78 du dossier de
plaidoiries de la Malaisie.
6. Monsieur le président et Messieurs de la Cour, les membres de l’équipe de Singapour qui
se sont rendus sur Pedra Branca ont été fort surpris de voir cette photographie. Elle ne correspond
pas au souvenir qu’ils ont conservé du relief de Pe dra Branca et de la masse continentale du Johor
lors de leur visite. Elle ne correspond pas non pl us à ce que J. T. Thomson avait vu et dont il avait
fait le croquis en 1850 35.
7. Examinons un détail de la photographie prod uite par la Malaisie, sur laquelle figure le
phare avec, à l’arrière-plan, la montagne dite «Bukit Pelalil» ou «Mount Berbukit», et
comparons-le à une photographie prise quelques jo urs auparavant, sur laquelle figure ce que l’on
aperçoit effectivement à l’Œil nu en regardant dans la même direction.
8. Comparons la montagne telle qu’elle para ît à l’arrière-plan avec la manière dont elle
figure sur la photographie de la Malaisie. Sur la photographie de la Malais ie, la hauteur de la
montagne est environ sept fois supérieure à sa taille réelle.
9. Cela est dû à un effet appelé «compression téléphotographique» qui se produit lorsqu’il est
fait usage d’un téléobjectif au lieu d’un objectif dont le rendu de perspective est semblable à ce que
21 l’on voit à l’Œil nu. L’objectif utilisé pour la photographie à droite produit un rendu proche de ce
que l’on aperçoit à l’Œil nu. Le croquis de Thomson et l’ensemble des photographies figurent à
l’onglet 6 de votre dossier.
10. J’ai encore quelques observations à faire au sujet de la photographie sur laquelle s’appuie
36
la Malaisie. La Malaisie d éclare qu’elle provient d’un «blog» . Ce «blog» est des plus
inhabituels. Sa création ne remonte qu’au mois dernier. Nous n’avons aucune information sur
l’identité du blogueur, et la photographie sur laquelle s’appuie la Malaisie n’a été placée sur le site
que le 2 novembre 2007, soit quatre jours avant le début de cette procédure orale.
34Ibid., p. 51, par. 50.
35
MS, vol. 4, annexe 61, p. 475.
36www.leuchtturm3.blogspot.com, dont des captures d’écran se trouvent à l’onglet 7. - 12 -
II. Middle Rocks et South Ledge
11. Je passe maintenant à la question de Middle Rocks et de South Ledge. Je commencerai
par faire observer que mon éminent homologue, l’ Attorney-General de Malaisie, affirme que «[l]e
différend concernant ces deux formations ne s’est cristallisé que le 6 févrie r 1993, date à laquelle,
pour la première fois pendant la première série de discussions bilatérales entre les Parties,
Singapour ajouta Middle Rocks et South Ledge à ses prétentions sur Pulau Batu Puteh» 3.
12. L’affirmation, si je puis me permettre, est aussi fausse qu’artificielle. Ce que la Malaisie
présente comme les «prétentions» de Singapour su r Middle Rocks et South Ledge à la date du
6 février 1993 est en fait la réponse de Singapour à la déclaration faite par la Malaisie un jour plus
tôt présentant Middle Rocks et South Ledge comme deux îles malaisiennes 3. En fait,
MiddleRocks et South Ledge ne peuvent, même en faisant un gros effort d’imagination, être
considérées comme des formations distinctes de Pedra Branca. Il s’ensuit que la date critique pour
chacune de ces trois formations doit naturellement être la même.
13. Jeudi dernier nous avons entendu la plaidoirie de M. Schrijver sur Middle Rocks et South
Ledge. Deux arguments clés sont ressortis de cette plaidoirie, à savoir que :
a) premièrement, la Malaisie détenait un titre originel sur Middle Rocks et South Ledge ; et
b) deuxièmement, Pedra Branca, Middle Rocks et South Ledge ne formaient pas un groupe.
22 A. Le prétendu titre originel
14. Le premier argument peut être très rapidement réfuté. Comme pour Pedra Branca, la
Malaisie ne fournit pas le moindre élément de preuve indiquant que le Johor aurait détenu un
quelconque titre ou accompli un quelconque acte de souveraineté sur Middle Rocks et
South Ledge.
B. Les formations forment-elles un groupe ?
15. Cette question me conduit au deuxième argument avancé par M.Schrijver—
l’affirmation selon laquelle les trois formations ne constituent pas un groupe et ne peuvent pas être
examinées ensemble. La position de la Malaisie à cet égard se trouve en complète contradiction
37
CR 2007/24, p. 31-32, par. 14 (Gani Patail).
38
CMS, vol. 1, p. 201, par. 8.1-8.2. - 13 -
avec la manière dont elle présente son argument. Les actes de la Malaisie que M.Schrijver
invoque pour fonder la souveraineté de la Mala isie sur Middle Rocks et SouthLedge sont,
premièrement, la «lettre de promulgation» du c ontre-amiral Thanabalasingham, deuxièmement, la
39
concession pétrolière de 1968, et, troisi èmement la loi de 1985 sur la pêche . Ce sont les mêmes
actes, sur lesquels s’appuie la Malaise pour revendiquer PedraBranca, que Mme Malintoppi
examinera demain. Cela révèle que la Malaisie a traité et continue de traiter ces formations comme
un groupe.
16. M.Schrijver a consacré la plus grande partie de sa pl aidoirie à contester les raisons
énumérées par M.Pellet à l’appui de la position de Singapour selon laquelle le sort des trois
formations était nécessairement lié 40. Je ne propose pas de réfuter chacun des arguments avancés.
41
Ils ont déjà été examinés de manière exhaustive dans les pièces de Singapour et par M.Pellet
dans sa plaidoirie 42. Mais je relève en passant l’idée plutôt étonnante de M.Schrijver selon
laquelle les trois formations ne pourraient pas former un groupe parce que Singapour n’a pas été en
mesure de les montrer ensemble sur un seul et même cliché 43. Si la photographie peut trancher la
question de savoir si des formations constituent un groupe isolé, nous en avons d’innombrables
exemplaires montrant ensemble Pedra Branca et Middle Rocks. Ces deux formations constituent
ce que le commandant Kennedy avait appelé en 1958 le «groupe Horsburgh» 44. Quant à
SouthLedge, il s’agit d’un haut-fond découvran t situé dans les eaux territoriales du groupe
Pedra Branca/Middle Rocks, qui connaît donc bien le même sort que celui du groupe.
23 17. J’examinerai plus particulièrement trois aspects de l’analyse de M.Schrijver—
premièrement, la proximité ; deuxi èmement, la géomorphologie ; et, troisièmement, s’il existe des
chenaux navigables entre les trois formations.
39CR 2007/26, p. 24-25, par. 8.
40Ibid., p. 26-34, par. 12-38.
41
MS, vol. 1, p. 180-184, par. 9.8-9.17 ; CMS, vol. 1, p. 202-209, par. 8.4-8.10.
42
CR 2007/23, p. 52-54, par. 15-16.
43CR 2007/26, p. 28, par. 18.
44CMS, vol. 3, annexe 37, p. 350. - 14 -
1) Proximité
18. A propos de la proximité, M. Schrijver a cité tout à fait à tort le tribunal arbitral dans
l’affaire Erythrée/Yémen pour faire valoir, et je cite, que «[l]e simple fait de mesurer la mer
territoriale à partir de Pulau Batu Puteh ne peut en soi engendrer la souveraineté sur Middle Rocks
et South Ledge» 45. L’extrait de la sentence qu’il cite se rapportait à l’argument de l’Erythrée
communément appelé «saute-mouton», selon lequel il y a souveraineté sur l’île B car elle relève de
la mer territoriale de l’île A et il y a souveraineté sur l’île C simplement parce qu’elle relève, à son
tour, de la mer territoriale de l’île B, etc.46.
19. Cet extrait n’a absolument aucune pertinen ce pour la présente affaire, dans laquelle les
trois formations se trouvent à moins de 3 milles ma rins l’une de l’autre et où Middle Rocks et à
South Ledge font nettement partie de la mer territoriale de Pedra Br anca. En outre, dans l’affaire
Erythrée/Yémen, le tribunal, comme il ressort clairement du dispositif de sa sentence, a bien
accordé au Yémen la souveraineté sur les «îles, îlots, rochers et hauts-fonds découvrants» du
groupe Zuqar-Hanish et celle sur les «îlots, rochers et hauts-fonds découvrants» du groupe Zubayar
47
en tant que groupes de formations maritimes .
2) Géomorphologie/géologie
20. Examinant ensuite l’aspect géomorphologique ⎯ou, plus exactement, géologique ⎯,
M. Schrijver a fait valoir que le même type de roche qui existe sur Pedra Branca, Middle Rocks et
SouthLedge se retrouve sur d’autres îles voisi nes mais pas sur l’île même de Singapour 48. Cette
affirmation est déconcertante. Il est évident que pour déterminer si les trois formations constituent
un groupe, l’important est de savoir si ces troi s formations ont des caractéristiques géologiques
similaires. La réponse est affirmative. Qu’importe que d’autres formations présentent ces
24 caractéristiques. Après tout, la question n’est pas de savoir si Pedra Branca, Middle Rocks, South
Ledge et Singapour constituent un groupe.
45CR 2007/26, p. 27, par. 15.
46
Erythrée/Yémen, sentence du tribunal arbitral dans la première étape de la procédure (Souveraineté territoriale
et champ du différend), 9 octobre 1998, Permanent Court of Arbitration Award Series, vol. 1, p. 423, par. 473-474.
47
Ibid., p. 441, par. 527.
48CR 2007/26, p. 27-28, par. 17. - 15 -
3) Chenauxnavigables
21. Je vais à présent examiner l’argument de M. Schrijver selon lequel les trois formations ne
constituent pas un groupe car elles sont séparées par des chenaux navigables 49.
22. L’affirmation de la Malaisie selon la quelle il existe un chenal navigable entre
PedraBranca et Middle Rocks est tout à fait su rréaliste. Personne ne conteste qu’une étendue
d’eau sépare les deux formations, qui peut être traversée par certains navires. Mais ce qui
détermine l’existence d’un chenal navigable, c’est que le trafic maritime commercial puisse
emprunter cette voie sans risque.
23. La largeur navigable du «chenal», si l’on pe ut l’appeler ainsi, qui sépare Pedra Branca et
Middle Rocks n’atteint pas deux cents mètres, comme vous pouvez le voir sur l’écran et sur la carte
qui se trouve sous l’onglet 8 de votre dossier de plaidoiries. Aucun marin averti ne conduirait de
navire commercial dans de telles eaux et, d’ailleurs, aucun ne le fait. Ce n’est pas sans raison
qu’une courbe de danger est représentée autour de Pedra Branca et Middle Rocks sur la carte
n° 2403 de l’Amirauté britannique 50.
24. Quant au prétendu «chenal navigable» entre Middle Rocks et South Ledge, je voudrais
faire deux observations. Premièrement, la questi on de savoir si ce chenal existe n’a aucune
incidence sur l’unité de Pedra Branca et Middl e Rocks. Comme nous l’avons dit la semaine
dernière 51, la question pertinente est de savoir s’il faut considérer Pedra Branca et Middle Rocks
comme formant une unité. Une fois ce point réglé, le sort de South Ledge, qui est un haut-fond
découvrant, suit celui de Pedra Branca et de Middle Rocks. Deuxièmement, le fait est que le trafic
maritime commercial emprunte soit Middle Channel soit South Channel pour traverser ces eaux car
ce sont des voies navigables sûres.
25. La semaine dernière, M. Schrijver a produit un extrait des instructions aux pilotes pour
l’approche nord-est du détroit de Singapour, document qui figure sous l’onglet 10 de votre dossier.
Invoquant la proposition selon laquelle «le passage entre Middle Rocks et South Ledge est possible
à marée basse, à condition que toutes deux soient bi en visibles», il affirme avec assurance que, «si
49
CR 2007/26, p. 29-30, par. 20-23.
50MM, atlas cartographique, carte 25. Cette carte fi gure en grand format en troisième de couverture du
contre-mémoire de la Malaisie. On trouve sous l’onglet 9 du dossier de plaidoiries un agrandissement de la section qui
nous intéresse.
51CR 2007/23, p. 51-52, par. 12-13 (Pellet). - 16 -
25 le passage est possible à marée basse, il est facile à marée haute» 52. Ses propos ne peuvent être
plus erronés. Le passage n’est possible que si les deux formations sont bien visibles, de manière à
ce qu’un navigateur puisse passer à vue au large de South Ledge. A marée haute, South Ledge, qui
est un haut-fond découvrant, n’est absolument pas visible. Le passage entre Middle Rocks et South
Ledge devient alors dangereux.
26. Ceci m’amène à faire quelques observations plus générales sur le dossier de la Malaisie
concernant Middle Rocks et South Ledge. Les argu ments tant écrits qu’oraux de la Malaisie ont
été jusqu’ici résolument consacrés non pas à démo ntrer des actes de souveraineté sur les deux
formations ⎯qu’elle n’a jamais accomplis et ne serait pas en mesure d’accomplir ⎯, mais à
démontrer que Middle Rocks et South Ledge ne font pas partie du même groupe que Pedra Branca.
Pourquoi ? Pourquoi la Malaisie tient-elle tant à séparer le sort de Middle Rocks et South Ledge de
celui de Pedra Branca ? Pourquoi insiste-t-elle sur le fait que si seulement groupe il y a, celui-ci ne
53
serait constitué que de Middle Rocks et de South Ledge ? La Malaisie espère-t-elle que, en
agissant ainsi, elle peut préserver quelque chose de la délimitation maritime pour le cas où la Cour
viendrait à juger que la souveraineté sur Pedra Branca appartient à Singapour? La Malaisie
espère-t-elle que la Cour rende un arrêt simila ire au jugement du roi Salomon, accordant Pedra
Branca à une Partie et Middle Rocks et South Ledge à l’autre ? Ni le droit ni les faits ne sauraient
motiver une telle décision.
Conclusion
27. Monsieur le président, Messieurs les juges, je conclurai en répétant les arguments de
Singapour en ce qui concerne Middle Rocks et South Ledge.
a) Premièrement, Pedra Branca, Middle Rocks et South Ledge ont toujours été considérés
ensemble, y compris dans les pièces de procédure de la Malaisie.
b) Deuxièmement, Middle Rocks et South Ledge se trouvant à moins de 3 milles nautiques de
Pedra Branca, ils relèvent de la mer territoriale de celle-ci.
52
CR 2007/26, p. 31, par. 27.
53
CR 2007/26, p. 33-34, par. 38. - 17 -
c) Troisièmement, Middle Rocks, située à seulement 0,6 mille nautiques de Pedra Branca, est une
simple extension géomorphologique de Pedra Bran ca. Elle en fait partie et forme un seul
groupe avec Pedra Branca.
26 d)Quatrièmement, South Ledge, comme haut-f ond découvrant, ne saurait être attribué
séparément. Son sort doit suivre celui de Pedra Branca et de Middle Rocks.
e) Enfin, puisque la souveraineté sur Pedra Br anca appartient à Singapour, la souveraineté sur
Middle Rocks et South Ledge appartient également à Singapour.
28. Voilà qui conclut ma plaidoirie. Je voudrais vous remercier de votre attention. Monsieur
le président, puis-je vous prier d’appeler M.Ch an à la barre pour poursuivre la présentation de
Singapour ?
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, M. Chao, pour votre
exposé. Je donne maintenant la parole à M.Chan pour qu’il poursuive les plaidoiries de
Singapour.
M. CHAN :
C ONTEXTE HISTORIQUE
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, je m’attacherai ce matin à répondre aux
arguments de M. Crawford concernant la revendi cation d’un titre originaire de la Malaisie sur
Pedra Branca, et à ceux de M. Schrijver sur le traité anglo-néerlandais. Les deux argumentations
sont dénuées de tout fondement.
La Malaisie n’a pas répondu aux arguments de Singapour
2. Je commencerai par faire observer que M. Crawford n’a pas répondu à l’argument que
j’avais fait valoir, selon lequel l’étendue territori ale du Sultanat de Johor était indéterminée parce
qu’il était instable et que ses souverains avaient une conception de la souveraineté fondée sur
l’allégeance de la population et non sur le contrôle du territoire. Il l’a tout simplement balayé,
parlant de théorie du sultanat évanescent et de thèse de la discontinuité comportant trois éléments.
3. M. Crawford soutient que ces trois éléments peuvent être réfutés, premièrement sur la base
des avis d’experts donnés par MM.Houben et A ndaya, deuxièmement, sur celle des preuves - 18 -
documentaires et historiques et, troisièmement, sur celle de la conduite des Parties. Mais cela n’est
pas vrai.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Excusez-moi de vous interrompre.
Puis-je vous demander de parler un peu plus lentement, s’il vous plaît ?
M. CHAN : Oui, Monsieur le président.
27 Permettez-moi de m’expliquer. Le premier élément, selon lequel l’Etat du Johor «date du
e 54
milieu du XIX siècle» est une citation tirée de l’ouvrage de Trocki intitulé The Prince of Pirates ,
que M. Houben a reprise dans son rapport 55. Ces passages se trouvent sous les onglets 11 et 12 du
dossier de plaidoiries.
Le second élément, qui est que la souvera ineté malaise traditionnelle «se fondait sur
l’allégeance des sujets et non sur l’emprise territo riale» représente l’avis unanime de tous les
historiens réputés que Singapour a cités dans son contre-mémoire, y compris M. Andaya, qui a écrit
en 1997 dans son article intitulé «Writing a Hi story of Brunei»: «Les historiens ont depuis
longtemps accepté comme truisme que, en Asie du Sud-Est, c’est non pas le contrôle de la terre,
mais le contrôle du peuple, qui constitue l’élément cruc ial de l’art de gouverner.» 56 (Les italiques
sont de nous). Et ce n’est pas moi, mais M. Crawford, qui a décrit l’Etat malais comme un Etat
«pratiquement non territorial». Dans mon exposé de la semaine dernière, j’ai pris grand soin de
préciser que :
«Singapour ne prétend pas que la conception malaise traditionnelle de la
souveraineté signifie que les Sultanats malais n’avaient pas de territoire. Ce qu’elle
signifie, c’est que le seul moyen fiable de déterminer si un territoire particulier
appartenait à un souverain est de savoir si ses habitants faisaient allégeance à ce
souverain.» 57
54
Voir C. Trocki, Prince of Pirates : The Temenggongs and the Development of Johor and Singapore 1784-1885
(1979), p. 1.
55
RM, p. 225, app. II, par. 16.
56L. Andaya, «Writing a History of Brunei», in Barrington B. (dir. publ.), Empires, Imperialism and Southeast
Asia : Essays in Honour of Nicholas Tarling (1997), p. 201.
57CR 2007/20, p. 44 (Chan). - 19 -
Au lieu de réfuter cette proposition et d’en prou ver le caractère erroné, M. Crawford l’a tout
simplement passée sous silence. C’est que, sur ce tte base, il est difficile pour la Malaisie de
montrer quand et comment le Sultanat de Johor a acquis le titre sur Pedra Branca.
e
Le troisième élément, selon lequel c’est seulement à la fin du XIX siècle que la notion de
souveraineté territoriale est devenue pertinente pour les Etats malais, y compris le Johor, est extrait
de l’ouvrage de M. Andaya intitulé A History of Johore, que j’ai mentionné lors du premier tour de
plaidoiries. Ce passage figure sous l’onglet 13 du dossier de plaidoiries. M.Houben reprend
également cette idée au paragraphe 13 de son rap port, reproduit sous l’onglet12 du dossier, dans
lequel il cite également une autre étude publiée en 1995 par M. Milner 58.
28 4. Monsieur le président, Messieurs de la Cour , la thèse de la Malaisie repose sur l’existence
d’un titre originaire. Mais, jusqu’à ce jour, elle n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de sa
prétention. Elle n’a présenté aucun élément montra nt que le Sultanat de Johor aurait jamais exercé
sa souveraineté à l’égard de Pedra Branca ou accompli des activités étatiques spécifiques à l’île en
question. Je soutiens que les trois éléments que j’ai invoqués à savoir
1) l’instabilité historique du Sultanat de Johor pendant toute son existence,
2) le caractère indéterminé de ses frontières territoriales, et
3) la conception malaise traditionnelle de la souveraineté,
représentent un obstacle majeur à la prétention de la Malaisie, qu’elle n’a pas surmonté.
PedraBranca était une petite île aride et inhab itée. Il n’y avait pas d’habitants, donc pas
d’allégeance au souverain, de sorte que ce critère ne peut être rempli. Dans le cas de Pedra Branca,
la Malaisie doit montrer que le sultanat s’est livré à des actes de nature souveraine spécifiques à
l’île.
5. Singapour ne soutient pas que le sultanat a disparu. Il est évident qu’il ne pouvait pas
disparaître puisque, comme M. Andaya l’a affirm é dans son rapport: «[L] e lieu choisi par le
59
souverain pour s’y établir, quel qu’il fût, devenait sa capitale et le centre du royaume.» Ceci
constitue le fondement même de mon argumentat ion. C’est précisément parce qu’un sultanat
malais est entièrement axé sur la personne du sulta n que l’étendue territoriale du royaume est, par
58
RM, p. 224, app. II, par. 13.
59RM, p. 209, app. I, par. B.2. - 20 -
essence, indéterminée. Lorsque le sultan était chassé de sa capitale, il perdait son territoire et aussi,
au bout du compte, l’allégeance des sujets qu’il ne pouvait plus protéger. Chaque fois qu’il se
déplaçait, il devait trouver de nouvea ux sujets pour reconstruire son royaume. C’est la conception
malaise traditionnelle de la souveraineté, mais cela ne signifie pas qu’un royaume malais ne
possède pas de territoire, contrairement à ce que M.Crawford veut nous faire dire ou amener la
Cour à croire. Cela veut dire simplement que le territoire ne peut être défini que par référence au
peuple qui l’habite et qui fait allégeance au souverain.
Les autres arguments de la Malaisie
6. Permettez-moi maintenant d’examiner les autres arguments de M. Crawford selon lesquels
Pedra Branca faisait partie du Sultanat de Johor.
29 Les activités des Orang Laut
7. Son premier argument est que le territoire du souverain «englobait … les îles dont [ses
sujets] utilisaient les eaux environnantes» 60. Il cite en particulier les Orang Laut qui étaient les
sujets du sultanat. Cet argument semble indiquer que la simple fréquentation des eaux d’une île par
ces sujets prouve l’appartenance de ces eaux au sultanat, ce qui ne peut être vrai. Les actes privés
ne suffisent pas, en droit, à établir la souveraineté du sultan sur Pedra Branca et les eaux adjacentes.
En réalité, les eaux qui entourent Pedra Branca so nt utilisées par les marins et les navires de
commerce du monde entier depuis des centaines d’années.
8. Quoi qu’il en soit, les Orang Laut n’étaient pas tous sujets du sultanat. Ils venaient de tous
les coins de l’archipel, certains d’ aussi loin que les Philippines et la Thaïlande ou le Vietnam. On
les appelait aussi les nomades de la mer. Certains ne prêtaient allégeance à personne 61. Ils se
livraient aussi bien à des activités de pêche qu’à des actes de piraterie. Begbie fait état des activités
de piraterie des Lanum — ou Illanum — de Mindanao, aux Philippines, qui n’étaient pas des sujets
62
du Johor . Aux paragraphes 12 à 15 de son rapport sur la piraterie, Presgrave mentionne
60
CR 2007/24, p. 60, par. 10 (Crawford).
61
Voir C. Trocki, Prince of Pirates : The Temenggongs and the Development of Johor and Singapore 1784-1885
(1979), p. 56.
62P. J. Begbie, The Malayan Peninsula (1834, réimprimé en 1967), p. 264-265. - 21 -
également les Orang Laut de Thaïlande, Tr engannu, Selangor, Perak, Sulu, Bornéo ⎯ tous
63
s’adonnant à la piraterie .
Les lettres néerlandaises de 1655 et 1662
9. Les eaux qui entourent Pedra Branca n’ont jamais été les eaux territoriales du Sultanat de
Johor ni revendiquées en tant que telles par lui. A cet égard, M. Crawford a mentionné le fait que
les Néerlandais avaient envisagé, en 1655, de détourner des jonques chinoises de l’embouchure du
fleuve Johor pour les amener à Malacca. Il sou tient que le sultan protesta contre ce plan en 1662,
sept ans plus tard 64. L’on ne sait pas si les deux incidents étaient liés, mais le fait est que le plan et
la protestation en question ne concernaient pas le territoire, mais le commerce. M.Crawford,
faisant fi du contenu de la lettre de 1662, a déclaré que «le profond déplaisir [du sultan] avait trait à
65
30 l’atteinte à ses droits territoriaux» . Mais rien dans la lettre de 1662 n’évoque des droits
territoriaux. En fait, la réaction décrite par le gouverneur général montre clairement que le profond
déplaisir du sultan était dû à la saisie des deux jonques chinoises, qui visait à empêcher celles-ci de
s’engager dans le fleuve Johor pour y commercer. Le sultan ne protestait pas contre le fait que les
Néerlandais ou les Chinois auraient empiété sur les eaux du sultanat ou qu’ils y auraient pénétré
illicitement, mais contre le détournement du commerce au détriment des intérêts du sultan. A cet
égard, la Malaisie semble avoir reconnu l’erreur qu’elle a commise en traduisant le mot néerlandais
signifiant «exprès» par «son» dans la lettre de 1662, donnant l’idée que les eaux autour de Pedra
Branca étaient la propriété du sultan.
Absence d’éléments de preuve en dépit de trois cents ans d’histoire
10. A l’exception du seul article paru dans le Singapore Free Press mentionnant Batu Puteh,
dont M. Pellet reparlera dans son exposé, la Malaisie n’a pas réussi à retrouver, au cours des trois
cents ans d’existence du Sultanat de Johor, la mo indre preuve d’un titre originaire sur Pedra
Branca. La rareté des preuves indique fortement que Pedra Branca n’a jamais appartenu au
sultanat.
63
Rapport de E. Presgrave, directeur de l’enregistrement des importations et des exportations à K.Murchison,
conseiller résident, daté du 5 décembre 1828 (MM, vol. 3, annexe 27).
64
CR 2007/24, p. 62, par. 15-16 (Crawford).
65CR 2007/24, p. 62, par. 16 (Crawford). - 22 -
L’invocation des descriptions générales du sultanat
11. M.Crawford invoque également les descriptions générales de l’étendue géographique
des possessions du sultanat données par Crawfurd et Presgrave à l’appui de son titre sur
Pedra Branca. Mais aussi bien Presgrave que les négociateurs néerlandais et britanniques du traité
66
anglo-néerlandais ont reconnu qu’ils ne connai ssaient pas les limites territoriales du sultanat .
Même le sultan de Trengannu, en 1875 encore , ne connaissait pas l’étendue de son territoire 67.
Dans le contexte d’un sultanat malais centré sur le peuple et non sur le territoire, les descriptions
générales de l’étendue géographique des domaines du sultanat n’ont pas de valeur probante en tant
qu’attributions de souveraineté. Crawfurd lui- même connaissait la nature de la souveraineté
malaise traditionnelle. Il avait accepté la reve ndication du temenggong sur certaines îles parce que
leurs habitants avaient prêté allégeance à ce dernier avec e
nthousiasme 68.
31 12. Quoi qu’il en soit, puisque ces descripti ons ne nomment pas Pedra Branca expressément,
elles n’ont aucune valeur probante en tant qu’élément de preuve du titre sur l’île. Ainsi que votre
Cour l’a déclaré en l’affaire Indonésie/Malaisie, et répété au paragraphe 174 de son récent arrêt (du
8 octobre 2007) en l’affaire Nicaragua c. Honduras : «La Cour… ne peut tenir compte de ces
activités en tant que manifestation pertinente d’autorité que dans la mesure où il ne fait aucun doute
qu’elles sont en relation spécifique avec les îles en litige prises comme telles.» ( Souveraineté sur
Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p.682-683,
par. 136.)
L’absence d’intérêt du sultanat pour les petites îles inhabitées
13. La conception malaise traditionnelle de la souveraineté s’oppose à l’idée que le
souverain pouvait manifester de l’ intérêt pour de petites îles inhabitées, surtout une île isolée telle
que Pedra Branca. Begbie et Presgrave ne citent que des îles habitées dans leur liste des îles
69
appartenant au sultanat . Le désintérêt du sultanat pour Pedra Branca concorde avec ⎯ et
66
Voir CR 2007/20, p. 44-45, par. 24-25 (Chan). Voir également le rapport de E. Presgrave, directeur de
l’enregistrement des importations et des exportations à K. Murchison, conseiller résident, daté du 5 décembre 1828 (MM,
vol. 3, annexe 27), extrait cité dans le CMS, p. 51-52, par. 4.25 b).
67Voir A. C. Milner, Kerajaan : Malay Political Culture on the Eve of Colonial Rule (1982), p. 8.
68Voir CMS, p. 22, par. 3.9 a).
69Voir P. J. Begbie, The Malayan Peninsula (1834, réimprimé en 1967), p. 269-272 (CMS, annexe 8), et la liste
des îles annexée au rapport Presgrave du 5 décembre 1828 (CMS , annexe7). Ces deux docum ents sont cités dans le
CMS, p. 23, par. 3.10. - 23 -
explique ⎯ le fait qu’il n’y ait aucune preuve de ce que le Sultanat de Johor aurait revendiqué, ou
aurait eu l’intention de revendiquer, Pedra Branca comme son territoire.
Le traité anglo-néerlandais de 1824
14. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, permettez-moi maintenant d’examiner les
arguments avancés par M. Schrijver au sujet du traité anglo-néerlandais. M. Schrijver allègue que :
70
a) le traité portait division du détroit de Singapour ;
b) la donation consentie en 1825 par le sultan Abdul Rahman était totalement dépourvue d’effet
71
juridique, car les questions avaient déjà été réglées par les deux traités de 1824 ; et
c) le traité, bien qu’ayant pour obj ectif d’établir les sphères d’infl uence de l’une et de l’autre
puissances, définissait en réalité les frontières des territoires d’un sultanat divisé 72.
M. Pellet examinera également certains aspects du deuxième argument, ainsi que le troisième.
32 15. Le premier argument de M. Schrijver est err oné. Il est en effet contredit par l’historique
des négociations, le libellé des articles 10 et 12 du traité, une note interne du ministère néerlandais
des colonies en date du 15octobre1858 et la correspondance échangée entre Crawfurd et le
73
gouvernement de l’Inde . Vous trouverez le texte des articles10 et12 dans le dossier de
plaidoiries, sous l’onglet14. M. Schrijver allègue que l’interprétation de Singapour est
indéfendable, au motif qu’il était «impensable qu’ ils aient pu convenir de laisser la totalité du
74
détroit de Singapour ouverte et non partagée» . Il soutient par ailleur s que l’on ne trouve pas
l’ombre d’une preuve à l’appui de la thèse de Singa pour. Mais quelles preuves la Malaisie a-t-elle
produites de son côté ? Elle n’a présenté qu’une carte fantaisiste sur laquelle était tracée une ligne
imaginaire.
16. Il existe toutefois d’autres éléments de pre uve démontrant que la «ligne de partage» était
le détroit de Singapour tout entier. La Cour se souviendra que, en 1886, le sultan Abu Bakar pria
les Britanniques de tenir un registre de toutes ses îles afin d’en tenir à l’écart les autres puissances.
70CR 2007/25, p. 27, par. 13 (Schrijver).
71CR 2007/25, p. 31, par. 29 (Schrijver).
72
CR 2007/25, p. 31-32, par. 29-31 (Schrijver).
73CR 2007/20, p. 47-48, par. 36-38 (Chan).
74CR 2007/25, p. 27, par. 13 (Schrijver). - 24 -
Le secrétaire du sultan adressa un mémorandum intitulé «Iles Natuna, Anamba et Tambilan», daté
du 5 mai 1886, au Colonial Office . Celui-ci est reproduit dans le dossier de plaidoiries, sous
l’onglet 15. Le paragraphe 3 se lit comme suit :
«3. En vertu du traité anglo-néerlanda is de 1824, les Néerlandais ne peuvent
exercer le moindre droit sur les îles au nord du détroit de Singapour ni s’ingérer dans
les affaires les concernant. Les groupes en question sont situés au nord de cette ligne,
à l’exception de certaines îles du groupe Tambelan sur l’une desquelles les
Néerlandais possèdent un dépôt de charbon et un fort. Cette île se trouve sous la ligne
du détroit de Singapour.» 75
17. Ce mémorandum fut envoyé après consultation de M. Rodyk, le fondateur du plus ancien
cabinet d’avocats de Singapour, Rodyk & Davidson, lequel est aujourd’hui encore l’un des plus
importants du pays. Dans ce mémorandum, le détroit de Singapour tout entier est clairement
présenté comme la ligne de partage , la sphère d’influence britannique étant située au nord de ce
détroit et la sphère d’influence néerlandaise au s ud, ce qui est mis en évidence par le fait que le
terme «nord» est souligné dans le manuscrit original. Ce sens est également pertinent dans un autre
contexte que j’examinerai ultérieurement. Il y a donc concordance entre les vues des Néerlandais,
des Britanniques et de l’Etat du Johor lui-même pour considérer que c’est le détroit tout entier qui
constitue la «ligne de partage».
33
La lettre de donation de 1825
18. Monsieur le président, Messieurs de la C our, je vais maintenant examiner l’argument de
M.Schrijver selon lequel la lettre de donation de 1825 était dépourvue d’effet juridique en droit
international au motif que les questions auraient été réglées par les traités de 1824. M. Schrijver ne
mentionne cependant aucun principe de droit international pertinent à l’appui de cette thèse. Il ne
précise pas non plus quelles sont les questions qui auraient été réglées ou leur pertinence par
rapport à la lettre de donation. Le traité anglo-néerlandais avait donné naissance à deux sphères
d’influence, et non à deux territoires. Pour pr océder à la division des possessions du sultanat à
partir d’un accord créant des «sphères d’influence», les Néerlandais avaient besoin
d’AbdulRahman, en tant que souverain du Sultanat de Johor. En effet, le sultan n’était pas un
simple exécutant.
75
Voir mémorandum d’Inchi Abdul Rahman (s ecrétaire du sultan de Johore) au Colonial Office en date
5 mai 1886 (CMS, annexe21 iv)). - 25 -
19. La donation de 1825 était un acte constitutionnel par excellence. Elle portait transfert de
la souveraineté sur un territoire d’un souverain à un autre en ve rtu du droit coutumier malais,
l’adat. Prétendre que la donation était dépourvue d’effet juridique est tout simplement absurde.
20. M.Schrijver ayant soigneusement évité d’examiner le texte de la lettre de donation,
penchons nous donc un instant sur cette lettre afin de voir ce qui y est dit. La lettre apparaît
maintenant à l’écran et figure également sous l’on glet 16 du dossier de plaidoiries. Comme j’en ai
déjà donné lecture (CR 2007/20, p. 50, par. 43), je me contenterai de lire le passage surligné :
« Votre territoire, donc, s’étend sur le Johor et le Pahang sur le continent ou sur
la péninsule malaise. Le territoire de votre frère [le sultan Abdul Rahman] s’étend au
large des côtes sur l es îles de Lingga, Bintan, Galang, Bulan, Karimon et toutes les
autres îles. Tout ce qui se trouve en mer appartient à votre frère et tout ce qui se
trouve sur le continent vous appartient.» 76
21. Aux termes de cette lettre, le sultan A bdulRahman cédait au sultan Hussein, sultan de
Singapour et de toutes ses dépendances, le Johor et le Pahang sur le continent ou sur la péninsule
malaise, et se réservait «toutes les autres îles» et «[t]out ce qui se trouve en mer». De toute
évidence, l’on ne saurait interpréter littéralement les expressions «toutes les autres îles» et «[t]tout
ce qui se trouve en mer». Ces expressions ne peuve nt s’appliquer aux îles qui n’appartenaient pas
au sultanat (comme Pedra Branca) ou aux îles cédées aux termes mêmes de cette lettre de donation.
En conséquence, il est impossible de déterminer l’étendue des territoires cédés ou conservés par le
sultan Abdul Rahman par une lecture littérale de la lettre, qui doit être replacée dans son contexte.
Quel est donc ce contexte? Comme M.Schrijver l’a souligné, les Néerlandais avaient besoin du
sultan AbdulRahman pour «traduire dans les fa its» les arrangements conve nus dans le traité
34 anglo-néerlandais, et «inclure dans cet accord la partie du Royaume de Johor se trouvant dans la
77
sphère d’influence britannique» . Les Néerlandais voulaient que le sultan Abdul Rahman cède au
sultan Hussein les parties de son territoire se trouvant dans la sphère d’influence britannique.
22. Dans ce contexte, l’étendue du territoire donné au sultan Hussein apparaît clairement. Il
s’agit de toute la partie du territoire du sultanat qui se trouve au nord du détroit de Singapour. Le
sultan Abdul Rahman fournit également une description détaillée des territoires respectifs des deux
76
Lettre en date du 25juin1825 adressée au sultan Husse in par le sultan Abdul Rahm an (CMS, annexe5); les
italiques sont de nous.
77Extraits de la lettre en date du 31août1824 adrée au gouverneur des Indes or ientales néerlandaises par
Elout (RM, annexe 2), tels que cités dans le CR 2007/25, p. 31, par. 27 (Schrijver). - 26 -
sultans : il conservait les territoires qu’il ne donnait pas au sultan Hussein, à savoir toutes les îles et
tout ce qui se trouvait en mer. En vertu de cette donation, le sultan Abdul Rahman se réservait
expressément toutes les parties de son ancien territoire qu’il ne cédait pas au sultan Hussein.
23. M. Schrijver n’a pas été en mesure de réfuter la thèse de Singapour selon laquelle la ligne
de partage était le détroit de Singapour tout entier. Sur ce point, la thèse de Singapour était, comme
je l’ai démontré il y a quelques instants, également celle du sultan de l’Etat du Johor en 1886, date
à laquelle il demanda l’aide du Gouvernement brita nnique afin de reprendre les îles Natuna, au
motif qu’elles étaient situées au nord du détroit de Singapour. Le Gouvernement britannique rejeta
cette demande, indiquant qu’il avait déjà reconnu la souveraineté néerlandaise sur les Natuna
avant 1886. La correspondance relative à cette question figure à l’annexe 21 du contre-mémoire de
Singapour.
24. En conséquence, la donation était sans incidence sur Pedra Branca, même si l’on suppose
que l’île appartenait au sultan AbdulRahman. Elle ne fut pas cédée au sultan Hussein. Cette
interprétation est confirmée par l’exposé de M.Sc hrijver sur les circonstances dans lesquelles le
sultan Abdul Rahman accepta de céder au sultan Hussein les parties de son territoire situées au sein
de la sphère d’influence britannique.
25. Dès lors, il n’est pas nécessaire de s’intéresser à la question de savoir si la lettre de
donation portait également sur toutes les dépendances du sultan Hussein (ainsi que l’indique le titre
du document lui-même), puisque ces dépendances faisai ent naturellement partie de son territoire,
au nord du détroit de Singapour.
26. La Cour se souviendra que, en 1864, un diffé rend se fit jour entre le Johor et le Pahang
quant à la propriété de certaines îles situées sur la frontière séparant leurs deux territoires. Le
35 différend fut soumis pour arbitrage au gouverneur Ord, lequel rendit une sentence désignée par son
nom. La Malaisie a tenté d’interpréter la senten ce Ord de sorte qu’elle inclue Pedra Branca. Une
telle interprétation est absolument erronée, non seulement parce qu’il n’existait aucun différend
entre le Johor et le Pahang quant à la propriété de Pedra Branca, mais aussi parce que Pedra Branca
n’a jamais été cédée au Johor ou au Pahang. Il serait d’ailleurs fort étrange que le gouverneur ait
attribué Pedra Branca au Johor alors que l’île ne figurait pas dans les termes du différend. Il serait
plus étrange encore que, la sentence Ord ayant attribué PedraBranca au Johor, ce dernier ait - 27 -
déclaré, en1953, ne pas en revendiquer la propr iété. La sentence Ord fut une victoire très
importante pour le Johor et l’on pe ut raisonnablement penser que son secrétaire d’Etat par intérim
ne manqua pas d’en examiner les termes lorsque le gouvernement du Johor décida, en1953, de
déclarer ne pas revendiquer le titre sur Pedra Branca.
L’incident de 1861
27. Puisque nous en sommes à la question du Johor continental, permettez-moi d’éclaircir un
point qui a trait à l’incident de 1861 impliquant des pêcheurs. Jeudi dernier, sir Elihu a évoqué
deux lettres adressées au temenggong par le Gouvern ement britannique au sujet de cet incident 78.
Il prétend que certaines différences subtiles dans le ton des deux lettres révè lent que le gouverneur
britannique ne considérait pas Pedra Branca comme située dans les eaux britanniques. Or, cette
conclusion ne résiste pas à une lecture attentive de ces documents. Ce que sir Elihu oublie de dire,
c’est que les deux lettres portent, en réalité, sur le même incident. L’analyse complète qu’en a
79
donnée Singapour à l’appendiceB de sa réplique ⎯et que je ne reprendrai pas ici ⎯ démontre
très clairement que les pêcheurs singapouriens concernés et les autorités britanniques de Singapour
considéraient que le temenggong n’avait ni juridiction ni autorité dans les environs de Pedra
Branca.
Conclusion
28. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, le cŒur du problème est de savoir d’où
vient ce titre originaire revendiqué par la Malaisie. Quelles en sont les preuves? Jamais la
Malaisie n’a pu répondre à cette question cruciale. Où sont les éléments de preuve attestant que le
Sultanat de Johor a revendiqué ou exercé la souveraineté sur PedraBranca ou ses eaux
36 avant 1847 ? Il n’en existe aucun et il n’est donc pas surprenant que la Malaisie invoque un temps
immémorial ou une possession immémoriale.
29. Avant de conclure, permettez-moi de revenir sur les propos de M. Crawford, selon lequel
chacune des Parties doit apporter la preuve de ce qu’elle avance 80. Nous en convenons. La
78CR 2007/26, p. 45, par. 48-52 (Lauterpacht).
79
RS, app. B.
80CR 2007/24, p. 58, par. 2 (Crawford). - 28 -
Malaisie doit donc prouver que Pedra Branca appartena it au Sultanat de Johor et, si elle y parvient,
elle doit encore prouver que le titre originaire du sultanat a été transmis à l’Etat malais du Johor.
Pour les raisons que j’ai exposées dans ma plaidoirie du premier tour 81 et aujourd’hui, je me
permets respectueusement d’avancer que la Malaisie n’a pas réussi à prouver ces deux affirmations,
et qu’elle ne détient pas de titre originaire sur Pedra Branca.
30. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, avant de regagner mon siège,
permettez-moi de remercier sincèrement la Cour pour l’amabilité et la patience avec lesquelles elle
m’a écouté plaider au nom de la République de Singapour, dans ce qui sera ma première et dernière
intervention en tant que conseil devant la Cour. C’est pour moi un honneur et un privilège que je
n’oublierai jamais. Je souhaiterais toutefois, en conclusion, indiquer ce qui suit. La Malaisie a
tenté de justifier la lettre de1953 en prétenda nt qu’il s’agissait d’une non-revendication de
propriété, et non de souveraineté. Or, si telle avait été son intention, la Malaisie en aurait quelques
preuves écrites. Le Gouvernement du Johor n’avait absolument aucune raison de déclarer — et il
82
ne l’aurait jamais fait— qu’il «ne reve ndiquait pas la propriété de PedraBranca» , s’il avait été
propriétaire de Pedra Branca. L’ensemble des ac tivités menées de manière continue par Singapour
et le silence continu de la Malaisie relativemen t à cette formation, à compter de 1847, concordent
avec cette déclaration de non-revendication de 1953, et sont confirmées par elle. En réalité, et en
toute logique, l’absence de titre malaisien sur Pe dra Branca était la source et l’origine — le fons et
origo— de la déclaration de non-revendication du titre de 1953. Le Johor a indiqué ne pas
revendiquer le titre parce qu’il ne le possédait pas. Que dire de plus ?
Monsieur le président, puis-je vous prier de bien vouloir appeler M.Pellet à la barre pour
poursuivre les plaidoiries de Singapour ? Je vous remercie.
37 Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, M. Chan, pour votre
exposé. Je donne maintenant la parole à M. Pellet.
M. PELLET: Thank you very much, Mr. President.
81
CR 2007/20, p. 52, par. 48 (Chan).
82Lettre en date du 21 septembre 1953 adressée au secrétaire colonial par M. Seth Bin Saaid (secrétaire d’Etat par
intérim du Johor) (MS, annexe 96). - 29 -
THE QUESTION OF TITLE OVER PEDRA B RANCA IN 1847 AND OF JOHOR S “P ERMISSION ”
1. Mr. President, Members of the Court, Malays ia has insisted that “the” crucial question in
this case is who held the original title over Pedra Branca. Mr. President, it is not the question, but
is certainly one of the questions which arise ⎯ and an important one, for if Malaysia cannot
establish Johor’s original title that is the end oits argument, which is totally dependent on this
question, as my opponent and still my friend, Professor Crawford (unlike some people, I do not see
anything dishonourable in the title of Professor. ..) candidly acknowledged in his final pleading
last Friday.
(Slide 1: Professor Crawford’s equations)
Professor Crawford’s equations which are being disp layed behind me show with the utmost clarity
that:
«si... :
1) PBP n’était pas terra nullius en 1847
et [si]
2) comme nous l’avons montré, PBP n’est pas tombée dans la zone d’influence
néerlandaise en vertu de l’accord anglo-néerlandais de 1824,
alors,
3) PBP faisait partie du Johor en 1847.
Et... si :
1) PBP faisait partie du Johor en 1847
et [si]
2) le consentement du Johor à la construction d’un phare valait aussi pour PBP...
alors
38 3) l’administration du phare par la Grande-B retagne ne constituait pas, en droit, un
acte effectué à titre de souverain ...»
83
CR2007/24, p.34, paras.9-10 (Lauterpacht); CR2007/25, p.15, para.9 (Crawford); CR2007/26, p.35,
para. 1 (Lauterpacht); CR 2007/27, pp. 63-64, para. 4 (Crawford).
8CR 2007/27, p. 65, par. 8-9 ; les italiques sont de nous. - 30 -
2. This makes a lot of “ifs”; but the upshot is that if any of the three stated conditions has no
basis, Singapore’s argument carries the day and there is no need to go any further ⎯ which is what
I am going to demonstrate this morning following on from Mr. Chan.
3. However, I wish to stress that the w hole case cannot be summed up in this question,
important though it may be. For if the reply turned out to be positive and Malaysia had surmounted
these three obstacles (which in our view are insu rmountable), it would still have to establish that
this title was subsequently maintained for, to reiterate Max Huber’s celebrated argument in the
Island of Palmas case:
“If a dispute arises as to the soverei gnty over a portion of territory, it is
customary to examine which of the States claiming sovereignty possesses a title...
superior to that which the other State might possibly bring forward against it.
However, if the contestation is based on the fact that the other Party has actually
displayed sovereignty, it cannot be sufficien t to establish the title by which territorial
sovereignty was validly acquired at a certain moment; it must also be shown that the
territorial sovereignty has continued to exist and did exist at the moment which for the
decision of the dispute must be considered as critical.” 85
4. Having said this, I now propose to show that Malaysia has not established the existence of
a territorial title of Johor over the island at all and also that no permission was granted to the British
to settle there by the Sultan or the Temenggong of Johor.
I. Absence of any probative document establishing the existence of an original territorial
title of Johor to Pedra Branca
5. In order to establish Johor’s original title to Pedra Branca, our friends the opposing Party
have resorted to humour and irony alike, and so metimes to ferocity, but have not succeeded in
proving either that the island was not terra nullius , or that it did not fall within the Dutch sphere of
influence defined in 1824, or that it was part of Johor in 1847. These, however, are the three
challenges that they would need to address in accordance with “Mr.” Crawford’s own equations.
[End of Slide 1]
39 6. For purposes of definition of a terra nullius, Malaysia makes much of the Court’s 1975
86 87
Opinion in the Western Sahara case . So, too, do we . And we also think that the key passage is
85Award of 4 April 1928, RIAA, Vol. 2, p. 845.
86
See CR 2007/25, pp. 13-15, paras. 7-8; see too MM, p. 48, para. 98; CMM, p. 10-11, paras. 16-18.
87See CR 2007/21, pp. 22-26, paras. 39-48 (Pellet); see too RS, p. 9, para. 2.10. - 31 -
88
precisely the one cited by Mr. Crawford : “Whatever differences of opinion there may have been
among jurists, the State practice of the relevant pe riod indicates that territories inhabited by tribes
or peoples having a social and political organization were not regarded as terrae nullius.” (Advisory
Opinion, I.C.J. Reports 1975, p. 39, para. 80.) “ Territories inhabited,” Mr. President, not immense
expanses of sea that were neither “inhabited” ⎯ at any rate in the sense in which one inhabits a
territory, nor capable of appropriation. The Sahara and the China Sea or Indian Ocean are not at all
the same thing and one cannot simply transpose to th e two latter the rules applicable to the former.
Granted, the Sahara is scarcely hospitable and is sparsely inhabited, but it is inhabitable and
attributable; the sea is not ⎯ and it is certainly not enough simply to say that Johor constituted a
“maritime empire” for the seas and everything situat ed within them to appertain to it: what
appertained to it were the isla nds over which it could invoke a title, that is, the inhabited islands
(and that is the criterion adopted in the Western Sahara case), whose population owed it allegiance
89
(for, as we have shown at length and Mr.Chan has just reminded us, in the traditional Malay
world, only that link of allegiance enabled a territory to be attributed to a State). Here, however,
we are dealing with a minuscule, inhospitable island ⎯ and thus one that is nullius within the
meaning of the 1975 jurisprudence, unlike ⎯ may I say in passing ⎯ the island of Singapore,
which is not only inhabitable, that goes without saying, but which in 1824 was obviously inhabited,
90
contrary to what is alleged by Sir Elihu (whom I very much hope we will soon see among us once
again): the Temenggong even had his residence at Singapore.
7. And I should like, Mr. President, to open a brief parenthesis on this point. Mr. Crawford,
no doubt wishing to cast us in the role of wicked “colonialists”, explained to us in substance that
international law was one, and that it was not right to seek to deprive Johor of the benefit of the
40 universal principles set forth by the Court in its Opinion 91. May I venture to suggest that it is
perhaps my opponent who shows signs of an ina ppropriate Eurocentrism? This distinguished
Court shows itself more welcoming than he hims elf is to a diversity of traditions and legal
8CR 2007/25, p. 13, para. 7.
89
See CR2007/20, pp.42-45, paras.20-27 (Chan); CR2007/21, pp.23-25, paras.40-45 (Pellet); see too CMS,
pp. 18-24, paras. 3.4-3.12.
90
CR 2007/24, p. 56, para. 72.
9CR 2007/25, p. 14, para. 8.1. - 32 -
concepts: “No rule of international law, in the view of the Court, requires the structure of a State to
follow any particular pattern, as is evident from th e diversity of the forms of State found in the
world today.” ( Western Sahara, Advisory Opinion, I.C.J.Reports1975, pp. 43-44, para. 94.)
Consequently, it is not appropriate simply to transpose the Eurocentric concept of territory to parts
of the world in which, as was the case for the Malay principalities, a different concept of the
sovereign’s relations to the territory prevailed. To take that concept fully into consideration is, to
use the expression of the Court ( ibid., pp. 43-44, para. 94), “justified”. Such is also the opinion of
an excellent legal writer according to whom al legiance enables one to “take account of the
particularities peculiar to certain forms of organization of government, different from the
92
traditional State structure of European origin” [translation by the Registry].
8. That said, whatever concept one adopts, it is certainly not because Pedra Branca was
perfectly well known that it was not capable of appropriation through occupation (Western Sahara,
Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1975 , p. 39, para. 79): a terra nullius obviously does not have to
be incognita. And what is interesting is precisely the fact that, although the island was perfectly
well known, it had never, in any document prior to 1847, been claimed by Johor.
9. Our opponents have cited several documents ⎯ not many, but several. Not one ⎯ except
the 1843article in the Singapore Free Press to which I will return ⎯ mentions Pedra Branca as
falling under its sovereignty:
93
⎯ the Raja Muda anecdote? There is no mention of Pedra Branca;
⎯ the position of Sir Stamford Raffles 9? Nothing on Pedra Branca;
95
41 ⎯ the letter from Crawfurd to the Governo r-General in India dated 10 January 1824 ? Nothing
about Pedra Branca;
⎯ the letter dated3August1824 from Crawfurd to the Secretary to the Government in India 9?
Still nothing about Pedra Branca;
92Marcelo Kohen, Possession contestée et souveraineté territoriale, PUF, Paris, 1997, p. 236.
93CR 2007/25, pp. 18-19, para. 24 (Crawford).
94
Ibid., p. 19, para. 24.
95CR 2007/24, pp. 37-38, paras. 20-22 (Lauterpacht); CR 2007/25, p. 19, para. 24 (Crawford).
96CR 2007/24, pp. 39-40, paras. 28-29 (Lauterpacht). - 33 -
97
⎯ the Crawfurd letter of 1 October 1824, again to the Secretary to the Government in India ?
Again, nothing about Pedra Branca;
⎯ and the Presgrave report of 1828 9? Still no mention of Pedra Branca.
10. The only two documents post-dating the ta king of possession of the island by the British
and cited by Malaysia are equally unconvincing. They are:
⎯ the letter dated 20March 1886 from the Sultan of Johor to the Earl Granville, Principal
99
Secretary of State to the Colonies , which is also silent on the question of Pedra Branca; and
⎯ the entry in Encyclopaedia Britannica written by Sir Hugh Clifford in 1926 100, which also
remains obstinately silent on Pedra Branca ⎯ and, I would note in passing, commits a flagrant
error in placing the boundary between Pahang and Johor at parallel2°40'South, whereas,
under the terms of the Ord Award, it follows the parallel 2° 59' 20" North 101.
11. There only remains the 1843 article in the Singapore Free Press. I could content myself,
Mr.President, with the obvious comment that it ca rries little weight in contrast to the deafening
silence against which it makes its voice heard ⎯ and it does indeed sound the faintest of notes. But
it is also a wrong note ⎯ wrong, because the arguments against its probative value that I put
forward on 6November 102were not refuted last week (not least, I would point out, as regards its
author ⎯ of whom Professor Crawford spoke at lengt h and learnedly last Wednesday and Friday,
even though the author is anonymous 103! The only certainty is that it was definitely not the Sultan
42 of Johor or the Temenggong, whose position on this matter would assuredly have carried more
weight). But a false note, too, because, contrary to what my opponent and friend has affirmed with
equal assurance, it is far from certain that Pulau Tinggi, which the article attributes to Johor, in fact
belonged to Pahang; if the Calcutta court seems to have been of a different view (at any event, if
we are to believe another ⎯ different ⎯ article in the Singapore Free Press summarizing the
9Ibid., p. 40, para. 30.
9Ibid., p. 40-41, para. 31 (Lauterpacht); CR 2007/25, p. 19, para. 24 and pp. 25-26, para. 26 (Crawford).
99
CR 2007/25, pp. 20, para. 24 (Crawford).
100
CR 2007/24, pp. 33-34, paras. 4-8 (Lauterpacht) ; CR 2007/25, p. 20, para. 24 (Crawford).
10See MM, Ann. 86.
10CR 2007/20, pp. 54-56, paras. 7-9.
10CR 2007/25, pp. 21-22, para. 28, and CR 2007/27, p. 64, para. 6. - 34 -
decision 104), such is Crawfurd’s conviction ⎯ that it was Pahang ⎯ in his description of the
105
islands of the region, with which he was intimately acquainted .
12. Thus, apart from this dubious and in any case secondary document, which did not
emanate from the Sultan of Johor or the Temenggong, a ll is silence: Pedra Branca is not named in
any of the documents on which Malaysia bases its claim of original title. I am aware that our
106
opponents will undoubtedly accuse us of “Pedra Branca-centrism” . We are indeed “Pedra
Branca-centric”, Mr.President! The reason for our being so is that, as follows from the 2002
Judgment of the Court in the case concerning Sovereignty over Pulau Ligitan and Pulau Sipadan,
the documents in which the islands claimed by one party are not “mentioned by name” have no
value in matters of claim to title ( Sovereignty over Pulau Ligitan and Pulau Sipadan
(Indonesia/Malaysia), Judgment, I.C.J. Reports 2002, p.674, para.108; see also Territorial and
Maritime Dispute between Nicaragua and Honduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v.
Honduras), Judgment of 8October 2007, para.161). That is what led the Court to exclude, in
particular, legal instruments that confine themselv es to mentioning “the archipelago [or island] of
Sulu and the dependencies thereof” or “all the islands which are found” in a determined area
(Sovereignty over Pulau Ligitan and Pulau Sipadan (Indonesia/Malaysia), Judgment, I.C.J.
Reports 2002, pp.674-675, para.109). That is pr ecisely what we see in the long litany of
documents reeled off by Malaysia last week, which I have just enumerated: all of them refer to “all
the islands” which are found here or there; none mentions Pedra Branca, regarding which it is also
43
not even possible honestly to claim that it can be “said to ‘belong’ . . . geographically” to the coast
of Johor (see ibid., p. 657, para. 64).
13. As Mr.Chan has shown in connection with the 1825 donation, the expression “all the
islands” in the documents of that period (in so far as they relate to this region of the world) cannot
be taken literally.
104
Calcutta Supreme Court, 12 July 1837, R. v. Malay Prisoners , summarized in Singapore Free Press ,
3 August 1837, reproduced in:
http://catalogue.bl.uk/F/KQPN852XAC5LMHJAGREHFNJEK3IBYJ3TF4ACD9GX23YFRY…-
83970?func=fullset-set&set_number=011225&set_entry=000005&format=999.
105
CMS, Ann. 17, p. 167; see too CMS, p. 59, para. 4.39.
10CR 2007/25, p. 19, para. 24; CR 2007/27, p. 64, para. 6 (Crawford). - 35 -
[Slide 2: Extract from MM, insert No. 7 (Crawfurd Treaty, 1824), as amended to show the effects
of a literal interpretation of the Crawfurd Treaty]
But this is proved by other examples as well. You need only think, Members of the Court, of
the 1824 Crawfurd Treaty itself and of the result to which a literal interpretation thereof would
lead. That result is shown once again on the screen: it would enable Singapore to make a claim to
islands which, in fact, clearly do not belong to it.
14. “All the islands” means (and can only mean): “all the islands belonging to the State by
virtue of an established title” ⎯ in accordance with the law in force at that period in this part of the
world, that is, either on the basis of allegiance, or on the basis of geographical attachment in the
sense of immediate proximity to the coasts, as you accepted in your 2002 Judgment (and I take the
liberty of referring you, on this point, Members of the Court, to what was said a moment ago by
Mr. Chao on this question of proximity). However, there can be no “reverse” argument of the kind
used by Malaysia in an attempt to make the e xpression “all the islands” a sort of magic wand with
which to conjure up a title in the way a magician conjures a rabbit out of a hat. “All the islands”
means “all the islands of concern to us”.
[End of slide 2]
15. And this is also how we should look at the opinion of Charles Alexandrowicz, which is
107
cited by SirElihu : it is true that the European States could not acquire territories belonging to
local sovereigns in that part of the world by occupation or discovery , but this tells us nothing about
the nature of those territories. As was pointed out by Harding, a respected jurist and member of the
Doctors’ Commons, concerning an uninhabited island near the coasts of a local Rajah (tab 18 in the
judges’ folder):
44 «[B]ien que la circonstanc e que l’île en question est inhabitée ne soit, de mon
point de vue, en aucune manière, déterminante, il n’en demeure pas moins que, à
supposer qu’elle n’appartienne à aucune nati on et qu'aucun acte de propriété n’ait été
accompli la concernant par aucune autorité reconnue, je conçois fort bien que la
Couronne britannique puisse légalement en prendre possession et se l'approprier pour
108
son propre usage.»
This authoritative opinion dates from 1853.
107
CR 2007/24, pp. 34-35, paras. 11-14.
108
Lord McNair (ed.), International Law Opinions, Cambridge UP, 1956, p. 312. - 36 -
Mr. President, I have some way to go, but I see that time is passing and, if you wish, I could
perhaps interrupt for the break.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Je pense que nous devons avoir une
pause maintenant, MonsieurPellet. Nous repre ndrons à notre retour. Nous allons observer une
pause de dix minutes.
L’audience est suspendue de 11 h 35 à 11 h 45.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Veuillez vous asseoir. Poursuivez,
s’il vous plaît.
Mr. PELLET: Thank you very much, Mr. President.
[Return to slide 1]
16. Mr. President, to sum up:
⎯ Pedra Branca was res nullius, on the eve of the taking of possession by the British; and
⎯ Malaysia has established no territorial title of Johor to the island.
Already, we have two of Mr.Crawford’s “ifs” that are not satisfied ⎯ and, as he himself
admits, that should be enough, Members of the Court, to attribute Pedra Branca and its
dependencies to Singapore since, I repeat, these are cumulative conditions, which must all be
satisfied. The third “if” ⎯ the third condition ⎯ for Malaysia to win its case is not fulfilled either.
Indeed, it is not established that Pedra Branca was included in the British s phere of influence as a
result of the 1824Treaty. Furthermore, I do not think that this question is sufficient in itself. I
shall make only two observations on this score ⎯ but I regard them as important ones.
17. The first is that the purpose of the 1824Treaty was not to draw a boundary but to
establish the respective spheres of influence of Great Britain and the Netherlands. As a result, on
the one hand, the limit could without difficulty be made somewhat approximate ⎯ and it was,
since Article 12 of our Treaty establishes the “Straits of Singapore”, without any other explanation,
45 as the limit dividing the British zone from the Dutch zone 109. On the other hand, this could not
109
See CR 2007/20, p. 48, para. 37 (Chan); see also CMS, pp. 30-31, para. 3.23; RS, pp. 17-19, paras. 2.24-2.27
and pp. 21-22, para. 2.34. - 37 -
result in any “attribution” of territories ⎯ and certainly not of uni nhabited sma ll islands:
“influence” was to be exercised over political entities.
18. In addition, and this is my second observation, such an instrument could not in any
manner deprive the local sultans either of their sovereignty or of their territories and, as Mr. Chan
has pointed out, it is rather surp rising, and in fact shocking, th at ProfessorSchrijver denied any
legal effect to the 1825 donation on the pretext that the division had been made by the Treaty of the
previous year 110: Malaysia cannot set itself up as the cham pion of Johor’s sovereignty and at the
same time claim that the European Powers were entitled blithely to carve up its territory. In fact,
the Treaty regarding spheres of influence was res inter alios acta for the sultanate, and, even
though it was no doubt under pressure from the Neth erlands that Sultan Abdul Rahman ceded part
of his territories to his half-brother Su ltan Hussein, the fact remains that it was this instrument, the
donation, which effected the division from the legal standpoint.
[Slide 3: letter dated 25June1825 from Sulta n Abdul Rahman to Sultan Hussein (extracts)
(judges’ folder, tab. 16)]
19. And this instrument is clear: continental or peninsular Johor went to Hussein; but the
islands ⎯ all the islands ⎯ went to Abdul Rahman, with an important rider to which I would draw
your attention: «Sur cette base, je vous demande in stamment de faire en sorte que vos notables, le
PadukaBendahara du Pahang et le temenggong Abdul Rahman, ne s’occupent en rien des îles
appartenant à votre frère .» 111 The purpose of the donation was to define what was not clearly
defined in the 1824 Treaty, to define “our respective empires”, the limits of which, as Mr. Chan has
shown, were set too vaguely in the Straits of Singapore by the Treaty regarding spheres of
influence. There then follows the description:
«Votre territoire, donc, s’étend sur le Johor et le Pahang sur le continent ou sur
la péninsule malaise. Le territoire de votre frère s’étend au large des côtes sur les îles
de Lingga, Bintan, Galang, Bulan, Kari mon et toutes les autres îles. Tout ce qui se
46 trouve en mer appartient à votre frère [de Riau] et tout ce qui se trouve sur le
112
continent vous appartient. Sur cette base, je vous demande instamment ...»
20. In other words:
11CR 2007/25, pp. 31-32, para. 29.
111
CMS, Annex 5 ; les italiques sont de nous.
11Ibid. - 38 -
⎯ the Anglo-Dutch Treaty of 1824 could not oblige Johor, a sovereign State ⎯ we do not at all
113
dispute Grotius’s authority on this point ⎯ to dismember its territory by means of a treaty to
which it was not party;
⎯ this division took place only as a result of the 1825 donation, by which Sultan Abdul Rahman
(who remained in Riau) ceded to Hussein the contin ental part of the former Sultanate of Johor,
but reserved for himself all the islands (“all other islands”);
⎯ consequently, if Pedra Branca was not to be considered as terra nullius, quod non, legally it
would have remained in the territory of Riau-Lingga.
[End of slide 3]
21. Very well, you will tell me! So, today, should PedraBranca revert to a third party? If
such were the case, that would be known, Mr.President! But such is not the case, since
Pedra Branca belongs to Singapore: Singapore inherited it from the United Kingdom, which took
possession of it and occupied it peacefully and uninte rruptedly from the time of the construction of
the Horsburgh lighthouse in 1847-1851. But how was it able to acquire such title? It is our firm
conviction that it was because, when it occupied the island, it was res nullius, as I believe I have
shown. And if it was not, it would in any case have become so by default as a result of the constant
lack of interest shown by the only potential ruler, the Sultan of Riau, vis-à-vis the island and the
activities conducted thereon by the British and, sub sequently, by Singapore, dating back 150 years.
However, in both cases, the result is the same: sovereignty belongs to Singapore.
II. The alleged “permission” given by Johor
22. Mr. President, I still need to say a few words about the alleged “permission” given by
Johor in 1844 ⎯ but, at the risk of disappointing my friend Marcelo Kohen, without feeling the
need to venture once again into the twists and turns of the exchange of correspondence surrounding
114
47 this pseudo-authorization. For two reasons: first, it has all been said before ; second, because
Malaysia’s entire strategy rests on a specious prem ise. Instead of beginning with a proven title in
113
Cf. CR 2007/24, p. 35, para. 12 (Lauterpacht); or CR 2007/ 25, p. 36, para. 41 (Crawford); CR 2007/27, p. 19,
para. 30 (Schrijver).
11CMS, pp.82-92, paras.5.28-5.50; RS, pp.38-43, pa ras.3.8-3.22; CR2007/21, pp.27-34, paras.50-65
(Pellet). - 39 -
order to demonstrate the existence of permission as to a particular territory, Malaysia engages in a
double piece of legerdemain: it begins with “a” permission concerning an unspecified territory and
then asserts that “therefore” this permission concerned Pedra Branca and that “therefore again”
Pedra Branca belonged to Johor.
23. Because this is exactly how our friends on the other side of the aisle are proceeding:
⎯ thus, Sir Elihu goes so far as to include the “Butterworth correspondence of 1844” among the
115
eight items he cites to show that “Pulau Batu Puteh was not terra nullius in 1847” ⎯ and
this is the item to which he devotes the most time 116;
⎯ similarly, Professor Kohen reverses the issue wh en he claims that “such a permission can only
mean an affirmation of Johor’s sovereignty” 117.
But over what? This is putting the cart before th e horse, Mr. President: permission can only cover
a territory over which Johor exercises sovereignt y; yet it does not have sovereignty over Pedra
Branca, which, as I have shown, is either terra nullius or, perhaps, terra sultanatis Riau ⎯ but in
any case not johoris. And then, at any rate, Malaysia is rea lly quite foolhardy to rest its entire case
(which, let us not forget, concerns sovereignty over Pedra Branca) on a letter which does not
mention that name ⎯ and which in all likelihood contains no implicit reference to it.
24. Leaving aside the insinuation, offensive to Singapore and gratuitous, as
Professor Jayakumar has shown, that we are in possession of the text of the British request but have
not produced it, I share ⎯ for once ⎯ Sir Elihu’s view that «[d]ès lors, il nous faut envisager deux
hypothèses qui peuvent être déduites de la co rrespondance disponible, considérée dans son
ensemble» 118:
⎯ either Governor Butterworth’s letter referred specifically to Pe dra Branca, which would have
implied that he recognized the island as belonging to Johor;
48 ⎯ or he did not refer to any specific place and, in this case, quite simply nothing at all can be
inferred either from the Governor’s letter or from the reply.
115CR 2007/24, p. 36, B.
116
See ibid., pp. 42-43, paras. 34-36.
117
CR 2007/25, p. 48, para. 40.
118CR 2007/24, p. 42, para. 35. - 40 -
25. As for the first hypothesis: one can speculate ad infinitum as to the content of the
Governor’s request, but what is clear is that the reply does not mention Pedra Branca; that is all we
know. Moreover, Malaysia’s assumption appears utterly preposterous in that it seems obvious that,
if Butterworth had mentioned Pedra Branca, the Temenggong would certainly have repeated the
name, as he did refer to Peak Rock.
26. On the other hand, regardless of its source, the Temenggong’s reply does contain the
expression “any spot deemed eligible”. That can only mean “any other place it deems appropriate
amongst the possessions of Johor ”, because the request for permission could, of course, only bear
on such possessions. But that did not mean in advance that the location ultimately chosen would
automatically “fall” under the sovereignty of Johor. The reasoning is quite absurd ⎯ but it is what
our opponents are arguing 119.
[Slide 4: Chart of the vicinity of Horsburgh li ghthouse and the adjacent Malayan coast, drawn by
J. T. Thomson (1851) annotated to show distances separating it from the Malayan coast (RS,
insert 6) (judges’ folder, tab 19)]
27. I shall not return in detail to a chronology which has been amply commented on by
Singapore 120 and which, in my opinion, Marcelo Kohen has not impeached 121. And it is certainly
not enough to proclaim, as he did, “[i]t is the same project, of the Horsburgh lighthouse, regardless
of its final location” 122 in answer to the question, because our problem is precisely not the
lighthouse but its location. And, as I have alread y shown and have no need to dwell on again, in
1844, when Butterworth wrote to the Sultan and the Temenggong, the pendulum pointed to Peak
Rock, even though other locations “near Point Romania” (à proximité de Point Romania) had not
been completely abandoned ⎯ hence, no doubt, the expression “an y spot deemed eligible”. Nor
shall I revisit the question of proximity, addressed a short while ago by Mr.Chao. But the
49 sketch-map now appearing behind me no doubt vies in eloquence on this point with the Attorney-
General: it shows that Pedra Branca is not “near Point Romania”.
11See para. 23 above.
120
CR 2007/21, pp. 30-31, para. 61 (Pellet); see also CMS, pp. 82-88, paras. 5.29-5.41.
12CR 2007/25, pp. 44-46, paras. 26-34.
12Ibid., pp. 46-47, para. 34; emphasis in original. - 41 -
28. It is also only for the record that I shall return to two other arguments in which
Professor Kohen appears to have taken great pleasure:
[End of slide 4]
⎯ The fact that the 1844 correspondence was appended to Butterworth’s final “full” report on the
erection of the lighthouse is, in my view, complete ly devoid of legal effect: this is a matter of
sound administrative practice and nothing could be less out of the ordinary than for a
conscientious civil servant, once a matter has been concluded, to place all the relevant
documents in the file. I have no inside knowledge of British practices in this regard but anyone
with even a little experience of the Foreign Office records, as I have had occasion to acquire,
cannot help but be struck by the nearly obsessive (and laudable) care taken to archive
everything; Butterworth’s report is one more example of this.
[Slide 5: Comparison of case and care]
⎯ And I do not wish to cross swords again for very long on the handwriting question (by which, I
admit, I am not personally impassioned); a single remark: Marcelo Kohen accompanied his
statement on this point with a slide which tr oubled me at the time and which appears once
again on the screen. But, after fuller examinati on, it is only “half-troubling” because Malaysia
carefully confined itself to juxtaposing the disput ed word with the other instances of “case” in
the report; however, it seems to me that one is at least as “half-troubled” when going through
the same exercise, comparing the same word w ith those in the same document containing the
letters “r e”, which is done in the table we have prepared... I leave you, Members of the
Court, to reflect on this serious question, but I, for my part, must say that I see no harm in
either “care”or “case”: whether one or the other, I do not think that much can be inferred from
it, even if, given the context, “care” would appear more logical and even if, contrary to what
Malaysia claims 123, it is not unusual to find the expression “care of the light” or “of the
50
lighthouse” in the literature on lighthouses ⎯ for example, it appears in Alan Stevenson’s book
123
See RM, p. 79, para. 158, or CR 2007/25, pp. 55-56 (Kohen). - 42 -
(contemporary with the events I am talki ng about, dating as it does from1848) on the
Skerryvore lighthouse 124 ⎯ you will find this at tab 21 in your folder.
[End of slide 5]
29. There remains, however, a much more serious argument which warrants a few words.
Malaysia has repeatedly boasted that the colonial authorities never raised the argument of Johor’s
125
sovereignty as something to be taken into account in choosing the location for the lighthouse and
Mr. Kohen said it again last week. This is not correct. In his letter of 7 November 1850 to
126
Governor Butterworth, ThomasChur ch, Resident Councillor at Singapore , explained very
clearly that one of the reasons militating in favour of choosing Pedra Branca over “a Station near
Point Romania” was that Romania “belongs to the Sovereign of Johore, where the British possess
127
no legal jurisdiction” . He of course deduced a contrario that the position was different at Pedra
Branca, over which the British could claim full, unencumbered authority ⎯ and that is called
sovereignty.
[Return to slide 1]
30. Thomas Church was right, Mr. President,
⎯ when the British took possession of it, Pedra Branca was terra nullius;
⎯ if it absolutely had to be attributed to a local ruler, it would have come under the authority of
the Sultan of Riau-Lingga and certainly not under that of the new Johor; and
⎯ in no way did the permission given by the Su ltan and the Temenggong extend to our island,
which is not mentioned in their letters, which is not “near Point Romania” within the meaning
128
ascribed by Professor Kohen , and which in 1844 was not considered a suitable location for
the erection of the Horsburgh Lighthouse.
51 QED, according to James Crawford.
[End of the slide]
124
Account of the Skerryvore Lighthouse with Notes on the Illumination of Lighthouses, Adam and Charles Black,
North Bridge, Edinburgh/Longman and Co., London, 1848, p. 46.
125
CR 2007/25, p. 40, para. 10 (Kohen).
126
MS, Ann. 48.
127MS, Ann. 48; see also CMS, p. 100, para. 5.72 or pp. 107-108, paras. 5.88-5.90; RS, pp. 36-37, paras. 3.5-3.7.
128CR 2007/25, pp. 49-52, paras. 43-53. - 43 -
Members of the Court, many thanks for your attention. May I ask you, Mr. President, to
give the floor to my distinguished friend and colleague Mr. Brownlie?
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Je vous remercie infiniment,
M. Pellet. Je donne maintenant la parole à M. Brownlie
M. BROWNLIE : Je vous remercie, Monsieur le président.
L’ACQUISITION DU TITRE SUR PEDRA B RANCA EN 1847-1851
L’approche générale de la Malaisie
1. Monsieur le président, Messieurs les juges, cette grande salle de justice constitue, à
différents égards, un cadre agréable pour un avocat. On peut notamment y prendre plaisir à écouter
l’éloquence chevronnée de vieux amis qui s’exprimen t pour la Partie adverse. Mais, Monsieur le
président, je dois avouer que les plaidoiries de m es amis de l’autre côté de la barre ont été
décevantes car la rhétorique n’était pas assortie d’arguments solides.
2. L’approche générale de la Malaisie se caractérise par une série de défauts.
3. On note, tout d’abord, une forte tendance à manquer de continuité dans l’ordre des
plaidoiries, et cela sous deux formes. Il y a, tout d’abord, l’habitude établie de
sir Elihu Lauterpacht de mentionner le mémoire de Singapour, tandis que, répondant à ma
plaidoirie du premier tour, il ne fait référence ni au contre-mémoire ni à la réplique.
4. Et, étant donné l’échange simultané des pièces à chaque étape de la procédure écrite, il est
évidemment grave de ne pas tenir compte des pass ages pertinents de la ré plique. Le fait est que
nombre des questions soulevées par le conseil de la Malaisie sont examinées en détail aux pages 35
à 94 de la réplique de Singapour.
5. La tendance à ne pas tenir compte du conte nu de la réplique va de pair avec une autre
tendance de la Malaisie qui cons iste à éviter de répondre aux exposés présentés au pre
mier tour au
nom de Singapour. En ce qui concerne notre prés entation sur l’acquisition du titre, sirElihu est
resté muet sur les sujets suivants: premièrement , la question du droit applicable; deuxièmement,
l’emploi tendancieux de la cinquième édition de l’ouvrage d’Oppenheim, International Law, par la - 44 -
Malaisie; troisièmement, l’évident mépris de la Malaisie pour les sources du droit intertemporel
applicable ; et enfin, la nature des actes à titre de souverain.
52 6. Un deuxième défaut de taille tient à d es revirements soudains dans l’appréciation de
questions de fait essentielles. Ainsi, dans son e xposé de jeudi, sir Elihu était prêt à reconnaître
l’importance de Thomson en tant qu’auteur de ce qu’il qualifiait désormais de «récit le plus
complet des événements qui se déroulèrent penda nt ces années critiques» (CR 2007/26, p. 17,
par.27). Cette reconnaissance s’oppose à la ma nière dont Thomson est traité dans les pièces de
procédure écrite de la Malaisie, où il est présenté comme une sorte d’imposteur. Je fais référence
ici aux paragraphes 105 et 106 du contre-mémoire de la Malaisie.
7. Un troisième défaut majeur tient à la répé tition des altérations de la logique juridique que
l’on trouve dans les pièces de procédure écrite de la Malaisie.
8. La première de ces altérations concerne la nature de l’activité à titre de souverain. Le
conseil de la Malaisie insiste sur le fait que la construction d’un phare, même si le projet est
organisé et financé par un gouvernement, ne constitue pas la preuve d’une intention d’acquérir un
titre sur le territoire. Je renvoie ici aux arguments exposés jeudi par sir Elihu Lauterpacht
(CR 2007/26, p. 21, par. 42-44).
9. Sir Elihu fait référence aux travaux publics inhérents à la construction du phare et indique
ensuite :
«43. De toute évidence et cela va de soi, ces éléments correspondent aux
dispositions qui devaient être prises en vue de la construction du phare. A l’exception
peut-être des deux premiers, ils décrivent en tous points les dispositions qu’une société
privée devait prendre à l’époque si elle av ait été engagée pour planifier et exécuter
l’ensemble des travaux. Il n’en reste pas moins que le fait qu’ils ont été réalisés par le
gouvernement ne signifie pas que ces travaux, pris séparément ou dans leur ensemble,
témoignent d’une intention de revendiquer le territoire sur lequel ils ont été menés.»
Et sir Elihu poursuit :
«44. L’argumentation de Singapour consiste à réunir ces éléments en un
processus continu qui semble montrer que le gouvernement avait l’intention d’acquérir
un titre sur le territoire. Mais pareille c onclusion constitue une extrapolation exagérée
⎯ voire fictive ⎯ à partir d’une série de faits qui , examinés de près, correspondent
exactement à ce qui devait être fait pour la construction du phare. La Malaisie ne
conteste pas que la Grande-Bretagne a construit le phare. Mais elle ne trouve, dans ce
processus, aucun élément traduisant une intention parallèle ⎯une intention non
déclarée ⎯ de la part de la Grande-Bretagne de revendiquer le titre sur le territoire. Il
est à noter que, dans la documentation de cette époque, l’on ne trouve pas le moindre - 45 -
mot indiquant que la Grande-Bretagne était animée d’une telle intention.»
(CR 2007/26, p. 21, par. 43-44.)
10. Monsieur le président, il s’agit là d’un très bon exemple du raisonnement par lequel la
Malaisie cherche à distraire la Cour de la situa tion de droit et de fait dans son ensemble. Et ce
raisonnement est sans aucun fondement juridique. Je m’explique.
11. En premier lieu, il est bien évidemment indifférent que les travaux soient réalisés par une
société privée. En réalité, c’est bi en un entrepreneur privé qui les a réalisés. Le fait est que le
statut privé ou public de l’entrepreneur n’a au cune importance pour autant que la construction ait
53 été entreprise sur les instructions de la Couronne britannique. Et, comme sir Elihu l’indique : «La
Malaisie ne conteste pas que la Grande-Bretagne a construit le phare.»
12. En second lieu, il n’est pas démontré que les Britanniques entendaient créer un bien qui
ne constituât qu’une propriété privée. Au contraire, il existe des éléments de preuve documentaires
suivant lesquels les autorités britanniques étaient tr ès conscientes de l’importance de l’attribution
de la souveraineté entre les puissances présentes dans la région. Et je renvoie ici à ma plaidoirie du
premier tour (CR 2007/21, p. 35-36, par. 7-11).
13. Le contexte général était caractérisé par la coexistence d’entités politiques. Il y avait un
lien naturel entre l’utilisation exclusive d’un territoire et la souveraineté sur ce territoire. C’est
donc à juste titre qu’en 1850, le secrétaire général des Indes orientales néerlandaises parlait de «la
construction d’un phare…en territoire britannique». En outre, aucun instrument de droit privé,
comme par exemple un contrat synallagmatique, ne fut utilisé.
14. En troisième lieu, le conseil de la Mala isie dissocie sans raison juridique, dans son
analyse, la question de l’intention de celle du proc essus de la prise de possession. Cela s’inscrit
dans la tendance de nos éminents adversaires à fragmenter les éléments de preuve du titre. La
construction du phare représentait la mise en prati que de l’intention de la Couronne britannique
telle qu’elle est exprimée dans de nombreux documents officiels.
15. La Malaisie aborde la question de la preuve en partant du principe que le droit applicable
suppose l’exécution d’un acte officiel d’annexion. Ce n’est rien de plus qu’une affirmation. La
souveraineté peut bien évidemment être démontrée à partir d’autres sortes d’éléments de preuve. - 46 -
La prise de possession légale
16. Monsieur le président, Messieurs les jug es, j’invite la Cour à se mettre à la place des
autorités britanniques. La décision est prise de c onstruire un phare sur une île, laquelle ne fait pas
partie du Johor, et les opérations nécessaires à cet effet exigent d’utiliser l’île dans sa totalité et
d’en avoir l’usage exclusif. Tout gouvernement me nant à bien une telle entreprise aurait à choisir
entre deux formes de sécurité politique et juridique . Le choix consisterait soit à passer un accord
avec le souverain, s’il y en a un, du territoire en question, soit à s’arroger la souveraineté sur la base
d’un processus pacifique de prise de possession.
54 17. Tout porte à croire que le Gouvernement britannique fit le second choix. Concrètement,
le premier choix était tout simplement irréalisable. Une fois la décision prise de ne pas construire
le phare sur Peak Rock, le choix de Pedra Branca ne concernait plus les territoires du sultan du
Johor. Et il est parfaitement clair que Pedra Bran ca ne pouvait être confondue avec Peak Rock : je
vous renvoie à la lettre datée du 28 novembre 1844 que le gouverneur Butterworth adressa à Currie
et qui se trouve à l’annexe 13 du mémoire de Singapour.
18. En outre, la position de la Malaisie sur la question de l’acquisition du titre revient à
évacuer, pour l’essentiel, le lien de causalité en l’esp èce. Le fait est que, sans une décision de la
Couronne britannique de construire un phare sur Pedra Branca, aucun phare n’y aurait été édifié.
Ainsi, ce fut le gouvernement qui premièrement choisit le site définitif, qui deuxièmement octroya
le financement, qui troisièmement décida des modalités du financement et qui enfin prit la décision
finale de construire le phare.
19. Lorsque le directoire de la Compagnie des Indes orientales décida, en février 1847, que
PedraBranca serait le site du projet, la ques tion du financement public prit de l’importance.
Lorsque le directoire approuva le projet en septembre 1849, il le fit sur la base d’une taxe qui serait
prélevée sur le trafic maritime dès que la construc tion du phare serait achevée. Comme la Cour le
comprendra aisément, seule une puissance publique peut avoir recours à une telle méthode de
financement.
20. Les documents essentiels sont les suivants. Le premier est la lettre du 5 septembre 1849
adressée au gouverneur général de l’Inde en conseil par le directoire de la Compagnie des Indes - 47 -
orientales. Cette lettre, que vous trouverez sous l’ onglet 22 du dossier de plaidoiries, se lit comme
suit :
«V Eotcellence,
o
1. Votre lettre n 3 en date du 3 mars relative au projet du phare Horsburgh nous
informe que le coût de ce bâtiment, qui ne devait à l’origine pas dépasser 7000 dollars,
soit 15 750 roupies, est maintenant estimé à 29 417 roupies, non compris le coût d’un
fanal, ce qui, avec les autres dépenses, portera le coût total à 50917roupies, et cela
non compris le transport des hommes et des matériaux dont il est proposé que le
gouvernement assume la charge. Il est évid ent que même cette estimation majorée,
qui pourra être modifiée par plusieurs impré vus, risque fort d’être considérablement
dépassée, s’agissant d’un ouvrage aussi difficile.
[Puis la lettre se poursuit]
2. Le surcroît des dépenses est dû au choix (consécutif aux échanges avec les
lords de l’Amirauté) de l’île de Pedr a Branca au lieu de PeakRock, comme
55 emplacement du phare, celle-ci étant non seulement beaucoup plus éloignée de
Singapour et bien moins accessible, mais aussi beaucoup plus exposée à l’influence
des vagues lors de la mousson du nord-est, de sorte qu’il est absolument nécessaire
que la structure soit «entièrement recouve rte de granit scellé par du ciment» avec des
fondations en maçonnerie et non constituées de matériaux en briques et en chunan, qui
auraient suffi sur Peak Rock, lequel est situé sur la côte septentrionale du détroit.
3. Le montant des souscriptions reçues à ce jour pour le phare s’él
ève à
22194roupies, soit un défic it de 28723roupies que vous proposez de combler par
une avance du gouvernement et, pour pourvoir au remboursement de ce prêt, vous
proposez aussi que le droit que nous autorisons à prélever sur les navires faisant escale
à Singapour ou quittant les ports indiens et mettant le cap vers la Chine ou l’est de
Singapour, passe d’une roupie à deux dollars ou 4,5 roupies pour 100 tonnes.
[Et la lettre se termine par ce paragraphe]
4. Comme le faible taux en vigueur ser ait insuffisant pour couvrir les dépenses
afférentes à un phare érigé sur Pedra Branca et qu’il ne semble pas y avoir d’autre
moyen, afin d’en assurer la construction et l’entretien, qui soit préalable à l’imposition
d’un droit de tonnage approprié sur la navi gation, nous vous autorisons à prélever un
droit dès que le feu du phare sera visible: mais, convaincus que les dépenses
excéderont le montant que vous avez estimé, nous demandons qu’un droit de tonnage
de 2,5dollars pour 100 tonnes soit prélevé sur les navires susvisés.» (MM, vol. 3,
annexe 31.)
21. Le deuxième document essentiel est la lettre du 27octobre1849 adressée àSetonKarr,
sous-secrétaire du gouvernement du Bengale, par le sous-secrétaire du gouvernement de l’Inde.
Cette lettre, que je cite, se trouve sous l’onglet 23 du dossier de plaidoiries :
«Me référant à la correspondance indiqu ée en marge, je suis chargé par le
o
président en conseil de transmettre la copie ci-jointe de la dépêche n 3 du directoire,
datée du 5 septembre 1849, concernant la construction d’un phare sur Pedra Branca, et
de demander que le gouverne ur de Singapour soit habilité à engager immédiatement
les travaux de construction. - 48 -
2. On remarquera qu’un droit de deux dollars et demi pour chaque centaine de
tonnes devra être prélevé sur la navigati on dès que le phare sera achevé. Une loi
s’imposera à cette fin, et il faut donner des instructions au colonelButterworth pour
qu’il saisisse rapidement l’occasion de soumettre un projet de loi contenant les
dispositions qui seraient jugées nécessaires.» (MS, vol. 3, annexe 32.)
22. Ainsi, la question du financement par la puissance publique était l’élément décisif dans le
processus qui aboutit à la décision de construire le phare. Il ressort, en outre, de la correspondance
échangée entre1842 et1845 que, dès le début, le g ouvernement de l’Inde était censé financer le
phare envisagé.
23. Ces deux lettres, ainsi que l’ensemble des documents versés au dossier, permettent de
rectifier le tableau déformé que M. Kohen a pr ésenté dans son exposé de mercredi (CR2007/25,
par. 3-11).
56 24. Dans son analyse, M. Kohen n’a accordé que peu d’importance à l’édification des piliers
de brique sur PedraBranca. Mais, Monsieur le président, cela constitue un fait marquant qui
prouve que le gouvernement avait l’intention d’y cons truire un phare. En effet, la seule question
qu’il restait encore à trancher à cette époque éta it celle du type de matériau à employer pour la
construction du phare sur Pedra Branca. La décision d’utiliser du granit, et non de la brique, avait
d’importantes conséquences financières. Il fa llait d’abord régler cette question pour pouvoir
évaluer le financement, puis décider de construire. Ainsi, Monsieur le président, Messieurs de la
Cour, l’édification de piliers de brique afin de déterminer quels étaient les matériaux de
construction qui résisteraient à la force de la m ousson était, pour le gouvernement de l’Inde, un
élément décisif du processus décisionnel.
25. En outre, on ne peut que conclure de l’ ensemble de ce processus que le gouvernement de
l’Inde envisageait d’utiliser l’île dans sa totalité et d
e manière exclusive. Il était clair, de surcroît,
qu’aucune autre autorité politique ne participait au processus de décision.
26. Monsieur le président, dans ces conditions, la Malaisie prend ses désirs pour des réalités
lorsqu’elle prétend qu’une annexion formelle était requise ou que la prise de possession n’a pas eu
lieu.
27. Au cours du long processus de sélection de Pedra Branca, il ne fut jamais mentionné que
le consentement du sultan de Johor ou la coopé ration de celui-ci sous quelque forme que ce soit
étaient nécessaires. Aucun Etat tiers n’émit la moindre protestation ou réserve à l’égard de - 49 -
l’activité publique des autorités britanniques su r l’île. Les autres puissances de la région se
contentèrent en réalité d’acquiescer. Les autorités néerlandaises n’exprimèrent aucune opposition
puisque, comme l’indiquait expressément le document néerlandais pertinent, le phare était construit
en territoire britannique.
J’en viens à présent aux arguments de la Malaisie selon lesquels Singapour ne détiendrait pas
de titre.
Arguments par lesquels la Malaisie conteste le titre
Premier argument : les aides à la navigation ne constituent pas une preuve de la souveraineté
28. Le premier argument consiste à dire que les aides à la navigation ne constituent pas une
preuve de la souveraineté. Les conseils de la Malaisie s’acharnent à soutenir que ces aides ne
constituent pas une preuve de l’acquisition de la souveraineté. Mardi dernier, sir Elihu a insisté sur
le fait que :
«Prises ensemble, la jurisprudence et la pratique contredisent totalement la thèse
de Singapour selon laquelle la construction et l’entretien du phare Horsburgh auraient
d’une certaine manière constitué, en eux-mêmes et par eux-mêmes, une «prise de
possession légale» de Pulau Batu Puteh aux fi ns d’en acquérir la souveraineté. La
57 jurisprudence est claire [dit-il]. La c onduite relative à l’administration d’un phare
n’atteste pas, à elle seule, la souveraineté.» (CR 2007/24, par. 56.)
29. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, cela n’a rien à voir avec la thèse de
Singapour. La Malaisie fait, si je puis me permettre, tout à fait fausse route lorsqu’elle prétend que
Singapour a présenté le phare comme une forme d’eff ectivité à l’égard de la prise de possession de
l’île entre1847 et 1851. La pos ition de Singapour consiste à dire que le processus décisionnel et
les activités relatives à la construction constituent une preuve irréfutable de la prise de possession
légale. Il est inacceptable que la Malaisie cherche à fragmenter de manière artificielle ce faisceau
de preuves.
30. En outre, sirElihu prend lui-même so in de nuancer ses propos en déclarant que
l’exploitation de phares et d’aides à la navigation n’est «habituellement pas considéré[e] comme un
critère de souveraineté» (CR 2007/24, par. 55).
31. La position juridique à adopter consiste cer tainement à considérer que le critère de la
preuve applicable au titre est celui de l’intention d’acquérir la souveraineté, position que sir Elihu a
d’ailleurs adoptée dans son exposé de jeudi (CR 2007/26, p. 15-20, par. 16-37). - 50 -
32. Et je voudrais ajouter, pour conclure, que la jurisprudence n’est pas catégoriquement
défavorable à la thèse de Singapour, contrairement à ce que prétend sirElihu. Je renvoie, à cet
égard, respectueusement la Cour à l’analyse de la jurisprudence que Singapour a présentée aux
paragraphes 5.121 à 5.128 de son contre-mémoire.
Deuxième argument de la Malaisie : l’acquisition de la souveraineté exigeait, dans la pratique
britannique, l’accomplissement d’un acte officiel
33. Dans sa plaidoirie de mardi, comme dans celle de jeudi, sirElihuLauterpacht a répété
l’affirmation faite dans les pièces de procédure écr ite selon laquelle, dans la pratique britannique,
l’acquisition de la souveraineté sur un territoire ex igeait l’accomplissement d’un acte officiel (voir
CR 2007/24, p. 44-45, par. 43-44 ; et CR 2007/26, p. 12-14, par. 1-13).
34. La Malaisie, dans ce contexte, se garde de mentionner l’ouvrage qui fait autorité, celui de
Roberts-Wray —au premier tour de plaidoirie, j’ai expliqué ce qui lui confère cette autorité
(CR2007/21, p.47, par.62). Singapour invoq ue deux sources à l’appui de l’idée selon laquelle
l’accomplissement d’un acte officiel est un critère su ffisant, mais pas une obligation juridique. La
première de ces sources est l’ouvrage de sir Kenneth Roberts-Wray, Commonwealth and Colonial
Law, 1966, p.107-108 , la seconde, l’article de sirHumphreyWaldock, British Year Book of
International Law, volume 25 (1948), p. 334.
58 Waldock pose le problème en ces termes — vous retrouverez le passage à l’onglet 24 de vos
dossiers de plaidoiries :
«L’occupation effective est un terme technique qui renvoie non pas à
l’établissement physique, mais à l’exercice effectif, continu et pacifique des fonctions
d’un Etat. La Cour permanente, dans l’affaire du Groënland oriental, n’a pas, en fait,
utilisé l’expression «occupation effective», mais a évoqué un titre fondé sur un
«exercice continu d’autorité» impliquant deux éléments dont l’existence, pour chacun,
devait être démontrée. Il s’agit de 1) l’in tention et la volonté d’agir en qualité de
souverain (autrement dit l’animus occupandi) et 2) quelque manifestation ou exercice
effectif de cette autorité (autrement dit, le corpus occupandi). Le premier élément
semble seulement signifier que doivent exister des preuves irréfutables de la
prétention de l’Etat concerné à être le souverain du territoire. Ces preuves peuvent
prendre la forme de revendications publiques de titre ou d’actes de souveraineté.»
35. Le conseil de la Malaisie a choisi d’ignorer ces auteurs, en dépit de l’autorité dont ils
jouissent dans leur domaine. Mais sir Elihu se s ouviendra certainement de sir Humphrey Waldock, - 51 -
qui fut l’un de ses collègues parmi les c onseils qui plaidèrent dans l’affaire du Canal de Beagle ,
avant, bien sûr, de devenir président de la Cour.
36. Dans sa réponse, sirElihu cite la monographie de Keller, Lissitzyn et Mann
(CR2007/24, p.44, par.43). Mais le ton du passage qu’il cite est loin d’être dogmatique. En
outre, les passages qui suivent celui qu’il cite montre nt très clairement que la pratique était tout
sauf uniforme. Vous pouvez les consulter à l’ongl et25 du dossier de plaidoiries, les passages
pertinents ayant été surlignés. Ainsi les auteurs font-ils observer ce qui suit :
«Il a, cependant, pu arriver que la pr atique britannique se caractérise par une
nette tendance à la simplicité formelle: ainsi s’est-on contenté, dans certains cas,
d’ériger une simple croix de bois portant les armes royales. Il est toutefois peu
probable que le caractère relativement informel de cette pratique ait de quelque façon
que ce soit entamé la validité juridique du titre ainsi acquis. Une telle pratique
constituait tout au plus une déviation mineure par rapport à la procédure habituelle.
En dernière analyse, l’important était clairement, et uniquement, d’accomplir un acte
symbolique, sous quelque forme que ce soit —jamais le degré de formalisme dont
était entouré l’accomplissement de cet acte.» ( «Creation of Rights of Sovereignty
through Symbolic Acts [1400-1800]» [«Naissance de droits de souveraineté par des
actes symboliques, 1400-1800»] (1967), p. 98-99.)
37. Si l’on compare ces passages à ce qu’ont écrit des auteurs faisant davantage autorité et
qui ont été cités Singapour, l’on constatera qu’il exis te peu de désaccords, voire qu’il n’en existe
aucun.
38. Le conseil de la Malaisie présente, co mme revêtant une pertinence, des exemples de
pratique britannique impliquant certains types de formalités (voir CR 2007/26, p. 13-14, par. 9-13).
Monsieur le président, citer des exemples choisis de pratique britannique ⎯ le cas, par exemple, de
Rockall ou de Labuan ⎯ ne peut guère être utile à la Cour à ce stade. Les Parties sont d’accord
pour dire que l’annexion formelle d’un territoire constitue un fondement de titre suffisant. Mais les
exemples invoqués par la Malaisie ne concernent pas la véritable question, qui est de savoir si une
59 annexion formelle est juridiquement nécessaire. Quoi qu’il en soit, la pratique a fait l’objet d’une
analyse relativement détaillée dans nos écritures : je renverrai donc la Cour aux pages 76 à 85,
et 301 à 308, de la réplique de Singapour. - 52 -
Troisième argument de la Malaisie: des ac tes souverains peuvent être accomplis sur le
territoire d’un autre Etat sans que cela implique nécessairement l’intention d’acquérir la
souveraineté sur le territoire en question
39. Cette proposition a été avancée mercredi par sirElihu, qui l’a liée, de manière quelque
peu hâtive, aux notions de cessions à bail et de ser vitudes internationales (CR2007/25, p.65-66).
Le sujet a également été abordé brièvement par M. Kohen et par M. Crawford, dans son exposé de
conclusion.
40. Monsieur le président, non sans regret, je la isserai de côté ces qu estions intéressantes.
L’existence de ce type d’intérêt juridique à l’égard de Pedra Branca n’a été démontrée, ni en faveur
de Singapour, ni en faveur de la Malaisie. Et il est parfaitement év ident que, lorsque la Malaisie a
commencé à revendiquer Pedra Branca à la fin du siècle dernier, elle n’a formulé aucune prétention
de la nature de celles envisagées par sir Elihu.
Quatrième argument de la Malaisie : la cérémonie officielle de pose de la première pierre ne
démontrait pas une intention d’acquérir la souveraineté
41. J’en viens au quatrième argument de la Ma laisie, qui consiste notamment à affirmer que
la pose de la première pierre du phare, le 24ma i1850, ne constitue pas la preuve d’une intention
d’acquérir la souveraineté. Mes éminents cont radicteurs ont cherché à minimiser la valeur
probante de cette cérémonie au moins quatre fois lors du premier tour de plaidoiries. Monsieur le
président, la Malaisie éprouve des difficultés à c hoisir quelle cible viser. Elle tient beaucoup à
affirmer que cet épisode n’équivaut pas à une annexion formelle. Or, Singapour n’a, bien
évidemment, pas prétendu que la cérémonie revêta it un tel caractère. Quoi qu’il en soit, elle
revêtait indéniablement un caractère officiel. Il s’agissait d’une manifestation gouvernementale, et
il s’agissait d’une manifestation singapourienne.
42. Le rôle du maître de la loge maçonnique était subordonné ⎯ clairement subordonné ⎯ à
celui du gouverneur, qui était l’organisateur et l’hôte de la cérémonie. Lorsque le maître de la loge
maçonnique qualifia Pedra Branca de dépendance de Singapour, il le fit en présence du gouverneur
et de tous les autres responsables et invités.
60 43. Toute l’entreprise avait un caractère officiel, et la pose de la première pierre faisait partie
de l’édification tant attendue du phare, qui a été exclusivement planifiée et financée par le - 53 -
gouvernement (voir le mémoire de Singapour, p. 50-58 et ma plaidoirie lors du premier tour,
CR 2007/21, p. 54-59, par. 97-119).
Conclusion
44. Pour conclure, Monsieur le président, je voudrais revenir à la question de la preuve d’une
intention d’acquérir la souveraineté. L’approche adoptée par les conseils de la Malaisie, et en
particulier par sirElihuLauterpacht et M.Kohe n, se heurte à des obstacles insurmontables. En
premier lieu, elle suppose une remise en question de principes juridiques établis de longue date qui
régissent l’acquisition de territoire.
45. L’intention d’acquérir la souveraineté peut être, et est bien souvent, établie sur la base
d’actes de souveraineté, ou, autrement dit, de l’exer cice ou de la manifestation de la souveraineté.
SirHumphreyWaldock a exposé ces principes très clairement dans son article bien connu du
British Year Book . La mise en place, par Thomson, de piliers de brique était directement liée,
directement associée, à l’évaluation des coûts de construction et, ainsi que je l’ai montré, a joué un
rôle déterminant dans la décision de procéder à la construction.
46. Il doit, en deuxième lieu, être tenu comp te de l’importance du but poursuivi à travers
cette entreprise. Celle-ci impliquait nécessairement le contrôle de l’île dans son ensemble et, bien
sûr, son usage exclusif.
47. En troisième lieu, il y avait un lien natu rel entre l’utilisation exclusive du territoire et
l’existence d’une souveraineté sur le territoire. Et, dans ce contexte, l’attitude des autorités
néerlandaises dans la région revêt une pertinence juridique. Le résident néerlandais à Riau dépêcha
des canonnières à PedraBranca; elles y arrivèrent le 6mai1850 et, avec l’approbation des
Britanniques, y demeurèrent tout au long des travaux de construction. Je vous renvoie ici au
rapport de Thomson ( Account, p.424 et 475), et au mémoire de Singapour, annexe61, volume4,
pages 527 et576. C’est cette assistance officie lle fournie par les Pays-Bas, avec l’approbation de
la Grande-Bretagne, qui sert de toile de fond à la lettre de novembre1850 dans laquelle le
secrétaire général des Indes orientales néerla ndaises mentionne «la construction d’un phare à
PedraBranca, en territoire britannique» (RS, a nnexe 8). Cette attitude néerlandaise traduit - 54 -
clairement l’idée d’une souverain eté à l’égard du territoire, et non celle de l’acquisition d’une
propriété privée.
61 48. Vient ensuite l’aspect relatif à la sécurité juridique et politique. Il n’y avait aucun besoin
de procéder à l’annexion formelle de PedraBr anca. Il n’existait aucune source d’opposition
politique au titre de la Couronne britannique et au contrôle exercé par celle-ci. Ainsi n’y avait-il
aucune nécessité politique, ni obligation juridi que, de procéder à une annexion formelle.
L’exercice de la souveraineté était palpable et continu. Il n’y avait de litige ni avec le Johor ni avec
les Néerlandais. Et au cours du long processus décisionnel concernant Pedra Branca, il ne fut fait
aucune mention de la nécessité de s’assurer de la coopération, sous quel que forme que ce fût, du
sultan de Johor.
49. Enfin, aucune considéra tion de droit, de politique ou de sens commun n’imposait à la
Couronne britannique de faire quoi que ce fût pour établir le titre. Tout ce qui était nécessa
ire,
c’était que le titre fût maintenu.
50. J’arrive à la fin de mon exposé et voudr ais réaffirmer les vues de Singapour sur la
pertinence que revêt la décision rendue par la Cour d’appel de l’île Pitcairn (CR 2007/21, p.47,
par.60-61). L’agent de Singapour m’a demandé d’assurer à la Cour qu’une réponse écrite serait
apportée à la question posée vendredi dernier par le juge Keith.
Je voudrais remercier la Cour pour sa patience et son attention habituelles et vous prierais de
bien vouloir donner la parole à mon collègue, M. Bundy.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Je vous remercie, Monsieur Brownlie.
J’appelle à présent à la barre M. Bundy.
Puis-je vous demander sur quoi portera votre exposé, puisque qu’il ne m’en a pas été
communiqué de transcription ?
M.BUNDY: Les questions que je vais traiter —et je risque de devoir poursuivre
demain ⎯, à la suite de M.Brownlie, sont celles de la conduite de Singapour et de la
Grande-Bretagne après 1851 et du maintien du titre; j’aborderai aussi certains points concernant
les phares du détroit. Je pense pouvoir m’interromp re facilement au bout de 15 minutes, cela vous
convient-il ? - 55 -
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Je vous remercie, vous pouvez
commencer.
M. BUNDY : Je vous remercie, Monsieur le président.
62
C ENT CINQUANTE ANS D ’ACTIVITÉS ÉTATIQUES MENÉES PAR S INGAPOUR SUR PEDRA B RANCA
APRÈS 1851 ET SUR LES PHARES DES DÉTROITS
1. Monsieur le président, Messieurs de la Cour, comme je vous l’ai annoncé, j’ai pour tâche
ce matin ⎯tâche que je poursuivrai demain ⎯ d’examiner la conduite de Singapour sur Pedra
Branca et dans ses eaux territoriales après 1851, ainsi que la pertinence de la conduite de la
Malaisie concernant les phares des détroits au cours de cette même période.
2. Il y a deux semaines, lors du premier tour de plaidoiries, j’ai passé en revue les nombreux
exemples de conduite étatique ⎯ ou effectivités ⎯ de Singapour sur Pedra Branca après 1851 et
montré comment cette conduite attestait la mani ère dont Singapour avait confirmé et maintenu son
titre acquis sur Pedra Branca durant la période comprise entre 1847 e
t 1851, examinée par mon
collègue M. Brownlie ; ce titre a été maintenu à tr avers des actions concrètes sur place. Passons à
présent à la question du maintien du titre. Le maintien du titre est un élément important de la
souveraineté, bien que je puisse bien comprendre la sensibilité de la Malaisie à cet égard étant
donné qu’elle a été totalement absente de l’île, aussi bien avant 1851 qu’après.
3. Dans sa réplique, la Malaisie a qualifiéla conduite de Singapour de «secondaire» par
rapport aux principales questions en cause. Mardi dernier, sirElihu Lauterpacht est allé encore
plus loin en minimisant la conduite ainsi d écrite. Il a affirmé que la conduite de la
Grande-Bretagne et de Singapour sur Pedra Bran ca après 1851 était «dépourvue de pertinence» et
que «la Malaisie n’a[vait] pas à répondre d’une que lconque manière» (CR 2007/24, p. 47, par. 48).
Compte tenu du prétendu manque de pertinence de la conduite de Singapour, il est intéressant de
constater que sir Elihu et M. Crawford ont consacré énormément de temps à l’examen de cette
conduite jeudi dernier, même si sir Elihu a admi s ne s’y être attelé «qu’avec la plus grande
réticence» (CR 2007/26, p. 35, par. 1).
4. En fait, l’argument principal avancé par le conseil, c’est qu’«il n’y avait rien à maintenir
ni à confirmer» au sujet de la conduite ultérieure de la Grande-Bretaget de Singapour, à moins - 56 -
qu’un titre britannique sur Pulau Batu Puteh ait vé ritablement existé en 1851 (CR 2007/24, p.47,
par.49). Pour revenir sur les souvenirs d’ écolier de mon éminent collègue, zéro multiplié par
n’importe quel autre nombre fait zéro, et c’est sur la base de ce raisonnement ⎯le théorème du
«casier à homards» («lobster pot» theorem), si j’ose dire ⎯ que sir Elihu a déclaré ensuite : «Soit
la Grande-Bretagne a acquis le titre au plus tard en1851, soit elle ne l’a pas acquis. Dans
l’affirmative, il faut donner raison à Singapour. Da ns la négative, la pr étention de Singapour doit
être écartée sans autre examen. C’est aussi simple que cela.» (CR 2007/24, p. 53, par. 59).
63 5. Le problème de ce raisonnement, c’est qu’il n’est pas question ici de multiplication, où il
s’agirait de multiplier par zéro un quelconque autre nombre. C’est d’addition dont il est question
ici. Cette situation traduit le fait que, s’il n’y a ab solument rien du côté malaisien de l’équation, le
côté singapourien comprend les activités de la couronne britannique dur ant la période de 1847
à 1851, plus les nombreuses activités que la Grande-Bre tagne et Singapour ont menées sur l’île
ensuite. En d’autres termes, un plus beaucoup plus qu’un.
6. Cela dit, par cette assertion, le conseil de la Malaisie s’écarte également de toute la
jurisprudence récente sur la question de la souveraineté contestée sur de pe tites îles, même si mon
estimé collègue affirme avec assurance que «la thèse de la Malaisie est tout à fait conforme à la
jurisprudence de la Cour et à celle des tribunaux arbitraux» (CR 2007/24, p. 51).
7. Pour pouvoir apprécier cet argument, je demande respectueusement à la Cour d’examiner,
une fois de plus, ce que serait la situation si,quod non, la Malaisie était en quelque sorte dans le
vrai en soutenant que les activités menées par la Grande-Bretagne sur Pedra Branca entre 1847
et 1851 n’attestaient pas l’intention d’acqué rir la souveraineté sur l’île à l’époque ⎯ une thèse que
M.Brownlie a minutieusement réfutée. En d’autres termes, quelle serait la situation si la
souveraineté était restée indéterminée à partir de 1851, gardant à l’esprit que la Malaisie n’a avancé
aucune intention du Johor d’exercer la souveraineté sur le territoire litigieux concerné ni le moindre
acte de souveraineté accompli sur ces formations avant cette date.
8. Comme je l’ai souligné lors du premier tour, la Cour se trouverait alors confrontée à la
question de savoir quelle Partie pourrait faire valoir le meilleur titre sur le territoire en litige en se
fondant sur sa conduite à l’égard de ce territoire. Telle est la question que la Cour dut finalement
trancher dans l’affaire des Minquiers et des Ecréhous. Ce fut aussi la question déterminante dans - 57 -
l’affaire Qatar cB. ahreïn concernant la petite île de Q it’at Jarada; dans l’affaire
Indonésie/Malaisie concernant Pulau Ligitan et Pu lau Sipadan; et dans l’affaire Nicaragua
c. Honduras concernant les quatre cayes revendiquées par le Honduras. Et ce fut aussi une
question sur laquelle le tribunal arbitral, présidé par un ancien président de la Cour, s’est penché
dans l’affaire Erythrée/Yémen, qui portait sur un certain nombre d’îles inhabitées de la mer Rouge.
Da9n.s chacune ⎯ je dis bien chacune ⎯ de ces affaires, la conduite des Parties fut évaluée
pour déterminer laquelle avait la primauté des activités étatiques menées à titre de souverain sur les
64 îles en cause, et la question de la souveraineté fut tranchée sur cette base. Le professeur Schrijver
se plaint de ce que Singapour n’a jamais revendiqué de titre sur Pedra Branca avant 1980. Mais
pas plus que le Johor et la Malaisie. Or, comme la Cour l’a si clairement formulé il y a tout juste
un mois dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Nicaragua c. Honduras (et cette déclaration peut
s’appliquer à la conduite de la Grande-Bretagne et de Singapour sur Pedra Branca): «l’existence
d’un titre souverain peut être déduite de l’exercice effectif sur un territoire donné de pouvoirs
relevant de l’autorité de l’Etat» ( Nicaragua c.Honduras, arrêt du 8octobre2007, par.172). Ou,
pour emprunter les termes de l’arbitre unique qui trancha l’affaire de l’ Ile de Palmas : «l’exercice
continu et pacifique de la souveraineté territoriale … vaut titre» (RSA, vol. II, p. 839).
10. En conséquence, je ne vois pas comment la conduite exclusive, pacifique et publique,
suivie de longue date par Singapour aux fins de l’administration et du contrôle de Pedra Branca et
de ses eaux territoriales, à la fois entre 1847 et 1851, et de 1851 à l’heure actuelle, pourrait être
présentée comme «secondaire» ou «dépourvue de pertinence».
11. Jeudi dernier, dans sa seconde intervention sur la conduite postérieure à 1851, sir Elihu a
tenté de faire la distinction entre les affaires dont je viens de parler et la présente espèce. Il a fait
valoir que, dans aucune de ces affaires, l’examen de la conduite des parties n’avait pour point de
départ une conclusion préalable selon laquelle l’une d’elles aurait détenu un titre clair sans que
l’autre invoque la prescription (CR 2007/26, p. 35-36, par. 1). Et il a ajouté : «Ici, la situation est
radicalement différente; toute analyse des efforts entrepris par Singapour après 1851 présuppose
une reconnaissance du titre antérieur du Johor.» (Ibid, p. 36, par. 1.)
12. Ce raisonnement est erroné pour trois raisons fondamentales. - 58 -
13. Premièrement, affirmer que l’évaluati on des activités menées par les Parties après 1851
sur les îles présuppose la reconnaissance du titre antérieur du Johor revient simplement à considérer
comme démontrée une thèse que la Malaisie n’est absolument pas parvenue à prouver. Comment
la revendication d’un titre historique sur Pedra Branca peut-elle subsister si le Johor n’a jamais
manifesté la moindre intention d’ agir à titre de souverain ni de revendiquer la souveraineté sur
Pedra Branca, n’a jamais, ne serait-ce qu’une fois, mentionné le nom de l’île, et n’a jamais mis les
pieds sur Pedra Branca en se prévalant d’une quelconque qualité de souverain? Comment des
titres historiques peuvent-ils résister à ces faits ?
14. Deuxièmement, le conseil fait abstracti on des actes accomplis par la Grande-Bretagne
aux fins de la prise de possession de l’île entre 1847 et 1851 ⎯bien que, honnêtement, je doive
rappeler que sirElihu a effectivement admis que, si la Grande-Bretagne avait acquis un titre
65 en 1851, comme l’a démontré M. Brownlie, il faut donner raison à Singapour : celle-ci détient bien
la souveraineté sur l’île (ibid., p. 35, par. 1).
15. Troisièmement, il est inexact d’affirmer que des affaires telles que celles des Minquiers
et des Ecréhous , Erythrée/Yémen ou Indonésie/Malaisie n’ont pas donné lieu à un examen
préalable de la question de savoir si la revendi cation d’un titre historique était fondée. Dans
l’affaire des Minquiers et des Ecréhous , la Cour rejeta la revendicati on d’un titre historique par la
France parce qu’elle n’avait pas été étayée par des preuves avant que la Cour ne passe à l’examen
de la question de la conduite des Parties sur le territoire contesté. Dans l’affaire Erythrée/Yémen, le
tribunal arbitral rejeta lui aussi la revendication par le Yémen d’un titre historique sur les îles sur la
base des liens avec l’Empire ottoman avant de tranch er l’affaire en se fondant sur les effectivités.
En outre, en ce qui concerne cette affaire-là , le conseil omet de mentionner le fait que
l’administration des phares de la mer Rouge n’était pas pertinente en l’espèce parce que les
puissances coloniales ⎯ la Grande-Bretagne et l’Italie ⎯ avaient conclu un accord particulier : les
conversations de Rome de 1927, dont il est questi on dans la sentence, en vertu desquelles des actes
de procédure de cet ordre resteraient sans conséquen ce sur la question de la souveraineté. Et dans
l’affaire Indonésie/Malaisie, la Cour rejeta les prétentions que les deux Parties faisaient valoir sur
une chaîne de titres avant de trancher l’affaire sur la base des effectivités. M.Pellet nous en dira
davantage demain sur l’affaire Indonésie/Malaisie. - 59 -
16. En examinant la pertinence de la conduite de Singapour sur Pedra Branca après 1851, le
conseil de la Malaisie s’est aussi montré particulièrement sensible à la doctrine de la prescription :
tant et si bien que sirElihu a évoqué la prescription, à la fois dans sa première intervention, en
insinuant que Singapour tentait de persuader la Cour d’accepter une sorte de «pseudo» conduite par
prescription (CR2007/24, p.53), et dans sa dernière intervention, en m’accusant de m’adonner à
une «gymnastique verbale» tendant à donner l’impression que la conduite de la Grande-Bretagne
après 1851 pourrait l’emporter sur un titre historique antérieur du Johor (CR 2007/26, p. 35, par. 1).
Enfin, pour faire bonne mesure, M. Crawford a jugé nécessaire d’évoquer la prescription dans ses
conclusions (CR 2007/27, p. 63, par. 4).
17. Au premier tour, j’ai fait observer que c’ était la Malaisie qui, dans ses écritures, avait
affirmé que Singapour tentait de déplacer un titre antérieur de la Malaisie : et j’ai déclaré qu’il était
inutile pour la Cour d’examiner cette ques tion, et ce pour trois raisons fondamentales.
Premièrement, parce que la Malaisie n’a en aucune manière démontré l’existence d’un titre
historique sur le territoire litigieux concerné ⎯ en d’autres termes, il n’y avait aucun titre du Johor
à déplacer; deuxièmement, parce que la Grande-B retagne a établi son titre sur l’île par les actes
66 qu’elle a accomplis entre 1847 et 1851, point évoqu é par mon collègue; et troisièmement, parce
que, même si le titre n’était pas encore claire ment établi en 1851, Singapour a démontré qu’elle
était la seule des deux Parties à avoir par la suite accompli des actes de souveraineté sur Pedra
Branca. J’ai aussi souligné que c’était la Malaisie ⎯je dis bien la Malaisie ⎯ qui avait déjà
déclaré à la Cour il y a cinq ans que, compte tenu de l’absence totale d’activité de la Partie qui fait
valoir un titre antérieur sur un territoire en litige, l’administration ultérieure du territoire en
question sur une longue période par l’autre Partie suffit à établir un titre en sa faveur.
18. Je me rends compte que je viens de citer une partie des exposés de la Malaisie du premier
tour de plaidoiries en l’affaire Indonésie/Malaisie. Cela dit, comme le conseil de la Malaisie a
négligé de mentionner cet élément la semaine dernière ⎯et je peux certainement comprendre
pourquoi ⎯, il est utile de rappeler l’analyse de la question par la Malaisie: une analyse
postérieure de plusieurs années à l’affaire de l’ Ile de Kasikili/Sedudu à laquelle M. Crawford s’est
référé vendredi dernier. Pour citer encore un extr ait de la déclaration de principe du conseil en
l’affaire Indonésie/Malaisie: «Un titre fondé sur un exercice p acifique et continu de l’autorité - 60 -
étatique l’emporterait en droit international sur un titre d’acquisition de la souveraineté non suivie
d’un exercice effectif de l’autorité étatique.» (CR2002/30, p.35-36, par.22.) C’est la Malaisie
qui s’adressait ainsi à la Cour.
19. Cette observation présente au moins l’avan tage de montrer que la Malaisie elle-même
reconnaît qu’il est pour le moins nécessaire, pour la partie qui revendique un ti tre, de le conserver
⎯ce que la Malaisie n’a jamais fait, même si l’on peut admettre, pour les besoins de
l’argumentation, l’étrange théorie de notre contradi cteur en matière de titre originel: théorie qui
n’a jusqu’ici pas été démontrée.
Monsieur le président, si vous le permettez, je pense que ceci constituerait un moment
approprié pour interrompre ma plaidoirie. Je vous remercie infiniment.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de prési dent: Je vous remercie, M.Bundy. Nous
entendrons le reste de votre plaidoirie lors de l’audience de demain. Je voudrais néanmoins dire un
mot ici: votre nom ne figurait pas sur la liste et bien que je comprenne le besoin de mettre
pleinement à profit et de manière optimale le temps imparti, j’apprécierais si, à l’avenir, une liste
complète des orateurs nous est remise à l’avance.
67 Ceci met fin à l’audience de ce matin. L’audience est levée et reprendra demain matin à
10 heures.
L’audience est levée à 13 heures.
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Traduction