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132-20080909-ORA-01-01-BI
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CR 2008/24 (traduction)

CR 2008/24 (translation)

Mardi 9 septembre 2008 à 10 heures

Tuesday 9 September 2008 at 10 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT: Veuillez vous asseoir. L’a udience est maintenant ouverte et la Cour

⎯j’allais vous parler d’une autre affaire, ce qui aurait donné des sueurs froides au conseil

concerné si je l’avais appelé à la barre! Toujours est-il que la Cour se réunit ce matin pour

entendre l’Ukraine, naturellement, en l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire. Le

juge Ranjeva, pour des raisons qu’il a fait connaître à la Cour, n’est pas en mesure de siéger ce

matin, et je puis donner immédiatement la parole à l’agent de l’Ukraine, S. Exc. M. Vassylenko.

M. VASSYLENKO :

1. DÉCLARATION LIMINAIRE DE L ’AGENT DE L ’U KRAINE

Introduction

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur pour moi que de

paraître devant vous en qualité d’agent de l’Ukraine dans le cadre de cette affaire importante. C’est

la première fois que l’Ukraine se présente devant la Cour interna tionale de Justice. Sa présence

aujourd’hui témoigne de son attachement au dro it international et au règlement pacifique des

différends.

2. L’Ukraine accorde la plus haute importance à la primauté du droit dans les affaires

internationales. La défense du droit internati onal et le strict respect des principes du droit

international qui sont énoncés dans la Charte des NationsUnies, y compris l’obligation de régler

les différends par des moyens pacifiques, sont au cŒur de sa politique étrangère. L’Ukraine

s’attache à cultiver des relations harmonieuses avec l’ensemble de ses voisins, et à régler les

éventuels différends par des négociations et, si nécessaire, par d’autres moyens pacifiques. La

présente affaire en constitue un bon exemple.

3. L’Ukraine entretient avec la Roumanie des relations suivies et constructives, et elle ne

doute pas que tel restera le c as dans l’avenir. Naturelleme nt, certaines questions se posent

inévitablement lorsqu’existe une frontière longue et importante à l’histoire compliquée. Mais

l’essentiel, et les Parties sont toutes deux résolument d’accord là-dessus, est que ces questions

doivent se régler de manière pacifique. - 3 -

4. Il apparaîtra clairement que l’Ukraine n’ a pas accepté de mauvaise grâce de défendre sa

cause devant la Cour en la présente procédure. C’est en fait sur sa suggestion qu’a été ménagée

1
11 dans l’échange de lettres de 1997 la possibilité de saisir la Cour, pour l’une ou pour l’autre des

Parties, si les négociations n’aboutissaient pas dans un délai raisonnable. Certes, d’un point de vue

formel, c’est la Roumanie qui a introduit la présente instance. Mais nous sommes ici d’un commun

accord. La requête de la Roumanie a été déposée en vertu de l’entente existant entre les Parties.

L’Ukraine n’a soulevé aucune exception préliminai re. Restant dans les limites prévues dans

l’échange de lettres, elle n’a élevé aucune objection contre la compétence de la Cour.

Certaines observations générales concernant l’affaire portée devant la Cour

5. Madame le président, Messieurs de la Cour, avant de présenter les conseils de l’Ukraine, il

m’incombe, en ma qualité d’agent, de dire quelq ues mots d’ordre généra l sur l’affaire. Je

commencerai par quelques observations sur la nature du différend dont la Cour est saisie.

6. Tout d’abord, je tiens à souligner que le problème que les Parties ont convenu de

soumettre à la Cour a trait à la délimitation du plateau continental et des zones économiques

exclusives. Il ne s’agit pas ici de la souverainet é territoriale sur l’île des Serpents ou sur quelque

autre territoire. Aucune question ne subsiste entre les Parties en matière de souveraineté

territoriale. Il est déplacé de la part de la Roumanie de profiter de la présente procédure pour tenter

de mettre en cause les droits de l’Ukraine sur son territoire souverain. Je dois rejeter

catégoriquement l’allégation de l’agent de la Roumanie selon laquelle le protocole de1948

concernant la souveraineté de l’URSS sur l’île des Serpents 2 serait en quelque sorte illégitime ou

inique, ou encore contraire aux di spositions du traité de paix de Paris conclu entre les puissances

alliées et associées, y compris l’Ukraine, et la Roumanie 3. Non, le protocole était un instrument

valide ayant force obligatoire, dont l’effet a en outre été confirmé par nombre d’accords ultérieurs

dûment ratifiés par le Parlement roumain — cont rairement à l’impression donnée par l’agent de la

4
Roumanie la semaine dernière .

1 CMU, annexe 1.
2
Ibid., annexe 24.
3
Ibid., annexe 23.
4 CR 2008/18, p. 23, par. 27 (Aurescu). - 4 -

7. Je note également que l’agent de la Rouman ie a déclaré la semaine passée que des troupes

soviétiques avaient occupé la Roumanie en 1944 et installé un nouveau gouvernement, ce qui a

5
donné ensuite lieu à ce qu’il a appelé le transfert illicite de l’île des Serpents à l’Union soviétique .

De manière frappante, toutefois, nulle mention n’a été faite ni du rôle joué par la Roumanie

12 pendant la guerre mais avant 1944, ni de l’o ccupation du territoire ukrainien ou d’autres chapitres

de l’histoire qui intéressent les questions territoriales et replacent les événements du passé dans leur

contexte.

8. Pour ma part, Madame le président, je répugne à ressasser des arguments historiques qui

6
ne présentent aucun intérêt pour la mission actuelle de la Cour . A chaque Partie sa propre vision

de l’histoire, mais tout cela n’a aucune pertinence aux fins de la présente instance. Je me bornerai à

relever pour mémoire que l’Ukraine s’est livrée à une analyse détaillée de la position roumaine sur

les événements historiques au chapitre5 de son co ntre-mémoire, auquel je pr ie la Cour de bien

7
vouloir se reporter .

8
9. Ensuite, il importe d’insister sur le fait que le traité de bon voisinage et de coopération

de 1997 et l’échange de lettres de la même année, entre autres traités, dém ontrent clairement que,

dans l’esprit des parties, il était nécessaire de dé limiter les portions de pl ateau continental et les

zones économiques exclusives leur revenant respectivement, ce qui témoigne de l’absence d’accord

préalable entre elles sur la délimitation des zon es situées au-delà de la frontière d’Etat, laquelle

s’étend à la mer territoriale.

10. L’agent de la Roumanie a affirmé la se maine dernière, au cours de ses observations

liminaires, que le traité de 1997 constituait un «compromis juridique» ou une «formule tout

compris» dans le cadre duquel la Roumanie aurait accepté la souveraineté de l’Ukraine sur l’île des

Serpents, tandis que celle-ci aurait en contrepartie accepté — selon ses termes — l’applicabilité à la

délimitation du plateau continental et des z ones économiques exclusives du paragraphe3 de

5Ibid.
6
CMU, par. 5.4-5.5.
7
Ibid., par. 5.7-5.30.
8Ibid., annexe 2. - 5 -

l’article121 de la convention sur le droit de la mer, tel qu’inter prété par la Roumanie lorsqu’elle

9
signa et ratifia le texte.

11. L’Ukraine nie catégoriqueme nt l’existence d’une telle «formule tout compris». J’étais

moi-même à la tête de la délé gation ukrainienne au stade final des négociations qui ont débouché

sur le traité et sur l’échange de lettres de 1997. Aucun accord n’a été «passé» au-delà du cadre

formel de ces instruments. Comme tout autre traité important, le traité et l’échange de lettres

de 1997 traduisaient effectivement un compromis, dont les modalités sont exposées en détail dans

le texte même de ces instruments. Dans l’échange de lettres, par exemple, l’Ukraine s’est engagée

à ne pas déployer d’armes offensives sur l’île des Serpents. En revanche, il n’est indiqué

13 absolument nulle part que cette dernière ne doit pas être prise en considération aux fins de la

délimitation.

12. La Roumanie n’a produit absolument aucune preuve de l’ex istence d’une quelconque

«formule tout compris». Elle appuye son allégation sur le texte de l’échange de lettres, qui fait

mention de l’article121 (et non du paragraphe3 de cet article, notons-le), et sur la déclaration

unilatérale qu’elle a faite lorsqu’elle a signé et ratifié la convention sur le droit de la mer. Mais ni

le texte de l’échange de lettres, ni celui de la déclaration unilatérale n’établissent d’accord «tout

compris», exprès ou tacite, contrairement à ce qu’avance la Roumanie—ce qui n’est guère

étonnant, puisqu’il n’existe aucun accord de la sorte.

10
13. La Roumanie se prévaut également d’un article de presse, produit à l’audience, qui a

été rédigé par son ancien ministre des affaires étrangères en 2006 11, c’est-à-dire bien après les

événements en question et à une époque où la Cour ét ait déjà saisie de la pr ésente affaire. Nous

invitons la Cour à ne tenir aucun compte de cet ar ticle orienté qui, en tout état de cause, ne reflète

pas la conception de l’Ukraine au sujet des négociations.

14. Je m’arrêterai ici un instant sur les négociations qui ont précédé la soumission du présent

différend à la Cour. Celles-ci ont été menées da ns un esprit d’amitié et de coopération. Aussi

avons-nous été surpris d’entendre l’agent de la Roumanie prétendre la semaine dernière que

9CR 2008/18, p. 26-29, par. 37-45 (Aurescu).
10
CR 2008/18, p. 25-26, par. 32-36 (Aurescu).
11CMU, annexe 22. - 6 -

l’Ukraine avait formulé des propositions qui n’étai ent pas conformes au droit international ou à

12
certains accords antérieurs entre les Parties . Nous rejetons ces allégations. L’Ukraine a toujours

négocié de bonne foi. Etat successeur de l’UR SS, elle a hérité avec la Roumanie d’un épineux

problème. Malgré vingt années de négociations, l’Union soviétique et la Roumanie n’étaient pas

parvenues à s’entendre.

15. Dans ces circonstances difficiles, les deux Parties ont fait de leur mieux pour résoudre le

problème. L’Ukraine a peut-être interprété le droit international de la mer différemment de la

Roumanie, mais elle ne saurait être accusée de mauvaise foi dans les négociations. C’est l’Ukraine

qui a introduit au cours des négociations l’idée d’av oir recours à la Cour internationale de Justice

pour que soit réglée cette question qui risquait de compromettre les bonnes relations des Parties à

l’avenir.

16. Jamais, aussi longtemps qu’ont duré ces négociations sur la délimitation, il n’a été

prétendu que l’Union soviétique et la Roumanie s’étaient entendues sur la limite septentrionale de

14 la portion roumaine du plateau continental 13. Comme nous allons le démontrer, les arguments

inédits et créatifs que la Roumanie avance sur l’ effet allégué des accords conclus à la fin des

années quarante sont impossibles à concilier avec le véritable contexte politique et diplomatique de

la présente affaire.

17. La Roumanie soutient à présent devant la Cour qu’il existe un accord préalable, en

vigueur entre les Parties, établissant une frontière maritime d’application générale qui suivrait l’arc

délimitant la mer territoriale de 12 milles entourant l’île des Serpents. Il importe de noter d’emblée

qu’il semble s’agir là d’une prétention complè tement nouvelle, mise au point pour les besoins de

l’instance. Il n’existe naturellement aucun accord de la sorte. Par le passé, la Roumanie a été

parfaitement claire à ce sujet. Elle estimait elle aussi qu’il n’existait aucun accord sur la

délimitation du plateau continental ou des zon es économiques exclusives entre l’ex-URSS et elle 14

et, en particulier, que les accords bilatéraux conclus de 1994 à 1999 ne réglaient d’aucune façon

une telle délimitation. La Cour ne trouvera dans les archives diplomatiques aucun élément qui

12CR 2008/18, p. 18-22, par. 11-22 (Aurescu).
13
MR, annexes 25 et 26.
14CMU, annexes 25 et 26. - 7 -

corrobore la thèse de la Roumanie selon laquelle il avait une frontière préexistante autour de l’île

des Serpents.

18. Madame le président, contrairement à l’émin ent agent de la Roumanie, je n’ai jamais eu

la hardiesse de qualifier de simples ou de très complexes les affaires portées devant la Cour 15. Cela

étant, j’ai toujours attiré l’attention de mes élèves sur la très grande qualité des arrêts rendus par

celle-ci, en soulignant que chaque décision appor te une précieuse contribution tant au maintien de

la paix et de la sécurité internationales qu’au renforcement du droit international.

19. Je dis toujours à mes élèves qu’il n’y a rien de mal à avoir sa propre vision de l’histoire,

voire sa propre conception du droit international. Ce qui est mal, en revanche, c’est de déformer

l’histoire en l’appréhendant de manière sélective, et d’avancer des allégations sans fondement qui

ne trouvent tout simplement aucun appui dans les accords pertinents.

15 La thèse défendue par l’Ukraine devant la Cour

[Projection : carte de la partie nord-ouest de la mer Noire.]

20. Après ces remarques d’ordre général, je vais rapidement exposer la thèse de l’Ukraine.

Vous allez voir apparaître à l’écran une carte de la partie nord-ouest de la mer Noire 16. Elle

représente les côtes des Parties et comprend la zone maritime à délimiter par la Cour.

21. Je tiens à préciser d’emblée un point essentiel dont on ne saurait, à mon avis, jamais trop

17
souligner l’importance. La côte de l’Uk raine domine cette partie de la mer Noire . C’est une

réalité géographique qui saute aux yeux, quelle que soit la carte. Cette réalité fondamentale est, du

point de vue de l’Ukraine, l’un des aspects marquants de la présente espèce.

18
22. Contrairement à ce que la Roum anie a prétendu la semaine dernière , ce n’est pas

l’Ukraine, mais la Roumanie elle-même, qui a tenté de présenter l’affaire comme un différend

relatif à l’île des Serpents. Pourtant, l’île des Serpents n’est que l’une des composantes de la

longue côte ukrainienne qui borde la partie nord-ouest de la mer No ire. Le fait que la Roumanie

tente de mettre l’accent sur cette seule île, tout en ignorant d’importants tronçons côtiers ukrainiens

15CR 2008/18, p. 16, par. 6.7 (Aurescu).
16
CMU, figure 1-1.
17
CMU, par. 8.10-8.34 ; DU, par. 6.49-6.56.
18CR 2008/20, p. 10, par. 1 (Pellet). - 8 -

qui se trouvent en face de la zone à délimiter, reflète l’embarras de la Roumanie en ce qui concerne

l’immense disparité entre les longueurs de côtes de l’Ukraine et de la Roumanie. Nous pourrions,

pour notre part, tout aussi bien appeler la présente espèce «l’affaire de la digue de Sulina», étant

donné que cet ouvrage construit par l’homme influe sans conteste de manière tout à fait

disproportionnée sur la ligne de délimitation à laquelle aspire la Roumanie.

23. Il me faut, une fois encore, souligner que la présente espèce a pour objet la délimitation

du plateau continental et des zones économiques excl usives. La Partie adverse peut tenter de

mettre l’accent sur l’île des Serpents uniquement, détournant ainsi l’attention de la Cour des

nombreux autres aspects de l’instance, dont ⎯ et pas des moindres ⎯ celui de la prédominance des

côtes de l’Ukraine dans la zone pertinente. Ma is l’affaire ne porte pas exclusivement, voire

principalement, sur l’île des Serpents.

24. Il me faut également préciser la positi on de l’Ukraine par rapport aux activités menées

récemment sur l’île des Serpents, que l’agent de la Roumanie a également évoquées la semaine

dernière 19. L’île des Serpents relève de la souverainet é territoriale de l’Ukraine. Celle-ci a autant

16 le droit de développer l’île des Serpents qu’elle en a de développer n’importe quelle autre portion

de son territoire. C’est précisément ce qui est en train de se passer. La Roumanie fait grand cas de

récentes activités de mise en valeur, affirmant qu ’elles ont été menées à seule fin de renforcer la

thèse de l’Ukraine dans la présente affaire. P ourtant, ces activités ne sont rien de plus que la

continuation de celles qui sont menées depuis des années, lesquelles étaient déjà en cours ou

prévues alors que l’île se trouvait sous contrôle roumain.

25. Lors de son intervention de jeudi dernier, l’agent de la Roumanie a insisté énormément

sur des articles de presse tendancieux et déformé la teneur des documents officiels ukrainiens 20. Il

s’est appuyé sur des anecdotes historiques pittoresques mais non pertin entes. Il est allé jusqu’à

accuser l’Ukraine de «publicité mensongère» et a eu recours à la notion d’abus de droits 21. Ce sont

de graves accusations, qui sont dénuées de tout fo ndement. Les activités de l’Ukraine sur l’île des

Serpents ont été, depuis toujours, menées ouvertem ent et de bonne foi, aux fins du développement

19CR 2008/20, p. 54-66, par. 1-33 (Aurescu).
20
Ibid.
21Ibid., p. 64, par. 27. - 9 -

futur de l’infrastructure de l’île et du financ ement des activités économiques menées sur l’île. Ces

activités ne visent en aucune manière la modi fication des dimensions naturelles de l’île,

contrairement à ce qu’affirme l’agent de la Roum anie. Ainsi que le montrera le conseil de

l’Ukraine, ces accusations sont dénuées de tout fondement.

26. Je tiens à ce que la Cour prenne acte de ce que les activités
de mise en valeur ⎯ qui ont

été conduites sans discontinuer sur l’île des Serpen ts, depuis déjà bien avant la cristallisation du

différend et l’introduction de l’instance devant la Cour ⎯ n’ont en aucune manière modifié le

statut juridique de l’île. Elles n’ont pas non plus modifié, ni jamais eu pour but de modifier les

caractéristiques naturelles de l’île des Serpents. Ce dont se plaint la Roumanie est hors sujet et sans

pertinence pour l’affaire. La possibilité de mener pareilles activités sur l’île ⎯ activités conduites

pendant de nombreuses années aux fins du développement de l’infrastructure de l’île, et qui se

poursuivent à bon droit aujourd’hui ⎯ dément toute thèse selon laquelle l’île est un rocher au sens

du paragraphe 3 de l’article 121.

La ligne proposée par l’Ukraine

27. Je vais à présent faire quelques brèves obser vations sur la ligne de délimitation proposée

par l’Ukraine.

17 28. Comme point de départ de la délimitation sur laquelle doit se prononcer la Cour,

l’Ukraine a pris le point terminal de la limite des mers territoriales des Parties, tel que défini par le
22
traité de 2003 relatif au régime de la frontière d’Etat roumaine-ukrainienne . Les Parties sont

d’accord sur ce point de départ.

29. La méthode suivie par l’Ukraine est c onforme au droit international lequel, comme

l’indique l’article38 du Statut de la Cour, est, san s conteste, le droit applicable en la présente

espèce. L’Ukraine applique donc aux faits de l’affaire la règle des «principes

équitables/circonstances pertinentes» qui a été développée dans la jurisprudence de la Cour et qui a

été suivie par les tribunaux dans un certain nombre d’arbitrages importants.

22
CMU, annexe 3. - 10 -

30. L’Ukraine a donc tracé la ligne d’équidistance provisoire, calculée
à partir des points les

plus proches situés sur les lignes de base à par tir desquelles est mesurée la largeur des mers

territoriales des Parties.

31. Cette ligne d’équidistance a ensuite été ajus tée de manière à refléter la circonstance la

plus frappante et la plus importante qui caractérise ce différend, à savoir que c’est la côte

ukrainienne qui domine la zone à délimiter par la Cour. La géographie de la partie nord-ouest de la

mer Noire est, évidemment, un élément pertinent ; et la disparité importante entre les longueurs des

côtes des Parties est aussi une réalité, du point de vue de l’Ukraine, que l’on doit nécessairement

prendre en compte afin de garantir un résultat équitable.

[Carte sur laquelle figure la ligne proposée]

23
32. La ligne ajustée représente la ligne revendiquée par l’Ukraine ; là aussi, conformément

aux principes développés dans la jurisprudence de la Cour, l’Ukraine a appliqué l’élément de la

proportionnalité en tant que critère ⎯et non en tant que méthode de délimitation en soi ⎯ et a

comparé le rapport entre les zones de plateau c ontinental et les zones économiques exclusives

allouées aux Parties par la ligne proposée par l’Ukraine au rapport des longueurs de côtes

pertinentes des Parties. Comme l’Ukraine l’a dém ontré, il n’y a aucune disparité dans le résultat

24
préconisé par l’Ukraine . Voilà qui souligne le caractère é quitable de la ligne de délimitation

préconisée par l’Ukraine.

18 33. Contrairement à ce qu’a insinué le conseil vendredi dernier, le tracé de la ligne de

délimitation avancé par l’Ukraine ne traduit pas une tactique de marchandage digne d’un marchand

25
de tapis . C’est un tracé fondé sur des principes du droit international. De même, comme mes

collègues le montreront, la demande de la R oumanie n’est guère «raisonnable». Au bout du

compte, bien sûr, c’est à la Cour qu’il appartiendra de se prononcer sur le bien-fondé des tracés que

les Parties lui ont présentés.

23CMU, p. 240, fig. 9-3.
24
CMU, p. 247, fig. 10-2.
25CR 2008/21, p. 66, par. 75. - 11 -

Présentation de l’équipe et ordre des plaidoiries au premier tour

34. Madame le président, Messieurs de la Cour, pour conclure, je vais vous présenter la

délégation juridique de l’Ukraine et vous dire comment nous nous proposons d’organiser notre

premier tour de plaidoiries. Je vous présente tout d’abord mes coagents, S.Exc.M.Oleksandr

Kupchyshyn, vice-ministre des affaires étrangè res de l’Ukraine, et M.Volodymyr Krokhmal,

directeur du département des affaires juridiques et des traités du ministère des affaires étrangères de

l’Ukraine.

35. Nos conseils s’adresseront à la Cour dans l’ordre que je vais indiquer. M.Rodman

Bundy prendra la parole en premier pour vous faire brièvement un exposé général de l’affaire.

36. Sir Michael Wood décrira ensuite le cadre diplomatique dans lequel s’inscrit le différend

et vous fera un récapitulatif des différents accords qui ont été conclus, de la fin des années1940

jusqu’en 2003.

37. M. Quéneudec analysera le droit applicable.

38. Demain matin, M. Bundy examinera le c ontexte géographique qui est d’une importance

capitale, y compris les côtes pertinentes et la zone pertinente.

39. Sir Michael vous exposera les arguments relatifs à la thèse ⎯ inédite et extraordinaire ⎯

de la Roumanie selon laquelle on se serait déjà accordé à rec onnaître une frontière maritime

polyvalente autour de l’île des Serpents.

40. Mme Loretta Malintoppi exposera certains asp ects de la conduite des Parties qui influent

sur l’affaire.

41. M.Bundy s’exprimera sur l’inadéquation de la ligne proposée par la Roumanie et la

manière dont les îles sont prises en compte lors des délimitations maritimes.

19 42. Mme Malintoppi analysera ensuite certaines circonstances «non pertinentes» relevées par

la Roumanie, le fait que la mer Noire est une me r fermée et les accords de délimitation relatifs à

cette dernière ; ainsi que la manière dont la Roumanie définit l’île des Serpents.

43. M. Quéneudec examinera ensuite la construction de la ligne d’équidistance provisoire et

les circonstances pertinentes qui devraient conduire à une modification de la ligne. Il décrira la

ligne que l’Ukraine propose à la Cour. - 12 -

44. Et, pour conclure le premier tour, nous ferons apparaître le caractère équitable de la ligne

ukrainienne et la nature inéquitable de la ligne r oumaine, leur appliquant, entre autres, le critère de

proportionnalité. Nous tirerons aussi quelques brèves conclusions de notre premier tour de

plaidoiries.

45. Voilà qui termine mes remarques liminaires. Madame le président, Messieurs de la

Cour, je vous remercie de votre attention. Je vous prie de bien vouloir appeler M. Rodman Bundy

à la barre.

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Vassylenko. J’appelle à présent Monsieur Bundy.

M. BUNDY : Merci, Madame le président, Messieurs de la Cour.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, M.Vassylenko. J’appelle maintenant à la barre

M. Bundy.

M. BUNDY : Je vous remercie, Madame le président, Messieurs de la Cour.

II.P RÉSENTATION GÉNÉRALE DE LA THÈSE DE L ’UKRAINE

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est une fois de plus un grand honneur que

de prendre la parole devant vous, et c’est pour moi un privilège de représenter l’Ukraine en cette

affaire importante.

Introduction

2. L’éminent agent de l’Ukraine vous a exposé la portée et les éléments essentiels de la

présente espèce et il me revient ce matin de vous présenter dans ses grands traits l’argumentation

de l’Ukraine sur la délimitation, en montrant ce qui la distingue de l’approche foncièrement

bancale, et à bien des égards, contradictoire, adoptée par la Roumanie.

3. J’entends, pour ce faire, m’attacher plus particulièrement à quatre questions essentielles

sur lesquelles les Parties continuent de s’opposer.

Premièrement, je soulignerai l’importance que revêt, dans la recherche d’un résultat

équitable, le cadre géographique général en l’affaire ; - 13 -

20 Deuxièmement, je m’exprimerai sur le point don t doit partir la Cour pour mener à bien sa

mission ⎯je fais référence à l’importance du point de départ convenu aux fins de la délimitation

du plateau continental et des zones économiques exclusives des Parties ;

Troisièmement, je mettrai en contraste l’application erronée que fait en l’espèce la Roumanie

de la règle de base en matière de délimitation maritime ⎯ principes équitables/circonstances

pertinentes, équidistance/circonstances spéciales ⎯ et l’approche de la délimitation retenue par

l’Ukraine, qui correspond au droit applicable et à la réalité géographique ;

Quatrièmement, je porterai mon attenti on sur l’approche mal fondée, et du reste

contradictoire, adoptée par la Roumanie en ce qui concerne l’application du critère de

proportionnalité aux prétentions respectives des Parties.

4. Ces éléments seront de toute évidence appr ofondis par mes collègues et moi-même au fil

de nos plaidoiries. A ce stade, il convient de relever que les principales questions opposant les

Parties peuvent être aisément cernées à la lumière des pièces de procédure et du premier tour de

plaidoiries de la Roumanie qui s’est tenu la se maine dernière. En gardant présente à l’esprit

l’instruction de procédureVI, ainsi que le paragr aphe1 de l’article60 du Règlement de la Cour,

l’Ukraine s’efforcera de se concentrer sur ces questions.

1. Le cadre géographique général

[Projection: figure1-1 du contre-mémoire de l’ Ukraine, sans la représentation de la zone

pertinente.]

5. Je commencerai, si vous me le permettez, par le cadre géographique dans lequel il

convient de procéder à la délimitation, et l’impor tance qu’il faut attacher à la géographie côtière

aux fins de parvenir à une délimitation équitable.

6. La carte que vous voyez à l’écran, qui est reproduite sous l’onglet1 de vos dossiers de

plaidoiries, représente la mer Noire dans son ensemble. Bien évidemment, c’est à sa partie

occidentale que nous nous sommes intéressés, ce ma tin. La Cour notera que, si plusieurs Etats

bordent la mer Noire, la zone da ns laquelle la présente délimitati on doit être effectuée se limite à

son coin nord-ouest, sur lequel l’Ukraine et la Roumanie sont seules à posséder une façade.

7. C’est là une réalité géographique fondamentale, qui appelle deux constats importants. - 14 -

21 8. Premièrement, un coup d’Œil sur la carte proj etée à l’écran révèle la nette prédominance

géographique de la côte ukrainienne dans cette zone : je vous renvoi e à l’onglet 2 de vos dossiers.

La côte ukrainienne borde trois côtés de la zone [sur la projection, faire successivement apparaître

en vert chacun des segments de la côte ukrainienne] ⎯ à l’ouest, du point terminal de la frontière

terrestre avec la Roumanie jusqu’à un point situé non loin d’Odessa; au nord, sur tout le littoral

allant d’Odessa au capTarkhankut; et à l’est, le long de la côte de Crimée orientée vers l’ouest

jusqu’au capSarych. A cela s’ajout e bien sûr l’île des Serpents, qui appartient à l’Ukraine et se

trouve à quelque 19milles au large de sa côte orie ntée vers l’est, au nord du point terminal de la

frontière terrestre ; cette île est également un élément de la géographie côtière de l’Ukraine.

9. La côte de la Roumanie, qua nt à elle, est relativement courte ⎯même si l’on prend en

compte la totalité du littoral, depuis la frontière terrestre ukrainienne et jusqu’à la frontière terrestre

bulgare [sur l’écran, faire apparaître en rouge la côte roumaine].

10. Telle est la réalité géographique en l’espèce. L’Ukraine possède un littoral étendu

encadrant trois côtés de la zone à délimiter, et une île, tandis que la Roumanie ne possède qu’une

côte réduite donnant sur l’un des côtés de cette z one seulement. Le principe formulé par la Cour

dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord , selon lequel la «terre domine la mer»,

demeure aussi vrai aujourd’hui qu’il l’était voici quarante ans, et il en va de même du principe ainsi

formulé :

«L’équité n’implique pas nécessairement l’égalité. Il n’est jamais question de
refaire la nature entièrement et l’équité ne commande pas qu’un Etat sans accès à la
mer se voie attribuer une zone de plateau continental, pas plus qu’il ne s’agit
d’égaliser la situation d’un Etat dont les côtes sont étendues et celle d’un Etat dont les

côtes sont réduites.» ( Plateau continental de la mer du Nord (République Fédérale
d’Allemagne/Danemark); Plateau continen tal de la mer du Nord (République
Fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 49-50, par. 91.)

11. Le second point que je tiens à noter est que les côtes des Parties qui bordent le côté

nord-ouest de la mer Noire sont toutes situées à moins de 200milles marins les unes des autres,

engendrant ainsi des droits en mer qui se chevauch ent à partir de ces côtes qui se rencontrent et

s’entrecroisent. Cette situation est telle qu’elle exige une délimitation du plateau continental et de

la zone économique exclusive dans cet espace. - 15 -

12. J’en viens ainsi à évoquer un vice majeur de la thèse roumaine. La Roumanie sait

parfaitement que la géographie côtière est primordiale dans les affa ires de délimitation maritime

22 ⎯notamment celles qui concernent la délimita tion d’une frontière maritime unique, comme en

l’occurrence ⎯ et sait aussi que la Cour a toujours soutenu que les différences importantes des

longueurs de côtes constituaient une circonstance pertinente qu’il y avait lieu de prendre en compte

dans la recherche d’une solution équitable. Comm ent, dès lors, la Roumanie aborde-t-elle cette

question ? Très simplement, en remodelant la géographie.

[Projection : figure 3-3 du contre-mémoire de l’Ukraine.]

13. Vu son approche que l’on dégage de ses écritures ou encore de ses plaidoiries de la

semaine dernière, la Roumanie surprend par so n aplomb. La Roumanie exclut purement et

simplement à peu près la moitié de la côte ukrai nienne qui part d’un point arbitrairement nommé

«pointS» par la Roumanie [la flèche désignant le «pointS» sur la figure3-3] jusqu’au

cap Tarkhankut [la flèche placée sur la projection, la côte ukrainienne supprimée étant représentée

en rouge], mais tient compte, dans le même temps, de l’intégralité de sa côte, tel qu’il apparaît à

l’écran et sous l’onglet 3.

14. Or, cette approche, qui amput e une grande partie de la cô te pertinente ukrainienne, est

fantaisiste à l’extrême et n’a aucun fondement ju ridique. J’y reviendrai plus tard, demain, en

examinant de plus près les côtes pertinentes des Pa rties ainsi que leur rôle dans le processus de

délimitation. Mais à ce stade, il est clair que l’intégralité de la côte ukrainienne orientée vers le sud

⎯la partie de la côte que la Roumanie cherche à supprimer ⎯ engendre des droits en mer de

200 milles marins en droit international sur toute la surface à délimiter, et que ces côtes doivent être

prises en compte au même titre que les autres côtes des Parties bordant la zone pertinente.

15. La semaine dernière, mon cher ami M.Cr awford a formulé un principe inédit, qu’il a

appelé «principe de proximité comparative», et s’est plaint de ce que la côte ukrainienne orientée

vers le sud était trop éloignée de la zone à délimiter pour être considérée comme une côte

pertinente (CR 2008/18, p.71, par.214)). Permet tez-moi de projeter main tenant à l’écran l’une

des illustrations de M.Crawford montrant la ligne revendiquée par la Roumanie qui replace la

question dans sa juste perspective et réfute la thèse de mon éminent ami, cela dit avec tout le

respect que je lui dois. (Onglet IV-3 à l’écran.) - 16 -

16. Examinons de plus près la côte roumaine et la partie de cette côte située au sud de la

péninsule de Sacalin ⎯ la partie de la côte qui est à présent surlignée sur la carte à l’écran. Bien

que la Roumanie qualifie de côte pertinente ce qui est, de loin, le plus long tronçon de la côte

roumaine, la Partie adverse hésite à en parler. L’éminent coagent de la Roumanie a complètement

ignoré cette partie de la côte roumaine dans sa description géographique de la semaine dernière, et

23 M. Crawford l’a à peine mentionnée dans ses propres interventions. Pour sa part, M. Lowe a tenté

avec courage d’en rappeler l’importance mais je soutiens respectueusement que les arguments

invoqués sur la pertinence de cette partie de la cô te roumaine et sur la suppression de la moitié de

la côte ukrainienne ne sont pas convaincants. Co mme je le montrerai, la Roumanie a de bonnes

raisons de considérer sa côte méridionale comme une question délicate.

17. Si nous prenons un point situé au milieu de la ligne préconisée par la Roumanie, entre les

«côtes qui se font face», et si nous traçons ensuite une ligne qui part directement de ce point vers la

côte roumaine au sud de la péninsule de Sacalin , puis une seconde ligne entre la ligne revendiquée

par la Roumanie et le milieu de la côte ukrainienne orientée vers le sud, la Cour notera que la

distance de chaque côte à partir de ce point situé sur la ligne préconisée par la Roumanie est

exactement la même. On peut tracer une ligne sim ilaire jusqu’à la ligne de base droite ukrainienne

située plus à l’est, tel que cela est montré maintenant à l’écran, et jusqu’à un point situé au nord de

ce que la Roumanie nomme artificiellement le «poi ntS». Celles-ci figurent sur le graphique que

vous trouverez sous l’onglet 4 de votre dossier de plaidoiries.

18. Or, le droit international n’exige pas une telle exactitude lorsqu’il s’agit d’identifier les

côtes pertinentes de la partie qui conteste la déli mitation. Comme je l’ai dit, la côte ukrainienne

restante qui longe le tronçon septentrional de la mer Noire dans cette partie engendre également des

droits en mer qui s’étendent jusqu’à 200milles marins. Et pourtant, cela n’empêche pas la

Roumanie d’exclure l’intégralité de la côte ukr ainienne orientée vers le sud, comme étant trop

éloignée, et de tenir compte de l’intégralité de sa propre côte au sud de la péninsule de Sacalin sur

la base de la théorie de la «proximité» de M. Crawford. Cela est une étrange façon d’appliquer des

principes d’équité et de comparer des choses comparables.

[Figure 3-3 de nouveau à l’écran.] - 17 -

19. Je tiens aussi à souligner que la partie de la côte ukrainienne que la Roumanie tente de

supprimer n’est pas pertinente aux fins de la délimitation avec un Etat tiers dans la région en raison

de l’emplacement de ces Etats loin au sud et à l’est. Par contraste, la côte ukrainienne orientée vers

le sud est spécifiquement pertinente aux fins de la délimitation avec la Roumanie car elle se

projette dans toute la partie nord-ouest de la mer Noire qui est essentiellement l’objet du présent

différend. C’est ce qui distingue la présente espèce d’affaires telles que Tunisie/Libye,

Libye/Malte, et des affaires Jan Mayen citées par le conseil de la Roumanie la semaine dernière,

dans lesquelles certaines côtes ne furent pas considérées comme pertinentes au motif qu’elles

étaient orientées dans une autre direction, dans celle d’Etats tiers situés dans la zone en question et

24 non en direction de la zone à délimiter avec la partie adverse dans chaque affaire considérée. Dans

ces affaires, c’est la présence d’Etats tiers qui limitait les côtes en question.

20. Le troisième aspect du contexte géographi que d’ensemble qu’il y a lieu de mentionner à

ce stade concerne une question que je viens d’évoq uer, à savoir la présence d’Etats tiers dans la

région. La Roumanie prétend que la pratique des Etats tiers en matière de délimitation en mer

Noire devrait dicter la méthode de délimitation utilisée entre l’Ukraine et la Roumanie en raison du

caractère fermé de la mer Noire. Et de fait, la se maine dernière, le coagent de la Roumanie est allé

jusqu’à dire à la Cour qu’il est nécessaire, ce sont ses termes, nécessaire de maintenir la cohérence

entre les méthodes utilisées ailleurs en mer Noire et celles utilisées en l’espèce si l’on veut éviter

un résultat inéquitable et incompatible (CR2008/18, p.58-59, par.33). Je soutiens, avec tout le

respect que je lui dois, que cet argument est indéniablement fallacieux, et qu’il n’a jamais été

retenu par la Cour dans les affa ires de délimitation maritime en mers fermées ou semi-fermées sur

lesquelles elle a statué jusqu’ici.

[Remettre la carte de la mer Noire à l’écran.]

21. Il est évident, comme vous le voyez sur la carte à l’écran, qu’aucun Etat tiers ne se trouve

au voisinage immédiat de la zone à délimiter entr e l’Ukraine et la Roumanie. La Bulgarie et la

Turquie, par exemple, sont situées loin au sud de la zone qui nous occupe et d’autres Etats sont

situés loin à l’est. Aucun de ces Etats n’a demandé à intervenir dans la présente affaire et aucun

d’entre eux, pour autant que l’Ukraine le sache, n’a cherché à obtenir la communication des pièces

écrites, du moins avant l’ouverture de ces audiences. - 18 -

22. La Turquie a conclu un accord de délimitation avec l’Union soviétique en1978 auquel

l’Ukraine a partiellement succédé. Le tracé de ce tte délimitation apparaît maintenant à l’écran.

[Ajouter la ligne extraite de la figure8-10 du c ontre-mémoire de l’Ukraine sur la carte.] La

Turquie et la Bulgarie ont également délimité leur frontière maritime en1997, vous la voyez à

l’écran ainsi que sous l’onglet 5 de votre dossier de plaidoiries. [Ajouter la ligne extraite de la

figure 8-11 du contre-mémoire de l’Ukraine sur la carte de la mer Noire.] Et la Cour notera que ces

deux délimitations se situent au sud et à l’est de la zone pertinente dans le cas considéré. La

Roumanie n’a ni protesté ni réservé sa position s’agissant de l’un ou l’autre de ces deux accords,

qu’elle accepte à l’évidence.

23. Comme Mme Malintopppi l’exposera plus en détail, les accords entre Etats tiers

résultèrent de négociations bilatérales et sont res inter alios acta en ce qui concerne les Parties à la

25 présente instance. Quelles que puissent être les méthodes de délimitation considérées comme

appropriées par ces Etats tiers, elles reflétaien t les circonstances particulières auxquelles ils

faisaient face et n’avaient rien à voir avec la partie nord-ouest de la mer Noire pertinente pour la

délimitation Ukraine-Roumanie dont la Cour s’occupe.

24. Tout au plus les intérêts potentiels d’Et ats tiers peuvent-ils jouer à l’extrémité de la

frontière maritime devant être délimitée entre l’Ukraine et la Roumanie. Et la ligne de délimitation

de l’Ukraine respecte les droits potentiels de ces Etats tiers. Si la Cour juge nécessaire de tenir

compte des intérêts d’Etats tiers, l’Ukraine est cer taine qu’elle saura tirer profit de son expérience

passée dans des situations analogues. En tout ét at de cause, l’existence de délimitations d’Etats

tiers en mer Noire n’a rien à voir avec le choix de la méthode appropriée ⎯ ou des méthodes

appropriées ⎯ de délimitation applicable(s), entre l’Uk raine et la Roumanie. Comme toujours,

dans chaque cas, la délimitation dépend des facteu rs géographiques et autres caractérisant la zone

spécifique à délimiter.

25. Le dernier point qu’il convient de mentionner à ce stade en rapport avec le cadre

géographique est que, en raison de la configuration particulière de la partie nord-ouest de la mer

Noire, il est relativement aisé d’identifier la «zone pertinente» en l’espèce. [Sur la projection,

montrer la zone pertinente de l’Ukraine ainsi que les délimitations Turquie/URSS et

Turquie/Bulgarie.] La carte projetée maintenant à l’écran montre la zone où les projections - 19 -

maritimes des côtes des Parties se rencontrent et se chevauchent, sans empiéter sur les zones

pouvant faire l’objet de délimitations effectives ou potentielles avec des Etats tiers. Cette zone se

termine au sud-ouest, là où la Bulgarie a des droits potentiels, et il est aussi tenu compte du fait que

les zones situées plus à l’est ont déjà été délimitées entre la Turquie et l’ex-Union soviétique ⎯ à

présent l’Ukraine ⎯ et qu’elles n’ont rien à voir avec la Roumanie.

26. Par conséquent, c’est dans la zone hachurée en vert que vous voyez sur la carte que les

principes et règles de droit internati onal régissant la délimitation maritime ⎯la règle de

l’équidistance/des circonstances spéciales ⎯ doivent s’appliquer, et que le critère de

proportionnalité peut s’appli quer en tant que critère ex post facto aux prétentions respectives des

Parties. C’est la méthode retenue par l’Ukraine da ns ses écritures, et c’est celle qu’elle continue

d’adopter aujourd’hui, nonobstant le premier t our de plaidoiries de la Roumanie la semaine

dernière.

26 2. Le point de départ de la délimitation

27. Madame le président, Messieurs de la Cour, j’en viens maintenant au deuxième volet de

mes observations, dans le cadre duquel je rappellerai certains éléments essentiels concernant le

point de départ de la délimitation — autrement dit, le point de départ de la mission de la Cour, si je

puis dire.

28. Comme l’agent de l’Ukra ine l’a exposé, l’échange de lettres de1997, sur lequel la

compétence de la Cour est basée, prévoyait que les Parties concluraient un traité distinct sur le

régime de la frontière d’Etat entre les deux pays —mer territoriale comprise. Les Parties avaient

également convenu de régler le problème de la dé limitation du plateau continental et de la zone

économique exclusive par voie de négociation ou, à défaut d’accord dans un délai de deux ans et à

condition, en principe, que le régime de la frontière d’Etat soit entré en vigueur, par le renvoi de la

question devant de la Cour pour règlement, à l’initiative de l’un ou de l’autre Etat.

29. Il s’agissait donc d’un processus en deux étapes, consistant d’abord en la conclusion d’un

traité sur le régime de la frontière d’Etat, puis en des négociations de délimitation du plateau

continental et des zones économiques exclusives des Parties. - 20 -

30. En2003, les Parties ont effectivement conc lu un traité sur la frontière d’Etat, entré en

vigueur en2004. En ce qui concerne le volet maritime de cet accord, l’article premier du traité

de 2003 dispose que la frontière d’Etat se prolonge vers le large jusqu’à un point, désigné par des

coordonnées précises, où la limite extérieure de la mer territoriale de 12 milles de l’Ukraine autour

de l’île des Serpents croise celle de la propre mer territoriale de 12 milles de la Roumanie. En voici

l’illustration à l’écran [projection: carte montra nt la portion maritime de la frontière adoptée

en 2003].

31. Le point où s’achève le tronçon en mer territo riale de la frontière d’Etat qui a été établie

dans le traité de2003 est également indiqué sur la carte figurant sous l’onglet6 de votre dossier.

La Roumanie l’a baptisé le «pointF». S’agissant du rôle de ce point dans la présente affaire, les

Parties s’accordent sur un élément important et divergent radicalement sur un autre, tout aussi

important, la Roumanie avançant à cet égard des arguments foncièrement incorrects.

32. Les vues des Parties convergent en ce que celles-ci conviennent toutes deux—je dis

bien toutes deux—que le point terminal de la frontière d’Etat établie dans le traité de2003

constitue le point de départ de la délimitation à laquelle la Cour doit se livrer pour partager le

plateau continental et les zones économiques exclus ives situées au-delà. La Roumanie l’a indiqué
27

très clairement dans son mémoire—qu’il me soit permis de projeter la citation à l’écran et d’en

donner lecture. La Roumanie a déclaré :

[citation à l’écran]

«La Cour n’ayant pas à connaître de la question de la délimitation de la mer
territoriale, le traité de 2003 relatif au régi me de la frontière a pour principal intérêt

(au-delà de la question de la compétence de la Cour) que le point terminal de la
frontière qu’il définit (point F) est le point de départ de la ligne de délimitation qu’elle
est appelée à établir.» (MR, par. 7.19.)

33. Cette observation — qui fait du point F le poin t de départ de la dé limitation que la Cour

est appelée à faire— signifie nécessairement que les Parties n’ont délimité au préalable aucun

espace maritime au-delà du point terminal fixé dans le traité de2003, soit après le pointF. En

d’autres termes, si elles sont parvenues à s’entendre sur la limite de leurs mers territoriales sur une

distance de 12 milles marins depuis leurs lignes de base respectives, les Parties n’ont en revanche

trouvé aucun terrain d’entente au sujet de la fron tière séparant le plateau continental et la zone - 21 -

économique exclusive leur revenant au-delà de ce po int. C’est cette délimitation-là qui est l’objet

de la présente affaire.

34. Les vues des Parties divergent fondamentalement en ce que, bien qu’elle ait reconnu le

point terminal fixé dans le traité de2003 comme ét ant le point de départ de la tâche confiée à la

Cour dans la présente affaire, la Roumanie soutient tout de même qu’il existe une frontière

maritime préétablie d’application générale au-delà du dernier point défini dans le traité de2003.

Cette frontière préexistante alléguée est censée suivre un arc d’un rayon de 12 milles passant au sud

et à l’est de l’île des Serpents jusqu’à un point, ba ptisé le «point X» par la Roumanie, situé à l’est

de l’île [tracer sur la carte une ligne en pointillés autour de l’île deSerpents jusqu’au «point X»].

Or, la Roumanie a été incapable de citer le moindre accord de délimitation qui désigne

effectivement ce mystérieux «pointX», ou ses coor données, mais elle n’en soutient pas moins

qu’une frontière allant jusqu’au «pointX» et que ce «pointX» lui-même ont fait l’objet d’un

accord antérieur.

35. Manifestement erronée, cette thèse pèche notamment parce qu’elle n’a guère de sens au

regard du traité de 2003. En 20 03, en effet, les Parties ont pour l’essentiel parachevé le processus

de délimitation de leur frontière d’Etat—l’expression «frontière d’Etat» figurant dans le titre du

traité — qui avait débuté en 1949 — dans le cadre d’un autre traité du même nom. En 2003, elles

ont donc finalisé un processus qui avait en fait commencé en 1949 et, ni cette année-là, ni dans les

années écoulées jusqu’à la conclusion du traité de 2003, les coordonnées précises du point terminal

de la frontière d’Etat n’avaient jamais été convenues. Elles l’ont été pour la première et unique fois

28 dans le traité de 2003, dans lequel les Parties sont parvenues à délimiter la frontière d’Etat jusqu’au

point d’intersection entre les limites extérieures de leurs mers territoriales respectives de 12 milles.

Le premier instrument qui définit les coordonnées de ce point terminal de la frontière d’Etat est le

traité de 2003, sans aller au-delà.

36. Aucun accord n’a été conclu pour la frontière au-delà de ce point, ni sur le «point X» ni

sur aucun autre, et il serait inconcevable, si une fr ontière maritime avait déjà été tracée au large du

point ultime fixé dans le traité de 2003, que celle-ci ne soit mentionnée ni dans les accords de 1997,

qui prévoyaient la possibilité de négociations ultérieures sur la frontière maritime au-delà de la

frontière d’Etat, ni dans le traité de2003 proprement dit. Aucune mention n’en est faite, - 22 -

évidemment, et, comme mon confrère sirMichae lWood l’exposera, la Roumanie se fourvoie

complètement en tentant d’échafauder une frontière d’application générale qui n’existe pas en se

basant sur des accords qu’elle a conclus avec l’ex-URSS à la fin des années quarante.

37. Pour résumer, les Parties conviennent que la Cour est chargée de délimiter les portions de

plateau continental et les zones économiques ex clusives qui leurs reviennent respectivement

au-delà du point — le «point F» pour la Rouman ie — dont les coordonnées sont précisées dans le

traité de2003. Cela implique nécessairement qu’au cune frontière n’a été convenue au-delà de ce

point. La mission de la Cour consiste donc à dé limiter au-delà de ce point F une frontière unique

partageant le plateau continental et les zones économiques exclusives des Parties.

3. Application de la règle des principes équi tables/circonstances pertinentes aux faits de
l’espèce

38. J’en arrive à la troisième partie de m on exposé, dans lequel je voudrais me pencher sur

les principales différences apparues entre les Parties s’agissant des principes pertinents et des règles

de droit international ainsi que de la manière dont ils s’appliquent aux faits de l’espèce;

M. Quéneudec abordera ensuite ces questions de manière plus approfondie.

39. L’Ukraine a expliqué clairement sa positi on dans ses écritures. Se fondant sur la

jurisprudence de la Cour, elle estime qu’il est à prése nt bien établi que la règle fondamentale de la

délimitation maritime trouve son expression dans ce que l’on connaît sous le nom de règle des

«principes équitables/circonstances pertinentes» qui équivaut à celle de «l’équidistance/des

circonstances spéciales».

40. Comme la Cour l’a noté à plusieurs repr ises et ainsi que les tribunaux l’ont également

jugé dans deux procédures d’arbitrage, La Barbade c.Trinidad-et-Tobago et Guyane c.Surinam

29 annexe VII, l’application de cette règle est un processus qui comprend essentiellement deux étapes.

La première consiste à construire une ligne d’équidistance provisoire puis, la seconde, à relever les

circonstances pertinentes qui caractérisent la zone à délimiter et à dire si, et dans quelle mesure, ces

circonstances exigent l’ajustement de la ligne d’équidistance provisoire dans la recherche d’un

résultat équitable.

41. La jurisprudence confirme également que, dans certains cas, ce processus peut comporter

une troisième étape. Celle-ci consiste à analyser la ligne de délimitation à laquelle on est parvenu à - 23 -

l’issue des deux premières étapes au regard du critère de proportionnalité. De cette manière, la

Cour peut s’assurer que la ligne ne produit p as un résultat trop disproportionné par rapport aux

zones maritimes appartenant aux Parties en ce qui concerne les longueurs de leurs côtes respectives

qui avoisinent la zone à délimiter. Or, ce critère ⎯ celui de la proportionnalité ⎯ ne s’identifie pas

à l’assimilation d’une importante différence entre les longueurs des côtes des Parties à une

circonstance pertinente, ⎯facteur qui est évalué au second stade ⎯ celui des circonstances

pertinentes ⎯ du processus.

42. Manifestement, l’Ukraine reconnaît que la proportionnalité en soi n’est pas une méthode

de délimitation et que, en matière de délimitation maritime, il ne doit pas être question de justice

distributive. Et la ligne de l’Ukraine n’est pas fondée sur cette méthode. En outre, avec certaines

configurations géographiques, ⎯par exemple, lorsque des Etats tiers sont situés dans la zone

immédiate de celle à délimiter ou lorsque la délimitation a lieu en haute mer ⎯, il n’est pas

toujours pratique d’appliquer le critère de pr oportionnalité à posteriori car il est impossible de

déterminer la zone pertinente avec suffisamment de précision. Mais, comme je l’ai noté, puisque la

présente affaire ne met en jeu qu’une zone bien définie située dans le renfoncement nord-ouest de

la mer Noire, où seules l’Ukraine et la Roumanie ont des côtes qui sont contigües à cette zone, on

peut aisément appliquer le critère de proportionnalité aux lignes revendiquées par les Parties, à titre

de troisième étape du processus de délimitation en l’espèce, afin de vérifier le caractère équitable

du résultat que lesdites lignes produisent.

43. Dans ses écritures, la Roumanie a pr étendu accepter cette procédure fondamentale de

délimitation aux fins de la présente affaire. Toutef ois, elle applique le droit de manière erronée à

chaque étape du processus, aboutissant ainsi à une conception de la délimitation vraiment très

gravement déformée et revendiquant ainsi une ligne qui n’a aucun lien avec les véritables réalités

géographiques de l’affaire ni ne répond au critère de proportionnalité.

30 44. Pour donner à la Cour une idée de la di fférence entre les Parti es dans la manière dont

elles ont interprété le droit applicable, je commencerai par la première étape du processus ⎯ le

relevé de la ligne d’équidistance provisoire.

45. En principe, cette opération devrait être si mple. La géographie côtière des Parties est ce

qu’elle est ⎯ le produit à la fois de la nature, quant à la configuration des côtes des Parties et, bien - 24 -

évidemment, de la géographie politique, s’agissant de l’attribution de la souveraineté sur les zones

terrestres et, en l’espèce, de l’existence d’une front ière étatique convenue comprenant à la fois un

segment terrestre et une mer territoriale dont la lim ite extérieure passe par le point F sur lequel les

Parties se sont mises d’accord dans le traité de 2003.

46. Puisque l’établissement de la ligne d’équidistance provisoire doit prendre en compte la

géographie côtière telle qu’elle est, ⎯ c’est-à-dire qu’il convient, dans une certaine mesure, de

rester «neutre au regard de la délimitation», de ne pas essayer de préjuger des circonstances

pertinentes ni des circonstances pertinentes éventuelles ⎯, la jurisprudence de la Cour, notamment

dans les arrêts rendus dans les affaires Qatar c.Bahreïn et Cameroun c.Nigéria, précise que la

ligne provisoire est une ligne qui est équidistante des lignes de base à partir desquelles chaque Etat

mesure la largeur de sa mer territoriale. C’est aussi clairement ce que prévoit l’article15 de la

convention sur le droit de la mer, qui constitue le fondement de la règle

«équidistance/circonstances spéciales».

47. L’Ukraine a adopté cette méthode. [Proj ection: carte montrant le tracé de la ligne

d’équidistance provisoire de l’Ukraine avec indication des points de contrôle.] L’Ukraine a utilisé

de son côté les points de base pertinents situés sur ses propres lignes de base, y compris celle de

l’île des Serpents, à partir desquelles la largeur de sa mer territoriale est mesurée.

48. Et du côté de la Roumanie, l’Ukraine a fait la même chose ⎯ vous pouvez le voir sous

l’onglet7 du dossier de plaidoiries ainsi que sur l’écran. Elle a tracé
point par point la ligne

d’équidistance en utilisant les points de base pe rtinents situés sur les lignes de base de la

Roumanie, qui régissent la mesure de la limite extéri eure de la mer territoriale de celle-ci. Or, l’un

de ces points de base est situé sur une formation artificielle, qui se prolonge à quelque 7,5km au

large ⎯ la fameuse digue de Sulina ⎯, que la Roumanie revendique, en tant qu’ouvrage portuaire

permanent faisant partie intégrante du système portuaire, aux fins d’établir la limite extérieure de sa

mer territoriale. La digue de Sulina est située juste au sud de la frontière terrestre séparant les deux

pays. [Sur la projection: une flèche indique l’em placement de la digue de Sulina.] Puisque la

limite extérieure de la mer territoriale de la Roumanie est mesurée à partir des lignes de base de

cette dernière, lesquelles lignes comprennent l’extrémité de la digue de Sulina, l’Ukraine a utilisé le

31 point sur la digue dirigé vers le large comme point de base pertinent ⎯exactement de la même - 25 -

façon qu’elle a utilisé l’île des Serpents, qui a une ligne de base, en tant que point de base. Mais

l’Ukraine procède ainsi manifestement sans préjudice de la question de savoir si, au second stade

du processus ⎯celui des «circonstances pertinentes» ⎯, une structure artificielle de cette nature

doit avoir un quelconque effet sur le tracé d’une ligne de délimitation équitable qui, avant tout, doit

être fondée sur les faits géographiques réels qui caractérisent la zone. Mais il s’agit là de la

méthode ukrainienne de construction de la ligne d’équidistance provisoire.

49. J’en viens à présent à la position de la Roumanie et vous allez constater que nous nous

heurtons ici à une multitude de problèmes.

50. Le premier problème majeur que pose la mé thode suivie par la Roumanie est dû au fait

que la partie initiale de la ligne qu’elle propose n’est pas du tout conforme à la méthode préconisée

par la Cour. En effet, la première étape de la délimitation maritime est écartée au profit de la thèse

avancée par la Roumanie selon laquelle il y aurait une frontière préexistante qui s’étendrait jusqu’à

la moitié du pourtour de l’île des Serpents, jusqu’au «point X». Comme je l’ai déjà indiqué, cette

thèse n’a plus rien à voir avec ce que les Parties av aient convenu dans leur traité de2003 et ne

repose sur aucun des accords antérieurs entre la Roumanie et l’ex-Union soviétique.

51. La deuxième partie de la ligne préconisée pa r la Roumanie ne tient pas la route non plus

et repose sur des erreurs tout aussi fondamentales. Au sud et à l’est de l’île des Serpents, la

Roumanie entend adopter une ligne d’équidistance provisoire. Cette solution est tendancieuse, et je

vais vous dire pourquoi.

52. D’abord, la ligne d’équidistance proviso ire que la Roumanie postule n’est pas une

véritable ligne d’équidistance, quel que soit le sens accordé à ce terme. Si l’on réduit son

raisonnement à l’essentiel, on s’aperçoit que la R oumanie ignore complètement les points de base

situés sur la ligne de base de l’île des Serpents pour construire la ligne d’équidistance. Mais,

parallèlement, la Roumanie n’hésite pas à utiliser une structure artificielle — la digue de Sulina —

comme point de base pour tracer la ligne. En d’autres termes, nos éminents contradicteurs

s’appuient sur une structure saillante construite par l’homme pour établir la ligne d’équidistance

provisoire, mais ne tiennent à cette même fin nu llement compte d’une formation naturelle — l’île

des Serpents — qui possède une véritable côte. La différente entre les positions des Parties est

visible sur la carte qui va apparaître à l’écran — que vous avez vue précédemment — et qui figure - 26 -

sous l’onglet8 du dossier de plaidoiries. [P rojeter la carte sur laquelle figure la ligne

d’équidistance provisoire de la Roumanie par rapport à la ligne d’équidistance de l’Ukraine.]

53. Jeudi dernier, M. Pellet a reconnu expressément ⎯pas une, mais deux fois ⎯ que la

ligne d’équidistance provisoire devrait être une ligne ⎯et je vais citer M.Pellet (la Cour voudra

bien excuser mon français) ⎯ «dont tous les points sont équidistants des points les plus proches

32 des lignes de base à partir desquels est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun des

deux Etats» (CR 2008/20, p. 15, par. 12 ; et voir CR 2008/20, p. 17, par. 18). Les Parties sont par

conséquent d’accord sur cet important point de principe.

54. Or, M. Pellet a ensuite affirmé que l’île des Serpents ne saurait servir de point de base

pour la construction de la ligne d’équidistance provi soire, parce que l’île n’a pas de ligne de base

—telle était sa thèse: l’île des Se rpents n’a pas de ligne de base. Il a tenté de corroborer cette

allégation en invoquant la notification, par l’Uk raine, de ses lignes de base à l’Organisation des

Nations Unies en 1992.

55. Cet argument est — avec tout le respect que je lui dois — vraiment étonnant et dénué de

tout fondement en droit international. J’aurai en core bien des choses à ajouter à ce sujet et je le

ferai dans un exposé ultérieur. Toujours est-il que , en droit international, toutes les îles, quelle

qu’en soit la taille, ont des lignes de base: toutes les îles ont des lignes de base. Cela dit, dans

certains cas, ces lignes de base font partie d’ un système de lignes de base droites tracées

conformément à l’article 7 de la convention de 1982. Et, dans d’autres cas, la ligne de base sera la

laisse de basse mer de l’île, comme dans celui de l’île des Serpents. Le fait que chaque île a, au

moins, une mer territoriale revient nécessairement à dire que chaque île a aussi une ligne de base.

Ainsi que l’ont indiqué les auteurs d’une étude faisant autorité, intitulée The Law of the Sea : «En

ce qui concerne les îles de grande taille, telle s que la Grande-Breta gne, le Groenland et

Madagascar, il n’y a manifestement pas de problème. Cela signifie également que chaque îlot ou

rocher, aussi petit qu’il soit, a une mer territoriale, c’est-à-dire que l’îlot ou le rocher, ou plutôt sa

laisse de basse mer, constituera une partie de la ligne de base.» [Traduction du Greffe.] (A.V.

Lowe, R.R. Churchill, The Law of the Sea , 3 éd., publiée par Juris Publishing, Manchester

University Press, p. 49.) Cette observation doit manifestement être retenue. - 27 -

56. Etant donné que tel est le cas en l’espèce, et que la ligne d’équidistance provisoire

devrait être tracée à partir des lignes de base des Parties en fonction desquelles est mesurée la

largeur de leurs mers territoriales, il s’ensuit que , comme l’île des Serpents a une ligne de base,

celle-ci, à son tour, comporte des points de base permettant l’établissement de la ligne

d’équidistance provisoire.

57. Comme nous pouvons le voir sur la carte projetée à l’écran, la ligne d’équidistance

provisoire de la Roumanie n’a rien à voir avec la ligne qui se trouve véritablement à équidistance

des points de base les plus proches situés sur les lignes de base des Parties en fonction desquels

sont mesurées les limites extérieures de leurs mers territoriales.

58. En outre, l’effet considérable que produit, sur le tracé de la ligne, l’utilisation par la

Roumanie de l’extrémité, orientée vers le large, de la digue de Sulina comme point de base ressort

33 d’un autre graphique qui est à présent projeté à l’écran et qui se trouve sous l’onglet 9 du dossier de

plaidoiries. Sur ce graphique nous voyons quel serait le tracé de la ligne d’équidistance provisoire

si à la fois l’île des Serpents et la digue de Sulina n’étaient pas prises en compte en tant que points

de base. Seule l’île des Serpents n’est pas pri se en compte par la Roumanie, mais, si la digue

n’était pas non plus prise en compte ⎯ ce qui n’est pas le cas ⎯, voilà ce à quoi correspondrait la

différence. [Ajouter sur la carte la ligne d’équi distance qui ne tient pas compte de la digue de

Sulina et de l’île des Serpents.]

59. En résumé, la version de la ligne d’équidistance provisoire présentée par la Roumanie est

tout simplement déviée à son profit. L’idée qu’un ouvrage saillant construit par l’homme puisse se

voir accorder plein effet aux fins du tracé de la ligne d’équidistance provisoire, alors qu’une

formation naturelle ⎯ une île ⎯ puisse simplement être ignorée, ne cadre ni avec une bonne

application du droit ni avec la règle des princip es d’équité. Pourtant, la ligne préconisée par la

Roumanie repose précisément sur cette prémisse et, comme nous le verrons, son tracé est en grande

partie commandé par la digue. Jeudi dernier, mon bon ami M. Pellet nous a fait grief de ce qu’un

point de base situé sur l’île des Serpents comma ndait 137kilomètres de la ligne d’équidistance

provisoire de l’Ukraine (CR 2008/20, p. 11, par. 2) . Ce qu’il n’a manifestement pas dit, c’est que

l’extrémité de la digue de Sulina commande 160 kilomètres de la ligne d’équidistance provisoire de

la Roumanie. - 28 -

60. Le second problème que pose la ligne d’équidistance provisoire de la Roumanie, c’est

que, à l’est de l’île des Serpents , la Roumanie revendique davant age que cette ligne. Là, un fait

s’impose à la Roumanie: son «pointX», sorti de nulle part, ne se trouve pas sur la ligne

d’équidistance provisoire, même aussi indûment calculée par la Roumanie. En conséquence, la

Roumanie en est réduite à faire feu de tout bois et à faire coïncider son «point X» avec sa ligne

d’équidistance provisoire incorrectement tracée, et à soutenir qu’elle peut prétendre à d’autres

espaces maritimes, en plus de sa ligne provisoire, au titre d’une sorte de justice distributive qui

l’indemniserait pour les zones qu’elle déclare avoir «perdues» lorsqu’elle a prétendument été

obligée de convenir d’une frontière d’Etat avec l’Union soviétique en 1949.

61. Nous ferons une large place à cet aspect hautement fantaisiste de la demande de la

Roumanie dans un exposé ultérieur. Je veux si mplement le signaler dès maintenant, mais j’y

reviendrai par la suite. Pour le moment, je tiens respectueusement à rappe ler que la Roumanie ne

s’est pas conformée à la première étape du processus de délimitation — l’établissement de la ligne

d’équidistance provisoire.

62. Si nous passons à la deuxième étape du processus ⎯ l’identification et l’appréciation des

circonstances pertinentes qui peuvent exig er l’ajustement de la ligne provisoire ⎯, nous voyons

que la position de la Roumanie à cet égard se heurte, là aussi, à une multitude de problèmes.

34 63. Cela dit, on peut difficilement contester que la géographie de la zone à délimiter

constitue le facteur le plus important en matière de délimitation maritime ⎯en particulier la

configuration et les longueurs des côtes pertinentes des Parties. Sans entrer dans les détails pour le

moment, puisque je reviendrai sur les côtes pe rtinentes demain, je voudrais simplement rappeler

l’élément que j’ai développé au début de mon exposé, à savoir la position prédominante de

l’Ukraine du point de vue de la géographie côtière.

64. Que les côtes des Parties soient mesurées en fonction de leur di rection générale ou de

leurs sinuosités, la côte de l’Ukraine qui se trouve en face de la zone pertinente est environ

quatrefois plus longue que la côte de la Rouman ie. De plus, du point de vue géographique, l’île

des Serpents fait aussi partie du littoral ukrainien et doit être prise en compte dans toute

délimitation équitable du plateau continental et de la ZEE. - 29 -

65. Il existe évidemment une abondante jurisp rudence qui corrobore le principe selon lequel

des différences importantes dans la longueur des côtes pertinentes des Parties constituent une

circonstance pertinente justifiant, aux fins d’une délimitation équitable, le déplacement de la ligne

d’équidistance provisoire en faveur de l’Etat possédant la côte la plus longue.

66. Le même principe est illustré par la pra tique des Etats. L’accord entre la France et

l’Espagne en est un bon exemple. A cet égard, les faits de la présente espèce n’ont rien d’inusité.

La côte de l’Ukraine s’étend sur trois côtés de la zone pertinente et est beaucoup plus longue que la

côte pertinente de la Roumanie qui se trouve en f ace de la même zone. Dans ces conditions, il y a,

du point de vue de l’Ukraine, de solides arguments juridiques justifiant un ajustement de la ligne

d’équidistance provisoire qui prenne en compte ces éléments.

67. Comme vous l’expliquera mon collègue, M. Quéneudec, la ligne de délimitation de

l’Ukraine respecte cette réalité géographique essentielle. Ainsi que l’a indiqué l’agent, l’Ukraine a

d’abord tracé, à titre provisoire, une ligne d’équidist ance stricte. Ensuite, l’ Ukraine a ajusté cette

ligne de manière à prendre en compte l’effet produit par les différences entre les longueurs des

côtes pertinentes des Parties en tant que circons tances pertinentes. Le tracé de cette ligne, y

compris l’importance donnée à la disparité importante entre les longueurs de côtes, figure sur la

carte qui est projetée à l’écran et reproduite sous l’onglet 10 du dossier de plaidoiries. [Projection :

la ligne d’équidistance provisoire de l’Ukraine et le déplacement de cette ligne pour parvenir à la

ligne proposée par l’Ukraine]. Il règne une certaine confusion dans l’argumentation de la

Roumanie ⎯confusion, je dois le dire, que l’on retrouve dans les plaidoiries de la semaine

35 dernière ⎯, et cela ne correspond pas à l’application du critère de la proporti onnalité en tant que

méthode de délimitation. Cela dit, la ligne provisoire doit nécessairement être ajustée pour traduire

les circonstances géographiques pertinentes.

68. La ligne préconisée par la Roumanie repose, quant à elle, sur la prémisse erronée selon

laquelle il y aurait une frontière préexistante s’étendant au sud et à l’est de l’île des Serpents et une

ligne d’équidistance provisoire incorrectement tra cée. En plus, elle ne tient pas compte de

l’importante disparité entre les longueurs de côtes des Parties qui bordent la zone à délimiter en tant

que circonstance pertinente. En conséquence, la méthode de la Ro umanie produit un effet

«d’amputation», tant sur les côtes exposées au sud que sur les côtes exposées à l’ouest de - 30 -

l’Ukraine. Compte tenu des prémisses erronées su r lesquelles est fondée la thèse de la Roumanie,

il n’est pas surprenant que, lorsqu’elle en arrive à la dernière étape du processus de délimitation

⎯ l’application du critère de proportionnalité aux lignes préconisées par les Parties ⎯, la ligne de

la Roumanie ne réponde pas à ce critère.

4. Application du critère de proportionnalité aux lignes revendiquées par les Parties

69. Voilà la dernière question, Madame le président, sur laquelle je voudrais m’arrêter un

instant, peut-être avant la pause-café, dans le cadre de ma présentation gé nérale de l’affaire.

Comme je l’ai noté plus tôt, le critère de proportionnalité peut être directement appliqué dans la

présente affaire pour vérifier l’équité des lignes revendiquées par les Parties. D’ailleurs, si ces

dernières ont correctement réalisé les deux premières étapes du processus — l’établissement de la

ligne d’équidistance provisoire puis l’ajusteme nt de cette ligne pour rendre compte des

circonstances géographiques pertinentes —, la ligne ainsi obtenue devrait en principe satisfaire à ce

critère.

70. L’Ukraine a démontré dans ses écritures que sa ligne de délimitation satisfaisait pleinement

au critère de proportionnalité, et nous en ferons à nouveau la démonstration à la fin de notre

présentation. Ce qui importe manifestement, c’est d’obtenir un résultat sans disproportion

flagrante, non d’établir une corrélation mathémati que stricte entre les longueurs côtières et les

espaces maritimes. Tel est le résultat de la ligne proposée par l’Ukraine.

71. La Roumanie, en revanche, s’est montré e relativement incohére nte dans sa façon

d’appréhender la proportionnalité—ce qui peut peut-être se comprendre, compte tenu des

caractéristiques géographiques de la zone à délimiter.

72. Dans son mémoire, la Roumanie était tout à fait partisane d’appliquer le critère de

proportionnalité dans la présente affaire, encore qu’elle ait opéré une confusion entre le rôle qu’une

différence marquée dans la longueur des côtes est appelée à jouer en tant que circonstance

36 pertinente et celui de la proportionnalité en tant que critère servant à vérifier à postériori le

caractère équitable du résultat. Il s’agit là de deux choses bien différentes.

73. Dans sa réplique, toutefois, la Roumanie a manifesté nettement moins d’enthousiasme à

l’égard de la proportionnalité. Elle a peut-être ré alisé tardivement que la seule façon pour elle de - 31 -

pouvoir prétendre que sa ligne satisfaisait au cr itère de proportionnalité était de refaire la

géographie. Comme je l’ai expliqué, c’est là ce que la Roumanie a fait de deux manières,

premièrement en amputant de moitié la côte per tinente de l’Ukraine tout en tenant compte, à

l’inverse, de l’intégralité de sa propre côte jusqu’à la Bulgarie et, deuxièmement, en ajoutant à

l’équation — celle de la proportionnalité — un vaste secteur situé entre l’Ukraine et la Turquie qui

n’a aucun rapport avec la délimitation entre le territoire ukrainien et le sien.

74. Ainsi que je l’ai indiqué, n ous traiterons le thème de laproportionnalité à la fin de notre

présentation du premier tour et nous montrerons en quoi la ligne revendiquée par l’Ukraine satisfait

au critère de proportionnalité, contrairement à celle de la Roumanie.

75. Madame le président, ainsi s’achève ma présen tation générale de la thèse de l’Ukraine. Je

vous saurais gré, si vous le voulez bien, d’appeler après la pause-café sir Michael Wood à la barre

afin qu’il poursuive la démonstration de l’Ukraine, et je remercie la Cour pour son attention.

Merci.

Le PRESIDENT: Je vous remercie, Monsieur B undy. La Cour va à présent se retirer pour

quelques instants.

L’audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 45.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. Sir Michael Wood, vous avez la parole.

Sir Michael WOOD :

III.L E CONTEXTE DIPLOMATIQUE DU DIFFÉREND

A Introduction

1. Madame le président, Messieurs de la Cour, c’est un honneur de prendre la parole devant

la Cour au nom de l’Ukraine, et je tiens à re mercier les autorités de ce pays de m’avoir donné

l’occasion de le faire. Parallèlement, c’est avec grande tristesse que je constate que sir

Arthur Watts n’est plus parmi nous aujourd’hui. C’était un membre clé de la délégation juridique

de l’Ukraine, qui a par ailleurs pleinement contribué aux écritures de celle-ci.

37 2. Madame le président, ce matin, j’examinerai devant la Cour les principaux instruments

juridiques internationaux en cause en l’espèce. Je reviendrai ensuite sur ces accords demain. En - 32 -

effet, la thèse de la Roumanie est qu’il existe un accord préexistant qui date de 1949 et qui

reconnaît une frontière maritime à toutes fins qui entoure l’île des Serp ents jusqu’à ce qu’elle

appelle un «point X». La charge de la preuve est l ourde et je montrerai qu’elle en est toujours à la

case départ à cet égard.

3. Je souhaiterais rappeler à cet égard ce que vous avez dit dans l’arrêt que vous avez rendu

récemment en l’affaire Nicaragua c.Honduras : «l’établissement d’une frontière maritime

permanente est une question de grande importance, et un acco rd ne doit pas être présumé

facilement» (Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des

Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt du 8 octobre 2007, par. 253).

4. Ce matin, j’exposerai le contexte diplom atique du différend, dans la mesure où il pourrait

revêtir une importance juridique. J’attirerai notamment l’attention de la Cour sur les documents

26
essentiels, que le professeur Crawford vous a déjà été présentés la semaine dernière . Toutefois,

ce qu’il n’a pas mis en évidence, et qui pour nous est d’une importance primordiale, c’est le fait

que dans la période comprise entre la fin des années 1940 et 2003, les Parties délimitaient et

démarquaient leur frontière d’Etat commune, plus précisément, la frontiè re séparant les zones

relevant de leurs souverainetés respectives. Cette fro ntière d’Etat traverse le territoire terrestre, les

eaux internes et les mers territoriales des deux pays , mais, ne parcourt pas, bien entendu, les zones

maritimes s’étendant au large de la mer territoriale. Cette série de négociations aboutit à la

signature du traité de2003 sur le régime de la frontière, dans le quel, comme l’a déjà expliqué

M. Bundy, les Parties ont fini par définir les coordonnées du point terminal de leur frontière d’Etat,

que l’on appellera pointF, pour reprendre la description de la Roumanie. Les documents

concernés font longuement référence à la «fron tière d’Etat» et rien ne donne à penser que les

Parties songeaient d’une manière ou d’une autre à délimiter les espaces maritimes s’étendant

au-delà de cette frontière.

5. Il y a eu, bien entendu, une autre série t out à fait distincte de négociations, qui se sont

également déroulées sur une longue période, et qui concernaient la délimitation des zones du

26
CR 2008/19, p. 21-37 (Crawford). - 33 -

plateau continental et la zone économique exclus ive. Les seuls accords auxquels ces négociations

ont abouti sont ceux de 1997.

38 6. Si l’on garde à l’esprit cette distinction majeure entre les négociations sur la frontière

d’Etat et celles relatives au plat eau continental et à la zone économique exclusive, la «série

d’accords» concernée, pour citer le professeur Crawford, est en fait facile à suivre.

7. Je n’envisage pas d’examiner le contexte historique plus ancien, que la Roumanie a

longuement exposé dans ses pièces de procédure. Nul ne conteste la souveraineté de l’Ukraine sur

l’île des Serpents, ni l’existence du point terminal de la frontière d’Etat convenu dans le traité

de2003. A l’heure actuelle, personne ne conteste la validité des accords conclus à la fin des

années1940. La délimitation dont est saisie la Cour a pour base, comme il convient, la position

territoriale qui existe aujourd’hui et qui n’est contestée par aucune des deux Parties, et pour point

de départ, le point terminal convenu en 2003, le point F.

B. Les dates clés

8. Madame le président, les trois dates clés à retenir sont 1949, 1997 et 2003.

9. En 1949, l’Union soviétique et la Roumanie se sont mises d’accord sur leur frontière

d’Etat, qui part du tripoint entre l’Union soviétiq ue, la Hongrie et la Roumanie jusqu’au point

extrême de la frontière, actuelle et éventuelle, entre leurs mers territoriales, sur la limite extérieure

de la mer territoriale de 12 milles marins qui entour e l’île des Serpents, qui est le point terminal de

la frontière d’Etat. Les Parties n’ont pas défi ni les coordonnées de ce point terminal, sans doute

parce que la Roumanie n’avait pas encore élargi sa mer territoriale à 12 milles marins. Mais elles

savaient très bien, quoiqu’approximativement, où il se trouvait. En effet, selon nos calculs, le point

terminal représenté sur la carte134 de 1949 ⎯sur lequel je reviendrai ⎯ se situe à quelque

245mètres du pointF convenu en2003. Il est vr ai que cela représente une «certaine distance en

direction du nord-ouest», comme l’a dit le professeur Crawford vendredi dernier 27, mais il ne s’agit

pas d’une très grande distance !

27
CR 2008/21, p. 41, par. 15 (Crawford). - 34 -

10. Ensuite, en 1997, l’Ukraine et la Roumanie ont décidé de mener des négociations en vue

de la délimitation de leur plateau continental et de leurs zones économiques exclusives et ont prévu

le renvoi de cette question à la Cour sous certaines circonstances.

11. Et, enfin, dans le traité qu’elles ont signé en 2003, l’Ukraine et la Roumanie ont

reconfirmé la délimitation de leur mer territoriale qui avait été convenue en 1949 et déjà confirmée

en 1961. Par ailleurs, elles ont convenu pour la première fois de préciser les coordonnées du point

terminal, le pointF, à l’endroit où la frontière d’Etat entre leurs mers territoriales respectives se

39 termine. Le traité de 2003 a marqué la fin des négociations sur la frontière d’Etat qui avaient

débuté en 1948.

12. Je propose d’examiner demain la thèse de la Roumanie selon laquelle les accords conclus

en 1949 ont également réglé la question relative au plateau continental et aux zones économiques

exclusives, à une époque où la notion de plateau continental n’était pas encore reconnue en droit

international et celle de zone économique excl usive était tout simplement inconnue. Je

m’exprimerai plus particulièrement aujourd’ hui sur les accords de 1997 et de 2003. Nous

soutenons que ces accords constituent les documents-clés en l’espèce. L’échange de lettres de

1997 établit la compétence de la Cour. Le tra ité de 2003 définit les coordonnées exactes du point

de départ de la délimitation demandée à la Cour.

13. Les accords antérieurs, à savoir ceux signés avant 1997, ne sont pas, selon nous,

essentiels aux fins du règlement de la présente affa ire. Cependant, la Roumanie ayant longuement

évoqué ces instruments, je vais devoir m’y arrêter.

14. Les écritures renvoient à toute une série d’accords et d’instruments internationaux

conclus entre 1947 et 2003, autrement dit sur une période de quelque 55années. Cette période a

été marquée par l’évolution rapide du droit inte rnational. Elle a vu le développement du droit

28
moderne de la mer, consacré par les trois conférences des Nations Unies , l’adoption de

conventions sur le droit de la mer et d’autres traités, dont de nombreux accords de délimitation

maritime, et la formulation de re vendications et de lois national es, notamment par les Parties qui

28
Conférences de 1958, 1960 et 1973-1982. - 35 -

sont devant vous aujourd’hui. C’était égalem ent une période de gra nd changement politique,

notamment en Union soviétique et en Europe de l’Est.

15. Les divers instruments sur lesquels je m’exprimerai doivent être analysés à la lumière de

ce contexte de changement juridique et politique. Par souci de commodité, nous avons reproduit la

liste de ces documents sous l’onglet11 du dossier de plaidoiries. Cette liste essentiellement

chronologique indique le titre exact de chaque inst rument, la date de sa signature, le passage des

pièces de procédure où il est cité et propose un titre non o
fficiel et court.

40 C. Quelques observations générales au sujet des instruments

16. Je souhaiterais formuler trois observations générales sur les accords qui nous occupent.

17. Premièrement, la principale distinction entr e les divers instruments est celle que j’ai déjà

mentionnée, entre ceux qui concernent la frontière d’Etat et ceux qui concernent la délimitation du

plateau continental et des zones économiques exclusives.

18. La plupart des accords portent sur l’emplacem ent et la démarcation de la frontière d’Etat

entre l’Ukraine (l’Union soviétique avant 1991) et la Roumanie, et le régime applicable à cette

frontière. Les accords de 1997, mais ces accords seuls, visent aussi le plateau continental et les

zones économiques exclusives. Certains accords tr aitent également de questions politiques plus

larges, à savoir le traité de paix de 1947 et le traité de bon voisinage de 1997.

19. Deuxième observation générale: à l’excep tion du traité de paix de1947, tous les

instruments sont bilatéraux: ils lient l’Union so viétique (l’Ukraine à partir de1991) et la

Roumanie. Ils sont rédigés en deux originaux fai sant également foi, en russe (ou ukrainien) et en

roumain. Les traductions anglaises fournies par les Parties, et les traductions françaises (faites par

le Greffe) ne font bien entendu pas foi. Malh eureusement, on dispose parfois de différentes

traductions anglaises. Ceci est regrettable, mais les différences ne semblent généralement pas

importantes. Un exemple évident d’une différen ce non pertinente est l’utilisation en anglais des

termes «protocol» et «procès-verbal». Toutefois, s’agissant des phrases clef, par exemple dans les

procès-verbaux de 1949, une certaine prudence peut être de mise lorsqu’on consulte les diverses

traductions. - 36 -

20. Une troisième observation est que les instruments en cause sont de deux sortes. Il y a des

traités ordinaires, des accords internationaux d’un type familier pour les ministères des affaires

étrangères et souvent rédigés par ceux-ci, parfois même avec la participation de leur département

juridique. L’accord de 1997 et les traités successifs sur le régime de la frontière (de 1949, 1961

et 2003) en sont des exemples.

21. Il y a ensuite une série d’instruments élaborés et signés par des experts techniques dans le

cadre de la commission mixte soviéto-roumaine pour la démarcation de la frontière d’Etat, qui sont

habituellement appelés «procès-verbaux». Il s’agit aussi de documents officiels. Mais ce sont des

documents officiels d’un type différent. Ils consi gnent des accords très détaillés conclus au niveau

technique. Ils visent à établir, et à décrire aussi précisément que possible, les points frontière,

41 bornes frontières et lignes frontières. Peut être sont-ils «d’une très grande précision» et «d’une

29
extrême précision», comme l’a dit M. Crawford , mais c’est seulement au niveau technique. Ils ne

me semblent pas avoir été rédigés eu égard aux subtilités juridiques ou dans un souci de cohérence

terminologique. Leur but est technique, il s’agit de décrire précisément des faits sur le terrain. Ils

n’ont pas pour but de consigner des accords politiques.

22. Ceci ne veut pas dire que les instruments techniques n’ont pas force obligatoire. Ce que

je veux dire, c’est qu’il faut en avoir la nature et l’objet à l’esprit lorsqu’on les interprète. Nous ne

devons pas nous attendre à trouver le même degré de précision juridique dans le libellé de tels

accords techniques que dans les traités plus formels.

D. Aperçu des négociations

23. Madame le président, Messieurs de la C our, je vais maintenant passer en revue les

négociations et les instruments invoqués par les Parties. Cela peut sembler complexe, au sens où il

y a une longue série de documents ayant fait l’objet d’un accord, sur une période de plus de 55 ans.

Certains semblent d’un abord assez obscurs, au moins lorsqu’on les envisage avec l’esprit

rigoureux d’un juriste. Mais dans le même temps, ce qui s’est passé —et qui est pertinent en

l’espèce — est en fait tout à fait simple.

29
CR 2008/19, p. 23, par. 7-8 (Crawford). - 37 -

24. Premièrement, les Parties (ou plutôt l’Uni on soviétique et la R oumanie) se sont mises

d’accord en 1949, dans le cadre de leur accord sur la frontière d’Etat, sur la délimitation de leurs

mers territoriales respectives (y compris, dans le ca s de la Roumanie, de sa future mer territoriale).

Cet accord a été confirmé en diverses occasions, en particulier en 1961 et pour la dernière fois dans

le cadre du traité de 2003, dans lequel le point terminal a finalement été défini par des coordonnées.

De plus, des mesures furent prises de temps à au tres pour veiller à ce que la ligne de délimitation

convenue soit convenablement démarquée au mo yen de bornes frontières —des panneaux, des

bouées et des balises. Un certain nombre de documen ts invoqués dans les écritures ont trait à cette

matière essentiellement technique, et nous n’avons guère besoin de nous y intéresser.

25. Deuxièmement, en 1997, les Parties ont décidé de reprendre les négociations pour

délimiter leur plateau continental et leurs zones économiques exclusives. Elles en outre décidé, si

les négociations échouaient, de porter l’affaire devant la Cour.

42 26. J’examinerai tout d’abord brièvement les principaux instruments depuis l’époque

soviétique, l’accord de délimitation et de démarcation de la frontière d’Etat de 1949 ainsi que les

accords frontaliers soviéto-roumains postérieurs à 1949. Je m’intéresserai ensuite aux accords de

1997 et 2003 entre l’Ukraine et la Roumanie, d’une importance capitale. Une description complète

de tous ces instruments figure dans notre contre-mémoire.

i) Instruments relatifs à la frontière d’Etat datant de la période soviétique

27. La frontière d’Etat entre l’Union soviétique et la Roumanie a été fixée dans le traité entre

les Puissances alliées et associées du 10février 1947, tel qu’explicité pa r le protocole visant à

préciser la ligne de la frontière d’Etat fait à Mosc ou le 4février1948. Le tr aité de paix disposait

er
que les frontières de la Roumanie «demeureront telles qu’elles étaient au 1 janvier 1941, à

l’exception de la frontière roumano-hongroise» (qui devait être celle qui existait au

1erjanvier 1938).

28. Une copie du protocole de 1948 figure à l’onglet 12 de votre dossier de plaidoiries. Vous

constaterez que le préambule dispose: «En vertu de l’article1 du traité de paix avec la

Roumanie…, [les deux Gouvern ements] conviennent de ce qui suit.» A la fin de l’alinéa b) du

paragraphe1, on peut lire: «L’île des Serpents, située en merNoire, à l’est de l’embouchure du - 38 -

Danube, est incorporée à l’Union des Républiques soci alistes soviétiques.» Le paragraphe3 est

important parce qu’il dispose qu’une commission mixte soviéto-roumaine sera créée «pour

procéder à la démarcation de la frontière c onformément au point1 du présent protocole»,

c’est-à-dire pour procéder à la démarcation de la frontière d’Etat entre l’URSS et la Roumanie.

29. En application du protocole de 1948, la commission mixte a dûment procédé à la

démarcation de la frontière d’Etat et a établi l es documents qui furent signés le 27 septembre 1949.

A l’évidence, il s’agissait, techniquement, d’une t âche énorme. La documentation qui en a résulté

est volumineuse. Le procès-verbal décrivant la ligne de la frontière d’Etat démarquée en

1948-1949 remplit trois volumes. Il est désigné dans les écritures sous le nom de «procès-verbal

général de 1949». Une traduction anglaise de ce te xte figure à l’onglet 13. Il s’agit des pages

liminaires du volume1 du procès-verbal général. Comme vous le voyez, comme le nom de la

commission et le titre de ce procès-verbal général l’indiquent clairement, et comme en dispose le

paragraphe liminaire, la tâche de la commission, et l’objet du procès-verbal, consistent à démarquer

la frontière d’Etat. Le paragraphe liminaire est en partie libellé comme suit :

43 «la commission mixte soviéto-roumaine sur la délimitation de la frontière entre
l’Union des républiques socialistes sovié tiques et la République populaire de
Roumanie a procédé, entre le 11septembre1948 et le 20septembre1949, à la

délimitation de la frontière d’Etat à par tir du point d’intersection des frontières de
l’Union des républiques socialistes soviéti ques et de la République populaire de
Roumanie et de la République de Hongrie (borne frontière «Tur») jusqu’à la mer
o
Noire (borne frontière n 1439)».

Dans la liste qui suit immédiatement, au paragra phe suivant, vous verrez que le point 10 désigne la

borne frontière n o1439 comme étant la dernière borne frontiè re. Et si vous allez à la troisième

page, au paragraphe8, vous pouvez lire ce qui suit: «toutes les bornes frontières de base ont été

numérotées dans l’ordre ascendant de 1 à 1439 jusqu’au dernier point délimité de la ligne frontière,

30
situé en mer Noire…» .

30. Toutefois, le passage le plus pertinent du procès-verbal général, celui qu’a longuement

évoqué M.Crawford, se trouve vers la fin du volum eIII. Vous en trouverez le passage pertinent

sous l’onglet14 de votre dossier. Seules les quelques dernières pages doivent retenir notre

30
DU, annexe 1. - 39 -

attention. Elles décrivent les deux dernières bornes frontières de la frontière d’Etat. J’y reviendrai

un peu plus en détail demain.

31. Mais vous pouvez voir à la fin du document reproduit sous l’onglet 14 un titre qui se lit

comme suit: «Les documents ci-après sont joints au présent protocole». Sous ce titre, sont

énumérés, premièrement «1. Cartes de la frontière d’Etat entre l’URSS et la RPR [c’est-à-dire la

République populaire de Roumanie]…» La carte jo inte qui intéresse la présente affaire est, bien

sûr, la carte 134.

[Projection : carte 134.]

Vous voyez maintenant cette carte à l’écran ainsi que sous l’onglet 15 de votre dossier. Vous allez

maintenant voir à l’écran un agrandissement de la se ction pertinente de cette carte. [Projection de

l’agrandissement à l’écran.] C’est une carte qui montre l’emplacement du point frontière1439.

[SirMichael Wood l’indique sur la carte.] Y figure aussi une ligne suivant un angle de quelque

22 degrés autour de la limite extérieure de la mer territoriale de 12 milles marins autour de l’île des

Serpents, et se terminant là. [Il désigne le point.] Je reviendrai sur la carte 134 demain.

[Fin de la projection.]

32. Si nous revenons aux quelques pages finales du procès-verbal général reproduites sous

l’onglet14 nous voyons ensuite, sous le titre «Les documents ci-après sont joints au présent

protocole» ⎯ au point 3 ⎯ «Protocole pour les bornes frontières». Il s’agit là des procès-verbaux

relatifs aux bornes frontières individuels. Il y a six volumes de ces procès-verbaux. C’est surtout
44

celui qui a trait à la borne 1439 qui nous intéresse. J’y reviendrai également demain.

33. Ultérieurement, en1949, l’Union soviétique et la Roumanie ont conclu un traité sur le

régime de la frontière d’Etat s oviéto-roumaine. L’article premier de ce traité dispose que la ligne

frontière définie conformément au traité de paix de1947 et au protocole de1948 «est

tracée … telle qu’elle a été déterminée dans les documents de démarcati on» du 27 septembre 1949,

un renvoi au procès-verbal général et aux procès-verbaux individuels que je viens de mentionner.

34. L’instrument immédiatement postérieur est un acte de1954 relatif à la borne1439. Il

s’agissait d’un document purement technique, signé par les membres de la commission frontalière,

qui certifiaient qu’ils avaient «reconstruit la borne frontière perdue». Il ne nous retiendra pas plus

longtemps. - 40 -

35. Puis, en février 1961, l’Union soviétique et la Roumanie conclurent un nouveau traité sur

le régime de la frontière d’Etat soviéto-roumaine, qui remplaçait celui de 1949 31. L’article premier

de ce traité reprenait pour l’essentiel les termes de l’articlepremier du traité de1949, renvoyant

une nouvelle fois aux «documents de démarcation signés le 27 septembre 1949».

36. Puis, en août 1963, le procès-verbal géné ral et les procès-verbaux individuels ont fait

l’objet d’une vaste mise à jour technique 32. Mais aucune modification n’y a été apportée qui

33
intéresse la présente affaire. Une nouvelle mise à jour a été effectuée en 1974 . Là encore il n’y a

pas eu de modification pertinente.

37. Ainsi s’achève ce bref aperçu des documents datant de l’époque soviétique. Il ressort

clairement de leur libellé qu’ils traitent tous de la frontière d’Etat, c’est-à-dire, en ce qui concerne

les zones maritimes, des eaux intérieures et de la mer territoriale, et non du plateau continental et

des zones économiques exclusives.

ii) Les négociations soviéto-roumaines sur la délimitation du plateau continental et des
zones économiques exclusives

38. Des négociations tout à fait distinctes su r la délimitation du plateau continental et des

zones économiques exclusives ont néanmoins effectivement commencé durant la période

soviétique. Dixréunions ont eu lieu entre1967 et 1987, sans que les Parties parviennent à un

accord. La Roumanie a ses propres comptes rendus. Elles en a fourni des extraits à la Cour. Nous

ne pensons pas que ces extraits puissent à proprement parler aider la Cour.

45 39. Les extraits fournis par la Roumanie co mprennent une déclaration, faite apparemment

par la délégation roumaine lors de la dernière série de pourparlers, en octobre 1987, qui est citée en

34
traduction dans le mémoire . Cette déclaration se termine pa r les mots «Ce qui fut convenu à

l’époque [en 1949] constitue l’effet maximum que peut avoir cette île [l’île des Serpents].»

40. Pour l’Ukraine, cette déclaration n’a aucune importance. Ce n’est que dans les

circonstances les plus exceptionnelles qu’une déclaration unilatérale faite durant des négociations a

31CMU, annexe 33.
32
MR, annexe 9; MR, annexe 10.
33
MR, annexe 21.
34MR, par. 5.15 et MR, annexe 331. - 41 -

un effet juridique. Quoi qu’il en soit, tels qu’ils sont consignés dans les comptes rendus roumains,

que l’Ukraine n’a aucun moyen de vérifier, les mots qu’auraient effectivement utilisés la délégation

roumaine n’ont pas la signification qu’on voudrait le ur attribuer. Ils ne disent pas que les Parties

sont convenues en 1949 que l’effet maximum qui pouvait être attribué à l’île des Serpents était une

mer territoriale de 12 milles marins. Cette déclar ation indique seulement que, en 1987, la position

de la Roumanie dans les négocia tions était que le droit à des espaces maritimes générés par l’île

devait être limité à la mer territoriale de 12 milles ma rins convenue en 1949. Il n’y avait là rien de

nouveau. Cette position roumaine explique, par ex emple, les nombreux efforts que la Romanie a

faits en vain lors de la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer pour modifier

le champ d’application du paragr aphe3 du projet d’article121, de manière à ce que l’exception

concernant les «rochers» soit élargie pour que l’île des Serpents en relève. Ma collègue,

Mme Malintoppi, évoquera ces événements ultérieurement.

iii) Les accords de 1997 entre l’Ukraine et la Roumanie

41. Je vais maintenant me pencher sur les importants accords conclus par l’Ukraine et la

Roumanie après 1991. L’Ukraine a retrouvé son indépendance et est devenue l’Etat successeur de

l’Union soviétique en ce qui concerne les traités que je viens de décrire. Ultérieurement, des

négociations eurent lieu sur toute une série de questio ns, y compris le régime de la frontière d’Etat

entre les deux Etats et la délimitation du plateau continental et des zones économiques exclusives

en mer Noire ⎯poursuivant les deux séries de négociations qui avaient commencé durant la

période soviétique.

42. Un accord s’est fait sur les deux traités bilatéraux du 2juin1997 : le traité de bon
35
voisinage et de coopération entr e la Roumanie et l’Ukraine , et l’échange de lettres (également

appelé accord additionnel) 36. L’échange de lettres bien sûr est le fondement de la compétence de la

46 Cour en l’espèce. Il s’agit là des deux seuls accords bilatéraux applicables entre les Parties qui

concernent le plateau continental et les zones éc onomiques exclusives. Comme je l’ai déjà fait

observer, tous les autres accords et instruments ont exclusivement trait à la frontière d’Etat.

35
CMU, annexe 2.
36
CMU, annexe 1. - 42 -

43. Le traité de bon voisinage est un traité politique important qui porte sur une large gamme

de questions concernant les relations ukraino-ro umaines. Aux fins de la présente espèce, la

disposition clé est l’article 2 ⎯ et vous en trouverez le texte sous l’onglet 16 de vos dossiers. Au

paragraphe1, les Parties réaffirment «la frontière qui les sépare» ⎯ elles réaffirment que cette

frontière est inviolable. Elles confirment donc ainsi la frontière existante, ni plus, ni moins.

44. Puis le paragraphe 2 tr aite de deux questions distinctes auxquelles j’ai fait allusion ⎯ la

frontière d’Etat et la délimitation du plateau con tinental et des zones économiques exclusives. Il

est ainsi libellé :

«2. Les parties contractantes concluront un traité distinct sur le régime de la

frontière entre les deuxEtats et solutionneront le problème de la délimitation de leur
plateau continental et des zones économiques exclusives de la merNoire, sur la base
des principes et des procédures convenus par un échange de lettres entre les ministres
des affaires étrangères [il s’agit d’un renvoi à l’échange de lettres ou accord

additionnel]…»

45. Dans cet article, les Parties reconnaissaien t qu’un problème subsistait s’agissant de la

délimitation du plateau continental et des zones économiques, que ces quest ions demeuraient en

suspens. Il ne dit absolument rien qui pui sse donner à penser, comme l’avance maintenant la

Roumanie, qu’il y avait déjà accord sur une frontière maritime polyvalente partielle.

46. Vous trouverez l’échange de lettres de la même date sous l’onglet17 de votre dossier.

Au paragraphe1, les Parties s’engageaient à conclu re un nouveau traité rela tif au régime de leur

frontière d’Etat,

«sur la base du principe de la succession d’Etats en matière de frontières, en vertu
duquel la proclamation de l’indépendance de l’Ukraine n’a aucune incidence sur la
frontière actuelle de la Roumanie, telle que définie et décrite dans le traité

de1961…et dans les documents de démarcation correspondants, en vigueur le
19 juillet 1990…»

47. Ainsi, l’accord existant sur le tracé de la frontière d’Etat, dans le traité de1961, et

remontant à1949, était une nouvelle fois confirmé, et une nouvelle fois confirmé sans

modification.

48. Les paragraphes 2 et 3 de l’échange de lettres concernent des modalités du régime de la

frontière, et ne sont pas pertinents en l’espèce.

49. L’échange de lettres porte ensuite, dans un pa ragraphe distinct, le paragraphe4, sur la

délimitation du plateau continental et des zones économiques exclusives. Les Parties admettent - 43 -

47 que leur frontière terrestre et celle de leurs mers territoriales avaient été établies et qu’il était temps

de passer à la délimitation de leur plateau contin ental et de leurs zones économiques exclusives.

Les Parties se fondaient sur la distinction claire ⎯et totalement conforme au droit international

moderne de la mer ⎯ entre la frontière d’Etat, divisant des zones relevant de leur souveraineté, y

compris la mer territoriale et d’autres zones où s’exerçaient des droits souverains et une juridiction,

en particulier le plateau continental et la zone éc onomique exclusive. Il était dit au paragraphe4

que les deuxEtats «négocieront un accord relatif à la délimitation du plateau continental et des

zones économiques exclusives des deux Etats en mer No ire, sur la base des principes et procédures

suivants».

50. Suivait un certain nombre de principes qui devaient être appliqués lors des négociations.

Comme l’expliquera M.Quéneudec, ces «princip es» devaient s’appliquer aux négociations entre

les Parties, et non dans le cadre d’une éventuelle procédure devant la Cour. Il est significatif

qu’aucun des «principes» ni aucune autre di sposition des accords de1997 ne comprennent une

quelconque mention d’un quelconque accord antérieur de délimitation du plateau continental ou de

la zone économique exclusive, dont la Roumanie argue maintenant qu’il aurait déjà été conclu. De

fait, la Roumanie n’a rien produit pour indiquer qu’à un moment quelconque, lors des négociations

ayant abouti aux accords de 1997, elle a formulé l’argument qu’elle formule aujourd’hui, à savoir

que les accords de1949 et les accords postérieurs ont établi une frontière maritime polyvalente

entre les deux Etats qui suit la limite extérieure de la mer territoriale de 12 milles autour de l’île des

Serpents jusqu’au point qu’elle appelle «point X» 37.

51. La Roumanie n’a produit aucune preuve, pa rce qu’elle n’a pas soulevé un tel argument.

Au contraire, comme l’a dit l’agent de l’Ukraine ce matin, par le passé, la Roumanie, à l’évidence,

«estimait qu’il n’y avait pas d’accord sur la délimitation du plateau continental ou des zones

économiques exclusives entre l’ex-URSS et la Roum anie». Ceci ressort notamment, Madame le

président, de la note verbale roumaine que vous trouv erez à l’onglet 18 de votre dossier. Il s’agit

de la note verbale du 28juillet1995 sur laquelle la Roumanie elle-même a appelé l’attention la

semaine dernière. Comme vous le verrez ⎯c’est au début du quatrième paragraphe, sur la

37
MR, par. 11.5. - 44 -

première page ⎯ le ministère des affaires étrangères de la Roumanie déclarait «il n’y a aucun

accord entre la Roumanie et l’Ukraine sur la délimitation des espaces maritimes en mer Noire». Et

48 ça n’est absolument pas une déclaration isolée. Telle était la position de la Roumanie dans les

années 1990. Elle n’a donc aucune crédibilité aujourd’hui lorsqu’elle proclame le contraire devant

la Cour.

v) Le traité de 2003 relatif à la frontière d’Etat

52. Madame le président, en application du traité et de l’échange de lettres de1997,

l’Ukraine et la Roumanie conclure nt le traité du 17juin2003 rela tif au régime de la frontière

38
d’Etat . Ce traité est entré en vigueur en2004 ⎯ vous en trouverez un extrait sous l’onglet19.

Aux fins du présent exposé, je me contenterai de relever que l’articlepremier confirmait de

nouveau la frontière d’Etat existante. L’effet de cette disposition est ma intenant représenté sur

l’écran [un graphique apparaît à l’écran]. La frontière d’Etat existante est décrite comme

continuant

«depuis la borne439 (bouée) indiquant la lim ite extérieure de la mer territoriale de
l’Ukraine autour de l’île aux Serpents, jusqu’au point situé à 45º5'21"de latitude

nord et 30º 2' 27" de longitude est, qui est le point de jonction avec la frontière d’Etat
de la Roumanie à la limite extérieure de sa mer territoriale. Les mers territoriales des
parties contractantes mesurées à partir des li gnes de base auront toujours, au point de

jonction de leurs limites extérieures, une largeur de 12milles marins. [Je note en
passant que pour l’Ukraine, il s’agit de la ligne de base sur l’île des Serpents.]»

53. Comme je l’ai dit, pour nous, il s’agit là de la disposition clé aux fins de la présente

espèce. Elle établissait pour la première fois les coordonnées précises du point d’intersection entre

la limite extérieure de la mer territoriale ukrainien ne de 12 milles autour de l’île des Serpents et de

la limite extérieure de la mer territoriale de 12 milles de la Roumanie.

54. La dernière phrase de l’article premier dispose : «La production de nouveaux documents

relatifs à la frontière d’Etat ne constitue pas une revision de la frontière existante entre la Roumanie

et l’Ukraine.» La description du point d’intersec tion ne dénote ainsi auc une modification de la

frontière d’Etat existante, ma is ne fait que la préciser ⎯cette frontière était déjà, en vertu

d’accords antérieurs, une frontière entre les mers territoriales qui allait jusqu’au point d’intersection

des limites extérieures des mers territoriales des deux Etats.

38
CMU, annexe 3. - 45 -

55. Madame le président, rien dans l’article premier de ce traité de2003 ne donne à penser

qu’une frontière avait déjà été convenue délimitant le plateau continental et les zones économiques

exclusives des deux Etats au-delà du point F.

[Fin de la projection.]

49 56. La Roumanie a essayé de tirer argument d’une «déclaration» qu’elle a faite lors de la

signature du traité de2003 et répétée en des termes légèrement différents, lors de l’entrée en

vigueur de ce traité 3. En ces deux occasions, l’Ukraine a vigoureusement réagi . Selon nous, ces

échanges n’ont aucune importance juridique. La «d éclaration» roumaine était vague et, de toute

façon n’était pas un terme convenu du traité. Elle ne liait pas l’Ukraine. Elle pourrait au mieux

être considérée comme une simple déclaration interprétative unilatérale, à laquelle l’Ukraine a

répondu dans la mesure où elle a pu juger que cela était nécessaire ou souhaitable. Les Parties sont

d’accord que le traité de2003 fixe le point terminal de la frontière d’Etat en mer, le pointF. Et

elles sont d’accord que ce point F constitue le point de départ de la délimit ation à laquelle la Cour

doit procéder en l’espèce. La déclaration de la Roumanie n’y a rien changé.

E. Conclusion

57. Madame le président, ainsi s’achève ma présentation des principaux accords pertinents

en l’espèce.

58. Une chose en ressort clairement, à savoir que tout au long de la période de 50ans qui

s’est écoulée entre 1947 et 1997, tous les accords frontaliers et autres documents conventionnels

entre les Parties concernaient exclusivement la «fr ontière d’Etat». Ils concernaient la délimitation

de la frontière entre les zones terrestres et mar itimes relevant de la souveraineté des deux Etats,

c’est-à-dire leurs territoires terrestres, eaux intérieures et mers territoriales respectifs. Il n’y a eu

aucun accord concernant le plateau continental ou les zones économiques exclusives.

59. Ceci a changé en 1997, avec le traité relatif au régime de la frontière d’Etat et l’échange

de lettres. Ces accords prévoyaient expressément des négociations entre les Parties pour régler «le

problème de la délimitation de leur plateau continental et des zones économiques exclusives».

39
CMU, annexes 37 et 39.
40CMU, annexes 38 et 40. - 46 -

60. Tout au long de cette période, les Parti es n’ont fait aucune mention d’accords existants

en ce qui concerne le plateau continental et lzones économiques exclusives. Le traité de2003

sur le régime de la frontière d’Etat indiquait finalement les coordonnées précises du point terminal

de la frontière d’Etat, un point pratiquement id entique à celui annoncé, 55ans auparavant, sur la

carte 134. Absolument rien ne donne à penser, dans aucun des documents conventionnels de 1997

ou de 2003, ni dans les documents relatifs aux négociations, qu’un accord antérieur aurait existé sur

50 la délimitation du plateau continental ou des zones économiques exclusives. Au contraire, il était

clair pour les deux Parties qu’un tel accord faisait défaut. Ce qui ressort des deux séries de

négociations ⎯sur la frontière d’Etat d’une part, et sur le plateau continental et les zones

économiques exclusives de l’autre ⎯ n’a absolument pas changé durant toute la période de 55 ans.

61. Madame le président, Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé. Je vous

remercie de votre attention. Je vous demanderai maintenant d’inviter M. Quéneudec à vous parler

du droit applicable.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Sir Michael. Je donne la parole à Monsieur Quéneudec.

QMUr. NEUDEC:

IV. T HE APPLICABLE LAW

Madam President, Members of the Court, it is al ways an honour for me to appear before the

Court. I wish to thank the Ukrainian Govern ment for the confidence it has shown in me by

requesting my assistance in presenting Ukraine’s argum ents in its dispute with Romania. I also

wish to express my sorrow and distress at the fact that our dear colleague, the late Sir Arthur Watts,

is no longer in our midst.

Introduction

1. Madam President, the duty falls to me to argue before you the question of the applicable

law. It is a sensitive tasksince it may appear both presumptuous and futile to expound to the

Court on the law applicable in a maritime delimitation case. - 47 -

2. In the present case, however, the question of applicable law arises in a special context,

which warrants taking the risk of presenting th e Court with some analytical comments and

clarifications on the subject.

3. The special character of the question of the applicable law in this case is due to the fact

that, since the beginning of the present proceedings , the opposing Party has taken the view that the

principles and rules applicable by the Court in addressing the problem of maritime delimitation

before it are, above all and as a matter of prior ity, those which the two Parties set out in the

exchange of letters accompanying the 1997 treaty. According to Romania, this agreement, which it

calls the “Additional Agreement”, resulted in a kind of lex specialis, on the basis of which the

Court must issue a ruling.

51 4. The Application stated: “The Additional Agreement thus represents a lex specialis

between the two States, and the delimitation requi red from the Court must be determined in

41
conformity with the five principles set out in Article 4 of the Additional Agreement.”

5. This view was subsequently reaffirmed, for instance in the Reply, where the Romanian

Party drew an audacious comparison, to say the l east, between the list contained in that clause and

the terms of the arbitration agreement in the Continental Shelf (Tunisia/Libyan Arab Jamahiriya)

case, in which the Court, we are told, “expressl y accepted that States parties in delimitation cases

may stipulate a binding lex specialis” 42.

6. A number of observations on this matter have already been made in the written pleadings

submitted by Ukraine 43. We must, however, revert to it for a few moments at this point in the

proceedings on account of the manner in which it was presented by the Romanian Party during the

first round of oral arguments.

7. I shall therefore first reiterate Ukraine’s position regarding the appropriate status and role

in the present proceedings of the principles set out in the 1997 agreement; for the views of the two

States clearly continue to diverge in this regard. Some clarification is therefore necessary. I just

hope, Madam President, that it will have the beneficial effect of delivering my friend

41Application instituting proceedings, p. 6, para. 9.
42
RR, para. 2.8.
43CMU, paras. 6.10-6.22; RU, paras. 2.22-2.30. - 48 -

ProfessorPellet from the state of “bafflement” in wh ich he claims to have been left by Ukraine’s

44
arguments in its written pleadings .

8. In the second part of my statement, I sha ll present the rules of international law that are

effectively applicable to the course of the single maritime delimitation line that the Court has been

asked to establish in the present case. Despite the ostensible agreement between the two Parties on

the applicable rules, there are in fact serious di vergences in their perception of how the principles

52 and rules of maritime delimitation should be implemented. It may therefore be useful to present

some clarifications regarding Ukraine’s position on the subject.

A. Clarification regarding the 1997 agreement

9. The agreement by exchange of letters dated 2 June 1997 was signed and entered into force

at the same time as the Treaty on Relations of Good Neighbourliness and Co-operation between

Ukraine and Romania, in accordance with Article 2 of the said Treaty. It is this agreement by

exchange of letters that established the Court’s jurisdiction and served as the basis for bringing this

case before it.

10. Suffice it here to draw attention to two essential aspects of the agreement from the point

of view of the question of applicable law. One concerns the structure and content of paragraph 4 of

the 1997 agreement. The other relates more particularly to subparagraph ( h) of the same paragraph.

It will then be seen that this paragraph’s real scope bears no relationship to the scope that Romania

seeks to attribute to it.

(a) First essential aspect of the 1997Aagreement

11. Paragraph 4 of the 1997 agreement (a paragraph that Romani a has called “Article 4”) set

out a number of principles that had been adopted by the two States as the basis for negotiating a

delimitation agreement. The principles were inte nded to guide the conduct of the negotiations.

This is absolutely clear from the wording of the paragraph, which aimed at establishing the

framework for the future negotiations.

44
CR 2008/18, p. 45, para. 32 (Pellet). - 49 -

12. It should first be noted that the paragr aph had an introductory “chapeau”, which read as

follows:

“The Government of Ukraine and the Government of Romania shall negotiate
an agreement on the delimitation of the con tinental shelf and the exclusive economic
zones in the Black Sea, on the basis of the following principles and procedures.”

S1b3. aragraphs (a), (b), (c), (d) and (e) of paragraph 4 set out these principles. It may be

noted in passing that the principle set out in subparagraph (d) was markedly different from the

other four, since it did not relate to maritime delimitation as such. Instead it referred to each State’s

undertaking not to contest the sovereignty of the other State over any part of its territory adjacent to

53 the zone to be delimited, in other words an undertaking which had no bearing, in itself, on the

actual maritime delimitation process.

S1b4. aragraph (f) then stipulated that, on the basis of these principles, the parties were to

establish the zone to be delimited at the beginning of the negotiations and were to refrain from

exploiting the zone’s mineral resources until such time as a solution to the question of delimitation

of the continental shelf was reached, although provision could be made for joint exploitation in

some parts of the zone.

S1b5. aragraph (g) provided that the negotiations shoul d begin within three months of the

date of entry into force of the 1997 Treaty.

16. Lastly, subparagraph (h) set a deadline of two years for completion of the negotiations,

barring which the matter would be referred to the C ourt (I shall have more to say shortly about this

subparagraph).

17. But the entire structure and content of pa ragraph 4 were intended to determine not only

the conditions in which the negotiations on delimita tion were to be opened and conducted but also

the behaviour of the parties during the course of the negotiations.

18. It is for this reason that we now find it difficult to accept the idea of detaching and

isolating the subparagraphs that set out the principles which were to serve as guidelines for the

negotiations from the rest of the paragraph, and I therefore also have some difficulty with the claim

that these principles must be applied by the Court pursuant to the 1997 Agreement. - 50 -

19. A further more general consideration should be added to this first point, which is based

on the actual wording of the exchange of letters. When a maritime delimitation is required, the

option of negotiations and that of a judicial settlement are two quite different procedures. The

parameters that may be taken into account by the negotiators and those that may be applied by an

international court are not the same.

20. While political, economic or other cons iderations may be taken into account in

negotiations on the establishment of a particular co urse of the delimitation line, a court must base

itself solely on the law. It follows that there is no substantive continuity between the two

procedures, although, in keeping with the famous dictum of the Permanent Court in the Free Zones

54 case which was cited the other day on the other side of the aisle, the judicial settlement of disputes

is an “alternative” (succédané) to the friendly settlement 4.

21. Indeed this is why international courts have always hesitated in this area to base

themselves on the practice reflected in bilateral delimitation agreements, that is to say on “State

practice”. As it is difficult, if not impossible, to identify the grounds in negotiations that have

actually led to the establishment of an agreement-b ased maritime negotiation line, and as it is also

difficult to pick up the trace of an opinio juris, international courts have hitherto carefully avoided

recognizing bilateral agreements as a practice that generates customary rules.

22. That brings me to the second essential aspect of the 1997 Agreement.

(b) Second essential aspect of the 1997 agreement

23. This second aspect, Madam President, relates to subparagraph (h) of paragraph 4 of the

1997 exchange of letters. According to subparagraph (h), if a delimitation agreement was not

concluded within a specific period of time, either of the two States could submit the delimitation

problem to the Court in the form of a unilateral application, following the entry into force of the

separate border treaty, the conclusion of which was also foreseen in the 1997 Treaty on Relations

of Good Neighbourliness. But subparagraph (h) did not state that the provisions of subparagraphs

(a) to (e) of paragraph 4 set out the specific principles that the two parties int
ended to have the

Court apply in settling the dispute.

45
CR 2008/18, p. 47, para. 35 (Pellet). - 51 -

24. At the hearing of 2 September, Professor Alain Pellet told us, in substance, the following:

if, in 1997, Ukraine and Romania had intended to limit the applicability of the principles to the

negotiation stage, they would not have failed to in clude a specific provision to that effect in the

agreement 46. Well and good. But would it not be more accurate to say, on the contrary, that if the

Parties had wished the Court, once seised, to rule on the basis of those principles, that they would

have said so unambiguously in the text of the arbitration agreement itself?

55 25. It would therefore seem that the agreem ent by Ukraine and Romania to submit their

dispute to the Court was not accompanied by any de termination of the rules that the Court was to

apply, in contrast to other cases concerning maritime delimitation referred to the Court on the basis

of an arbitration agreement. Which means that the two States had agreed on the possibility of

leaving it to the Court to decide their dispute in accordance with Article 38 of its Statute, that is to

say by applying the rules of international law pertaining to maritime delimitations between

neighbouring States, regardless of the origin of those rules ⎯ be it treaty-based, customary or, dare

I say, jurisprudential. The consequences that may be drawn from this have important implications

for the scope of paragraph 4 of the 1997 Agreem ent. And that is the third aspect of my

clarification.

(c) Real scope of paragraph 4 of the Agreement

26. Romania cannot claim today that paragr aph 4 of the 1997 agreement contained a

statement of the law that would be applicable by the Court if the dispute were to be referred to it,

especially since paragraph 4 of the exchange of letters has now produced all the effects for which it

provided.

27. What exactly were the provisions of paragraph 4? It provided, on the one hand, that

negotiations should be conducted on the basis of certain guiding principles with a view to

concluding a delimitation agreement. But it h as now been established and acknowledged that the

negotiations failed; and it is therefore hard to see by what miracle the principles that were intended

to guide the negotiations might have survived their failure. Paragraph 4 foresaw this very

eventuality, since it further stipulated that, if the negotiations failed, the delimitation problem

46
CR 2008/18, p. 46, para. 34 (Pellet). - 52 -

would be laid before the Court. And the probl em has indeed been referred to the Court, as

evidenced by the present proceedings.

28. The object and purpose of the paragraph has t hus been fully realized. To such an extent

that one is justified in asserting that paragr aph 4 of the 1997 Agreement is no longer of any

relevance to the relations between Ukraine and Romania as Parties to the present case before the

Court.

56 29. That having been said, an important further point must be made to ensure that Ukraine’s

position is clearly understood.

30. There can be no doubt that most of th e statements of principle in subparagraphs (a), (b),

(c) and (e) of paragraph 4 of the 1997 Agreement broadl y correspond to the principles or rules of

international law that are applicable to the maritime delimitation that the Court must establish.

31. An important distinction must, however, be made. It is one thing to say that these

statements of principle, or some of them, can be applied, wholly or in part, to the extent that they

more or less coincide with the rules of interna tional law that the Court is in any case required to

apply. It is another thing to maintain that the statements in paragraph 4 of the 1997 Agreement are

directly applicable as such in the present proceedings before the Court and that they are applicable

in the order in which they were drafted. These are two fundamentally different approaches.

32. What Ukraine wishes to challenge and what it vigorously opposes is the application of

these statements of principle pursuant to paragraph 4 of the 1997 Agreement , since, and this bears

repeating, the guiding principles set out in that context were applicable only to the conduct of the

negotiations. It is clear, however, that their possi ble application, wholly or in part, cannot be

opposed where they may be perceived as a reflection or expression of the contemporary

international law of maritime delimitation.

33. It is appropriate at this point to turn tothe rules of international law that are effectively

applicable in this case, which brings me to the second part of my statement.

B. Some clarifications regarding the rules of international law that are
effectively applicable in the present case

34. The situation here is, on the face of it, relatively simple. The Court is called upon to

establish a single line of delimitation serving as the maritime boundary between the exclusive - 53 -

economic zones and the continental shelf zones appertaining respectively to each of the two States.

But both States are parties to the 1982 United Nations Convention on the Law of the Sea, which is

in force between them. The applicable law therefore comprises the Convention provisions

concerning the delimitation of the economic zone and the continental shel f between States with

57 adjacent or opposite coasts, that is to say Articles 74 and 83, and more particularly paragraph 1 of

each of those articles.

35. The content of these two articles is well known. Whether the feature at issue is the

exclusive economic zone or the continental shelf, the delimitation must in either case be “effected

by agreement on the basis of international law, as referred to in Article 38 of the Statute of the

International Court of Justice, in order to achieve an equitable [result]”.

36. While the rule thus stated prescribes a procedure involving a negotiated agreement

between the States concerned, the treaty provision in question also states a fundamental norm of

general scope, the fundamental norm being that of the equitable solution.

37. In its Judgment of 3 June 1985, the Court noted in this connection: “The Convention sets

a goal to be achieved, but is silent as to the method to be followed to achieve it. It restricts itself to

setting a standard, and it is left to States themselves, or to the courts, to endow this standard with

specific content.” ( Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta) , Judgment, I.C.J. Reports

1985, p. 30, para. 28.)

38. More than a quarter of a century has passed since the adoption of this fundamental norm

by the Third United Nations Conference on the Law of the Sea. Since then, maritime delimitation

law has emerged from the cloud of uncertainty and u npredictability surrounding it. It has asserted

itself and consolidated its basis concurrently with the development of the Court’s jurisprudence in

this regard. To such an extent that one can now say that this branch of international law has

acquired a certain measure of stability and predicta bility. It prescribes a procedure that normally

involves two successive stages.

39. It may be useful to describe this proce dure briefly before taking a separate look at its

component stages.

Madam President, I am not seeking to introduce a note of suspense into my presentation, but

may I suggest to the Court that it defer the remainder of my statement until tomorrow? - 54 -

Le PRESIDENT : Nous avons pris bonne note de votre suggestion et nous procéderons ainsi.

Je vous remercie des observations que vous avez faites jusqu’à présent, Monsieur Quéneudec.

M. QUENEUDEC : Je vous remercie.

58 Le PRESIDENT : Voila qui met fin à l’exposé de l’Ukraine pour ce matin dans l’affaire de

la Délimitation maritime en mer Noire . L’audience reprendra demain matin à 10heures et nous

commencerons par entendre les ultimes observations de M. Quéneudec. L’audience est maintenant

levée.

L’audience est levée à 12 h 55.

___________

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